Cessation de paiements (définition, éléments constitutifs, preuve…)

LA CESSATION DE PAIEMENTS

  La cessation de paiements est l’impossibilité pour le débiteur, à partir de ses réserves actuelles de trésorerie ou de crédit, de faire face à son passif exigible .

 Avec la loi de sauvegarde des entreprises du 26 juillet 2005, la cessation de paiement ne traduit plus le passage des techniques non judiciaires de la prévention aux procédures judiciaires de traitement puisqu’une entreprise peut bénéficier de la procédure amiable de la conciliation tout en étant en cessation de paiement depuis moins de 45 jours et profiter de la procédure judiciaire de la sauvegarde sans être en cessation de paiement.

Au stade des difficultés préalables, soit que l’entreprise se trouve dans une procédure de conciliation et l’autorité judiciaire n’a pas de pouvoir particulier, soit qu’elle entre dans une procédure de sauvegarde et le tribunal acquiert une certaine maîtrise.

Cependant, lorsque la cessation de paiement excède la durée de 45 jours, la responsabilité juridictionnelle dans le traitement de la défaillance de l’entreprise s’affirme davantage puisque seul un redressement ou d’une liquidation judiciaire demeure possible.

La loi du 10 juin 1994 a en effet abandonné l’idée de l’ouverture d’un redressement judiciaire préalable et obligatoire en réinstallant l’option entre le redressement ou la liquidation judiciaire que le législateur du 25 janvier 1985 avait supprimé dans le but de redresser les entreprises en difficulté. Désormais, la période d’observation ne revêt pas un caractère impératif.

La liquidation judiciaire peut être prononcée son ouverture d’une telle période quand l’entreprise a cessé ses paiements et que son redressement est manifestement impossible.

Cette disposition met fin aux périodes d’observations factices dénoncées par la doctrine et d’aucune utilité pour une entreprise moribonde ou tout espoir de redressement est utopique.

Elle n’a pas pour autant objet d’inciter à des liquidations d’entreprise un peu trop hâtives, si bien que les objectifs poursuivis par le droit des entreprises en difficulté conservent toute sa valeur. Il consiste à permettre la poursuite de l’activité d’entreprise, à maintenir l’emploi et à apurer le passif.

Cependant, la loi de 2005 ne soumet plus le redressement judiciaire à 2 régimes tandis qu’ elle institue une liquidation judiciaire simplifiée.

Cette procédure démarre lorsque, l’entreprise est en cessation de paiement depuis plus de 45 jours, la situation étant suffisamment observée, la procédure de redressement constitue la dernière chance de rétablissement ; mais lorsque la dégradation de la situation d’entreprise est profonde, elle nécessite des remèdes drastiques ; le tribunal ne peut qu’ordonner immédiatement sa liquidation.

Avec la loi de 2005, la cessation des paiements constitue la seule hypothèse d’ouverture d’une procédure de redressement de liquidation judiciaire.

I – La notion de cessation de paiement

Pendant longtemps, le seul fait de l’arrêt de paiement ne suffisait pas à caractériser la cessation des paiements. La cour de cassation exigeait une situation désespérée ou irrémédiablement compromise.

Par la suite, la chambre commerciale a défini cette notion floue comme étant l’impossibilité pour le débiteur de faire face à son passif exigible avec son actif disponible.

Dans le prolongement de l’article 3 de la loi du 25 janvier 1985, l’article L 631-3 Code de Commerce, depuis la loi de sauvegarde des entreprises, consacre cette définition prétorienne en énonçant qu’il est institué une procédure de redressement judiciaire ouverte à tout débiteur mentionné aux articles L 631-2 ou L 631-3 Code de Commerce qui dans l’impossibilité de faire face à son passif exigible avec son actif disponible est en cessation de paiement.

Mais certains auteurs se sont interrogés sur les raisons pour lesquelles le législateur a préféré substituer à la souplesse jurisprudentielle la rigueur légale, ce qui risque d’engendrer des difficultés.

La faillite ayant été longtemps l’apanage du commerçant, la cessation des paiements ne pouvait être obtenue qu’en cas de non-paiement de dettes commerciales.

La loi du 13 juillet 1967 en étendant la faillite aux personnes morales de droit privé non commerçants a mis fin à cette exigence et décider qu’une procédure collective pouvait être ouverte sur l’assignation d’un créancier quelle que soit la nature de sa créance.

La loi du 25 janvier 1985 reprise par le code de commerce a reconduit cette disposition ; le défaut de paiement d’une dette quelconque permettant de déclencher une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

Aucun texte ne précise toutefois le nombre et le montant des dettes impayées. On peut donc admettre que le défaut de paiement d’une seule dette, peu importe son montant, est susceptible de provoquer un redressement ou une liquidation judiciaire.

Cependant, une pareille situation, synonyme d’un embarras passager, relèverait plutôt d’une procédure de conciliation de sorte que tout créancier qui se hâterait de saisir le tribunal risquerait de voir sa responsabilité engagée faute d’établir la cessation de paiement.

 

II – Les éléments constitutifs de la cessation de paiement

La cessation des paiements est définie au moyen de termes empruntés à la comptabilité pour regrouper certains postes du bilan. Ainsi, dans le bilan, l’actif disponible correspond aux valeurs liquides notamment les sommes détenues en caisse ou figurant sur un compte bancaire; le passif exigible désigne les dettes par opposition aux capitaux permanents et même dans une conception plus étroite, les dettes à court terme et les dettes à vue.

On est donc tenté de lire l’article L 631-1 Code de Commerce à la lumière de ces définitions comptables et de rechercher la cessation de paiements au moyen d’une comparaison des postes du bas du bilan.

Cependant, la définition figurant dans ce titre est une définition juridique et non une définition comptable. Ces termes ne doivent pas être pris dans le sens qu’ils revêtent en comptabilité et l’état de cessation de paiements ne serait apparaître à la seule lecture du bilan.

 

  A / L’existence du passif exigible.

            Le passif exigible au sens de l’article  L 631-1 Code de Commerce correspond au passif exigible et exigé dès lors que le créancier est libre de faire crédit le débiteur. Il s’agit des dettes que le débiteur est tenu de payer au jour où sa situation est examinée parce qu’elles sont au sens juridique certaines, liquides et exigibles. Encore faut-il, en outre, que le créancier n’est pas renoncé à en demander immédiatement le paiement car tout report d’échéance consentie par un créancier diminue d’autant le passif exigible.

  • La dette doit être liquide c’est-à-dire soit être évaluée en argent, soit résultée d’un titre qui contient tous les éléments permettant cette évaluation.
  • La dette doit être exigible c’est-à-dire être échue et susceptible d’exécution forcée. Si le débiteur a bénéficié d’un report d’échéance notamment à l’occasion d’une procédure de conciliation, sa dette cesse d’être exigible. Mais l’exigibilité ne suffit pas, il faut également que la dette soit exigée c’est-à-dire que le paiement ait été demandé puisque, sauf cas exceptionnel, une mise en demeure est nécessaire pour constater la défaillance d’un débiteur. Par conséquent, la simple contestation d’un résultat déficitaire ne permet pas de caractériser la cessation de paiement. De plus, il faut prendre en considération le passif exigible et non pas celui rendu exigible par l’effet du jugement d’ouverture de la procédure collective notamment une liquidation judiciaire.
  • La dette doit aussi être certaine c’est-à-dire être indiscutée dans son existence et son montant. On ne saurait refuser au débiteur le droit de se défendre en contestant le bien-fondé du paiement que lui réclame le créancier à condition que cette discussion ne constitue pas un moyen dilatoire.

 

La dette non payée peut avoir un caractère civil ou commercial.

Traditionnellement seul le non-paiement des dettes de nature commerciale était susceptible de provoquer l’ouverture d’une procédure collective, mais dès lors que celle-ci était ouverte, tous les créanciers pouvaient produire leurs créances y compris ceux dont le titre avait un caractère civil.

Cette règle présentait d’autant plus d’inconvénients que parmi les dettes civiles figuraient les dettes d’impôt. Aussi, beaucoup de commerçants retardaient leur faillite en acquittant tant bien que mal leurs dettes commerciales tout en laissant s’accumuler un passif fiscal. Mais ce passif fiscal qui était privilégié atteignait généralement un montant tel qu’il ne restait rien pour payer les créanciers chirographaires.

L’article 2 de la loi du 13 juillet 1967 a modifié cet état de chose afin notamment de donner au trésor public le droit de déclencher la procédure collective. Ainsi, la cessation des paiements plus résulter du non-paiement d’une dette civile.

L’article 4 de la loi du 25 janvier 1985 (art L 631-3 Code de Commerce) a consacré cette solution en prévoyant que la procédure peut être ouverte sur l’assignation d’un créancier quelle que soit la nature de sa créance.

Il faut préciser que dans les entreprises tenues d’établir une comptabilité prévisionnelle, un état du passif exigible doit être dressé chaque semestre.

 

 B / L’insuffisance de l’actif disponible.

            L’actif disponible ne se réduit pas aux valeurs liquides figurant à l’actif du bilan. Il comprend les sommes dont l’entreprise peut disposer immédiatement soit parce qu’elles sont liquides soit parce que leur conversion en liquidité est possible à tout moment et sans délai.

Dans les entreprises astreintes à tenir une comptabilité prévisionnelle un état de l’actif réalisable et disponible doit être établi en même temps que l’état du passif.

L’insuffisance de l’actif disponible est difficile à caractériser car plusieurs solutions peuvent se présenter :

         cas de la cessation des paiements : dans cette hypothèse le débiteur laisse protester les traites qu’il a acceptées ; il émet des chèques sans provision ou ferme son entreprise et disparaît. Peu importe le montant de la dette impayée. Néanmoins il n’y aurait pas cessation de paiements en cas de difficultés accidentelles et temporaires de trésorerie ;

         dans le second cas, les tribunaux jugent depuis longtemps que la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire peut s’ouvrir lorsque le débiteur tout en faisant face à ses échéances, utilise des moyens factices, ruineux ou frauduleux pour se procurer des liquidités, ex, il émet des effets de complaisance, vend des marchandises à perte, contracte des emprunts… ; ces procédés ne font que retarder une défaillance dont les conséquences seront d’autant plus graves qu’elles se produiront plus tard. De

Il faut assimiler la cessation de paiement déguisée à la cessation de paiement apparente pour que la procédure puisse s’ouvrir avant l’accumulation d’un passif catastrophique. Il convient donc d’être réservé à l’égard des opérations de défesance qui consistent à faire gérer le passif d’une entreprise par une filiale constituée à cet effet. Bien que cette technique permet parfois d’éviter le dépôt de bilan, elle risque aussi de le retarder et donc d’aggraver les inconvénients de la procédure collective.

 

 C / L’impossibilité de faire face.

2 interprétations possibles :

  • Le verbe « faire face » conférerait à la cessation des paiements un caractère objectif. Seul serait en cessation de paiement, le débiteur qui ne peut pas payer à la différence de celui qui ne veut pas payer. Autant le refus de payer procède de la volonté du débiteur même si souvent il n’a aucune alternative, autant la cessation de paiement fait abstraction de tout élément intentionnel, ce qui implique une analyse objective de la situation financière de l’entreprise.

Le redressement judiciaire ne serait donc qu’une mesure utilisable pour intimider la débiteur solvable mais de mauvaise foi.

  • le verbe « faire face » n’avait aucune signification technique précise. La cessation des paiements existerait dès que le débiteur ne paie pas sans qu’il soit besoin de s’interroger sur ses intentions.

Cette solution paraît préférable car le créancier impayé n’a généralement pas le moyen de savoir pourquoi son débiteur n’a pas exécuté ses obligations.

 

III – La preuve de la cessation des paiements

Elle doit être approuvée par celui qui demande l’ouverture de la procédure de redressement ou de liquidation judiciaire.

L’administration de la preuve se fait selon le droit commun c’est-à-dire que la preuve est libre puisqu’il s’agit d’un fait juridique. Elle peut résulter notamment de l’indication que des procédures ou des voies d’exécution ont été vainement engagées pour le recouvrement d’une créance. Mais de simples présomptions de fait peuvent être retenues si, conformément à l’art 1353 cciv, elles sont graves, précises et concordantes. Elles doivent établir clairement l’insuffisance des fonds disponibles et non un déséquilibre du bilan. Ainsi, il a été jugé que l’état de cessation de paiement ne se déduit pas de la seule constatation de l’existence d’une perte d’exploitation et du non-paiement des salaires. De même, la dégradation constante de la trésorerie de la société et son manque de capitaux propres ne suffisent pas à eux seuls pour caractériser la cessation de paiement.

En revanche, les juges ne peuvent rejeter l’action en ouverture d’une procédure collective introduite par un créancier sous prétexte qu’en dehors du non-paiement de sa créance il n’existe pas d’autres manifestations d’impayés. L’essentiel est de savoir si la demande de l’intéressé met en évidence ou non l’insuffisance de l’actif disponible évalué par rapport au passif exigible. Pour cela, les juges du fonds doivent s’attacher à l’appréciation concrète des éléments de preuve fournis par le créancier demandeur et qui empêchent le débiteur de faire face au passif exigible avec l’actif disponible.

Ils constatent souverainement les circonstances susceptibles de constituer la cessation de paiement. Cependant, il appartient à la cour de cassation de vérifier la qualification juridique attribuée par les juges du fonds aux faits qui leurs étaient soumis. Le tribunal ou la cour d’appel doit considérer la situation de l’entreprise au moment où il statue. La cessation des paiements ne doit pas seulement exister au jour de la saisine, il faut qu’elle subsiste au jour du jugement. Ce n’est plus le cas si, entre-temps, le débiteur a obtenu des concours financiers de ses associés ou d’un établissement de crédit ou a obtenu des accords avec ses créanciers ; le tribunal doit alors, après avoir défini les faits nouveaux postérieurs à la saisine et constaté la disparition de la cessation des paiements, dire qu’il n’y a plus lieu au maintien de la procédure.

Il appartient au tribunal de fixer la date de la cessation des paiements faute de quoi elle est réputée intervenue à la date du jugement qui la constate. En toute hypothèse, cette date ne saurait précéder celle de l’immatriculation au RSC.

 

IV – La distinctions entre la cessation des paiements et les notions voisines

Le droit français connaît au moins deux situations voisines de la cessation des paiements génératrices d’effets juridiques différentes de celle-ci.

 

 A / La cessation des paiements et l’insolvabilité.

            La cessation des paiements se distingue de la solvabilité qui ne constitue pas un cas d’ouverture d’une procédure collective sauf à l’égard des personnes physiques qui n’ont ni le statut de commerçant, ni le statut d’artisan ou de professionnel libéral et ont leur domicile dans les départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle.

D’une manière générale, l’insolvabilité survient lorsque l’ensemble des dettes excède le montant de l’actif.

Un débiteur solvable peut cesser ses paiements en particulier lorsque l’actif de son patrimoine, bien que supérieur au passif, est formé d’immobilisation ou d’éléments difficilement réalisables. Faute d’une trésorerie suffisante, il n’est pas en mesure de payer ses dettes à l’échéance.

Inversement, un débiteur insolvable mais dont la situation n’est pas désespérée peut continuer à faire face aux dettes échues grâce aux crédits acquis par des moyens ni frauduleux ni ruineux. Néanmoins, si ces crédits et illégitimes, sa révocation risque d’entraîner la cessation des paiements du débiteur.

 

    B / La cessation des paiements et la situation irrémédiablement compromise.

            Ces deux événements ne correspondent pas nécessairement. Pourtant la situation irrémédiablement compromise était autrefois exigée par la jurisprudence qui remarquait que la cessation des paiements s’opposait à la simple suspension de caractère temporaire à laquelle le débiteur pouvait porter remède à condition d’en avoir le temps.

Cette conception présentait plus d’inconvénients que d’avantages ; d’une part, elle retardait l’ouverture de la procédure car le tribunal devait généralement ordonner une enquête pour savoir si la situation était vraiment désespérée ; d’autre part, elle privait la procédure collective d’une partie de son utilité car il était rare que l’intervention judiciaire suffise à sauver une entreprise en situation désespérée.

Toujours est-il que le débiteur dépourvu de liquidités suffisantes peut être en cessation des paiements sans que sa situation soit catastrophique étant donnée la modicité du passif : l’entreprise sera donc redressée.

À l’inverse, la situation irrémédiablement compromise peut-être exclusive de la cessation des paiements lorsque le débiteur détient temporairement un maigre actif mais disponible et suffisant pour régler le passif exigible. Il est vrai que cette solution essentiellement précaire aboutira à très court terme à la cessation des paiements et inévitablement à la liquidation judiciaire.

Ainsi, contrairement aux autres notions, la situation irrémédiablement compromise symbolise la perte de tout espoir de redressement de l’entreprise en difficulté et par conséquent la condamnation de celle-ci à la liquidation judiciaire.

Aussi justifie-t-elle la résiliation sans préavis d’une ouverture de crédit tandis que le banquier qui, en dehors d’un pareil contexte, mettrait fin brutalement à son soutien financier, se rendrait coupable d’un abus de droit entraînant de sa part une réparation du préjudice.

Isa Germain

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