La question du consentement du promettant lors de la conclusion de la promesse de vente :
Commentaire d’Arrêt rendu par la 3ème chambre civile le 10 décembre 1997
Dans le domaine précontractuel, notre droit souffre d’une imprévisibilité, si bien que les droits et obligations des parties ne sont pas toujours certains. A cela s’ajoute les différences de positions prises par la 1ère et 3ème chambre civile qui entraînent une incohérence des solutions, mais surtout leur imprévisibilité. L’arrêt rendu par la 3ème chambre civile le 10 décembre 1997 fait justement état de cette situation.
En l’espèce, par acte sous seing privé en date du 21 mai 1987, les époux Desrus (promettants) ont promis de vendre un immeuble à M. Castagna (bénéficiaire). Le délai fixé dans l’acte courait jusqu’au 31 décembre 1991. L’un des pollicitants, M. Desrus, est décédé le 3 février 1989. M. Castagna a accepté l’offre le 27 avril 1990 et levé l’option le 1er novembre 1991. Pour le débouter de son action en réalisation de la vente promise, la cour d’appel retient que le délai contractuellement prévu n’était qu’un délai de levée d’option et non un délai de maintien de l’offre et en conclut que, lors de son acceptation, l’offre de vente était caduque en raison du décès de l’un des pollicitants. Les juges du fond se conformaient par la-même à une solution classiquement admise. Néanmoins, la Cour de cassation a censuré la décision attaquée et a jugé que les époux Desrus s’étaient engagés à maintenir leur offre jusqu’au 31 décembre 1991 et que le décès de M. Desrus n’avait pu rendre cette offre caduque.
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La question qui se situait au coeur du litige et qui a été tranchée, était celle de l’influence du décès de l’offrant, pendant le délai exprès d’acceptation, sur l’offre de promesse de vente.
C’est par une assimilation du délai d’option de la promesse au délai d’offre (I) que la Cour suprême est parvenue à son jugement: l’offre n’est pas rendue caduque par le décès du pollicitant (II).
- I) Une assimilation du délai d’option de la promesse au délai d’offre:
Toute la difficulté du cas résidait dans le fait que les deux parties n’avaient pas qualifié expréssément le délai qui courait jusqu’au 31 décembre 1991. En effet, les époux Desrus avaient promis de vendre une maison, „et ce jusqu’au 31 décembre 1991“; s’agissait-il uniquement du délai d’option de la promesse ou également du délai d’acceptation de l’offre de promesse unilatérale de vente ? Après avoir relevé l’existence d’un engagement de maintien de l’offre de la part des pollicitants (A), et par une interprétation de la volonté des parties (B), la Cour de cassation a jugé que la date du 31 décembre valait pour les deux délais.
- A) Existence d’un engagement de maintien de l’offre:
Une offre de promesse unilatérale de vente était en cause en l’espèce. La difficulté consistait à ne pas confondre deux notions bien distinctes mais très proches dans ce cas précis, à savoir l’offre et la promesse unilatérale. En effet, la question qui se posait était de savoir dans quelle mesure les époux Desrus s’étaient engagés à l’égard de M. Castagna. Il convient de rappeler que l’offre est définie comme une „manifestation de volonté unilatérale par laquelle une personne fait connaître son intention de contracter et les conditions essentielles du contrat“. Il découle de cette définition que le contrat n’est pas encore formé, l’offre n’étant que le premier élément nécessaire et indispensable à cette réalisation. Il faut donc, pour que le contrat soit effectivement formé, que l’offre faite par le pollicitant rencontre l’acceptation pure et simple du destinataire de cette offre. A l’inverse, la promesse unilatérale de vente est déjà un véritable contrat qui a pour objet de fixer l’offre dont l’acceptation ultérieure par le bénéficiaire de la promesse formera le contrat définitif. L’offre peut être librement révoquée par son auteur tant qu’elle n’a pas été acceptée, à moins que le pollicitant ne se soit engagé à ne pas la retirer avant un certain délai. La promesse étant à l’inverse un véritable contrat, il n’est naturellement pas question d’une quelconque libre révocation. Les parties ayant elles-mêmes fixé la durée du contrat de promesse, le promettant est donc tenu de la respecter et d’attendre l’expiration du délai d’option avant de recouvrer sa liberté. Tout l’enjeu était de savoir si l’offre de la promesse avait été enfermée dans un quelconque délai. Si tel avait été le cas, les époux Desrus auraient été contraints d’attendre l’écoulement de ce délai; en revanche, si l’offre n’avait été assortie d’aucun délai, une acceptation par M. Castagna après rétractation ou caducité n’aurait pu former le contrat. A ce stade, les divergences de points de vue apparurent. La cour d’appel considéra que „ le délai prévu à la promesse unilatérale de vente n’était qu’un délai de levée d’option et non un délai de maintien de l’offre“. En d’autres termes, les parties avaient fixé le délai du 31 décembre 1991 uniquement pour le délai d’option. L’offre de promesse unilatérale n’étant enfermée dans aucun délai, elle pouvait être valablement rétractée ou devenir caduque avant cette date; l’acceptation par M. Castagnan le 27 avril était trop tardive (l’offre étant devenue caduque le 3 février 1989 par la mort de M. Desrus) et ne pouvait aboutir à la rencontre des volontés et ainsi à la conclusion du contrat.
La Cour de cassation, au contraire, par une assimilation du délai d’option de la promesse au délai d’offre, considéra que l’offre était assortie d’un délai. Elle vit dans le comportement des époux pollicitants un engagement de maintien de l’offre.
- B) Une solution rendue possible par l’interprétation de la volonté des parties:
Tel qu’il a déjà été mentionné plus haut, les parties n’avaient pas explicité totalement leur pensée, ce qui avait suscité l’interrogation sur la nature du délai du 31 décembre 1991. C’est en se référant à l’article 1134 du code civil que la Cour de cassation a rendu sa décision. Contrairement à la cour d’appel, elle semble se référer davantage au contrat dans son entier et ne semble pas s’arrêter à une stipulation unique du contrat ou avant-contrat. Pour les Hauts magistrats, il fallait considérer qu’en assortissant leur promesse d’un délai de validité jusqu’au 31 décembre 1991, les époux Desrus s’étaient engagés, a fortiori à maintenir leur offre pendant ce délai. Ceci pourrait se voir justifier par l’adage „qui veut le plus, veut le moins“, la promesse étant plus contraignante qu’une simple offre, le délai devrait pouvoir s’appliquer à cette dernière. Mais il faut remarquer que le délai accordé est de quatre ans, donc assez long. En matière de promesse unilatérale de vente, il est courant que le promettant accorde au bénéficiaire un délai d’option très long mais c’est généralement contre le paiement d’une indemnité d’immobilisation. Lorsqu’il s’agit d’une offre, le pollicitant s’engage à titre gratuit. Il semble donc important d’interpréter correctement la volonté des cocontractants. En l’espèce, la Cour suprême a décidé que le délai fixé concernait aussi bien l’acceptation de la promesse de vente elle-même.
- II) Une offre qui n’est pas rendue caduque par le décès du pollicitant:
La divergence des solutions données par la cour d’appel et par la Cour de cassation n’aurait pas été autant importante si l’analyse classique de l’offre avait été retenue par la dernière. En effet, si la Cour de cassation avait statué dans le sens que le décès du pollicitant rend l’offre caduque, malgré la différence de qualification du délai par les deux cours, le résultat pour M. Castagna aurait été similaire: le décès de M. Desrus intervenu le 3 février 1989, avant l’acceptation de l’offre par M. Castagna, aurait fait échec à la réalisation de la vente. En décidant comme elle l’a fait, la Cour suprême a fait de l’offre un instrument plus sûr que la promesse (A), et a renoué avec une solution antérieurement admise (B)
- A) L’offre, un instrument plus sûr que la promesse :
La question principale du litige était le destin de l’offre en cas de décès du pollicitant.
La cour d’appel, pour débouter M. Castagna de sa demande en réalisation de la vente, avait relevé que l’offre de promesse avait été rendue caduque par le décès du pollicitant. Cette solution, classiquement admise, fait état d’une analyse volontariste du contrat; l’offre n’a d’efficacité que si elle reflète la volonté réelle de son auteur, le décès de celui-ci entraîne sa caducité, sans que l’appel à la responsabilité civile puisse tempérer ces solutions. Or, telle n’a pas été la solution retenue par la Cour de cassation. Elle a décidé, comme le veut la théorie de l’engagement unilatéral, que l’offre a une existence autonome et qu’elle subsiste malgré l’anéantissement de la volonté de son auteur, le décès ne saurait en entraîner la caducité. Cette conception aboutit indéniablement à l’irrévocabilité de l’offre. Mais à raisonner ainsi, il semblerait que la 3ème chambre civile accorde une force contraignante à l’offre, ce qu’elle refuse à la promesse unilatérale (3ème chambre civile, 15 décembre 1993). L’offre de contrat serait un instrument précontractuel beaucoup plus sûr que ne l’est la promesse unilatérale de vente. En effet, la révocation de son offre par le pollicitant pendant le délai exprès d’acceptation n’empêche pas le destinataire de cette offre, qui l’aura acceptée pendant le délai en question, d’agir en exécution forcée du contrat offert. En revanche, la révocation de son engagement de vendre par le promettant condamne le bénéficiaire de la promesse à se contenter de dommages-intérêts.
Cependant, il ne faudrait conférer à cet arrêt une portée générale. Il semblerait que la solution retenue se justifie par le fait que l’offrant s’était lié en stipulant un délai d’acceptation. Dans une configuration similaire, la 3ème chambre civile avait déjà statué dans ce sens.
- B) Une solution qui n’est pas nouvelle:
Un arrêt rendu le 9 novembre 1983 par la 3ème chambre civile s’était déjà prononcé en faveur de la transmission de l’engagement souscrit par le pollicitant aux continuateurs de sa personne; il avait retenu le maintien de l’offre au profit de la SAFER, en dépit du décès de l’un des deux pollicitants. Doit-on et peut-on parler de revirement de jurisprudence ? Encore faudrait-il que l’arrêt de 1983 ait eu valeur de jurisprudence. Certains auteurs ont qualifié la décision „d’accident de parcours“ ou „d’arrêt isolé“. Si l’on se penche de plus près sur les faits des deux espèces, l’on constatera que l’offre avait été émise par un couple d’offrants; la survie de l’un d’entre eux pourrait expliquer la solution retenue. Or, en l’espèce, la Cour fait davantage référence à l’engagement de maintien de l‘offre. Serait-on uniquement dans un cas d’espèce ? L’avenir nous en dira davantage…
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