Conflit entre deux principes à valeur constitutionnelle

L’agencement des normes de référence

Si toutes vont de paires il n’y a pas de difficulté, mais que faire en cas de conflit entre deux principes à valeur constitutionnelle.

Le fronton du Conseil constitutionnel.

A) Les méthodes d’interprétation du juge constitutionnel et du conseil

  1. Le cas particulier des Etats-Unis

Aux USA, il existe deux courants sur l’interprétation de la constitution. Ils traduisent deux philosophies de l’office et de la mission du juge constitutionnel. Ces courants mobilisent des justices, professeurs, … ces courants s’affrontent notamment sur les questions de l’interprétation et de l’application des droits fondamentaux. La question de la naissance de ces deux conceptions surgit avec l’arrêt ROE vs WADE en 1973.

  • CS, ROE vs WADE, 1973 : Lacour suprême accepte de considérer qu’au nom du droit au respectde la vie privée des femmes, de la reconnaissance du droit à l’IVG.

Sur la technique juridique, lorsque l’on regarde la constitution américaine et the bill of right, nulle part n’est indiqué le droit au respect de la vie privée. En découle pourtant la dépénalisation du recours à l’IVG. Les opposants reprochent l’activisme judiciaire et la jurisprudence audacieuse de la cour suprême.

  • 1er courant, partisans de l’intention originelle : le raisonnement de la cour est inadmissible car la cour s’affranchie totalement du texte. Il faut revenir à l’intention originelle des pères fondateurs. Doit selon ce courant être écarté du texte tout ce qui a été ajouté depuis. Il faut rendre l’aspect originel du texte.
  • 2ème courant, partisans du living document : la constitution étant bicentenaire (1787). Si elle a passé les âges s’est bien parce qu’elle a pu bénéficier de la protection de la cour suprême et de sa La constitution « is a living » document. Il doit donc être interprété à la lumière des progrès actuels. Le juriste BREYER défend cette conception.

L’enjeu essentiel de ces derniers partisans est d’intégrer des références actuelles. On trouve grand nombre de références au droit comparé, aux nations civilisées, à la CEDH, à la High Court, la cour Allemande, …

Ce débat a tout de même de l’intérêt en France. Il s’agit de savoir si le Conseil constitutionnel doit s’en tenir à l’intention des rédacteurs de 1789, 1946, 1958, 2005 ?

  1. Le cas de la France

Le conseil a choisi la voie de l’interprétation.

  • 11, DDHC : Liberté de communication des idées et opinions. Cela relevait alors de la presse,correspondance, afin de remédier aux lettres de cachet (dénonciation anonyme). Mais les supports ont évolué. Les enjeux restent cependant les mêmes.

Le système répressif est favorable aux libertés : le principe est la liberté et ce n’est qu’en cas d’abus que l’on est sanctionné. Il s’oppose au régime préventif, beaucoup moins favorable. Avant de pouvoir accomplir une action, il faut une autorisation. Ainsi, la liberté cinématographique repose sur un système d’autorisation (CE, Société des films Lutécia, 1959 : proportionnalité entre interdiction des films et les effets sur l’ordre public).

Dans la mesure où les supports changent, le Conseil Constitutionnel doit évoluer dans son interprétation :

  • CC, 1984 : les moyens de communications plus récents sont couverts parl’article 11 de la DDHC (liberté élitiste à l’époque). Le conseil ajoute bien qu’aujourd’hui, cette liberté est celle de celui qui émet mais aussi celle du public (savoir qui finance tel journal par exemple).

Le conseil est donc bien dans une logique d’actualisation.

  • CC, 1982 : considère que ledroit de propriété des articles 2 et 17 de la DDHC s’applique aux personnes privées comme aux personnes publiques. La DDHC ne le prévoyait que pour les personnes privées.

Le conseil a actualisé, mais il faut qu’il maintienne une cohérence d’ensemble. C’est sa mission première : son interprétation et ses méthodes doivent obéir toute à cette mission de cohérence. Le conseil fait du contrôle in situ, in concreto. C’est lors de ces contrôles concrets qu’il s’efforce d’actualiser en gardant cette cohérence d’ensemble.

La notion d’ordre constitutionnel est plus intéressante car c’est cet ordre à maintenir.

B) La méthode de la conciliation

En cas de conflit entre deux normes, il peut se résoudre selon deux techniques :

  • Normes ne disposant pas de la même valeur juridique : on écarte alors la norme à la valeur la moins important pour celle ayant le plus d’importance.

Cela est plus compliqué en cas de traité (art. 54). Si le traité porte atteinte à une disposition de la constitution ou aux conditions essentielles de l’exercice de la souveraineté. Le traité n’entre alors pas en vigueur. Mais dans ce cas, la constitution est révisée pour permettre la ratification.

Normes incompatibles ayant toutes deux valeurs constitutionnelles : il n’y a pas de solution par la voie de la hiérarchie. La solution est alors celle de la conciliation.

Conciliation : prendre des deux pour permettre l’émergence d’une solution.

VEDEL, sur la place de la DDHC dans le bloc de constitutionnalité : distingue les vraies et fausses conciliations. Il existe de fausses car les deux principes en cause ont des champs d’application distincts. Il n’y a alors pas conflit. Parfois même, le cumul de deux droits peut se faire sans que cela ne pose souci. Enfin, il y a des cas où il est possible d’actualiser le contenu de la formulation la plus ancienne afin de rendre compatibles les formulations en cause. Mais parfois il existe bien une antinomie.

La conciliation doit intervenir dans un cas concret.

Bruno GENEVOIS dégage trois éléments à prendre en considération, in Etudes et Documents du Conseil d’Etat n°40, 1988 :

  • Le degré de précision des principes considérés ;
  • Le degré d’attachement de l’opinion à ces principes ;
  • L’étendue du contrôle que le juge peut opérer.

Si l’on regarde les conciliations du Conseil Constitutionnel, on ne retrouve pas de critères généraux. Il y a plutôt une méthode globale. Cette méthode globale a pour caractéristique de se situer dans un cadre concret, en tentant de trouver une juste proportion. L’exercice étant délicat, le conseil s’est efforcé de juridiciser un certain nombre d’intérêt généraux et d’objets sociaux qui doivent guider l’action de conciliation et donc celle du législateur. On parle alors objectif à valeur constitutionnelle.

  • CC, 27 juillet 1982, communication audiovisuelle :premiers Objectifs à valeur constitutionnelle reconnus avec la sauvegarde de l’ordre public, la protection de la liberté d’autrui, le caractère pluraliste des courants de pensée et d’expression socioculturels.

Le Conseil vérifie que le législateur a bien pris en compte les OVC, guides d’action. L’objectif n’est pas un principe, il est plus flou :

  • Disposer d’un logement décent (1995);
  • La transparence des entreprises de presse ;
  • Le pluralisme des quotidiens d’information politique générale ; …

WACHSAMANN dénonce l’utilisation trop importante de la clause d’ordre public et son Objectifs à valeur constitutionnelle correspondant car cela restreint les libertés publiques.

De plus, sur le plan normatif, cela n’est pas satisfaisant car l’objectif est flou. Cela est-il bon d’y faire recours pour justifier de la censure car le cadre n’est pas aussi strict que celui d’une norme constitutionnelle.

A cela s’ajoute les nuances apportées par les réserves d’interprétation.

Dans le cadre de la jurisprudence de conciliation, le Conseil Constitutionnel doit tenir compte du fait que d’un point de vue formel, il n’y a pas de hiérarchie précise entre des principes et des règles de valeur constitutionnelle. Il y a des indices que tel ou tel principe revêt une importance incontestable pour le Conseil Constitutionnel. Il n’y a pas de hiérarchie stricte entre les principes à valeur constitutionnelle. Le Conseil Constitutionnel doit protéger un certain nombre de principes. C’est pour cela qu’il a forgé la technique des Objectifs à valeur constitutionnelle.

Les objectifs à valeur constitutionnelle sont des exigences tirées de la combinaison de normes issues du bloc de constitutionnalité que le Conseil Constitutionnel impose au législateur de façon à le guider dans l’élaboration d’une législation conforme à la constitution.

Le terme « exigence » a une portée importante dans la terminologie juridique, elle découle de la combinaison de normes du bloc de constitutionnalité.

C’est une catégorie juridique qui émane de normes à valeur constitutionnel. La première utilisation qui a été faite remonte à la décision du 27 juillet 1982 n°82-141 DC, dans laquelle on énoncé pour la première fois la catégorie des objectifs à valeur constitutionnel, le Conseil Constitutionnel en reconnaît ici trois :

  • Le respect de la vie d’autrui.
  • La protection de l’ordre public, c’est une exigence de rang constitutionnel qui s’articule avec l’effectivité l’ensemble de la protection des droits et des libertés.
  • La préservation du caractère pluraliste des courants d’expression sociaux culturels, il se justifie car il n’y a pas de dispo textuelle équivalente dans la constitution ou son préambule.

Le Conseil Constitutionnel va, au fil de ses humeurs, des éventuelles nécessités, forger de nouveaux objectifs à valeur constitutionnel.

Les choses vont se compliquer, si le Conseil Constitutionnel identifie bien un certain nombre d’objectifs à caractère constitutionnel, en ce qu’il fait preuve d’un certain flou artistique dans le maniement des notions qu’il utilise. Parfois, il utilise l’expression « d’objectif d’intérêt général » : cette notion équivaut-elle à celle d’OVC ? Un des objectifs d’intérêt général reconnu par le Conseil Constitutionnel est la sauvegarde des intérêts nationaux (DC 88-232), il mentionne aussi la notion de « satisfaction des besoins essentiels du pays » (DC 25 juillet 1979).

Cette catégorie se rapproche des Objectifs à valeur constitutionnelle, elles remplissent la même fonction. Mais on peut à juste titre s’interroger sur les raisons pour lesquelles le Conseil Constitutionnel utilise une terminologie différente : soit les deux notions renvoient la même réalité et donc il faut unifier l’appellation au nom d’une cohérence des décisions du Conseil Constitutionnel, soit elles ne remplissent pas les mêmes fonctions et dans ce cas, il faut mieux préciser sur le fond, quelle est la fonction qui est remplie par chacune des deux catégories. Ce que ne fait pas le Conseil Constitutionnel.

Dans d’autres cas, DC n°2013-676 du 9 octobre 2013, le Conseil Constitutionnel mentionne simplement un motif d’IG dont on déduit qu’il équivaut à un Objectifs à valeur constitutionnelle (considérant 14).

Le prof. Molfessi écrit que les Objectifs à valeur constitutionnelle renvoient à une « contrainte de nature téléologique pour le législateur, il constituent une catégorie purement fonctionnelle qui incarne l’Intérêt Général en action« . Ce qui veut dire que le Conseil Constitutionnel se sert de la fonction de ces Objectifs à valeur constitutionnelle pour assurer la pleine effectivité des droits et des libertés. Ce qui compte c’est l’objectif purement effectif. Le plus souvent, on pense que les Objectifs à valeur constitutionnelle sont là pour limiter ou restreindre la portée des droits et libertés, mais c’est pour mieux assurer la protection d’autres droits et libertés.

  • Ex : accessibilité et d’intelligibilité de la loi qui a été consacré dans DC n°99-421 du 16 décembre 1999 que l’on retrouve dans DC OGM de 2008. Cet objectif est extrêmement utile pour les saisines du Conseil Constitutionnel.
  • Ex : DC de 1995 la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent (posée par la loi DALO qui pose le droit au logement opposable).
  • Ex : La bonne administration de la justice DC n°2006-545 du 28 décembre 2006, qui a été repris dans une
  • DC du 3 décembre 2009. Ce principe est déjà posé dans la DDHC à l’article 16, qui ouvre le droit à un recours, etc.
  • Ex : le bon usage des deniers publics DC 26 juin 2003, confirmé dans DC du 12 février 2009.
  • Ex : l’équilibre financier de la sécurité sociale DC 18 décembre 2001 que l’on retrouve dans DC 16 décembre 2010.
  • Ex : la lutte contre la fraude fiscale QPC 23 juillet 2010.
  • Ex : la recherche des auteurs d’infraction DC 2004.

Les derniers de ces Objectifs à valeur constitutionnelle peuvent être rangé dans les droits economiques et sociaux dit droits créances. Ils sont classables dans une plus grande catégorie qu’est la protection de l’intérêt Général au sein de la société.

Concernant l’Objectifs à Valeur Constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi, le législateur est maintenant sanctionné depuis 2005 par le Conseil Constitutionnel lorsqu’il se contente de faire de simples considérations générales, de simples propos incantatoires, ce que Jean Foyer avait dénoncé comme étant les « neutrons législatifs », des termes mentionnés dans la loi qui n’ont aucune portée normative. Le Conseil Constitutionnel dispose que le législateur doit énoncer des droits et des obligations : DC 21 avril 2005 relative à la loi Fillon sur l’avenir de l’école dans laquelle le Conseil Constitutionnel sanctionne les dispositions qui n’énoncent pas des règles juridiques mais se contentent de neutrons législatifs.

Le champ de la loi est normatif et non pas lié à des considérations simplement générales, politiques ou philosophiques.

Ces Objectifs à valeur constitutionnelle, avec la garantie des autres droits et libertés, contribuent à définir un « ordre public constitutionnel », ce qui traduit que le Conseil Constitutionnel définit le champ et la portée de l’ordre dont il a la responsabilité contentieuse.

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