CHAPITRE VI : LE CONTENTIEUX DE L’ANNULATION
I. La place du contentieux de l’annulation dans la vie des institutions
1. Le juge et les administrations
1. CE, administrateurs et administrés
Depuis la création du Conseil d’Etat, l’administration a dû s’adapter : maintenant que l’administré n’est plus sans recours devant l’administration, cette dernière a tendance à être plus mesurée dans ses décisions car elle ne veut pas être censurée. Il y a donc influence du Conseil d’Etat sur l’administration.
Résultat : les administrés ont pris confiance dans le Conseil d’Etat et les recours en annulation sont entrés dans les mœurs, notamment pour tout ce qui concerne le contentieux de la fonction publique. Mais le problème est que les recours des fonctionnaires ont souvent un revers de la médaille. Ils sont pris en grippe par l’administration et, même si, officiellement, celle-ci ne peut leur en tenir rigueur, elle a tendance à les défavoriser par la suite. L’administration finit donc finalement souvent par gagner malgré tout.
2. Le Conseil d’Etat et le monde politique
Le Conseil d’Etat n’est pas saisi que pour annuler des décisions purement administratives. Il est aussi parfois saisi d’affaires très politiques, et ce à tous les niveaux de pouvoir, parfois très élevés.
On en parle donc beaucoup, même si la fonction 1ère du Conseil d’Etat n’est pas de rendre des arrêts médiatiques (cf. affaire Happart) mais bien de garantir l’égalité des citoyens devant l’administration…
3. L’impact du référé
Depuis 1989 dans certains cas et 1991 de manière généralisée, le Conseil d’Etat est compétent pour suspendre un acte faisant l’objet d’un recours en annulation devant lui. Ca a bouleversé les choses puisque l’action du juge n’est plus simplement curative mais devient aussi préventive. C’est un pas en avant dans l’Etat de droit mais c’est aussi une plus grande responsabilité pour le Conseil d’Etat : il doit faire une balance des intérêts et voir ce qui risque le plus de causer un préjudice grave et difficilement réparable, la suspension ou l’absence de suspension. Ca force en fait le juge à avoir un raisonnement moins abstrait et purement juridique et plus ancré dans les faits.
4. Perversions et abus de procédure
Parfois, les recours en annulation et surtout en suspension sont détournés de leur but initial, à savoir la protection du citoyen contre l’arbitraire administratif. Exemples :
– des fonctionnaires menacent leur administration d’un recours en annulation afin d’obtenir des avantages.
– des recours sont introduits parce que l’on sait que l’administration aura tendance, par prudence, à ne pas exécuter l’acte attaqué. C’est surtout le cas en matière de contentieux des étrangers car l’Office des étrangers, pendant tout un temps, avait pour politique de ne pas rapatrier les étrangers ayant lancé un recours contre leur ordre d’expulsion. Ca a mené à un boom du contentieux des étrangers et à l’engorgement du Conseil d’Etat que l’on connaît en cette matière.
1. La loi et l’évolution du droit
1. Loi et jurisprudence
L’article 14, §1er des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat (LCCE) est le fondement du contentieux de l’annulation. Il énumère :
– les actes annulables :
- les actes et règlements émanant des autorités administratives
- les actes à caractère administratif et relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel émanant des assemblées législatives et de leurs organes, de la Cour des comptes, de la Cour d’arbitrage, des organes du PJ et du CSJ
– les causes de nullité :
- violation des formes substantielles et prescrites à peine de nullité
- excès ou détournement de pouvoir
Il est rédigé en des termes assez larges qui appellent une interprétation par la jurisprudence du Conseil d’Etat. Cette jurisprudence est évolutive. On peut la comparer aux modifications législatives qui existent en droit fiscal :
– en droit fiscal, une loi est prise, puis le contribuable trouve un moyen de la contourner. Une nouvelle loi est alors prise mais un nouveau contournement est imaginé, ce qui appelle une nouvelle loi, etc.
– en droit administratif, l’administration prend un acte qui est annulé. Elle tente alors d’agir différemment mais le Conseil d’Etat, annule à nouveau. Elle trouve alors une nouvelle voie et le Conseil d’Etat réinterprète l’article 14, § 1er pour réannuler, etc.
On voit donc que, par son interprétation de ses pouvoirs, le Conseil d’Etat fixe les limites de l’action administrative. Cette fixation évolue pour s’adapter aux stratagèmes de l’administration et il faut donc toujours bien voir quand un arrêt du Conseil d’Etat a été rendu et quelle était, à l’époque, son interprétation de ses pouvoirs.
Quoi qu’il en soi, on voit que le droit administratif se forge par une dialectique permanente entre administration et CE.
2. Un exemple : la promotion des fonctionnaires supérieurs
La jurisprudence du Conseil d’Etat a peu à peu entraîné la modification du processus de nomination des fonctionnaires supérieurs.
Avant la réforme « Copernic » (début des années 2000), la nomination des ces fonctionnaires se faisait comme suit :
1°. Proposition avec avis motivé d’un Conseil de direction composé des hauts fonctionnaires
2°. Notification de la proposition aux candidats
3°. Possibilité pour les candidats évincés s’estimant lésés d’introduire une réclamation devant le Conseil de direction qui doit les entendre
4°. Transmission de la proposition motivée, éventuellement modifiée, au ministre
5°. Décision du ministre qui n’est lié ni par la proposition ni par l’avis qui y est joint
6°. Arrêté royal de nomination du candidat choisi par le ministre
L’interprétation des ce processus par le Conseil d’Etat a évolué en plusieurs étapes :
– au début, le Conseil d’Etat a commencé par dire que ce processus, statutaire, s’imposait au roi en vertu de l’adage « patere legem quam ipse fecisti » (il faut respecter les lois qu’on a faites soi-même). Il a, dans cette optique, dit que l’avis du Conseil de direction et la possibilité des candidats évincés de faire une réclamation étaient obligatoires car c’étaient des formalités substantielles.
– ensuite, le Conseil d’Etat a dit que l’avis du Conseil de direction devait porter sur les aptitudes du candidat. Un avis portant simplement sur la volonté du ministre a été considéré comme une absence de motivation.
– mais le ministre continuait à pouvoir aller à l’encontre de l’avis du Conseil de direction sans devoir vraiment se justifier. On a donc eu des nominations à caractère politique. Pour remédier à ces dérives, le Conseil d’Etat a, en 1988, dit que le ministre pouvait ne pas suivre l’avis du Conseil de direction mais que, dans ce cas, il devait le faire pour des motifs admissibles dont le Conseil d’Etat devait pouvoir vérifier l’exactitude, la légalité et la pertinence.
II. L’acte annulable
A. Généralités
Les actes annulables par le Conseil d’Etat sont énumérés à l’article 14 LCCE :
– actes émanant d’une autorité administrative
– règlements émanant d’une autorité administrative
– actes administratifs relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel émanant des assemblées législatives et de leurs organes, de la Cour des comptes, de la Cour d’arbitrage, des organes du PJ et du CSJ
– décisions contentieuses des juridictions administratives
– décisions implicites de rejet
Parmi ces notions, le règlement et les décisions sont assez claires et prêtent peu à confusion. Par contre, la notion d’acte est beaucoup plus nébuleuse. Le Conseil d’Etat a donc dû l’éclairer via sa jurisprudence. Sont en général considérés comme des actes :
– l’acte dans son sens usuel : ce sont des actes réglementaires, juridictionnels ou individuels
- soit en tant que negotium
- soit en tant qu’instrumentum
– l’acte dans son sens plus limité : ce sont des actes à portée individuelle, par opposition au règlement et à la décision contentieuse
– d’autres « choses » nommées actes mais non susceptibles de recours en annulation (ex. actes préparatoires, confirmatifs, matériels,…)
En général, le contexte permet de voir si on a un acte annulable ou non.
B. Le règlement
1. Notion
Règlement = acte non législatif qui prescrit des règles de droit à caractère
– obligatoire
– impersonnel
– général : là, c’est à nuancer. La généralité signifie que le règlement est susceptible de régir un nombre indéterminé de situations, mais ce nombre peut en fait être assez restreint (ex. statut s’appliquant à une dizaine de fonctionnaires).
Les règlements peuvent émaner :
– du roi : ce sont les arrêtés
- d’exécution des lois pris en vertu de la Constitution ou de la loi elle-même
- de pouvoirs spéciaux
- de pouvoirs extraordinaires
– des gouvernements des entités fédérées (ou de leurs membres en vertu de délégations)
– des ministres fédéraux
– des provinces, agglomérations et communes
– de certains fonctionnaires
– d’établissements parastataux
Tout règlement est annulable dans toutes ses dispositions, même celles qui ne font que reproduire un règlement antérieur.
2. Les règlements ratifiés, confirmés ou validés par la loi
a) Notion
– la ratification d’un règlement est un acte par lequel le PL s’en approprie la teneur et en fait, par là, un acte législatif.
– la confirmation d’un règlement est une opération du PL qui permet de le soustraire aux contrôles juridictionnels sans pour autant changer sa nature réglementaire.
– la validation d’un règlement est comme une confirmation mais qui intervient lorsque l’on sait que l’acte n’est pas valide (parce qu’il y a contestation, voire parce qu’il a été annulé par le CE), et ce dans le but de couvrir cette invalidité.
Ce sont 3 pratiques qui permettent de soustraire des règlements au contrôle du Conseil d’Etat. Elles sont différentes mais leur effet est le même. On va donc utiliser le terme générique de confirmation pour les désigner.
La confirmation des règlements est de plus en plus souvent utilisée, et ce, malheureusement, souvent au détriment de l’Etat de droit. Cependant, un règlement confirmé par une loi ne devient pas totalement intouchable. Il peut en effet subir le contrôle de compatibilité des actes législatifs avec :
– le droit international directement applicable
– les règles de contrôle de la Cour d’arbitrage
b) Le contrôle de compatibilité avec le droit international directement applicable
Quand un règlement est contraire au droit international directement applicable et qu’il est confirmé par une loi, non seulement le règlement mais aussi la loi de confirmation sont contraires au droit international directement applicable.
Résultat : la loi est inapplicable, il faut faire comme si le règlement n’avait jamais été confirmé et donc, il peut être annulé par le Conseil d’Etat.
Ex. : l’Etat est partie à un procès où la validité d’un règlement est mise en cause à juste titre et, pour éviter une condamnation de l’Etat, le PL confirme le règlement. C’est une ingérence du PL dans l’administration de la justice qui est contraire à l’article 6 CEDH et donc, la loi de confirmation étant nulle, le règlement pourra être annulé.
c) Le contrôle de compatibilité avec les règles de contrôle de la Cour d’arbitrage
Quand la confirmation d’un règlement est contraire aux règles de contrôle de la Cour d’arbitrage, le Conseil d’Etat ne peut le constater lui-même. La Cour d’arbitrage doit intervenir :
– soit saisie par une question préjudicielle posée par le CE
– soit saisie d’un recours en annulation
En général, elle annulera la loi de confirmation (ce qui permettra au CE d’annuler le règlement) si celle-ci est contraire aux principes d’égalité et de non discrimination.
Pour voir ça, il faut en général faire une distinction entre 2 situations :
– celle où la confirmation était prévue dès l’origine : dans ce cas, elle a rarement pour but d’influer dans un procès pour favoriser l’Etat et donc, il n’y a en principe pas lieu d’annuler.
– celle où la confirmation est décidée après coup : dans ce cas, le but est souvent d’influer dans un procès pour favoriser l’Etat, ce qui rompt l’égalité des parties devant la justice. Là, il y aura souvent lieu d’annuler.
Cependant, il faudra toujours voir au cas par cas si la confirmation est vraiment contraire aux normes de contrôle de la Cour d’arbitrage.
3. Les règlements imparfaits
Certains actes administratifs présentent certaines caractéristiques du règlement mais pas toutes. Ca a pour conséquence qu’ils ne seront pas toujours traités comme des règlements.
Ca a peu d’importance en ce qui concerne la compétence du Conseil d’Etat section A, puisqu’il peut annuler tous les actes administratifs.
Par contre, ça influe sur la nécessité d’accomplir ou non certaines formalités attachées aux règlements et donc sur la régularité de l’acte selon que ces formalités auront ou non été accomplies.
Quelles sont ces formalités ?
– règlements qui sont des arrêtés royaux, ministériels ou du gouvernement d’une entité fédérée :
- ils doivent être soumis à l’avis du Conseil d’Etat section L (sauf urgence motivée) : il existe toutefois quelques exceptions (ex. cadres administratifs et linguistiques des ministères, sécurité routière).
- ils peuvent être écartés par une juridiction en vertu de l’article 159 de la Constitution (exception d’illégalité) : à ce sujet, il y a cependant une controverse entre l’ordre judiciaire et le Conseil d’Etat. L’ordre judiciaire s’autorise à écarter tout acte administratif illégal alors que le Conseil d’Etat estime qu’une fois le délai de recours en annulation expiré, l’acte illégal est confirmé et ne peut plus donner lieu à contestation.
– actes administratifs individuels : ils doivent être motivés formellement en vertu de la loi du 29/07/91 sur la motivation formelle des actes administratifs alors que les règlements, eux, ne doivent pas l’être.
4. Les circulaires
Les circulaires ont des points communs avec le règlement mais elles en diffèrent sur un point important : elles n’ont pas de force obligatoire absolue.
Il existe différents types de circulaires :
– celles qui sont de simples commentaires législatifs : elles expliquent une loi aux personnes les plus concernées sans contenir de règle nouvelle.
Quid si elles contiennent malgré tout des règles nouvelles ?
- on pourrait les considérer comme simplement inopérantes et dans ce cas, le Conseil d’Etat rejetterait tout recours contre elles.
- mais le Conseil d’Etat préfère les considérer comme des règlements et les annuler pour incompétence ou non respect des formes.
– celles qui contiennent des instructions que le chef d’une administration adresse à ses subordonnés et, dans la même veine, celles que toute autorité adresse aux personnes sur qui elle a un pouvoir de contrainte (ex. ordres professionnels vis-à-vis de leurs membres).
– celles qui contiennent des instructions qu’une autorité exerçant la tutelle administrative adresse aux pouvoirs qui lui sont subordonnés.
Les instructions doivent se limiter à être des lignes directrices qui laissent un pouvoir d’appréciation au pouvoir subordonné. Autrement, la circulaire devient un règlement annulable.
5. Des règlements non annulables : les CCT
Les CCT sont des accords, négociés au sein des CP, qui fixent par voie de disposition générale les conditions de travail dans tel ou tel secteur économique.
Depuis les années ’80, le Conseil d’Etat considère les CP comme des autorités administratives. De plus, les CCT ont force obligatoire vis-à-vis de personnes n’ayant pas participé à leur élaboration.
Pour ces 2 raisons, on peut considérer les CCT comme des règlements. C’est ce qu’a confirmé le Conseil d’Etat dans un arrêt du 12/04/89.
Mais une loi de 1991 a été prise pour soustraire les CCT au contrôle du Conseil d’Etat, section A. Cependant, elle ne conteste pas le caractère réglementaire des CCT. Il faut donc considérer que ce sont des règlements mais non soumis au contrôle de la section A.
C. L’acte administratif s.s.
1. Notion
Le terme « acte » est très large et donc très vague. Ici, on ne va parler que de l’acte administratif s.s., c’est à dire de l’acte annulable par le Conseil d’Etat.
Il s’agit de toute manifestation unilatérale de volonté de l’administration, destinée à produire des effets juridiques et qui, contrairement au règlement, n’est pas susceptible de s’appliquer à un nombre indéterminé de situations et de personnes. C’est un acte dit individuel même quand il s’applique à plusieurs personnes car c’est toujours un nombre limité de personnes.
On dit qu’il épuise ses effets lors de sa 1ère application, même si ces effets peuvent, eux-mêmes, se prolonger dans le temps.
Ex. un permis d’urbanisme : il autorise une personne déterminée à faire des travaux déterminés et, une fois ces travaux réalisés, ils pourront se maintenir indéfiniment.
Remarque : comme il existe des règlements imparfaits, il existe aussi des actes individuels imparfaits, c’est à dire qui ont certaines caractéristiques du règlement. Dans ce cas, les aspects créateurs de droits sont soumis au régime de l’acte individuel et les aspects normatifs sont soumis au régime du règlement.
2. Forme
En général, les actes administratifs sont adoptés dans le respect de certaines formalités. Ils sont :
– écrits (acte authentique)
– datés
– signés
– rédigés suivant un schéma qui sépare bien les motifs et le dispositif
– formellement motivés, c’est à dire motivés dans l’instrumentum lui-même (cf. loi du 29/07/91 sur la motivation formelle des actes administratifs)
Cependant, certains actes administratifs sont beaucoup moins formels :
– certains sont de simples propositions rédigées par l’administration dans des formulaires où le ministre a écrit ok, avec son paraphe. Ce n’est que la version notifiée de l’acte qui sera rédigée dans les formes, mais pas l’original.
– d’autres sont purement verbaux. Ca pose alors le problème de la preuve et de la motivation formelle de l’acte.
3. Les actes quasi juridictionnels
Certains actes administratifs sont qualifiés par certains juges de « quasi juridictionnels ».
Leur nature intrinsèque reste administrative et non juridictionnelle : ils ne sont donc pas soumis aux art. 145, 146 et 161 de la Constitution, mais leur objet et la procédure qui y conduit les fait ressembler à des actes juridictionnels (principe du contradictoire, droit à l’assistance d’un avocat, impartialité de l’autorité qui prend l’acte).
Ex. : action disciplinaire, sanctions administratives,…
4. Les actes négatifs
Les actes négatifs sont ceux par lesquels l’administration, saisie d’une demande, refuse d’y accéder (ex. rejet d’une candidature, refus de permis d’urbanisme,…).
De tels refus peuvent faire l’objet d’un recours en annulation, mais s’il y a annulation, ça ne vaudra pas acceptation de l’administration ; ça l’obligera seulement à se prononcer à nouveau.
Remarque :
– en principe, seule l’autorité administrative compétente pour prendre la décision peut refuser de la prendre. Il existe une seule exception : quand c’est le roi qui est compétent, le refus peut émaner d’un ministre et consiste alors en un refus de soumettre la demande au roi.
– quand une demande est adressée à une autorité incompétente pour la satisfaire, un refus est logique et ne peut donc faire l’objet d’un recours en annulation.
– quand un administré demande à une autorité de tutelle de mettre en œuvre son pouvoir d’annulation et que celle-ci refuse, sa décision n’est pas susceptible d’annulation. C’est la décision de base, celle contre laquelle l’administré avait demandé la mise en œuvre de la tutelle, qui devra faire l’objet du recours.
5. Les abstentions
a) Position du problème
Parfois, des demandes introduites devant l’administration restent anormalement longtemps sans réponse (perte du dossier, embarras de l’administration, demande saugrenue,…).
Ces situations donnent une très mauvaise image de l’administration.
b) Solution : l’article 14, § 3 LCCE
Pour aider le citoyen contre l’inertie administrative, une loi de1971 a inséré dans les LCCE l’article 14, § 3 qui prévoit que, une fois mise en demeure de statuer, si l’administration ne statue pas dans les 4 mois, elle est réputée avoir rejeté la demande, ce qui permet d’introduire un recours en annulation contre ce rejet.
Cet article requiert le respect de 3 conditions d’application :
1°. Il est supplétif :
L’article ne peut s’appliquer que quand la loi n’accorde pas d’effet particulier au silence de l’administration. Parfois en effet, une loi particulière prévoit un délai pour l’administration et des conséquences spécifiques si elle ne le respecte pas.
2°. Il faut que l’autorité administrative soit tenue de statuer :
L’article ne peut s’appliquer que quand l’autorité administrative omet de statuer alors qu’elle devait le faire. Si elle avait le droit de ne pas statuer, l’article ne peut pas jouer (ex. une autorité de tutelle n’est jamais tenue de statuer).
Dans ce cas, toute personne ayant un intérêt à ce que l’administration statue, que ce soit via une décision individuelle la concernant personnellement ou via une mesure plus générale, peut agir et demander l’annulation de la décision implicite de rejet.
Mais en général, s’il y a annulation, ce sera assez décevant puisque le Conseil d’Etat ne fera qu’obliger l’administration à restatuer : il ne peut pas prendre à sa place une décision favorable au requérant.
3°. Il faut respecter une certaine procédure :
– 1ère étape : la mise en demeure
Le requérant doit avant tout mettre l’autorité administrative en demeure de statuer. Ca doit se faire par un écrit qui somme l’autorité de statuer de façon assez précise pour qu’elle ne puisse se méprendre sur ce qu’on attend d’elle.
Il faut bien sûr se réserver une preuve de cette mise en demeure (par ex. un recommandé).
– 2ème étape : l’attente de 4 mois
Apde la mise en demeure, un délai de 4 mois se met à courir. Il se décompte selon le droit commun (C.J.).
Pendant ce délai, 3 possibilités :
· soit l’administration statue et accède à la demande de l’intéressé : dans ce cas, il est satisfait et le processus s’arrête là
· soit l’administration statue et rejette la demande de l’intéressé : dans ce cas, il peut introduire un recours en annulation contre la décision de rejet mais on n’est pas dans le champ d’application de l’article 14, § 3 LCCE
· soit l’administration ne statue pas ou statue mais la décision ne vient pas de l’autorité compétente : dans ce cas, on est dans le champ d’application de l’article 14, § 3 LCCE et on peut passer à la 3ème étape
– 3ème étape : le recours contre la décision implicite de rejet
Si après 4 mois, l’autorité administrative n’a pas statué, il y a décision implicite de rejet contre laquelle l’administré a 60 jours pour introduire un recours en annulation. Il obtiendra alors un arrêt par lequel le Conseil d’Etat constate que l’administration devait statuer, ne l’a pas fait, et doit donc le faire.
Apde là, si l’administration persiste à ne pas statuer, des astreintes pourront être requises contre elle.
6. Les contrats : la théorie des actes détachables
a) Inattaquabilité du contrat
Un contrat conclu par l’administration n’est pas attaquable devant le Conseil d’Etat, et ce pour 2 raisons :
– ce n’est pas une manifestation unilatérale de volonté visée par l’article 14 LCCE mais bien un accord de volontés
– il crée des droits subjectifs dont le juge est l’ordre judiciaire
b) Origine française
Le Conseil d’Etat n’étant apparu en Belgique qu’en 1946, c’est en France que s’est posée pour la 1ère vois la question de l’annulabilité des contrats administratifs par le Conseil d’Etat.
Avant le XXème siècle, elle n’était admise que dans quelques cas limités qui ne reposaient sur aucune théorie structurée. Mais vers le début du XXème siècle, suite à certains arrêts du Conseil d’Etat, la doctrine a dégagé la théorie de l’acte détachable qui sépare en fait le contrat (acte bilatéral inattaquable) de la décision de conclure ce contrat (acte unilatéral attaquable). La jurisprudence a suivi.
c) Transposition en Belgique
Dès sa création, le Conseil d’Etat belge a suivi la théorie française de l’acte détachable ; d’abord sans s’expliquer puis en reprenant le même raisonnement que le Conseil d’Etat français.
L’idée est que la décision unilatérale de l’administration est annulable par le Conseil d’Etat mais pas les aspects bilatéraux du contrat (par ex. son exécution ou sa résiliation) car ils mettent en jeu des droits subjectifs qui relèvent du PJ.
d) Appréciation
La théorie de l’acte détachable a des effets positifs et négatifs :
1°. Effet positif : elle permet un contrôle plus poussé des contrats administratifs, et notamment des marchés publics
2°. Effet négatif : elle entraîne un partage du contentieux des contrats administratifs entre le Conseil d’Etat et le PJ, avec des possibilités de décisions discordantes.
En effet, imaginons que le Conseil d’Etat annule une décision de contracter prise par l’administration. Ca prouve que le contrat est entaché d’un vice de consentement dans son chef. Mais ce vice ne crée qu’une nullité relative du contrat. Il ne sera donc lui-même annulé que si l’administration le demande, ce qu’elle a rarement intérêt à faire.
Résultat : la plupart du temps, la vraie victime de la décision de contracter, le soumissionnaire irrégulièrement évincé ne peut, lui, pas demander l’annulation du contrat. Tout ce qu’il peut obtenir, ce sont des D.I.
– avant, il pouvait assez facilement prouver la faute de l’administration grâce à l’arrêt d’annulation du Conseil d’Etat mais il devait encore prouver un dommage et un lien de causalité entre les 2.
Or, mise à part la procédure d’adjudication où le marché doit d’office aller au moins disant, les autres procédures de marchés publics (appel d’offres, négociation, adjudication restreinte) impliquent un plus grand pouvoir d’appréciation de l’administration, sur lequel le juge n’a qu’une contrôle marginal.
En général donc, on doit se contenter d’une indemnisation pour la perte d’une chance.
– aujourd’hui, depuis 1976, c’est cependant devenu plus simple : en matière d’adjudication, le soumissionnaire évincé a d’office droit à un dédommagement forfaitaire égal à 10% du montant du marché (et réparation intégrale si l’éviction découle d’un acte de corruption). Mais ça ne s’applique toujours qu’à l’adjudication…
e) Prospective
Pour éviter les effets négatifs exposés supra, il faudrait en fait que la conclusion du contrat ne puisse pas se faire tant que les contestations sur la décision de conclure n’ont pas été vidées.
On a imaginé recourir pour ça au contentieux de la suspension : le soumissionnaire évincé pourrait demander la suspension de la décision de conclure. Mais on se heurte aux conditions de recevabilité du recours en suspension :
– il faut des moyens sérieux, c’est à dire susceptibles de justifier une annulation de la décision
– il faut un risque de préjudice grave et difficilement réparable : là, le problème est que
- en général, il n’y a pas de risque de préjudice mais bien un préjudice déjà existant : en effet, en général, les soumissionnaires évincés apprennent leur éviction alors que le contrat est déjà formé
- certaines chambres du Conseil d’Etat reconnaissent très rarement qu’un préjudice est grave et difficilement réparable (conditions très strictes et pas seulement pécuniaires)
Bref, il a fallu attendre une loi de 2004, prise sous la contrainte européenne, pour qu’un progrès soit fait.
Cette loi impose à l’administration de prévenir les soumissionnaires évincés 10 jours avant de conclure le contrat de marché public. Ce délai doit leur permettre d’introduire un recours en extrême urgence (CE) ou en référé (PJ) s’il y a risque de préjudice grave et difficilement réparable.
C’est mieux mais il reste 3 problèmes :
– la loi ne s’applique qu’aux contrats dont le montant est tel qu’ils ont une publicité au niveau européen.
– la loi ne définit pas le préjudice grave et difficilement réparable, ce qui ramène au problème de la jurisprudence très restrictive de certaines chambres du Conseil d’Etat.
– le délai de 10 jours est un peu trop court pour agir.
7. Les actes de gouvernement
a) Origine et évolution en France
Quand le Conseil d’Etat français n’exerçait encore qu’une justice retenue, il pouvait connaître de tous les actes émanant du gouvernement puisque, de toute façon, c’était le gouvernement qui tranchait au final. Cependant, il se refusait toujours à connaître des actes à caractère politique.
Puis, le Conseil d’Etat a acquis le pouvoir d’exercer une justice déléguée. Apde là, le gouvernement était davantage menacé puisqu’il était tenu par ses arrêts, et le législateur a donc prévu, pour compenser ça, que le gouvernement pourrait soustraire de la compétence du Conseil d’Etat « les affaires qui n’appartiennent pas aux tribunaux administratifs ».
C’est la théorie des actes de gouvernement selon laquelle le gouvernement peut parfois soustraire certains de ses actes au contrôle du Conseil d’Etat quand il est amené, dans un but de nécessité publique, à prendre des mesures qui attentent aux droits privés.
En gros, on peut classer les actes de gouvernement en 4 grandes catégories :
– ceux qui traitent des rapports entre le gouvernement et les chambres (ex. convocation, dissolution,…)
– ceux qui traitent de la sûreté intérieure de l’Etat (ex. déclaration d’état de siège, mesures sanitaires,…)
– ceux qui traitent de la sûreté extérieure de l’Etat et des rapports internationaux (ex. traités, expulsions diplomatiques,…)
– ceux qui traitent de faits de guerre
En tout cas, cette théorie est une restriction au principe de l’Etat de droit et est donc de plus en plus contestée. La jurisprudence a tendance à interpréter de plus en plus restrictivement la notion d’acte de gouvernement, ce qui fait qu’aujourd’hui, seuls certains actes tombent dans cette catégorie, de façon empirique, mais qu’il n’y a plus de caractéristiques types de l’acte de gouvernement.
b) Les actes de gouvernement en droit belge
En Belgique, la théorie des actes de gouvernement a été invoquée lors des travaux préparatoires de la loi de 1946 sur le Conseil d’Etat. Il semble que le législateur voulait implicitement l’adopter.
Mais en pratique, dans la jurisprudence, elle n’a jamais vraiment été utilisée. Il existe, certes, des actes émanant du gouvernement qui ne sont pas soumis au contrôle du Conseil d’Etat, mais c’est pour des raisons différentes. Exemples :
– décision du ministre des affaires étrangères de déclarer un diplomate persona non grata : c’est une convention internationale qui soustrait cette décision à toute obligation de motivation et donc à tout contrôle
– conclusion de traités internationaux : on considère que le contrôle de la Cour d’arbitrage sur la loi d’assentiment au traité est suffisant
– arrêtés de grâce ou conférant des titres de noblesse : on considère que personne n’a d’intérêt à leur annulation
– promulgation des actes législatifs : en France, c’est considéré comme un acte de gouvernement mais ce n’est pas vraiment justifié (il n’y a pas de nécessité publique, pas d’atteinte aux droits privés et pas de pouvoir d’appréciation politique).
En Belgique, on considère que le contrôle de la Cour d’arbitrage sur la loi promulguée est suffisant. D’ailleurs, autoriser un contrôle du Conseil d’Etat sur la promulgation serait autoriser un contrôle du Conseil d’Etat sur la loi, ce qui n’entre pas dans ses compétences.
– validation par le Conseil provincial de l’élection de ses membres : 2 arrêts du Conseil d’Etat laissent à penser qu’il a refusé d’en connaître parce qu’il s’agissait d’actes de gouvernement, mais en fait, le refus vient du fait qu’il s’agit d’actes juridictionnels. Ils n’émanent d’ailleurs pas du gouvernement mais simplement du Conseil provincial.
c) L’incidence du droit communautaire
L’article 6 CEDH, qui garantit le droit à un recours effectif, est considéré comme un PGD par la CJCE.
Le droit communautaire admet d’y déroger pour des motifs de sécurité publique mais les juridictions doivent toujours pouvoir contrôler si le gouvernement a bien apprécié la notion de sécurité publique.
Ce n’est donc pas parce que le gouvernement prend un acte et le qualifie d’acte de gouvernement qu’il est soustrait à tout contrôle. Un juge peut être amené à vérifier s’il mérite vraiment d’être appelé acte de gouvernement, c’est à dire si la sécurité publique justifie vraiment qu’il soit soustrait à tout contrôle.
8. Les actes interlocutoires
a) Notion
En général, avant que l’administration ne prenne une décision, on a tout un processus de préparation lors duquel différents actes peuvent être posés (ex. appel à des experts, consultation des administrés,…). Ce sont des formalités dont certaines sont obligatoires et d’autres pas.
La plupart de ces formalités sont appelées actes préparatoires et n’ont pas de portée juridique. Elles ne sont donc pas susceptibles de recours au CE.
Mais certaines de ces formalités, dites actes interlocutoires, ont une portée juridique car elles déterminent le cours de la procédure en éliminant certaines décisions potentielles (ex. détermination de critères à remplir pour postuler à un emploi public). Ces actes là peuvent faire l’objet d’un recours au CE.
b) Implications procédurales
La jurisprudence du Conseil d’Etat est partagée en ce qui concerne les recours contre des actes interlocutoires :
1°. Quand le requérant attaque à la fois l’acte interlocutoire et la décision finale, ça ne pose pas de problème : si le Conseil d’Etat annule l’acte interlocutoire, il annulera aussi la décision finale puisqu’elle découle d’un acte nul.
2°. Quand le requérant n’attaque que l’acte interlocutoire, il y a 3 courants :
– certains arrêts estiment que le recours est sans intérêt et donc irrecevable
– d’autres acceptent le recours et annulent l’acte interlocutoire
– d’autres acceptent le recours, annulent l’acte interlocutoire, et considèrent même qu’il contient implicitement un recours contre la décision finale qu’ils annulent aussi
3°. Quand le requérant n’attaque que la décision finale, il y a aussi 3 courants :
– certains arrêts acceptent que le requérant appuie son argumentation sur une irrégularité dans un acte interlocutoire (comme il l’appuierait sur une irrégularité dans un acte préparatoire)
– d’autres considèrent que le recours contre la décision finale contient implicitement un recours contre l’acte interlocutoire qui a amené à la prendre
– d’autres considèrent l’acte interlocutoire comme une décision et rejettent les recours en annulation d’une décision finale basée sur un tel acte interlocutoire car, selon une jurisprudence constante, on ne peut contester par voie incidente la légalité d’une décision quand le délai de recours en annulation est dépassé
— Il y a insécurité juridique et il est donc plus prudent pour le requérant d’introduire dès le départ un recours dirigé à la fois contre l’acte interlocutoire et contre la décision finale.
C’est cependant dommage d’en arriver là car parfois, une seule annulation suffirait au requérant…
9. Les « actes » non annulables
a) Notion
Toute une série d’actes ne sont pas annulables par le Conseil d’Etat :
– soit parce qu’ils ne réunissent pas toutes les conditions nécessaires pour être des actes administratifs
– soit parce que, tout en étant des actes administratifs,
- ils sont soustraits à la compétence du Conseil d’Etat par une disposition expresse
- ils relèvent d’un autre recours administratif
- ils peuvent être déférés à une autre juridiction
b) Les actes expressément exclus
La loi peut soustraire des actes administratifs au contrôle du Conseil d’Etat.
C’est très rare et, parfois, ça vise des actes dont le caractère administratif est douteux.
Ex. : les CCT (v. supra).
c) Les actes matériels
Les actes matériels sont de simples faits commis par l’administration.
Ex. : contrôle d’identité, destruction d’un document,…
Comme ils n’ont pas pour but de modifier une situation juridique, ils ne sont pas susceptibles de recours en annulation.
d) Les mesures d’ordre intérieur
Les mesures d’ordre intérieur sont des décisions prises par l’administration afin d’organiser son fonctionnement.
Ex. : mutation dans l’armée, transfert d’un agent d’un service à un autre,…
En principe, comme elles n’ont pas d’incidence sur la situation juridique de qui que ce soit, elles ne sont pas susceptibles de recours en annulation. Cependant, elles ont parfois une certaine influence :
– soit elle est minime et dans ce cas, elles ne sont pas annulables car « de minimis non curat praetor »
– soit elle est plus importante et dans ce cas, elles sont annulables. C’est le cas dans 2 types de situations :
- quand la mesure est prise en raison du comportement de l’agent (sanction déguisée)
- quand la mesure consiste en un changement d’affectation qui oblige l’agent à changer de lieu de travail ou à changer la manière dont il accomplit son travail
Remarque : il ne faut pas confondre mesures d’ordre intérieur et mesures d’ordre.
Les mesures d’ordre sont prises pour maintenir un bon ordre dans le service public et sont annulables car elles peuvent avoir des effets sur la situation juridique des personnes visées (ex. suspension d’un agent qui fait l’objet d’une instruction disciplinaire).
e) Les actes préparatoires
1) Principe
Les actes préparatoires sont tous les actes accomplis lors de la procédure aboutissant à une décision administrative.
Ex. : appel aux candidats, rapports, échange de correspondance, organisation d’examens,…
Comme ils ne modifient pas une situation juridique, ils ne sont pas annulables. Cependant, leur irrégularité peut être invoquée à l’appui d’un recours en annulation dirigé contre la décision finale (violation des formes substantielles).
2) Qualification liée au sens de la décision
Comme on a vu supra, il ne faut pas confondre acte préparatoire (inattaquable) et acte interlocutoire (attaquable).
Pour bien faire la différence entre les 2, il faut voir si la décision a un caractère favorable ou défavorable :
– si elle est favorable, c’est un acte préparatoire : en effet, elle ne ferme pas de possibilités.
Ex. : en matière de permis d’urbanisme, avis positif du fonctionnaire délégué avant que ne statue le collège des bourgmestre et échevins. Il laisse à ce dernier la liberté de choix.
– si elle est défavorable, c’est un acte interlocutoire : en effet, elle ferme des possibilités.
Ex. : dans le même hypothèse, avis négatif du fonctionnaire délégué. Il ne laisse pas le choix au collège des bourgmestre et échevins qui doit refuser le permis.
3) Qualification et objet du recours
Un acte préparatoire n’a pas nécessairement aucun effet juridique : il peut en avoir mais il n’a en tout cas pas d’effet juridique sur la décision finale à la préparation de laquelle il concourt.
Ex. : une entreprise demande un permis d’urbanisme. L’administration peut lui imposer, avant de se prononcer, de recourir à un bureau d’études. Cette décision n’aura pas d’effet juridique sur la décision finale de l’administration d’accorder ou non le permis, mais elle aura des effets juridiques, comme par ex. le contrat que l’entreprise va passer avec le bureau d’études.
4) Les actes préparatoires à des décisions supranationales
Quand une décision est prise au niveau de l’UE, elle l’est suite à une procédure de décision qui se déroule d’abord au niveau national, puis au niveau supranational communautaire.
On a donc des actes préparatoires pris au niveau national et d’autres pris au niveau communautaire.
– ceux pris au niveau communautaire sont susceptibles d’annulation par le Tribunal de 1ère instance ou la CJCE.
– ceux pris au niveau national ne le sont pas et ne devraient en principe pas non plus l’être par le Conseil d’Etat puisque ce ne sont que des actes préparatoires. Cependant, la CJCE estime qu’il y a là une lacune dans la protection juridictionnelle, qui est contraire au droit communautaire. Dans ce domaine là, donc, la Belgique a dû accepter que le Conseil d’Etat connaisse de recours en annulation dirigés contre des actes préparatoires.
5) Les actes préparatoires à effet immédiat
Dans certains domaines, les actes préparatoires à une décision définitive peuvent avoir des effets immédiats, c’est à dire qui se concrétisent dès l’adoption de l’acte préparatoire, sans attendre la décision définitive. Ces actes là sont attaquables.
Ex. : les actes préparatoires à la décision définitive de classer un monument ou un site (ex. interdiction de démolir, obligation de restaurer avec des matériaux d’origine,…).
Ils peuvent faire l’objet d’un recours en annulation, mais celui-ci se heurte à 3 obstacles :
– l’arrêt sur le recours contre l’acte préparatoire risque de n’intervenir qu’une fois que la décision finale sera prise.
– il est très difficile d’obtenir une suspension de l’acte préparatoire car il remplit très rarement la condition de risque de préjudice grave et difficilement réparable : en effet, en général, les actes préparatoires sont des interdictions de toucher au monument ou au site visé, donc ils ne sont pas vraiment préjudiciables.
– le contrôle du Conseil d’Etat sur l’acte préparatoire risque d’être assez limité : en effet, l’acte attaqué est préparatoire et le Conseil d’Etat a donc peu d’éléments pour statuer en connaissance de cause. Il n’annulera donc que si l’acte est manifestement irrégulier.
f) Les actes confirmatifs
Parfois, quand un administré n’est pas d’accord avec une décision de l’administration, il tente de la faire revenir sur ses positions par un recours gracieux ou par des démarches informelles. L’administration confirme alors en général sa décision. Cette confirmation n’est pas une nouvelle décision et n’ouvre pas de nouveau délai de recours en annulation.
Mais il y a 2 types d’exceptions :
– si les arguments de l’administré semblent convaincants, il arrive que l’administration se remette vraiment en cause et réexamine le dossier. Si, après ça, elle confirme sa 1ère décision, l’acte confirmatif sera considéré comme une nouvelle décision ouvrant un nouveau délai de recours en annulation.
– si la 1ère décision émanait en fait d’un agent subalterne qui n’en avait même pas référé à ses supérieurs compétents et que ceux-ci la « confirment » sur insistance de l’administré, cette « confirmation » sera susceptible d’un recours en annulation car c’est en fait la vraie 1ère décision puisque la 1ère avait été prise par un agent incompétent.
g) Les actes d’exécution
Parfois, une décision administrative doit faire l’objet de mesures d’exécution pour être pleinement efficace.
Ces mesures sont elles annulables ? Ca dépend :
– soit elles ont une existence autonome : c’est le cas quand elles relèvent d’un pouvoir de décision et quand elles modifient une situation juridique.
Ex. : nominations en exécution de l’extension d’un cadre administratif, décisions individuelles appliquant un règlement, certaines mesures d’exécution de décisions judiciaires (ex. extradition),…
— Ces mesures sont annulables.
– soit elles n’ont pas d’existence autonome : c’est le cas quand elles ne relèvent pas d’un pouvoir de décision et exécutent simplement un acte administratif sans rien lui ajouter.
Ex. : ordre de quitter le territoire fait à un étranger dont on a refusé la demande d’asile politique,…
— Ces mesures ne sont pas annulables.
h) Explications et renseignements
Souvent, les administrés demandent des renseignements à l’administration qui, la plupart du temps, y répond.
Ces renseignements fournis par l’administration ne sont pas susceptibles de recours en annulation, même quand l’administration est tenue de les donner.
Tout au plus peuvent-ils fonder une action en responsabilité civile contre l’administration s’ils sont erronés.
i) Décisions de principe et déclarations d’intention
Dans un but de cohérence, l’administration adopte parfois des lignes de conduite qu’elle décide de suivre pour toute une série de décisions futures.
Même si ces lignes de conduite peuvent parfois ressembler à des décisions obligatoires, elles n’en sont pas : ce ne sont que des actes préparatoires. Seule la véritable décision, celle qui est prise en suivant ces lignes de conduite, est attaquable, et ce même si c’est la même autorité qui a adopté les lignes de conduite et la décision finale.
j) Les punitions militaires
Lors de la création du Conseil d’Etat, il y a eu une volonté de ne pas soumettre à son contrôle les décisions relatives à la discipline militaire, dans l’idée qu’à l’armée, tout doit se régler « en interne ».
On a partiellement suivi cette idée en reprenant une distinction ancienne entre 2 catégories de décisions relatives à la discipline militaire :
– celles qui sont des mesures disciplinaires (ex. blâme, réprimande,…) : elles affectent la situation administrative de l’intéressé
— annulables.
– celles qui sont des punitions (ex. privation partielle de liberté) : elles n’affectent pas la situation administrative de l’intéressé
— pas annulables.
Cette distinction est cependant assez contestable car l’accumulation de punitions peut amener à une mesure disciplinaire. De plus, certains mêmes actes sont tantôt qualifiés de peines et tantôt de mesures. Bref, le principe est clair mais le critère de distinction l’est moins…
k) Actes tacites
Certaines dispositions prévoient que, quand un administré demande une autorisation administrative et n’obtient pas de réponse dans un certain délai, il peut passer à exécution, à condition de respecter certaines exigences de forme et de procédure.
Ces dispositions, destinées à lutter contre l’inertie administrative dans des domaines comme par ex. l’urbanisme, créent une sorte de permis tacite. Mais ces « permis » découlent de la loi et non d’une décision administrative : ils ne sont donc pas susceptibles de recours au CE.
Notons que, dans toute une série de cas, ces permis tacites ont été contestés du fait de leur incompatibilité avec le droit communautaire ou la constitution. Les dispositions qui en prévoient sont donc aujourd’hui très limitées.
III. L’autorité administrative
A.Notion
La notion d’autorité administrative fait l’objet d’une jurisprudence abondante mais est cependant difficile à cerner et en perpétuelle évolution.
Aujourd’hui, malgré la volonté de beaucoup d’autorités d’échapper à cette qualification (dans le but d’échapper au contrôle du CE), la jurisprudence tend à considérer comme autorités administratives l’ensemble du secteur public à l’exception des organes législatifs et judiciaires.
B.Ministères, provinces, communes, etc.
Il n’y a jamais eu de doute sur le fait que les organes du PE étaient des autorités administratives.
Ca vise notamment le roi, les ministres et les fonctionnaires placés sous leur hiérarchie, les provinces, les communes et les établissements qui en dépendant (ex. CPAS).
C.Cabinets ministériels et appropriations indues de pouvoirs
A la base, le Conseil d’Etat refusait de considérer les membres des cabinets ministériels comme des autorités administratives.
Mais peu à peu, il s’est rendu compte que ça aboutissait à soustraire leurs décisions à tout contrôle. Il a donc accepté d’en connaître et de les annuler, mais tout en continuant à dire que les membres des cabinets n’étaient pas des autorités administratives et que c’était justement la raison de l’annulation de leurs décisions.Ca n’était toutefois pas très cohérent vu que le Conseil d’Etat n’est en principe compétent que pour connaître des décisions émanant d’autorités administratives.
On reconnaît donc aujourd’hui que les membres des cabinets sont des autorités administratives, mais on annule systématiquement leurs décisions car ils sont incompétents.
D.Parastataux et autres établissements publics
Les parastataux sont tous les organismes qui découlent du procédé de décentralisation par services, qu’ils relèvent du droit privé ou du droit public.
Parmi eux se pose la question de savoir lesquels peuvent être considérés comme des autorités administratives. C’est très disputé :
– à la base, on n’a considéré comme autorités administratives que les organismes qui correspondaient à la définition de Buttgenbach du SP organique : « une entreprise créée par les gouvernants, placée sous leur haute direction et soumise à un régime juridique spécial qui a pour but de donner satisfaction à des besoins collectifs du public d’une façon régulière et continue et en respectant la loi d’égalité des usagers ».
Mais c’était difficile à appliquer car cette définition mêle des critères :
- organique (création et direction par les gouvernants)
- juridique (régime spécial)
- fonctionnel (but de satisfaction de besoins collectifs)
- tenant à des règles de fonctionnement (continuité du SP et égalité des usagers)
Il était rare qu’un organisme cumule parfaitement tous ces critères.
– suite à une évolution (pas nécessairement achevée), la Cour de Cassation a revu le critère à la baisse et a admis qu’on considère comme autorité administrative tout organisme ayant le pouvoir de prendre des décisions obligatoires à l’égard des tiers (càd détenant l’imperium).
Le critère fonctionnel est rejeté mais le critère organique n’est plus le seul déterminant.
Ces critères jurisprudentiels ne doivent être utilisés que pour les institutions qui ne sont pas visées par la loi de 1954 sur le contrôle de certains organismes d’intérêt public.
Tous les organismes visés par cette loi sont considérés comme des autorités administratives. Pour les autres, la jurisprudence statue au cas par cas.
Remarque : la décentralisation par services existe aussi au niveau d’entités elles-mêmes décentralisées. Les communes notamment décentralisent des services :
– soit en vertu de la loi (ex. CPAS, monts-de-piété)
– soit de façon plus informelle (ex. ASBL) : là, il faut voir si l’organisme créé par la commune est entièrement contrôlé par elle. Quand c’est le cas, on est face à une autorité administrative dont les décisions sont annulables
E. Autorités administratives indépendantes
Dans un monde idéal, l’administration serait organisée sous forme d’une hiérarchie pyramidale parfaite.
Mais dans la réalité, on s’est rendu compte que ce n’était pas possible : en effet, certaines tâches doivent êtres soustraites à l’autorité des responsables politiques dirigeant les administrations car elles exigent d’être accomplies avec une certaine indépendance.
Pour les exécuter, on a donc créé des autorités qui, sans avoir de personnalité juridique propre, échappent au pouvoir hiérarchique du ministre auquel elles sont rattachées.
En France, on les appelle « autorités administratives indépendantes » ; en Belgique, elles n’ont pas de nom. Mais en tout cas, ce sont des autorités administratives et leurs décisions sont des actes annulables.
C’est par ex. les jurys d’examen, le Selor, le Commissariat général aux réfugiés et aux apatrides, la CBFA, le Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, le CSA,…
F. Ordres et instituts professionnels
1. Professions libérales traditionnelles
Les 5 professions libérales « traditionnelles » (médecins, vétérinaires, pharmaciens, architectes et avocats) ont un ordre, créé par la loi.
L’ordre est donc une institution de droit public même s’il est soustrait à tout contrôle politique. Ca fait de lui une autorité administrative.
Par conséquent, toutes ses décisions non juridictionnelles sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat. Ca vise par ex. les décisions prises par l’ordre en matière de :
– déontologie (pouvoir réglementaire dans ce domaine)
– inscription à l’ordre
– fixation des cotisations
– fixation des honoraires en cas de contestation,…
Remarque : il y a toutefois une exception pour les décisions de l’ordre des avocats qui, elles, ne sont pas susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat mais bien devant la Cour de Cassation ou un tribunal arbitral, et ce parce que les barreaux sont trop proches du PJ pour subir le contrôle du Conseil d’Etat.
2. Instituts professionnels
D’autres professions « intellectuelles » impliquant des prestations de services ont non pas un ordre mais un institut (v. supra). En gros, le principe est le même.
G. Institutions de droit privé chargées de la gestion d’un SP
Certaines institutions de droit privé sont chargées de la gestion d’un SP ou de missions d’intérêt général.
Lorsqu’elles prennent des actes qui relèvent de cette mission d’intérêt général (mais pas dans tous leurs actes), la jurisprudence a tendance à les considérer comme des autorités administratives.
Ex. : ASBL contrôlées par des syndicats gérant les services sociaux des ministères, établissements d’enseignement libre (v. infra),…
H. Les établissements d’enseignement libre
1. Introduction
En Belgique, la « guerre scolaire » a donné lieu à un système d’enseignement bien particulier. La quasi-totalité des écoles sont divisées en 3 réseaux :
– l’enseignement directement organisé par les Communautés
– l’enseignement financé par les Communautés mais organisé par d’autres pouvoirs publics (communes, provinces, COCOF,…) : on l’appelle enseignement officiel subventionné
– l’enseignement financé par les Communautés mais organisé par des personnes morales de droit privé (en général des ASBL) : on l’appelle enseignement libre subventionné.
Il comprend surtout des écoles catholiques mais aussi quelques établissements laïcs, d’autres confessions, et les universités libres.
Dans l’enseignement officiel s.l., le PO est une personne de droit public et est donc incontestablement une autorité administrative. Toutes ses décisions sont donc susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat.
Dans l’enseignement libre par contre, le PO est une personne de droit privé qui ne doit donc en principe pas être considérée comme une autorité administrative. Cependant, dans certains domaines, ses décisions ont le même impact que celles des PO dans l’enseignement officiel. Là, on peut se demander s’il peut être considéré comme un autorité administrative.
C’est ce qu’on va voir avec
– la délivrance des diplômes et la décision d’échec aux examens
– les exclusions disciplinaires
– les décisions relatives au personnel
– pas les décisions relatives aux marchés
2. La délivrance des diplômes et la décision d’échec aux examens
De longues controverses ont animé la jurisprudence du Conseil d’Etat, de la Cour d’arbitrage et de la Cour de Cassation pour savoir si le refus par une institution d’enseignement libre d’accorder un diplôme était ou non susceptible de recours au CE.
On avait tendance à faire une distinction entre :
– les décisions des écoles primaires et secondaires et celles des établissements d’enseignement supérieur
– les décisions des jurys des années intermédiaires et celles des jurys de fin de cycle
Finalement, les 3 juridictions ont cessé de faire ces différences et se sont mis d’accord pour considérer que, dans leur mission de jurys d’examen, les institutions d’enseignement libre étaient des autorités administratives. On admet donc que leurs décisions fassent l’objet de recours au CE, sauf dans les rares cas où le diplôme visé est dépourvu de tout effet juridique (càd ne donne accès à aucune fonction régie par une autorité publique, par ex. diplôme en sciences morales et religieuses).
3. Les exclusions disciplinaires
Quand un élève est exclu d’un établissement d’enseignement libre, ça a pour conséquence de l’empêcher d’y obtenir son diplôme. La jurisprudence sur ce type de décisions s’est donc calquée sur la jurisprudence relative à la délivrance des diplômes et la décision d’échec aux examens.
Quand il exclut un élève, le PO d’un établissement d’enseignement libre est donc considéré comme une autorité administrative et ses décisions sont susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat.
4. Les décisions à l’égard du personnel
Dès le départ, on a compris que la compétence du Conseil d’Etat quant aux décisions à l’égard du personnel dépendait de la nature de l’engagement de ce personnel :
– s’il était statutaire, le Conseil d’Etat était compétent
– s’il était contractuel, les juridictions du travail étaient compétentes et pas le CE
Mais le problème était qu’on ne savait pas toujours vraiment si le personnel des établissements d’enseignement libre était statutaire ou contractuel (en effet, il a une sorte de « statut » mixte, cf. cours de droit du travail).
Il y avait donc des divergences dans la jurisprudence du Conseil d’Etat.
La Cour de Cassation a finalement tranché la question dans 2 arrêts du 18/12/97. Elle a dit que les liens entre le personnel des institutions d’enseignement libre et le PO était toujours contractuel et que donc, les litiges devaient toujours relever des juridictions du travail et non du Conseil d’Etat.
Toutes les chambres du Conseil d’Etat se sont ralliées à cette solution.
I. Autorités exclues car ne dépendant pas de pouvoirs publics belges
Le Conseil d’Etat n’est compétent que pour les actes posés par des autorités administratives belges, donc :
– il est compétent pour toutes les autorités administratives belges, même si elles sont établies à l’étranger (ex. personnel diplomatique ou consulaire belge)
– il n’est compétent pour aucune autorité administrative étrangère, même si elle est établie en Belgique (ex. personnel diplomatique ou consulaire étranger, OI,…)
IV. Marchés et fonction publique des pouvoirs législatifs et juridictionnels
A. Objet de la compétence du Conseil d’Etat
Dès sa création, on a toujours considéré le Conseil d’Etat comme incompétent pour annuler les actes des organes du PL et du PJ. Ces organes ne sont en effet pas des autorités administratives.
Mais en 1996, un recours devant la Cour d’arbitrage a mis en évidence un problème : les membres du personnel des assemblées ne disposaient d’aucun recours administratif, contrairement à tous les autres fonctionnaires. La Cour d’arbitrage a vu ça comme une discrimination et a dit qu’elle découlait non pas de l’article 14 LCCE mais bien d’une carence législative. Le législateur devait donc y remédier en prévoyant un recours administratif pour le personnel des organes du PL.
C’est ce qui s’est fait dans la loi du 25/05/99 qui a modifié l’article 14 LCCE en étendant la compétence du Conseil d’Etat aux actes des organes du PL, mais aussi du PJ, de la Cour des Comptes, de la Cour d’arbitrage et du CSJ.
Mais attention : ça ne fait pas de ces organes des autorités administratives. La compétence du Conseil d’Etat est d’ailleurs limitée à leurs seules décisions en matière de personnel et de marchés publics.
Il y a donc une double limite :
– quant aux organes visés : leur limitation a le mérite de la clarté mais l’inconvénient de la rigidité
– quant aux décisions visées : elles se cantonnent à 2 domaines, à savoir les marchés public et les membres du personnel (terme d’ailleurs assez mal choisi car quid alors des candidats évincés non encore membres du personnel ?)
- Exclusion des autres activités du PL
Tous les actes des autorités parlementaires ne visant pas directement les membres de leur personnel et les marchés publics sont donc soustraits à la compétence du Conseil d’Etat, y compris :
– les règlements qui fixent le statut administratif du personnel (là, on peut d’ailleurs considérer que c’est une erreur et que le législateur aurait dû, pour éviter toute discrimination, les viser dans la loi du 25/05/99)
– les actes visant du personnel mais pas le leur, par ex. la nomination des médiateurs fédéraux, des conseillers à la Cour des comptes,…
C. Exclusion des autres activités du PJ
Tous les actes des autorités judiciaires ne visant pas directement les membres de leur personnel et les marchés publics sont donc soustraits à la compétence du Conseil d’Etat, y compris :
– les actes juridictionnels, évidemment
– l’établissement de listes de traducteurs ou d’experts
– les actes posés par le MP, comme par ex. les autorisations d’exploiter un casino
– les décisions disciplinaires
– les actes d’exécution des décisions juridictionnelles (mais là, une évolution est en marche en matière pénitentiaire)
– les mesures de défense sociale
Ces actes ne sont cependant pas soustraits à tout contrôle. Mais il n’est pas exercé par le Conseil d’Etat.
V. L’absence d’autre recours
A.Introduction
Aucune disposition ne confère expressément un caractère supplétif au contentieux de l’annulation. Il l’est cependant, et ça peut se déduire de :
– les travaux parlementaires de la loi du 23/12/46 instituant le CE
– la compétence de la Cour de Cassation pour régler les conflits d’attribution entre CE et PJ
– la jurisprudence
Le Conseil d’Etat n’est donc compétent que lorsqu’il n’existe aucun autre recours permettant d’obtenir le même résultat, que ce recours soit
– administratif
– ou juridictionnel auprès d’une juridiction non judiciaire
– ou juridictionnel auprès d’une juridiction judiciaire
B.Les recours administratifs
1. Les recours organisés (obligatoires)
a) Ces recours sont normalement obligatoires
Dans toute une série de matières (par ex. l’urbanisme), le législateur a organisé des recours administratifs qui permettent à l’administré mécontent de s’adresser à une autorité plus haut placée dans la hiérarchie et donc censée être mieux informée.
b) Mais ils ne sont obligatoires que pour ceux à qui ils sont ouverts
Les recours administratifs doivent être épuisés par ceux à qui ils sont ouverts avant qu’ils ne puissent agir devant le Conseil d’Etat.
Mais en revanche, les personnes à qui ces recours ne sont pas ouverts peuvent, eux, directement s’adresser au CE.
c) Sanction
Quand un requérant s’adresse au CE alors qu’il n’a pas épuisé tous les recours qui lui sont ouverts et qui sont prévus par un texte, le Conseil d’Etat lui oppose l’exception « omisso medio ».
C’est une exception :
– d’incompétence quand le recours ouvert est juridictionnel
– d’irrecevabilité quand le recours ouvert est administratif
Notons cependant que cette exception d’irrecevabilité est une règle jurisprudentielle qui peut être écartée par la loi.
Ex. : en droit des étrangers, certaines décisions peuvent indifféremment faire l’objet d’un recours au CE ou d’autres recours administratifs. Ces autres recours administratifs ne sont donc pas un préalable obligé.
d) Cas particulier : les recours impraticables
Parfois, un recours est dit impraticable. C’est le cas quand il est prévu par une loi régulièrement entrée en vigueur mais que, par ex. la procédure n’est pas encore fixée ou l’organe de recours pas encore institué.
Dans ce cas, que peut faire l’administré ? Peut-il saisir le Conseil d’Etat ou doit-il attendre sans vraiment savoir si et quand il obtiendra satisfaction ?
La jurisprudence dominante a admis que, dans pareil cas, l’administré saisisse le Conseil d’Etat. Elle se base sur l’idée que ce n’est pas à lui de subir les conséquences des lenteurs de l’administration.
e) Autre cas particulier : certains recours organisés auprès de l’auteur de l’acte(à titre indicatif)
Parfois, un recours est possible devant l’autorité même qui a pris la décision : il s’agit simplement de lui demander de la reconsidérer. Mais les décisions qu’elle prend dans ce cadre ne sont pas des actes annulables, sauf si l’autorité a vraiment réexaminé sa 1ère décision (dans ce cas, elle prend une nouvelle décision susceptible de recours).
Ce recours n’est pas un recours administratif obligatoire à épuiser avant d’agir devant le Conseil d’Etat, sauf quand la loi le prévoit (ex. décisions de la CBFA).
On a bien eu, à un moment, un projet visant à instaurer un tel recours préalable obligatoire de manière générale, mais ça n’a pas abouti.
2. Les recours inorganisés (facultatifs)
Les recours organisés sont ceux qui ne sont pas expressément et obligatoirement ouverts par la loi.
Il y en a de 2 types :
1°. Ceux qui sont organisés par la loi mais qui :
– soit ne sont pas ouverts aux requérants de façon expresse
– soit ne sont pas obligatoires
Ex. : en vertu de l’article 28 de la Constitution (tout citoyen peut adresser des pétitions aux autorités publiques), il est toujours possible à un administré mécontent d’une décision prise par une autorité décentralisée de demander à l’autorité de tutelle d’exercer son pouvoir d’annulation.
Celle-ci n’est pas obligée d’intervenir mais, si elle le fait, son annulation aura le même résultat qu’une annulation par le Conseil d’Etat, et ce de façon plus rapide et plus économique. On a donc voulu favoriser ce recours et, pour ça, on a décidé que son exercice interromprait le délai de recours en annulation devant le Conseil d’Etat jusqu’à ce que l’autorité de tutelle rende sa décision.
Cet effet interruptif découle de la jurisprudence du Conseil d’Etat, et même de la loi lorsque l’autorité de tutelle est la Commission permanente du Pacte culturel.
2°. Ceux qui ne sont pas organisés par la loi et qui sont donc tout à fait informels.
Il est toujours possible d’introduire un recours gracieux auprès d’une autorité pour lui demander de reconsidérer sa décision.
Mais attention : ce type de recours n’a aucun effet interruptif. Il faut donc bien faire attention car souvent, l’administration en profite pour rendre sa décision après que le délai de recours soit expiré, et dans ce cas là, on se retrouve sans rien.
C.Les recours devant les juridictions non judiciaires
Dans d’autres matières, le législateur a organisé des recours juridictionnels devant des juridictions non judiciaires ou juridictions administratives.
Comme les recours administratifs, ces recours juridictionnels doivent être épuisés par ceux à qui ils sont ouverts avant qu’ils ne puissent agir devant le Conseil d’Etat. Le Conseil d’Etat joue donc un rôle de juridiction d’appel (contentieux de pleine juridiction) ou, plus souvent, de juridiction de cassation (contentieux de la cassation administrative, proche du contentieux de l’annulation).
Parfois cependant, les décisions rendues par les juridictions administratives ne sont pas susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat. Ca arrive dans 3 situations :
– quand la loi prévoit que la juridiction administrative statue en 1er et dernier ressort :
- décisions de la Commission spéciale pour l’indemnisation des détentions préventives inopérantes
- décisions prises par les assemblées parlementaires et provinciales dans le cadre du contrôle des élections législatives
– quand un recours est possible devant une juridiction judiciaire comme une cour d’appel ou la Cour de Cassation
– dans tous les autres cas où la loi exclut la compétence du Conseil d’Etat, explicitement ou implicitement
D.Les recours spéciaux auprès des juridictions de l’ordre judiciaire
1. A l’égard des décisions contentieuses administratives
Avant la création du Conseil d’Etat, on avait toute une série de juridictions administratives, et certaines des décisions qu’elles prenaient pouvaient faire l’objet d’un recours devant une cour d’appel ou devant la Cour de Cassation.
Quand le Conseil d’Etat a été créé, ces recours ont subsisté. La seule différence est que désormais, le Conseil d’Etat est compétent en 3ème degré de juridiction.
2. A l’égard de certaines sanctions administratives
a) Contexte
Sanction administrative = mesure désavantageuse, d’ordre moral ou matériel, prononcée à l’égard d’une personne physique ou morale, dont l’objet 1er est d’exprimer officiellement la réprobation de l’autorité à l’égard d’un comportement que cette personne a eu et qu’elle juge répréhensible.
Elle peut découler :
– soit d’une décision juridictionnelle
– soit d’une décision administrative, mais considérée comme quasi-juridictionnelle car présentant des garanties comparables en ce qui concerne le respect des droits de la défense
Elle peut viser 3 catégories de personnes :
– les agents de l’administration : on parle alors de sanctions disciplinaires (ça va du blâme à la révocation)
– les personnes qui, tout en n’étant pas des agents de l’administration, contribuent à la réalisation de ses missions (ex. entrepreneurs de travaux publics)
– les personnes totalement étrangères à l’administration : les sanctions administratives visant ces personnes sont en expansion
b) Développement récent
A la base, les sanctions administratives visant des personnes totalement étrangères à l’administration n’existaient qu’en droit fiscal.
Puis, elles sont apparues en droit social où la plupart des infractions ne justifient pas de sanctions pénales mais appellent malgré tout une sanction.
Aujourd’hui, les sanctions administratives percent dans des domaines de plus en plus nombreux (ex. sécurité dans les stades, respect des règlements communaux,…).
c) Nature
La nature des 1ères sanctions administratives et de celles qui sont créées aujourd’hui n’est pas la même :
1°. Les 1ères sanctions administratives relevaient du « droit pénal particulier » : elles avaient pour simple but d’aider l’administration à appliquer les lois en sanctionnant la violation de celles-ci, dans leur texte même.
2°. Les nouvelles sanctions administratives relèvent du « droit pénal général » : elles ont pour but de sanctionner des comportements qui sont nuisibles en eux-mêmes et pas seulement la violation d’une réglementation tatillonne.
Elles sont beaucoup plus proches des sanctions pénales et ne sont en fait administratives que pour des raisons pratiques (moins d’impunité, cf. exposé des motifs de la loi du 17/06/04 autorisant les communes à prononcer des sanctions administratives).
En tout cas, quel que soit le type de la sanction administrative, il s’agit d’une sanction et donc, elle doit respecter certaines principes (cf. recommandation de 1991 du Conseil de l’Europe) :
– la légalité des délits et des peines
– la non-rétroactivité des sanctions plus lourdes et la rétroactivité des sanctions plus légères
– non bis in idem
– le délai raisonnable
– le respect des droits de la défense
– la motivation des décisions
– la charge de la preuve à l’autorité
– la possibilité d’un recours juridictionnel
d) Objet
Les sanctions peuvent avoir 2 objets différents :
– des pénalités pécuniaires : amendes ou retrait de subventions
– la privation de certains avantages ou facultés : ex. obligation de fermer un établissement, interdiction de pénétrer dans certains lieux,…
e) Compatibilité avec d’autres droits(à titre indicatif)
1) Droit au procès équitable
Les sanctions administratives sont infligées dans le cadre d’une contestation relative au bien fondé d’une accusation en matière pénale. Elles sont donc soumises à l’article 6 CEDH, du moins quand elles ont une certaine importance.
On pourrait croire que le caractère administratif de ces sanctions pose problème au regard de l’article 6 et de ses exigences procédurales, mais la jurisprudence de la Cour de Strasbourg a toujours considéré que les sanctions administratives étaient acceptables tant qu’il existait contre elles un recours satisfaisant. Quand le recours est judiciaire, il n’y a pas de doute, qu’il le soit. Par contre, quand il relève du Conseil d’Etat, la Cour de Strasbourg ne s’est pas encore prononcée mais notre Cour d’arbitrage a considéré qu’il était satisfaisant.
2) Protection de la jeunesse
A la base, les dispositions prévoyant des sanctions administratives ne faisaient jamais référence à l’âge de la personne visée.
Mais les nouvelles sanctions administratives se sont mises à viser des situations qui peuvent concrètement s’appliquer à des mineurs (ex. comportement dans les stades). La Cour d’arbitrage a estimé que leur appliquer ces sanctions comme aux majeurs était inconstitutionnel. Le législateur a donc dû intervenir pour prévoir une procédure spécifique pour l’application aux mineurs des sanctions administratives.
3) Suspension, sursis, probation et circonstances atténuantes
La suspension, le sursis, la probation et les circonstances atténuantes ne s’appliquent pas aux sanctions administratives. En effet, la loi prévoyant ces mesures est purement pénale et on estime que, vu le peu de gravité et l’absence de caractère infamant des sanctions administratives, ce n’est pas vraiment nécessaire.
Cependant, la non application ne peut aboutir à ce que, pour une même infraction, la personne punie d’une sanction administrative le soit plus lourdement qu’une personne punie d’une sanction pénale.
f) Procédure et recours
Le but 1er des sanctions administratives est de permettre une répression rapide.
Dans cette optique, elles sont prononcées par l’autorité administrative elle-même, suite à une procédure courte, mais respectueuse des droits de la défense :
– l’intéressé doit être mis au courant de ce qu’on lui reproche
– il doit avoir un délai suffisant pour préparer sa défense
– il doit pouvoir se faire assister d’un avocat
– il a droit à un recours : ceux-ci diffèrent selon la situation
- quand la sanction est pécuniaire, le recours est exercé :
1) devant les juridictions judiciaires si le texte le prévoit (ex. amendes en matière fiscale, amendes en matière sociale, amendes prononcées par les communes,…)
2) devant le Conseil d’Etat, si aucun texte ne donne la compétence à une juridiction judiciaire (ex. amendes prévues par des décrets régionaux ou communautaires, amendes prononcées par le CSA, amendes pour abandon de déchets,…)
- quand la sanction n’est pas pécuniaire, le recours est presque toujours exercé devant le Conseil d’Etat (sauf les recours contre les interdictions de stade)
g) Exécution et recours contre la contrainte
Les décisions administratives imposant des sanctions disciplinaires sont exécutoires, ce qui habilite l’administration à les faire exécuter par la contrainte.
Cette contrainte peut, tout comme la décision elle-même, faire l’objet d’un recours. C’est l’opposition, qui s’exerce devant un tribunal civil.
La question qui se pose est donc la suivante : le recours judiciaire en opposition à la contrainte a-t-il le même effet qu’un recours en annulation ? Et si oui, comme il est judiciaire, supprime-t-il la possibilité d’un recours devant le Conseil d’Etat ?
2 possibilités :
– soit la sanction découle de la simple application de la loi et la contrainte n’en est que la suite logique (ex. amende en matière fiscale) : dans ce cas, le recours judiciaire en opposition à la contrainte vise toute la sanction et exclut la compétence du Conseil d’Etat.
– soit la sanction découle de l’exercice d’un pouvoir d’appréciation et la contrainte n’en est pas la suite logique : dans ce cas, le recours judiciaire en opposition à la contrainte ne vise que la contrainte et le Conseil d’Etat reste compétent pour un recours contre la sanction elle-même.
3. A l’égard d’autres actes administratifs
Certaines décisions administratives qui ne sont ni des décisions contentieuses, ni des sanctions, peuvent faire l’objet d’un recours devant une juridiction judiciaire, ce qui exclut la compétence du Conseil d’Etat. C’est assez rare.
Exemples :
– en matière fiscale, les décisions prises par un directeur des contributions sont susceptibles de recours devant le tribunal de 1ère instance.
Remarque : avant, les décisions du directeur des contributions étaient considérées comme juridictionnelles. Mais en 1998, la Cour d’arbitrage a dit que c’était inconstitutionnel. Depuis, donc, le recours auprès du directeur des contributions est considéré comme un recours administratif.
– la rectification des actes d’état civil incombe au tribunal de 1ère instance
– l’annulation des brevets d’invention, délivrés par un ministre, incombe au tribunal de 1ère instance
– l’annulation des actes administratifs accomplis par le MP (ex. sanctions disciplinaires contre les officiers ministériels) incombe à la Cour de Cassation,…
E. La compétence générale des cours et tribunaux : la doctrine de l’objet véritable du recours
1. Position du problème
A 1ère vue, la délimitation des compétences entre les juridictions judiciaires et le Conseil d’Etat semble claire :
– les juridictions judicaires s’occupent du contentieux subjectif
– le Conseil d’Etat s’occupe du contentieux objectif
Mais ce n’est pas toujours aussi simple : les textes (art. 144 et 145 de la Constitution) ne sont pas très précis et il arrive que le recours objectif ait des répercussions sur les droits subjectifs et vice-versa.
Résultat : parfois, une même situation litigieuse peut à la fois donner lieu à des recours devant les juridictions judiciaires et devant le Conseil d’Etat.
Pour voir qui sera compétent, il faut aller voir dans la jurisprudence qui s’est forgée peu à peu, suite à différentes affaires.
2. La jurisprudence
a) Conception initiale du CE
A la base, le Conseil d’Etat s’estimait compétent pour tous les recours en annulation dirigés contre des actes administratifs, sans avoir égard à l’objet de l’acte attaqué.
Par ex., le Conseil d’Etat s’est estimé tout à fait compétent pour connaître d’un recours contre un arrêté ministériel fixant un nouveau traitement pour des fonctionnaires.
b) Les affaires Versteele et Vrindts
1) Les procédures
1 – Versteele
M. Versteele, instituteur, avait été admis à la pension en 1941. Puis il est condamné pour faits de collaboration avec l’ennemi et déchu de différents droits mais pas de son droit à la pension. Pourtant, le ministre des Finances fait arrêter le versement de celle-ci.
Versteele intente alors un recours judiciaire qui lui donne raison. Mais le ministre refuse toujours de payer en disant qu’un projet de loi à l’étude va régler le sort de la pension des inciviques.
Versteele intente alors un recours devant le Conseil d’Etat qui annule la décision du ministre.
2 – Vrindts
M. Vrindts, agent de la SCNB, bénéficiait d’une « allocation de foyer » destinée à encourager les fonctionnaires à s’installer en dehors des villes et organisée par un règlement.
En 1949, son allocation est diminuée par la SNCB alors que le règlement n’a pas changé.
Vrindts intente alors un recours devant le Conseil d’Etat qui annule la décision de la SNCB.
2) Les arrêts de cassation (Cass., 27/11/52)
Dans les 2 arrêts du Conseil d’Etat, sa compétence avait été contestée mais il avait écarté le déclinatoire de compétence. Ca a ouvert des pourvois en cassation :
– dans l’affaire Versteele, la Cour va dire que, lorsqu’il examine sa compétence, le Conseil d’Etat doit avoir égard à l’objet véritable du recours. Ici, Versteele a voulu mettre fin à la violation de son droit à la pension qui est un droit civil. Son recours relevait donc de la compétence des juridictions judiciaires.
– dans l’affaire Vrindts, la Cour va constater que le recours de Vrindts tendait également à faire reconnaître un de ses droits civils, en l’occurrence son droit à une allocation de foyer prévue par un règlement. Là aussi donc, son recours relevait de la compétence des juridictions judiciaires.
— Dans les 2 affaires, donc, la Cour de Cassation va déclarer le Conseil d’Etat incompétent car l’objet véritable du recours était de se voir rétablir dans ses droits civils.
c) La jurisprudence ultérieure
Les arrêts Versteele et Vrindts sont à la base de la doctrine de l’objet véritable du recours. Mais elle a encore été affinée par d’autres grands arrêts :
1) L’affaire Caisse hypothécaire anversoise (Cass., 08/01/53)
La Caisse hypothécaire anversoise était en conflit avait le fisc qui lui réclamait des impôts pour les années 1943 et 1947. En 1949, le fisc se rend compte que, pour d’autres impôts, la Caisse lui a payé plus que ce qui était dû et lui accorde des dégrèvements. Mais au lieu de les lui rembourser, il les impute sur les sommes qu’il prétend dues pour 1943 et 1947.
La Caisse introduit alors un recours devant le Conseil d’Etat, contre la décision d’imputation.
Le Conseil d’Etat va se déclarer incompétent en disant que la décision d’imputation n’est qu’une mesure d’exécution de la décision de réclamer des impôts pour 1943 et 1947. Or, cette décision pouvait faire l’objet d’un recours devant le directeur régional des contributions directes, puis devant la Cour d’appel, puis devant la Cour de Cassation. Le Conseil d’Etat est donc incompétent puisqu’un autre recours est prévu.
Saisie d’un recours contre cette décision d’incompétence, la cour de Cassation va confirmer la décision du Conseil d’Etat. Il était effectivement incompétent, non pas en raison d’un recours existant devant le directeur général des contributions directes (sur ce coup là, le Conseil d’Etat s’était trompé) mais en raison d’un recours en répétition de l’indu existant devant les juridictions civiles.
Mais sur le principe de base, le Conseil d’Etat avait raison : il n’est pas compétent quand un autre recours, susceptible d’être tout aussi satisfaisant, existe.
2) L’affaire Hennard (Cass., 27/11/57)
Un machiniste de la SNCB avait refusé de témoigner lors d’une enquête sur la collision de 2 locomotives et, suite à cela, la SNCB l’avait puni par une retenue de son traitement.
Le machiniste introduit alors un recours devant le Conseil d’Etat contre cette décision.
Le Conseil d’Etat va se déclarer compétent et écarter l’argument de la SNCB qui l’estimait incompétent parce que l’annulation de sa décision aurait des répercussions sur les droits civils du machiniste.
Saisie d’un recours contre cette décision de compétence, la Cour de Cassation va confirmer la décision du Conseil d’Etat et dire que l’objet du recours du machiniste n’était pas son droit au traitement mais bien l’annulation de la décision de la SNCB. Par conséquent, le fait que la décision puisse, incidemment, influer sur le droit au traitement, ne pouvait pas rendre le Conseil d’Etat incompétent.
3) L’affaire Saldes Baldini contre la commune de Schaerbeek (Cass., 17/11/94)
M. Saldes Baldini, étranger reconnu comme réfugié politique, voulait déménager de Bruxelles à Schaerbeek. Mais à Schaerbeek, on refuse de l’inscrire au registre de la population sous prétexte que le séjour des étrangers y est contingenté. Or, dans les communes où existe un tel contingentement, on ne peut pas refuser l’inscription d’un étranger qui séjournait déjà en Belgique lorsque le contingentement est entré en vigueur.
M. Saldes Baldini met alors la commune en demeure de l’inscrire mais tout ce qu’elle lui accord est un droit de séjour limité à 2 mois.
L’intéressé intente alors en recours en annulation et en suspension devant le Conseil d’Etat.
Celui-ci va accorder la suspension malgré l’argument de la commune qui invoquait son incompétence vu le caractère subjectif du droit d’inscription au registre de la population.
Saisie d’un recours contre cette décision de compétence, la Cour de Cassation va infirmer la décision du Conseil d’Etat et le déclarer incompétent en suivant l’argument de la commune et en disant que l’objet du recours était le droit subjectif de M. Saldes Baldini d’être inscrit au registre de la population.
3. Les justifications
a) Introduction
Pour savoir si le Conseil d’Etat est compétent, on a donc vu qu’il faut avoir égard à l’objet véritable du recours.
Si, en raison de cet objet, le recours peut être porté devant une juridiction judiciaire, il faut écarter la compétence du Conseil d’Etat.
Mais quels sont les critères qui permettent de voir si un recours a pour objet des droits subjectifs et relève par conséquent de l’ordre judiciaire ?
Plutôt que des critères, il faut chercher des indices qui sont les suivants :
b) L’absence de portée juridique de l’acte attaqué
Pour certains, le Conseil d’Etat est incompétent quand l’acte attaqué n’a pas de portée juridique. Ils estiment qu’une décision par laquelle l’administration refuse de satisfaire à un droit civil n’a pas de portée juridique car ce n’est pas vraiment une décision mais plutôt une inaction, le néant. Or, le Conseil d’Etat n’a pas à annuler le néant.
Cette thèse est critiquable pour 2 raisons :
– elle ne retient de la situation que le fait que l’administration ne satisfait pas le droit de créance de l’administré. Mais elle oublie qu’à côté, cette décision de ne pas y satisfaire découle de toute une procédure. Or, cette procédure aboutit bien à une décision. On ne peut donc pas dire que c’est le néant.
– elle est incohérente. Quand bien même on admettrait que le Conseil d’Etat ait annulé le néant, les juridictions judiciaires ne sont pas plus compétentes que lui pour le faire et donc, il n’est pas incompétent en raison de leur compétence à elles.
c) La nature de la règle invoquée
La compétence du Conseil d’Etat dépend aussi de la nature du droit invoqué à l’appui du recours :
– s’il est « civil », le Conseil d’Etat est incompétent
– s’il est politique, le Conseil d’Etat est compétent
Ex. : en matière d’urbanisme, le Conseil d’Etat n’est compétent que pour annuler les permis ou refus de permis justifiés par les prescriptions urbanistiques car ces règles relèvent du droit administratif. Par contre, tout ce qui concerne la matière des servitudes, qui relève du droit civil, n’a pas d’influence sur l’octroi ou le refus des permis.
d) L’équivalence pratique des résultats
On a dit que la compétence du Conseil d’Etat devait être écartée quand un recours devant une juridiction judiciaire pouvait aboutir à un résultat équivalent.
C’est un bon critère mais il entraîne une question : quand peut-on considérer que les résultats de 2 actions sont équivalents ?
Il faut en fait qu’une annulation par le Conseil d’Etat ne puisse rien apporter de plus qu’une décision judiciaire. Exemples :
– quand un agent est privé de son traitement, ça peut avoir 2 causes :
- soit une simple décision de modifier le traitement : dans ce cas, une juridiction judiciaire peut, à elle seule, effacer tous les effets de la décision si elle a violé le droit subjectif de l’agent à son traitement.
- soit une sanction disciplinaire qui entraîne une modification du traitement : dans ce cas, seul le Conseil d’Etat est capable d’annuler la sanction et, par conséquent, la modification de traitement.
– quand un pouvoir subordonné prend une décision lésant un droit civil, 2 possibilités :
- soit cette décision ne fait pas l’objet d’une annulation par le pouvoir de tutelle : dans ce cas, une juridiction judiciaire peut, à elle seule, effacer tous les effets de la décision.
- soit cette décision a fait l’objet d’une annulation par le pouvoir de tutelle : dans ce cas, seul le Conseil d’Etat est capable d’annuler la décision de l’autorité de tutelle et, par conséquent, la décision lésionnaire de droit civil.
e) La nature de la compétence exercée : l’objet de l’acte attaqué
Un autre critère qui permet de cloisonner les compétences du Conseil d’Etat et des juridictions judiciaires est de voir quelle était la nature de la compétence exercée par l’administration dans sa prise de décision : était-elle discrétionnaire ou liée ?
1) Pouvoir discrétionnaire
Quand l’administration a pris sa décision suite à l’exercice d’une compétence discrétionnaire, le droit subjectif de l’administré a sa source non pas dans la réglementation en vertu de laquelle a été prise la décision mais bien dans la décision elle-même. La décision a donc, en soi, une portée juridique.
Dans ce cas, elle est susceptible de recours devant le Conseil d’Etat.
2) Compétence liée
Quand l’administration a pris sa décision suite à l’exercice d’une compétence liée, le droit subjectif de l’administré a sa source non pas dans la décision mais dans la réglementation en vertu de laquelle a été prise la décision. La décision n’a donc pas vraiment de portée juridique puisqu’elle ne peut que se contenter d’appliquer la réglementation.
Dans ce cas, elle est :
– tantôt susceptible de recours devant les juridictions judiciaires
– tantôt susceptible de recours devant le CE
Ca pose la question de savoir quand l’administration a une compétence liée.
C’est en fait le cas à chaque fois que l’administration doit accorder un droit subjectif et que sa décision n’est que purement formelle (vérification que les conditions dans lesquelles la compétence est liée sont bien présentes). Exemples :
– application du statut pécuniaire des fonctionnaires
– application de la législation sur les pensions
– octroi de certaines subventions : par ex., en matière de primes à la rénovation, des arrêtés prévoient que le ministre « peut » accorder une prime, mais en fait, les arrêtés fixent des conditions d’octroi tellement strictes que le ministre n’a plus aucun pouvoir d’appréciation. On peut donc considérer qu’il a une compétence liée.
– demande de remboursement d’une prime accordée à tort,…
1 – Obligations dont les cours et tribunaux peuvent ordonner l’exécution
Quand les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire sont compétents pour ordonner à l’administration de faire quelque chose, ils seront compétents pour connaître du recours.
La compétence des juridictions judiciaires pour connaître des recours dirigés contre des décisions où l’administration avait une compétence liée découle d’une évolution de la jurisprudence :
– à la base, on considérait que seul le Conseil d’Etat était compétent pour contraindre les autorités à exercer leur puissance publique, et les LCCE prévoyaient que le Conseil d’Etat était compétent pour connaître des recours contre les décisions implicites de rejet déduites du silence de l’administration quand celle-ci est tenue de statuer.
– puis, l’affaire Saldes Baldini (v. supra) a bouleversé les choses puisque la Cour de Cassation a estimé que c’étaient les juridictions judiciaires qui étaient compétentes en l’espèce.
La base de son raisonnement est qu’à chaque fois que l’administration a une compétence liée, l’administré a un droit subjectif, d’où l’application de l’article 144 de la Constitution et la compétence des juridictions judiciaires. Mais c’est faire un raccourci trop rapide : il n’y a pas droit subjectif à chaque fois que l’administration a une obligation.
En effet, pour qu’il y ait droit subjectif, 2 conditions doivent être réunies :
- le pouvoir d’exiger d’un tiers un certain comportement
- que ce pouvoir soit exercé par quelqu’un ayant un intérêt propre et individualisé
Or, parfois, l’administration a une obligation alors que ces 2 conditions ne sont pas remplies : exemples
- quand le MB existait encore en version papier, les communes devaient prévoir un budget pour l’acheter mais ça ne créait pas vraiment un droit subjectif de le leur vendre dans le chef de l’Etat.
- l’administration doit inscrire les condamnations pénales dans le casier judiciaire des condamnés mais on ne peut pas dire qu’ils ont un droit à ce que leur casier comporte bien toutes leurs condamnations.
Voyant que confier aux juridictions judiciaires toutes les affaires où l’administration avait une obligation était un peu excessif, le législateur a dans certains cas donné une compétence au CE. Par ex., suite à l’affaire Saldes Baldini, une loi de 1996 a prévu que les décisions administratives refusant le bénéfice d’un droit prévu par la loi sur les étrangers étaient susceptibles de recours devant le Conseil d’Etat.
– dans un arrêt de 1999, la Cour de Cassation a précisé sa théorie et a dit que, quand l’administration avait une obligation dont l’exécution avait un intérêt pour l’administré, celui-ci avait un droit subjectif.
2 – Obligations dont les cours et tribunaux ne peuvent pas ordonner l’exécution
Quand les cours et tribunaux de l’ordre judiciaire ne sont pas compétents pour ordonner à l’administration de faire quelque chose, c’est le Conseil d’Etat qui sera compétent pour connaître du recours.
On a vu supra qu’à la base, seul le Conseil d’Etat était considéré comme compétent pour contraindre les autorités à exercer leur puissance publique. Cette conception découlait du principe de séparation des pouvoirs.
Mais peu à peu, on a admis dans de plus en plus de cas que les juridictions judiciaires condamnent l’administration à faire quelque chose. Cependant, elle ne peut en fait contraindre l’administration qu’à exécuter des obligations à caractère pécuniaire (ex. affaires Versteele et Vrindts). Les autres types d’obligations ne peuvent être imposées à l’administration que par le Conseil d’Etat. Exemples :
– obligation de promouvoir après un certain temps un fonctionnaire qui suit une « carrière plane »
– obligation de nommer comme fonctionnaire la personne qui s’est classée 1ère au concours,…
On voit que ces obligations ne sont pas principalement pécuniaires.
f) Le caractère déclaratif ou constitutif de droit de l’acte attaqué
Tous les critères vus supra peuvent finalement se résumer en un seul : pour voir si le Conseil d’Etat est compétent pour annuler un acte, il faut voir si celui-ci est déclaratif ou constitutif de droit.
– si l’acte est constitutif de droit, ça signifie qu’il a été nécessaire en soi pour créer le droit qui n’était donc pas préexistant.
L’acte crée le droit subjectif. Il ne peut donc pas violer celui-ci puisqu’il n’existait pas avant. Et comme aucun droit subjectif n’est violé, c’est le Conseil d’Etat qui est compétent.
– si l’acte est déclaratif de droit, ça signifie qu’il n’a servi qu’à énoncer un droit qui préexistait déjà dans un règlement.
L’acte ne crée donc pas le droit : il l’applique et il peut mal l’appliquer. Dans ce cas, il y a violation d’un droit subjectif et ce sont les juridictions judiciaires qui sont compétentes.
4. Une exception organisée par la loi : le droit au séjour des étrangers
C’est le législateur qui fixe les compétences respectives des juridictions judiciaires et du Conseil d’Etat. Il peut donc prévoir des dérogations à la doctrine de l’objet véritable du recours pour autant qu’il respecte les articles 144 et 145 de la Constitution
C’est ce qu’il a fait lorsque, en 1996, il a modifié la loi du 15/12/80 sur l’accès au territoire, le séjour, l’établissement et l’éloignement des étrangers.
Il a en fait voulu éviter les suites qu’appelait l’arrêt Saldes Baldini : on risquait en effet de se retrouver avec une grande partie du contentieux des étrangers devant les juridictions judiciaires. Il a donc prévu que toute contestation relative à un droit prévu par la loi du 15/12/80 serait de la compétence du Conseil d’Etat, même en cas de compétence liée de l’administration.
5. Une illustration du caractère résiduaire du recours en annulation : le partage des compétences en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique
L’expropriation pour cause d’utilité publique suit une procédure en 3 phases :
– la phase administrative :
- enquête publique
- avertissement individuel des propriétaires des terrains à exproprier
- arrêté royal ou du gouvernement déclarant qu’il est d’utilité publique d’exproprier les terrains (+ plan)
– la phase intermédiaire ou « temps mort » : entre les 2 véritables phases de la procédure, on a toujours une sorte de « temps mort », période qui laisse le temps au pouvoir expropriant de tenter une cession à l’amiable. Des comités d’acquisition sont institués à cette fin au sein du ministère des Finances.
– la phase judiciaire : si la tentative de cession à l’amiable n’aboutit pas, un juge est saisi afin de vérifier si
- l’action a été intentée régulièrement
- les formalités légales ont été respectées
- le plan des emprises est applicable aux terrains visés par l’expropriation
Si c’est le cas, le juge prononce l’expropriation et fixe le montant de la juste et préalable indemnité.
La compétence des juridictions en la matière a subi une évolution :
1°. Initialement, avant la création du Conseil d’Etat, les juridictions judiciaires chargées de statuer dans le cadre de la phase judiciaire s’estimaient compétentes uniquement pour contrôler la légalité externe des arrêtés d’expropriation.
2°. Quand le Conseil d’Etat a été créé, il a suivi cette jurisprudence et s’est déclaré incompétent pour connaître de la légalité externe des arrêtés d’expropriation. Par contre, il a contrôlé leur légalité interne (par ex. l’opportunité de l’expropriation).
La Cour de cassation a suivi.
3°. Puis, les juridictions judiciaires ont étendu leur contrôle et se sont mises à contrôler la légalité interne. Le Conseil d’Etat s’est aligné et a cessé de le faire.
A nouveau, la Cour de Cassation a suivi.
Cependant, cette incompétence du Conseil d’Etat n’existait que lorsque le recours émanait du propriétaire, locataire ou titulaire de droits réels sur le fonds exproprié. Les tiers, eux, pouvaient agir devant le Conseil d’Etat (par ex. les voisins).
4°. Mais les choses ont dû changer suite à un arrêt de la Cour d’arbitrage de 1990 : elle a estimé que la différence de traitement entre l’exproprié et les tiers au niveau de la protection juridictionnelle était discriminatoire en ce que les expropriés étaient moins protégés alors qu’ils étaient pourtant plus directement menacés que les tiers.
5°. Suite à cet arrêt, le Conseil d’Etat est revenu sur sa jurisprudence, approuvé en cela par le Cour de Cassation.
Désormais, il s’estime compétent pour tous les recours contre les arrêtés d’expropriation, qu’ils viennent des tiers ou des expropriés, pour autant que le recours soit introduit pendant le « temps mort », avant la phase judiciaire. En effet, une fois la phase judiciaire lancée, on estime que les expropriés disposent d’une voie de droit suffisante pour défendre leurs droits.
C’est un peu faire l’impasse sur le fait que la décision judiciaire en question, autorisant l’expropriation, sera exécutoire alors même que
– l’indemnité est encore provisoire
– l’expropriation peut encore être contestée
Mais ça, c’est justifié par le fait que l’intérêt général doit primer sur l’intérêt privé…
Ce serait acceptable si la procédure d’extrême urgence utilisée en matière d’expropriation était vraiment justifiée par l’extrême urgence, mais dans la plupart des situations, ce n’est pas le cas car la procédure d’extrême urgence est devenue le droit commun. Mais ça, la Cour d’arbitrage l’a éludé.
6. Champ d’application
La doctrine de l’objet véritable du recours ne s’applique qu’aux actes administratifs individuels, dans le cadre du contentieux de l’annulation.
Elle ne s’applique donc pas :
– aux règlements : ils peuvent toujours être annulés par le Conseil d’Etat et jamais par les juridictions judiciaires, même s’ils accordent des droits subjectifs.
Ex. : une décision administrative appliquant un statut pécuniaire à un agent en particulier est susceptible de recours devant les juridictions judiciaires, mais le règlement qui comporte ce statut pécuniaire ne peut, lui, être annulé que par le Conseil d’Etat.
– aux décisions juridictionnelles soumises à la cassation administrative : certaines décisions juridictionnelles peuvent, en vertu de la loi, faire l’objet d’une annulation par le Conseil d’Etat.
VI. Les causes d’annulation
A.Les classifications des illégalités
1. L’énumération légale
L’article 14 LCCE cite 3 causes d’annulation :
– la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité
– l’excès de pouvoir
– le détournement de pouvoir
Cette énumération n’est pas vraiment utile. En fait, il suffit de dire que l’annulation peut être obtenue pour toute illégalité pour peu qu’elle soit suffisamment importante (sinon elle ne tombe pas dans les formes substantielles ou prescrites à peine de nullité).
2. Illégalités internes et externes
Certains auteurs classent les causes d’annulation en 2 catégories :
– les inégalités externes : elles tiennent aux modalités d’élaboration et aux formes de l’acte. On les voit sans devoir examiner son contenu.
Elles correspondent en gros à la violation des formes substantielles ou prescrites à peine de nullité.
Ex. : acte pris sans délibération du Conseil des ministres, acte non motivé, acte soustrait à la section L du Conseil d’Etat sans que l’urgence ne soit correctement motivée,…
– les illégalités internes : elles tiennent au contenu de l’acte.
Elles correspondent en gros à l’excès et au détournement de pouvoir.
Ex. : acte qui viole la loi, acte pris sur base de motifs non exacts, pertinents et admissibles,…
Cette classification a un intérêt pédagogique mais elle est aussi artificielle. Certaines illégalités ne sont en effet pas purement externes ou internes mais un peu des 2.
Ex. : une illégalité tenant aux motifs d’un acte est externe s’il n’y a pas de motifs et interne s’il y a des motifs mais qu’ils ne sont pas convaincants.
3. Illégalités ordinaires et d’OP
Les auteurs classent aussi les causes d’annulation en 2 autres catégories :
– celles qui ne sont pas d’OP : elles ne peuvent entraîner une annulation que si elles sont soulevées par le requérant et dans des conditions de procédure régulières. En principe, ça signifie que le requérant doit les invoquer dans sa requête, mais parfois, on admet qu’il les soulève plus tard s’il n’en prend connaissance que plus tard.
– celles qui sont d’OP : elles peuvent entraîner une annulation même si elles ne sont pas soulevées par le requérant ou si elles le sont trop tard dans la procédure. Le Conseil d’Etat peut en effet les soulever d’office. Il en a même l’obligation s’il les découvre.
Pour voir quelles illégalités sont d’OP, il faut examiner la jurisprudence du Conseil d’Etat et voir quels moyens il a admis alors qu’ils avaient été soulevés trop tard ou quels moyens il a soulevés d’office.
A l’heure actuelle, 10 illégalités sont considérées comme d’OP : les violations de
– le droit international directement applicable, et notamment la CEDH et le PIDCP
– la Constitution (du moins la plupart de ses dispositions)
– la loi concrétisant le Pacte culturel
– la législation sur l’emploi des langues
– la législation fiscale
– les dispositions dont la méconnaissance est sanctionnée pénalement (du moins la plupart)
– la compétence de l’auteur de l’acte
– l’autorité de la chose jugée
– l’obligation de publier les lois et arrêtés
– les règles relatives au retrait des actes administratifs
Ca vise en gros les règles qui ont trait aux intérêts essentiels de l’Etat et de la collectivité.
A contrario, ne sont pas d’OP toutes les illégalités que le Conseil d’Etat a refusé d’admettre parce qu’elles avaient été invoquées trop tard. Ca vise notamment :
– l’insuffisance de motivation de l’acte
– le caractère déraisonnable de l’acte,…
Enfin, pour certaines illégalités la jurisprudence hésite encore.
4. Les nullités « de plein droit »(à titre indicatif)
Certaines lois disposent que certains actes sont nuls « de plein droit ». Par là, le législateur a voulu que la nullité de ces actes puisse être soulevée d’office par toute autorité.
Mais le Conseil d’Etat n’a pas suivi et estime que la nullité d’un acte doit être prononcée par lui et ne peut être constatée par quelqu’un d’autre.
Les actes nuls « de plein droit » portés devant le Conseil d’Etat ne subissent donc pas un sort différent que les autres actes qui y sont portés.
B.La violation des formes
1. Catégories de formes
Il y en a 3 :
– les formes substantielles (leur violation est une cause d’annulation)
– les formes prescrites à peine de nullité (leur violation est une cause d’annulation)
– les formes qui ne sont ni substantielles, ni prescrites à peine de nullité (leur violation n’est pas une cause d’annulation)
2. Les formes prescrites à peine de nullité
Ce sont les formes pour lesquelles la loi ou un règlement prévoit que, si un acte les viole, cet acte sera obligatoirement nul.
Ca retire donc tout pouvoir d’appréciation au CE.
C’est assez rare.
3. Les formes substantielles
a) Les 2 sortes de formes substantielles
La notion de formes substantielles est citée à 2 endroits différents dans les LCCE :
– à l’article 14 : ce sont les formes substantielles dites classiques.
– à l’article 14 bis (loi du 16/06/89) : ce sont les formes substantielles qui ont trait à la coordination des politiques nationales, communautaires et régionales.
Ces formes ne sont pas les mêmes et leur violation n’a pas les mêmes effets.
b) Les formes substantielles classiques
L’article 14 LCCE ne définit pas ce qu’il faut entendre par « forme substantielle ». C’est donc la jurisprudence du Conseil d’Etat qui a éclairci la notion.
Il y a en fait 2 catégories de formes substantielles classiques :
– celles qui sont tellement importantes que leur méconnaissance altère la substance même de l’acte.
– celles qui tendent à protéger des intérêts qui ne sont pas exclusivement ceux de l’autorité administrative.
Cette catégorie de formes substantielles découle de la fonction 1ère du contentieux administratif, à savoir protéger les administrés.
Dans cette optique, sont donc par ex. considérées comme des formes substantielles :
- les droits de la défense
- le principe du contradictoire (et notamment le droit de l’administré d’être entendu avant qu’une décision soit prise à son sujet)
La violation de ces formes substantielles entraîne la nullité de l’acte, sauf si l’objectif visé par la forme a pu être atteint autrement. Dans ce cas, le moyen invoquant la violation de la forme sera irrecevable pour défaut d’intérêt.
c) Les formes substantielles qui ont trait à la coordination des politiques nationales, communautaires et régionales
1) Description
Apde 1980, les réformes institutionnelles ont instauré des mécanismes de coordination des politiques nationales, régionales et communautaires afin d’assurer une certaine cohérence. Ces mécanismes sont très divers et peuvent aller de la simple information à la nécessité de prendre une décision conjointement.
Ils sont considérés comme :
– une forme substantielle dans la prise d’actes réglementaires : dans ce cas, s’ils sont violés, le règlement est annulable par le CE
– une règle répartitrice de compétences dans la prise d’actes législatifs : dans ce cas, s’ils sont violés, la loi, le décret ou l’ordonnance est annulable par la Cour d’arbitrage
Mais attention, il ne faut pas les confondre avec les accords de coopération qui, eux, relèvent de la compétence des juridictions de coopération.
En principe, seuls l’Etat, les communautés, les régions et la commission communautaire commune peuvent invoquer leur violation. Mais 2 « exceptions » :
– depuis que la Communauté française peut transférer des compétences à la COCOF, celle-ci peut aussi invoquer la violation des formes substantielles de coordination devant le Conseil d’Etat.
– quand une personne invoque l’exception d’illégalité pour un acte et que cet acte a été pris en vertu d’une norme violant des formes substantielles de coordination, la juridiction peut appliquer l’exception d’illégalité.
2) Commentaire
L’article 14 bis LCCE soulève différentes critiques :
1°. C’est une loi ordinaire, or elle qualifie des procédures prévues par une loi spéciale.
Cette critique là n’est pas vraiment problématique : en effet, l’article 14 bis n’est qu’une règle fixant la compétence du Conseil d’Etat. Il ne tente pas de modifier les compétences de l’Etat, des communautés et des régions.
2°. En cas de violation d’une forme substantielle de coordination, il n’ouvre un recours qu’à l’Etat, aux communautés, aux régions et à la Commission communautaire commune.
Or, vu l’importance du respect de ces « formalités » pour la bonne marche de l’Etat, elles auraient dû être d’OP et l’article 14 bis aurait dû permettre à tout le monde d’invoquer leur violation.
3°. Il qualifie les mécanismes de coordination de formalités substantielles, mais ces mêmes mécanismes sont qualifiés différemment par d’autres normes. Ils ont en fait 3 qualifications différentes :
– formes substantielles : art. 14 bis LCCE
– règles répartitrices de compétences : art. 30 bis de la loi du 06/01/89 sur la Cour d’arbitrage
– règles génératrices de conflits d’intérêts : art. 33 de la loi de réformes institutionnelles du 09/08/80
Les conflits d’intérêts doivent être portés devant le Comité de concertation et, si celui-ci ou un gouvernement fédéral ou fédéré estime qu’il y a aussi conflit de compétence, ils peuvent porter le dossier devant le Conseil d’Etat section L qui siégera toutes chambres réunies.
Il y a donc une assez grande confusion par rapport à la nature de ces mécanismes. En fait :
– certains ont un caractère de formes substantielles : ce sont les concertations, avis préalables, autorisations, avis conformes,…
– certains ont un caractère de règles répartitrices de compétences : ce sont les cas où les décisions doivent être prises après accord, consentement, convention, de façon conjointe,…
– certains enfin ne sont que des mesures de publicité postérieures à l’acte : ce sont les communications, notifications, informations,…
Quand on voit tout ça, on peut s’interroger sur l’utilité de l’article 14 bis.
Il repose sur l’idée que la seule fonction du Conseil d’Etat est de protéger l’administré contre l’arbitraire administratif. Dans cette optique, les mécanismes de coordination, qui n’ont l’air que de mécanismes de police interne au pouvoir, ne sont pas en soi des formes substantielles et l’article 14 bis a dû les ériger comme telles.
Mais en fait, le Conseil d’Etat a également une fonction de police interne au pouvoir. Il sert aussi à ce que les normes soient prises dans le respect de formes ne protégeant que la cohérence de l’ordre juridique. Ca se confirme quand on voit que, de plus en plus souvent, les pouvoirs publics sont requérants devant lui. Dans cette optique, les mécanismes de coordination sont des formes substantielles et l’article 14 bis n’était pas nécessaire pour les ériger comme telles (sauf ceux qui ne sont que des mesures de publicité postérieure à l’acte).
L’article 14 bis n’est donc pas si anodin qu’il n’y paraît : il introduit en droit belge une théorie de type dualiste selon laquelle seules les autorités publiques auraient un intérêt au respect des formes qui ne protègent pas les citoyens. Les citoyens, eux, n’auraient d’intérêt qu’à faire respecter les formes qui les protègent.
C’est une vision des choses critiquable.
4. Dans quelques rares cas, la notification tardive d’un acte le vicie
En principe, seules les formalités à accomplir avant la prise de décision sont considérées comme substantielles au sens de l’article 14 LCCE.
Mais certaines rares dispositions donnent le caractère de forme substantielle à des formalités devant être suivies après la prise de décision. Dans ces cas là, des décisions prises tout à fait régulièrement et en temps utile peuvent être annulables simplement parce qu’elles n’ont pas été publiées dans les temps (ex. permis d’urbanisme).
De toute façon, une partie de la jurisprudence estime que toute décision doit être publiée dans un délai raisonnable et que si elle ne l’est pas, elle est annulable. Le délai raisonnable de publication relève de l’appréciation du juge mais en tout cas, il ne peut dépasser le délai pris pour prendre la décision elle-même.
5. Les formes ni prescrites à peine de nullité ni substantielles
La violation des formes qui ne sont ni substantielles ni prescrites à peine de nullité n’est pas une cause d’annulation d’un acte par le Conseil d’Etat.
Pour cette raison, on les appelle parfois formes accessoires. Mais en fait, le terme est assez mal choisi car :
– elles ne sont pas accessoires dans le sens de dépendantes d’une forme principale.
– elles ne sont pas toujours d’importance mineure : elles peuvent être très importantes mais ne pas être une cause d’annulation car elles ne défendent pas les intérêts protégés par le Conseil d’Etat (elles ont une fonction de police interne au pouvoir, comme par ex. toutes les formalités de contrôle budgétaire).
C.L’excès de pouvoir
1. L’excès de pouvoir est multiforme
Une autorité administrative commet un excès de pouvoir quand elle prend une décision qu’elle ne pouvait pas prendre.
Ca vise 3 situations :
– l’incompétence
– le défaut de motifs
– la violation de la loi
2. L’incompétence de l’auteur de l’acte
a) Notion
Les autorités administratives ont des pouvoirs d’attribution. Ca signifie qu’elles n’ont que les pouvoirs qui leur ont été octroyés, et dans les limites de l’acte qui les octroie.
C’est d’OP et donc, un dépassement de sa compétence par une autorité administrative peut être soulevé d’office par le Conseil d’Etat.
L’incompétence peut être de plusieurs types :
– ratione materiae quand elle tient à l’objet de la décision
– ratione temporisquand elle tient au moment où la décision est prise
– ratione lociquand elle tient à l’endroit où la décision doit produire ses effets
– ratione personaequand elle tient à la personne visée par la décision (mais c’est rare car les administrés sont égaux devant la loi)
– ratione institutionisquand elle tient à l’organisme visé par la décision : ça vise les compétences qu’ont l’Etat, les communautés et les commissions communautaires sur les organismes bruxellois compétents pour les matières culturelles et personnalisables.
L’exercice de compétences sur un organisme bruxellois est toujours assez délicat. Il faut voir de quelle communauté dépend cet organisme. Ca s’apprécie en fonction de :
- ses activités si c’est un organisme culturel
- son organisation si c’est un organisme s’occupant de matières personnalisables
Si l’organisme n’est rattaché à aucune communauté en particulier, c’est l’Etat qui est compétent en matière culturelle et la Commission communautaire commune qui est compétente dans les matières personnalisables.
b) L’incompétence ratione materiae
1) Notion
Une autorité est incompétente ratione materiae quand elle prend une mesure dont l’objet échappe à son pouvoir.
Ex. : le roi qui signe un arrêté contenant des dispositions devant être régies par la loi, le ministre qui prend un arrêté devant être pris par le roi,…
2) Terminologie (à titre indicatif)
Certains auteurs font une distinction entre 2 types d’incompétences ratione materiae :
– l’empiètement de fonction : c’est le fait d’exercer une compétence appartenant à une autre autorité administrative
– l’usurpation de fonction : c’est le fait d’exercer une compétence appartenant à une autorité non administrative mais bien législative ou juridictionnelle
Cette distinction n’a pas été suivie par la jurisprudence et ce n’est pas plus mal car elle est critiquable en 2 points :
– le terme « usurpation » est mal choisi : il laisse croire qu’il y a intention malveillante, or parfois, l’exercice par l’administration d’une compétence législative ou juridictionnelle se fait sans mauvaise intention. En revanche, il arrive qu’une autorité administrative usurpe avec malveillance la compétence d’une autre autorité administrative.
– certaines incompétences ratione materiae ne tombent dans aucune de ces 2 catégories : c’est le cas quand l’autorité administrative exerce une compétence qui n’appartient en fait à personne.
3) Attribution et délégation de pouvoirs
1 – Notions
Les autorités administratives tiennent leurs compétences soit d’une attribution, soit d’une délégation de pouvoir.
1°. Attribution : un pouvoir est attribué quand une norme apte à créer des institutions (càd la Constitution ou une norme législative) crée ce pouvoir, qui jusque là n’existait pas ou n’était pas réglé, et le confie à une autorité déterminée.
Sans cette attribution, le pouvoir n’existerait dans le chef d’aucune autorité.
Ex. : l’article 105 de la Constitution dispose que le roi n’a pas d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent la Constitution et les lois prises en vertu de celle-ci.
2°. Délégation : un pouvoir est délégué quand l’autorité à qui il a été attribué en transfère l’exercice (en tout ou en partie) à une autre autorité.
Sans cette délégation, le pouvoir existerait mais il serait exercé par une autre autorité.
En principe, la délégation est impossible car l’attribution est d’OP. Cependant, elle est parfois permise :
– soit par la disposition qui a attribué la compétence
– soit par la coutume, si la délégation
· porte sur des points d’importance secondaire
· est commandée par la nature des choses
Ex. : la délégation de pouvoir par le roi à un ou des ministres est justifiée par la responsabilité politique des ministres si elle reste bien circonscrite, la délégation de pouvoir par un ministre à un fonctionnaire est justifiée par la hiérarchie à laquelle il est soumis si le ministre peut continuer à contrôler l’exercice de ce pouvoir.
Parfois, la distinction entre attribution et délégation ne saute pas aux yeux (ex. fonctionnaire délégué en matière d’urbanisme : son pouvoir lui est attribué par la loi mais c’est un ministre qui le désigne).
2 – Incidence
La distinction entre pouvoir attribué et délégué a un double intérêt :
1°. Seules les compétences déléguées sont d’interprétation stricte.
2°. Les compétences attribuées et déléguées ne s’exercent pas avec la même autonomie.
– compétences déléguées : le véritable titulaire de la compétence reste le délégant. L’autonomie du délégataire est donc très limitée :
· le délégant peut à tout moment révoquer la délégation
· le délégant peut évoquer une affaire et réformer la décision du délégataire (pour autant qu’on soit dans les conditions où un retrait est possible, càd, si l’acte était créateur de droit, que le délai de recours ne soit pas encore expiré)
· le délégant peut forcer le délégataire à se référer à lui avant de prendre une décision
· le délégant peut donner des instructions au délégué
– compétences attribuées : l’autonomie de l’attributaire dépend de la norme qui lui a attribué le pouvoir. Elle peut être plus ou moins large. Exemples :
· une autorité à qui a été attribué le pouvoir de prendre des sanctions disciplinaires ne peut recevoir aucun ordre de ses supérieurs quant à la sanction à infliger (large autonomie)
· le fonctionnaire délégué en matière d’urbanisme peut recevoir des instructions du ministre (peu d’autonomie)
4) Refus d’édicter un AR (à titre indicatif)
Quand une compétence doit s’exercer par voie d’AR et que la demande est refusée, ce ne sera pas l’AR qui sera l’acte annulable.
Il y a en fait 2 possibilités :
– soit un AR est pris qui rejette la demande du requérant, implicitement ou explicitement : dans ce cas, c’est l’acte préparatoire de l’AR, fait par un ministre, qui sera l’acte annulable.
– soit aucun AR n’est pris : dans ce cas, c’est le refus du ministre de soumettre au roi un arrêté faisant droit à la demande qui est l’acte annulable.
c) L’incompétence ratione temporis
1) Délais d’ordre (à titre indicatif)
Souvent, des dispositions prévoient un délai dans lequel une autorité doit prendre sa décision.
Si ce délai est un délai d’ordre, il ne vise qu’à assurer le bon fonctionnement de l’administration mais son dépassement n’entraîne pas de conséquences.
L’autorité qui agit en le dépassant n’est donc pas incompétente ratione temporis.
2) Délais impératifs (à titre indicatif)
Certains délais sont impératifs. Là, leur dépassement a des conséquences puisque l’autorité qui agit en les dépassant est incompétente ratione temporis.
Ex. : durée de l’attribution au roi de pouvoirs spéciaux, délai d’annulation accordé aux autorités de tutelle, délai pour statuer sur un permis d’urbanisme,…
3) Expiration du mandat
Quand une décision a été prise par un agent ou mandataire de l’autorité compétente, en principe, ça ne pose pas de problème, du moins pas de problème de compétence ratione materiae.
Mais si le mandat de l’agent ou mandataire a expiré, ça peut poser un problème de compétence ratione temporis.
2 cas de figure peuvent se présenter :
– l’agent est sorti de charge et a déjà été remplacé : dans ce cas, seul le nouvel agent peut agir. Si c’est l’ancien qui agit, son acte sera nul pour incompétence ratione temporis.
– l’agent est sorti de charge mais n’a pas encore été remplacé : dans ce cas, il peut agir, car s’il n’agissait pas, l’action de l’administration serait paralysé, ce qui serait contraire au principe de la continuité du SP. Cette action par intérim doit cependant être limitée dans le temps.
4) La compétence peut se fonder sur un texte qui n’est pas en vigueur
1 – 1ère hypothèse : le fondement n’est pas encore en vigueur
Quand un acte se fonde sur une norme qui n’est pas encore entrée en vigueur, est-il valable ?
Oui, dans une certaine mesure :
– une norme est exécutoire dès sa promulgation : ça signifie qu’àpde là, les personnes qui en ont connaissance (le roi, les ministres, les services administratifs qui y ont participé, etc.) peuvent la mettre à exécution.
– mais elle ne peut s’imposer aux tiers tant qu’elle n’a pas été publiée.
Donc, par ex., une loi promulguée mais non encore publiée peut servir de fondement à des AR, mais ceux-ci ne seront obligatoires que lorsque la loi et eux-mêmes auront été publiés.
2 – 2nde hypothèse : le fondement n’est plus en vigueur
Quand un acte se fonde sur une norme abrogée ou modifiée, est-il valable ?
Ca dépend, il faut distinguer 2 situations :
1°. La norme abrogée ou modifiée ne contient qu’une habilitation qui a pour effet de rendre une autorité compétente.
Dans ce cas, sa disparition ne porte pas atteinte au fait que les actes qui se basaient sur elle avaient été pris valablement. Ils restent donc valables tant qu’ils ne sont pas expressément abrogés. Eventuellement, si la norme fondatrice est remplacée par une autre, elle pourra donner compétence à une nouvelle autorité et ce sera elle qui, désormais, sera compétente pour modifier ou abroger les actes se fondant sur elle.
2°. La norme abrogée ou modifiée contenait une règle de fond, exécutée par un autre acte.
Dans ce cas, sa disparition est censée retirer tout fondement à l’autre acte donc :
– si elle est remplacée par une nouvelle norme qui contient en substance la même règle de fond, l’acte d’exécution reste valable.
– mais si elle n’est pas remplacée, l’acte d’exécution perd tout fondement et n’est donc plus valable.
5) Une combinaison d’incompétences ratione materiae et ratione temporis : la théorie des affaires courantes
Dans 2 situations de crise politique, le gouvernement est à la fois incompétent ratione materiae et ratione temporis :
– dissolution des chambres
– démission du gouvernement
Pour concilier l’absence de responsabilité politique des ministres et l’exigence de la continuité du SP, on admet que le gouvernement continue à agir mais seulement pour les actes qui ne peuvent attendre et qu’on appelle les affaires courantes.
d) L’incompétence ratione loci
Une autorité décentralisée est incompétente ratione loci quand elle prend une norme censée s’appliquer en dehors de son territoire.
Cependant, ça n’empêche pas ces autorités d’accomplir certains actes relatifs à la gestion de la collectivité locale en se déplaçant hors de celle-ci.
Les cas d’incompétence ratione loci sont rares (cf. ex. de la distribution d’eau par une commune sur le territoire d’une autre commune).
3. L’illégalité des motifs
a) Importance
La motivation d’un acte est l’élément le plus contrôlé par le Conseil d’Etat.
– à la base, il ne contrôlait que la motivation des actes devant être formellement motivés et refusait de contrôler la motivation des actes pour lesquels l’administration avait un pouvoir souverain d’appréciation.
– mais peu à peu, il s’est mis à contrôler l’exercice par l’administration de ce pouvoir souverain.
– aujourd’hui, le contrôle du Conseil d’Etat se fait différemment selon que l’acte doit être motivé en la forme ou non :
- ne doivent pas être motivés formellement les actes réglementaires
- doivent être motivés formellement tous les autres actes :
1) les actes administratifs en vertu de la loi du 29/07/91 relative à la motivation formelle des actes administratifs
2) les actes juridictionnels en vertu de l’article 149 de la Constitution
b) Les actes non motivés en la forme
1) L’obligation générale de reposer sur des motifs vérifiables
Tout acte administratif doit se baser sur des motifs exacts, pertinents et admissibles, et ce même si ces motifs ne doivent pas être formellement exprimés.
Le Conseil d’Etat les contrôle en examinant le dossier administratif et les actes préparatoires.
2) L’exactitude des motifs en fait
Les motifs d’un acte administratif doivent être établis en fait, c’est à dire véritablement exister tels qu’ils sont décrits au dossier administratif.
Sont considérés comme fondés sur des faits mal établis :
1°. Les actes qui se basent sur des faits tellement mal évalués par l’administration que si elle les avait correctement évalués, elle aurait statué différemment.
2°. Les actes qui se basent sur des éléments de preuve insuffisants et qui impliquent une limitation à un droit garanti par la CEDH.
Ex. affaire des riverains d’Heathrow (à titre indicatif) : les autorités britanniques avaient autorisé en 1993 une extension des vols de nuit. Elles se justifiaient pour ce faire sur une étude commandée par une association de transporteurs aériens, évidemment intéressés par cette extension. La Cour de Strasbourg a estimé que les motifs de l’extension n’étaient pas exacts en fait car elle impliquait une atteinte au droit au respect de la vie privée. Or, une atteinte à un tel droit, garanti par la CEDH ne peut se faire que si
– elle se justifie par un objectif mentionné par la disposition qui contient cette atteinte
– elle respecte un juste équilibre entre les intérêts des particuliers et l’intérêt général
En ce qui concerne ce critère, la CEDH a estimé que l’étude sur laquelle s’était basé le gouvernement était trop partiale et n’était donc pas un motif suffisant.
3°. Les actes qui se basent sur des faits mal qualifiés.
Ex. matière des sanctions disciplinaires : elles ne peuvent pas, en principe, être motivées par la commission par l’intéressé d’une infraction pénale, sauf si ce dernier a effectivement été condamné pénalement ou si la dénomination pénale du comportement est aussi sa dénomination courante (ex. vol).
3) La pertinence des motifs
Les motifs d’un acte administratif doivent former un lien de cause à effet avec la décision. Il faut qu’on puisse déceler la logique du raisonnement de l’administration.
4) L’admissibilité des motifs en droit
Les motifs d’un acte administratif doivent pouvoir être pris en considération par l’autorité administrative. Il faut donc qu’ils visent à satisfaire un intérêt public pour lequel le législateur a habilité l’administration à agir.
Sont donc inadmissibles :
– les motifs étrangers à l’intérêt public (ex. nomination dictée par du favoritisme politique ou familial). Ils sont cependant rares car en général, l’administration essaie de masquer ces motifs sous des intentions louables.
– les motifs louables en soi mais qui visent un intérêt public autre que celui pour lequel l’administration a été habilitée à agir (ex. refus d’un ministre de donner son accord à l’exportation d’œuvres d’art pour protéger les intérêts intellectuels et artistiques de la Belgique alors que le refus de licences d’exportation ne peut se baser sur cette raison).
Remarque : en ce qui concerne l’admissibilité des motifs, le contrôle des motifs se rapproche du contrôle du but et donc, l’excès de pouvoir peut rejoindre le détournement de pouvoir.
5) Le contrôle du pouvoir discrétionnaire
1 – Principe
Un pouvoir discrétionnaire est un pouvoir qui peut être exercé avec une marge d’appréciation totale, par opposition à la compétence liée qui ne peut être exercée que dans le sens prévu par le texte octroyant ce pouvoir, sans aucune marge d’appréciation.
En pratique, la plupart des pouvoirs sont à mi-chemin entre pouvoir discrétionnaire et compétence liée, et ce afin d’atteindre le juste milieu entre 2 idéaux inaccessibles : le législateur omniscient et l’administrateur omniscient.
Quand une autorité administrative a un pouvoir discrétionnaire (plus ou moins large), les motifs de ses actes sont malgré tout contrôlés.
En effet, même dans le cadre d’une marge d’appréciation totale, il ne faut pas confondre pouvoir discrétionnaire avec pouvoir arbitraire. L’autorité a le libre choix de sa décision mais elle doit agir en administrateur « normal » et prendre celle qui lui semble la meilleure pour atteindre le but pour lequel on lui a confié son pouvoir, à savoir le bien public.
Bien sûr, il y aura de la subjectivité, car celle-ci est inévitable, mais si elle est excessive, le juge pourra la sanctionner. C’est un contrôle marginal portant sur les abus manifestes, les erreurs manifestes d’appréciation.
2 – Limites
Pour qu’un contrôle juridictionnel puisse être exercé, il faut que le juge puisse contrôler les motifs de l’acte. Ils doivent donc être connus.
C’est presque toujours le cas mais il existe des situations rares où la décision découle d’une relation intuitu personae entre l’administration et l’intéressé et, dans ce cas, un contrôle des motifs est plus ou moins impossible.
Ex. : nomination et révocation des membres de cabinets ministériels, désignation de l’avocat d’un ministère,…
6) Le contrôle de proportionnalité
Actuellement, on tend de plus en plus à contrôler s’il y a un rapport raisonnable de proportionnalité entre la décision et son but.
Par ex., en matière de sanctions administratives, on considère qu’elles sont disproportionnées quand il y a eu erreur manifeste d’appréciation.
7) Mais pas de contrôle d’opportunité ni de « bilan coûts-bénéfices »
Les contrôles du pouvoir discrétionnaire et de la proportionnalité peuvent vite aboutir à un contrôle en opportunité.
Mais il faut éviter ça. Il y a en fait contrôle d’opportunité quand il faut trancher entre 2 intérêts opposés et qu’aucune règle de droit ne donne la priorité à l’un d’eux. En France, un tel contrôle est exercé par le Conseil d’Etat qui en vient à faire des calculs coûts bénéfices. Mais c’est donner une apparence d’objectivité juridique à une décision qui ne relève en fait que de subjectivité politique.
C’est pourquoi il vaut mieux laisser ce domaine aux politiciens et, en Belgique, le Conseil d’Etat refuse donc d’exercer tout contrôle d’opportunité.
8) Le contrôle des décisions prises au scrutin secret
Ce n’est pas parce qu’une décision émanant d’un organe collégial a été prise suite à un vote secret que ses motifs ne peuvent pas être contrôlés.
Les membres de l’organe ne sont pas individuellement des autorités administratives et donc, leur vote ne sera pas contrôlé. Mais la décision qui en est le résultat doit l’être et ses motifs doivent être exacts, pertinents et admissibles.
Comment les contrôler ? Ils sont censés se dégager du dossier. Avant le vote, on a en effet des délibérations, lors desquelles les personnes qui seront appelées à voter exposent leurs arguments, et qui sont consignées. Suivant le camp qui l’a emporté, le juge saura quels arguments ont motivé la décision et il devra les contrôler, du moins de façon marginale, et sanctionner les abus manifestes.
9) Des exceptions critiquables : le sort des professeurs de religion et des aumôniers
Une catégorie de décisions administratives échappe au contrôle des motifs : celles qui ont trait à la révocation
– des professeurs de religion dans l’enseignement officiel
– des aumôniers militaires
Le Conseil d’Etat a toujours refusé de les contrôler sous prétexte que ces derniers sont nommés sur présentation des autorités religieuses compétentes et que ça implique la confiance des autorités en question. Si cette confiance disparaît, il peut y avoir révocation et la séparation de l’Eglise et de l’Etat empêche que le Conseil d’Etat puisse contrôler les raisons de cette perte de confiance.
C’est critiquable car :
– ces décisions échappant à tout contrôle sont incompatibles avec le principe de l’Etat de droit.
– normalement, le titulaire d’une fonction publique ne peut être révoqué pour des motifs relevant de sa vie privée et étrangers à son activité professionnelle.
– dans l’enseignement libre, les professeurs de religion, qui sont sous contrat et non pas sous statut, ne peuvent être licenciés pour de tels motifs. Ils sont donc mieux protégés que leurs collègues de l’enseignement officiel.
— Il faut espérer que l’introduction dans la Constitution des droits au respect de la vie privée et familiale et à l’égalité entre membres du personnel et entre établissements scolaires entraînera un changement dans la jurisprudence du Conseil d’Etat.
10) Preuve des motifs et portée de ce contrôle
Les motifs de l’acte invoqués devant le Conseil d’Etat doivent répondre à des exigences :
– de fond (v. supra)
– de procédure : ils doivent découler d’éléments établis in tempore non suspecto, donc en principe avant la prise de l’acte (dans ce cas, on les retrouvera dans le dossier administratif) ou éventuellement en même temps ou un peu après (ex. conférence de presse tenue par un ministre lors de la parution au MB).
En tout cas, l’administration n’est pas admise à prouver a posteriori qu’elle a statué pour de justes motifs et donc, les motifs qui ne sont exposés que dans des écrits de procédure ne pourront pas être pris en compte.
11) En cas de pluralité de motifs
Parfois, un acte administratif se fonde sur plusieurs motifs dont certains sont admissibles et d’autres pas. Que faut-il faire ?
Il y a 3 cas de figure :
– l’un des motifs est déterminant : dans ce cas, les autres motifs doivent être considérés comme surabondants. Seul le motif déterminant compte et seul lui doit être admissible. Un recours qui ne critiquerait que les autres motifs serait irrecevable à défaut d’intérêt.
– tous les motifs sont déterminants : dans ce cas, tous comptent et tous doivent être admissibles. A partir du moment où l’un d’entre eux pose problème, l’acte doit être annulé.
– les motifs forment un ensemble dans lequel chacun joue un rôle : dans ce cas, il faut se demander si, en l’absence du motif qui pose problème, l’administration aurait ou non pris la même décision. Le problème est que cette question relève du pouvoir souverain d’appréciation de l’administration dans lequel le Conseil d’Etat ne peut s’immiscer. Il annulera donc l’acte dès qu’un des motifs pose problème. Eventuellement, l’administration pourra reprendre la même décision mais en corrigeant le motif en question.
12) La substitution de motifs
La substitution de motifs consiste, pour le Conseil d’Etat, à constater que les motifs d’un acte sont inadmissibles et à les remplacer par d’autres motifs tirés du dossier administratif. Ca permet de rejeter une requête en annulation même si, a priori, elle semblait fondée.
C’est une technique rare.
– déjà, avant qu’il n’y ait une obligation générale de motiver formellement les actes administratifs, le Conseil d’Etat y procédait rarement. Il ne le faisait que si l’acte aurait de toute façon dû être pris, notamment parce que l’autorité qui l’avait pris avait une compétence liée (d’où aussi une absence d’intérêt à agir dans le chef du requérant en annulation).
– depuis l’obligation générale de motiver formellement les actes administratifs, le Conseil d’Etat peut toujours y procéder mais c’est encore plus difficile vu que son contrôle est censé désormais se limiter aux motifs formellement exprimés (et la question de l’absence d’intérêt à agir du requérant se pose toujours).
– en fait, c’est surtout au contentieux de la cassation administrative qu’on retrouve la technique. Pourtant, là, la motivation formelle a toujours été la règle.
c) Les actes motivés en la forme
1) Double aspect du contrôle
Pour les actes devant être formellement motivés, le contrôle des motifs revêt 2 aspects :
1°. Contrôle formel : on vérifie qu’il y a bien une motivation en regardant si l’acte mentionne les raisons qui ont conduit son auteur à l’adopter.
La motivation se trouve en général dans le préambule de l’acte, mais pas toujours. Il n’y a en fait aucune forme requise quant à l’expression de la motivation et elle peut donc se trouver n’importe où dans l’acte, a fortiori quand l’acte lui-même est dépourvu de formalisme (ex. lettre, avis aux valves,…).
2°. Contrôle de fond : on vérifie que les motifs répondent à une série de conditions, de critères de validité.
Ca doit être des considérations de droit et de fait servant de fondement à la décision.
2) Limitation de contrôle de fond
Dans les actes devant être motivés en la forme, le contrôle de fond est limité aux motifs formellement exprimés. Les autres motifs ne peuvent être ni invoqués par l’autorité administrative, ni examinés par le Conseil d’Etat, ce qui facilite son travail.
Mais en ce qui concerne les motifs formellement exprimés, ils sont contrôlés de façon tout aussi approfondie que les motifs des actes non formellement motivés.
4. La violation de la loi
a) Importance et intérêt
La violation de la loi est la cause d’annulation pour laquelle les arrêts sont les plus intéressants car le Conseil d’Etat :
– y explique les droits des parties
– y interprète la règle de droit
On ne va cependant pas l’examiner en détail car ce serait examiner le fond des lois en question, ce qui n’a pas sa place dans ce cours.
b) La notion de loi
1) Règles écrites
Quand on dit que l’acte administratif doit respecter la loi, le terme « loi » vise toutes les règles de droit qui s’imposent à l’auteur de l’acte : le droit international directement applicable, la Constitution, les lois, décrets et ordonnances, et éventuellement des règlements.
On voit donc que plus l’acte administratif contrôlé est bas dans la hiérarchie des normes, plus le contrôle qui s’exerce sur lui est intense.
Au besoin, les parties pourront aussi contester la légalité de l’acte sur lequel se fonde l’acte attaqué. Le Conseil d’Etat peut donc être amené à contrôler la régularité :
– de lois :
- si elles violent le droit international directement applicable, il peut appliquer l’arrêt Le Ski et les contrôler lui-même
- si elles violent la Constitution, il ne peut les contrôler lui-même et doit saisir la Cour d’arbitrage d’une question préjudicielle
– de règlements : il peut appliquer l’exception d’illégalité, même si celui qui l’a soulevée est l’autorité elle-même qui avait pris l’acte illégal.
Cependant, l’exception d’illégalité ne pourra être invoquée si le Conseil d’Etat a déjà refusé d’annuler l’acte en question, du moins si les parties sont les mêmes. Par contre, si les parties ont changé, l’exception d’illégalité pourra être invoquée. Ca découle de l’autorité relative de la chose jugée des arrêts de rejet du Conseil d’Etat.
2) Contrôles de compatibilité et de conformité
Le contrôle du Conseil d’Etat consiste à vérifier que l’acte administratif attaqué s’insère correctement à la place qui lui revient dans l’ordre juridique. Selon la nature du pouvoir exercé par l’autorité, ce contrôle s’exercera de 2 façons différentes :
1°. Le pouvoir est un pouvoir d’exécution : dans ce cas, l’autorité a un pouvoir général pour exécuter toutes les normes prises par l’autorité supérieure, sans que celle-ci ne doive même l’habiliter.
L’autorité supérieure prend une norme dans laquelle sont posés des principes et l’autorité inférieure, en vertu de son pouvoir général d’exécution, exécute ces principes en en prévoyant les modalités en détail. On peut dire que la norme supérieure est une esquisse et que l’acte qui l’exécute en fait une œuvre achevée.
Pour le roi par ex., ce pouvoir général d’exécution découle de l’article 108 de la Constitution
ðQuand un acte est pris en vertu d’un pouvoir d’exécution, le contrôle qui s’exerce sur lui est un contrôle de conformité. Il implique :
– non seulement de vérifier que l’acte respecte les normes supérieures
– mais aussi de vérifier qu’il les exécute en harmonie avec leur contenu
2°. Le pouvoir est un pouvoir d’attribution : dans ce cas, l’autorité n’a pas un pouvoir général mais un pouvoir spécifique qu’une norme lui a expressément attribué dans tel ou tel but. Là, il faut une habilitation.
L’autorité supérieure prend donc une norme dans laquelle elle confie une mission à l’autorité inférieure et celle-ci l’exécute, avec une plus ou moins grande liberté selon habilitation (qui peut aller de la compétence liée à une très grande liberté comme par ex. dans une loi de pouvoirs spéciaux). On peut dire que la norme supérieure est un cadre et que l’acte qui en découle est l’œuvre qui s’y inscrit.
Pour le roi par ex., ce pouvoir d’attribution découle de l’article 105 de la Constitution
ðQuand un acte est pris en vertu d’un pouvoir d’attribution, le contrôle qui s’exerce sur lui est un contrôle de compatibilité. Il implique simplement de vérifier que l’acte respecte les normes supérieures.
3) Herméneutique et contrôle de légalité ou de constitutionnalité
1 – Position du problème
Lorsqu’on veut vérifier la compatibilité entre 2 normes de valeur juridique différente, il faut avant tout en déterminer la portée. Mais elle n’est pas toujours claire et donc, le juge va devoir faire un travail d’interprétation.
Suite à ce travail, 3 situations peuvent se présenter :
– quelle que soit l’interprétation des 2 normes, elles sont toujours compatibles
– quelle que soit l’interprétation des 2 normes, elles sont toujours contradictoires
– selon l’interprétation qu’on en fait, les 2 normes sont tantôt compatibles, tantôt contradictoires
2 – 1ère hypothèse : les normes sont toujours compatibles
Si le juge arrive à la conclusion que, quelle que soit l’interprétation qu’il en fait, les 2 normes sont toujours compatibles, la situation est simple.
Il devra simplement trancher le litige en conséquence, sans devoir faire autre chose.
3 – 2ème hypothèse : les normes sont toujours contradictoires
Si le juge arrive à la conclusion que, quelle que soit l’interprétation qu’il en fait, les 2 normes sont toujours contradictoires, il doit adopter une interprétation pour la norme supérieure et l’appliquer en écartant la norme inférieure.
– quand la norme inférieure est un règlement, c’est toujours possible en vertu de l’exception d’illégalité.
– quand la norme inférieure est une loi, ce n’est possible que si la norme supérieure relève du droit international directement applicable. S’il s’agit de la Constitution, le juge devra saisir la Cour d’arbitrage d’une question préjudicielle.
4 – 3ème hypothèse : selon l’interprétation adoptée, les normes sont compatibles ou contradictoires
Si le juge arrive à la conclusion que, selon l’interprétation qu’il en fait, les 2 normes seront tantôt contradictoires et tantôt pas, il doit d’abord interpréter la norme supérieure, puis, 2 possibilités s’offrent à lui :
1°. Soit il interprète ensuite la norme inférieure et retient la signification que commandent les moyens habituels d’interprétation.
Selon les cas, cette signification sera ou non compatible avec la norme supérieure. Si elle ne l’est pas, le juge devra écarter la norme inférieure.
2°. Soit il interprète ensuite la norme inférieure et retient la signification qui la rend conforme avec la norme supérieure. Il fait donc une interprétation conciliante.
Ca amène parfois le juge à adopter pour la norme inférieure une interprétation qui ne serait pas celle qu’il aurait retenue s’il en avait fait une interprétation totalement autonome. C’est que son raisonnement est double : il comporte
– une démarche d’interprétation
– une démarche d’appréciation de la compatibilité de 2 normes
Quoi qu’il en soit, en pratique, quelle que soit la démarche suivie par le juge, on arrivera plus ou moins au même résultat. De toute façon, la norme supérieure sera respectée puisque :
– soit on n’appliquera pas la norme inférieure qui la viole
– soit on ne l’appliquera que dans la mesure où elle la respecte
Remarque : l’interprétation conciliante de la loi par rapport à la Constitution consiste en un contrôle caché de la constitutionnalité des lois par le juge.
5 – Jurisprudence du CE
Le Conseil d’Etat a toujours refusé de contrôler la constitutionnalité des lois, si ce n’est par la « forme douce » qu’est l’interprétation conciliante (en général dans le cadre de recours contre des arrêtés de pouvoirs spéciaux).
6 – Rôle de la Cour d’arbitrage
La création de la Cour d’arbitrage a eu un impact sur le contrôle de constitutionnalité des lois qu’exerçaient à mots couverts le Conseil d’Etat et les juridictions judiciaires dans le cadre de l’interprétation conciliante. On en parlera infra.
4) Créations jurisprudentielles
1 – Formation
Comme les juridictions judiciaires, le Conseil d’Etat ne peut commettre de déni de justice et est donc toujours tenu de statuer.
Résultat : parfois, il doit se prononcer sur des situations non expressément visées par des règles de droit écrit. Il fait donc œuvre créatrice de droit. Et contrairement à la Cour de Cassation (qui dit que ça équivaudrait à donner à sa jurisprudence un caractère de mesure générale et réglementaire), il admet qu’on invoque devant lui ces règles jurisprudentielles.
En voici quelques unes :
2 – “Patere legem quam ipse fecisti”
A la base, on ne considérait pas que l’auteur d’une norme devait respecter celle-ci lorsqu’il prenait une nouvelle norme. Donc par ex., un AR pouvait déroger à un autre AR. Ca aboutissait à ce que par ex., le roi puisse nommer un agent sans respecter les règles statutaires qu’il avait fixées à cette fin.
Cette vision des choses a changé avec un arrêt du Conseil d’Etat de 1949 qui a consacré le principe « patere legem quam ipse fecisti » (il faut respecter la loi qu’on a faite soi-même). Depuis lors, le Conseil d’Etat et les juridictions judiciaires le suivent sauf quand la norme elle-même prévoit qu’une norme de même niveau pourra y déroger.
3 – Intangibilité et retrait des actes administratifs
a. Objet et champ d’application
Le Conseil d’Etat a créé les 2 règles suivantes et leur a donné un caractère d’OP :
– en principe, les actes administratifs sont intangibles
– mais par exception, ils peuvent parfois être retirés
Ces règles s’appliquent uniquement aux actes administratifs :
– non réglementaires
– créateurs de droits non pécuniaires
Par conséquent, elles ne s’appliquent pas aux actes :
– réglementaires : ils sont également intangibles et en principe non retirables, mais ce en vertu d’une autre règle, celle de la non-rétroactivité des lois et règlements.
– créateurs de droits pécuniaires : ils ne donnent lieu qu’à des litiges devant les juridictions judiciaires qui appliquent d’autres principes que le Conseil d’Etat.
– non créateurs de droits : ils peuvent toujours être retirés puisque leur retrait ne nuit à personne. Ex. : décisions de refus, sanctions disciplinaires, appels aux candidats non suivis de nomination,…
b. Le principe : l’intangibilité
En principe, une fois qu’un acte administratif a été pris et notifié aux intéressés, son bénéfice leur est acquis. L’acte ne pourra en effet être retiré que par un « acte contraire », mais seulement dans les cas où c’est prévu et, en tout cas, jamais de façon rétroactive.
Cette règle ne connaît aucune exception en ce qui concerne les actes réguliers.
c. Les exceptions au principe : cas où le retrait est permis
1°. L’acte est irrégulier et annulable
L’acte peut tout d’abord être retiré quand il est annulable par le Conseil d’Etat. Dans ce cas en effet, le retrait permet de faire l’économie d’un recours au CE en annulant l’acte ab initio (il sera censé n’avoir jamais existé).
Ce type de retrait n’est évidemment possible que si on est dans des conditions où le Conseil d’Etat pourrait annuler l’acte. Il faut donc respecter des conditions de :
– délai : le retrait ne peut intervenir que tant que le délai de recours en annulation n’est pas encore expiré, donc dans les 60 jours de la prise de l’acte par l’autorité administrative.
Si un recours a déjà été introduit, le retrait peut se faire jusqu’au prononcé de son arrêt par le Conseil d’Etat mais uniquement pour des motifs qui pourraient entraîner l’annulation par le Conseil d’Etat, donc des moyens soit invoqués dans la requête en annulation, soit d’OP.
– fond : l’acte doit être entaché d’une illégalité susceptible d’entraîner son annulation par le Conseil d’Etat.
2°. La loi, le décret ou l’ordonnance autorise expressément le retrait
Le 2ème cas où le retrait est possible est celui où une disposition législative l’autorise. En effet, la loi peut déroger à la théorie jurisprudentielle de l’intangibilité des actes administratifs. Exemples :
– art. 36 LCCE : quand une autorité administrative viole l’autorité de la chose jugée et reprend, après un arrêté d’annulation, un acte identique à l’acte annulé sans en corriger l’illégalité, le requérant peut demander au CE qu’il ordonne à l’autorité administrative de retirer son acte, et ce sous peine d’astreintes.
Il n’y a pas de délai prévu, donc c’est possible pendant 30 ans.
– législation relative aux pouvoirs locaux : quand une autorité de tutelle a suspendu un acte administratif, l’autorité qui a pris cet acte peut valablement le retirer, et ce même si l’acte n’est pas illégal.
3°. L’acte a été obtenu par fraude
En vertu de l’adage « fraus omnia corrumpit », un acte irrégulier obtenu par une fraude de l’administré peut en tout temps être retiré.
4°. L’acte est inexistant
Les actes inexistants sont ceux qui sont entachés d’une irrégularité telle que ce ne sont même pas des actes administratifs mais seulement des semblants d’actes administratifs. Ils ne sont donc pas à proprement dit retirés puisqu’ils n’ont jamais existé, mais l’administration les élimine pour dissiper tout équivoque.
Ex. : décision non signée, délibération non votée, projet de décision auquel il n’a pas été donné suite (actes totalement inexistants), nomination d’un incivique déchu de ses droits politiques comme agent de l’Etat (acte existant mais entaché d’une illégalité particulièrement grave),…
d. Controverses
1°. Objet de la controverse
Le fait qu’on ne puisse plus retirer un acte une fois que le délai de recours devant le Conseil d’Etat est expiré vise à protéger la sécurité juridique mais fait aussi en sorte que des actes irréguliers soient consacrés dans l’ordre juridique. Il y a donc conflit entre les principes de sécurité juridique et de légalité.
Le Conseil d’Etat a décidé de faire primer la sécurité juridique mais ce n’est pas le cas de toutes les juridictions. Certaines font primer le principe de légalité sans, heureusement, que ça ne génère trop de perturbations.
Il s’agit des juridictions judiciaires et de la Cour des comptes.
2°. Jurisprudence judiciaire
Les juridictions judiciaires peuvent, en vertu de l’article 159 de la Constitution, appliquer l’exception d’illégalité. Ca signifie que, quand un acte administratif illégal (réglementaire ou à portée individuelle) crée un droit pécuniaire, elles peuvent en écarter l’application, et ce sans limite de temps.
Donc, quand un acte administratif a fait l’objet d’un retrait, si son bénéficiaire assigne l’administration pour la faire respecter l’acte malgré tout, le juge devra contrôler non pas si le retrait était valable, mais bien si l’acte lui-même l’était. S’il estime que l’acte était illégal, il cautionnera le retrait même si, en fait, il ne l’a pas contrôlé.
3°. Jurisprudence de la Cour des comptes
La Cour des comptes estime que l’article 180 de la Constitution lui impose de vérifier la régularité de toutes les dépenses de l’Etat, et ce sans limite de temps.
Elle a donc toujours refusé de suivre la jurisprudence du Conseil d’Etat, selon laquelle la régularité d’un acte ne peut être contestée que dans les limites du délai de recours en annulation. Elle refuse, même au-delà de cette limite de 60 jours, de donner son visa à des dépenses inscrites dans un acte illégal. Cependant, le conseil des ministres a toujours passé outre.
Depuis 1976, la Cour tente en vain d’obtenir que les chambres légifèrent en la matière.
e. Le sort des actes illégaux
1°. Principe
Le principe est qu’un acte illégal qui ne peut plus être retiré demeure dans l’ordre juridique. Il sort donc tous ses effets :
– en tout cas pour le passé
– et aussi pour l’avenir car le Conseil d’Etat refuse de prononcer l’illégalité d’un tel acte par voie incidente lorsqu’on conteste la validité d’un acte qui est fondé sur lui (jurisprudence constante)
2°. 1ère exception : la primauté du droit communautaire
La CJCE a dit qu’on ne pouvait, au nom de la sécurité juridique, entraver l’application du droit communautaire. Donc, quand un acte administratif belge est contraire au droit communautaire, le juge est obligé d’en écarter l’application.
On peut étendre cette jurisprudence au retrait.
3°. 2ème exception : l’acte illégal est un règlement
Quand l’acte illégal est un règlement, on peut toujours appliquer l’exception d’illégalité. Mais attention, l’acte illégal n’est écarté que dans le litige concerné. Il demeure donc dans l’ordre juridique et pourra très bien être appliqué par un autre juge si, lui, n’estime pas le règlement illégal.
Cependant, l’application par un juge de l’exception d’illégalité peut amener l’autorité qui a pris l’acte à le modifier ou l’abroger. Cependant, le juge ne pourra jamais l’y obliger. Il ne peut que l’inciter. Mais il peut éventuellement mettre en œuvre sa responsabilité civile, voire décider des astreintes, ce qui est un très bon incitant.
4 – L’autorité de la chose jugée
La violation de l’autorité de la chose jugée est considérée comme une violation de la loi.
On considère l’autorité de chose jugée comme violée quand, après qu’un acte ait été annulé, une autorité administrative reprend un acte identique sans en corriger les irrégularités.
Quel est l’intérêt de savoir qu’un acte recopiant un acte illégal annulé est illégal pour violation de la chose jugée ? A priori, on pourrait croire qu’il n’y en a pas puisque le 2nd acte peut de toute façon être annulé pour les mêmes raisons que le 1er. En fait, il y a un double intérêt :
– l’illégalité pour violation de l’autorité de la chose jugée est d’OP. Elle peut donc être soulevée d’office par le juge.
– la violation de l’autorité de la chose jugée par un acte permet de retirer cet acte sans limite de temps, et même d’imposer son retrait sous peine d’astreintes.
Remarque : le Conseil d’Etat considère comme violant l’autorité de la chose jugée tout acte violant une de ces décisions propres mais aussi une décision d’une juridiction judiciaire.
Par contre, les juridictions judiciaires, elles, ne considèrent comme violant l’autorité de la chose jugée que les actes violant leurs décisions à elles mais pas ceux violant les décisions du Conseil d’Etat.
5 – Les principes généraux de droit
Les principes généraux de droit (PGD) peuvent viser différents types de règles:
– les règles qui se retrouvent dans plusieurs normes, dans des circonstances proches, de sorte que, par analogie, on peut en déduire une règle plus générale.
– les règles qui existent dans des dispositions bien claires mais que, par commodité de langage, on préfère désigner comme un principe (ex. il est plus facile de parler du principe d’égalité devant la loi que de commencer à citer toutes les sources de cette règle).
– les règles qui sont implicitement sous-entendues dans notre système juridique et qu’on n’a donc jamais jugé utile de coucher par écrit (ex. principe de continuité de l’Etat et du SP).
– les règles non écrites car de simple bon sens (ex. principe selon lequel l’administration doit connaître les situations qu’elle est appelée à régler).
On a souvent dit que les PGD n’étaient pas créés par la jurisprudence mais qu’ils préexistaient et qu’elle ne faisait qu’en constater l’existence.
Cependant, un PGD n’est jamais accepté comme source de droit tant qu’il n’a pas été consacré par la jurisprudence. Il s’agit donc bien de créations prétoriennes.
6 – La non-rétroactivité et ses tempéraments
a. Généralités
La rétroactivité est une fiction qui consiste à considérer qu’un acte qui vient d’être pris a déjà pu régir des situations plus anciennes. Cependant, les effets de l’acte rétroactif ne pourront jamais sortir tant qu’il n’a pas été pris et publié.
Ces effets sont régis par la jurisprudence et peuvent être de 2 types :
– régularisation d’une situation jusque là illégale : dans ce cas, les irrégularités sont couvertes et les procès qu’elles auraient pu susciter tournent court.
– mise des choses dans l’état dans lequel elles se seraient trouvées si l’acte avait été appliqué dès la date jusqu’à laquelle il rétroagit
Les conditions d’admission de la rétroactivité diffèrent selon qu’on a un acte réglementaire ou individuel.
b. Les règlements
En principe, il existe un PGD (découlant de nombreuses dispositions légales) selon lequel une règle de droit ne peut rétroagir. Mais ce principe connaît des exceptions :
– tout d’abord, il n’est pas obligatoire pour le législateur. Ce n’est pour lui qu’un précepte et il peut donc y déroger ainsi que permettre à un règlement d’y déroger.
Il n’y a qu’un seul cas où la loi ne peut jamais rétroagir : quand elle établit ou aggrave des peines.
– ensuite, il peut être écarté quand la rétroaction ne nuit pas à l’administré, voire lui profite.
En fait, dans ce cas, la norme rétroactive peut être illégale. Mais personne n’a intérêt à attaquer cette illégalité. Et donc, pas raccourci, la doctrine et la jurisprudence ont considéré qu’on pouvait considérer la norme comme légale.
c. Les actes individuels
Les règles relatives à la rétroactivité des actes individuels sont totalement jurisprudentielles, contrairement au PGD s’appliquant aux règlements qui, lui, découle, de dispositions légales.
En gros, on peut dire que les règles sont les mêmes : un acte individuel ne peut pas rétroagir, sauf si :
– soit la loi l’admet
– soit ça ne nuit pas à l’administré : cependant, parfois, un acte individuel défavorable à l’administré peut rétroagir, mais pas trop loin, par ex.
- un agent est privé de ses fonctions par une mesure administrative ou une décision judiciaire : le changement de son statut peut rétroagir jusqu’au jour de la privation de ses fonctions mais pas avant.
- un agent est considéré comme ayant démissionné d’office pour abandon de poste (absence injustifiée de 10 jours) : la démission peut rétroagir jusqu’au 1er jour d’absence mais pas avant.
Remarque : les mesures à prendre après l’annulation d’un acte par le Conseil d’Etat ou par une autorité de tutelle sont une terre d’élection de la rétroactivité (v. infra).
- Le détournement de pouvoir
1. Notion
La notion de détournement de pouvoir est une création jurisprudentielle française qui a été régulièrement utilisée depuis la fin du XIXème siècle.
Elle découle de l’idée selon laquelle les pouvoirs attribués à l’administration le sont dans un but déterminé :
– l’intérêt général
– un but plus spécifique à chaque acte
De ce double objectif des actes administratifs découle une divergence importante entre les jurisprudences belge et française.
2. France
En France, on a une conception large de l’excès de pouvoir puisqu’il existe dès que l’acte a été pris pour remplir un but autre que son but spécifique.
Il peut donc y avoir détournement de pouvoir :
– quand l’acte a été pris dans un but louable et d’intérêt général. Exemples :
- usage de pouvoirs de police pour servir les intérêts financiers d’une commune plutôt que la sécurité, tranquillité et salubrité publiques
- octroi d’une aide sociale pour compenser un impôt de l’Etat et non à titre de secours individuel pour des personnes dans le besoin
– quand l’acte a été pris dans un but étranger à l’intérêt général, a fortiori. Exemples :
- modification d’un plan de lotissement dans le seul but d’éviter à des particuliers une démolition de leur propriété
- éviction d’un fonctionnaire pour des raisons autres que la réorganisation de son service
3. Belgique
En Belgique, on a une conception beaucoup plus restrictive du détournement de pouvoir : il n’existe que quand l’acte a été pris dans un but totalement étranger à l’intérêt général. Il faut donc prouver
– non seulement que l’administration a agi dans un but illicite
– mais aussi qu’elle a agi sans aucun but licite
Ca s’explique par 2 raisons :
– l’annulation pour excès de pouvoir est ressentie comme une condamnation morale solennelle qui n’améliore pas l’efficacité de l’arrêt mais ne fait qu’accroître la vexation de l’autorité qui l’a pris
– l’annulation pour excès de pouvoir requiert une procédure plus encombrante (en assemblée générale)
Résultat : très peu d’actes ont été annulés en Belgique pour détournement de pouvoir (7).
Les raisons en ont été notamment :
– la fixation de conditions d’admission à un poste dans le but de désigner un candidat en particulier
– la nomination d’une personne à un poste pour lequel elle ne réunit manifestement pas les conditions,…
Mais ça ne signifie pas que notre administration est particulièrement éthique dans ses décisions. Simplement que la plupart des décisions entachées de détournement de pouvoir sont en général plutôt annulées pour leurs motifs illicites (excès de pouvoir), ce qui, au final, revient au même.
Remarque : les juridictions judiciaires ont, elles une conception beaucoup plus large de l’excès de pouvoir. Elles appliquent l’exception d’illégalité ou accordent une indemnité lorsque l’administration a agi dans un but conforme à l’intérêt général mais étranger aux raisons pour lesquelles elle avait reçu son pouvoir.