le régime légal : communauté réduite aux acquêts
- Le régime légal est un régime matrimonial qui s’applique aux époux qui n’ont pas conclu de contrat de mariage. Ce régime est celui de la communauté réduite aux acquêts : comme dit précedemment, ce régime s’impose par défaut si les époux n’ont pas conclu de contrat de mariage. Chaque époux conserve la propriété de ses biens acquis avant le mariage. Dans le même temps, les biens acquis durant le mariage par les deux époux, tout comme leurs revenus personnels, sont mis en commun.
Une fois mariés, chacun des époux dispose et gère ses propres biens. Tandis que la gestion des biens communs est assurée par l’un ou l’autre des époux. Les époux sont solidaires des dettes communes et personnelles contractées durant le mariage.
- Si un contrat est rédigé, il peut s’agir de contrats de séparation des biens, mais il existe également d’autres régimes, comme par exemple le régime de la communauté universelle (tous les biens sont alors communs).
On sait que, depuis 1965, que le régimé légal c’est une communauté réduite aux acquêts qui a été restructurée afin de mettre en œuvre le principe d’égalité entre les époux, tout en ménageant à ceux-ci une certaine indépendance.
On verra comment cette structure est concrètement mise en œuvre, appliquée.
D’un mot rappelons que le terme même de communauté dans la langue juridique a un double sens qui ressort généralement du contexte :
– ou bien le terme désigne une masse de biens, les biens communs
– ou alors on désigne le régime lui-même, la communauté c’est régime de communauté.
Mais avant d’entrer dans l’analyse même du régime, il n’est pas inutile dans un chapitre préliminaire de s’interroger sur la nature des biens communs.
la nature juridique de la communauté
C’est un problème général qui se poserait dans les mêmes termes pour une communauté conventionnelle.
La question est de savoir si la communauté en tant que masse de biens en tant que masse active et passive de biens, peut être ramenée à une institution déterminée parmi les catégories juridiques du droit privé, notamment du droit des obligations, du droit de biens.
Est ce que la communauté n’est que l’application d’une notion juridique plus générale ?
C’est une recherche, indiquons le de suite, assez difficile pour une raison largement historique, c’est que la communauté est une institution d’origine coutumière dans l’ancien droit français, qui s’est construite assez empiriquement sous l’influence de considérations pratiques, alors que les catégories juridiques fondamentales du droit français viennent du droit romain, notamment les notions de propriété, usufruit. Et la communauté n’est pas toujours facile à ramener à ce droit commun.
Ensuite, l’intérêt pratique de la recherche est relativement limité parce que la communauté est quand même une institution très réglementée.
Et logiquement, on ne devrait se référer à la nature juridique de la communauté que pour trancher quelques points qui ne sont pas réglés par les textes eux mêmes, en se référant à la nature juridique de la communauté. Mais l’expérience démontre que la jurisprudence adopte plutôt la démarche inverse.
Quand se pose un problème nouveau elle le règle, et c’est à l’occasion d’une solution nouvelle qu’on s’interroge sur la nature juridique de la communauté.
Mais c’est tout de même intéressant intellectuellement et pour la cohérence du droit, de tenter de voir si la communauté est l’application d’une catégorie juridique de base du droit privé français. C’est une question ancienne, encore débattue car il n’y pas de réponse certaine.
On ne parle pas de toutes les théories émises sur la communauté, on ne retient que les 2 explications principales en essayant de démontrer la part de vérité qu’elles contiennent.
La 1e théorie consiste à dire que la communauté est une indivision. Cela se rattache à cette notion plus générale de l’individu, cf. droit des biens.
La 2e théorie consiste à voir dans la communauté une personne morale, une sorte de société civile, et de rechercher des explications plutôt dans le droit des sociétés.
1e théorie, la communauté serait une indivision :
Les biens communs seraient tout simplement des biens indivis entre les époux : l’explication, l’idée est ancienne et on l’a longtemps écartée en disant qu’il y a des différences importantes entre l’indivision et la communauté :
– l’indivision de droit commun est essentiellement temporaire. Nul n’est tenu, article 815, de rester dans l’indivision, alors qu’on se marie pour la vie, même si aujourd’hui on raccourcit les périodes. La précarité du mariage est moindre que celle de l’indivision traditionnelle.
– l’indivision de droit commun est un état non réglementé, que le Code civil ne réglementait pas parce qu’il pensait que c’était un état temporaire et les pouvoirs des indivisaires n’étaient pas déterminés. La jurisprudence avait dégagé quelques règles alors que la communauté était plus réglementée.
Pour ces raisons, on rejetait la théorie de l’indivision.
Mais les choses ont changé depuis une loi du 3 décembre 1976, qui est une loi relative à l’organisation de l’indivision, et qui a introduit dans le Code civil, notamment aux articles 815 et suivants, des dispositions sur l’indivision en général, et sur ce qu’on peut appeler l’indivision de droit commun.
On peut se demander si cette indivision aujourd’hui réglementée n’est pas proche de la communauté. Il est vrai qu’il y a des similitudes entre les deux. D’ailleurs dans l’indivision, on retrouve :
– un régime légal qui s’applique d’emblée dans les articles 815 et suivants
– et un régime conventionnel sur les indivisaires qui font une convention pour l’exercice de leurs droits indivis, aux articles 1873 et suivants.
Encore que, cf. M.Catalla, il y a quand même des différences.
On voit que l’indivision fait des emprunts au droit des régimes matrimoniaux.
On peut établir des correspondances avec des textes du régime primaire :
– par exemple l’article 815-5 qui permet de vaincre le refus d’un indivisaire d’accomplir un acte utile, conforme à l’intérêt commun. Il y a une parenté évidente avec l’article 217.
– et l’article 851-6 ressemble à 220-1.
– dans certains cas, les pouvoirs du gérant de l’indivision font référence à ceux de l’époux.
Il y a donc une similitude entre l’individu et la communauté.
Mais en dépit de ces rapprochements, des différences sensibles subsistent entre les deux :
– Tout d’abord, l’indivision reste précaire, même s’il y a d’avantages d’exceptions qu’autrefois, le principe demeure que nul n’est tenu de rester dans l’indivision.
– Ensuite, pour la gestion des biens indivis, le principe demeure que tous les actes juridiques même les actes d’administration doivent en principe être faits du consentement unanime des indivisaires. Pour la gestion d’une indivision, le principe, même s’il y a des dérogations, est celui de l’unanimité des indivisaires. Alors que dans la communauté, le principe est celui de la gestion concurrente, malgré les exceptions.
Enfin, des règles originales distinguent la communauté de l’indivision : on en cite deux :
– l’indivisaire qui gère les biens indivis et y passe un temps non négligeable, peut prétendre à une rémunération pour son activité de gestion = Article 815-12, alors que la gestion de la communauté par un époux n’ouvre pas droit à rémunération.
– un indivisaire a droit de céder sa part indivise à une autre personne, même à un tiers, à certaines conditions. On n’imagine pas qu’un époux cède pendant le mariage sa part dans la communauté.
Et comme on le verra, il n’y a pas identité entre l’indivision et la communauté : quand la communauté est dissoute, tant qu’il n’y a pas partage, les biens communs deviennent des biens indivis et forment indivision post communautaire et s’il y a un changement, c’est bien que la communauté en tant que telle n’était pas une indivision.
Donc s’il y a des airs de famille entre indivision et communauté, ils ne sont pas jumeaux. Les deux institutions sont aujourd’hui organisées, mais avec des différences et la spécificité de la communauté demeure car si on veut y voir une indivision, elle présente cette originalité d’être une indivision entre personnes mariées entre deux époux. C’est une indivision spéciale entre époux qui se différencie de façon tout de même notable sur pas mal de points du régime de droit commun de l’indivision.
Voilà quelques remarques sur la 1e explication, théorie, la communauté serait une indivision. Ce n’est pas une indivision de droit commun, c’est une indivision spéciale mais alors on ne peut plus se référer au droit commun.
2e théorie, c’est la communauté, personne morale :
La communauté est alors assimilée à une société civile qui serait doté de la personnalité morale : il y aurait des biens appartenant privativement à chaque associé, ce seraient les biens propres et des biens qui appartiendraient à la personne morale, qui serait la communauté.
La personne morale aurait un patrimoine distinct des personnes physiques qui la composent, ce serait le patrimoine commun, la communauté proprement dite.
Cette idée ancienne trouve des racines chez Pothier qui voyait dans la communauté une espèce particulière de société.
Au 19e s, Aubry et Rault y ont vu une société universelle de biens.
Et au 20e s, une défense de cette idée a été faite pas Carbonnier dans sa thèse sur la nature juridique du régime matrimonial, thèse de 1932. Il a été le rédacteur de la loi de 65 dont beaucoup de choses demeurent.
Dans la doctrine contemporaine, des auteurs défendent encore cette idée, tels Cornu.
Ces auteurs disent que la communauté est une personne civile, mais à personnalité morale atténuée.
En faveur de cette théorie, on peut invoquer des arguments de texte : de nombreux textes depuis 64 personnifient la communauté. On dit tel bien appartient à la communauté, la communauté a droit à récompense, telle dette pèse sur la communauté.
Et au moment de la liquidation, tout fonctionne comme s’il y avait 3 patrimoines : 2 propres et un 1 commun, et pas seulement le patrimoine des époux.
Mais cette théorie en dépit de la qualité de ses défenseurs a toujours rencontré de fortes objections qui font qu’elle n’est pas consacrée en droit positif.
D’abord, on a dit que les intérêts du ménage (l’idée était que sous le ménage, il y avait une personne sous-jacente) étaient trop liés à la qualité de ses membres pour pouvoir distinguer la personne sous jacente.
On a surtout fait valoir que le concept précis et technique de société ne convient pas toujours.
Il y a difficulté pour la recherche de bénéfice au sens de 1832.
Peut on dire que cette société particulière entre époux, la communauté a pour objectif de faire des bénéfices, même si on aboutit à un partage de richesses ?
Ensuite, on a fait valoir que les 3 patrimoines se distinguent bien entre les époux, notamment au moment du partage pour éviter des enrichissements indus. C’est la théorie des récompenses. Mais à l’égard des tiers le patrimoine commun ne se distingue pas suffisamment du patrimoine des époux.
En matière de passif, il n’existe pas de dette purement commune. Toute dette est d’abord contractée par un époux, elle est la dette personnelle de cet époux. Il n’y a pas de dette pesant uniquement sur la communauté, comme personne morale.
S’il s’agissait d’une personne morale, les créanciers communs seraient d’abord les créanciers de la société. Ils ne seraient créanciers des associés que par voie de conséquence et il semblerait que sur le patrimoine commun, les créanciers sociaux pourraient avoir la préférence. Ce n’est pas le cas.
Donc la notion de société en tant que concept précis, technique a toujours fait l’objet de critiques vives
Si on dit que c’est une personne morale atténuée, on échappe en partie à ces objections, mais la référence à la société devient moins pertinente.
La Cour de cassation s’est prononcée à quelques reprises sur cette controverse théorique.
Au 19e s, elle a formellement condamné l’idée de personnalité morale, arrêt de principe du 18 avril 1860, grands arrêts de la jurisprudence civile n°86.
Cet arrêt Barson a dit que la communauté n’avait pas la personnalité morale, à propos d’un conflit entre créanciers de la communauté et créanciers personnels des époux.
Il est vrai que depuis elle n’a pas pris de positions de principe claire. Et certains disent qu’elle pourrait opérer un revirement de jurisprudence.
D’abord, les motifs de l’arrêt Barson sont périmés en eux même, la Cour de cassation se référait au pouvoir prépondérant du mari pour exclure la qualification de personne morale. Et aussi, aujourd’hui on admet plus facilement la personne morale qu’au 19e s, par ailleurs, les textes qui personnifient la communauté sont aujourd’hui plus nombreux qu’autrefois.
Mais si ces arguments ont un certain poids, il n’empêche que la majorité de la doctrine demeure hostile à l’idée de personnalité morale, en faisant valoir entre autres que le pas décisif n’a pas été franchi : il n’y a pas de dette uniquement et principalement commune. Toute dette est d’abord celle d’un époux.
De sorte que des objections fortes demeurent et si la Cour de cassation devait à nouveau se prononcer, il n’est pas certain qu’elle abandonne, peut-être en indiquant d’autres motifs, la solution donnée par l’arrêt Barson.
Chacun est libre de son opinion sur la question mais les arguments réfutant l’idée de personnalité morale restent fort. Et c’est l’opinion qui est majoritaire.
En conclusion de ces développements, on dira 2 choses : la communauté semble bien présenter une spécificité irréductible avec l’indivision. C’est une figure collective de propriété qui est intermédiaire, qui se situe à un point intermédiaire entre la notion d’indivision et de personnalité morale, ce qu’on exprime en disant que c’est une indivision spéciale entre époux, ou une personne morale atténuée.
Mais on ne peut pas se référer uniquement à ces 2 catégories .
Cela dit, pratiquement et techniquement, il est facile de raisonner comme si la communauté est une personne morale, notamment au moment de la liquidation, même si c’est contestable.
Nous en avons terminé avec les deux grandes explications de la communauté autour de la notion indivision ou de la personne morale.
Ces notions théoriques sont utiles pour comprendre le fonctionnement même de la communauté et ne pas avoir une approche trop technique de ses problématiques.
Indiquons le plan que l’on va suivre pour étudier le régime légal :
On pourrait se contenter de suivre le plan du Code civil, après la réécriture de 65 : le chapitre consacré à la communauté est divisé en 3 parties : la composition de la communauté (actif et passif, l’administration des biens et la liquidation et le partage).
Ce plan est logique mais présente un inconvénient : c’est que pour étudier le passif, le statut des dettes, il est utile de connaître les pouvoirs de gestion des époux parce qu’il y a un lien important, même si ce n’est pas le seule critère, entre les pouvoirs d’administration et le pouvoirs d’engager des fonds.
C’est pourquoi il apparaît préférable de diviser l’étude en 4 titres :
1/ la composition active des 3 masses de biens : l’actif des patrimoines
2/ la gestion des biens, l’administration des biens
3/ la répartition du passif : le statut des dettes
4/ la dissolution, liquidation, partage et règlement de la communauté.
Donc au début, on raisonnera sur l’hypothèse d’un ménage heureux qui n’a pas de dette
la composition active des 3 masses de biens
L’actif des patrimoines propres et du patrimoine commun : la composition active des 3 masses de biens, des masses propres et de la masse commune.
Chaque époux ayant un patrimoine propre au moins virtuellement, dans le régime de communauté, il y a en principe 2 grandes catégories de biens, et seulement 2 grandes catégories de biens : les biens communs et les biens propres. Et par conséquent, 3 masses de biens ou 3 patrimoines, puisque chaque époux peut être propriétaire d’une masse de biens propres.
On peut noter tout d’abord que chacune de ces deux grandes catégories, les biens communs ou les biens propres, est aujourd’hui assez homogène. Il n’en a pas toujours état ainsi.
En ce qui concerne les biens propres, on a pendant longtemps, jusqu’en 65 pratique, distingué ce qu’on appelait les propres parfaits et les propres imparfaits :
– les propres parfaits : ce sont les biens propres en nature : tel immeuble, tel meuble, dont la propriété demeure à un époux sont des propres parfaits et le principe est que les propres sont des propres parfaits.
– mais il y avait pendant longtemps, et on trouve encore l’expression dans certains textes, des propres imparfaits : on désignait par là des biens propres, mais qui tombaient en communauté en raison de l’usufruit de la communauté sur les biens propres : la communauté avait en quelque sorte la jouissance des biens propres, jouissance qu’elle exerçait jusqu’en 65 par le mari. Par ex, si une femme était mariée sous le régime, à l’époque conventionnel, de la communauté réduite aux acquêts, les sommes liquides qu’elle pouvait posséder au jour du mariage ou qu’elle recevait dans une succession, étaient logiquement des bien propres puisque la communauté ne recevait que les acquêts. Mais comme il y avait l’usufruit de la communauté sur ces espèces liquides, cela avait pour conséquence que le mari pouvait utiliser ces sommes, et la femme était seulement créancière de la somme qui était tombée en communauté.
Cette catégorie a en principe disparu aujourd’hui, il n’y a aujourd’hui que des propres parfaits, plus besoin de faire cette distinction donc.
En ce qui concerne ensuite les biens communs, il y a eu pendant longtemps depuis 1907 une distinction entre les biens communs ordinaires, et les biens réservés (à l’administration de femme).
La loi de 85 a supprimé les biens réservés et cette dualité. Il n’y a plus qu’une seule catégorie de biens communs.
Toutefois, est apparue une autre distinction dans les biens communs qui n’est que sous jacente, latente dans les textes, mais qui a une certaine réalité : c’est la distinction du capital et des revenus.
Les revenus font partie de la communauté, mais leur régime les distingue souvent des biens communs en capital. Tout cela fait partie de la communauté, mais avec tout de même certaines différences de régime.
Sous ces réserves, les deux catégories essentielles sont homogènes : les biens communs et les propres.
Dès lors la question essentielle est de savoir comment opérer la discrimination entre les biens communs et les biens propres ? Quels sont les critères de répartition ?
On peut noter là aussi une évolution :
Dans le régime légal antérieur à 65, le critère d’appartenance à la communauté était double : il reposait à la fois sur la nature et sur l’origine des biens :
– Il reposait sur la nature des biens parce que les biens meubles tombaient toujours en communauté. C’était la nature de biens meuble qui les faisaient tomber ne communauté.
– En revanche pour les immeubles, leur origine, leur condition d’acquisition jouait un rôle important puisque les immeubles étaient communs, sauf s’ils étaient déjà la propriété des époux avant le mariage, ou s’ils les avaient recueillis par succession ou libéralité. Donc l’origine du bien avait une influence sur sa qualification.
La communauté aujourd’hui étant réduite aux acquêts par l’effet de la réforme, le seul critère de répartition qui subsiste est celui de l’origine du bien ou plus précisément les conditions de son acquisition, l’époque de son acquisition qui apparaît comme un élément décisif : pour savoir ce qu’est un bien commun, il faut donc déterminer ce qu’est un acquêt, ce que l’on entend pas le terme acquêt.
Nous étudierons cette difficulté dans un chapitre 1 sur la détermination des biens communs, qui reviendra à préciser la notion d’acquêt.
Dans un chapitre 2 par comparaison et contraste, on déterminera les biens propres. La détermination des biens propres.
Chapitre 3, on examinera plus brièvement comment sont réglées les questions de preuve. Quelle preuve apporter pour justifier de la nature propre ou commune d’un bien.