La compensation des dettes connexes (article 1348-1 code civil)

Compensation des dettes connexes :

Cette compensation qui repose sur des dettes connexes est avant tout une création prétorienne. Dorénavant, un article vise cette situation : article 1348-1. Cette compensation est celle qui se produit de manière facilitée lorsque les obligations réciproques présentent un lien de connexité et que les conditions de droit commun ne sont pas réunies (exigibilité et liquidité notamment).

 

Dans la compensation judiciaire, c’est le juge qui va rendre possible la compensation car il va créer une condition manquante. Mais dans la compensation des dettes connexes, le juge ne fait que constater la compensation, il ne la prononce pas.

Dans un arrêt 1ère civ. 18 janvier 1967, la Cour de cassation a fait remarquer que lorsque deux dettes sont connexes, le juge ne peut pas écarter la demande de compensation au motif que l’une d’entre elles ne remplit pas les conditions de liquidité et d’exigibilité. Il est tenu de constater le principe de cette compensation qui constitue une garantie pour les parties.

 

Le domaine des dettes connexes :

L’article 1348-1 n’apporte aucune réponse sur ce point. Le législateur a préféré s’en remettre aux juges. La Cour de Cassation considère qu’il s’agit d’une notion de droit donc la Cour de cassation va opérer à chaque fois son contrôle sur les décisions des juges du fond. Cela permet d’unifier le contenu de cette notion sur le territoire.

Deux exigences sont requises pour qu’un lien de connexité existe entre deux dettes :

 

Les dettes doivent être issues d’un même rapport juridique.

Ce peut être un contrat synallagmatique. Ex : un bail commercial → en cas de résiliation on peut considérer que la créance de loyer du bailleur et la créance de restitution du locataire au titre du dépôt de garantie sont des créances connexes et se compensent à concurrence de la plus faible.

Ce peut être aussi des contrats distincts qui sont conclus en application d’un contrat cadre ou qui représentent les éléments d’un ensemble contractuel unique. Ex : une société A conclu le même jour deux contrats avec deux sociétés qui appartiennent à un même groupe. Le 1er est conclu avec la société B et prévoit que la société B doit approvisionner la société A en cannetons et A s’engage à donner les cannetons à la société C.

La société C s’engage après à reprendre auprès de A la totalité des animaux qui a été livrée par la société B. La société B assigne A en paiement car elle estime que A n’a pas réglé la totalité des livraisons qui lui ont été faites. A oppose la compensation entre cette dette qu’elle a envers B et la créance qu’elle détient sur C.

La Cour de Cassation a estimé que malgré l’absence d’un contrat cadre, la connexité peut être retenue entre des créances et dettes résultant de contrats différents lorsqu’ils sont l’exécution de convention constituant pour les parties les éléments d’un même ensemble contractuel qui sert de cadre général à leurs relations contractuelles (Com. 9 mai 1995).

Il est admis que le lien de connexité puisse provenir d’un rapport extra contractuel par exemple un quasi contrat. Ex : à la suite d’un accident de la circulation, une caisse verse une pension de retraite anticipée à la victime de l’accident. La mise en retraite anticipée était imputable pour 2/3 à l’accident, la caisse, subrogée dans les droits de la victime a agi en remboursement c/ le tiers responsable de l’accident et l’assureur. La victime avait reçu une provision supérieure à ce qui lui était dû, l’assureur a donc estimé que compte tenu de ce trop perçu il pouvait prétendre à une restitution de l’indu.

La jurisprudence a décidé que la compensation pouvait opérer entre la créance de remboursement de la caisse et la créance de restitution qui était invoquée par l’assureur du tiers responsable. Le tiers responsable ainsi que son assureur sont fondés à opposer la compensation : 2ème civ. 12 oct. 2000.

 

Les dettes réciproques doivent avoir la même nature.

La connexité est exclue quand l’une des créances a un fondement contractuel et l’autre un fondement délictuel. Ex : un fournisseur est mis en redressement judiciaire et assigne en paiement de fournitures de marchandises la société Rolex. Cette dernière lui oppose la dette qui est née de l’exécution du contrat et sa créance qui est consécutive à une escroquerie du fournisseur.

Dans un arrêt du 14 mai 1996, la Cour de cassation a estimé qu’il n’y avait pas de dettes connexes donc par de compensation possible. Autre ex : une compagnie d’assurance est en difficulté avec un agent général condamné pour abus de confiance envers la compagnie d’assurance. Cette dernière a donc décidé de mettre un terme aux relations contractuelles mais il fallait lui verser une indemnité compensatrice ; il n’y avait pas de connexité (Com. 18 septembre 2007).

L’intérêt des dettes connexes est que le créancier peut faire constater la compensation même si les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies, y compris dans des circonstances où la compensation est normalement exclue.

Ex : dans la procédure collective du débiteur quand les conditions de la compensation légale ne sont pas réunies avant le jugement d‘ouverture. Le créancier va pouvoir échapper à la règle de l’interdiction des paiements car il est libéré de l’obligation de faire un paiement au débiteur sous procédure collective.

La compensation des dettes connexes peut être opposée au créancier saisissant par le tiers saisi, tiers saisi lui-même créancier du débiteur saisi. Il pourra le faire même si la compensation se produit après la saisie : jeu de la rétroactivité.

La compensation des dettes connexes peut être opposée au cessionnaire par le débiteur de la créance cédée, même si la compensation se produit après la cession.

Ces solutions sont confirmées à l’article 1348-1 qui prévoit que l’acquisition de droit par un tiers sur l’une des obligations n’empêche pas son débiteur d’opposer la compensation.

La compensation des dettes connexes permet de faire échec aux droits acquis par des tiers. Cette forme de compensation renforce le rôle de garantie de la compensation en affectant l’une des créances connexes au paiement de l’autre. Ce paiement se fait par priorité aux droits des tiers car un droit préférentiel est créé.

La compensation des dettes connexes est réputée s’être produite à la dette de l’exigibilité de la première créance (article 1348-1 alinéa 2 ; Com. 20 février 2007). C’est à cette date que les deux obligations sont censées s’être éteintes rétroactivement et non pas à la date de la décision du juge.

La conséquence de cette solution est que l’un des créanciers ne peut pas exiger le paiement des intérêts ayant couru entre la date d’exigibilité de sa créance et la date de la décision de justice. Seul le solde restant dû pourra continuer à produire des intérêts.