Le contrôle de conventionnalité de la loi

Conflit entre la loi et les traités internationaux (le contrôle de conventionnalité de la loi)

Rappel : En France, il y a deux façons principales de vérifier si une loi est correcte par rapport à des règles plus importantes : le contrôle de constitutionnalité et le contrôle de conventionalité (c’est étudié ici).

  • Constitutionnalité : Cela vérifie si une loi respecte la Constitution, qui est comme un ensemble de règles fondamentales pour le pays. C’est le Conseil constitutionnel qui fait ce travail. Si une loi ne respecte pas la Constitution, elle peut être annulée.
  • Conventionalité : Cela vérifie si une loi respecte les traités internationaux, des accords entre pays. Ce sont des juges ordinaires (comme ceux du Conseil d’État ou de la Cour de cassation) qui s’en occupent. Si la loi ne respecte pas un traité, elle peut être ignorée.

Le contrôle de conventionnalité consiste à vérifier la conformité des lois françaises aux traités internationaux, consacrant la supériorité des traités sur les lois (article 55 de la Constitution). En 1975, le Conseil constitutionnel a refusé de contrôler la conformité des lois aux traités, comme dans l’affaire de l’IVG, affirmant que son rôle se limitait à la Constitution. Ce contrôle a donc été confié aux juges ordinaires. La Cour de cassation, dans l’arrêt Jacques Vabre (1975), a reconnu ce pouvoir pour le juge judiciaire, et le Conseil d’État, dans l’arrêt Nicolo (1989), a fait de même pour le juge administratif. Ces décisions ont instauré la primauté des traités sur les lois, qu’elles soient antérieures ou postérieures, renforçant le rôle des juges dans le contrôle de conventionalité.

A) La supériorité de supériorité du traité sur la loi

L’article 55 de la Constitution établit que les traités internationaux priment sur les lois françaises, qu’elles soient antérieures ou postérieures. Cette hiérarchie des normes implique que, en cas de conflit entre une loi et un traité, la loi doit s’effacer. Cependant, la question de qui est chargé du contrôle de la conformité des lois aux traités a suscité des débats.

Le rôle du Conseil constitutionnel et des juridictions ordinaires

Dans la célèbre décision du 15 janvier 1975 (décision IVG), le Conseil constitutionnel a refusé de se reconnaître compétent pour le contrôle de la conventionalité des lois. Il a considéré qu’une loi contraire à un traité n’était pas pour autant contraire à la Constitution, ce qui signifie que les traités internationaux ne font pas partie du bloc de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel s’est donc déchargé de cette responsabilité en invitant les juges ordinaires à effectuer ce contrôle.

Conflit entre une loi postérieure et un traité

Les premières décisions des juridictions ordinaires ont été hésitantes, notamment face aux lois postérieures à la signature d’un traité. Le problème se posait lorsqu’une loi nouvelle contredisait un traité antérieur. Initialement, les juges ont appliqué un critère chronologique, privilégiant la loi plus récente. Cependant, cette approche a été progressivement abandonnée au profit d’un critère hiérarchique. Quelle que soit la date de promulgation de la loi, si elle est en contradiction avec un traité international, c’est le traité qui l’emporte.

Arrêts Jacques Vabre et Nicolo : la suprématie des traités

Deux décisions majeures ont marqué cette évolution :

  • L’arrêt Jacques Vabre de la Cour de cassation (24 mai 1975) a affirmé pour la première fois la primauté des traités sur les lois, y compris les lois postérieures. La Cour a ainsi donné aux juges ordinaires le pouvoir d’écarter une loi contraire à un traité.
  • L’arrêt Nicolo du Conseil d’État (20 octobre 1989) a confirmé cette approche, marquant ainsi l’adhésion tardive du juge administratif au principe de la primauté des traités sur les lois.

Ces deux arrêts ont été déterminants dans l’évolution du droit français, car ils ont mis fin à la suprématie absolue de la loi, conférant aux juges ordinaires un rôle crucial dans le contrôle de la conventionalité. À travers ce pouvoir, les juges peuvent écarter une loi française si elle contredit un traité international, notamment en matière de droit de l’Union européenne.

Impact sur la séparation des pouvoirs

Le pouvoir des juges ordinaires d’apprécier la conventionalité des lois a suscité des interrogations quant à une possible atteinte au principe de séparation des pouvoirs. En effet, soumettre une loi votée par le Parlement au contrôle des juges pourrait être perçu comme une remise en cause de la légitimité du législateur. Toutefois, cette atteinte est justifiée par l’article 55 de la Constitution, qui place les traités internationaux au-dessus des lois nationales.

Conséquences d’une loi contraire à un traité

Lorsqu’une loi est déclarée contraire à un traité par le Conseil d’État ou la Cour de cassation, la loi ne disparaît pas formellement de l’ordre juridique. Elle n’est simplement pas appliquée au litige en question. Le juge ne procède donc pas à une abrogation de la loi, mais il écarte son application au profit du traité.

Primauté du droit de l’Union européenne

Le principe de primauté s’applique également au droit de l’Union européenne, non seulement aux traités fondateurs (comme le traité de Rome dans les affaires Jacques Vabre et Nicolo), mais aussi au droit dérivé. Cela inclut les règlements et directives européennes, qui priment également sur la législation nationale. Cette supériorité du droit de l’Union renforce encore davantage le contrôle exercé par les juges ordinaires sur les lois nationales, en assurant une conformité totale avec le cadre juridique européen.

B) Le conflit entre la loi et la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme)

La Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), en tant que traité international, prime sur les lois françaises conformément à l’article 55 de la Constitution. Cela signifie que le juge ordinaire a la compétence pour contrôler la conformité des lois nationales à la CEDH, assurant ainsi la prévalence des droits protégés par la Convention dans l’ordre juridique interne.

Recours devant la Cour européenne des droits de l’homme
Une spécificité majeure de la CEDH est qu’elle permet aux particuliers de saisir la Cour européenne des droits de l’homme (située à Strasbourg) une fois toutes les voies de recours internes épuisées. Ainsi, un justiciable peut contester une décision définitive de la justice française au motif qu’elle contrevient aux droits garantis par la CEDH, qu’il s’agisse d’une loi contraire à la Convention ou de son application contraire aux principes conventionnels.

Cette possibilité de recours individuel est cruciale, car elle offre à toute personne un mécanisme supplémentaire pour protéger ses droits au niveau international. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) examine ensuite la plainte et peut condamner l’État si elle estime qu’une violation de la Convention a eu lieu. Ce contrôle est cependant subsidiary : la Cour de Strasbourg n’intervient que si les juridictions nationales n’ont pas assuré la protection des droits garantis par la Convention.

Exemple de condamnation de la France par la CEDH
Un exemple marquant de l’impact de la CEDH sur le droit français est la condamnation de la France en 1992 pour avoir refusé aux personnes transsexuelles le changement d’état civil après une transformation chirurgicale. Ce refus a été jugé contraire à l’article 8 de la Convention, qui protège le droit au respect de la vie privée. Après cette condamnation, la Cour de cassation a modifié sa jurisprudence pour se conformer à l’interprétation de la Cour européenne, permettant ainsi aux personnes concernées de changer leur état civil.

Le contrôle de conventionalité et son impact sur les juridictions françaises
Le contrôle de conventionalité a bouleversé les pratiques des juridictions françaises, en particulier la Cour de cassation. Traditionnellement, son rôle était limité à un contrôle de légalité, consistant à vérifier la bonne application des lois par les juges inférieurs, souvent à travers un raisonnement syllogistique (application mécanique de la règle de droit au cas particulier).

Cependant, avec l’essor du contrôle de conventionalité, la Cour de cassation a adopté un nouveau type de contrôle, le contrôle de proportionnalité. Ce dernier permet de tempérer l’application stricte de la loi nationale lorsqu’elle entre en conflit avec un droit fondamental protégé par la CEDH. Dans ce cadre, la Cour de cassation peut écarter une loi pourtant applicable, si son application porterait une atteinte disproportionnée aux droits protégés par la Convention.

Exemple de contrôle de proportionnalité
Un exemple de ce nouveau raisonnement est illustré par les affaires concernant le mariage incestueux, interdit par l’article 161 du Code civil français. Toutefois, la CEDH protège à la fois la liberté de mariage et le droit à la vie privée. Dans certains cas concrets, l’annulation d’un mariage incestueux pourrait être jugée comme une atteinte disproportionnée à ces droits fondamentaux. Dans ces situations, le juge français peut délaisser l’approche classique du syllogisme pour appliquer un jugement de proportionnalité, proche d’un raisonnement en équité.

Ainsi, le contrôle de conventionalité engage les juges français à adopter une approche plus souple et équilibrée dans l’application des lois, tenant compte des effets concrets sur les droits fondamentaux. Ce mécanisme renforce la place de la CEDH dans l’ordre juridique interne et modifie profondément l’office des juges nationaux, les incitant à intégrer directement les principes conventionnels dans leurs décisions.

 

 

Cas particulier : Les contrôles de conventionalité et de constitutionnalité en
matière des droits fondamentaux

Parfois, une loi peut être valide selon la Constitution mais invalide par rapport à un traité, ou l’inverse, ce qui complique un peu les choses.

Quand une loi est contestée (c’est-à-dire que quelqu’un dit qu’elle n’est pas « bonne »), il peut y avoir deux types de problèmes :

  1. La loi ne respecte pas la Constitution.
  2. La loi ne respecte pas un traité international.

En France, si un litige soulève à la fois un problème de Constitution et de traité international, il y a une règle qui dit qu’il faut d’abord vérifier si la loi est conforme à la Constitution. C’est ce qu’on appelle la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).

Où ça devient compliqué ?

Parfois, une loi peut être déclarée conforme à la Constitution, donc tout va bien du point de vue des règles du pays. Mais cette même loi pourrait être contradictoire avec un traité international, donc elle ne pourrait pas être appliquée.

À l’inverse, une loi peut être jugée conforme à un traité international, mais être ensuite jugée inconstitutionnelle, ce qui fait qu’elle disparaît complètement du système juridique.

En résumé : Il y a deux « tests » pour les lois : un pour voir si elles respectent la Constitution (les règles du pays) et un autre pour voir si elles respectent les traités internationaux. Et parfois, ces deux « tests » peuvent entrer en conflit, ce qui rend le système de contrôle des lois un peu compliqué.

 

Tableau récapitulatif sur le contrôle de conventionalité et ses implications

Thème Description
Supériorité des traités Article 55 de la Constitution garantit la primauté des traités internationaux sur les lois françaises.
Conseil constitutionnel En 1975, il refuse de contrôler la conventionalité des lois, limitant son rôle à la Constitution.
Arrêts majeurs Les arrêts Jacques Vabre (1975) et Nicolo (1989) ont confié ce contrôle aux juges judiciaires et administratifs, respectivement.
Droit européen et CEDH Le droit de l’Union européenne et la CEDH priment sur les lois nationales, renforçant le rôle des juges dans la protection des droits fondamentaux.
Contrôle de proportionnalité Les juges peuvent écarter une loi lorsqu’elle porte atteinte de manière disproportionnée aux droits protégés, comme en matière de mariage incestueux.

 

Questions fréquentes sur le contrôle de conventionnalité

Qu’est-ce que le contrôle de conventionnalité ?

Le contrôle de conventionnalité consiste à vérifier la conformité des lois françaises aux traités internationaux, en vertu de l’article 55 de la Constitution, qui consacre la primauté des traités sur les lois. Si une loi est en contradiction avec un traité, le traité doit prévaloir.

Le Conseil constitutionnel est-il compétent pour le contrôle de conventionnalité ?

Non, dans sa décision de 1975 sur l’IVG, le Conseil constitutionnel a refusé de contrôler la conformité des lois aux traités internationaux, estimant que son rôle se limitait à la Constitution. Ce sont les juges ordinaires, judiciaires et administratifs, qui assurent ce contrôle.

Quels arrêts ont consacré le contrôle de conventionnalité par les juges ordinaires ?

Deux arrêts majeurs ont consolidé ce principe :

  • Jacques Vabre (Cour de cassation, 1975) : Reconnaît pour la première fois la primauté des traités internationaux sur les lois françaises, y compris les lois postérieures.
  • Nicolo (Conseil d’État, 1989) : Confirme cette primauté, consacrant le pouvoir du juge administratif d’écarter une loi contraire à un traité.

Quelles sont les conséquences lorsqu’une loi est contraire à un traité ?

Lorsqu’une loi est jugée contraire à un traité international, elle n’est pas formellement abrogée mais simplement écartée dans le cas particulier. Le juge applique le traité au lieu de la loi dans le litige en question.

Le contrôle de conventionnalité s’applique-t-il au droit de l’Union européenne ?

Oui, le droit de l’Union européenne, qu’il s’agisse des traités fondateurs ou du droit dérivé (règlements, directives), prime sur les lois nationales. Les juges ordinaires sont donc tenus d’écarter les lois contraires au droit de l’UE.

Qu’est-ce que le conflit entre la loi et la CEDH (Convention européenne des droits de l’homme) ?

La CEDH, en tant que traité international, prime sur les lois françaises. Les juges ordinaires ont la compétence de contrôler la conformité des lois nationales à la CEDH pour assurer la protection des droits fondamentaux garantis par cette Convention.

Peut-on saisir la Cour européenne des droits de l’homme en cas de non-respect de la CEDH ?

Oui, une fois toutes les voies de recours internes épuisées, un justiciable peut saisir la Cour européenne des droits de l’homme pour contester une violation des droits garantis par la CEDH. Si la Cour estime qu’il y a eu violation, elle peut condamner l’État concerné.

Quel est l’impact du contrôle de conventionnalité sur la séparation des pouvoirs ?

Le contrôle de conventionnalité confié aux juges ordinaires soulève des questions quant à la séparation des pouvoirs, car il permet aux juges de ne pas appliquer une loi votée par le Parlement. Cependant, cela est justifié par la supériorité des traités internationaux sur les lois, conformément à l’article 55 de la Constitution.

Comment le contrôle de proportionnalité s’applique-t-il dans le cadre de la CEDH ?

Le contrôle de proportionnalité permet aux juges français, notamment la Cour de cassation, de ne pas appliquer strictement une loi nationale si son application porte une atteinte disproportionnée aux droits protégés par la CEDH. Cela marque une évolution vers un contrôle plus souple, prenant en compte l’impact concret sur les droits fondamentaux.