Le contentieux de l’appartenance d’un bien à une personne publique
Pour faire partie du domaine public, il faut appartenir à une personne publique. Il faut donc savoir quelles sont les personnes publiques qui peuvent avoir un domaine, et qu’advient-il du patrimoine lorsqu’une personne publique devient privée.
I) La propriété publique, critère obligatoire d’appartenance au domaine public ou privé
A) Quelles sont les personnes publiques concernées ?
L’ensemble des personnes morales de droit public peuvent avoir un domaine, public ou privé : l’Etat, les collectivités territoriales (régions, départements, communes), les EPA et les EPIC (arrêt du Conseil d’Etat du 21 mars 1984 Mansuy : jusqu’aux années 80, on considérait que les établissements publics n’avaient pas de patrimoine), les personnes publiques sui generis (la Banque de France, les GIP, les AAI ayant la personnalité morale, telle l’AMF).
- Droit administratif des biens
- Les dommages de travaux publics
- L’ouvrage public : définition, critères, intangibilité
- La notion de travaux publics
- La phase judiciaire de l’expropriation
- L’arrêté de cessibilité
- L’acte déclaratif d’utilité publique
B) Seules les personnes publiques sont propriétaires du domaine public
Dès lors qu’un bien est la propriété d’une personne privée, il ne peut en aucun cas appartenir au domaine d’une personne publique, et à fortiori au domaine public.
Certains contentieux assez épars ont vu des propriétaires de biens refuser de les entretenir en invoquant le fait qu’ils appartenaient au domaine public du fait de leur affectation. C’est le cas de :
- l‘arrêt de section du Conseil d’Etat du 8 mai 1970 Société Nobel-Bozel : un mur implanté sur un terrain privé en bordure d’une voie publique ne peut pas faire partie du domaine public du fait qu’il appartient à une personne privée ;
- l‘arrêt du Tribunal des conflits du 16 mai 1994 Allar : une voie privée ouverte à la circulation n’appartient pas au domaine public puisqu’elle n’est pas la propriété d’une personne publique ;
- l‘avis du Conseil d’Etat rendu en assemblé générale du 10 juin 2004 : le siège de l’agence France-Presse ne peut pas appartenir au domaine public puisque cet organisme est une personne morale de droit privé.
Conseils bibliographiques
- Note du Conseil d’Etat à propos de l’arrêt du 10 juin 2004 et du statut juridique du siège de l’Agence France-Presse, Seules les personnes publiques peuvent être propriétaires d’un domaine public, RFDA 2004
- Marion Ubaud-Bergeron, Les contradictions du régime du financement privé des ouvrages publics sur le domaine public de l’Etat, AJDA 2003, p.1361
C’est cette même condition qui explique qu’en principe, la personne publique ne peut pas avoir recours au crédit-bail pour financer un ouvrage sur le domaine public puisque pendant la durée du contrat de crédit-bail, l’ouvrage est incorporé au patrimoine de l’organisme, de la société de crédit : c’est l’avis du Conseil d’Etat du 30 mars 1989.
La jurisprudence considère qu’un bien d’une personne publique ne peut pas être détenu en co-propriété avec d’autres personnes privées en raison de l’incompatibilité qu’il y a entre les règles de la co-propriété et les règles de la domanialité publique.
Le premier arrêt qui a été rendu est un arrêt de section du Conseil d’Etat du 11 février 1994 Compagnie d’assurance La Préservatrice foncière : le Conseil d’Etat constate qu’un bien d’une personne publique est détenu en co-propriété et il se demande si, postérieurement à l’acquisition de ce bien en co-propriété, ce bien va être affecté à un service public, et s’il fait donc partie du domaine public. Le Conseil d’Etat constate l’incompatibilité entre co-propriété et domanialité publique, et par conséquent, le bien ne fait pas partie du domaine public.
Dans un arrêt plus récent du 25 février 2009, la première chambre civile de la Cour de cassation était saisie d’un litige identique, sauf qu’elle va poser le même principe que le Conseil d’Etat, à savoir incompatibilité entre co-propriété et domanialité publique, mais elle n’en tire pas du tout la même solution : en raison de l’incompatibilité, elle énonce que les règles de la domanialité priment et que la co-propriété est illégale.
Ces deux solutions peuvent paraître opposées à première vue, mais elles vont en réalité exactement dans le même sens. Si le Conseil d’Etat avait fait primer la co-propriété sur la domanialité car elle était antérieure à la domanialité publique, la Cour de cassation quant-à elle était dans une situation où l’appartenance au domaine public était antérieure à la co-propriété, et c’est donc pour cela qu’elle a fait primer la domanialité publique. Les deux juridictions s’attachent à la chronologie.
C) Ce qu’il advient du patrimoine lorsqu’une personne publique devient privée
La transformation d’une personne publique en personne morale de droit privé va entraîner nécessairement le déclassement de son domaine public. Il est extrêmement fréquent que des EPIC soient transformés en sociétés commerciales : France Télécom en 1996, EDF en 2004, Aéroport de Paris en 2005, la Poste en 2010.
Le juge administratif tâtonne sur le sujet et rend des solutions qui sont plus des solutions dictées par des nécessités de faits et de la pratique plutôt que par un raisonnement juridique rigoureux. Très récemment, en avril 2010, s’est posée la question de savoir si les ouvrages d’EDF étaient des ouvrages publics.
- Juridiquement, si le juge appliquait à la lettre les principes séculaires juridiques qui ont toujours été appliqués, il devrait répondre par la négative, et dire qu’ils ne le sont plus.
- De façon pragmatique, il va se demander si l’on peut admettre aujourd’hui, en France, que ces ouvrages, majeurs, puissent être considérés comme autre chose que des ouvrages publics. Il répondra par la négative, ils sont nécessairement publics.
Le Conseil d’Etat a considéré dans un avis de juin 1996 précédant la loi du 16 juillet 1996 privatisant France Télécom que les biens appartenant à France Télécom ne pouvaient plus faire partie du domaine public dès lors que France Télécom était transformée en société privée.
Le législateur décide de faire basculer les biens publics les plus importants de l’établissement dans le domaine public de l’Etat.
Le Conseil constitutionnel, dans un arrêt du 19 avril 2005 à propos d’Aéroport de Paris, privatisé par la loi du 20 avril 2005, a retenu une solution identique.
Le Tribunal des conflits, dans une décision du 12 avril 2010 Société ERDF, devait trancher la question de savoir si les ouvrages d’EDF étaient bien des ouvrages publics. Il a retenu l’affirmative.
Les mêmes questions pourront se poser à propos des biens de GDF, de la Poste (qui est devenue une société commerciale en janvier 2010).
Au regard de ces différents cas d’espèce, il apparaît que la juridiction n’a pas d’avis tranché, et qu’elle statue au cas par cas.
II) La compétence juridictionnelle sur la question de propriété publique ou privée d’un bien
Il n’y a ici aucune ambiguïté jurisprudentielle : lorsqu’il y a un litige entre une personne publique et une personne privée sur un titre de propriété, le seul juge compétent est le juge judiciaire : c’est l’arrêt de section du Conseil d’Etat du 16 novembre 1960 Commune du Bugue.
Si le juge administratif est saisi d’un litige pour lequel se pose préalablement une question de propriété, il doit en principe surseoir à statuer et poser une question préjudicielle au juge judiciaire : voir par exemple l’arrêt du Tribunal des conflits du 18 décembre 1995 Préfet de la Meuse.
Il y a néanmoins 2 exceptions à la compétence de principe du juge judiciaire :
- c’est l’hypothèse où le litige sur la propriété ne soulève aucune difficulté sérieuse ; dans ce cas, le juge administratif a le droit de ne pas poser une question préjudicielle au juge judiciaire, et il peut régler lui-même le litige de propriété (un litige sans difficulté est celui où l’un des protagonistes n’a pas de titre de propriété) ; voir l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon du 14 octobre 2008 Commune du Puy en Velay ;
- si la personne privée se prévaut de la propriété publique du bien (si elle prétend que le bien public en cause appartient à une personne publique), la doctrine considère en général que le juge administratif peut trancher la question (c’est le cas par exemple d’un muret en bordure d’un terrain privé et d’une voie publique qui s’effondre et blesse des passants ; si l’on retient que le muret est sur la voie publique, c’est la personne publique qui est propriétaire et donc responsable ; à l’inverse, si l’on retient que le muret est sur le terrain privé, c’est la personne privée qui est propriétaire et donc responsable).