Contentieux administratif en Belgique
Le cours de contentieux administratif belge étudie l’ensemble des litiges attraits devant les juridictions administratives belges, et par extension, les règles qui s’appliquent au traitement de ces litiges en Belgique.
CHAPITRE I : LA PROTECTION DU CITOYEN CONTRE L’ARBITRAIRE ADMINISTRATIF – APERÇU DE DROIT COMPARE
I. Les conditions d’instauration d’un contrôle
- Cours de Contentieux administratif en Belgique
- Le contentieux de l’annulation en Belgique
- Les voies de recours contre le Conseil d’État belge
- Le contentieux de pleine juridiction en Belgique
- Le contentieux de l’indemnité en Belgique
- Suspension et référé en droit belge
- Les arrêts de rejet et d’annulation (droit belge)
Pendant longtemps, on a considéré que l’État n’avait que 3 grandes fonctions à remplir :
– assurer la sécurité publique
– percevoir les impôts
– rendre la justice
Par contre, on ne considérait pas qu’il devait lui-même respecter le droit.
Mais ça a peu à peu changé, sous l’influence de différentes circonstances :
– soit une position de faiblesse du pouvoir en place qui l’oblige à faire des concessions (ex. Angleterre au XIIIème siècle, Magna Carta)
– soit une révolution et un pouvoir nouveau qui veut réagir contre les abus de l’ancien régime (ex. France en 1789, Allemagne post-nazie, Portugal, Roumanie)
– soit une volonté du pouvoir en place de se réformer et d’abandonner l’autoritarisme (ex. Espagne post-franquiste, anciennes républiques soviétiques)
Dans ces cas de figure, le pouvoir décide donc de se soumettre à un contrôle. Ce n’est pas une garantie d’un Etat de droit car l’Etat peut décider d’un contrôle tout en y soustrayant ses décisions à caractère politique (ex. France sous Pétain) mais ça permet du moins de soumettre l’Etat au droit, dans une mesure plus ou moins large.
Le contrôle peut être :
– soit interne à l’administration
– soit externe à l’administration : il peut être assuré par 4 différents types d’institutions, combinées ou pas
- un Ombudsman ou médiateur
- les tribunaux ordinaires (pays de Common Law)
- des juridictions judiciaires spécialisées
- des juridictions non judiciaires spécialisées
II. L’Ombudsman
A. En Suède
L’Ombudsman est une institution née en Suède au XVIIIème siècle.
Elle s’explique par la spécificité du système suédois où l’administration a toujours eu une large autonomie qui s’apparente à celle du PJ :
– les administrations ne sont pas dirigées par un ministre mais par un chef d’administration
– les fonctionnaires sont inamovibles, comme les juges
– l’administration ne prend ses décisions qu’après avoir entendu la personne concernée
– les fonctionnaires supérieurs peuvent réformer les décisions prises par des fonctionnaires inférieurs
L’Ombudsman est donc, à la base, un délégué du parlement chargé de surveiller l’application des lois par l’administration.
Il se saisit d’une affaire
– soit sur demande d’un particulier (qui ne doit même pas justifier d’un intérêt). Il est donc souvent sollicité et il y a aujourd’hui 4 Ombudsman.
– soit de sa propre initiative. Dans ce cas, il a de larges pouvoirs d’investigation et d’instruction.
Ses enquêtes aboutissent à :
– soit un classement sans suite
– soit la dénonciation d’une infraction au PJ
– soit des recommandations à l’administration fautive (toujours suivies)
– un rapport annuel au parlement où il est discuté dans le but d’améliorer le fonctionnement de l’administration
B. Un produit d’exportation difficile
L’institution de l’Ombudsman a été copiée dans d’autres Etats àpdes années ’50, au niveau national, local ou même dans les entreprises (et dans l’UE).
Mais elle n’est nulle part aussi efficace qu’en Suède car ces Etats en question n’ont pas le même système administratif. Leurs administrations dépendent d’un ministre et le médiateur ne peut intervenir qu’après la mise en œuvre de la responsabilité ministérielle. Ce « filtre » dénature la mission du médiateur.
C.Les médiateurs en Belgique
1. Apparition
La Belgique a elle aussi importé dans son droit l’institution du médiateur. Mais chez nous, elle ne relève pas nécessairement du pouvoir législatif fédéral et n’est donc pas considérée comme une institution de protection des droits fondamentaux. C’est plutôt un mode d’organisation de l’administration.
Elle peut en fait être instituée à différents niveaux et selon les cas, elle l’est par un acte législatif ou administratif. Chaque administration est compétente pour instaurer son médiateur.
Il peut avoir des compétences
– soit générales : ex. médiateurs fédéraux, des C et R
– soit spécifiques : ex. délégué général aux droits de l’enfant et à l’aide à la jeunesse (Communauté française), services de médiation des entreprises publiques autonomes,…
2. Les médiateurs fédéraux
a) Institution
– 2 médiateurs fédéraux : un francophone et un Flamand qui agissent collégialement
– nommés pour 6 ans (renouvelables) par la Chambre
– même statut que les conseillers à la Cour des Comptes
– soumis à des incompatibilités afin d’assurer leur indépendance
– autorités quasi-parlementaires rattachées au parlement car il est seul compétent pour contrôler le PE
– compétence supplétive par rapport aux médiateurs spécialisés et aux recours administratifs et juridictionnels
b) Missions et compétences
Les médiateurs fédéraux ont 4 missions :
1°. Recevoir de réclamations :
Tout administré victime d’une déficience du service public (même sans illégalité) peut saisir les médiateurs sans formalités et sans frais, par écrit ou oralement.
La réclamation ne sera recevable que si l’administré a d’abord tenté un recours gracieux auprès de l’administration dont il se plaint. C’est un préalable obligé.
2°. Investiguer :
Quand une réclamation est recevable, les médiateurs investiguent. Ils sont de larges pouvoirs d’instruction (ex. on ne peut leur opposer le secret professionnel).
Ils doivent tenter de concilier les points de vue des parties en cause.
3°. Faire des recommandations :
Si les médiateurs n’arrivent pas à concilier les points de vue des parties, ils peuvent faire des recommandations à l’administration et en faire rapport au ministre concerné.
4°. Faire rapport : les médiateurs doivent faire un rapport annuel à la Chambre qui le publie.
c) Commentaire
Lors de la transposition de l’institution du médiateur dans notre droit, le législateur a évité de placer un « filtre » destiné à protéger le principe de responsabilité ministérielle. Il arrive donc qu’on contourne ce principe mais ça permet en même temps de décharger les ministres de plaintes parfois très mesquines.
Bref, on peut dire que les médiateurs fédéraux, même s’ils font parfois double emploi avec les recours judiciaires, ont une certaine efficacité, surtout dans les dossiers où l’administré est manifestement lésé, et ce grâce à leur mode de fonctionnement constructif.
III. Le contrôle de l’administration dans les pays de Common Law
A.Notion
Dans les pays anglo-saxons, la Common Law est l’ensemble des règles, créées par la jurisprudence qui sont communes à tout le pays (par opposition aux coutumes locales).
Or, un des principes fondamentaux dans les systèmes de Common Law est la rule of law qui signifie que l’autorité publique est :
– soumise au même droit que les personnes privées
– justiciable devant les tribunaux
Du fait de ce principe, on pourrait croire que, dans ces systèmes, il n’y a pas besoin de droit administratif puisque l’administration est soumise aux mêmes règles que n’importe quel particulier. Mais c’est un peu excessif : même si ce sont, en gros, les mêmes règles qui s’appliquent, elles connaissent tout de même des aménagements quand l’administration est en cause. Il y a donc bien en Common Law un administrative law.
B.L’equity
Le système de Common Law s’est développé àpdu XIIème siècle et est peu à peu devenu rigide. Résultat : beaucoup de justiciables étaient insatisfaits des solutions apportées. Ils se sont alors mis à introduire des recours devant le roi, puis son chancelier, au nom de l’équité.
Avec le temps, ce recours est devenu une procédure à part entière, distincte de celle de la Common Law. Aujourd’hui, c’est la Chancery division de la High Court qui est compétente pour en connaître.
C.Organisation
Les litiges qui impliquent l’administration sont rarement tranchés au niveau local (county courts). La plupart du temps, ce sont les juridictions centralisées à Londres qui sont compétentes (High Court, Court of Appeal, House of Lords).
C’est surtout cette question de compétence qui est réglée par l’administrative law. En effet, le droit anglo-saxon est plus axé sur les règles de forme que de fond puisque le fond est créé par le juge via le système de Common Law.
D.Types de recours
En droit anglais, toute procédure commence par un writ. C’est un ordre qu’un officier public, à la requête du demandeur, adresse au nom du roi à ses agents pour qu’ils contraignent le défendeur à respecter le droit. Si le défendeur désobéit, le procès naît et porte sur la question de savoir si l’ordre était régulier et s’il pouvait, oui ou non, y désobéir.
Il y a différents types de writs et donc de recours :
1°. Ceux qui relèvent de la Common Law :
– mandamus(= nous ordonnons) : on demande à la Cour qu’elle ordonne à une autorité publique de remplir ses obligations légales.
– certiorari(= être confirmé) : on demande à la Cour de vérifier la régularité d’une décision administrative ou juridictionnelle (même venant d’une institution de droit privé) et, le cas échéant, de l’annuler.
– prohibition : on demande à la Cour d’interdire à une autorité de continuer à agir illégalement.
2°. Celui qui relève de l’equity : l’injunction (cf. prohibition)
3°. Un recours apparu plus récemment : la declaration
Avant tout litige, on demande au juge le sens d’une règle de droit ou si un acte est valable. La réponse du juge n’est pas contraignante mais elle a une telle autorité morale qu’elle est toujours respectée.
Ce recours a beaucoup de succès car il est simple à introduire.
E. Etendue et efficacité du contrôle
Le contrôle de la puissance publique en droit anglo-saxon recouvre :
– ses actes illégaux :
- erreurs de droit ou de fait
- excès de pouvoir
- décisions irraisonnables
- fraude, mauvaise foi et malveillance
- partialité
- violation d’audi alteram partem
– sa responsabilité
Ce système est performant mais compliqué, cher et difficilement exportable dans les pays qui ne sont pas de Common Law.
IV. Juridictions spécialisées intégrées à l’ordre judiciaire : l’Allemagne fédérale
A.Schéma de l’organisation judiciaire
Le système juridictionnel allemand date de 1949 et n’est donc pas, contrairement au système anglais, le produit de l’histoire. Il est donc plus rationnel, même si quelques aménagements l’ont complexifié avec le temps, mais c’est le prix à payer pour qu’il soit en adéquation avec l’évolution des choses.
On a :
– une Cour constitutionnelle fédérale (siège à Karlsruhe) qui n’est pas une juridiction de recours contre les décisions des autres juges
– 5 ordres de juridiction au niveau fédéré : ordinaires (civiles et pénales), administratives, financières, sociales et du travail
Certaines entités fédérées ont aussi leur cour constitutionnelle propre, chargée de faire respecter la constitution du Land.
B. Compétence de chaque ordre de juridiction
1. La Cour constitutionnelle fédérale
Compétences :
– règlement des litiges entre l’Etat fédéral et les Länder sur la répartition de leurs compétences ou sur leurs droits et obligations respectifs
– contrôle de la constitutionnalité du droit fédéral ou fédéré
– incorporation du droit international dans le droit interne et applicabilité directe de celui-ci
– recours pour violation des droits fondamentaux
Modes de saisine :
– questions préjudicielles : elles peuvent émaner d’une juridiction mais aussi d’une personne, via une action préjudicielle (en général, ces actions ne sont ouvertes qu’à certains pouvoirs publics)
– recours constitutionnel : il permet à tout particulier de contester, en dernier recours, la conformité d’un acte de puissance publique aux droits fondamentaux garantis par la Constitution.
2. Tribunaux ordinaires, financiers et sociaux
L’administration peut être amenée à être jugée par un des 5 ordres juridictionnels (sauf les juridictions du travail).
Exemples :
– juridictions civiles : elles connaissent de
- la responsabilité pour faute des pouvoirs publics
- la responsabilité sans faute des pouvoirs publics (théorie du sacrifice, // contentieux de l’indemnité devant le Conseil d’Etat belge)
- le contentieux de l’expropriation
– juridictions fiscales
– juridictions sociales : elles connaissent des litiges relatifs à la sécurité socaile (branche du droit administratif)
3. Juridictions administratives
L’administration peut être jugée par les juridictions administratives pour tous les litiges de droit public non constitutionnels.
Il y a 4 recours principaux :
1°. L’action en annulation : on demande l’annulation d’un acte administratif irrégulier, mais ça ne peut être qu’un acte individuel, pas un règlement (sauf règlements urbanistiques). Certains Länder admettent cependant que leurs juridictions administratives annulent, dans une mesure plus ou moins large, les règlements non urbanistiques.
L’action en annulation doit toujours être précédée d’une procédure préalable d’opposition qui consiste à demander à l’autorité dont émane l’acte de le rétracter ou de le réformer. Ce n’est que si elle refuse que l’action en annulation se met en marche.
L’action a alors un effet suspensif (sauf exception) avec possibilité d’aller en référé pour organiser la situation d’attente entre les parties.
2°. L’action en constatation : on demande, via des formalités moins strictes que dans l’action en annulation, que le juge constate l’inexistence ou l’irrégularité d’un acte administratif. Il ne sera alors plus appliqué.
3°. L’action en obligation : on demande que le juge condamne l’administration à accomplir un acte administratif déterminé.
Là aussi, l’action doit être précédée d’une procédure préalable d’opposition.
4°. L’action en injonction : on demande que le juge condamne l’administration à accomplir ou ne pas accomplir un acte non administratif.
V. Juridictions spécialisées autonomes
A. Juridictions « pures » : l’exemple suédois
Dans certains Etats on a des juridictions spécialisées et extra-judiciaires chargées de régler les litiges impliquant l’administration.
C’est par ex. le cas en Suède où on a une Cour administrative suprême compétente pour connaître des décisions administratives prises à des niveaux inférieurs que le gouvernement.
B. Conseils d’Etat
Dans d’autres pays, on a un Conseil d’Etat qui est une institution inspirée du Conseil d’Etat français. Elle se caractérise par une double fonction :
– consultative : le Conseil d’Etat est un conseiller juridique officiel du gouvernement
– contentieuse : le Conseil d’Etat est un juge administratif suprême
L’institution, en France, a fort évolué dans le temps mais de façon lente et continue. On va examiner cette évolution.
CHAPITRE II : LE CONSEIL D’ETAT FRANÇAIS, REPOUSSOIR OU MODELE MAIS REFERENCE CONSTANTE
I. Origines
Le Conseil d’Etat a été créé en France sous Napoléon Bonaparte, alors 1er consul, en vertu de la Constitution de 1799.
Cette création est la conséquence de la théorie de l’administrateur-juge, qui elle-même découle de la conception qu’on se faisait à l’époque de :
– la fonction juridictionnelle : le juge ne devait être que la « bouche de la loi » car on se méfiait de son arbitraire.
– la séparation des pouvoirs : elle devait être totale et empêcher tout jugement de l’administration par le PJ. Contrairement à la conception actuelle dans laquelle la séparation permet un contrôle mutuel des pouvoirs (« le pouvoir arrête le pouvoir »), on voulait à l’époque qu’un pouvoir ne puisse en aucune façon ingérer dans les compétences d’un autre. L’administration devait donc se juger elle-même !
II. Le Conseil d’Etat napoléonien
Le Conseil d’Etat créé à la base par Napoléon avait donc plus pour but de défendre l’efficacité de l’administration que les droits des administrés.
Il était présidé par le 1er consul puis par l’empereur.
Il avait une double fonction : consultative et contentieuse.
III. D’un Conseil d’Etat à l’autre
Au cours de la vie politique mouvementée du XIXème siècle, le Conseil d’Etat évolue.
En 1870, c’est la débâcle en France (défaite dans la guerre franco-prussienne, perte de l’Alsace-Lorraine, Commune de Paris) et on en tient pour responsable le PE, jugé trop fort.
Le nouveau régime de la IIIème République va donc viser à diminuer les pouvoirs du PE au profit du PL. C’est dans cette optique qu’on va renforcer en 1872 la fonction contentieuse du Conseil d’Etat, afin qu’il maintienne l’administration dans les limites de la légalité.
On rétablit aussi le Tribunal des conflits, chargé de trancher les conflits d’attribution entre PJ et CE et composé pour moitié de membres du Conseil d’Etat et pour moitié de membres de la Cour de Cassation.
IV. La juridiction déléguée et le développement du contentieux administratif
Jusque 1872, le Conseil d’Etat exerçait une justice retenue : il ne rendait que des projets de décisions qui devaient être entérinés par une autorité supérieure. Ca découlait de la théorie de l’administrateur-juge et, même si les avis du Conseil d’Etat étaient presque toujours suivis par l’autorité en question, ça empêchait l’exercice par le Conseil d’Etat d’une justice indépendante.
La réforme du Conseil d’Etat de 1872 va lui conférer l’exercice d’une justice déléguée : désormais, le Conseil d’Etat prend lui-même les décisions définitives qui tranchent les contestations.
Ca va permettre le développement d’un véritable contentieux et d’un droit administratifs.
Apde là en effet, la jurisprudence du Conseil d’Etat va créer de nombreuses règles de droit prétorien (// Common Law) qui vont former les grands principes du droit administratif.
Ex. arrêt Blanco (1873) : le Conseil d’Etat soustrait du droit civil toutes les questions relatives à la responsabilité de l’administration. Elle balise par là son champ d’action et se déclare compétente pour connaître de la responsabilité de l’administration.
V. La décentralisation du contentieux
Vers le milieu du XXème siècle, le Conseil d’Etat a été victime de son succès et, débordé, a commencé à accumuler un arriéré.
Pour y remédier, deux réformes de décentralisation ont été prises :
– une 1ère en 1953 : on crée des tribunaux administratifs compétents pour juger en 1er degré les contentieux liés à des actes localisés dans leur ressort.
Le Conseil d’Etat garde deux fonctions :
- juge d’appel des décisions des tribunaux administratifs
- juge en 1er et dernier ressort des contentieux liés à des faits ou actes à portée nationale ou non rattachés au ressort territorial d’un tribunal administratif
– une 2nde en 1989 : 3 volets :
- on réorganise les tribunaux administratifs
- on instaure des mécanismes de prévention du contentieux
- on crée des Cours administratives d’appel, compétentes pour connaître en degré d’appel des décisions rendues par les tribunaux administratifs
Le Conseil d’Etat garde deux fonctions pour permettre de maintenir l’unité de la jurisprudence :
- il peut casser les arrêts rendus par les Cours administratives d’appel
- il répond à des questions préjudicielles posées par les tribunaux administratifs ou les Cours administratives d’appel confrontés à des questions de droits nouvelles, difficiles et fréquentes.
Ainsi, pour qu’une disposition à l’interprétation contestée soit éclaircie, on n’est pas obligé d’aller jusqu’en cassation (ce qui peut prendre 9 à 11 ans de procédure !).
CHAPITRE III : LA CONSTITUTION BELGE ET LE CONTENTIEUX ADMINISTRATIF
I. Evolution historique
A. Les conceptions du Congrès national
Lors de la Révolution belge de 1830, 2 raisons vont expliquer pourquoi le Congrès national (assemblée constituante) ne va pas vouloir d’un Conseil d’Etat :
– la Belgique sortait du joug français puis hollandais où elle avait dû à chaque fois subir un Conseil d’Etat de type napoléonien et donc autoritaire (cf. supra)
— méfiance vis-à-vis d’une juridiction administrative
– la Belgique avait par contre bénéficié de juridictions judiciaires efficaces et impartiales (car organisées à un niveau plus local et non par des souverains étrangers)
— confiance vis-à-vis des juridictions judiciaires
Cette confiance s’est d’ailleurs traduite dans différentes dispositions de la Constitution :
- art. 158 : la Cour de Cassation est compétente pour régler les conflits d’attribution
- art. 31 : il ne faut pas d’autorisation préalable pour poursuivre un fonctionnaire public (sauf ministres)
- art. 159 : exception d’illégalité
La Constitution ne va donc pas prévoir de Conseil d’Etat : on considère que le PJ, qu’on institue en pouvoir constitutionnel, est suffisant pour garantir les libertés.
Cependant, on n’exclut pas l’idée même de juridiction administrative. La porte reste ouverte avec les articles 145 et 146 de la Constitution qui permettent au législateur de soustraire à la compétence du PJ certaines contestations ayant pour objet des droits politiques. Les juridictions qui pourront connaître de ces contestations devront être créées par la loi et on les appelle « juridictions contentieuses ».
Ces articles vont permettre la création d’un Conseil d’Etat et de juridictions disciplinaires.
B.L’évolution des idées
Assez vite, l’absence de Conseil d’Etat va se révéler problématique.
1°. Dans un 1er temps, c’est sa compétence consultative qui va manquer : on n’a personne pour conseiller le législateur.
Pour pallier à ça, on va créer :
– tout d’abord un Conseil des mines, chargé de conseiller PE et PL lors de l’élaboration des normes relatives à l’activité minière (domaine très limité).
– ensuite différents comités consultatifs au sein des ministères, chargés de conseiller les ministres lors de l’élaboration de toutes les normes (domaine étendu).
En effet, les projets de loi visant à régler le problème en instituant un Conseil d’Etat (1832 et 1855) n’avaient pas abouti car la méfiance était encore trop grande.
2°. Dans un 2ème temps, c’est sa compétence contentieuse qui va manquer : les juridictions judiciaires chargées de juger l’administration vont faire une distinction entre les affaires où l’administration a agi en tant que personne privée et celles où elle a agi en tant que personne publique.
Pour les 1ères, elles vont s’estimer compétentes, mais pas pour les 2èmes. Ca s’explique par le fait que les titulaires du pouvoir étaient tous issus de la bourgeoisie francophone (< système censitaire) et que donc, les juges étaient très tournés vers la France. On a suivi la théorie française de l’administrateur-juge et donc estimé que l’administration-personne publique ne pouvait être jugée par le PJ à cause de la séparation des pouvoirs. Le problème est qu’en France, l’administration pouvait du moins être jugée par le Conseil d’Etat mais pas en Belgique, puisqu’on n’avait pas de Conseil d’Etat ! Il y avait donc impunité de l’administration. Le problème était rendu pire par le fait que :
– suite à 30 ans de gouvernement du parti catholique (< SU avec vote plural), l’administration était très politisée et donc plus partiale que jamais
– l’interventionnisme de l’administration se développait de plus en plus à cette époque
On avait donc beaucoup de décisions administratives sujettes à contestation et rien pour trancher ces contestations.
La nécessité d’une réforme s’est donc de plus en plus fait sentir, notamment dans des thèses publiées entre 1910 et 1918 à l’ULB où l’on plaide pour un contrôle de l’administration :
– soit via la création d’un Conseil d’Etat
– soit via un revirement de la jurisprudence de la Cour de Cassation quant à l’impunité de l’administration-personne publique
Suite à cela, en 1919, on insère dans la déclaration de révision de la Constitution l’article qui permettrait de créer un Conseil d’Etat.
C.Le fétichisme du droit civil
Suite aux thèses publiées dans les années 1910 à l’ULB, la jurisprudence prend conscience du problème et va évoluer :
– en 1917, un 1er arrêt de la Cour de Cassation met fin à la distinction entre Etat-personne privée et Etat-personne publique
– en 1920, un 2ème arrêt de la Cour de Cassation, l’arrêt Flandria, vient révolutionner le système. Il raisonne en 3 temps :
- la compétence des tribunaux pour juger l’administration est déterminée par la nature du droit lésé (civil) et non par la qualité des parties (l’administration)
- si l’administration lèse un droit civil, elle est responsable en vertu des articles 1382 et ss. C.C.
- en vertu de l’article 144 de la Constitution, les juridictions judiciaires ont une compétence exclusive pour engager la responsabilité de l’administration
Cet arrêt, basé sur les conclusions du procureur général Leclercq, entraîne dans la jurisprudence belge une position tout à fait opposée à celle de la jurisprudence française : en France, on estimait que la responsabilité de l’administration était régie par des règles propres ; en Belgique, on la soumet au droit commun.
En conséquence de cet arrêt, les chambres constituantes vont estimer en 1921 qu’une révision de la Constitution n’est plus nécessaire pour créer un Conseil d’Etat et que le revirement de jurisprudence suffit à régler le problème.
Mais on va vite se rendre compte que l’arrêt Flandria ne règle pas tout. En effet, il ne vise que la lésion par l’administration de droits civils. Celle-ci n’est donc contrôlée que dans un domaine limité. Beaucoup de ses décisions restent non contrôlées en raison de la conception qu’on se fait de la séparation des pouvoirs et du pouvoir d’appréciation souveraine de l’administration. A partir du moment où celle-ci a pris une décision, même si elle est illégale ou déraisonnable, elle a agi souverainement et ne peut être contrôlée…
L’administration n’est contrôlée que de deux façons :
– en vertu de l’article 159 de la Constitution (exception d’illégalité)
– en vertu des articles 1382 et suviants. Code civil (responsabilité civile)
Pour le reste, il n’y a rien, et ça va appeler une évolution.
D.La création du Conseil d’Etat
En 1930, une proposition de loi est déposée pour créer une Cour du contentieux administratif. Elle est débattue au sein de la Commission Rolin qui émet des réserves sur la constitutionnalité d’un Conseil d’Etat en Belgique et rend un projet assez frileux : on n’accorde que très peu de pouvoirs contentieux au CE et son pouvoir est essentiellement consultatif.
Mais en 1938, Louis Wodon, auteur d’une des thèses publiées dans les années 1910 à l’ULB, fait un discours exceptionnel à l’Académie royale. Il admet que le revirement de jurisprudence qu’il avait préconisé et qui avait donné lieu à l’arrêt Flandria est insuffisant pour permettre un contrôle de l’administration et estime que seule la création d’un Conseil d’Etat peut régler efficacement le problème. Il renverse toutes les exceptions d’inconstitutionnalité soulevées par la Commission Rolin :
– la notion d’excès de pouvoir existe en droit constitutionnel dans l’article 159 de la Constitution
– le principe de l’autorité relative de la chose jugée ne découle que de la loi (C.J.) et non de la Constitution : la loi peut donc y déroger et prévoir une autorité absolue de la chose jugée dans un contentieux de l’annulation
Suite à ce discours, le projet de la Commission Rolin est abandonné et remplacé par un projet beaucoup plus hardi qui sera finalement voté après la guerre. C’est la loi du 23/12/46 qui crée le Conseil d’Etat, institué en octobre 1948.
E. L’évolution du Conseil d’Etat
Le Conseil d’Etat comprend 2 sections :
– législation
– administration
Il est divisé en :
– 14 chambres communes permanentes unilingues de 3 conseillers
– 1 chambre de la section administration, permanente et bilingue
– des chambres non permanentes de complément
Il a évolué, surtout dans la section A, mais sans perdre ses traits essentiels :
– ses membres, auditeurs et référendaires sont plus nombreux
– un référé administratif est instauré pour permettre de suspendre des décisions faisant l’objet d’un recours en annulation qui, si elles étaient exécutées par l’administration en vertu de son privilège du préalable, risqueraient d’entraîner des abus
– le contentieux de l’indemnité passe de justice retenue à justice déléguée
Aujourd’hui, le gros problème du Conseil d’Etat est son engorgement et donc son arriéré, surtout dans la chambre bilingue.
F. La consécration constitutionnelle
Malgré son importance, le Conseil d’Etat n’a pas été mentionné dans la Constitution avant 1993, sans doute du fait de la réticence du monde politique envers un organe qui le contrôle.
Mais aujourd’hui, il figure au titre III (« Des Pouvoirs »), chapitre VII (« Du Conseil d’Etat et des juridictions administratives »), art. 160 et 161.
G. Vers la création de tribunaux administratifs ?
Au niveau du nombre d’affaires, il n’y a pas un engorgement tel qu’une décentralisation du contentieux administratif soit nécessaire (à part dans le contentieux des étrangers).
C’est plutôt une question de principe qui plaide en faveur de la décentralisation : beaucoup d’affaires portées devant le Conseil d’Etat n’ont qu’une dimension très locale et n’ont pas un intérêt juridique qui justifie l’intervention d’une juridiction suprême comme le Conseil d’Etat.
Il y a donc une volonté chez certains, depuis les années ’60, de créer des tribunaux administratifs décentralisés. C’est discuté régulièrement depuis lors mais n’a pas encore abouti. A suivre…
II. Constitution et juridiction
- Droits civils et droits politiques
Pour connaître la compétence des juridictions administratives (ou « contentieuses »), il faut aller voir aux art. 144 et 145 de la Constitution :
– art. 144 : les contestations relatives aux droits civils sont de la compétence exclusive des juridictions judiciaires
– art. 145 : les contestations relatives aux droits politiques sont de la compétence des juridictions judiciaires en principe mais le législateur peut les confier à d’autres juridictions qu’il crée
Les juridictions administratives ne peuvent donc en tout cas être compétentes que pour des contestations relatives aux droits politiques. Le problème est que la Constitution ne définit pas les notions de droit civil et droit politique. Il faut donc aller chercher ailleurs le critère de distinction dont dépendra la compétence des tribunaux.
1°. La notion de droit civil : elle va se dégager en 3 étapes
– conception du procureur général M. Leclercq (mi-XIXème siècle) : on a une conception presque métaphysique des droits civils. On les voit comme des droits naturels qui appartiennent à tout individu par la force des choses. Ce n’était pas très clair mais n’a pas posé de problème pendant 90 ans.
– conception de l’arrêt Flandria (1920) : on considère comme droits civils tous les droits privés consacrés et organisés par le C.C. et les lois qui le complètent. C’est une évolution mais la définition est encore imparfaite : elle préfigure notamment la théorie du procureur général P. Leclercq, rejetée par la suite, qui déduisait la faute du dommage.
– conception actuelle (depuis 1965) : saisie d’une affaire où un candidat à un poste de fonctionnaire, évincé au profit d’un candidat sur qui il aurait dû primer, demandait des D.I. à l’Etat, la Cour de Cassation va affirmer la compétence exclusive des juridictions judiciaires. Selon elle, il ne faut pas prendre en compte la nature du droit lésé (droit politique d’accéder à un emploi public) mais bien la nature du droit sur lequel le demandeur fonde son action (droit civil à la réparation d’un dommage causé par une faute).
Apde là, toutes les actions en responsabilité civile vont relever exclusivement des juridictions judiciaires.
2°. La notion de droit politique : elle va se dégager en 4 étapes
– conception du traité d’Orban (du XIXème siècle à WWI) : pendant tout le XIXème siècle et jusqu’à WWI, la notion de droit politique ne va pas poser problèmes. 5 droits sont considérés comme politiques :
· le droit de vote
· le droit d’éligibilité
· le droit d’accès aux emplois publics
· le droit de ne payer des impôts que dans la mesure prévue par la loi et de toucher une égale répartition de ces impôts
· le droit de n’être astreint à des obligations militaires que dans la mesure prévue par la loi
– controverse sur les droits à caractère social (de WWI à 1956) : àpde 1918 apparaissent de nouveaux droits qu’il est difficile de classer. Ce sont tous les droits à des prestations de type social qui se développent avec la sécurité sociale. Ils ne sont pas vraiment civils car sectoriels mais n’appartiennent pas non plus aux 5 grands droits politiques. On essaie donc de les qualifier autrement :
· certains y voient de simples intérêts, des sortes de libéralités accordées par l’Etat, non protégés juridictionnellement
· d’autres y voient des droits sociaux administratifs. Mais comme ils ne sont pas visés par les articles 144 et 145 de la Constitution, ils n’ont pas non plus de protection juridictionnelle
– conception de l’arrêt Trine (1956) : saisie d’une affaire où une personne avait fait de fausses déclarations afin de bénéficier d’allocations de chômage, la Cour de Cassation (suivant les conclusions de l’avocat général Ganshof van der Meersch) va reconnaître qu’il existe des droits que l’Etat accorde aux citoyens dans le cadre d’une sorte de mission humanitaire. Ces droits forment une catégorie nouvelle de droits politiques.
– conception de la Cour d’arbitrage (1997) : plus récemment, la Cour d’arbitrage a dit qu’un droit est politique quand il crée un rattachement entre la personne et la puissance publique.
Cette évolution va permettre aux droits à caractère social d’être protégés juridictionnellement : ils suivent le même régime que les autres droits politiques (cf. art. 145 de la Constitution)
B. Contentieux objectif et contentieux subjectif
Où se place le Conseil d’Etat dans le système de compétences établi par les articles 144 et 145 de la Constitution ?
Nulle part ! Ces 2 articles visent des contentieux subjectifs alors que le Conseil d’Etat ne s’occupe que du contentieux objectif.
En effet :
– lorsqu’on agit devant les juridictions judiciaires (ou administratives autres que le Conseil d’Etat, c’est à dire créées en vertu de l’article 145 de la Constitution), on tend à ce que le juge fasse respecter un ou plusieurs de nos droits subjectifs, composantes de notre patrimoine matériel et moral.
On agit contre un défendeur qui ne respecte pas notre droit subjectif.
On ne peut donc agir que si on a un droit.
– lorsqu’on agit devant le Conseil d’Etat (du moins au contentieux de l’annulation), on tend à obtenir l’annulation d’un acte irrégulier, à rétablir l’ordre dans le droit objectif.
On agit contre un acte qui viole le droit objectif et l’autorité qui a pris cet acte n’est pas défendeur mais simplement partie adverse.
On n’a donc pas de droit mais simplement un intérêt (il faut d’ailleurs un intérêt, sinon on aurait une action populaire, ce qui n’est pas accepté dans ce domaine).
— Au contentieux de l’annulation, le Conseil d’Etat est une juridiction spécifique, qui s’occupe d’un contentieux objectif, non visé par les articles 144 et 145 de la Constitution mais bien par les articles 146 et 161 de la Constitution
Remarque :
– il existe des contentieux subjectifs devant le Conseil d’Etat :
- le contentieux de la cassation : quand le Conseil d’Etat agit en tant que juge de cassation dans une affaire jugée par des juridictions administratives inférieures, il tranche des contestations portant sur des droits subjectifs.
- le contentieux de la pleine juridiction (ex. matière électorale, remboursement de frais d’assistance avancés par le CPAS,…)
– il existe des contentieux objectifs devant les juridictions judiciaires : ce sont toutes les « actions attribuées » que certaines autorités ou personnes privées peuvent intenter pour sauvegarder la légalité dans certains domaines (ex. environnement, urbanisme, règlements professionnels et déontologiques,…)
C. Le Conseil d’Etat et l’article 6 CEDH
1. Position du problème
Actuellement, différentes dispositions de droit international visant à protéger les droits de la défense sont directement applicables en droit belge. La plus importante d’entre elles est l’article 6 CEDH.
La question qui se pose est la suivante : cet art. s’applique-t-il dans le contentieux objectif du Conseil d’Etat ? A priori, on pourrait penser que non car la CEDH ne vise que les contestations portant sur :
– les droits et obligations à caractère civil
– les accusations en matière pénale
Or, ce n’est pas le champ d’action du Conseil d’Etat dans le contentieux objectif.
2. Les droits et obligations à caractère civil
En fait, il faut garder à l’esprit une chose importante : le droit international est autonome par rapport au droit interne et les termes qu’il utilise ne doivent pas nécessairement être interprétés de la même façon qu’en droit interne :
– en droit belge, les contestations portant sur des droits et obligations à caractère civil relèvent exclusivement des juridictions judiciaires en vertu de l’article 144 de la Constitution et ne concernent donc pas le CE
– en droit international par contre, la même expression vise beaucoup plus de contestations, y compris des contestations relevant du contentieux objectif devant le CE
Le but de l’article 6 CEDH est de garantir le droit à un procès équitable. Il doit donc s’interpréter le plus largement possible. Pour ça, le critère qui a été retenu est que les contestations portant sur des droits et obligations à caractère civil sont celles dont l’issue est déterminante pour l’exercice de tels droits et obligations.
Ca peut donc viser certains recours en annulation, par ex. :
– les contestations d’une limitation apportée par l’administration au droit d’exercer une profession : par ex., si l’administration refuse à un médecin le droit d’exploiter une clinique, elle lui refuse un droit administratif, mais ça a des conséquences sur ses droits civils (droit de propriété, etc.)
– les contestations de refus de permis de bâtir
– les contestations relatives à la fonction publique : là, il faut distinguer 2 types de recours
- ceux qui visent à obtenir une compensation pécuniaire : ils sont civils et donc visés par l’article 6 CEDH
- ceux qui concernent la carrière proprement dite dans la fonction publique (ex. engagement, avancement, discipline,…) : là, il faut faire une distinction selon la nature des fonctions exercées. Cette distinction est également faite par la CJCE.
Soit les fonctions relèvent de l’« administration publique », c’est à dire impliquent l’exercice de l’imperium (fonctions qui, en droit communautaire, peuvent être réservées aux nationaux) : dans ce cas, l’article 6 CEDH ne s’applique pas devant le Conseil d’Etat.
Soit les fonctions ne relèvent pas de l’« administration publique » (fonctions qui, en droit communautaire, doivent être ouvertes à tous les citoyens de l’UE sans discrimination) : dans ce cas, l’article 6 CEDH s’applique devant le Conseil d’Etat.
Il est contestable que le droit à un procès équitable devant le Conseil d’Etat soit refusé aux fonctionnaires exerçant l’imperium et contestant une décision relative à leur carrière, mais c’est l’état actuel de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg.
3. Les accusations en matière pénale
Aujourd’hui, on a une multiplication des sanctions administratives qui ont un caractère pénal au sens de l’article 6 CEDH. Or, ces sanctions peuvent faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat.
Pour voir si celui-ci est tenu de respecter l’article 6 lorsqu’il traite de ces recours, on doit regarder :
– soit la nature de l’infraction
– soit la nature et la gravité de la sanction
La plupart des sanctions administratives peuvent donc faire l’objet d’un recours en annulation devant le Conseil d’Etat soumis à l’article 6 CEDH, à part les amendes administratives et sanctions disciplinaires mineures et celles infligées à des fonctionnaires titulaires de l’imperium (v. supra).
On peut se demander s’il est bien conforme à l’article 6 CEDH que ces sanctions puissent être infligées en 1er degré par des autorités administratives qui ne sont pas toujours des juridictions respectant cet art. Mais la Cour de Strasbourg estime que l’article 6 est respecté pour autant qu’il existe un recours devant une juridiction qui, elle, respecte cet art. La Cour d’arbitrage a estimé que c’était le cas du Conseil d’Etat et pour l’instant, ça n’a pas été infirmé par la Cour de Strasbourg.
4. Implications
De tout ce qu’on vient de voir, on peut conclure que toute contestation visée par l’article 6 CEDH doit être jugée par une juridiction impartiale et que :
– le 1er degré peut éventuellement ne pas répondre aux exigences de l’article 6 pour peu qu’un recours soit possible devant une juridiction qui, elle, réponde à ces exigences
– le recours en annulation du Conseil d’Etat répond à ces exigences en principe
– dans certains cas cependant, le Conseil d’Etat a peu de pouvoir (quand l’administration a un pouvoir discrétionnaire très large) et là, il doit être particulièrement attentif à respecter les exigences de l’article 6. Ca signifie qu’il doit :
- vérifier que les actes administratifs dont on lui demande l’annulation ont été pris conformément à l’article 6
- lui-même respecter l’article 6, sous peine d’entraîner une condamnation de la Belgique par la Cour de Strasbourg
5. Sanctions
Si les juridictions belges ne respectent pas l’article 6 CEDH, un recours est possible devant la Cour de Strasbourg. Il peut émaner :
– soit d’un autre Etat (rare)
– soit d’un particulier, victime de la violation de l’article 6 (plus courant)
Si le recours aboutit, la Belgique peut être condamnée par la Cour qui dira qu’elle a violé la CEDH. Mais cette condamnation n’a pas vraiment d’effet contraignant et la décision belge rendue en violation de l’article 6 garde son autorité de chose jugée.
Que peut-on faire alors ? 2 choses :
– le Conseil de l’Europe peut exercer des pressions politiques sur la Belgique
– la victime de la violation de l’article 6 peut obtenir une « satisfaction équitable » qui est en fait un dédommagement pécuniaire
C’est assez limité mais ça va peut-être évoluer dans l’avenir (possibilité d’astreintes, voie de recours contre la décision litigieuse).
D. Le Conseil d’Etat et la séparation des pouvoirs
Notre système constitutionnel repose sur 2 grands principes :
1°. La souveraineté nationale (art. 33 de la Constitution : tous les pouvoirs émanent de la nation) : la Nation, fiction juridique, serait une sorte d’autorité suprême et absolue. Cette théorie à caractère philosophique s’est forgée dans un contexte de monarchie absolue et n’est plus vraiment d’actualité aujourd’hui où on n’a plus d’autorité suprême unique. Elle est désormais tempérée par le 2nd grand principe.
2°. La séparation des pouvoirs : pour éviter l’absolutisme et que « le pouvoir arrête le pouvoir », Montesquieu a imaginé un système où le pouvoir serait divisé en 3 branches (PL, PE et PJ), réparties entre les mains d’autorités différentes qui se contrôleraient l’une l’autre dans une optique de « freins et contrepoids ».
Cette théorie est à la base de notre système institutionnel où PL et PE se contrôlent mutuellement et où le PJ contrôle tout le monde.
C’est elle aussi qui a permis la création du Conseil d’Etat qui a complété l’article 159 de la Constitution (exception d’illégalité) dans le contrôle du PE.
Cependant, à la base, la création du Conseil d’Etat ne s’est pas vraiment faite dans l’optique du contrôle d’un pouvoir par un autre pouvoir : on a ressorti la théorie française de l’administrateur-juge selon laquelle, en raison de la séparation des pouvoirs, l’administration ne peut être jugée que par elle-même et on a fait du Conseil d’Etat une institution appartenant au PE. Cela veut-il dire que le Conseil d’Etat est à la botte de l’administration et ne la contrôle pas vraiment ? Non, et ce pour 2 raisons :
– le Conseil d’Etat n’appartient pas vraiment au PE : on l’a classé dedans par souci de respecter la classification constitutionnelle mais en fait, le roi, chef du PE, n’a aucun pouvoir sur le Conseil d’Etat. En fait, la seule chose qui rattache le Conseil d’Etat au PE, c’est que ses crédits sont inscrits au budget du ministère de l’intérieur et non de la justice.
– le Conseil d’Etat n’appartient pas non plus au PL ou au PJ : on a longtemps eu tendance à vouloir rattacher toute institution à l’un des 3 pouvoirs. Mais en fait, c’est être trop puriste par rapport à la théorie de Montesquieu : elle date du XVIIIème siècle, or, si à l’époque, le faible interventionnisme de l’Etat ne nécessitait que 3 pouvoirs, aujourd’hui, sa tâche s’est complexifiée et un contrôle plus complexe doit être instauré. Ca permet la création d’organes de contrôle non classables dans les 3 grands pouvoirs (ex. CE, Cour d’arbitrage, Cour des comptes).
Il y a donc bien un véritable contrôle du PE par le Conseil d’Etat car, même s’il n’appartient pas à l’un des 2 autres pouvoirs, il n’appartient pas non plus au PE et ça suffit.
III. Les juridictions administratives de 1er degré
- Le désordre juridictionnel administratif
Contrairement aux juridictions judiciaires qui forment un ordre organisé, les juridictions administratives sont créées par le législateur sans aucun souci de cohérence. Il les crée par empirisme politique, pour régler telles ou telles contestations, dans des domaines bien précis. Souvent même, il les crée sans se rendre compte de leur nature juridictionnelle.
Elles ont donc parfois des compétences à la fois juridictionnelles et administratives, ce qui peut amener à se demander si les actes qu’elles émettent sont juridictionnels ou non.
B. Les critères de la juridiction
Pour voir si un acte est juridictionnel, il faut voir s’il émane d’une juridiction. Et pour voir si un organe est une juridiction, il faut examiner s’il répond à la majorité des critères suivants :
1. Critères matériels
Les critères matériels sont ceux qui tiennent aux circonstances dans lesquelles l’acte a été émis : quelle opération intellectuelle le juge a-t-il dû accomplir ?
Pour être juridictionnel, un acte doit être rendu par un organe qui n’en a pas pris l’initiative. Il faut qu’il n’ait pris l’acte que suite à différentes étapes :
1°. Il faut d’abord un événement déclencheur qui peut être une action ou une abstention (ex. contrat, taxation, querelle de voisinage, licenciement,…)
2°. Il faut ensuite que cet événement fasse naître des prétentions opposées : certains vont en être contents et d’autres mécontents
3°. Il faut alors que la partie mécontente porte le différend devant un juge afin qu’il le tranche
4°. Le juge doit prendre connaissance des faits en entendant les parties et en accomplissant des actes d’instruction, tout ça dans le respect du principe du contradictoire
5°. Le juge doit confronter les faits au droit et ainsi voir quelle partie a raison et quelle partie a tort
6°. Sur cette base, il doit rendre une décision motivée
Remarque : ce schéma-type du processus juridictionnel peut subir certaines nuances. Par ex., dans le contentieux administratif, souvent, le juge ne confronte pas les faits qu’au droit mais aussi à d’autres types de considérations (comme l’intérêt public).
2. Critères liés au fondement juridique de l’organe
Pour être juridictionnel, un acte doit émaner d’un organe qui est une juridiction régulièrement constituée. Or, l’article 146 de la Constitution réserve au législateur la possibilité de créer des juridictions. Un acte juridictionnel ne peut donc émaner que d’un organe créé par la loi (ou éventuellement par un décret ou une ordonnance des C. et R. dans le cadre de leurs pouvoirs implicites, depuis 1993).
3. Critères organiques et formels
Pour être juridictionnel, un acte doit aussi être pris dans le respect de certaines formes qui sont en fait des conséquences de son caractère juridictionnel :
– l’acte doit émaner d’un organe indépendant : quand des fonctionnaires prennent un acte juridictionnel, ils doivent être soustraits à tout pouvoir hiérarchique et à toute autorité de tutelle
– l’acte doit respecter certaines formes :
- il doit être rendu suite à des débats contradictoires
- il doit être motivé (art. 149 de la Constitution)
4. Critères liés à la portée de la décision
Pour être juridictionnel, un acte doit avoir l’autorité de la chose jugée (relative ou absolue).
Ca veut dire que :
– il ne peut être contesté que via une voie de recours
– une fois les voies de recours épuisées, il ne peut plus être remis en cause (Res iudicata pro veritate habetur)
C. Quelques juridictions administratives
1. Vue d’ensemble
Il existe des centaines de juridictions administratives, organisées par des textes spécifiques. Il n’y a donc aucune uniformité entre elles et leur seul point de ralliement est le Conseil d’Etat, compétent pour contrôler leurs décisions quand elles ne sont pas contrôlées par des juridictions judiciaires.
On a bien tenté de rationaliser le système, mais jusqu’à présent ça n’a été que très partiel et un seul domaine a été organisé : en 1970, le C.J. a supprimé les commissions juridictionnelles compétentes en matière de sécurité sociale et a confié leurs compétences aux juridictions du travail.
Hormis ça, ça reste très désorganisé et on ne peut qu’examiner séparément quelques unes des juridictions administratives.
2. La Cour des Comptes
La Cour des Comptes (art. 180 de la Constitution) a 2 fonctions :
– une fonction administrative : elle assiste les chambres dans leur contrôle financier de l’exécution du budget par le gouvernement. Sa mission consiste à apposer son visa préalable sur toute dépense de l’Etat.
– une fonction juridictionnelle : elle contrôle les comptes présentés par les comptables publics et si ceux-ci sont en déficit, elle peut les condamner à un remboursement total ou partiel. Elle statue en équité et dans le respect de l’article 6 CEDH. Ses arrêts peuvent faire l’objet d’un pourvoi devant la Cour de Cassation.
3. La députation permanente du Conseil provincial
La députation permanente est un organe avant tout politique puisque composé de 6 membres élus par le Conseil provincial, présidé par le gouverneur de la province et chargé de la gestion de la province.
Mais il a aussi de larges fonctions juridictionnelles (ce qui peut d’ailleurs être contestable dans le chef d’un organe politique) dans des domaines très divers.
Ses décisions sont susceptibles selon les cas de différents recours :
– soit un appel devant la Cour d’appel
– soit un pourvoi devant la Cour de Cassation
– soit un recours de pleine juridiction devant le CE
Sa procédure ressemble à celle applicable devant le Conseil d’Etat en plus simple (pas d’acte d’argumentation autre que la requête et pas d’auditorat). Elle a été réformée en 1987 et on a pensé que c’était un prélude à une rationalisation du contentieux administratif du 1er degré mais ce ne fut finalement pas le cas.
4. Le collège juridictionnel de la Région bruxelloise
En 1993, Bruxelles a été extraprovincialisé. Les compétences de la députation permanente ont donc dû être confiées à d’autres organes :
– ses compétences administratives relèvent du gouvernement régional
– ses compétences juridictionnelles relèvent d’un collège créé à cet effet, composé de 9 membres (dont au moins 3 Flamands) désignés par le Conseil régional. Il statue de la même façon que les députations permanentes
5. Les juridictions ordinales
En Belgique, 5 professions libérales sont liées à un ordre professionnel :
– avocats (Conseil de l’ordre au niveau de l’arrondissement judiciaire)
– architectes (Conseil de l’ordre au niveau provincial)
– pharmaciens (Conseil de l’ordre au niveau provincial)
– médecins (Conseil de l’ordre au niveau provincial)
– vétérinaires (Conseil de l’ordre au niveau des « 2 parties linguistiques du pays »)
Le Conseil de l’ordre exerce 2 types de fonctions :
– administrative : il gère l’administration de l’ordre
– juridictionnelle : il veille au respect des règles déontologiques applicables à la profession et est par ex. amené à se prononcer sur
- les manquements disciplinaires des membres : des sanctions sont alors possibles, jusqu’à la radiation et donc l’interdiction d’exercer désormais la profession concernée
- les litiges relatifs à la fixation des honoraires
Des recours sont possibles devant un Conseil d’appel (niveau national, sauf pour les avocats où on en a un par ressort de Cour d’appel) et la Cour de Cassation.
Les Conseils de l’ordre doivent respecter l’article 6 CEDH.
6. Autres juridictions professionnelles
6 autres professions ont une organisation très proche des 5 professions libérales susmentionnées. Au lieu d’un ordre, elles ont un Institut mais sa fonction est très proche.
Les professions visées sont les :
– réviseurs d’entreprises
– experts comptables et conseillers fiscaux
– comptables et fiscalistes agréés
– juristes d’entreprise
– agents immobiliers
– géomètres-experts
7. Le Conseil de la concurrence(à titre indicatif, et ce jusqu’au pt. 11)
En parallèle au Traité de Rome qui vise à favoriser la concurrence entre les entreprises établies dans les différents Etats membres de l’UE, une loi belge de 1991 vise à favoriser la concurrence entre les entreprises établies en Belgique.
Cette loi contient différentes règles de fond et, afin d’assurer leur respect, un Conseil de la concurrence a été établi avec des fonctions consultatives et juridictionnelles. Ses décisions sont susceptibles d’appel devant la Cour d’appel de Bruxelles et non le Conseil d’Etat.
8. Le contentieux fiscal
Les litiges relatifs à l’impôt relèvent à la base :
– soit de la députation permanente (taxes communales et provinciales)
– soit de l’administration fiscale : ils sont alors traités par un fonctionnaire, en général un directeur. Jusqu’en 1998, on considérait que ce fonctionnaire exerçait une mission juridictionnelle. Mais ça a changé sous l’influence de la CJCE puis de la Cour d’arbitrage. Depuis 1999 donc, les décisions de l’administration fiscales ne sont plus considérées comme juridictionnelles et peuvent faire l’objet d’un recours devant le tribunal de 1ère instance.
9. La Commission spéciale pour l’indemnisation de détentions préventives inopérantes
Les détentions préventives inopérantes sont celles qui ne sont pas suivies d’une condamnation ou bien suivies d’une condamnation révisée par la suite.
Jusque 1973, seules les personnes ayant fait l’objet d’une condamnation révisée pouvaient prétendre à une indemnité. Mais en 1973, on a aussi ouvert un droit à réparation dans le chef des ex-détenus préventifs non condamnés.
2 hypothèses :
– soit l’ex-détenu a été détenu en violation de l’article 5 CEDH : dans ce cas, il peut agir en réparation devant les juridictions judiciaires civiles
– soit l’ex-détenu a été détenu conformément à l’article 5 CEDH mais :
- pour au moins 8 jours
- pour une raison autre que son comportement
- pour une raison qui a entraîné un non-lieu ou un acquittement
Dans ce cas, il peut demander une indemnisation au ministre de la Justice. Ce dernier statue de façon non juridictionnelle mais sa décision est susceptible de recours devant une Commission qui, elle, est juridictionnelle.
Notons que dans ce cas de figure, l’indemnisation n’est pas considérée comme la réparation d’un préjudice dû à une faute mais bien comme l’atténuation d’un dommage causé sans faute (l’incarcération préventive d’innocents est considérée comme un aléa normal de la Justice). C’est proche de la philosophie du contentieux de l’indemnisation du Conseil d’Etat et explique pourquoi il est statué en équité.
10.La Commission pour l’aide aux victimes d’actes intentionnels de violence
En 1985, suivant une résolution du Conseil de l’Europe, la Belgique a décidé d’accorder une « aide » pécuniaire aux victimes d’actes intentionnels de violence ne pouvant pas obtenir de dédommagement par d’autres voies. Cette aide n’est pas une indemnisation pour faute de l’Etat mais simplement un montant fixé en équité et plafonné à 62 000 euros, accordé sur base d’une idée de solidarité collective.
Cette aide est accordée par une Commission composée de 2 magistrats, 2 avocats et 2 fonctionnaires. Elle fonctionne un peu comme la Commission spéciale pour l’indemnisation de détentions préventives inopérantes et le contentieux de l’indemnité du Conseil d’Etat.
Ses décisions sont susceptibles de cassation administrative.
11.Juridictions supprimées
Les juridictions administratives peuvent disparaître de 2 manières :
– par un acte législatif (ex. en matière de sécurité sociale, chambres de recours du Conseil de l’aide sociale)
– parce qu’elles avaient été créées pour répondre à un besoin qui a disparu (ex. en matière de dommages de guerre, juridictions de milice, juridictions de l’objection de conscience)
D. La diversification du contentieux
On voit donc que l’administration peut être amenée à ester devant :
– des juridictions judiciaires
– des juridictions administratives à compétences spécialisées
– le CE
— Le contentieux administratif n’est qu’une part du contentieux de l’administration (même si certains ont une conception plus large du contentieux administratif mais c’est une simple question terminologique).
IV. La Commission permanente du Pacte culturel
A. Le contexte politique
On a toujours eu en Belgique 2 grands courants philosophiques qui se sont opposés : les catholiques et les anticléricaux.
Pendant longtemps, il ont eu environ la même force politique du fait de l’addition de 2 déséquilibres régionaux : les Flamands sont majoritairement catholiques et les Wallons majoritairement laïcs.
Mais en 1970, on a instauré l’autonomie culturelle et confié aux Conseils communautaires des matières assez sensibles. Au sein de chaque Communauté, la minorité philosophique a alors revendiqué des garanties. Ca a abouti à 3 dispositions :
– art. 4 à 6 de la loi du 03/07/71 : instauration d’une « sonnette d’alarme » au sein des Conseils communautaires. Si ¼ des membres du Conseil estiment qu’un projet qui lui est soumis est porteur de discrimination, ils peuvent saisir les 2 chambres fédérales qui trancheront. En attendant, le projet est suspendu.
– jusque 1988, on avait réservé au législateur fédéral la possibilité de légiférer sur la paix scolaire.
– création de la Commission permanente du Pacte culturel, composée comme les 2 chambres fédérales.
B. Le pacte culturel
C’est dans ce contexte de protection au sein des Communautés des minorités philosophiques qu’a été conclu le Pacte culturel. C’est un accord politique entre les partis représentés au Parlement en 1971. Il a été coulé dans 2 textes :
– la loi du 16/07/73 garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques
– un décret flamand du 28/01/74 qui reprend le texte de la loi (il n’y a pas de texte similaire pour les Communautés française et germanophone)
Dans l’esprit de l’article 11 de la Constitution, ces textes garantissent le droit pour les minorités philosophiques de participer à la politique culturelle à tous ses stades. Il y aura donc parfois, en matière culturelle, des dérogations à la règle démocratique de la majorité afin de protéger les minorités (but qui, en soi, est également démocratique).
- La Commission permanente du Pacte culturel
Afin de garantir le respect de la loi du 16/07/73, différentes garanties existent :
– les recours de droit commun :
- tutelle administrative
- actions judiciaires
- recours en annulation devant le CE
– une nouvelle garantie spécifique au Pacte culturel : la Commission permanente du Pacte culturel
- sa composition vise à compenser les déséquilibres existant au sein de chaque Communauté : la moitié de ses membres est élue par le Conseil de la Communauté française et l’autre moitié par le Conseil de la Communauté flamande, à la proportionnelle, et ce lors de chaque élection législative. Les membres ne peuvent avoir d’autre mandat électif.
- son mode d’action vise la conciliation : elle peut être saisie de toute plainte concernant la violation du Pacte culturel et tente d’abord une conciliation. Si c’est impossible, elle rend un avis motivé qui est transmis aux parties et aux autorités qui exercent sur elles la tutelle administrative. Ces dernières peuvent alors user de leur tutelle coercitive. Jusqu’à présent, les avis de la Commission ont toujours fini par être suivis.
- la nature des décisions rendues par la Commission est administrative, selon le Conseil d’Etat qui accepte d’annuler les décisions par laquelle la Commission s’est déclarée incompétente (mais pas ses avis). Les décisions de la Commission découlent d’un contentieux objectif mais, contrairement au CE, sa justice est retenue.
CHAPITRE IV : L’ORGANISATION DU CONSEIL D’ETAT
I. La faune locale
- Vue d’ensemble
Le Conseil d’Etat a un personnel qui compte 500 personnes dont 150 ont le statut de magistrat.
On peut classer ce personnel en 6 catégories qui elles mêmes forment 2 groupes :
– le Conseil d’Etat s.l. :
- le Conseil d’Etat s.s.
- l’auditorat
- le bureau de coordination
- le greffe
– le reste du personnel :
- les assesseurs à la section L
- le personnel administratif
B. Le Conseil d’Etat s.s.
Le Conseil d’Etat s.s. est l’organe de décision qui rend les avis (section L) et les arrêts (section A).
1°. Composition : 44 membres (22 francophones et 22 Flamands) dont 30 conseillers, 12 présidents de chambre, un président et un 1er président.
2°. Conditions de nomination :
– être docteur ou licencié en droit
– avoir au moins 37 ans
– avoir 10 ans d’expérience professionnelle juridique
– avoir des compétences particulières (par ex. avoir été magistrat, être professeur d’université,…)
A côté de ces 4 conditions officielles, on a une 4ème condition officieuse d’appartenance politique.
3°. Mode de nomination : les membres sont nommés par le roi sur proposition du Conseil d’Etat.
4°. Statut : indépendance et inamovibilité (// magistrats de l’ordre judiciaire).
C. L’auditorat
L’auditorat a un rôle d’instruction des dossiers. Que ce soit à la section L ou à la section A, il analyse tout dossier et rend un rapport qui préfigure souvent la décision finale.
Il y a 80 auditeurs, recrutés par le Conseil d’Etat après un concours très sélectif et sans influence politique. Ils jouissent d’une indépendance totale.
D. Le bureau de coordination
Le bureau de coordination est le centre de documentation du Conseil d’Etat. Il tient à jour un inventaire (informatisé pour les textes récents et sur papier pou les textes datant d’avant 1998) de la législation et de la réglementation qui sert de documentation au CE.
Il est composé de 4 référendaires, recrutés comme les auditeurs et ayant le même statut.
E. Le greffe
Le greffe assiste le Conseil d’Etat dans différentes tâches. Par ex. les greffiers siègent aux audiences, assistent aux mesures d’instruction, veillent à la régularité des actes de procédure, s’occupent des notifications,…
Il y a 24 greffiers, un greffier en chef et un greffier informaticien. Tous ne doivent pas nécessairement être juristes.
F. Les assesseurs de la section L
Les assesseurs sont des spécialistes du droit (ex. professeurs d’université, avocats, hauts fonctionnaires,…) qui participent avec voix délibérative aux travaux de la section L.
Il y a 10 assesseurs, désignés par le roi pour 5 ans. Ils exercent leur fonction à temps partiel.
- Le personnel administratif
Le personnel administratif s’occupe de toutes les tâches d’exécution. Il comprend notamment :
– un service de concordance des textes (càd de traduction)
– des secrétaires d’administration juristes
– un administrateur qui assure la gestion administrative du Conseil d’Etat et de son infrastructure
H. Statut pécuniaire
V. Précis p. 154-156, à titre indicatif.
II. Les formations
A. Vue générale
1. Nécessité
Une institution qui comprend 150 membres magistrats ne peut pas fonctionner tout le temps au grand complet. La grande majorité des décisions du Conseil d’Etat sont donc prises par des chambres plus restreintes.
2. L’AG du Conseil d’Etat
L’AG du Conseil d’Etat comprend :
– tous les membres du Conseil d’Etat s.s.
– les assesseurs de la section L pour ce qui concerne cette section (voix délibérative)
– l’auditeur général (voix consultative)
Elle intervient rarement : presque uniquement pour les décisions qui touchent à l’organisation administrative du Conseil d’Etat ou à la résorption de son arriéré.
B. La section L(à titre indicatif)
Les décisions de la section L peuvent émaner de 3 formations :
1°. Une chambre :
– composition :
· 3 membres du Conseil d’Etat (1 président de chambre + 2 conseillers) et 2 assesseurs qui ont une voix délibérative
· les auditeurs et référendaires ayant examiné le dossier qui ont une voix consultative
– compétence : examine les demandes d’avis ordinaires
2°. Les chambres réunies :
– composition :
· une chambre française et une chambre flamande dont les 10 membres ont une voix délibérative
· 2 auditeurs, 2 référendaires et 2 greffiers avec voix consultative
– compétence : examine les demandes d’avis qui soulèvent des questions sérieuses sur les compétences respectives de l’Etat, des Communautés et des Régions
3°. L’AG de la section L :
– composition :
· tous les membres du Conseil d’Etat affectés à la section L et tous les assesseurs
· les auditeurs, référendaires et greffiers qui assistent aux réunions
– compétence : examine les questions de principe particulièrement importantes
C. La section A
1. Les chambres
1°. Composition :
– 3 membres du Conseil d’Etat (1 président de chambre + 2 conseillers) avec voix délibérative
– l’auditeur qui a traité le dossier siège
– le greffier assiste
2°. Compétence : la très grande majorité des arrêts.
2. La chambre bilingue
1°. Composition : cf. les chambres ordinaires, mais avec une différence, les 3 membres doivent être bilingues et ne peuvent tous 3 émaner du même rôle linguistique.
2°. Compétence : les affaires que la loi impose de traiter en 2 langues.
3. Les présidents de chambre ou les conseillers désignés
1°. Composition : un magistrat unique, président de chambre ou autre conseiller désigné à cette fin.
2°. Compétence :
– recours dont la solution est évidente
– référé
– recours en annulation introduits par des étrangers contre des mesures d’éloignement
Dans ces 2 dernières matières cependant, l’affaire peut être renvoyée devant une chambre à 3 conseillers.
4. L’AG de la section A
1°. Composition : nombre pair d’au moins 8 membres du Conseil d’Etat, avec ½ de francophones et ½ de Flamands.
2°. Compétence : certaines affaires (rares) prévues par la loi.
CHAPITRE V : LES COMPETENCES DE LA SECTION D’ADMINISTRATION – VUE GENERALE
I. Introduction
Le Conseil d’Etat a 2 fonctions et donc 2 types de compétences :
– fonction de conseiller du gouvernement => compétences consultatives :
- avis sur des questions administratives non litigieuses
- affaires minières
– fonction de juge => compétences contentieuses (exercées par voie d’arrêts) :
- annulation
- cassation administrative
- pleine juridiction
- indemnité
- conflits de compétence entre autorités administratives ou juridictions administratives
Ce sont les seules compétences de la section A. Elles sont limitativement énumérées par la loi.
II. Les avis sur les questions administratives non litigieuses
Ces avis peuvent être demandés par tout membre d’un exécutif important (fédéral, fédéré ou d’une commission communautaire).
Ils peuvent porter sur des questions très diverses, pour peu qu’elles remplissent 2 conditions :
– être d’ordre administratif
– être non litigieuses
La section A rend son avis à celui qui le lui a demandé et ce dernier en fait ce qu’il veut. Il n’a aucun effet contraignant et n’est en général même pas publié.
III. Les avis en matière minière
En 1946, le législateur, en créant le Conseil d’Etat, a supprimé le Conseil des mines (v. supra) et a transféré ses pouvoirs au CE.
Ils consistent à donner aux gouvernements régionaux (compétents en matière minière) des avis à propos de différents actes de droit minier. Ils se font de plus en plus rares vu la disparition progressive des charbonnages mais il y en a encore de temps à autre.
IV. Les unions professionnelles
En 1898, le législateur a autorisé la création d’unions professionnelles mais a voulu soumettre leurs statuts à un contrôle. Ce contrôle a, à l’époque, été confié au Conseil des mines, même s’il n’avait en fait rien avoir avec l’activité minière. En 1946, cette compétence a tout simplement été confiée au CE, comme toutes les autres compétences du Conseil des mines.
Notons que quand le Conseil d’Etat contrôle les statuts d’une union professionnelle, il agit en tant qu’autorité administrative et ses actes peuvent donc faire l’objet d’un recours en annulation devant lui-même (avec évidemment un siège composé de conseillers n’ayant pas contrôlé les statuts).
V. Les compétences contentieuses
Le Conseil d’Etat a 4 compétences contentieuses :
– le contentieux des conflits de compétence entre autorités administratives ou juridictions administratives : il est très peu utilisé.
– le contentieux de l’indemnité : il est important dans son principe mais pas dans son ampleur. Il est peu utilisé. Depuis sa création, le Conseil d’Etat n’a traité que quelques centaines d’affaires dont seulement une trentaine ont abouti à une indemnisation.
– le contentieux de pleine juridiction : il ne concerne presque que les élections communales. On a une effervescence tous les 6 ans mais en dehors de ça, pas beaucoup d’activité.
– le contentieux de l’annulation : c’est de loin le plus important.
S’y greffent deux autres contentieux proches qui sont :
- la cassation administrative
- la suspension (+ référé administratif depuis 1991) qui ne peut concerner que les actes faisant l’objet d’un recours en annulation