Les techniques de contrôle de constitutionnalité
Après un temps d’hésitation sur la nature du Conseil constitutionnel, à l’heure actuelle il ne fait plus de doute que le Conseil se considère comme un organe juridictionnel et donc il se comporte comme un juge. Le Conseil, dès les années 1980, prend les comportements et les méthodes du juge et du coup on voit apparaître des questions assez classiques vis-à-vis de ce juge : nature du contrôle, techniques de contrôles, méthode d’interprétation, effets des décisions,… Ceci dit, compte tenu de ce type d’organe, il est évident que ces questions ne peuvent pas rester purement techniques. La question des gouvernements des juges se pose toujours. Elle regroupe toutes les autres questions. La grande question est de savoir si ces réponses permettent de savoir si le Conseil est maitre de la norme constitutionnelle et de son contenu. Il s’agit de savoir si par ses techniques juridictionnelles le juge n’est pas devenu un véritable pouvoir constituant. Le juge peut suspendre une loi considérée comme inconstitutionnelle. Tocqueville considérait pourtant que le système américain n’était pas transposable en France car il n’y avait pas de clause sur la révision et considérait donc que la charte n’était pas révisable. Il préférait l’arbitraire de la majorité que l’arbitraire d’un juge. Il faut ajouter une incise car il n’est pas facile de réviser une question et donc le juge constitutionnel risque d’avoir un pouvoir constituant d’autant plus important.
Quelles sont les techniques de contrôle du conseil constitutionnel ? Techniquement, la parenté des techniques de contrôle peut se faire sur deux aspects différents, quant à sa densité et quant aux techniques d’analyse du juge constitutionnel
P1. L’INTENSITÉ DU CONTRÔLE JURIDICTIONNEL
Ce contrôle concerne la loi comme expression de la volonté générale et donc le juge se confronte à l’une des formes de la légitimité démocratique. Le contrôle prend appui sur une norme juridique assez particulière, la Constitution. Il en résulte donc des différences avec le contrôle de légalité des actes administratifs par le juge administratif. L’administration a un pouvoir gradué quand elle prend un acte administratif, de la compétence liée à la compétence discrétionnaire. Le Parlement n’est pas dans la même situation car il est soumis à la Constitution. La conséquence est que si on veut mesurer l’intensité du contrôle de constitutionnalité, on va faire une opération pour analyser les raisons justifiant ce contrôle, la nature de l’auteur de la loi et la nature des règles en cause.
- La première hypothèse est l’absence de contrôle. Dans ce cas, le Conseil s’abstient de tout contrôle : loi référendaires, lois promulguées, lois de révision. Le point commun entre les trois est le respect de la volonté soit immédiate soit médiate du peuple souverain de la démocratie. L’autre point commun est qu’une fois promulguée, la loi exprime la volonté générale et donc le contrôle postérieur ne peur avoir lieu dans deux cas : modification de la volonté ou QPC.
- La deuxième hypothèse est le contrôle maximum qui est un contrôle strict car le contrôle est ici obligatoire. Ce caractère obligatoire indique l’importance que le pouvoir attache à la soumission de ces textes à la la Constitution. Ce sont les lois organiques et le règlement des Assemblées. Il s’agit d’empêcher les assemblées parlementaires de reconquérir toute ou partie de leur puissance antérieure. Le Conseil a toujours censuré toutes les tentatives par lesquelles le Parlement a essayé de reconquérir une partie de sa splendeur ancienne. Le contrôle porte sur la finalité des textes ici et donc le contrôle est quasi politique.
C’est le cas lors de l’adoption de l’article 88-4 de la Constitution où le Parlement a tenté de voter des résolutions. Le Conseil constitutionnel a donné une interprétation neutralisante en considérant que le vote d’une résolution sur les propositions d’institutions communautaires n’est pas possible.
- La troisième qui est la plus courante est celle d’un contrôle normal de constitutionnalité. C’est le contrôle qui s’exerce sur les lois ordinaires. Le Conseil ne se saisie jamais lui même car il attend d’être saisi. Cela veut dire que ce contrôle a un fondement plus contingent et donc il est plus fragile. Le résultat est que le contrôle du Conseil constitutionnel va devenir un contrôle prudent, d’autant plus prudent que dans la plupart des cas ce contrôle va porter sur du droit matériel. Le contrôle du Conseil porte moins sur les compétences et les procédures. Le Gouvernement ne le demande jamais. Comme il s’agit du droit matériel, le contrôle est difficile car c’est là que le Législateur marque le Droit de sa volonté. Il y a donc un aspect de politisation fondamental.
On attend donc du juge que son contrôle soit purement juridique et pas politique alors qu’en réalité il est nécessairement suspect d’être politique. On peut échapper à cela par deux grandes manières pour le juge.
- La première manière est le refus de contrôler le but poursuivi par le Législateur. Dans ce comportement, il s’agit pour le juge constitutionnel de dire qu’il contrôle la constitutionnalité et non pas l’opportunité de la loi. Cependant, cela peut être mis en doute car lorsque le Conseil d’Etat contrôle la légalité de la police administrative il juge aussi l’opportunité. a CEDH fait également la même chose. Dans la décision du 7 juin 2001 IVG II, le Conseil dit qu’il «n’appartient pas au Conseil constitutionnel qui ne dispose pas d’un pouvoir général d’appréciation et de décision de même nature que le Parlement de remettre en cause au regard de l’état des connaissance et des techniques les dispositions ainsi prises par le Législateur ». Le 15 janvier 1975 dans IVG I, il disait que « l’article 61 ne confère pas au Conseil constitutionnel un pouvoir général d’appréciation et de décision identique à celui du Parlement mais lui donne seulement compétence pour se prononcer sur la conformité à la Constitution des lois déférées à son examen ». Mais on se demande s’il suffit de l’affirmer pour que ce soit vrai. On voit très bien que par le détour de l’interprétation du principe de dignité ou de protection de la vie humaine le juge peut imposer au législateur une règle constitutionnelle qui aurait consisté à donner au fond une autre interprétation des principes. Ainsi, même avec la meilleure des volontés, le juge constitutionnel apprécie l’opportunité. En raison de la faible normativité du texte, le juge constitutionnel est contraint de changer la densité de son contrôle.
Louis Favoreux disait que quand il s’agit des droits essentiels et libertés fondamentales, le Conseil constitutionnel se borne à dire qu’on ne peut y porter atteinte. C’est donc l’idée que le Conseil constitutionnel n’a pas le dernier mot, si peu que le pouvoir constituant se prononcer. Cependant, il n’est pas facile de faire intervenir le pouvoir constituant pour limiter une décision constitutionnelle. De la même façon, le recours aux objectifs de valeur constitutionnelle peut risquer de conduire à un contrôle de finalité. Dans ce cas, l’analyse devient un comportement politique pour le juge. En réalité, la façon dont le Conseil se sert de ces objectifs se fait plutôt pour élargir la compétence du Législateur.
- La seconde manière est le contrôle limité des moyens employés par le Législateur. On retrouve ici une vieille distinction du droit administratif entre le juge et administrateur. Pour assurer cette distinction, on distingue la légalité et l’opportunité. Or, cela est fait dans la pratique car le juge administratif est administrateur d’une certaine manière. La même chose peut être faite entre le Conseil constitutionnel et le Législateur. Dans une décision de 1990, le juge a dit qu’il « n’a pas à rechercher si l’objectif que s’est assigné le Législateur n’aurait pu être atteint par d’autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi ne sont pas manifestement inappropriées à l’objectif poursuivi ». Le contrôle des moyens porte donc sur un contrôle très minimum. Dans ce cadre, le juge accepte de contrôler uniquement la proportionnalité des moyens utilisés par rapport au législateur. Par exemple, en 1984, le Conseil a parlé de ce qui est réellement nécessaire pour assurer la réalisation de l’objectif constitutionnel poursuivi.
Il semble bien que dans tous ces types de contrôle le juge ne demande pas une disproportion exacte. En réalité, il se contente de contrôler une trop grande disproportion. Dans la décision 377 DC du 16 juillet 1997, le Conseil a considéré que le fait de confier le contrôle des opérations des répressions du terrorisme qui a en charge l’instruction est de nature à entrainer des atteintes excessives à la liberté individuelle. Aussi, le Conseil a dit que concernant les peines prévues, elles ne sont pas entachées de disproportion manifeste et qu’en l’absence d’une telle disposition il n’appartient pas a Conseil de substituer sa propre appréciation à celle du Législateur. Inversement, il a juge dans la même décision qu’en faisant entrer dans le champ de la répression terrorisme un simple comportement d’aide directe ou indirecte, le Législateur a entaché son appréciation d’une disproportion manifeste.
Autre technique, on a la recherche de l’erreur manifeste. En droit administratif, c’est le contrôle restreint. Dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, il est apparu la première fois dans la décision concernant les nationalisations de 1982. Dans cette décision, l’idée du contrôle restreint a été posé comme un principe dès l’origine de la décision. Il est dit que l’appréciation portée par le Législateur sur la nécessité des nationalisations ne saurait en l’absence d’erreur manifeste être récusé par celui ci dès lorsque le transfert de propriété ne méconnait pas la liberté d’entreprendre au point de méconnaitre totalement la DDHC.
Le contrôle de l’erreur manifeste a été étendu aux conditions politiques en 1985. Il s’agissait d’une loi remaniant le statut de la Nouvelle Calédonie. Le Conseil a examiné la correction pratiquée par le Législateur pour équilibrer le rapport entre la population cannaque et le reste de la population. Il a considéré que cette mesure n’a pas été manifestement dépassée. La correction pour la région Sud était de 18 à 21.
Autre domaine, on a celui des lois à contenu économique, fiscal et financier. Dans ce cas, c’est même devenu le contrôle de droit commun. Par exemple dans la décision 391 DC de 1997, il est dit que le Législateur n’a pas fait un usage manifestement erroné de ses compétences.
En conséquence, c’est un contrôle qui se tient aux inconstitutionnalités manifestes. On pourrait le rebaptiser autrement et dire que ce ‘est plus un contrôle de constitutionnalité mais de compatibilité. Dans ce type de contrôle, on peut dire que le Législateur conserve finalement une large marge d’interprétation. C’est une politique de self restreint de la part du juge constitutionnel.
P2. LE CONTRÔLE DE LA CONSTITUTIONNALITÉ EXTERNE
La Constitution impose des règles de compétence et de procédure qui doivent être respectées.
Le contrôle de la compétence
En droit public, la compétence est le point de départ car une autorité incompétente n’a pas le droit d’intervenir et donc ce qu’elle a fait n’a pas de valeur et pas d’existence juridique. Kelsen disait que toute inconstitutionnalité est une incompétence selon lui.
Il faut distinguer la compétence positive de la compétence négative.
- L’incompétence positive est le fait que le Parlement intervient dans un domaine qui ne lui a pas été attribué. L’article 34 définit le domaine de la loi. L’hypothèse classique est l’intervention du Parlement dans le domaine règlementaire. Mais depuis une décision du 10 juillet 1982, le Conseil a considéré que la présence d’éléments réglementaires dans une loi ne suffit pas pour la rendre inconstitutionnelle. L’abandon fait pas le Gouvernement n’est pas irréversible car à tout moment le Gouvernement peut récupérer la part de sa compétence réglementaire. L’autre motif est que c’est au Gouvernement de s’opposer explicitement à l’empiétement.
C’est aussi le cas dans la distinction entre la loi ordinaire et la loi organique. Elles se distinguent par leur procédure. Il est arrivé au Conseil d’annuler une loi ordinaire comportant des mesures de nature organique.
Aussi, le Conseil a considéré que le Législateur avait le droit de modifier une loi adoptée par référendum car la Constitution n’a pas établi de hiérarchie entre la loi votée par les représentants et la loi votée par le peuple.
- L’incompétence négative est le fait pour le Législateur de méconnaitre sa compétence. On méconnait sa compétence en allant trop loin ou en allant en dessous de sa compétence. Dans ce cas, le Conseil constitutionnel se saisit d’office. C’est donc une incompétence grave pour le Conseil. Par exemple, le Législateur ne peut pas renvoyer aux sociétés nationales le soin de fixer les règles de transfert du secteur privé au secteur public dans le cas des nationalisations. Autre exemple, le Législateur n’a pas donné de règles suffisamment précises pour éviter les concentrations de presse et protéger le pluralisme de la presse. Encore, le fait pour le Législateur de déléguer au pouvoir réglementaire le soin de fixer les limites frontalières pour le contrôle d’identité. Autre exemple fondamental, c’est le contrôle de la qualité matérielle de la loi. Il y a incompétence négative lorsque les qualités de la loi n’est pas suffisante et donc qu’elle n’est pas suffisamment claire et précise. Dernier exemple, le Législateur ne peut pas transférer à des autorités locales le soin de mettre en oeuvre des libertés fondamentales.
L’idée générale est que le Parlement, lorsqu’il exerce ses compétences, a le droit de choisir entre de nombreuses solutions. Mais, lorsqu’il exerce ses compétences et même avec cette liberté, il doit les assumer et ne pas transférer des choix fondamentaux à d’autres autorités.
Le contrôle de la procédure
Le respect des formes et de la procédure devant le Parlement n’intègre pas le règlement des Assemblées et donc le contrôle du juge constitutionnel se fait seulement au regard de la Constitution. Par exemple, le Conseil constitutionnel contrôle très exactement que toutes les consultations préalables ont bien eu lieu. Il contrôle aussi le respect de toutes les règles constitutionnelles de procédure. C’est un contrôle facile car il est objectif. Pour le cas de la la loi de finances 1980, le budget a été déclaré inconstitutionnel car la loi n’a pas été votée dans le bon ordre.
Il arrive aussi que le Conseil se montre souple en matière de procédure. Ca a été le cas sur la question du vote personnel des parlementaires. Le Conseil a admit la validité d’une procédure au cours de laquelle on a voté pour des parlementaires représentants car il n’était pas établir que le député pour qui on a voté n’aurait pas voté différemment.
P2. LE CONTRÔLE DE LA CONSTITUTIONNALITÉ INTERNE
Le détournement de pouvoir
C’est le contrôle sui porte sur le but de l’acte et donc les intentions de celui qui a prit la décision. On se demande si ce qui est pensable pour un acte administratif l’est dans le cadre d’une loi car le contrôle de la constitutionnalité n’est pas aussi poussé que le contrôle de la légalité. Le détournement de pouvoir est fort et difficile à prouver. Si on l’admet, cela signifie pour le Conseil constitutionnel qu’il accepte de contrôler les buts du parlement et que ceux ci ne vont pas dans le sens de l’intérêt général.
Il a été invoqué dans quelques saisines mais le Conseil s’est gardé d’y répondre. Pour la loi Fillioud de 1984, l’opposition avait soulevé que la loi sur la concentration de la presse n’avait été fait que dans le but de démonter le plus grand groupe de presse d’opposition. Le Conseil ne va pas répondre explicitement sur ce terrain mais le raisonnement utilisé a fond semble conduire au même résultat. Le Conseil a indiqué au fond que la remise en cause de la situation existante en matière de liberté ne pet obéir qu’à deux hypothèses : la situation a été illégalement acquise ou la remise en cause est nécessaire pour réaliser l’objectif constitutionnel poursuivi.
Il y a une forme de détournement que le Conseil accepte de sanctionner c’est le détournement de procédure. Il ne l’a jamais prononcé mais il a accepté de l’examiner. En 1986, il a estimé qu’il n’y a pas de détournement de procédure par le recours aux ordonnances.
La violation de la Constitution
Il faut l’entendre dans un sens étroit donc la violation des règles substantielles constitutionnelles. Il s’agit donc des règles matérielles figurant dans le Préambule et quelques articles numérotés de la Constitution comme l’article 66 ou 72. On distingue deux types d’erreur : l’erreur de droit et l’erreur de fait. Ici, le juge constitutionnel semble se comporter comme le juge administratif en distinguant un contrôle normale et un contrôle restreint. Le contrôle normal n’interdit pas de contrôle certains éléments. Le Conseil constitutionnel annonce toujours son contrôle.
Lorsque le juge se contente d’un contrôle restreint, il est plus facile à repérer car le Conseil nous alerte. Ce contrôle restreint est apparu pour le première fois dans une décision de 1981 sur une loi sur la sécurité. Le Conseil disait qu’aucune disposition n’est manifestement contraire à l’article 8 de la Déclaration.
- Première remarque, c’est une démarche à laquelle le Conseil constitutionnel a très souvent recours. Il y a notamment recours lorsqu’il analyse le découpage des circonscriptions électorales.
- Seconde remarque, le contrôle de l’erreur manifeste n’est pas une manière d’atténuer les rigueurs du contrôle juridictionnel. C’est un contrôle moins strict mais il n’est pas moindre. Et donc, il lui est arrivé de contrôler ainsi mais de sanctionner en même temps. C’est un contrôle moins sévère mais quand une erreur est remarquée la sanction est la même. Depuis les années 2000, le Conseil utilise moins le vocabulaire d’erreur manifeste mais davantage celui de disproportion. Mais, au fond, le résultat est le même car le juge recherche un équilibre entre des exigences constitutionnelles contradictoire. L’erreur manifeste est donc l’idée qu’il est possible de comparer sans proportion exacte entre les atteintes à la liberté et l’intérêt général.