L’application dans le temps des lois pénales de fond

L’application dans le temps des lois pénales de fond

En droit pénal français, l’application dans le temps des lois pénales de forme et des lois pénales de fond est régie par le principe de non-rétroactivité de la loi pénale. Ce principe interdit l’application d’une loi pénale plus sévère à une infraction commise avant son entrée en vigueur.

On distingue loi pénale de fond et loi pénale de forme (on étudie dans ce chapitre l’application dans le tems des lois pénales de fond)

  • En ce qui concerne les lois pénales de fond, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale signifie que l’auteur d’une infraction ne peut être condamné qu’en fonction de la loi en vigueur au moment où l’infraction a été commise. Si une nouvelle loi pénale entre en vigueur qui prévoit des peines plus sévères pour certaines infractions, ces peines ne s’appliqueront pas aux infractions commises avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.
  • En ce qui concerne les lois pénales de forme, le principe de non-rétroactivité de la loi pénale signifie que l’auteur d’une infraction ne peut être jugé qu’en fonction de la loi en vigueur au moment où l’infraction est jugée. Si une nouvelle loi pénale de forme entre en vigueur qui prévoit des procédures plus favorables aux accusés, ces procédures s’appliqueront au jugement de l’infraction, même si l’infraction a été commise avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

L’application dans le temps des lois pénales de forme

Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale est limité dans certains cas, notamment lorsque la nouvelle loi pénale est plus favorable aux accusés ou lorsqu’elle vise à remédier à une injustice. Dans de tels cas, la nouvelle loi peut s’appliquer rétroactivement et ainsi bénéficier à l’auteur de l’infraction.

A/ Le principe de la non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère

Aux termes de l’article 112-1 du Code pénal : « sont seuls punissables les faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis ; seules peuvent être prononcées les peines légalement applicables à la même date ».

Malgré le principe de légalité des peines, dès lors qu’un nouveau texte va entrer en vigueur, certaines difficultés vont se poser, et on considère que lorsqu’on décide d’agir, il faut savoir que nos actions tombent sous le coup de la loi pénale.

Selon l’arrêt du 25 mai 1993 de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, la condition de prévisibilité va être respectée dès l’instant où le justiciable peut savoir à partir du libellé de la disposition pertinente, et au besoin à l’aide de son interprétation par les tribunaux, quels actes ou omissions engagent sa responsabilité pénale.

On va appliquer une règle qui découle directement de ce principe de prévisibilité, selon lequel une loi pénale plus sévère ne peut pas rétroagir. En vertu de ce principe, une personne ne peut pas faire l’objet de poursuites pénales ou d’une condamnation sur le fondement d’une disposition pénale qui est entrée en vigueur après la commission de l’acte litigieux. Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère joue aussi bien pour l’infraction elle-même que pour les sanctions qui lui sont attachées.

La question s’est posée de savoir comment on devait définir l’expression « loi pénale ».

La jurisprudence estime que la non-rétroactivité de la loi pénale concerne tous les textes pénaux, règlementaires ou législatifs. Dès lors, une difficulté s’est posée concernant la jurisprudence : une jurisprudence plus sévère peut-elle rétroagir ou non ? En effet, il arrive souvent qu’un revirement de jurisprudence transforme un fait auparavant non-infractionnel en infraction (notamment le cas du recel, qui est passé de la simple possession d’un objet infractionnel au fait d’en tirer un profit).

La CEDH a apporté un certain nombre de précisions à cet égard : en effet, elle a indiqué que le terme « droit » s’applique aussi bien à la norme écrite qu’à son interprétation par les tribunaux.

Dans un arrêt du 22 novembre 1995, les faits étaient les suivants : une personne viole son épouse alors que la Common-law ne le réprime pas. Les juridictions ont par la suite levé l’immunité dont bénéficiaient les époux, et il a été condamné. Il a donc saisi la CEDH pour violation de l’article 7 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, mais sa demande a été rejetée par la Cour, qui a invoqué le principe de prévisibilité concernant le revirement de jurisprudence : « on ne saurait interpréter l’article 7 comme proscrivant les règles de la qualification graduelle des règles de la responsabilité pénale par l’interprétation judiciaire d’une affaire à l’autre, à condition que le résultat soit cohérent avec la substance de l’infraction, et raisonnablement prévisible ».

Dans un autre arrêt, rendu cette fois le 14 novembre 2007 par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, les faits étaient les suivants : une personne est poursuivie pour escroquerie au préjudice de sa belle-mère en 1992, date à laquelle l’ancien article 380, qui prévoyait une immunité invoquée par le prévenu, s’applique toujours. Les héritiers de la belle-mère soutenaient au contraire que les nouvelles dispositions s’appliquaient, plus précisément l’article 112-2-2.

Les juges du fond ont estimé que la loi nouvelle, qui exclue le prévenu du bénéfice de l’immunité, est une loi plus sévère, et que cette loi n’a pas supprimé les éléments constitutifs de l’infraction ni aggravé les peines encourues. Ils ont considéré que cette peine étendait le champ d’application de l’infraction à une nouvelle catégorie d’individus en réduisant le champ de l’immunité dont certaines personnes pouvaient bénéficier jusqu’alors.

La Cour de cassation rappelle que l’article 112-1 du Code pénal parle de faits constitutifs d’une infraction à la date à laquelle ils ont été commis. On peut dès lors considérer que le texte est assez clair : la non-rétroactivité ne concerne que les faits constitutifs nouveaux et les nouvelles peines. Ainsi la Cour de cassation a considéré dans cet arrêt qu’une loi qui exclue du bénéfice de l’immunité familiale les soustractions commises par des alliés au même degré constitue une loi pénale plus sévère, et n’est donc pas applicable aux faits commis antérieurement.

 

La difficulté de détermination précise de la date des faits va se poser lorsque ces derniers ont une réalisation qui perdure dans le temps (infractions continues, comme par exemple le recel). La jurisprudence estime que dans l’hypothèse d’une infraction continue, la loi à appliquer est celle applicable au dernier acte infractionnel.

On a aussi quelques difficultés concernant la date d’entrée en vigueur d’un texte, lorsque par exemple l’infraction est commise le jour même d’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Dans ce cas, on estime que la loi nouvelle est applicable un jour entier après son entrée en vigueur.

La non-rétroactivité des lois pénales de fond concerne également les peines : dans cette hypothèse, il faut que la loi nouvelle reçoive cette qualification. A cet égard, on peut citer un arrêt rendu par la Chambre criminelle de la Cour de cassation du 31 octobre 2006.

On a ici un individu condamné pour agression sexuelle aggravée à une peine de sursis. Il est également inscrit au Fichier Judiciaire National Automatisé des Empreintes Génétiques (FJNAEG), et va former un pourvoi contre cette décision car l’inscription de la condamnation s’est faite en application de la loi du 9 mars 2004 ; or les faits ont été commis en 1997. Pour lui, cette peine complémentaire ne pouvait pas être appliquée, car la loi en était plus sévère.

La Cour de cassation a écarté cet argument en faisant valoir que l’inscription au FJNAEG n’était pas une peine au sens de l’article 7 de la CEDH : c’est une simple mesure ayant pour objet de prévenir le renouvellement des infractions sexuelles, et de faciliter l’identification des auteurs. Ainsi, la rétroactivité est possible, car il ne s’agit pas d’une peine plus sévère.

Toutes les lois qui modifient le régime de certaines mesures à caractère pénale vont poser difficulté : la jurisprudence a estimé que le principe de non-rétroactivité ne les englobait pas. C’est notamment le cas des contraintes par corps et de certaines mesures préventives.

Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère peut connaître une dérogation : c’est le cas d’une loi interprétative destinée à préciser des dispositions peu claires de la loi ancienne. Même si elle est plus sévère, elle va rétroagir au jour de la publication de la loi dont elle a précisé le sens.

B/ Le principe de rétroactivité de la loi pénale plus douce

Le problème est de déterminer si on est confronté à des lois de fond plus douces ou plus sévères : il appartient alors à la Cour de cassation de se prononcer sur ce caractère. En application de l’article 112-1 du code pénal, les dispositions nouvelles s’appliquent aux infractions commises avant leur entrée en vigueur et n’ayant pas donné lieu à une condamnation passée en force de chose jugée lorsqu’elles sont moins sévères que les dispositions anciennes.

La Cour régulatrice applique le principe de la rétroactivité in musius conformément à la doctrine du Conseil constitutionnel, c’est-à-dire qu’elle va privilégier la loi nouvelle plus douce pour les infractions réalisées sous l’empire de la loi ancienne plus sévère. La rigueur antérieure n’est alors plus justifiée après modification de la loi. On considère la loi comme plus douce lorsqu’elle :

o réduit le champ d’application d’une infraction

o ajoute une nouvelle condition à la constitution d’un crime/délit

o supprime une présomption de mauvaise foi

o abaisse la peine envisagée

o supprime une sanction

o supprime une circonstance aggravante.

 

Lorsque les lois sont équivalentes en termes de sévérité, la jurisprudence va faire prévaloir la loi la plus récente, après avoir constaté que les faits tombent à la fois sous le coup de l’ancienne et de la nouvelle disposition.

La jurisprudence manifeste de plus en plus d’hostilité au principe de la loi pénale plus sévère : en effet, elle rappelle régulièrement que la loi nouvelle qui modifie une incrimination ne trouve à s’appliquer aux faits commis avant sone entrée en vigueur e non définitivement jugés qu’à la condition que cette loi n’ait pas prévu de disposition expresse contraire.

 

Il existe une difficulté particulière en matière d’application de la loi pénale dans le temps : elle concerne ce qu’on appelle la « codification à droit constant ». Cette dernière va intervenir de la façon suivante : on va codifier certains textes, et lors de leur codification, on va laisser de coté toutes les dispositions règlementaires au profit des seules dispositions législatives. Or les décrets peuvent contenir les modalités d’application de ces lois.

Pour la doctrine, un décret pris en application d’une loi abrogée étant dépourvu de base légale, la doctrine considère que comme la loi a été abrogée, ces décrets perdraient toute force et leur méconnaissance ne pourrait pas être légalement sanctionnée.

La Cour de cassation a adopté une position beaucoup plus nuancée en estimant que l’abrogation d’une loi à la suite de sa codification à droit constant ne modifie ni la teneur des dispositions transférées, ni leur portée : les arrêts ou règlements légalement pris par l’autorité compétente revêtent un caractère de permanence qui les fait survivre aux lois dont ils procèdent tant qu’ils ne sont pas devenus inconciliables avec les règles fixées par une législation postérieure.

C/ La loi nouvelle complexe

Une loi nouvelle est complexe lorsque par certains aspects, elle est plus sévère, et par d’autres, elle est plus douce. La jurisprudence a opéré une distinction selon le caractère divisible ou non des dispositions : si les dispositions apparaissent comme étant divisibles on va alors pouvoir les dissocier, les aspects plus doux vont pouvoir rétroagir, mais pas les aspects plus sévères.

Lorsque les dispositions paraissent indivisibles, le juge va devoir se référer à la disposition principale du texte pour procéder à une appréciation globale.