Conditions de l’intégration du droit international en droit interne

Les conditions d’applicabilité du droit international dans l’ordre juridique interne

Il y a deux conditions :

  • · L’existence d’une norme
  • · Son applicabilité par le juge.

1) La publication

Elle est une condition qui ne joue que pour les normes écrites : les normes conventionnelles et normes de droit dérivé. Pour ces dernières, l’administration française ne les publie pas, se contentant de renvoyer à la publication officielle par les Organisations Internationales. Un décret du 14 mars 1956 et modifié en 1986 renvoie, pour ce qui est des actes dérivés des Organisations Internationales… c’est très simple pour l’Union Européenne, ça ne soulève pas de difficultés car il existe un Journal Officiel.

Pour les actes de droit dérivé, la question se pose, notamment pour le Conseil de sécurité des Nations Unies, car il n’y a pas de recueil officiel à proprement parler, seulement des recueils de pratique. L’ONU elle-même met en ligne automatiquement toutes les résolutions adoptées par le Conseil de Sécurité.

La publication des traités est une condition posée à l’article 55 de la Constitution française. Plusieurs questions se posent : la publication est-elle obligatoire ? Elle est entièrement à la discrétion du pouvoir exécutif. C’est une condition d’opposabilité dans l’ordre interne. L’arrêt du 4 novembre 1970 sur la Malgaive, un recours avait été intenté contre un refus de publier : l’individu ne pouvait pas se voir appliqué les normes découlant du traité. Le CE a considéré que le refus de publier était un acte insusceptible de recours. Cela étant, l’évolution du Droit International et un besoin de sécurité juridique ont fait évoluer la pratique. Le décret du 14 mars 1953 modifié par un décret du 11 avril 1986 encadre les formalités de la publication.

Une circulaire du 30 mai 1997 pose les principes d’une bonne pratique, compte tenu du fait que de plus en plus de règles internationales concernent les individus : la sécurité juridique veut que la France, liée internationalement, s’assure de l’application dans l’ordre interne de ces règles. Si un traité n’est pas publié, les autorités françaises n’ont pas à l’appliquer. In fine, la France pourrait ne pas respecter le traité, mais verrait sa responsabilité engagée.

–> Sauf cas exceptionnel, tous les accords doivent faire l’objet d’une publication, et ce dans le mois suivant l’entrée en vigueur internationale (pour la France). Le ministre des Affaires étrangères, avant publication, s’assure auprès des ministres intéressés qu’ils ne s’y opposent pas. On va vers une publication automatique.

Quel est l’effet ?

Certains ont pu y voir non pas une seule condition d’opposabilité, mais une condition d’introduction en droit interne. A défaut de publication, la norme internationale n’existerait pas dans l’ordre interne.

Un arrêt du CE de 1987, Procopio: la France avait été engagée internationalement par un traité, et avait mis un certain temps avant de le publier : litige qui s’est élevé entre l’entrée en vigueur internationale et la publication. Le texte est inopposable en droit français au moment des faits, mais au moment du contentieux, il l’était. Le CE a considéré que la publication était rétroactive. La norme liait les autorités dès lors qu’elle liait en Droit International (logique moniste). La norme conventionnelle lie la France, simplement, l’absence de publication interdirait d’invoquer le traité devant le juge : elle n’a aucune portée contentieuse. Les autorités doivent appliquer le traité ; s’ils ne l’appliquent pas et n’a pas été publié, le justiciable est dépourvu de moyens, et vice-versa.

2) La réciprocité

C’est une condition qui n’existe qu’en France, énoncée à l’article 55 C. Cette condition est-elle une condition de validité ou simplement d’applicabilité ? La jurisprudence a été assez flottante. La décision du Conseil Constitutionnel à propos de la loi IVG de 1975 a éclairé la question de la réciprocité. Dans sa décision, le Conseil Constitutionnel avait refusé de contrôler la conventionalité d’une loi. L’argument apporté était que puise qu’on doit contrôler la constitutionnalité d’une loi, il doit, au regard des normes constitutionnelles, s’assurer que la loi est bien conforme à un traité. Le Conseil Constitutionnel a refusé en raison de la condition de réciprocité.

Le Conseil Constitutionnel a considéré que le contrôle de constitutionnalité était contingent ?c’est une question de fait. En 1975, il l’avait dit de manière très générale. Cela a soulevé des difficultés, car l’enjeu de la condition de réciprocité concerne les traités multilatéraux. Un traité qui n’est pas appliqué par l’autre partie peut faire l’objet d’une suspension. Cette question se pose différemment pour les traités multilatéraux : le traité ne disparaît pas dans l’ordre interne : la France n’aura pas à l’appliquer à l’égard de la partie qui ne l’applique pas.

L’article 60 de la Convention de Vienne énonce que certaines obligations ne sont pas soumises à réciprocité.

La Convention EDH, particulièrement l’article 1er, était invoquée, notamment les obligations concernant les droits de l’homme. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 22 janvier 1999, relative à la ratification du traité portant statut de la CPI, a relativisé sa décision de 1975 et a rappelé que la condition de réciprocité inscrite à l’article 55 dépendait de l’objet du traité.

Qui constate la non-réciprocité ?

Deux arrêts du CE : Rekhou, 29 mai 1981 et Chevrol-Benkeddach du 9 avril 1999. Le CE énonce que l’appréciation de la réciprocité est faite par le ministre des Affaires étrangères, mais surtout, face à une question de réciprocité, le juge sursoit à statuer, et la réponse du ministre lie le juge. Si le ministre estime qu’il n’y a pas réciprocité, le juge n’a pas à appliquer le traité.

Dans l’arrêt Rekhou, le CE a une jurisprudence assez claire en matière d’interprétation. C’est une époque où le CE suspend encore et renvoie la question, se considérant lié par la réponse du ministre des Affaires étrangères. Après cet arrêt, intervient l’arrêt Nicolo de 1989, revirement de jurisprudence : le CE considère qu’il peut toujours demander au ministre des Affaires étrangères, mais l’interprétation de ce dernier ne sera qu’un élément. Le juge administratif fixera l’interprétation.

Ce revirement est intervenu alors que l’affaire Beaumartin c. France pendait devant la Cour EDH. La CEDH a rendu un arrêt le 24 novembre 1994, qui n’a pas eu grand effet puisque le CE avait déjà opéré un revirement. La France a été condamnée pour violation du procès équitable. Lorsque le gouvernement donne son interprétation devant le juge administratif, il est en quelque sorte juge des parties. Ce n’est pas tant la pratique du renvoi qui est critiqué, mais le fait de se considérer comme lié par l’interprétation.

En matière d’appréciation de la réciprocité, on peut faire un parallèle car il suffit que le ministre des Affaires étrangères dise qu’il n’y a pas réciprocité pour qu’un traité soit inapplicable. L’arrêt Chevrol intervient après le revirement ; un accord franco-algérien concernait la reconnaissance des diplômes. Elle demandait la reconnaissance de son diplôme et l’application du traité. Les autorités françaises refusent au motif que l’Algérie ne respecte pas le traité. Le CE confirme la jurisprudence retenue, et énonce qu’il est lié par l’appréciation du ministre. Saisine de la CEDH –> dans un arrêt du 13 février 2003, elle estime que le fait pour le Conseil d’Etat de se considérer comme lié par l’appréciation du ministre des Affaires étrangères est contraire au principe du procès équitable.

Selon la CEDH, le Conseil d’Etat doit conserver la libre appréciation des éléments qui lui sont rapportés. Il doit pouvoir porter les appréciations du ministre au débat.