Commentaire de l’arrêt Bertrand 19 fév. 1997 (responsabilité des parents)

Arrêt de la cour de cassation Civ 2,19 février 1997 (arrêt Bertrand)

Descriptif:
Par un important revirement de jurisprudence, la Cour de cassation, dans un arrêt de la 2e chambre civile du 19 février 1997 (Bertrand), énonce que les parents sont responsablrs de plein droit pour les dommages causés par leurs enfants.

Commentaire d’arrêt: Civ 2e, 19 février 1997 Par un important revirement de jurisprudence, la Cour de cassation, dans un arrêt de la 2e chambre civile du 19 février 1997 (Bertrand), énonce que les parents sont responsables de plein droit pour les dommages causés par leurs enfants.

Les faits à l‘origine du litige sont assez banals. Un enfant sur sa bicyclette traverse une nationale sur laquelle circule un motocycliste. Collision. L‘enfant est indemnisé dans le cadre de la loi du 5 juillet 1985, mais le motocycliste demande la réparation de son préjudice au père de l‘enfant sur le fondement de l‘article 1384 al. 4 C. civ.

Cette demande est acceuillie par la Cour d‘appel (Bordeaux, 4 octobre 1984) qui retient que la preuve ni d‘une faute de la victime, ni d‘un cas de force majeure, seuls moyens d‘exonération, n‘était rapportée.

Cette position étant opposée à celle maintenue par la Cour de cassation, le père se pourvoit en cassation en invoquant la violation de l‘article 1384 al. 4.

La Cour de cassation doit donc déterminer si les parents d‘un enfant mineur auteur d‘un dommage peuvent s‘exonérer de leur responsabilité non seulement en prouvant un cas de force majeure ou une faute de la victime, mais aussi en prouvant l‘absence d‘une faute de leur part; autrement dit si la responsabilité encourue par les parents est une responsabilité de plein droit.

La Cour rejette le pourvoi. Elle considère en effet qu‘ayant exactement énoncé que seule la force majeure ou la faute de la victime pouvait exonérer le père de la responsabilité de plein droit encourue du fait des dommages causés par son fils habitant avec lui, la cour d’appel n’avait pas à rechercher l‘existence d‘un défaut de surveillance du père.

Par cet arrêt la Cour de cassation donne donc un nouveau fondement à la responsabilité des père et mère pour le fait de leur enfant (I), mais il convient tout de même de porter une appréciation nuancée sur les conséquences de ce revirement qui, elles, restent ambivalentes (II).

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I: Un nouveau fondement de la responsabilité des père et mère pour le fait de leur enfant

La jurisprudence antérieure était problématique et d‘ailleurs critiquée en doctrine (A), ce qui conduit la Cour de cassation à écarter la responsabilité pour faute (B).

a) Une jurisprudence antérieure problématique

Depuis une quarantaine d‘années (p. ex. Civ. 2e, 12 octobre 1955) la Cour de cassation avait fondé la responsabilité des parents pour le fait de leur enfant sur une présomption simple de faute de leur part, faute dans la surveillance ou dans l‘éducation. Or, cette position était problématique à plusieurs égards.

D‘abord à l‘égard des textes. Le fondement était en effet purement prétorien, l‘article 1384 al. 4 et 7 ne faisant nullement allusion à une quelconque faute, présumée ou non. Tout au contraire, l‘alinéa 7 de l‘article 1384 nous dit que pour s‘exonérer les parents doivent prouver qu‘ils n‘ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. Ceci évoque bien la force majeure ou une faute de la victime ayant le caractère de celle-ci, mais non l‘absence d‘une faute.

D‘ailleurs l‘article 482 énonce que les parents d‘un mineur émancipé ne sont plus responsables de plein droit des dommages qu‘il cause. Il y aurait donc a contrario bien une responsabilité de plein droit pour les parents tant que leur enfant n‘est pas émancipé, c‘est à dire dans presque tous les cas.

Mais la jurisprudence fondant la responsabilité des parents sur une faute présumée était tout aussi problématique quant à sa mise en œuvre. S‘il reste assez aisé de porter un jugement sur la surveillance et ses éventuels défauts, il est très difficile d‘apprécier l‘éducation d‘un enfant faute de critères suffisamment exacts caractérisant une bonne éducation. La conséquence de ceci étaient des solutions d‘espèce extrêmement aléatoires ou l‘admission ou non d‘une absence de faute relevait bien plus des circonstances factuelles que du droit.

Ceci étant vivement critiqué en doctrine (notamment par les professeurs Ollier, Tunc et Starck) et surtout par l‘avocat général Kessous dans ses conclusions, la Cour de cassation était conduit à écarter la responsabilité pour faute.

b) La responsabilité pour faute écartée

En énonçant que seule la preuve de la force majeure ou d‘une faute de la victime peut exonérer les parents de leur responsabilité la Cour écarte effectivement la faute présumée comme fondement de cette responsabilité, la preuve de l‘absence de faute n‘étant plus admise.

La responsabilité des parents est donc une responsabilité objective, de plein droit. Elle trouve désormais son fondement dans le risque. Tout comme la responsabilité objective pour le fait d‘une chose encourue par le gardien, ou encore celle encourue par le commettant pour le fait de son préposé, la responsabilité des parents relève de la théorie du risque.

Il faut cependant distinguer selon la nature du risque. S‘agissant du gardien, il profite de la chose qu‘il a sous sa garde. Sa responsabilité est donc la contrepartie du risque-profit. Pour les parents il en est évidemment autrement. Il s‘agit ici d‘un risque-pouvoir lié à l‘autorité parentale: du fait de cette autorité les parents ont incontestablement un pouvoir sur leurs enfants et leur responsabilité objective est la contrepartie de ce pouvoir. Quant aux commettants, le risque, fondement de leur responsabilité, est à la fois un risque-profit, car ils profitent bien de leurs préposés, et un risque-pouvoir, car ils ont bien une autorité sur eux.

Mis à part la responsabilité des instituteurs, cas particulier, toutes les responsabilités de l‘article 1384, aussi bien celle pour le fait des choses que celles du fait d‘autrui se trouvent par le présent arrêt unifiées en ce qui concerne leur fondement et en conséquence leur régime, celle des artisans dépendant à cet égard de celle des parents.

Mais cette décision constitue aussi la conséquence logique de l‘arrêt Blieck (AP 29 mars 1991) et ses suites qui avaient fondé une responsabilité de plein droit pour le fait d‘autrui sur l‘article 1384 al. 1 en cas d‘organisation et contrôle permanents de la vie d‘autrui. Comment aurait-on pu admettre ceci tout en continuant d‘autoriser les parents – qui par nature organisent et contrôlent, au moins en principe, en permanence la vie de leurs enfants – à s‘exonérer en prouvant l‘absence d‘une faute?

Enfin, cette décision conduit à un assouplissement de la condition de cohabitation qui était la circonstance permettent de surveiller et d‘éduquer des enfants. La faute dans ces domaines étant écartée comme fondement, cette condition est devenue en quelque sorte anachronique. Mais comme elle se trouve dans le texte même la Cour de cassation ne peut pas la supprimer d‘un trait de plume. En revanche, en la comprenant de manière de plus en plus large, elle arrive à effectivement l‘écarter comme le montre l‘arrêt SAMDA, rendu le même jour.

Si ce revirement était donc nécessaire et logique, il a néanmoins des conséquences ambivalentes.

II: Un revirement à conséquences ambivalentes

Cette décision améliore certainement la situation des victimes et celle des enfants (A), mais l‘aggravation de la responsabilité des parents est susceptible de poser un certain nombre de problèmes (B).

a) La situation des victimes et des enfants améliorée

Pour les victimes de dommages causés par des mineurs le présent arrêt constitue une sécurité juridique accrue. En effet, elles sont désormais sûres que leur préjudice va être réparé. Cette réparation ne dépend plus des aléas factuels de sorte qu‘elles risquent de se retrouver sans qu‘un responsable solvable pour leur dommage puisse être désigné. Comme le fait très justement remarquer l‘avocat général dans ses conclusions, la victime non fautive d‘un enfant verrait une profonde injustice dans le fait de ne pas être indemnisée parce que l‘enfant a été bien éduqué et surveillé.

Mais l‘amélioration de la situation des enfants semble être encore plus importante. La jurisprudence avait depuis un certain temps déjà de plus en plus facilité l‘admission de la responsabilité des enfants eux-mêmes, notamment par les arrêts rendus par l‘Assemblée plénière le 9 mai 1984.

Dans les arrêts Derguini et Lemaire, la Cour avait effectivement supprimé la condition d‘imputabilité pour retenir une faute de la part de l‘enfant. Même privé de discernement quant aux conséquences de ses actes, un enfant peut commettre une faute et de ce fait être responsable. Malgré les assouplissements ultérieures (Civ. 1ère 7 mars 1989) cette jurisprudence avait des conséquences potentiellement désastreuses pour la vie entière d‘un enfant qui, à peine sorti du berceau, cause un dommage.

L‘arrêt Gabillet est allé encore plus loin en retenant qu‘un enfant, même privé de discernement, puisse être gardien d‘une chose et donc responsable d‘un dommage causé par celle-ci.

Enfin, l‘arrêt Fullenwarth supprime complètement la condition de la faute de l‘enfant: un simple fait causal suffit. Cependant, il est vrai que cet arrêt retient une présomption de responsabilité pesant sur les parents et peut à ce titre être considéré comme précurseur du présent arrêt.

En tout état de cause, il fallait attendre l‘arrêt Bertrand ici commenté pour que les choses soient claires: les infantes peuvent, certes, commettre des fautes et être gardien ou bien causer un dommage par un simple fait même non-fautif; mais ce sont en tout cas les parents qui doivent, sauf force majeure ou faute de la victime, répondre du dommage

Si de ce point de vue l‘arrêt ne peut être qu‘approuvé, l‘on doit tout de même se demander s‘il pourrait poser des problèmes pour les parents.

b) Les problèmes de l‘aggravation de la responsabilité des parents

Malgré ses apports incontestablement bénéfiques la présenté décision laisse néanmoins un arrière-goût mitigé. On peut se demander si le fait de voir des enfants en tant que risque contre lequel il faudra s‘assurer tout comme une chose banale comme une voiture est souhaitable, bien qu‘il semble être nécessaire.

Mais à part cette objection d‘ordre plutôt moral, il y a bien des éléments plus concrets qui doivent être pris en considération. Ce nouveau régime de la responsabilité des parents pourrait bien et devrait entraîner une assurance obligatoire. Bien que de par son caractère obligatoire le régime de cette assurance soit réglementé, il y aura toujours des parents qui passeront à travers les mailles de ce filet. Des parents qui même pour subvenir aux besoins les plus élémentaires de leurs enfants dépendent de l‘aide sociale comment pourraient-ils s‘acquitter des primes d‘assurance? Si ces primes étaient elles aussi prises en charge par les organismes sociaux, il y aurait encore une fois une collectivisation des risques. Mais cette collectivisation ne serait-elle pas, au nom d‘une politique familiale cohérente, souhaitable?

Enfin, ce nouveau régime, même assortie d‘une assurance obligatoire, ne pourra pas garantir une indemnisation à chaque fois. Tout comme il y a des voitures qui circulent sans assurance, il y aura des enfants dont les parents ne seront pas assurés. Bien qu‘encourant certainement une responsabilité pénale, ces parents ne seront pas suffisamment solvables pour une indemnisation. Là encore on va vers une collectivisation à travers un fonds d‘indemnisation.

En tout état de cause ceux qui ont des enfants et ceux qui veulent en avoir savent que cela coûte cher. Si la charge supplémentaire de cette nouvelle responsabilité de plein droit peut décourager certains, ceux qui veulent vraiment des enfants l‘accepteront sans problème, surtout si les organismes sociaux jouent leur rôle si besoin est pour que l‘indemnisation des victimes l‘emporte. Il n‘y a donc nul besoin, comme certains ont pu le faire, de plaindre la famille.

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