Qu’est-ce qu’une compensation ? (article 1347 code civil)

La compensation :

La compensation est l’extinction simultanée d’obligations réciproques entre deux personnes (article 1347). Cela sous-entend que la compensation ne peut pas intervenir entre 3 personnes. C’est un doublepaiement abrégé car il n’y a pas de déplacement de fonds alors que le paiement direct implique un certain déplacement de fonds. La compensation joue surtout un rôle de garantie car elle donne au créancier chirographaire la possibilité d’invoquer la compensation, ce qui lui permettra d’obtenir parfois une paiement préférence aux autres créanciers.

Le débiteur pourra refuser de faire un paiement ou le créancier qui invoque la compensation pourra être considéré comme recevant un paiement.

 

A. Compensation légale :

C’était la seule prévue dans le Code de 1804.

 

1. Conditions :

La compensation légale ne peut s’opérer qu’entre deux dettes réciproques (article 1347 alinéa 1er). Cet article ajoute que les deux obligations doivent être fongibles, certaines, liquides et exigibles.

Pour qu’il y ait deux dettes réciproques, il faut deux dettes croisées entre deux mêmes personnes. C’est pourquoi A peut compenser sa dette envers B avec sa créance envers B, mais il ne le pourra pas avec sa créance envers l’épouse de B.

C’est pourquoi également qu’un assureur de responsabilité ne peut pas compenser l’indemnité qu’il doit verser à la victime avec le montant des primes qui sont échues et qui n’ont pas encore été payées par le souscripteur du contrat d’assurance. Nous sommes dans une situation où l’assureur est à la fois débiteur et créancier de son assuré qui est à la fois débiteur et créancier de l’assureur mais celui qui réclame le versement de l’indemnité est le tiers victime qui exerce l’action directe.

 

Compensation impossible en cas de séparation de patrimoines :

M.X est artisan chauffagiste et décide de créer une EIRL. L’EIRL est une personne morale distincte de la personne physique, il y a donc séparation de patrimoine. X est débiteur envers son bailleur d’une dette de loyer (dette privée) mais il est également créancier envers son bailleur d’une dette professionnelle car l’EIRL a accompli des travaux d’installation chez le bailleur donc le bailleur doit de l’argent à l’entreprise. Dans ces conditions, la dette de loyer ne peut pas se compenser avec la créance de réparation.

Cette réciprocité peut disparaitre avec le changement du titulaire de la créance. C’est le cas notamment en cas de cession de créance. Dans ces conditions, le débiteur cédé, s’il est à la fois créancier et débiteur du cédant, il va perdre la possibilité de pouvoir proposer la compensation au cédant puisque la créance a été transmise au cessionnaire, elle n’est plus dans le patrimoine du cédant. Le débiteur cédé sera obligé d’acquitter la dette entre les mains du cessionnaire.

Cependant, il peut arriver que la jurisprudence décide que les dettes réciproques sont des dettes connexes (dettes qui sont issues d’un même contrat). Le débiteur cédé pourra donc opposer la compensation au cessionnaire y compris si la compensation s’est produite postérieurement à la cession.

 

Les dettes doivent être fongibles. Selon l’article 1347-1, sont fongibles les obligations de sommes d’argent ou celles qui ont pour objet une quantité de choses de même genre. Ce sont des dettes de même nature. Ex : argent, une certaine quantité de blé provenant du même producteur…

La compensation légale ne se conçoit pas lorsqu’il s’agit d’une obligation de faire ou de ne pas faire ou d’une obligation de donner (transférer la propriété d’un objet identifié par exemple). Pour qu’il y ait compensation éventuelle, il faudrait un accord des parties pour une conversion en argent des obligations, on convertit l’objet en somme d’argent.

Obligation de faire : ne peut pas être interchangeable. Ex : quelqu’un s’engage à jouer dans une pièce de théâtre, une autre personne a pris le même engagement, on ne peut pas interchanger.

Ex de refus de compensation : un employeur décide de se séparer d’une femme de ménage, elle n’était pas en mesure de restituer les objets qui lui avaient été prêtés car elle séjournait dans la maison de son employeur. L’employeur qui devait verser à cette femme de ménage une indemnité de licenciement a refusé car il estimait qu’il convenait de compenser sa créance de restitution concernant les objets prêtés avec la créance de somme d’argent dont était titulaire la femme de ménage. Les juges ont répondu que l’employeur ne pouvait pas se soustraire à son obligation de verser l’indemnité due en invoquant la compensation avec la valeur des objets restitués car on n’était pas en présence de dettes fongibles.

 

Les dettes doivent être certaines et liquides. La dette est certaine et liquide lorsqu’elle existe et que son montant est connu avec exactitude. Par conséquent, une créance contestée ou une créance conditionnelle ne peut pas donner lieu à compensation. De même, une créance de D&I tant que le montant n’a pas été fixé, elle ne pourra pas donner lieu à compensation.

Pour assouplir cette règle, la Cour de cassation décide parfois que l’absence de liquidités n’est pas un obstacle à la compensation lorsqu’elle procède de manœuvres dilatoires.

Ex : une compagnie d’assurance s’oppose à la compensation invoquée par l’assuré. L’assuré a été victime d’un cambriolage et la compagnie a missionné un expert qui a évalué le dommage. Mais la compagnie estime que le montant n’a pas été calculé exactement. Par conséquent, alors que l’assuré invoquait la compensation avec la prime d’assurance qu’il devait verser à l’assuré, la compagnie d’assurance s’obstinait à soutenir que la compensation entre la prime dont l’assuré était débiteur et l’indemnité d’assurance dont l’assurance était débitrice ne pouvait pas opérer. La Cour de cassation a répondu qu’à partir du moment où l’indemnité avait fait l’objet d’une évaluation par expertise, peu avant la date d’échéance de la prime, elle doit être considérée comme certaine, liquide et exigible.

 

La dette est exigible lorsque chacun des créanciers peut demander le paiement immédiat de la dette.

Par conséquent, la compensation sera exclue si l’une des dettes :

Est affectée d’un terme :

Ø Sauf si le terme résulte non pas de l’accord des parties mais d’un délai de grâce accordé par le juge. Si c’est un délai de grâce, on considère que le terme est échu et qu’il y a donc exigibilité (article 1347-3).

Ø Sauf si le terme est stipulé au bénéfice du débiteur qui y renonce.

Fait l’objet d’une interdiction de paiement. C’est le cas en cas d’ouverture d’une procédure collective. Contentieux très abondant sur la question, les créanciers antérieurs ne

Même si les différentes conditions sont réunies, le contrat des parties peut écarter le jeu de la compensation. Par ailleurs, il existe des cas où la compensation est interdite par la loi, notamment pour protéger certains créanciers : L’art 1347-2 interdit d’opposer la compensation à la demande de paiement des créances d’aliments. Idem pour les créances salariales mais uniquement pour la partie insaisissable.

 

Enfin, la loi interdit d’opposer la compensation à la demande de restitution d’une chose remise en dépôt ou d’une chose prêtée (celui qui a emprunté doit restituer la chose), ainsi qu’à la demande de restitution d’une chose dont le propriétaire a été injustement privé.

Il peut arriver que le créancier renonce à la protection prévue par la loi, renonce à la compensation. Ce sera un accord de volonté donc compensation conventionnelle. Le créancier peut aussi prendre l’initiative de la compensation en l’imposant à l’autre partie.

Ex : à la suite de la séparation de ses parents, un enfant est sujet d’une résidence alternée chez l’un et l’autre. Le père est domicilié loin de la mère donc il a beaucoup de frais de déplacement. Le Juge des Affaires Familiales a prévu que ces frais soient partagés et la mère ne veut pas. Assignation de la mère par le père qui réclamait à la mère 3200 euros. La mère a sollicité la compensation entre sa dette de remboursement de ses frais de transport et la créance alimentaire dont le père était redevable (2280). La Cour de cassation donne gain de cause à la mère qui a demandé la compensation et estime que la loi ne s’oppose pas à ce que le créancier d’aliments puisse demander à ce que les sommes qui lui sont dues soient compenser par les sommes qu’il doit à son débiteur (1ère civ. 7 octobre 2015).

 

2. Effets :

Dès l’instant où les conditions de la compensation sont réunies, les dettes réciproques s’éteignent jusqu’à due concurrence de la plus faible. Ex : 2 dettes de 10 000 et 7 000. La compensation ne peut opérer qu’à hauteur de 7 000 euros.

Une fois que la compensation est invoquée, elle produit son effet à la date où ses conditions se trouvent réunies (liquidité, fongibilité et exigibilité). La compensation rétroagit au moment même où les obligations coexistent avec les qualités requises (conditions que l’on vient d’énumérer).

Cette rétroactivité est le propre de la compensation légale (article 1347 alinéa 2). Le mécanisme extinctif de la compensation légale est donc un mécanisme légal, il est imposé par la loi même si le déclenchement de la compensation est soumis à la volonté.

 

Cela explique plusieurs choses :

La compensation est opposable aux tiers qui ont acquis un droit sur la créance dès lors que les conditions de la compensation étaient réunies avant cette acquisition de droit. Le tiers dans la cession de créance est celui qui a acquis un droit dans la cession de créance. Le cas échéant, la compensation pourra être invoquée par le débiteur cédé.

La compensation est opposable après l’expiration du délai de prescription applicable à la créance. Il suffit que les conditions légales de la compensation se trouvent réunies avant la prescription pour que l’on puisse considérer que compte tenu de l’effet rétroactif la prescription ne peut pas empêcher le jeu de la compensation. C’est une solution qui procède d’un revirement de la 1ère civ. 30 mars 2005.

L’extinction résultant de la compensation légale va entrainer corrélativement l’extinction de sûretés. La caution qui est poursuivie par le créancier pourra lui opposer la compensation qui est intervenue entre lui créancier et le débiteur principale (article 1347-6). Idem pour le codébiteur.

 

Avant la réforme de 2016, la loi laissait entendre que la compensation légale était automatique car l’article 1290 ancien énonçait que la compensation était opérée de plein droit, même à l’insu du débiteur. En vérité, il s’agit d’une interprétation erronée d’une règle que l’on trouvait dans l’une des constitutions impériales de Justinien. A cette époque, quand le créancier poursuivait son débiteur pour obtenir le paiement qui était lui-même débiteur de son débiteur, le débiteur poursuivi pouvait lui opposer une exception de dol qui était un délit et cela pouvait entrainer une condamnation du créancier pour mauvaise foi. Les romains ont décidé de permettre au débiteur d’invoquer une compensation ipso jure (de plein droit), plutôt que de passer par l’exception de dol.

L’ennui est que cette règle était contraire et contredite par plusieurs solutions légales et jurisprudentielles. En effet, il y a des hypothèses où pour jouer la compensation devait être invoquée, si elle ne l’était pas elle ne pouvait pas produire son effet. Par ex, ancien art 1294 code civil permettait à la caution d’opposer la compensation de ce que le créancier devait au débiteur principal alors que le codébiteur solidaire ne pouvait pas opposer la compensation de ce que le créancier devait à son codébiteur. On voit à travers cet article que la compensation n’est pas automatique car si elle l’était, on ne voit pas pourquoi le codébiteur en serait privé.

Autre exemple donné par l’ancien article 1295 : la compensation n’était pas non plus automatique en matière de cession de créance. Elle devait être invoquée par le débiteur cédé faute de quoi il ne pouvait plus après son acceptation de la cession opposer la compensation au cessionnaire de la créance.

Lors de la réforme, l’automaticité de la réforme a été abandonnée. L’article 1347 alinéa 2 indique que la compensation s’opère à la date où ses conditions se trouvent réunies, à condition de l’invoquer.

Cette mortification des textes ne change pas fondamentalement les choses car la compensation rétroagit et peut se faire à tout moment, y compris s’il y a prescription des dettes réciproques, après l’ouverture d’une procédure collective à condition que les conditions de la compensation se soient trouvées réunies avant l’ouverture de la procédure collective.

Néanmoins, un problème existe à propos du cautionnement. Il y a une incohérence entre le nouveau texte qui nous dit que la compensation doit être invoquée et l’article 1347-6 qui continue à indiquer que la caution peut opposer au créancier la compensation intervenue entre le créancier et le débiteur principal. Or comme elle n’opère plus de plein droit, peut-on considérer que la compensation est intervenue si elle n’a pas été invoquée par le débiteur principal ? En principe non, il faut une manifestation de volonté de la part du débiteur principal.

Si interprétation stricte des textes, il faudrait considérer que la caution n’est pas libérée tant que le débiteur principal n’a pas invoqué la compensation. C’est une solution qui serait inopportune pour la caution et c’est pour cette raison que l’on pense que les juges vont retenir une interprétation non littérale du texte dans le but de protéger la caution.

 

B. Compensation conventionnelle : C. Compensation judiciaire :

Compensation conventionnelle et judiciaire (article 1348 code civil)

 

D. Compensation des dettes connexes :

La compensation des dettes connexes (article 1348-1 code civil)