Le conflit temporel de normes juridiques

Conflit temporel de normes (conflit de lois dans le temps)

Le conflit de lois dans le temps se pose lorsqu’une situation juridique, initialement régie par une loi, se retrouve sous l’empire d’une nouvelle loi qui modifie les règles applicables. La question est alors de savoir laquelle des deux lois s’applique : la loi ancienne ou la loi nouvelle ? Comme l’a remarqué Carbonnier, « le droit nouveau est déroutant, seule la jeunesse s’y adapte », illustrant ainsi les bouleversements qu’une loi nouvelle peut apporter aux règles déjà établies.

Arguments pour ou contre :

  • En faveur de la loi ancienne : la stabilité des situations juridiques : Les arguments en faveur de l’application de la loi ancienne reposent principalement sur la stabilité et la continuité des solutions juridiques. Une situation juridique se crée sous l’empire de la loi ancienne ; les parties, au moment de la formation de leurs droits ou de leurs obligations, se sont engagées en tenant compte des règles existantes. Il est donc logique de maintenir ces mêmes règles tout au long de la durée de la situation juridique pour préserver l’équilibre initial.
  • En faveur de la loi nouvelle : adaptation aux besoins sociaux et unité législative : Les arguments en faveur de la loi nouvelle sont souvent liés à la nécessité d’adaptation et de progrès social. La loi nouvelle répond mieux aux besoins de la société, en intégrant des valeurs et des évolutions sociales qui peuvent s’avérer indispensables pour corriger ou moderniser les règles juridiques.
      • Progrès social et adaptation : Une loi nouvelle est censée s’aligner davantage avec les réalités contemporaines. Par exemple, la réforme du droit des régimes matrimoniaux introduite par la loi du 13 juillet 1965 a permis d’adapter ce droit aux changements de la société, puis une nouvelle réforme, celle du 23 décembre 1985, a permis de le compléter en tenant compte des évolutions survenues en vingt ans.

      • Unité de la législation : Pour éviter une fragmentation des règles, il est préférable, lorsque cela est possible, d’appliquer une seule législation à une même matière. Cela permet de garantir une cohérence juridique.

La solution de l’article 2 du Code civil : principe de non-rétroactivité et application immédiate

L’article 2 du Code civil propose un compromis en stipulant que « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce principe implique deux choses :

  1. Non-rétroactivité : La loi nouvelle ne s’applique pas aux situations juridiques antérieures qui ont déjà produit leurs effets sous l’empire de la loi ancienne.
  2. Application immédiate pour l’avenir : La loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations qui naissent après son entrée en vigueur. Elle régit donc toutes les situations postérieures, ce qui permet une adaptation du droit aux besoins actuels sans porter atteinte aux droits constitués sous l’ancienne législation.

Cependant, avec le développement de situations complexes, ce principe peut s’avérer insuffisant pour gérer les attentes des parties. La jurisprudence et la doctrine ont ainsi dû développer des théories complémentaires pour aider les juges à interpréter et appliquer ce principe de manière plus adaptée.

La distinction entre situations contractuelles et extracontractuelles

Pour déterminer l’applicabilité de la loi nouvelle, il est essentiel de distinguer les situations contractuelles des situations extracontractuelles :

  • Situations contractuelles : Celles-ci découlent de contrats ou d’actes juridiques (vente, bail, donation, etc.). En principe, les effets futurs de ces situations continuent d’être régis par la loi ancienne pour ne pas altérer l’équilibre contractuel initialement envisagé par les parties.

  • Situations extracontractuelles : Ces situations découlent de faits juridiques auxquels le droit attache des effets sans intervention directe des parties (accident, mariage, filiation). Ici, l’application immédiate de la loi nouvelle est souvent privilégiée, notamment pour des raisons d’intérêt public ou de protection des droits fondamentaux.

 

§1 : les théories doctrinales du conflit de lois dans le temps

Les conflits de lois dans le temps posent la question de savoir si une nouvelle loi s’applique immédiatement ou si elle respecte les droits constitués sous l’ancienne législation. Deux écoles doctrinales principales se sont développées sur ce sujet : la théorie classique et la théorie moderne, chacune offrant une approche distincte pour gérer les effets d’une nouvelle loi sur des situations antérieures.

I. La théorie classique

L’école classique, d’inspiration libérale, repose sur deux notions fondamentales : les droits acquis et les simples expectatives. Cette théorie distingue entre les droits constitués de manière irréversible (droits acquis) et les attentes futures qui n’ont pas encore produit d’effet juridique (simples expectatives).

A) Les droits acquis

Les droits acquis sont des droits définitivement constitués sous l’ancienne loi, que la loi nouvelle ne peut remettre en question. Lorsqu’une situation juridique a donné naissance à un droit acquis, celui-ci est protégé de l’application de la loi nouvelle.

  • Exemple : Si une succession est ouverte et qu’un neveu est désigné héritier en vertu de l’ancienne loi, ce droit devient acquis dès l’ouverture de la succession. Même si une loi postérieure prévoit que les neveux et nièces ne peuvent plus hériter, cette loi ne peut s’appliquer à la succession déjà ouverte, car le droit du neveu est définitivement constitué sous la loi ancienne. La loi nouvelle ne peut donc pas supprimer ce droit.

B) Les simples expectatives

Les simples expectatives représentent un espoir ou une attente qui n’a pas encore donné lieu à un droit concret. Ces expectatives peuvent être modifiées ou supprimées par une loi nouvelle, car elles ne constituent pas un droit acquis.

  • Exemple : Si un neveu espère hériter d’un oncle qui est encore vivant, cette attente n’est qu’une expectative. Si une loi nouvelle stipule avant le décès que les neveux et nièces ne peuvent plus hériter de leur oncle, cette loi s’appliquera, car le droit n’est pas encore acquis. La loi nouvelle modifie donc l’issue de la succession, affectant l’expectative sans empiéter sur un droit déjà constitué.

II. La théorie moderne

La théorie moderne, introduite par Paul Roubier dans ses ouvrages Les conflits de lois dans le temps et Le droit transitoire, propose de simplifier la gestion des conflits de lois en abandonnant la notion de droits acquis. Roubier considère que la nouvelle loi introduit une coupure dans le temps, s’appliquant immédiatement pour l’avenir, tout en laissant le passé sous l’empire de la loi ancienne. Il établit deux principes et une exception pour résoudre les conflits temporels.

1er principe : non-rétroactivité de la loi nouvelle

La non-rétroactivité implique que la loi nouvelle ne peut modifier les effets passés d’une situation juridique née sous la loi ancienne. Ce principe protège les effets juridiques déjà produits par la situation juridique avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi.

  • Exemple : Un mariage célébré sous la loi ancienne conserve son régime pour les biens déjà acquis par les époux avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. Les effets du mariage établis sous la loi ancienne (comme la répartition des biens) ne peuvent être modifiés par la loi nouvelle.

2ème principe : effet immédiat de la loi nouvelle

La loi nouvelle s’applique immédiatement aux effets futurs d’une situation juridique en cours. Cela signifie que tous les effets produits après l’entrée en vigueur de la loi nouvelle seront régis par celle-ci.

  • Exemple : Pour un couple marié sous l’ancienne loi, les biens acquis après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi seront soumis aux nouvelles règles de répartition patrimoniale.

Exception : la survie de la loi ancienne pour les situations contractuelles

Selon Roubier, la survie de la loi ancienne s’applique aux effets futurs des situations contractuelles. Cette exception protège l’équilibre contractuel en permettant aux parties de rester sous la législation en vigueur lors de la conclusion du contrat.

  • Exemple : Si un contrat de prêt a été conclu sous une loi qui permettait un taux d’intérêt de 20 %, une nouvelle loi abaissant le taux maximal à 15 % ne s’appliquera pas rétroactivement aux intérêts dus sur la base du contrat initial. Cela protège les parties en respectant les conditions contractuelles et la stabilité de leurs engagements.

Synthèse des deux approches

La théorie classique met l’accent sur la distinction entre droits acquis et simples expectatives pour déterminer si la loi nouvelle peut s’appliquer. Elle privilégie la protection des droits constitués et exclut la loi nouvelle dès lors qu’un droit est irrévocablement acquis sous l’ancienne législation.

La théorie moderne, en revanche, simplifie le cadre en posant la coupure temporelle et en distinguant les effets passés, réservés à la loi ancienne, et les effets futurs, soumis à la loi nouvelle. Elle prévoit toutefois la survie de la loi ancienne pour les situations contractuelles, garantissant ainsi la stabilité et l’équilibre des accords privés.

 

§2 : solution du droit positif

La jurisprudence française a contribué à l’élaboration d’un cadre interprétatif de l’article 2 du Code civil, qui établit les principes de non-rétroactivité et d’application immédiate de la loi nouvelle. Plusieurs décisions importantes ont permis de structurer ces règles autour de deux théories majeures : la théorie de la simple expectative et la théorie des droits acquis.

 

I-             1ère étape : admission de la théorie classique

La jurisprudence a d’abord adopté une approche classique, distinguant les simples expectatives et les droits acquis, sans différencier les situations contractuelles et extracontractuelles.

A) Application de la théorie de la simple expectative

La théorie de la simple expectative repose sur l’idée qu’une personne ne peut revendiquer un droit qui n’est pas encore définitivement constitué au moment de l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. La chambre civile de la Cour de cassation a consacré cette théorie dans un arrêt du 20 février 1917.

Dans cette affaire, un enfant naturel, né en 1912, ne pouvait à l’époque engager une action en recherche de paternité, car le droit français ne reconnaissait pas cette possibilité. Après la naissance de l’enfant, une nouvelle loi est entrée en vigueur, autorisant les actions en recherche de paternité dans certains cas. La question était de savoir si l’enfant pouvait utiliser cette loi nouvelle pour établir la filiation. La Cour de cassation a jugé que, pour les pères naturels, l’absence de filiation ne constituait qu’une simple expectative, et que la loi nouvelle pouvait donc s’appliquer rétroactivement, permettant ainsi à l’enfant de réclamer la reconnaissance de paternité sur la base de la nouvelle loi.

B) Application de la théorie des droits acquis

La théorie des droits acquis diffère de la simple expectative en ce qu’elle protège les droits définitivement constitués sous l’ancienne loi. La Cour de cassation a appliqué cette théorie dans une décision des chambres réunies du 13 janvier 1932.

L’affaire concernait un contrat de bail verbal. Le bailleur, voulant reprendre les lieux pour des aménagements, avait donné congé au locataire, conformément à une loi de 1926 qui exigeait un préavis de six mois et le versement d’une indemnité. Cependant, au cours du procès, une nouvelle loi, plus stricte pour le bailleur, est entrée en vigueur, imposant des conditions plus contraignantes pour récupérer les lieux. Le locataire invoquait la nouvelle loi, arguant qu’elle était d’ordre public et s’appliquait donc à tous les contrats.

La Cour de cassation a statué que la non-rétroactivité de la loi nouvelle, conformément à l’article 2 du Code civil, empêchait cette application si elle portait atteinte à un droit acquis sous l’ancienne loi. Le bailleur avait en effet un droit acquis à la reprise aux conditions de la loi de 1926. Par conséquent, la loi nouvelle ne pouvait rétroactivement modifier ce droit.

Critiques et évolution de la jurisprudence vers un nouveau système

Cette interprétation classique a été critiquée par la doctrine moderne, en particulier par l’auteur Roubier, qui a soutenu que certaines situations, pour des raisons d’intérêt général, devraient être soumises immédiatement à la loi nouvelle. Selon lui, la loi nouvelle doit pouvoir s’appliquer aux situations en cours si elle exprime un impératif social ou si elle vise une réforme nécessaire de l’ordre juridique.

En réponse à ces critiques, la Cour de cassation a peu à peu adopté un système combiné, prenant en compte les nécessités d’adaptation sociale et l’objectif de sécurité juridique. Ce système permet de concilier le respect des droits acquis avec l’application immédiate de certaines lois nouvelles, notamment celles marquées par un intérêt public. La jurisprudence reconnaît ainsi que certaines lois, lorsqu’elles sont d’ordre public ou expressément rétroactives, peuvent s’appliquer même aux situations juridiques antérieures pour garantir la cohérence du droit positif et protéger les intérêts supérieurs de la société.

 

II-           la 2nd étape : élaboration d’un ensemble cohérent par le recours combiné aux deux théories

De l’ensemble des décisions rendues, il ressort que la jurisprudence tient compte de 2 solutions pour régir le conflit de la loi dans le temps.

  • 1er principe : Application immédiate de la loi nouvelle
  • 2ème principe : Non rétroactivité de la loi nouvelle

 

A)   application immédiate de la loi nouvelle

considération que la loi nouvelle immédiatement applicable sauf dans certaines situations. Mais également d’une exception à l’exception ( donc retour au principe)

1)    le principe

Le principe d’application immédiate de la loi nouvelle, énoncé à l’article 2 du Code civil, signifie que la loi nouvelle régit toutes les situations juridiques nées après son entrée en vigueur. Ce principe a deux conséquences importantes.

a) Application immédiate aux situations juridiques créées postérieurement à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle

Le principe d’application immédiate de la loi nouvelle implique qu’elle s’applique à toutes les situations juridiques qui naissent après son entrée en vigueur, qu’elles soient contractuelles ou extracontractuelles. Ce principe a été confirmé par un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 29 avril 1960.

Dans cette affaire, un homme, marié une première fois, a eu deux enfants de son premier mariage. Avec sa seconde épouse, il a eu un troisième enfant né avant leur mariage, et donc considéré comme un enfant adultérin. Au moment de ce second mariage, l’homme et la mère de l’enfant ont voulu reconnaître l’enfant pour le légitimer. Cependant, entre-temps, l’article 331 du Code civil avait été modifié : alors que l’ancien article empêchait la légitimation d’un enfant adultérin s’il existait une descendance du premier mariage, la nouvelle loi avait supprimé cette condition.

La question était donc de savoir si cette nouvelle loi pouvait s’appliquer à la reconnaissance effectuée par les parents pour légitimer l’enfant. La Cour de cassation a rappelé que la loi nouvelle s’applique uniquement aux situations juridiques nées après son entrée en vigueur, et ne doit pas bouleverser les situations déjà existantes. En l’espèce, la reconnaissance était permise car elle respectait les nouvelles dispositions législatives sans remettre en cause les droits acquis sous la loi ancienne.

b) Application aux effets futurs d’une situation juridique extracontractuelle

En plus de régir les situations nées après son entrée en vigueur, la loi nouvelle s’applique également aux effets futurs d’une situation extracontractuelle en cours. Cela signifie que lorsque les effets d’une situation juridique continuent dans le temps, la loi nouvelle peut régir ces effets futurs pour harmoniser et simplifier le cadre juridique.

Dans le même arrêt du 29 avril 1960, la Cour de cassation a permis que la nouvelle loi s’applique immédiatement aux effets futurs des reconnaissances d’enfants adultérins. Cela signifiait que la nouvelle loi sur la légitimation d’enfants adultérins pouvait s’appliquer aux parents qui souhaitaient reconnaître leur enfant, qu’ils se soient mariés avant ou après l’entrée en vigueur de cette loi.

La Cour de cassation a ainsi estimé que la loi nouvelle, en supprimant une restriction de légitimation, était plus favorable à l’intérêt de l’enfant. En autorisant une application immédiate aux effets futurs des situations en cours, la loi nouvelle permet une unification juridique et répond aux exigences de protection des droits des enfants adultérin

 

Le principe de non-rétroactivité de la loi nouvelle, énoncé par l’article 2 du Code civil, signifie que la loi nouvelle s’applique uniquement pour l’avenir. Cependant, il existe des exceptions où la loi ancienne continue de s’appliquer, même après l’entrée en vigueur de la nouvelle loi. Cela permet de respecter les situations juridiques antérieures et d’assurer la stabilité des contrats.

2)   l’exception : la survie de la loi ancienne

Dans certains cas, la loi ancienne survit à l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, continuant à régir certaines situations juridiques ou contrats conclus sous son empire. Cette exception se manifeste dans deux hypothèses principales :

a) Première hypothèse : situation juridique entièrement achevée avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle

Lorsque la situation juridique est pleinement accomplie avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, c’est la loi ancienne qui s’applique. Par exemple, dans l’arrêt du 29 avril 1960, la Cour de cassation a jugé qu’un second mariage et une reconnaissance d’enfant, tous deux intervenus avant l’entrée en vigueur de la loi nouvelle, étaient entièrement régis par la loi ancienne. La situation juridique étant achevée avant la modification législative, la nouvelle loi ne peut avoir d’incidence.

b) Deuxième hypothèse : effets futurs des contrats conclus avant la loi nouvelle

Cette hypothèse concerne les contrats en cours au moment de l’entrée en vigueur de la loi nouvelle. En vertu du principe de la liberté contractuelle, les effets d’un contrat demeurent soumis à la loi en vigueur au moment de sa conclusion, même si une nouvelle loi intervient par la suite. Ce principe a été affirmé dans l’arrêt de la 1ère chambre civile du 15 juin 1962. Dans cette affaire, un contrat de distribution conclu le 26 janvier 1956 entre une société et un exploitant prévoyait des indemnités de rupture modérées. Un décret de 1958, plus favorable aux exploitants, a introduit des indemnités accrues, mais la Cour de cassation a jugé que les parties étaient liées par la loi en vigueur au moment de la conclusion du contrat.

Le grand principe derrière ce cas est la liberté contractuelle : les parties doivent pouvoir se fier à la législation applicable au moment où elles concluent leur contrat. Imposer la loi nouvelle pourrait bouleverser l’équilibre contractuel et les attentes des parties.

Exemple illustratif

Imaginons un contrat de prêt : A prête une somme à B pour deux ans à un taux d’intérêt de 20 %. Une nouvelle loi interdit, un an après, de prêter à un taux supérieur à 15 %. Appliquer cette nouvelle loi au contrat initial ruinerait les conditions convenues entre A et B. La survie de la loi ancienne permet ici de préserver l’équilibre du contrat.

 

 

3)   l’exception à l’exception : l’application de la loi nouvelle dans certain cas

Dans certaines situations, la loi nouvelle s’applique immédiatement aux situations ou contrats conclus sous l’empire de la loi ancienne, mettant de côté le principe de survie de la loi ancienne.

a) Première hypothèse : disposition transitoire explicite

Si la loi nouvelle contient une disposition transitoire précisant qu’elle s’applique immédiatement aux contrats en cours, tous les effets futurs de ces contrats seront régis par cette loi, même si elle a été adoptée après la conclusion du contrat.

b) Deuxième hypothèse : lois d’ordre public ou lois marquées d’un intérêt social

Les lois d’ordre public ou marquées d’un intérêt social impérieux peuvent s’appliquer immédiatement à toutes les situations, y compris les contrats antérieurs. C’est le cas des lois protectrices dans des domaines comme le droit du travail ou le droit de la consommation, où la protection de l’intérêt général prime sur la stabilité des contrats. Par exemple, une loi imposant des conditions de travail minimales sera appliquée immédiatement, car elle répond à un besoin social pressant.

Dans ces cas, le juge peut analyser la loi et, si elle exprime un intérêt social fort, il peut décider de l’appliquer immédiatement, même si la loi ne le prévoit pas expressément.

Ces exceptions permettent ainsi d’appliquer la loi nouvelle pour des motifs d’intérêt général ou de protection des droits fondamentaux, tout en assurant une certaine sécurité juridique pour les situations contractuelles et les actes juridiques accomplis sous la loi ancienne.

B) La non rétroactivité de la loi nouvelle, article 2 du Code Civil

L’article 2 du Code civil dispose que « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif ». Ce principe fondamental garantit la sécurité juridique et évite qu’une loi nouvelle puisse remettre en cause des droits acquis ou situations passées, sauf dans des cas exceptionnels.

 

1)   le sens du principe

La non-rétroactivité signifie que la loi nouvelle :

  • ne peut supprimer un droit que la loi précédente avait accordé ;
  • ne peut accorder un droit que la loi précédente avait interdit ou refusé ;
  • ne peut valider ou réglementer une situation juridique antérieurement irrégulière.

Ainsi, la loi nouvelle, en bouleversant l’état de droit, ne doit pas affecter les droits déjà acquis par les individus sous l’empire de la loi ancienne.

Exemple jurisprudentiel : Arrêt de la 2ème chambre civile du 28 mai 1990

Cet arrêt illustre l’application du principe de non-rétroactivité. Une personne, victime d’un attentat à la pudeur en 1978 (qui, à l’époque, n’était pas une infraction pénale), demande réparation. La loi du 30 décembre 1985 a modifié le Code pénal pour qualifier cet acte d’infraction pénale, en introduisant l’article 706-3-1 du Code de procédure pénale, qui permet une action en indemnisation pour les victimes d’attentats à la pudeur, avec une application de cette action à partir du 1er février 1986.

La question posée était celle de savoir si la loi nouvelle pouvait s’appliquer rétroactivement aux faits survenus en 1978. La Cour de cassation a examiné la loi de 1985 et l’article 706-3-1 du Code de procédure pénale en concluant que, faute de disposition spécifique en ce sens, la loi de 1985 ne pouvait rétroagir. Par conséquent, en vertu de l’article 2 du Code civil, le principe de non-rétroactivité prévaut, empêchant la loi nouvelle de s’appliquer aux faits antérieurs à son entrée en vigueur.

 

2)   les exceptions au principe

L’article 2 du Code civil pose le principe selon lequel « la loi ne dispose que pour l’avenir ; elle n’a point d’effet rétroactif. » Cependant, certaines situations justifient que la loi nouvelle s’applique rétroactivement pour des raisons d’équité ou d’intérêt général. Voici les principales exceptions au principe de non-rétroactivité.

a) Première hypothèse : la loi expressément rétroactive

Une loi peut être expressément rétroactive si elle contient une disposition spécifique l’appliquant à des situations antérieures. En droit civil, le principe de non-rétroactivité est relatif, ce qui permet au législateur d’introduire des lois rétroactives. Dans une décision du Conseil constitutionnel du 22 juillet 1980, il a été établi que l’article 2 du Code civil n’a pas de valeur constitutionnelle, et la rétroactivité est donc possible, sauf en matière pénale où elle est interdite au désavantage des individus.

Deux questions se posent pour les lois rétroactives :

  • Invoquer une loi rétroactive au cours d’un procès devant la Cour de cassation : En principe, une loi rétroactive ne peut être invoquée pour la première fois devant la Cour de cassation, qui est liée aux faits retenus par les juges du fond. Toutefois, la Cour de cassation a modifié cette position dans un arrêt du 29 janvier 2002 : une loi rétroactive du 3 décembre 2001 sur les successions permettait aux enfants naturels de réduire la part successorale du conjoint du parent décédé. La Cour a accepté cette loi rétroactive, non en vertu de l’article 2 du Code civil, mais au regard de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), estimant que l’impossibilité pour un enfant naturel d’invoquer cette loi entraînerait une discrimination.

  • Justification de la rétroactivité par le législateur : La rétroactivité d’une loi doit être justifiée par un intérêt général. Dans un arrêt du 23 janvier 2004, la Cour de cassation, en assemblée plénière, a établi que la rétroactivité d’une loi ne doit pas nuire aux principes de prééminence du droit et de procès équitable, selon l’article 6 de la CEDH. Le législateur ne doit pas influencer des affaires judiciaires en cours sans impérieux motifs d’intérêt général, et sans une telle justification, une loi ne peut être rétroactive.

b) La loi interprétative

Une loi interprétative clarifie le sens d’une loi antérieure et est en principe rétroactive, car elle est considérée comme une simple extension de la loi initiale. La Cour de cassation a consacré ce principe dans des arrêts des 14 mai 1987 et 21 février 1991, fusionnant le texte interprétatif et celui interprété.

Cependant, une décision de l’assemblée plénière du 23 janvier 2004 a restreint cette règle : une loi interprétative ne sera rétroactive que si le législateur en manifeste expressément l’intention, en justifiant de motifs d’intérêt général. Cette intention peut être déduite des travaux préparatoires de la loi ou de son texte.

c) La loi rectificative ou modificative

Une loi rectificative corrige une erreur matérielle présente dans la loi antérieure (par exemple, une erreur de date ou de nom). Par nature, la loi rectificative est rétroactive, car elle vise à corriger un texte sans créer de nouvelles dispositions.

d) La loi confirmative

Une loi confirmative régularise une situation juridique qui, auparavant, était considérée comme irrégulière. Elle valide ainsi rétroactivement une situation antérieure, lui conférant une légitimité ex post. Par exemple, si une loi a été annulée par erreur de procédure, une loi confirmative peut la rétablir rétroactivement.

e) La loi pénale plus douce

Le principe de non-rétroactivité est strictement appliqué en droit pénal, mais une loi pénale plus douce peut s’appliquer rétroactivement en faveur de l’individu. Ce principe, énoncé par l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, protège les personnes en leur accordant le bénéfice de la loi la plus clémente. Une loi pénale plus douce s’applique :

  • aux faits commis avant l’entrée en vigueur de cette loi ;

  • aux décisions non définitives (celles où la condamnation n’est pas encore irrévocable).

Par exemple, si la peine de mort est abolie, les crimes commis avant l’entrée en vigueur de la nouvelle loi ne peuvent plus être punis de mort. De même, si un vol passible de deux ans d’emprisonnement est jugé, mais qu’une nouvelle loi réduit cette peine, alors cette peine réduite peut être appliquée à condition que le jugement ne soit pas définitif.

 

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