Les conditions et effets de la prescription acquisitive

L’acquisition de la propriété par la possession prolongée : la prescription acquisitive

« La prescription est un moyen d’acquérir ou de se libérer par un certain laps de temps, et sous les conditions déterminées par la loi ». (Article 2219 du Code Civil). De cette définition se dégage donc 2 sortes de prescription, une négative, l’autre positive.


La prescription libératoire est un mode d’extinction des droits de créance et des droits réels, ainsi que de toutes les actions tant réelles que personnelles. Quand le titulaire d’un droit ne l’exerce pas dans un délai déterminé, qui est ordinairement de 30 ans, ce droit s’éteint au bout de ce délai, et celui contre lequel il existe peut se prévaloir de son extinction.
La prescription acquisitive ou usucapion est un moyen d’acquérir un droit réel principal – propriété, usufruit, servitude – par l’exercice de ce droit prolongé pendant un certain temps, lequel est en principe de 30 ans, mais parfois plus court.

Supposons que le possesseur d’un bien l’ait acquis d’un non- propriétaire, a non domino. Il existe alors un obstacle à l’acquisition de la propriété, tenant au fait que nul ne peut transmettre à autrui plus de droit qu’il n’en a lui-même, que la transmission s’opère par vente, donation etc. Alors, la possession prolongée fait acquérir la propriété, même si le possesseur et de mauvaise foi et au détriment du propriétaire légitime.

Même lorsque l’usucapion a pour résultat de dépouiller le vrai propriétaire au profit d’un simple possesseur, serait-il de mauvaise foi, la solution n’est pas nécessairement injuste : elle peut être justifié par le fondement général de toutes les prescriptions, dans l’intérêt du commerce juridique, de stabiliser au bout d’un certain temps les situations de fait et aussi la nécessité de ne pas trop encombrer la justice. De plus, celui qui s’est conduit en fait comme un véritable propriétaire et qui, en mettant le bien en valeur, a contribué à la prospérité du corps social, mérite attention.

A) Conditions de la prescription acquisitive


1. Biens pouvant être prescrits

Seuls les droits principaux peuvent s’acquérir par usucapion. Ni les droits réels accessoires, ni les droits de créance, ne s’acquièrent par un exercice prolongé. Parmi les droits réels principaux, l’usucapion s’applique essentiellement au droit de propriété, mobilière ou immobilière, mais elle peut aussi faire acquérir d’autres droits réels : usufruit, usage, et certaines servitudes.

Il y a des choses corporelles qui ne peuvent être une usucapées : les choses qui ne sont pas dans le commerce, les biens du domaine public, les universalités juridiques, les universalités de fait.


2. Conditions relatives localités de la possession

La possession doit être exempte de vices. Elle ne doit être ni violente, ni clandestine, ni discontinue, ni équivoque

l’usucapion suppose une possession véritable, impliquant le corpus et l’animus domini. Un simple détenteur – locataire ou fermier – ne prescrit jamais, puisqu’il détient la chose en vertu d’un titre qui exclut de sa part toute prétention à la propriété.

Les actes de simple tolérance ou de pure faculté ne peuvent fonder l’usucapion. Les premiers s’interprètent non dans le sens d’une renonciation, mais dans celui d’une complaisance, une politesse, faite entre voisins et à titre de bons rapports. Les actes de pure faculté sont des actes qu’une personne accomplis dans l’exercice de son droit, sans qu’il résulte une atteinte au droit d’autrui.


3. Conditions relatives au délai

a. Durée du délai

la prescription trentenaire

Le délai normal de l’usucapion, pour les meubles comme pour les immeubles, est d’une durée de 30 ans, en application de l’article 2262, selon lequel « toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par 30 ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d’en rapporter un titre, ou qu’on puisse lui opposer l’exception déduite de la mauvaise foi ». La prescription s’accomplit même au profit du possesseur de mauvaise foi ou de l’usurpateur. Toutefois, si la possession a commencé par des actes de violence, elle ne se compte que du jour où la violence a cessé.


La prescription de 10 à 20 ans ou prescription abrégée

Elle tend à couvrir à l’égard du vrai propriétaire le vice résultant d’une acquisition a non domino, en d’autres termes l’absence de droit de propriété chez celui de qui le possesseur a acquis le bien

Il est déterminé de manière précise : il doit y avoir une acquisition a non domino de droit réel immobilier.
La prescription abrégée est écartée au sujet des meubles. En outre elle ne s’applique qu’aux immeubles acquis individuellement et non aux universalités.

Pour que la prescription abrégée puisse être invoquée, encore faut-il que ce droit réel immobilier ait été acquis a non domino. D’une part, les bénéficiaires de l’avantage légal doivent être de véritables acquéreurs ; d’autre part, cet avantage est exclu si l’acquisition émane bien du véritable propriétaire. ( Civile 3ème, 27 mai 1998 ; 19 décembre 2001)

La justification de l’usucapion abrégée explique l’existence de deux conditions distinctes et essentielles : le juste titre et la bonne foi



le juste titre

Le possesseur ne bénéficie de la prescription abrégée autant qu’il est muni d’un juste titre. On entend par là un acte juridique qui aurait transféré la propriété de l’immeuble (ou le droit réel à prescrire) s’il était émané du véritable propriétaire. Tout acte d’acquisition ne constitue d’ailleurs pas un juste titre.

Par hypothèse, l’on peut d’une manière sommaire dire que le juste titre, c’est un titre faux mais apparemment valable. En réalité, il faut être précis.

– Un titre réel. Lorsqu’un titre est exigé comme un élément constitutif de la bonne foi, par exemple lorsqu’il s’agit de savoir si le possesseur peut faire les fruits siens, il se peut que le titre ne soit pas réel, qu’il soit putatif et n’existe que dans la pensée ou l’imagination du possesseur. À l’inverse, retenu en matière de prescription abrégée comme une condition distincte, le juste titre doit être un titre réel (civil, 13 avril 1881).
C’est pourquoi, par exemple, le légataire d’un immeuble ne pourrait se prévaloir du testament le gratifiant si celui-ci a été révoqué par un testament ultérieur dont il ignore l’existence ; dès lors le titre – c’est-à-dire le premier testament – n’existant pas réellement, le légataire mis en possession ne pourra s’en prévaloir. Plus généralement, l’acquéreur se prévalant d’un acte d’acquisition qu’il ne savait pas nul ne peut invoquer sa bonne foi, jointe à l’écoulement du temps de la prescription abrégée. Cette solution est bien rigoureuse. Elle tient, comme la précédente, à ce que l’usucapion abrégée a seulement pour objet de suppléer au fait que celui dont le possesseur tient son droit n’est pas propriétaire.

– Un titre apparemment valable. L’article 2267 du Code civil dispose que « le titre nul par défaut de forme, ne peut servir de base à la prescription de 10 et 20 ans ». Ainsi en est-il d’un testament ou d’une donation nuls en la forme

– Un titre translatif – pour qu’il y ait juste titre, il est nécessaire que l’acte soit translatif (par ex une vente, un échange, une donation entre vifs). La jurisprudence refuse de considérer comme juste titre les actes déclaratifs, tels que le partage, la transaction, des jugements autres que les jugements d’adjudication sur saisie, tel ceux qui font droit à une demande en revendication d’un immeuble. « Le juste titre sur le quel est fondée la prescription abrégée suppose un transfert de propriété consenti par celui qui n’est pas le véritable propriétaire » (Civile 3ème, 13 décembre 2000)

En règle générale, si le titre est nul, on peut toutefois le prendre en cause si c’est une nullité relative. Si la personne protégée au titre de la nullité relative a renoncé d’agir, elle peut invoquer ce titre. S’il s’agit d’une nullité absolue, il n’y a rien à faire.


La bonne foi.

La bonne foi, au sens de l’article 2265, consiste, pour l’acquéreur, dans la croyance que son titre lui a bien fait acquérir le droit réel qui en est objet. Elle consiste, pour le possesseur, par exemple pour l’acheteur, a croire fermement que son vendeur était le propriétaire et que la vente l’a rendu propriétaire, qu’il s’agisse d’une erreur de fait ou d’une erreur de droit. D’une jurisprudence assez rigoureuse, il résulte que le simple doute sur ce point est exclusif de la bonne foi (8 août 1870, chambre des requêtes)

L’article 2269 dispose « il suffit que la bonne foi ait existée au moment de l’acquisition », par exemple lors de la vente. La connaissance que le possesseur a eue ultérieurement, serait-ce dès la prise possession, des droits du revendiquant, est sans incidence sur l’appréciation dès lors qu’elle est postérieure à l’acquisition.

Le temps requis pour la prescription prévue à l’article 2267 est de dix ans, si le véritable propriétaire habite dans le ressort de la cour d’appel dans l’étendue de laquelle l’immeuble est situé ; et de 20 ans s’il est domicilié en hors dudit ressort. Le législateur a pensé que, dans ce dernier cas, le propriétaire étant éloigné de son immeuble, il lui était plus difficile de le surveiller et d’interrompre la prescription ; il convenait de le protéger en imposant au possesseur un délai plus long pour prescrire.


b. Régime du délai

Le délai de l’usucapion abrégée est de dix ans dans le cas où le propriétaire habite dans le ressort de la cour d’appel où est situé immeuble.
S’il déménage avant les dix ans, on ajoute un nombre d’années doubles de ce qui manque pour compléter les dix ans.
En cas de décès du possesseur, ses années de possession ne sont pas perdues, une autre personne ayant des droits sur le bien peut joindre sa possession à la sienne : si celui qui est actuellement possesseur est héritier de la personne décédée, il peut continuer la possession du défunt avec la même qualité.
Si le possesseur n’est pas héritier, il peut joindre ses années de possession à celle du possesseur décédé (s’il est de bonne foi). Ce décès n’interrompt pas nécessairement le décompte de l’usucapion abrégée.
Par contre, une citation en justice va interrompre le décompte même si devant un juge incompétent, un référé suffit, un commandement ou une saisie signifiée au possesseur actuel. Mais une simple mise en demeure ne suffit pas. Mais si le possesseur cesse de posséder, le décompte ne continue plus.


B. Effets de la prescription acquisitive


Lorsque les conditions de la prescription acquisitive sont réunies, il n’en résulte pourtant pas une acquisition automatique de la propriété par le possesseur. Il n’y a pas d’automatisme légal.
On estime généralement que, dès que les conditions de la prescription sont réunies, le possesseur acquiert non pas la propriété de la chose, mais le droit de se prévaloir de la prescription acquisitive.


Effets de la prescription acquisitive lorsque les conditions ne sont pas remplies:
– restitution du bien au véritable propriétaire
– lorsque le possesseur est de bonne foi, il a le droit de garder des fruits et produits du bien.
article 555 : le possesseur doit avoir possédé comme un propriétaire en vertu d’un titre translatif de propriété dont il ignorait les vices.
L’essentiel est la bonne foi, le titre est secondaire. On admet que le possesseur qui a un titre putatif peut récolter les fruits.