L’encadrement du pouvoir discrétionnaire du fait du contrôle du pouvoir juridictionnel
Il serait beaucoup plus juste de parler de compétence liée jurisprudentielle plutôt que de compétence discrétionnaire.
Le contrôle exercé par le juge administratif est un contrôle de légalité et non d’opportunité de la décision.
Il présente deux caractères :
- C’est un contrôle d’intensité variable : l’intensité du contrôle varie en fonction du domaine où l’administration exerce son activité.
- C’est un contrôle qui se veut effectif.
C’est-à-dire qu’il faut que le juge se donne les moyens d’exercer ce contrôle.
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§1. : Le contrôle d’intensité variable
A. Les différentes formes de contrôle :
Il faut comprendre que l’intensité du contrôle exercé par le juge varie en fonction du domaine où l’administration exerce son activité.
Ce n’est pas un contrôle linéaire.
Le Conseil d’État a très tot exercé un contrôle du détournement de pouvoir.
Puisque ce contrôle est exercé par un arrêt du 26 novembre 1875, l’arrêt Pariset. Depuis cette date, le juge contrôle systématiquement le détournement de pouvoir et par conséquence ne laisse aucune marge d’appréciation. Il contrôle si l’administration agit dans un but d’intérêt général ce qui veut dire qu’implicitement c’est lui qui définit ce qu’est l’intérêt général.
En ce qui concerne les motifs de droit, le juge les a contrôlés très tôt. Le juge sanctionne l’erreur de droit, autrement dit les motifs juridiquement erronés ou les motifs qui ne peuvent servir de base légale à une décision administrative. L’administration ne dispose d’aucune de marge d‘appréciation.
Quand est il du contrôle des motifs de fait ?
Pendant très longtemps, le juge a refusé d’exercer un contrôle des motifs de fait. Il laissait l’administration libre de définir les faits servant de bases à ses décisions et d’en tirer toutes les conséquences.
Mais progressivement, le Conseil d’État va mettre en place un contrôle des motifs de fait et ce qu’il y a de remarquable, c’est le fait que ce contrôle varie d’intensité selon les domaines, les matières où l’administration exerce son activité.
La doctrine dans sa généralité considère qu’il y a 3 types de contrôle : le contrôle minimum (ou restreint), le contrôle normal, et le contrôle maximum. La variation d’intensité du contrôle s efait uniquement au niveau des motifs de fait.
(Attention bien réviser les développements qui suivent pour l’examen).
Le juge n’exerce un contrôle minimum que dans 2 domaines :
– dans des domaine où le juge tient à laisser à l’administration de larges pouvoir d’interprétation pour ne pas paralyser son action : c’est le cas des polices spéciales et celui des relations internationales.
– quand les décisions revêtent un caractère de technicité.
Dans ces matières, le juge n’exerce qu’un contrôle réduit au niveau des motifs de fait.
Ce contrôle a considérablement évolué. Jusqu’en 1973, ce contrôle ne portait que sur l’exactitude matérielle des faits. Il a fallu attendre l’arrêt du 14 janvier 1916, l’arrêt Camino pour que le juge exerce un tel contrôle.
Ce contrôle de l’exactitude des faits ne restait pas moins limité. Si le juge contrôlait enfin l’exactitude des faits invoqués, il laissait l’administration libre d’en tirer toutes les conséquences. Les pouvoirs reconnus à l’administration dans ces différents domaines étaient considérables.
C’est un contrôle qui retrouvait toujours la même formule dans les arrêts :
« Que dès lors que l’appréciation à laquelle s’est livré l’autorité administrative ne repose pas sur des faits matériellement inexacts, elle n’est pas susceptible d’être discutée devant le juge administratif ».
C’est-à-dire que le juge ne contrôlait pas grand-chose.
Heureusement, les choses ont considérablement changé depuis un arrêt CE du 2 novembre 1973 : l’arrêt société librairie François Maspero. Cet arrêt a généralisé le contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation. C’est un contrôle amorcé en 1961 et qui s’est progressivement généralisé. Ce contrôle change la nature même du contrôle minimum. En contrôlant ce type d’erreur, le juge contrôle l’appréciation des faits à laquelle s’est livrée l’administration et cella même dans le cadre du contrôle minimum.
A travers ce contrôle de l’erreur manifeste de l’appréciation le juge contrôle 2 choses :
– D’une part, c’est l’absence de discordance entre les motifs de droit et de fait.
Ceci permet au juge de censurer les erreurs grossières, flagrantes.
– Et le contrôle de l’erreur manifeste, c’est d’autre part l’absence de disproportion entre les motifs invoqués et le contenu de la décision. Donc le juge vérifie que la solution n’est pas avérante.
Il ne peut s’agir que d’un contrôle légalité et qui n’en demeure pas moins limité.
« Dès lors qu’elle ne repose pas sur des faits inexacts et qu’elle n’est pas entachée d’erreur manifeste, l’appréciation à laquelle s’est livrée l’administration ne peut être discutée devant la juridiction administrative ». Le domaine du contrôle minimum se réduit lentement mais d’une manière constante.
C’est le contrôle de principe. C’est-à-dire que le juge administratif dans ce cas exerce en plus du contrôle de l’exactitude matérielle des faits et de l’erreur manifeste d’appréciation, il exerce le contrôle de la qualification juridique des faits.
Ce contrôle consiste à vérifier que les faits invoqués sont bien de nature à justifier la décision. Et l’arrêt de principe est l’arrêt du Conseil d’État le 4 avril 1914, l’arrêt Gomel.
Dans l’affaire Gomel, un permis de construire est refusé au motif que la construction projetée porte atteinte à une perspective monumentale. En l’espèce la place Boveau. Et on voit l’intérêt d’un tel contrôle.
Ex : dans la fonction publique on ne peut prononcer une sanction que s’il a commis une faute disciplinaire. Si ce n’est pas le cas tout contrôle est illégal.
Le contrôle de la qualification est donc un contrôle essentiel.
Si les faits sont exacts sauf erreur grossière on laisse à l’administration une liberté totale.
C’est le juge qui va déterminé s’il y a une faute disciplinaire et si le contrôle est légal.
Il s’agit d’un contrôle où en plus des éléments précédents, le juge s’assure de la parfaite adéquation entre les motifs, l’objet et même le but de la décision.
Un tel contrôle est qualifié de maximum car il va bien au-delà du contrôle de la qualification juridique des faits. Il s’agit pour d’un contrôle de l’exact proportionnalité entre l’objet même de la décision et entre les motifs de droit et de fait.
Ce type de contrôle s’applique essentiellement en matière de police administrative.
L’arrêt de principe est celui du 19 mai 1933, l’arrêt Benjamin.
Concrètement, le contrôle maximum consiste à vérifier que la mesure de police est strictement nécessaire au maintien de l’ordre public et qu’elle est la moins contraignante possible pour les individus.
Certains auteurs considèrent qu’il ne s’agit plus d’un contrôle de légalité mais un contrôle de l’opportunité même de la décision.
En effet, on peut considérer que le juge substitue sa propre appréciation à celle de l’autorité administrative et qu’est légal en fait la décision que le juge aurait prise s’il avait agit à la place de l’autorité compétente.
Arrêt du Conseil d’État du 25 janvier 1980, l’arrêt Gadiaga.
La maire de Strasbourg prend un arrêté qui interdit la vente de produits alimentaires dans un périmètre autour de la cathédrale de Strasbourg. Annulation par le Conseil d’État car le périmètre est trop large donc le maire réduit le périmètre autour de la cathédrale avec un 2ème arrêté. Il en prend un 3ème pour encore réduire le périmètre.
C’est le juge qui susbtitue son appréciation à celle de l’autorité administrative.
La marge d’appréciation des autorités de police est totalement absente quand la liberté de réunion est en cause.
Le CE considère que toute atteint à la liberté de réunion est illégale sauf si l’autorité de police peut démontrer qu’il y a un risque caractérisé de troubles à l’ordre public en dépit de la mobilisation de toutes les forces de police disponibles.
B. La portée de la distinction :
La distinction entre les 3 formes de contrôle est la plus usuelle.
Le Conseil d’État ne distingue formellement que le contrôle minimum et le contrôle normal. Il considère que le contrôle maximum est une pure création doctrinale.
Mais on ne peut constater que dans certains cas, le contrôle normal est tellement poussé qu’on ne peut que le qualifier de maximum et la quasi-totalité de la doctrine retient les 3 types de contrôle.
Toutefois, la différenciation des 3 types de contrôle est une présentation schématique et que la réalité est beaucoup plus nuancée.
A cet égard, plusieurs précisions doivent être apportées :
– On constate qu’il n’y a pas 3 situations bien tranchées, bien distinctes.
En effet, dans certains cas, le juge n’exerce pratiquement aucun contrôle.
Par exemple la contestation des délibérations d’un jury d’examen.
A l’opposé, dans certains cas, le juge ne laisse aucune liberté d’appréciation.
Par exemple quand il y a atteinte à la liberté de réunion.
De plus à l’intérieur d’un domaine de contrôle on constate des variations importantes. L’intensité du contrôle va varier selon l’activité visée par la mesure de police. Le juge admettra très facilement la légalité d’une interdiction d’un spectacle de variété même en revanche annulera systématiquement toute interdiction d’une réunion à caractère politique.
– Le type de contrôle peut changer selon le sens de la décision. Par exemple, en matière de permis de construire, s’il y a un refus du permis, c’est un contrôle normal.
Le recours étant exercé par le pétitionnaire. En cas d’octroi du permis, le juge n’exerce qu’un contrôle minimum, le recours étant exercé par un tiers.
Quand le maire refuse un permis de construire, le juge n’exerce qu’un contrôle minimum. Le recours étant exercé par des tiers.
– L’intensité du contrôle peut changer, peut varier selon les éléments de la décision.
En cas de contentieux disciplinaire de la fonction publique, a priori, le juge exerce un contrôle normal c’est-à-dire un contrôle de la qualification des faits. Est-ce que le comportement de l’agent est constitutif d’une faute disciplinaire ? Le juge n’exerce qu’un contrôle de l’erreur manifeste d’appréciation en ce qui concerne la sanction prononcée. Le juge n’exerce qu’un contrôle minimum sur la gravité de la sanction.
– La distinction entre les différentes formes de contrôle est parfois difficile à mettre en œuvre.
L’exemple le plus significatif concerne la théorie du bilan coût-avantage. A travers cette théorie le juge vérifie l’utilité publique des projets d’aménagement qui impliquent le recours à l’expropriation.
Arrêt de référence du CE du 28 mai 1971, ville Nouvelle-Est.
Le juge administratif exerce un contrôle du bilan entre les avantages du projet et les inconvénients du projet. Et si le coût ou les inconvénients apparaissent excessifs, l’opération d’aménagement est considérée comme illégale.
Le contrôle du bilan est considéré par certains auteurs comme un contrôle maximum au motif qu’il s’agit d’un contrôle de proportionnalité entre les avantages et les inconvénients d’un projet. Cette analyse apparait fausse pour certains car dans le cadre du bilan le juge censure les décisions arbitraires, déraisonnables ou mal étudiées. C’est-à-dire en fait l’erreur manifeste d’appréciation. Pour la majorité de la doctrine le contrôle du bilan apparait comme un contrôle minimum.
Ces difficultés découlent de ce que les auteurs parlent en matière de pouvoir discrétionnaire de proportionnalité. A partir de la il est difficile de distinguer entre contrôle minimum et contrôle maximum. Sauf à préciser que le contrôle minimum est un contrôle de disproportion et que le contrôle maximum est un contrôle d’exacte proportion.
Il est préférable de parler de contrôle de stricte adéquation à propos du contrôle maximum.
L’intensité du contrôle varie uniquement au niveau du contrôle des motifs de faits. L’expression « pouvoir discrétionnaire » ne signifie pas arbitraire mais marge d’appréciation laissée à l’administration au niveau des motifs de faits et sous le contrôle du juge administratif.
§2. Un contrôle effectif
Cette question de l’effectivité du contrôle du pouvoir discrétionnaire a été mise en évidence il y a bien longtemps par le commissaire du gouvernement à l’occasion des conclusions qu’il a prononcé dans l’affaire Barel.
Arrêt du CE du 28 mai 1954 « l’arrêt Barel ».
Le commissaire du gouvernement a démontré qu’avant 1954 le contrôle juridictionnel dépendait en fait du bon vouloir de l’administration.
L’intensité du contrôle se fait au niveau des motifs de la décision. Pour que le juge puisse contrôler les motifs de la décision, il doit les connaitre. A priori, il n’aurait pas du y avoir de difficulté.
La procédure contentieuse administrative est une procédure inquisitoire c’est-à-dire que c’est le juge qui dirige l’instruction.
Exemple : On pose notre candidature à l’ENM et elle est refusée. On dit qu’elle est refusée à cause des notes. Ce ne sont pas les bons motifs. Ce sont pour des raisons politiques, syndicales. Dans ce cas le refus est illégal. Le ministre de la justice va intervenir et le juge s’incline.
Le problème de fond est de savoir le motif sur lequel l’administration s’est fondée.
Avant 1954, soit le ministre joue le jeu de la transparence : insuffisance du niveau du candidat. Le juge pourra exercer son contrôle. L’autorité administrative n’indiquera pas ce motif. Avant 1954, c’était l’administration qui décidait de communiquer ou non au juge les motifs de sa décision.
Le contrôle des motifs dépendait de la bonne volonté de l’administration.
En 1954, le commissaire du gouvernement dit que cette situation est inadmissible.
Il est rappelle que la procédure est inquisitoriale c’est-à-dire que c’est le juge qui dirige l’instruction et que le juge est en droit d’exiger de l’administration la production des motifs. Le juge doit le faire que si le requérant a des commencements de preuves.
Le CE n’a pas repris intégralement en 1954 les conclusions du commissaire du gouvernement. Il va le faire progressivement et cette évolution aboutira avec l’arrêt du 26 janvier 1968, « société maison Genestal » : le Conseil d’État considère qu’il est en droit de demander à l’administration la production des motifs ou du dossier aux vues duquel l’administration s’est prononcée en fonction de l’argumentation développée par le requérant. Le juge peut donc contrôler les vrais motifs sur lesquels l’administration s’est fondée.
Si l’administration refuse de communiquer le dossier ou les motifs, le juge donne raison au requérant.
En matière de preuve cette jurisprudence est fondamentale. Elle illustre la façon de procéder du CE.
Le dossier n’est communiqué qu’au juge et pas au requérant. Cette décision illustre la caractère inquisitoire de la procédure.
En contre partie, le Conseil d’État a assoupli sa jurisprudence sur 2 points :
-Assouplissement quant aux conséquences du constat du caractère illégal d’un motif d’une décision administrative.
En effet, depuis l’arrêt du 12 janvier 1968, l’arrêt Dame Perrot, le Conseil d’État distingue les motifs déterminants des motifs surabondants. Seule l’illégalité des motifs déterminants entraîne l’annulation de l’acte. Les motifs surabondants sont considérés comme ceux qui n’ont pas joué de rôle décisif dans la décision prise. Si l’autorité compétente s’était fondée sur ce seul motif ou ces seuls motifs elle n’aurait pas été amenée à prendre la décision. Les motifs déterminants sont ceux en faisant totalement abstraction des autres qui auraient en tout état de cause conduit l’administration à prendre sa décision.
-Assouplissement qui concerne l’obligation pour l’administration d’exercer sa compétence discrétionnaire. Lorsque l’administration était réputée disposer d’une compétence discrétionnaire elle était tenue de se prononcer au cas par cas, elle ne pouvait se fixer une directive sauf à commettre une erreur de droit.
Depuis l’arrêt du 11 décembre 1970 crédit foncier de France, le Conseil d’État admet la pratique des directives. l’administration peut prendre des directives, elle peut se donner une doctrine.