Le contrôle (avec ou sans sanction) du Parlement sur le Gouvernement
Le contrôle parlementaire est l’ensemble des moyens permettant au Parlement de se faire une opinion sur l’action gouvernementale. Il existe toute une série de techniques, d’informations et de contrôle qui n’entraine pas le départ du gouvernement. C’est le contrôle sans sanction. En résumé, le contrôle parlementaire se décline en actions avec ou sans sanction. Les outils sans sanction (questions, débats, commissions) visent la transparence sans engager la responsabilité gouvernementale. Le contrôle avec sanction, notamment l’article 49, alinéas 2 et 3, permet aux députés de renverser le gouvernement via des motions de censure. Bien que rare, cette option souligne la balance des pouvoirs et la stabilité de l’exécutif sous la Ve République.
A) Le contrôle sans sanction : les moyens d’information et de contrôle
Dans le cadre d’un régime parlementaire, le contrôle du Parlement sur l’exécutif va au-delà de la sanction directe. Divers moyens d’information permettent aux parlementaires de s’assurer de la transparence et de la responsabilité du gouvernement. Voici les principaux outils :
- Droit constitutionnel et Institutions de la Vème Republique
- L’échec et l’agonie de la Quatrième République
- Les causes de l’échec de la Quatrième République
- L’origine et la naissance de la Cinquième République
- La Constitution de 1958 : ses rédacteurs, son adoption…
- Histoire de la 5ème République
- Les modes de révision de la Constitution (article 11 et 89)
1. Les questions écrites
Les questions écrites permettent aux parlementaires d’interroger les ministres sur des sujets d’intérêt public ou des préoccupations spécifiques de leurs électeurs. Chaque ministère dispose d’un service dédié à ces courriers parlementaires. En principe, les ministres ont un mois pour répondre, mais en pratique, environ 30 % des questions restent sans réponse ou sont traitées avec retard, malgré les efforts pour améliorer la rapidité et l’exhaustivité des réponses.
Exemple : En 2022, des parlementaires ont posé de nombreuses questions écrites au ministère de l’Éducation nationale sur les pénuries de professeurs dans certaines régions, obligeant le ministère à justifier ses mesures pour le recrutement et l’affectation des enseignants.
2. Les questions orales (article 48 de la Constitution)
Les questions orales constituent un temps fort du dialogue entre le Parlement et le gouvernement. On distingue trois types de questions orales :
- Sans débat : Un membre du gouvernement répond brièvement à une question posée par un parlementaire.
- Avec débat : Après la réponse ministérielle, un débat peut être engagé. Cette catégorie tend à se raréfier.
- Questions au gouvernement ou d’actualité : Introduites en 1974 sous Valéry Giscard d’Estaing, et renforcées par la réforme de 1995, ces séances, tenues chaque semaine, permettent une confrontation directe sur des sujets d’actualité. La répartition du temps de parole est proportionnelle à la représentation des groupes parlementaires.
Exemple : Lors des QAG de février 2023, des députés ont interpellé le gouvernement sur la réforme des retraites, notamment concernant l’âge légal de départ, suscitant de vifs échanges entre le ministre du Travail et les parlementaires
3. Information et contrôle sur les interventions militaires à l’étranger (article 35 de la Constitution)
Depuis la révision constitutionnelle de 2008, l’article 35 impose au gouvernement d’informer le Parlement des interventions des forces armées à l’étranger. Si une opération militaire excède six mois, le Parlement doit donner son autorisation pour la prolongation. Cela permet une transparence accrue des décisions militaires et engage le gouvernement dans une démarche de consultation.
Exemple : En novembre 2021, le gouvernement a informé le Parlement des opérations en cours au Sahel dans le cadre de l’opération Barkhane, et la prolongation a été débattue, en raison de l’évolution sécuritaire dans cette région.
4. Suivi parlementaire des activités de l’Union européenne (article 88-4 de la Constitution)
La réforme de 1992 et les ajustements de 2008 ont étendu le champ de contrôle du Parlement sur les affaires européennes. Désormais, tous les projets et propositions d’actes européens doivent être communiqués aux assemblées parlementaires. Le Parlement peut émettre des résolutions et suivre l’évolution des politiques européennes, renforçant ainsi la transparence sur les décisions de l’Union européenne.
Exemple : En 2022, le Parlement a débattu d’une résolution sur la législation européenne visant la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans le secteur industriel. Ce débat a permis aux parlementaires d’exprimer leur position et de recommander des amendements en amont des négociations à Bruxelles
5. Les déclarations du gouvernement (article 50-1 de la Constitution)
Les assemblées peuvent demander au gouvernement de faire des déclarations suivies de débat, bien que sans vote obligatoire. La réforme de 2008 a introduit l’article 50-1, permettant au gouvernement de faire des déclarations thématiques suivies d’un vote si le Parlement le souhaite, offrant un moyen d’exprimer son opinion sur une politique publique sans engager la responsabilité du gouvernement.
6. Les commissions d’enquête
Créées en vertu de l’article 51-2 de la Constitution depuis la révision de 2008, les commissions d’enquête sont constituées pour recueillir des informations sur des questions spécifiques de politique publique ou sur la gestion des services et entreprises publics. Ces commissions, composées de 30 membres représentant les différents groupes parlementaires, ont six mois pour remettre un rapport qui ne donne pas lieu à un débat public. Elles disposent de pouvoirs d’investigation et peuvent procéder à des auditions, mais elles ne peuvent enquêter sur des affaires en cours de jugement.
Exemple : En 2021, une commission d’enquête parlementaire a été mise en place pour examiner la gestion de la crise sanitaire de la COVID-19. Elle a auditionné des ministres, des scientifiques et des acteurs de la santé, avant de publier un rapport critiquant certains aspects de la réponse gouvernementale.
7. Les missions d’information parlementaires
Les missions parlementaires regroupent des parlementaires autour de sujets sensibles et stratégiques (ex : bioéthique, réforme du système éducatif). Les rapports produits sont souvent de grande qualité et peuvent influencer la législation, bien qu’ils n’aient pas de caractère contraignant. Leur flexibilité les rend adaptées pour des enquêtes approfondies sans les formalités des commissions d’enquête.
Exemple : En 2022, une mission d’information a été constituée pour étudier l’impact de la crise énergétique sur les ménages et les entreprises en France. Le rapport publié a contribué à alimenter les débats sur les aides à mettre en place pour atténuer la hausse des prix de l’énergie.
8. Les délégations parlementaires
Les délégations parlementaires sont des organes permanents créés par la loi pour des missions d’information spécifiques et de suivi à long terme dans des secteurs définis (ex : délégation parlementaire pour l’Union européenne, créée en 1979). Contrairement aux commissions d’enquête, elles ne participent pas à la procédure législative mais assurent un suivi de l’évolution des secteurs stratégiques et des politiques publiques.
Exemple : La Délégation parlementaire aux droits des femmes a publié un rapport en 2023 sur les violences conjugales, suite à une année de collecte de données et d’auditions d’associations. Ce rapport a mené à des propositions législatives pour renforcer la protection des victimes.
B) Le contrôle avec sanction : la mise en jeu de la responsabilité gouvernementale
Dans un régime parlementaire le contrôle exercé par le Parlement sur le gouvernement sert à vérifier qu’il y a une adéquation suffisante pour que le Parlement puisse faire confiance au gouvernement pour exécuter les lois qu’il adopte. Un gouvernement qui n’aurait plus la confiance du Parlement doit démissionner en application de l’article 50 de la constitution. Ce qui est en cause est donc bien un contrôle de confiance, qui peut être exercé de deux manières.
1. La mise en jeu de la responsabilité à l’initiative du gouvernement (article 49 al.1 et al.3)
L’article 49 distingue deux procédures d’engagement de responsabilité par le Premier ministre.
Alinéa 1 : l’engagement de responsabilité sur le programme du gouvernement ou une déclaration de politique générale
Le Premier ministre peut solliciter un vote de confiance de l’Assemblée nationale sur le programme du gouvernement ou une déclaration de politique générale. Ce vote permet de consolider le soutien parlementaire dès le début de la législature ou en cours de mandat.
- Déclaration de politique générale sans vote : En cas de majorité fragile, un gouvernement peut se limiter à une déclaration sans soumettre le vote, comme cela a pu être observé lors de périodes de cohabitation.
- Majorité simple : Le texte ne nécessite qu’une majorité simple des suffrages exprimés pour que le gouvernement conserve la confiance de l’Assemblée. Cette règle en fait un outil stratégique pour obtenir une validation rapide.
Cette pratique reste un atout important pour l’exécutif, bien que rarement utilisée en dehors des débuts de mandats.
Alinéa 3 : l’engagement de responsabilité sur un texte de loi (procédure dite « 49.3 »)
L’alinéa 3 de l’article 49 est un outil de contrôle du Parlement et un levier stratégique pour le gouvernement. En engageant sa responsabilité sur un texte de loi, le gouvernement lie l’adoption du texte à sa survie, imposant ainsi aux parlementaires de trancher entre le soutien au gouvernement et le rejet du projet.
- Utilisation stratégique : Cette procédure a notamment été employée en 2015 pour faire adopter la loi Macron sous le gouvernement Valls, face aux résistances au sein même de la majorité. Le gouvernement d’Elisabeth Borne l’a aussi utilisé de nombreuses fois.
- Dispositif réglementé : Le Premier ministre n’est jamais contraint d’utiliser cette procédure, mais lorsqu’il le fait, la question de confiance est automatiquement posée. En cas d’absence de motion de censure, le texte est considéré comme adopté.
Encadrement renforcé depuis 2008
La réforme constitutionnelle de 2008 a limité l’usage de l’alinéa 3 en réservant son emploi aux lois de finances et aux lois de financement de la Sécurité sociale. Pour les autres textes, le recours au 49.3 est limité à une fois par session parlementaire. Cette réforme visait à renforcer le rôle du Parlement en restreignant cet outil de « parlementarisme rationalisé ».
- Historique d’utilisation : Depuis 1958, le 49.3 a été utilisé plus de 80 fois. Par exemple, Michel Rocard l’a utilisé à 28 reprises entre 1988 et 1991, faute de majorité absolue, pour faire adopter des réformes majeures telles que la création du Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) ou la transformation de la Régie Renault en société anonyme. Puis sous la présidence d’Emmanuel Macron, cet outil a été souvent utilisé.
- Conséquence démocratique : L’utilisation de cette procédure suscite des critiques. Certains députés estiment que le 49.3 devrait être réservé à des situations exceptionnelles, comme à la fin de la procédure législative, afin de préserver le débat parlementaire.
Déroulement en cas de recours au 49.3
- Engagement de responsabilité : Le Premier ministre engage le sort du gouvernement sur un texte.
- Délai pour une motion de censure : Les députés disposent de 24 heures pour déposer une motion de censure (signée par au moins un dixième d’entre eux).
- Vote de la motion de censure : Si une motion est déposée, elle est soumise au vote dans les 48 heures. Une majorité absolue des députés est requise pour renverser le gouvernement.
Depuis 1958, aucune motion de censure n’a été adoptée à la suite de l’engagement de responsabilité du gouvernement sur un texte. Cette situation s’explique par la stabilité des majorités parlementaires et la crainte de la dissolution de l’Assemblée nationale.
Critiques et utilisation
L’article 49.3 est souvent critiqué pour son caractère antidémocratique, car il permet au gouvernement de faire adopter un texte sans vote parlementaire. Certains parlementaires estiment que son utilisation devrait être limitée aux situations exceptionnelles.
Malgré les controverses, l’article 49.3 a été utilisé à de nombreuses reprises depuis 1958. Le gouvernement de Michel Rocard, Premier ministre de 1988 à 1991, l’a utilisé 28 fois, notamment pour créer le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) et transformer la Régie Renault en société anonyme.
Depuis la réforme de 2008, l’utilisation de l’article 49.3 est devenue plus exceptionnelle. Toutefois, en 2023, le gouvernement d’Élisabeth Borne a eu recours à cette procédure pour faire adopter la réforme des retraites, suscitant de vives réactions au sein de l’Assemblée nationale et dans l’opinion publique. L’Express
2. La mise en jeu de la responsabilité à l’initiative des députés (article 49 al.2 de la Constitution)
La motion de censure à l’initiative des députés, appelée motion de censure spontanée, est un instrument classique des régimes parlementaires pour contester la confiance accordée au gouvernement. Contrairement à l’engagement de responsabilité initié par le gouvernement (article 49.3), cette motion peut être déposée à la discrétion des parlementaires, sans que le gouvernement y soit associé.
Caractéristiques et procédures de la motion de censure spontanée (article 49, alinéa 2)
- Initiative parlementaire : La motion de censure spontanée permet aux députés d’engager la responsabilité du gouvernement, à leur seule initiative, sans intervention préalable de l’exécutif.
- Procédure stricte : La procédure de dépôt est similaire à celle de l’article 49.3, avec des particularités. Elle requiert notamment la signature d’au moins un dixième des députés pour être déposée.
- Limitation : Si la motion est rejetée, ses signataires ne peuvent en proposer une nouvelle durant la même session parlementaire, ce qui freine l’abus de cette procédure.
- Extension : Contrairement à la motion de censure liée à l’article 49.3, la censure spontanée ne nécessite pas de lien avec un texte de loi particulier. Les députés peuvent l’utiliser pour manifester leur désaccord global avec le gouvernement ou provoquer un débat politique majeur devant l’opinion publique.
Dans la pratique, bien que cette motion de censure vise théoriquement à renverser le gouvernement, elle est souvent utilisée pour initier un débat politique et exprimer une opposition au sein de l’Assemblée nationale, particulièrement lorsqu’une contestation significative se développe dans l’opinion publique.
Enjeux constitutionnels et rôle des contre-pouvoirs
Sous la Ve République, le contrôle parlementaire est encadré par des règles strictes, en partie constitutionnelles, qui visent à renforcer la stabilité de l’exécutif tout en préservant le débat démocratique. Le contrôle du gouvernement par le Parlement, bien qu’encadré, soulève la question de la place des contre-pouvoirs dans la Constitution de 1958.
- Rôle du juge constitutionnel : En France, le Conseil constitutionnel joue un rôle central de contrôle en matière de constitutionnalité des lois, mais son influence en tant que contre-pouvoir reste limitée au respect des normes constitutionnelles sans interférer dans les décisions politiques. Il constitue un garde-fou juridique, mais pas un contre-pouvoir politique au sens traditionnel.
- Équilibre des pouvoirs : La configuration des institutions françaises limite la capacité de contrôle direct du Parlement sur l’exécutif, notamment par la prédominance présidentielle et l’usage du 49.3. Cela explique pourquoi certains parlementaires considèrent que des ajustements sont nécessaires pour renforcer les contre-pouvoirs en France, en particulier pour revaloriser le rôle du Parlement.
Une seule réussite malgré de nombreuses tentatives
depuis la création de la Ve République, une seule motion de censure a été adoptée avec succès, entraînant la chute du gouvernement.
- 5 octobre 1962 : Une motion de censure, déposée contre le gouvernement de Georges Pompidou, a été adoptée par l’Assemblée nationale. Ce vote était une réaction directe à la décision du général de Gaulle de modifier la Constitution pour instaurer l’élection du président de la République au suffrage universel direct, via un référendum et non par la procédure parlementaire normale de révision constitutionnelle (article 89). L’initiative avait été perçue par de nombreux parlementaires comme une atteinte aux pouvoirs du Parlement.
En réponse, de Gaulle a dissous l’Assemblée nationale, déclenchant de nouvelles élections législatives. Les élections ont renforcé le soutien parlementaire en faveur de de Gaulle et de Pompidou, et ils ont ainsi pu reprendre le contrôle.
La dernière tentative date du 4 octobre 2024, une motion de censure sous le gouvernement de Michel Barnier a été déposée par Boris Vallaud, Mathilde Panot, Cyrielle Chatelain, André Chassaigne et 188 autres députés. Le 8 octobre 2024, elle a obtenu 197 voix, en deçà des 289 nécessaires pour renverser le gouvernement. Assemblée nationale
En conclusion, l’article 49, alinéa 2, de la Constitution offre aux députés un levier de contrôle indépendant, qui leur permet d’exprimer une dissidence formelle envers le gouvernement. Cependant, les limitations imposées à cette procédure traduisent un choix des constituants de privilégier la stabilité de l’exécutif et d’encadrer la confrontation entre les pouvoirs exécutif et législatif.