Le contentieux de l’indemnité en Belgique

LE CONTENTIEUX DE L’INDEMNITE EN DROIT BELGE

  

I.   Origine, raisons d’être et évolution

 L’idée d’un contentieux de l’indemnité est aussi ancienne que celle d’un contentieux de l’annulation et, lors des travaux préparatoires à l’instauration du Conseil d’Etat, elle a été tout autant discutée.

Elle découle de plusieurs considérations disparates :

–          à l’époque des travaux préparatoires (dès 1930), la mise en œuvre de la responsabilité de l’Etat était toute récente et son champ d’application pas encore bien défini. L’incertitude régnait et on voulait y remédier.

–          l’interventionnisme de l’Etat était croissant et la possibilité de subir un dommage du fait de son activité était donc plus vraisemblable.

–          on s’est dit que le principe d’égalité devant les charges publiques devrait justifier qu’on ne protège pas seulement des droits mais aussi certains intérêts.

 

Bref, en 1946, lors de l’instauration du Conseil d’Etat, on a prévu un contentieux de l’indemnité.

Son but est d’accorder une indemnité aux personnes qui ont subi un préjudice exceptionnel suite à une action non fautive des pouvoirs publics.

Le débat ne porte donc pas sur le droit mais sur l’équité : à la base, le requérant n’a aucun droit. Mais il a subi un dommage exceptionnel qui viole l’égalité devant les charges publiques. Le Conseil d’Etat va donc lui accorder un droit de créance contre l’Etat, droit qui n’est pas préexistant.

 

A la base, la compétence du Conseil d’Etat n’était qu’une compétence de justice retenue : il donnait des avis mais c’était une autorité politique qui tranchait au final.

Puis, on s’est rendu compte que le Conseil d’Etat exerçait cette compétence avec sagesse et sans excès et on lui a donc confié une justice déléguée dans l’article 11 LCCE (loi du 03/06/71).

Désormais, il accorde une indemnité aux victimes d’un dommage exceptionnel causé par le comportement non fautif de l’Etat et ne pouvant être réparé par un autre juge. Depuis, le Conseil d’Etat a rendu peu d’arrêts en la matière (12), ce qui est plutôt réconfortant : ça prouve qu’il y a peu de cas en Belgique où la victime d’un dommage causé par la puissance publique ne trouve pas réparation devant un juge ordinaire.

 

Remarque : en 1984, l’initiative de la Belgique a été consacrée par une recommandation du Conseil de l’Europe qui incite les Etats membres à créer un mécanisme du type du contentieux de l’indemnisation.

 

 

II.    Les conditions d’indemnisation

 

  1. L’absence d’autre juridiction compétente

 

1.    Principe

 

Le contentieux de l’indemnité est supplétif : le Conseil d’Etat n’est compétent que quand il n’y a pas d’autre juridiction compétente.

Il faut entendre « compétente » au sens pratique et non technique : parfois, il se peut qu’une juridiction soit techniquement compétente mais que, pour des raisons de fond, elle ne puisse pas satisfaire à une demande. Dans ce cas, on considérera qu’il n’y a pas d’autre juridiction compétente que le Conseil d’Etat.

Paradoxalement, donc, pour apprécier s’il est compétent, le Conseil d’Etat devra imaginer ce que les autres juridictions auraient pu décider.

 

L’idée de compétence supplétive du Conseil d’Etat a probablement inspiré les juridictions judiciaires. Voulant statuer elles-mêmes et laisser le moins possible au CE, elles ont fort développé  leur jurisprudence en matière de responsabilité des pouvoirs publics. C’est sans doute un des effets les plus importants du contentieux de l’indemnité.

 

2.    Les droits subjectifs

 

Le Conseil d’Etat est incompétent à chaque fois qu’une demande porte sur un droit subjectif. Quand quelqu’une demande quelque chose à quoi il a droit, on aura toujours une juridiction judiciaire ou administrative de 1er degré qui sera compétente.

 

Le contentieux de l’indemnité ne se fonde pas sur des droits mais sur l’équité.

 

3.    L’extension de la responsabilité aquilienne

 

Le critère pour mettre en œuvre la responsabilité aquilienne des pouvoirs publics a fort évolué dans la jurisprudence :

–          nature civile du droit lésé

–          exécution fautive d’une décision (mais pas la prise de décision elle-même qui relève de l’appréciation souveraine de l’administration)

–          atteinte à la légitime confiance des usagers : àpde là, on voit que les juridictions donnent en fait à l’administration une obligation de résultat. Or, une telle obligation existe tant au niveau de la prise de décision que de son exécution

–          prise d’une décision

–          omission de prendre une décision

 

Dans tous ces cas, il y a faute de l’administration. La victime a donc un droit subjectif à être indemnisée et le Conseil d’Etat ne sera pas compétent.

 

4.    L’indemnisation connexe à l’annulation(à titre indicatif)

 

On s’est demandé si un requérant pouvait demander simultanément :

–          l’annulation d’un acte administratif

–          l’indemnisation du dommage causé par cet acte

 

Très vite, les juridictions judiciaires ont dit que c’était impossible car le Conseil d’Etat n’est pas compétent en matière de droits subjectifs civils. Mais techniquement, il se pourrait qu’un jour, un requérant invoque un droit subjectif politique, et dans ce cas là, il n’y aurait pas de raison pour que le Conseil d’Etat ne puisse pas accorder une indemnité.

 

5.    Dommages de travaux publics

 

Le champ d’application du contentieux de l’indemnité vise les dommages exceptionnels causés sans faute par la puissance publique.

Ce type de dommages est souvent causé par des travaux publics : même exécutés sans faute, ils peuvent faire subir un lourd préjudice aux riverains.

 

Il a cependant longtemps été difficile d’être indemnisé en la matière. A la base, en effet, on estimait qu’il ne pouvait y avoir d’indemnité sans faute. Peu à peu, on a déduit la faute du dommage, mais c’était une théorie peu satisfaisante.

Finalement, en 1960, la Cour de Cassation a consacré la théorie des troubles de voisinage qui permet aux juridictions judiciaires d’indemniser les riverains préjudiciés, dans l’idée que chacun a un droit égal à  la jouissance de sa propriété.

 

 ce fondement (aujourd’hui complété par les articles 544 C.C. et 16 de la Constitution) n’est pas vraiment satisfaisant : quand les travaux sont publics, on ne peut pas vraiment dire que l’autorité publique et le particulier ont la même disposition de leur propriété. Il aurait mieux valu reconnaître que la règle était purement jurisprudentielle plutôt que de tenter de la rattacher à un faux fondement.

 

Toujours est-il qu’elle existe et qu’elle est appliquée par les juridictions judiciaires. Les dommages causés sans faute par des travaux publics sortent donc de la compétence du Conseil d’Etat dans son contentieux de l’indemnité.

 

6.    Aisances de voirie

 

Les troubles de voirie ne doivent pas être confondues avec les troubles de voisinage :

–          les troubles de voisinage sont les perturbations dues à l’activité d’un chantier

–          les troubles de voirie sont les perturbations qui résultent de la nouvelle configuration des lieux une fois le chantier terminé

 

Au sein des troubles de voirie, il faut distinguer :

 

1°. Les troubles causés aux aisances essentielles de voirie : ils amènent un propriétaire à ne plus avoir accès à sa propriété (fonction 1ère des voiries).

Ils lèsent donc un véritable droit car pouvoir accéder à sa propriété est un corollaire du droit de propriété.

On a toujours admis que ces troubles soient indemnisés par le juge judiciaire, sur base :

–          soit d’une sorte de contrat entre le propriétaire et l’autorité communale gestionnaire de la voirie

–          soit de la responsabilité aquilienne

–          soit de la théorie des troubles de voisinage

 

2°. Les troubles causés aux aisances accessoires de la voirie : ils amènent la voirie à être moins fréquentée, à connaître moins de passage (fonction 2nde des voiries).

Ils ne lèsent pas un véritable droit puisque le propriétaire a toujours accès à son bien, mais ils peuvent lui nuire si, par ex., c’est un commerçant et que les clients ont un passage moins aisé.

Ce dommage n’est en tout cas jamais fautif et là, la compétence du Conseil d’Etat au contentieux de l’indemnité serait concevable.

 

7.    Un faux critère : lésion de droit ou lésion d’intérêt(à titre indicatif)

 

Pendant longtemps, on a défini le dommage comme la lésion d’un droit. Mais en 1939, la Cour de Cassation a connu un revirement de jurisprudence et admis qu’un dommage puisse consister en la lésion d’un simple intérêt, pour peu qu’il soit légitime et durable.

Les juridictions judiciaires ont donc pu à la fois indemniser les fautes lésant des droits et les fautes lésant des intérêts.

 

Pourtant, curieusement, on a gardé la distinction entre droit et intérêt pour délimiter les compétences d’indemnisation des juridictions judiciaires et du Conseil d’Etat :

–          les juridictions judiciaires peuvent être compétentes pour indemniser la lésion d’un droit ou d’un intérêt

–          le Conseil d’Etat, lui, ne pourra jamais être compétent que pour indemniser la lésion d’un intérêt

 

8.    Prospective

 

Contrairement à ce qui existe pour le contentieux de l’annulation, le Conseil d’Etat n’a pas de compétence bien définie au contentieux de l’indemnité. Elle n’a qu’une compétence résiduaire et elle peut à tout moment se réduire sous l’influence des juridictions judiciaires.

Par ex., les juridictions judiciaires pourraient s’estimer compétentes en matière d’égalité de traitement et ainsi soustraire au CE une matière dans laquelle il a accordé la plupart de ses indemnisations.

 

C’est d’ailleurs tout à l’avantage du justiciable pour qui la procédure judiciaire :

–          est plus commode

–          permet une réparation intégrale et non pas en équité

 

  1. La cause du dommage

 

1.    L’autorité administrative

 

Pour être indemnisé par le Conseil d’Etat, un dommage doit émaner d’une autorité administrative (dans la même acception qu’au contentieux de l’annulation).

On exclut donc les dommages émanant :

–          des autorités du barreau

–          du pouvoir judiciaire

 

Remarque : à l’origine, le Conseil d’Etat ne pouvait indemniser que les dommages commis par l’Etat, les provinces, les communes et le gouvernement de la colonie (jusque 1960), mais ça a changé en 1971.

 

2.    Le problème du dommage causé par la loi

 

a)    L’évolution jurisprudentielle

 

Jusque 1976, donc, le Conseil d’Etat était compétent pour indemniser les dommages causés par l’Etat. L’interprétation du terme « Etat » a porté à controverses : on s’est demandé s’il visait aussi le PL.

 

La jurisprudence du Conseil d’Etat a évolué sur ce sujet :

–          à l’origine, il a dit qu’il n’était compétent pour indemniser les dommages causés par l’Etat que lorsqu’ils avaient été commis dans le cadre du PE.

–          puis, en 1954, il est devenu plus ambigu : il a dit qu’il n’était pas nécessairement incompétent pour indemniser les dommages causés par le PL mais qu’il fallait qu’ils aient également été causés par un acte d’exécution.

Cette jurisprudence était à la fois :

  • illogique : la cause du dommage était la loi mais on faisait comme s’il venait de son acte d’exécution.
  • inéquitable : pour obtenir une indemnisation, il fallait avoir désobéi à la loi pour provoquer une intervention de l’autorité administrative. Celui qui respectait la loi ne pouvait rien espérer.

–          enfin, en 1969, le Conseil d’Etat a admis que le terme Etat visait le PL et a accepté d’indemniser les dommages causés par le PL en insistant que son indemnisation ne constituait pas un contrôle sur la loi.

 

b)    La loi du 03/06/71 et l’exclusion du dommage causé par la loi

 

En 1971, on a modifié la loi et on a rendu le Conseil d’Etat compétent pour indemniser les dommages causés par toute autorité administrative.

Le Conseil d’Etat a interprété la notion d’autorité administrative dans le même sens qu’au contentieux de l’annulation. Ca a donc totalement exclu les dommages causés par le PL.

Apparemment, sur le moment, personne ne s’en est rendu compte.

 

c)    L’ordre judiciaire prendrait-il le relais ?

 

Vu que le Conseil d’Etat n’est plus compétent pour indemniser les dommages causés par le PL, il faut voir si les juridictions judiciaires, elles, le sont, ou bien si la  victime du dommage reste sans recours.

 

1°. Quand le PL a commis une faute, une indemnisation par les juridictions judiciaires semble possible :

–          si la faute consiste en une violation du droit communautaire, l’arrêt Francovitch (CJCE, 19/11/91) s’applique. Il impose aux Etats membres d’indemniser leurs citoyens quand ils leur ont causé un dommage en violant le droit communautaire.

–          si la faute consiste en une violation des normes de contrôle de la Cour d’arbitrage, un droit à l’indemnisation semble exister implicitement. En effet, la Cour d’arbitrage peut suspendre les dispositions législatives attaquées devant elles lorsque leur application risquerait de causer un PGDR. Ca prouve bien que pour les autres dispositions, le préjudice est réparable et doit être réparé.

 

2°. Par contre, quand le PL n’a pas commis de faute, une indemnisation par les juridictions judiciaires semble douteuse.

On pourrait élargir la notion de faute à un manquement à l’obligation générale de prudence, mais c’est contestable. Qu’est-ce qu’une législateur prudent et diligent ? Est-ce vraiment aux juridictions judiciaires de l’apprécier ?

 

3.    Le fait dommageable

 

a)    Acte ou omission

 

A l’origine, le fait dommageable devait être une « mesure ». Il fallait donc un acte positif, ce qui excluait les abstentions.

Mais en 1971, en changeant la loi, le législateur a supprimé le mot « mesure ». Grâce à cette absence de précision, la loi vise donc désormais à la fois les actes positifs et les abstentions.

C’est une bonne chose car ça s’inscrit dans un mouvement de contrôle de l’inaction des pouvoirs publics :

–          possibilité pour le Conseil d’Etat d’annuler des décisions implicites de rejet

–          possibilité pour les juridictions judiciaires d’engager la responsabilité de l’Etat pour carence réglementaire

 

b)    Clauses d’exonération

 

Parfois, l’administration se rend compte qu’un de ses actes est susceptible de causer un dommage et se réserve une clause exonératoire de responsabilité. En général, ça se fait quand elle accorde une permission qu’elle sait pouvoir être amenée à retirer.

 

Une telle clause pourrait avoir un double but :

–          éviter d’engager sa responsabilité pour faute (but 1er de la clause) : ça ne marche pas.

–          éviter de devoir indemniser un dommage causé sans faute (but auquel on ne pense jamais) : ça marche puisque la clause fera obstacle à la mise en œuvre du contentieux de l’indemnisation.

 

  1. Le lien de causalité

 

Dans le contentieux de l’indemnité, on a une appréciation très stricte du lien de causalité :

–          en matière de responsabilité civile, on appliquait la théorie de l’équivalence des conditions : il suffisait que la faute soit l’un des causes, même indirectes, du dommage, pour qu’il y ait lien causal

–          en matière de contentieux de l’indemnité, on a plique la théorie de la causalité directe et exclusive : il faut que l’acte soit la cause unique et directe du dommage pour qu’il y ait lien causal

 

Cette différence est logique : on doit être plus strict au contentieux de l’indemnité car il indemnise des dommages causés sans faute. Si on pouvait poursuivre l’administration en indemnité aussi facilement qu’en responsabilité, elle n’oserait plus rien faire.

 

  1. Le dommage exceptionnel

 

1.    Caractéristiques

 

Vu le terme vague de « dommage exceptionnel » utilisé par la loi, la jurisprudence a dû faire œuvre interprétatrice et elle a dégagé les critères qui font qu’un dommage est exceptionnel.

Il doit être :

–          grave

–          rare

–          spécial

–          moral ou matériel

 

2.    Un dommage grave

 

Pour être grave, un dommage doit excéder les charges normales de la vie en société.

Ca s’apprécie in concreto en fonction de la situation du requérant.

Ca explique pourquoi les indemnisations accordées par le Conseil d’Etat sont toujours importantes (au moins plusieurs dizaines de milliers de francs). Un dommage qui donnerait lieu à une petite indemnité ne serait pas un dommage grave.

 

3.    Un dommage moral ou matériel

 

A l’origine, la loi ne précisait rien et la jurisprudence avait estimé que seuls les dommages matériels pouvaient être graves.

Mais en 1971, le législateur a précisé que le dommage pouvait être matériel ou moral.

 

4.    Un dommage certain

 

Pour pouvoir être indemnisé, un dommage doit être certain dans son fait et dans son montant. Il faut donc comparer la situation du requérant avec la situation qui aurait été la sienne si l’acte dommageable n’avait pas été pris. Ce n’est que si cette comparaison est possible qu’il pourra être indemnisé.

Ca n’empêche pas d’indemniser un manque à gagner mais il faut que son montant soit certain.

 

5.    Un dommage spécial

 

Le dommage ne peut toucher qu’un nombre limité de personnes qui doivent toutes être identifiables. La jurisprudence n’a  pas arrêté de nombre maximum précis : elle a admis 2, 3, mais a rejeté 19…

 

  1. Que reste-t-il ?

 

1.    Un domaine difficile à circonscrire

 

Il est difficile de dresser une liste des « dommages exceptionnels » indemnisables par le Conseil d’Etat. En effet, une catégorie composée d’exceptions est difficile à circonscrire.

Il faut donc aller voir dans la jurisprudence. On peut en déduire que certains types de dommages relèvent du Conseil d’Etat.

 

2.    Carrières insolites dans la fonction publique

 

Le Conseil d’Etat a accordé des indemnités à des fonctionnaires qui avaient été lésés par rapport à leurs pairs, sans faute, mais de manière inacceptable.

Exemples :

–          un fonctionnaire très méritant n’a pas pu bénéficier d’une promotion car le domaine dans lequel il était spécialisé (l’entretien des locomotives à vapeur) a disparu.

–          des fonctionnaires ont eu une pension inférieure à leur mérite car ils avaient bénéficié d’un statut pécuniaire spécial, financièrement compensé pendant leur carrière mais pas après.

 

3.    A travail égal, traitement égal

 

Le Conseil d’Etat a accordé des indemnités à des fonctionnaires dont la situation administrative était normale mais moins avantageuse que celles d’autres personnes effectuant un travail identique.

Ex. : le chef d’un centre de tri postal était moins bien payé que le chef d’un autre centre car on avait sous-évalué l’importance de son centre.

 

4.    Les effets secondaires de mesures d’intérêt général

 

Le Conseil d’Etat a accordé des indemnités à des personnes victimes d’un dommage qui leur a été causé involontairement par un acte de puissance publique. L’acte doit être inspiré par l’intérêt général et être pris sans faute sans que son auteur ait voulu ou ait même eu conscience de causer un dommage à un particulier.

Ex. : le détournement du cours de l’Escaut a causé un dommage à un commerçant installé sur son ancienne rive et qui vivait principalement de la clientèle des bateliers.

 

5.    Le sacrifice sur l’autel du bien public

 

Enfin, le Conseil d’Etat a accordé des indemnités à des personnes victimes d’un dommage causé sciemment par un acte de puissance publique. L’acte doit être inspiré par l’intérêt général même si son auteur peut savoir qu’il risque de nuire à certaines rares personnes. Un tel acte, qui décide de sacrifier quelques personnes sur l’autel du bien public, n’est pas fautif, mais peut donner lieu à une indemnisation.

Ex. : des décisions ont été prises pour rendre obligatoires certaines vaccinations. Ca a été très bénéfique pour le plus grand nombre (ça a même permis de totalement éradiquer certaines maladies), mais ça a causé des troubles très graves et irréversibles à quelques personnes.

 

 

III.       La fixation de l’indemnité

Le Conseil d’Etat a un large pouvoir d’appréciation pour fixer le montant de l’indemnité puisqu’il n’est pas tenu d’accorder une réparation intégrale : il doit indemniser en équité, en tenant compte de toutes les circonstances d’intérêt public et privé.

 

A l’origine, il fixait vraiment les indemnités en équité et on avait des chiffres ronds. Mais àpde 1966, il s’est mis, parfois, à accorder des réparations intégrales et, dans ce cas, on a eu des montants beaucoup plus précis.

L’indemnité peut être unique, ou provisionnelle puis définitive, ou encore périodique.

 

 

IV.      La procédure

 La procédure au contentieux de l’indemnité comporte 2 phases :

–          d’abord, le requérant doit adresser une requête en indemnité à l’administration

–          ensuite, si l’administration la rejette ou n’y répond pas, il peut agir devant le CE

 

  • La requête préalable

 

1.      Origine et nature

 

Avant toute requête au contentieux de l’indemnité du Conseil d’Etat, le requérant doit s’adresser à l’administration.

 

L’origine de cette idée vient de France. Là, le Conseil d’Etat a une compétence de pleine juridiction, et il ne peut l’exercer que s’il existe une décision de l’administration contraire à la prétention du requérant. En Belgique, on a aussi fait en sorte que tout contentieux du Conseil d’Etat vise une décision préalable.

 

Par contre, la persistance de l’idée vient de son utilité :

–          elle permet parfois une conciliation préalable avec l’administration, ce qui évite de devoir introduire une requête devant le CE

–          quand elle ne permet pas de conciliation préalable, au moins, la décision de rejet de l’administration servira à circonscrire précisément l’objet du litige

 

2.      Nécessité

 

La requête préalable à l’administration est indispensable à l’introduction d’une demande d’indemnité devant le Conseil d’Etat, et ce pour 2 raisons :

–          sans requête préalable à l’administration, le recours devant le Conseil d’Etat est irrecevable.

–          la requête préalable à l’administration détermine définitivement le montant de l’indemnité qui pourra être demandée au CE : on ne pourra jamais lui demander plus que ce qu’on avait demandé dans sa requête préalable. Tout au plus aura-t-on droit à des intérêts supplémentaires.

 

3.      Forme

 

La loi ne précise aucune forme particulière mais :

–          la jurisprudence exige qu’elle soit sans ambiguïté : il faut préciser la cause de la requête et le montant qu’on veut obtenir

–          la prudence recommande d’agir par pli recommandé pour se réserver une preuve

 

4.      Réaction de l’autorité

 

L’administration a 60 jours pour donner suite à la requête. Si elle refuse ou ne dit rien, on pourra aller devant le Conseil d’Etat.

 

  • Le recours au CE

 

1.    Délai

 

Le délai pour agir devant le Conseil d’Etat dépend de la réaction de l’administration par rapport à la requête préalable :

–          si elle l’a rejetée, il est de 60 jours àpde la décision de rejet

–          si elle n’a rien dit, il est de 3 ans àpde l’introduction de la requête préalable

 

Tous les délais sont suspendus par l’introduction d’une action visant à obtenir réparation du même préjudice devant les juridictions judiciaires.

 

Remarque : ces délais ne sont pas vraiment cohérents par rapport aux autres délais de recours devant le Conseil d’Etat. On aurait mieux fait de prévoir un délai parallèle à celui applicable aux décisions implicites de rejet.

 

2.    Procédure devant le CE

 

Pour le reste, la procédure est la même qu’au contentieux de l’annulation.

La seule différence est le contenu des actes de procédure : on ne débat pas sur des moyens mais sur la réunion des conditions requises pour que le dommage soit exceptionnel.

 

 

V.   Avenir et prolongements

 

 

  1. Introduction

 

Au vu du nombre de demandes et du nombre d’arrêts favorables, on pourrait croire que le contentieux de l’indemnité a une importance très minime.

Mais il ne faut pas le juger sur ce seul aspect quantitatif : il a son importance car

–          les requêtes préalables à l’administration sont parfois suivies d’effet.

–          les principes qui ont gouverné sa création ont été repris par le législateur pour créer d’autres systèmes d’indemnisation. Il a donc en quelque sorte « fait des petits ».

 

  1. Les requêtes préalables qui aboutissent

 

Parfois, les requêtes préalables à l’administration, introduites en vue d’agir en indemnité devant le Conseil d’Etat, aboutissent.

Les décisions administratives y faisant droit n’étant pas publiées, on ne connaît pas vraiment leur nombre ou leur proportion, mais elles existent et montrent déjà en soi l’utilité du  contentieux de l’indemnité.

 

  1. Les servitudes urbanistiques

 

Avant 1962, les personnes dont les immeubles avaient perdu de la valeur en raison de l’établissement de servitudes urbanistiques tentaient d’obtenir une indemnisation auprès du Conseil d’Etat. Celui-ci a rejeté la majorité des demandes en disant que le dommage n’était pas assez spécial puisqu’il touchait un grand nombre de personnes. Toutefois, il a dit que si le dommage avait été plus spécial, il aurait accordé des indemnités.

 

En 1962, le législateur a confié l’octroi de ce type d’indemnités aux juridictions judiciaires. Pour fixer les conditions d’indemnisation, il s’est inspiré de la jurisprudence du Conseil d’Etat.

 

  1. L’indemnisation des détentions préventives inopérantes

 

En 1973, la loi organisant une procédure spécifique pour l’indemnisation des détentions préventives inopérantes s’est inspirée du contentieux de l’indemnité. Elle découle du même esprit.

 

  1. L’indemnisation des victimes d’actes intentionnels de violence

 

La loi organisant une procédure spécifique pour l’indemnisation des actes intentionnels de violence s’inspire, elle, de la loi sur l’indemnisation des détentions préventives inopérantes.

Elle découle donc aussi du même esprit même si, ici, le dommage n’est pas dû à un acte de puissance publique.

 

  1. Autres perspectives

 

Le contentieux de l’indemnité reste une ressource envisageable quand une nouvelle forme de responsabilité publique apparaît. C’est pourquoi, de temps en temps, la doctrine l’invoque à propos de nouveaux problèmes (ex. indemnisation des dommages dus à une loi annulée par la Cour d’arbitrage).

 

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