Les collections canoniques

Les collections canoniques.

Les sources du droit de l’Eglise sont diverses, pour la plupart, elles sont de sources régionales. Les textes législatifs sont difficiles à conserver et leur diffusion est aussi délicate, une nécessité s’impose : il faut rédiger les recueils, organiser la collecte des canons des conciles et aussi recenser les décrétales. L’Eglise chrétienne veut donc assurer la conservation des textes normatifs et assurer la publicité des textes normatifs. Dans un premier temps, l’objectif est purement normatif et disciplinaire : l’Eglise veut simplement rechercher l’harmonie et pourquoi pas l’unité de la législation dans l’Eglise. Avec les temps carolingiens, le travail de collection s’établit dans un nouvel esprit : le but est plus politique, afin d’assurer l’indépendance de l’Eglise d’Occident par rapport à l’empereur.

  • A) Les collections canoniques : du bréviaire d’Hippone à la «Dionysiana».

Au IVème et au Vème siècles, des collections sont établies dans un cadre restreint et demeurent des entreprises locales. Cela change avec Gélase qui rénove l’autorité spirituelle et normative du pape, alors les collections canoniques sont plus ambitieuses : elles portent alors un désir particulier, celui de la centralisation de l’évêque de Rome.

1- La primauté romaine et les premières collections canoniques.

Les premières collections canoniques sont conciliaires. Lorsque la papauté s’affirme, il devient temps pour l’Eglise de faire des collections de décrétales.

  • a) Les collections conciliaires.

Nous avons connaissance d’une collection importante aux origines, la collection d’Antioche qui réunit dès le milieu du IVème siècle, les canons des conciles orientaux. Cette collection a par la suite été complétée, et s’est notamment enrichie des canons des conciles œcuméniques. Elle fait autorité jusqu’au VIème siècle en Orient mais connait aussi une diffusion certaine jusqu’en Occident. Le pape Jules Ier est le premier à défendre la primauté de Rome : l’Eglise de Rome veut alors hiérarchiser l’Eglise à partir du pape. Selon le dogme de la primauté, tous les appels des sentences épiscopales doivent être adressés vers Rome. Pour défendre cette vision hiérarchisée, les clercs romains ont besoin de forger leurs arguments : ils élaborent alors une collection canonique, ils se basent sur les conciles de Nicée et ceux de Sardique (343-344). Cette collection est appelée la Vetus Romana, c’est un instrument de guerre autant que de discipline ecclésiastique.

Se dressent face à elles les collections des églises locales plus ou moins destinées à lutter contre le dogme de la primauté. Celle qui manifeste le plus sa résistance est l’Eglise d’Afrique qui est riche, ses évêques sont nombreux et son patriarche installé à Carthage est très influent et prestigieux, tout comme l’évêque de Rome. Les collections africaines vont se caractériser par un farouche désir d’indépendance, en outre elles se caractérisent par un fort et très net esprit juridique. Les collections africaines seront par la suite abondamment reprises et au fil des siècles, ces collections de façon indirecte vont nourrir le Décret de Gratien et le droit canonique médiéval.

La première de ces collections est le Bréviaire d’Hippone du 13 et 28 aout 393. D’autres collections vont suivre, la plus fameuse étant le «Codex apriarii causae» : c’est une collection qui se présente plutôt comme deux dossiers techniques composés en 419. Eclate en effet en 418, l’affaire Apiarus. C’est un clerc africain, excommunié par l’évêque et décide de faire appel de cette décision : il sollicite alors Rome directement. Suite à cette affaire, l’Eglise d’Afrique réagit et réunit deux conciles qui se tiennent à Carthage et condamnent fermement les appels judiciaires adressés à Rome. De son côté, Rome défend sa position et les délégués du pape viennent jusqu’en Afrique avec la Vetus Romana pour se défendre. Le Codex apriarii causae va servir aux Africains pour défendre leur volonté d’indépendance. De ces conflits, l’Eglise a la volonté d’organiser toute une législation ecclésiastique. En Orient, les conflits sont moins nombreux mais des collections canoniques sont tout de même créées, notamment la Statuta ecclesiae antiqua. Cette collection a été rédigée dans la région d’Arles à la fin du Vème siècle. Elle concerne le dogme, la discipline et la liturgie. Son auteur a fait preuve d’innovation, il a réuni des canons conciliaires susceptibles de limiter les pouvoirs de l’évêque. Il veut organiser un double contrôle : le contrôle du synode provincial et le contrôle d’un conseil de prêtres du diocèse. Cette collection dessine déjà les contours de l’organisation de l’épiscopat de l’époque franque. Cette collection assure l’efficacité et la diffusion de la législation conciliaire.

  • b) Les collections de décrétales.

Le premier travail de recension est celui des archivistes de la chancellerie, ils commencent à travailler au milieu du IVème siècle lorsque le pape Jules Ier a structuré les services de la chancellerie. Ces recueils d’archives posent un inconvénient : ils ne sont pas destinés à être diffusés. Par conséquent, ce ne sont pas des recueils de collection. Les premières collections de décrétales apparaissent au Vème siècle, ne paient pas de mine et il en existe deux : les canones urbanici epistolae et les epistolae décrétales. Les deux collections ne contiennent qu’une demi-douzaine de décrétales chacune. Comme les collections conciliaires, celles-ci sont importantes surtout parce qu’elles ont nourri les collections postérieures plus directement utilisées à l’époque franque et par les artisans de la réforme grégorienne.

2- Les collections postérieures à la «renaissance gélasienne».

L’Eglise d’Afrique s’effondre en 439, ce qui met fin à l’invasion vandale. L’Empire romain disparait en 476 et donc les institutions ecclésiastiques subsistantes vont se regroupées autour de la Gaule, de l’Espagne et de l’Italie. Par conséquent, l’Occident rétrécie et les liens avec Bizance se distendent. Un monde clos apparait et l’Eglise est pratiquement la seule institution qui est restée en place et qui peut organiser la vie quotidienne des populations. L’Eglise poursuit son activité législative. Les compilateurs ne manquent donc pas de travail, ils se manifestent fréquemment et sont animés d’une nouvelle ambition : Rome connait une activité canonique intense (canons conciliaires et décrétales des papes) et les compilateurs apparaissent non plus seulement à Rome, mais dans tout le reste de l’Occident : en Gaule et en Espagne.

  • a) Denys le petit.

Les collections romaines de la «Renaissance gélasienne» recherchent un objectif principal : l’universalité. Ainsi, ces collections réunissent des canons d’origines diverses : des textes orientaux, africains et romains. Les compilateurs montrent aussi deux autres soucis : authenticité et romanité. Ils soulignent toujours la primauté pontificale et ils font aussi une large place aux décrétales dans leur collection.

La plus célèbre de ces collections romaines est la Dionysiana, l’œuvre de Denys le Petit qui est un moine scythe, un fin lettré et venu à Rome probablement à la demande de Gélase pour traduire des canons des conciles orientaux, du grec au latin. L’œuvre de Denys est une collection conciliaire et de décrétales. Dans sa partie conciliaire, elle a été élaborée en deux fois : par les canons de conciles œcuméniques et par les canons du concile de Carthage de 419. Signe de l’esprit pratique, cette première version contient un index des rubriques, des canons répertoriés pour faciliter l’utilisation de la collection. Une seconde version est composée pour améliorer la traduction. Une troisième version corrige les deux premières en supprimant les canons non reçus par l’universalité de l’Eglise (ceux qui voulaient «déchirer» l’Eglise). La collection de décrétales est le Liber decretorum. Cette collection propose un choix précis de documents : la collection ne propose que des règles juridiques, elle écarte les questions de dogme ou strictement historiques. Denys ne regroupe que des actes acceptés par tous, et cela dans un soucis d’universalité et d’harmonie. La Dionysiana a un succès immédiat et est utilisée à Rome dès 536 où elle devient l’œuvre de référence. En raison de son universalisme, elle aura les faveurs de la future réforme carolingienne. Cette collection n’est pas la seule collection héritée de la «Renaissance gélasienne».

  • b) La Vetus gallica et l’Hispana.

Le but est de clarifier les textes anciens. La Gaule des VIème et VIIème siècles dispose d’un matériau neuf issu de l’époque franque : des règles nouvelles susceptibles de proposer une évolution des décrétales antérieures. Les collections gauloises portent donc la marque d’enrichissements progressifs. La Vetus gallica a été composée à Lyon, au tout début du VIIème siècle en trois versions successives : la dernière compte plus de 400 canons répartis en 64 titres. C’est la force de cette Vetus qui délaisse la présentation chronologique : les canons sont compilés en titres, avec l’adoption d’un plan systématique par matière. L’idée est de consacrer chaque titre à une question déterminée. Elle précise des règles en matière de sacrement, de liturgie, d’ordre et de juridiction. C’est une collection qui se soucie aussi des moines et des moniales. Elle a été composée dans un seul but : conduire, orienter la réforme de l’Eglise mérovingienne. Cette ambition et la qualité de cette collection lui permet de s’imposer durant tout le Vème siècle dans la Gaule franque. L’Espagne est aussi un foyer d’intense activité canonique, dans laquelle est composée une collection fondamentale, l’Hispana qui cite 67 conciles et 105 décrétales. Son auteur était sans doute l’évêque Isidore de Séville. L’Hispana se soucie principalement de discipline ecclésiastique. L’auteur s’est montré soucieux de finalités pratiques, ce qui fait que l’authenticité/l’exhaustivité n’étaient pas essentielles, il a pris une grande liberté avec les textes recensés. Il n’a pas hésité à transformer le contenu de certains textes, dans le but de répondre à des préoccupations pratiques et immédiates.

L’Hispana a connu un grand succès au VIIème siècle et au-delà. Elle sera utilisée en abondance par les clercs, les réformateurs et les compilateurs de l’Empire carolingien. Il faut retenir que les collections ont rempli un rôle déterminant dans la construction du droit canonique. Elles ont rapproché les textes, les ont rendus utiles et se sont efforcés surtout de les critiquer. Le droit canonique n’est plus seulement théorique, ou destiné à concevoir une discipline strictement ecclésiale. Il devient un droit qui doit apporter des réponses aux populations, et pas seulement aux clercs. C’est donc l’émergence d’un esprit didactique, pratique qui réapparaitra dans le XIIème siècle. Dans la construction de cet esprit particulier, l’époque carolingienne joue aussi un rôle déterminant car c’est à cette époque que les collections canoniques ont poursuivi leur évolution qui s’orientera vers toujours plus d’efficacité et d’utilité juridique. Ce seront celles de l’universalisme, mais aussi l’utilisation de faux et la falsification des décrétales.

  • B) Les collections de l’époque carolingienne.

A l’avènement de Pépin le Bref en 751 commence le règne de la dynastie austrasienne des Pépinides. Le plus illustre de cette dynastie est le fils de Pépin le Bref, qui devient empereur en l’An 800. C’est ce Charles, dit Charlemagne, qui donne son nom à la dynastie pépinides : les carolingiens. Les carolingiens sont une dynastie particulière car ils ont les premiers à être oints du Seigneur.

Par ce sacre, ils sont titulaires d’une mission, et ainsi, ils sont semblables ou presque à des clercs. La théocratie carolingienne s’établie sur le fondement suivant : l’absorption du profane dans le sacré au profit du roi. La royauté carolingienne gouverne donc par la volonté de Dieu et le concourt des clercs. Par conséquent, Charlemagnes, son fils et leurs successeurs entendent diriger les laïcs et les clercs. En ces temps nouveaux, les clercs carolingiens initient une réforme ecclésiastique car il est nécessaire de s’adapter à la théocratie royale qui s’affirme. Pour conduire cette réforme ils suivent des collections canoniques dont la valeur est éprouvée. Ils suivent d’autres collections qui procèdent d’une plus surprenante originalité puisqu’en réalité ce sont des faux.

1- Le ministerium regis et la renovatio imperii.

Pépin est sacré en 751 et de nouveau en 754 avec ses fils. Le sacre est l’institution majeure des temps carolingiens. Il est d’origine biblique mais arrive en Gaule dans la royauté par l’intermédiaires des wisigoths. Les rois wisigoths ont en effet été sacrés en Espagne à la fin du VIIème siècle. A la suite de l’invasion arabe en 711, les wisigoths fuient l’Espagne et se réfugient en Gaule. Une fois en Gaule, ils entrent en contact avec les conseillers ecclésiastiques de Pépin. Ces réfugiés wisigoths confortent les conseillers dans leur désir de fonder le pouvoir du roi carolingien sur l’institution du sacre. L’Espagne du VIIème ne fournit pas que des précédents en matière d’institution royale mais apporte aussi des éléments en matière de doctrine théocratique qui influence au VIIème et plus encore au VIIIème siècle le ministerium regis carolingien.

  • a) Ministerium regis et universalisme chrétien.

Isidore de Séville est un exemple parfait de la culture intellectuelle brillante de l’Espagne du VIIème siècle. Il meurt en 636 et est le dernier des pères de l’Eglise latine. Dans ses écrits, il parle de la fonction religieuse du roi. Selon lui, la paix et la discipline ecclésiastique doivent se consolider par l’action des princes fidèles. Cette doctrine sera celle des grands conseillers ecclésiastiques carolingiens. Le premier d’entre eux s’appelle Alcuin, conseiller ecclésiastique de Charlemagne. Il meurt en 804, c’est un maitre anglo saxon, moine à l’origine, grand artisan de la réforme carolingienne. En 799, il écrit que le roi doit être correcteur de ceux qui errent. Il doit donc accomplir sa mission en corrigeant les erreurs.

Pour Alcuin, cela signifie que Charlemagne a un rôle précis à jouer, il voit en lui un nouveau Constantin, et comme ce dernier, Charlemagne doit s’occuper du dogme et de la discipline de l’Eglise. Ainsi, pendant son règne Charlemagne a présidé deux conciles autour de l’an 794, suite auxquels sont définis deux positions dogmatiques concernant la trinité (ont fixé durablement le crédo). Les deux propositions sont les suivantes : le Père n’a pas adopté le Fils, lequel est pleinement Dieu et le Saint Esprit procède du Père et du Fils. L’intervention dogmatique n’était pas neutre : Charlemagne a convoqué ces conciles pour mettre fin à l’hérésie de l’adoptianisme hispanique. En cela, le roi carolingien mettant fin aux hérésies, devient pacificateur en mettant fin aux discordances. Il réalise la paix, la concorde et l’unanimité. Quelques temps plus tard, un corps de doctrine va préciser la pensée d’Alcuin. Ces ecclésiastiques vont définir le ministerium regis sous le règne de Louis le Pieux. Deux se font remarqués, Jonas d’Orléans et Agobard de Lyon : ils insistent sur la vocation sacrée des carolingiens et soulignent les conditions de sa domination aussi bien sur le pouvoir temporel que spirituel. La doctrine se résume en trois points.

D’abord, la royauté est une institution. Selon Jonas d’Orléans, la royauté est établit par la loi de Dieu (c’est la définition même de l’institution). Aussi, la royauté n’existe comme pouvoir institutionnel que grâce aux canons de l’Eglise. La royauté est donc soumise à des lois. Ensuite, la royauté est une fonction. La fonction royale est de gouverner et régir le peuple de Dieu avec équité et justice pour qu’il puisse connaitre la paix et la concorde. La royauté doit respecter une certaine pratique du pouvoir pour suivre une finalité : le roi carolingien doit rendre compte de son gouvernement. C’est une ébauche de la responsabilité politique des gouvernants, mais ici il s’agit d’une responsabilité vis à vis de Dieu. La finalité recherchée par la royauté est la pax plena (la paix absolue).

En cela, Jonas d’Orléans reprend la pensée d’Isidore de Séville car tous les deux pensent que le sacre implique la responsabilité du roi. Le roi carolingien est responsable et doit prouver qu’il recherche toujours cette pax plena. Ainsi responsable et surveillé par les clercs, le roi doit être vertueux et doit privilégier l’institution, rechercher toujours la règle, honorer les canons de l’Eglise pour tous. C’est pour cela que la doctrine affirme qu’enfin, la royauté est universelle. Pour Agobard, les hommes sont un dans le Christ. D’après le épitres de Saint Paul, Agobard poursuit les efforts du monachisme mérovingien et défend la thèse de la fusion des peuples en un seul. Pour lui, il n’y aura bientôt plus qu’un seul peuple, le peuple chrétien. Le roi carolingien doit toujours travailler en ce sens pour rechercher l’universalisme.

Pour cela, il doit légiférer. Il légifère alors en prenant des capitulaires (norme législative carolingienne). Charlemagne, Louis le Pieux et Charles le Chauve font preuve d’une activité intense pendant leur règne et multiplient les capitulaires. Certains capitulaires sont adressés directement aux évêques, ce sont les capitulaires épiscopaux. Il y a aussi des capitulaires à matière économique, et d’autres plus importants, hétérogènes dans leur contenu : les capitula missorum, adressés au missi dominici. Ces capitulaires sont des instructions, hétérogènes dans leur contenu, mais en dépit de cela, ils sont très précieux. Ils contiennent des instructions détaillées dans plusieurs domaines, sont nombreux et concernent des matières aussi bien laïques qu’ecclésiastiques. Les capitulaires étant importants, les clercs en rédigent rapidement des collections, mais à leur initiative privée, elles n’ont donc pas de valeur officielle. Seulement, elles sont précieuses et se répandent. Elles présentent pour les temps carolingiens et au delà, une source du droit canonique alors même que ce ne sont pas des collections canoniques. La première est la collection d’Anségise, abbé installé dans l’abbaye de Saint Wandrille. Elle a été constituée en 827, on y trouve des capitulaires sources de droit autant que des collections canoniques. La théocratie impose donc une évolution des sources du droit par le ministerium, mais aussi par son désir profond de romanité.

  • b) Renovatio imperii et césaropapisme carolingien.

Le jour de Noël de l’an 800, Charlemagne est couronné empereur, et l’Empire romain est donc restauré à son profit. Les clercs de la chapelle carolingienne se charge de rappeler régulièrement à l’empereur que son gouvernement doit se conformer aux principes de romanité, qui sont l’universalisme et res publica. Concernant l’universalisme, en 817, Louis le Pieux prend un règlement de succession, l’ordinatio imperii. Par cet acte, il veut mettre fin à la règle du partage successoral quand survient la mort de l’empereur. Il désigne son ainé Lothaire comme seul empereur apte à lui succéder après sa mort et expose ainsi une conception du pouvoir particulière qui porte en germe le principe de continuité de l’Etat moderne. La res publica correspond à la recherche d’une norme supérieure s’imposant aux gouvernants. Cette notion d’utilité commune est propre à la philosophie grecque et a été transmise aux carolingiens par l’intermédiaire des pères de l’Eglise. Cette notion de res publica finit par s’imposer inconsciemment dans la législation carolingienne. On la retrouve en 823-825 dans un capitulaire de Louis le Pieux dans lequel il évoque son ministerium en énonçant : «comme le total de cette fonction parait résider en notre personne».

Il apparait donc que le carolingien est responsable de l’unité impériale. Il est garant de l’utilité commune, sa personne physique s’efface et sa responsabilité prime. Dans cette responsabilité, il se soucie aussi bien des laïcs que des clercs. Il devient protecteurs des Eglises, des faibles, et en vient même à couvrir le Pape de sa bienveillance. Cette dernière le conduit même insensiblement mais sans aucun doute à la prise de contrôle. Par conséquent, le carolingien place la papauté sous tutelle (Charlemagne sauve le Pape Léon III en 799, il lui impose un serment public pour que le Pape puisse se purger des accusations de corruption de la noblesse romaine). Depuis, les Papes montrent un besoin impératif de soutien politique, qu’ils cherchent auprès du carolingien. Les papes ont besoin de ce soutien temporel car leur légitimité politique est souvent contestée. Pour se libérer de la noblesse romaine, les pontifes ont recours au carolingien et par conséquent, le carolingien met la main sur le trône apostolique. Preuve est faite par la constitutio romana de 824 prise par Louis le Pieux. Elle impose une réforme de l’élection pontificale, et désormais, deux missi impériaux se rendront à l’élection pour représenter l’empereur et surveiller l’élection pontificale.

Le candidat sera choisit par le clergé et le peuple de Rome, mais le candidat élu devra prêter serment à l’empereur. Après 843, la royauté carolingienne va faiblir et la papauté va se redresser, et profiter pleinement de la tutelle carolingienne. La papauté a profité de la tutelle carolingienne pour faire taire la noblesse romaine. Après 843, la papauté trouve donc l’occasion de se redresser, et les papes se font connaitre comme des grands législateurs. La renovatio imperii permet donc la renaissance de la législation pontificale, notamment sous le pontificat de Nicolas Ier et Jean VIII. Les collections canoniques carolingiennes soulignent par elles mêmes la double nature des interventions césaropapistes au IXème siècle.

2- Les collections et les faux.

Charlemagne est en son temps «recteur du peuple chrétien». Son père, avant lui, s’est mêlé de liturgie et ainsi Pépin s’est efforcé de susciter la ferveur des fidèles, en encourageant notamment l’intégration du champs grégorien dans les rites religieux. Pépin le Bref a aussi exigé pour le royaume franc l’adoption de la liturgie romaine pour la célébration du culte. Charlemagne à son tour essaye de stimuler la ferveur du peuple chrétien, par voie de capitulaire. Un capitulaire adressé aux missi en 802 impose à chaque laïc d’apprendre par coeur le crédo et le Pater. En matière de discipline, il se tourne vers Rome pour organiser la réforme carolingienne en terme de discipline.

  • a) La Dionysio Hadriana.

Charlemagne reprend les initiatives de son père et il entreprend une oeuvre de rénovation religieuse. Il désire relever les autorités des évêques. Il veut préciser la mesure de leurs devoirs pastoraux. Selon lui, les textes canoniques sont inutilisables. Ce qui le gène, c’est la trop grande diversité de ces textes canoniques. Pour obtenir des textes surs, il s’adresse au Pape Hadrien I. Il va se saisir de la dionysiana, la confie aux clercs romains et enrichir la dionysiana des textes nouveaux. Enrichie de textes nouveaux, la collection de Denys le Petit arrive aux mains de Charlemagne en 774, et devient la Dionysio Hadriana. D’autres collections voient le jour, adaptées de la Vetus gallica. Ces collections canoniques servent à la rénovation de l’Eglise. Elles fournissent des textes indispensables pour restructurer l’Eglise carolingienne. La Dionysio Hadriana est précieuse car elle contient des annexes où se trouvent des renseignements sur les provinces ecclésiastiques. Les collections canoniques se multiplient, elles sont officielles et authentiques. D’autres collections voient le jour sans soucis d’authenticité, parfois même pour tenir à distance le pouvoir impérial.

  • b) Recueil pseudo isidorien et la donation de Constantin.

Les clercs carolingiens sont très actifs dans l’activité de compilation, notamment en raison de l’intense effort d’activité intellectuelle suscitée par la réforme carolingienne. Certains recueils ont une philosophie particulière, car leur but est aussi d’épargner l’Eglise. Ils veulent soustraire l’Eglise carolingienne à l’emprise laïque. Pour beaucoup de ces recueils, il s’agit de contenir la théocratie royale, qui a aussi des effets pervers, comme la mise sous tutelle de l’Eglise et de son chef. Il importe donc pour ces recueils de tenir la théocratie royale car elle pourrait conduire à trop d’excès dans son césaropapisme. Des recueils vont ainsi rappeler l’autorité du pontife romain, de limiter la mainmise de l’archevêque sur les provinces ecclésiastiques. En bref, ces recueils vont essayer de clarifier la hiérarchie ecclésiastique et de la découpler de la hiérarchie du gouvernement royal. Les résistances à la théocratie son nombreuses, et elles impliquent tellement d’effort et de zèles, que les compilateurs vont aller jusqu’à fabriquer des textes canoniques. En bref, certains collecteurs de textes sous les carolingiens confectionnent des faux. Au temps carolingien, l’écrit n’a pas la même valeur qu’aujourd’hui. Par exemple, le capitulaire est l’expression du bannum du roi, mais dans ce cas, l’ordre verbal du roi dans la production normative est primordiale. La mise par écrit de l’ordre verbal dans un capitulaire est secondaire car le capitulaire n’a pas valeur de promulgation, ce n’est qu’un simple mode de publication. En matière de faux, il faut avoir cette philosophie de l’écrit carolingien pour comprendre la démarche des faussaires. En matière de faux, l’intention du faussaire prime, tout cela dans le respect des principes. Si l’intention est honorable, peu importe l’authenticité des recueils.

Après 843, les principes sont clairs : il faut empêcher les empiètements laïcs. C’est le but des faux rédigés à l’époque. Le premier est le faux capitulaire de Benoit le Lévite. Il se présente comme la continuation des recueils d’Anségise, composé vers l’an 847 de canons, décrétales et canons de pénitentiels. On trouve aussi des capitulaires épiscopaux, dont certains authentiques, mais dont les trois quarts sont des textes fabriqués. Les juristes carolingiens utilisent aussi un autre recueil de faux qui a connu plus de succès : les fausse décrétales d’Isodorus Mercator. Il est composé entre 847 et 852, il incorpore des canons de conciles interpolés, des décrétales dont la plupart sont fausses. Ces fausses décrétales connaissent un énorme succès, sont abondamment copiées, on a retrouvé pas moins de 100 manuscrits de ces fausses décrétales. Tous ces recueils empruntent volontiers aux collections authentiques des temps carolingiens. En effet, ils empruntent à la Dionysio Hadriana, la Vetus gallica ou à l’Hispana.

Ces faux ne sont pas subversifs, c’est pour cela qu’ils n’ont pas été interdits, car ils se conforment en réalité à l’idéal théocratique tout en essayant de tempérer l’intervention impériale et laïque dans les affaires de l’Eglise. Ces faux fixent des règles de vie strictement laïques, essayent d’imposer une certaine harmonie dans le procès, pour rythmer la marche du procès. Le droit romain fournit en la matière de nombreuses règles et dans ces faux on retrouve de nombreuses règles de droit romain. Ces textes se soucient aussi de la violence sous toutes ses formes, aussi en matière de droit pénal que de droit des obligations. Les faux sont donc précieux, ils assurent la transmission du droit au même titre que les collections canoniques. Leur but est néanmoins beaucoup plus politique. Parmi les faux isodoriens, un recueil illustre les préoccupations des clercs carolingiens les plus soucieux d’indépendance : la donation de Constantin. Il s’agit d’une pseudo donation, produit d’un atelier de faussaires, datée d’environ 774. Cette donation serait venue dans le royaume carolingien en même temps que la Dionysio Hadriana. Les faussaires se sont inspirés d’une légende romaine pour écrire cette donation, formée autour de l’an 500. Selon elle, Constantin aurait souffert de la lèpre, puis guérit miraculeusement. Après pénitence, il aurait reçu sacrement du baptême, ce qui l’aurait nettoyé de sa peau vérolée. Constantin se serait alors montré reconnaissant vis à vis du Sauveur. Pour cela, il aurait consenti des donations au Pape Silvestre et ses successeurs.

Inspirés par cette légende, les faussaires du VIIIème siècle imaginent une donation qu’il présente comme authentique faite selon le droit romain, qui accorde au Pape les insignes impériaux. Cela signifie que Constantin aurait renoncer à son pouvoir temporel sur le monde et l’aurait placé entre les mains du Pape. La pseudo donation est de temps en temps grandie par la papauté, utilisée par les évêques carolingiens pour faire pression sur le roi carolingien. Elle permet ainsi à la papauté de revendiquer un pouvoir temporel sur Rome et sur des terres italiennes. Le texte, malgré sa fausseté, connait sous Charlemagne et Louis le Pieux un succès considérable. C’est un texte fondamental car il situe les enjeux de la connaissance du droit à l’époque franque, plus importants que les considérations particulières. Ces enjeux caractérisent la théocratie royale puis pontificale avec les mêmes conséquences sur les sources et la diffusion du droit en Occident.