L’application immédiate de la loi nouvelle

L’application immédiate de la loi nouvelle

La résolution des conflits de lois dans le temps repose sur deux principes complémentaires :

  • la non-rétroactivité de la loi nouvelle, pour protéger les situations passées. Le principe de non-rétroactivité signifie qu’une loi nouvelle ne peut régir des faits antérieurs à son entrée en vigueur. Cela préserve la sécurité juridique des individus en empêchant une remise en cause de leurs actions passées, effectuées conformément à la législation en vigueur au moment où elles ont été réalisées. La non-rétroactivité protège donc les droits acquis, en particulier ceux constitués de manière définitive sous l’empire de la loi ancienne. Ce principe est étudié dans cette fiche :

Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle

  • et son application immédiate pour assurer le progrès et l’harmonie juridique

Le principe de l’application immédiate de la loi nouvelle repose sur l’idée que la loi nouvelle est, par nature, meilleure et qu’elle permet de garantir une plus grande harmonie juridique et égalité entre les citoyens. Ce principe signifie que, dès son entrée en vigueur, la loi nouvelle s’applique aux situations juridiques en cours, à l’exception de certains cas contractuels où la loi ancienne continue de s’appliquer.

  • Fondement et justification : La loi nouvelle doit s’appliquer immédiatement pour favoriser la cohérence législative et le progrès juridique.
  • Signification : Dès son entrée en vigueur, la loi nouvelle s’applique aux situations juridiques non encore constituées ou en cours, mais non entièrement réalisées.Exemples :
    • La loi de 2013 permettant le mariage homosexuel autorise les couples homosexuels à se marier après cette date, même s’ils n’avaient pas pu le faire avant.
    • Si une loi de 2024 abroge l’obligation de fidélité entre époux, cette obligation disparaît à partir de cette date pour les mariages en cours.
  • Exception : la survie de la loi ancienne pour les effets futurs des contrats passés.
    Un contrat conclu sous l’empire d’une loi ancienne continue de produire ses effets selon les dispositions en vigueur lors de sa signature.

Le principe

A. La loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations en cours de constitution ou d’extinction

La loi nouvelle régit immédiatement les situations juridiques non encore achevées. Si une situation est en cours de constitution (par exemple, un acte juridique comme un testament) ou en cours d’extinction (par exemple, une prescription), la nouvelle loi doit être respectée.

  • Exemple de situation en cours de constitution : Si une nouvelle loi exige que tous les testaments soient rédigés devant un notaire pour être valides, alors les testaments en cours de rédaction au moment de l’entrée en vigueur de cette loi devront se conformer à cette nouvelle exigence.
  • Exemple de situation en cours d’extinction : Supposons qu’une ancienne loi prévoit un délai de prescription de 10 ans, et qu’une nouvelle loi, adoptée en 1997, prolonge ce délai à 30 ans. Si un événement a eu lieu en 1980 et qu’on tente d’agir en 2006, l’action serait impossible car la prescription de 10 ans, prévue par l’ancienne loi, a déjà pris effet et est donc éteinte.

B. La loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs des situations juridiques en cours

Pour les situations en cours, la loi nouvelle régit les effets futurs, même si la situation a commencé sous l’empire de l’ancienne loi.

  • Exemple : Un contrat de prêt est signé en 2000 avec un taux d’intérêt de 8 %. Une loi nouvelle, entrée en vigueur en 2007, fixe le taux maximal d’intérêt à 7 %. À partir de 2007, l’emprunteur pourrait se prévaloir de cette nouvelle loi pour faire baisser le taux d’intérêt du prêt. Cela signifie que la loi nouvelle s’applique aux effets futurs de ce contrat, même s’il a été conclu avant son adoption.

C. Exception : survie de la loi ancienne pour les contrats

  • Principe : Dans le domaine contractuel, il existe un principe distinct : la survie de la loi ancienne. Cela signifie que les contrats conclus sous l’empire d’une loi ancienne continuent d’être régis par cette loi, y compris pour leurs effets futurs. Ce principe repose sur la prévision des parties et le respect de l’équilibre contractuel. Roubier faisait la distinction entre les situations juridiques légales (soumise à l’application immédiate de la loi nouvelle) et les situations contractuelles (soumise à la survie de la loi ancienne).
    • Exemple : Si un contrat de prêt avec un taux d’intérêt de 8 % a été conclu en 2000, l’emprunteur ne pourra pas, en principe, bénéficier de la loi de 2007 qui limite le taux à 7 %, car le contrat est une situation juridique contractuelle, pour laquelle la loi ancienne continue à s’appliquer.
    • autre exemple, un prêt contracté en 2010 avec un taux d’intérêt de 5% n’est pas affecté par une loi de 2015 abaissant ce taux à 3%, et les intérêts perçus resteront à 5% jusqu’à la fin du contrat.
  •  Exceptions à la survie de la loi ancienne : Toutefois, il existe des exceptions à la survie de la loi ancienne. Le législateur ou la jurisprudence peuvent décider que certaines lois nouvelles doivent s’appliquer immédiatement, même aux contrats en cours, lorsque des considérations d’ordre public l’exigent. Cela se produit notamment lorsque la loi nouvelle est jugée impérieuse ou qu’elle répond à des intérêts publics majeurs. Dans ces cas, les effets futurs des contrats déjà en cours peuvent être soumis à la loi nouvelle, indépendamment de leur date de conclusion.

Ainsi, bien que le principe de la survie de la loi ancienne préserve les contrats en cours, la loi nouvelle peut s’appliquer immédiatement dans des cas où l’ordre public le justifie, revenant ainsi à l’application immédiate de la loi nouvelle pour des considérations impérieuses.

 Illustration de la jurisprudence

Dans un arrêt rendu par la Cour de cassation le 3 juin 2021 (Civ. 3e, n° 20-12.353), les deux principes de non-rétroactivité et d’application immédiate de la loi nouvelle ont été mis en œuvre.

  • Faits : En 2013, une société a acquis un immeuble dont les locataires étaient soumis à un bail régi par la loi du 6 juillet 1989. En 2014, la bailleresse a conclu une convention avec l’État conférant à l’immeuble le statut de logement social (HLM). En 2018, une loi est entrée en vigueur, offrant aux locataires d’un logement HLM la possibilité de choisir entre conserver leur ancien bail ou conclure un nouveau bail conforme aux stipulations de la convention HLM.
  • Litige : Les locataires avaient refusé de payer un supplément de loyer de solidarité, réclamé en 2015, et ont argué que la loi de 2018, qui leur offrait une option, devait s’appliquer.
  • Décision : La Cour de cassation a rappelé que la loi nouvelle ne s’appliquait pas rétroactivement aux effets d’une situation juridique déjà réalisée (comme la signature d’un bail avant la loi de 2018). De plus, elle a rejeté l’argument selon lequel la loi de 2018 serait interprétative et rétroactive. La Cour a donc confirmé que la bailleresse pouvait réclamer le supplément de loyer, conformément à la loi en vigueur en 2015.