Cours de droit administratif

DROIT ADMINISTRATIF

 Le droit administratif est une branche du droit public qui régit les organes chargés de réaliser les diverses interventions étatiques. Il est le droit de l’administration, qu’il envisage à la fois sur le plan des structures et sur le plan de l’action, des fonctions.

Le droit administratif est un droit fortement jurisprudentiel, c’est-à-dire que les juges administratifs ont dégagé au fil du temps de nombreuses règles et ils leur accordent une valeur supérieure aux actes réglementaires même émanant des autorités centrales.

Il y a ainsi des notions et des règles juridiques qui ne sont pas écrites dans les lois et les règlements et qui ont cependant une très grande importance. La notion de contrat administratif ou les principes généraux du droit en sont des illustrations marquantes.

D’autres règles concernent  l’activité même des juges administratifs et portent notamment sur la recevabilité des recours qui leur sont adressés. Les juges administratifs ont admis de plus en plus largement le recours pour excès de pouvoir, réduisant ainsi, entre autres, le champ des actes de gouvernement et celui des mesures d’ordre intérieur (arrêts Marie et Hardouin).

Avec le temps aussi, il a accru l’étendue de son contrôle sur les décisions administratives. Une autre question recevant une réponse en grande partie jurisprudentielle est celle de la répartition des compétences entre la juridiction judiciaire et la juridiction administrative, objet même de l’activité du Tribunal des conflits.

Le cours de droit administratif a pour objet de présenter les notions fondamentales du droit administratif. Il s’agit tout d’abord d’en étudier les sources (internationales et internes) avec le principe fondamental de la légalité. Ensuite, la deuxième partie aborde les actes juridiques émis par l’administration (décisions unilatérales et contrats).

Le cours de droit administratif étudie un Droit marqué par l’inégalité des relations entre administration et administré, le droit administratif se justifie par la poursuite de l’intérêt général. Le cours présente le cadre institutionnel de l’action administrative (personnes morales de droit public, juridiction
administrative) puis le cadre juridique de l’action administrative (sources de la légalité, principe de légalité). Voici le Plan du cours de droit administratif sur www.cours-de-droit.net :

  • PREMIERE PRELIMINAIRE : NOTIONS ELEMENTAIRES
  • CHAPITRE I : L’ADMINISTRATION
  • Section 1 : Les personnes publiques
  • Section 2 : L’administration comme ensemble d’activités ?
  • Section 3 : L’opposition entre l’administration et les personnes privées
  • CHAPITRE II : LE DROIT ADMINISTRATIF
  • Section 1 : Deux définitions
  • Section 2 : Le Droit administratif comme ensemble de règles appliquées par une juridiction administrative
  • CHAPITRE III : LES CRITERES D’APPLICATION DU DROIT ADMINISTRATIF
  • Section 1 : L’ambiguïté du Droit positif
  • Section 2 : Les critères proposés par la doctrine
  • Section 3 : De la contestation à la constitutionnalisation de la juridiction administrative
  • PREMIERE PARTIE : Les finalités de l’action administrative
  • CHAPITRE I : LA NOTION DE SERVICE PUBLIC
  • Section 1 : La notion
  • Section 2 : Création et suppression des services publics
  • Section 3 : Le régime juridique des services publics
  • CHAPITRE II : LA POLICE ADMINISTRATIVE
  • Section 1 : La notion de police administrative
  • Section 2 : Le régime de la police administrative
  • DEUXIEME PARTIE :  Les moyens de l’action administrative
  • TITRE I : LES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATERAUX
  • CHAPITRE I : LA NOTION D’ACTE ADMINISTRATIF UNILATERAL
  • Section 1 : Acte unilatéral : acte décisoire et exécutoire
  • Section 2 : Le critère de l’acte administratif
  • CHAPITRE II : LE REGIME DES ACTES ADMINISTRATIFS
  • Section préliminaire : La classification des actes
  • Section 1 : L’édiction de l’acte administratif unilatéral
  • Section 2 : Les effets des actes administratifs
  • CHAPITRE III : LE CONTENTIEUX DES ACTES
  • Section 1 : Le recours en annulation de l’acte : le recours pour excès de pouvoir
  • Section 2 : Les autres recours

 

 Le cours de droit administratif présente beaucoup de jurisprudence, le droit administratif est présenté comme le Common Law français, le droit administratif se créé progressivement par des arrêts (Les grands arrêts de la jurisprudence administrative, Dalloz), décisions du Conseil d’Etat. Pas de code et divergences sur les « grands arrêts ». Les règles sont souvent suivies de nombreuses exceptions. Prosper Weil, Que sais-je ? Le Droit administratif ; Jacques Chevalier, Que sais-je ? Le service public ; Bertrand Seiller, Droit administratif, Flammarion ; Pierre-Laurent Frier, Jacques Petit, Précis de droit administratif.   

 

PARTIE PRELIMINAIRE

Notions élémentaires

 

CHAPITRE I : L’ADMINISTRATION

 

         Administration : ensemble d’institutions, sens organique.

         Administration : une activité, une fonction.

 

         L’Administration est un ensemble de personnes publiques.

 

Section 1 : Les personnes publiques

          On désigne l’ensemble des pouvoirs publics. Article  20 de la Constitution « Le Gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ». Ici, ce sont les personnes. Mais, il existe aussi une administration de l’AN, du Sénat… constituée de personnes ne faisant pas la loi et ne faisant pas partie du Gouvernement (séparation des pouvoirs). Au sein de l’Etat, les collectivités locales (communes, régions, départements) sont des personnes publiques relevant de l’administration, mais ne sont pas à la disposition du Gouvernement.

         Enfin, il y a au sein du Gouvernement une personne qui fait partie de l’administration : le Président de la République. Il peut administrer le territoire mais n’est pas à la disposition du Gouvernement.

         – L’Administration comme ensemble d’organes ne se suffit pas à elle-même.

        

Section 2 : L’administration comme ensemble d’activités ?

          En 1793, Jean-Denis Langevinet, député à la Convention, expliquait qu’administrer, c’est « exécuter la loi et l’appliquer aux espèces particulières ».

         Ceci renvoie à la fois à l’Administration mais aussi au métier de magistrat. À cette époque, il n’y avait pas de distinction entre gouverner et juger (distinction qui apparait en 1795). Les juges sont rattachés à la fonction exécutive dans la réalité, tout comme l’Administration. L’Administration ne se compare pas exactement à la fonction du juge, car une dimension n’intervient pas : la production de règles générales, la réglementation ou pouvoir réglementaire. Cette réglementation est souvent une forme d’exécution de la loi mais qui se formule en termes de généralités.

         Mieux encore, il arrive que cette exécution de la loi donne lieu à des règles d’une généralité consternante. Article  L 22-11-1 du Code Général des Collectivités Territoriales : « le maire concourt par son pouvoir de police à l’exercice des missions de sécurité publique ». C’est un pouvoir considérable car il peut mettre en œuvre un pouvoir de police ne se définissant que par sa finalité, la sécurité publique. Il peut donc interdire la circulation sur son territoire, ou encore réglementer la vente ambulante. Il est difficile de prendre en compte l’Administration à la fois comme une activité et comme des personnes qui mettent en œuvre cette activité. L’Administration se réduit-elle à des personnes publiques ? Est-elle parfois prise en charge par des personnes privées ?

         Parfois, il y a des oppositions entre les personnes privées et l’Administration.

Section 3 : L’opposition entre l’administration et les personnes privées

  • 1 : Une opposition absolue

          Pour un bon nombre de juristes, ce qui distingue les personnes publiques des personnes privées, ce sont :

         – Les personnes publiques ne sont pas créées par des individus comme pourraient l’être les entreprises ou les associations, mais elles sont créées par une autre autorité publique (loi, décret). Les lois des 22 décembre 1789 et 8 janvier 1790 créent les départements. Les régions sont aussi créées par la loi. La Constitution prévoit des catégories d’établissements publics. Quand ce n’est pas la loi, c’est un décret ou un arrêté municipal. Les procédures sont spécifiques, propres, et n’ont rien en commun à celles relatives aux personnes privées.

         – Les personnes privées n’ont pas les mêmes buts. Une personne privée poursuit son intérêt égoïste. Parfois, plusieurs personnes peuvent poursuivre le même intérêt. Les personnes publiques poursuivent des finalités d’intérêt général. Cette idée se perpétue à travers l’Histoire (le Conseil d’Etat expliquait que seule la poursuite d’un intérêt général peut justifier la contrainte étatique et légitime).

         – Les personnes publiques disposent de moyens de contraintes envers les individus. C’est le corollaire de cette poursuite d’un intérêt général. Ce moyen de contrainte les distingue radicalement des personnes privées. Cette contrainte est généralement créée par la loi qui a créé la personne publique. Ce n’est pas seulement la possibilité de contraindre par corps, mais aussi une taxe (sans recueillir le consentement préalable de celui qui sera taxé).

 

  • 2 : Une opposition relative

         Notamment à partir du XIXème siècle. L’un des éléments ayant contribué à ce rapprochement est le développement des concessions, contrats par lesquels l’Etat confiait à une personne privée la mission de construire et d’exploiter certaines infrastructures (concessions de travaux, de constructions de canaux, ponts, routes, voies de chemins de fer, égouts…). Il y a donc eu rapprochement entre personnes privées et personnes publiques, car la personne privée est investie d’une mission de service public : elle agit à la place de l’Etat.

         – Certaines associations ont pris en charge des activités qui sont apparues comme des activités d’intérêt général par la suite (ex. cinémathèque française). Du point du but, les situations sont complexes.

         – Quant aux moyens d’actions. Des personnes privées se voyant confier une concession se voient confier des pouvoirs pouvant et devant être exercés par des personnes publiques. Le pouvoir contraignant peut parfois être confié à des personnes privées (par texte législatif ou contrat). Il n’est pas lié à la qualité d’une personne.

         – L’Etat créé aussi des personnes privées, des fondations, des entreprises privées.

 

CHAPITRE II : LE DROIT ADMINISTRATIF

Section 1 : Deux définitions

         Deux définitions contestables :

         – Définition largement organique : Le Droit administratif serait un ensemble de règles applicables à l’Administration. On ne distingue pas la nature publique ou privée, mais uniquement l’activité de cette personne qu’est l’Administration. Cette définition a quelque chose de trompeur. Le Droit ne deviendra pas « administratif » s’il est appliqué à l’Administration.

         Les personnes privées agissent parfois comme des personnes publiques, et sont alors juridiquement traitées comme telles. Cela reste du Droit public. Ex. Fédération Française de Football… Ces fédérations, en vertu de la loi de 1984, se voient confiées l’organisation du sport. Elles organisent des championnats, compétitions… Tout cela va se faire à l’aide de prérogatives, comme la contrainte d’organisations sportives à reverser des sommes. Elles peuvent exclure un compétiteur etc.

         Inversement, des personnes publiques se transforment en personnes privées. Par ex. France Télécom. Il arrive qu’une personne publique achète ou vende un bien dans les mêmes conditions qu’une personne privée. Le droit commercial ordinaire qui lui sera applicable sera le même que celui appliqué à une personne ordinaire.

         – Le Droit administratif serait un ensemble de règles dérogatoires au Droit commun (Droit civil, des affaires, social…). Cela viendrait de la puissance des personnes publiques. Par ailleurs, les personnes publiques bénéficieraient de privilèges dont ne bénéficieraient pas les personnes privées. Ces privilèges des personnes publiques ne sont que la contrepartie de sujétions. Ex. elles échappent aux voies d’exécution (procédures du Droit commun permettant d’exercer une contrainte). En Droit privé, il n’y a priori pas de rapport contractuel entre deux individus. Il faut passer par le juge en pratique. Les personnes publiques ne peuvent y être soumises car leurs biens relèvent de la collectivité. Le principe de l’insaisissabilité des biens publics a été rappelé par un arrêt BRGM (Bureau des Recherches Géologiques et Minières) de la Cour de cassation. en 1987.

         Les personnes publiques peuvent contraindre quelqu’un à s’acquitter d’une créance au moyen du titre exécutoire (ex. facture d’un hôpital, cantine).

         – Les personnes publiques n’ont de privilèges que parce qu’elles agissent pour l’intérêt général.

 

Section 2 : Le Droit administratif comme ensemble de règles appliquées par une juridiction administrative

  • 1 : La question du dualisme juridictionnel

         Ce dualisme juridictionnel remonterait à la Révolution. L’une des thèses largement répandue est de dire que la Révolution a été porteuse de ce juge administratif. Il faut remonter à la loi des 16 et 24 août 1790.

 

  1. A) La loi des 16 et 24 août 1790

                    Sous la Révolution, avant même que la Constitution ne soit rédigée, on adoptait des décrets devenant lois une fois sanctionnés par le Roi. Cette loi contient 2 articles :     article  10 « Les tribunaux ne pourront prendre directement ou indirectement aucune part à l’exercice du pouvoir législatif ni empêcher ou suspendre l’exécution des décrets du corps législatif sanctionnés par le Roi à peine de forfaiture. »

                   Article  13 « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfaiture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions. »

        

         Il y a une séparation entre les tribunaux et le législateur (art. 10), puis entre les fonctions judiciaires et les fonctions administratives (art. 13). La responsabilité des administrateurs ne saurait être engagée. Cette séparation est rappelée par un décret du 16 fructidor An III, « défense itérative » de se mêler des actes d’administration.     

         Loi du 7 et 14 octobre 1790 rappelle à nouveau qu’aucun administrateur ne peut être traduit en qualité d’administrateur public.

 

  1. B) L’interprétation classique

                    Une loi révolutionnaire suivie d’autres lois prévoit explicitement une séparation des fonctions législatives, judiciaires et administratives. Cette séparation des fonctions se traduit au plan organique, du point de vue des autorités, en une séparation de ces autorités juridictionnelles, administratives et législatives. Or, les Révolutionnaires ayant fait cela l’ont fait après avoir eux-mêmes adopté une DDHC contenant un article 16 en vertu duquel toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas établie n’a point de Constitution. La séparation de l’art. 16 conduit à la séparation des autorités juridictionnelles, législatives et administratives, et naturellement il faut séparer le juge de Droit privé du juge de Droit administratif.

 

  1. C) Critique de la thèse classique

 

                   – Critique historique : l’interdiction adressée au juge de se mêler de l’activité administrative est antérieure à la Révolution française. Elle existait déjà sous l’Ancien Régime. La monarchie française n’a jamais cessé d’asseoir son pouvoir en prenant la précaution de distinguer les activités judiciaires des activités administratives. Ex. Les intendants d’Ancien Régime étaient des corps administrateurs, mais sans mission précise. Ils agissaient au nom du Roi et étaient maitres de leur propre compétence. C’était un moyen pour le Roi de doubler l’administration provinciale. En résultèrent de nombreux contentieux, mais pour éviter que les juges n’interviennent dans les activités des intendants, le Roi interdit l’action des juges.

 

                   – L’expression de « séparation des pouvoirs » est très ambiguë. Par « pouvoir », on peut désigner soit des fonctions, soit des organes. Sépare-t-on des organes ou des fonctions ? En séparant des fonctions, on peut attribuer une partie de la fonction à plusieurs personnes (pour que le pouvoir législatif soit séparé du pouvoir exécutif, il faut en confier une portion à une assemblée et une au Roi). Sous la Révolution, il faut un décret et une sanction du Roi. Le Roi, en sanctionnant, agit en tant que co-législateur. Sous la Révolution, on a séparé les pouvoirs en attribuant les fonctions à des personnes différentes. Un veto présentait un risque de blocage. C’est une séparation horizontale et non verticale.

 

                   – Sous la Révolution, le juge était un mécanisme appliquant une règle générale à un fait particulier (« la bouche de la loi » selon Montesquieu). C’est la théorie du syllogisme judiciaire, une conception erronée et logiquement impossible. C’est l’idée que le jugement n’est qu’une solution qui s’impose par la raison. Le syllogisme est une décalcomanie de la réalité. Il est impossible de juger les administrateurs car, sous la Révolution comme sous l’Ancien Régime, beaucoup d’administrateurs avaient un pouvoir discrétionnaire (comme les intendants d’Ancien Régime). On ne peut confier le contentieux administratif à un juge judiciaire. Le juge judiciaire va devoir agir à la place de l’Administration, apprécier le pouvoir discrétionnaire et devenir un administrateur (ce qui est contraire à la loi de 1790). Il n’est pas plus concevable d’avoir un juge administratif. Sous la Révolution, on ne peut pas concevoir un dualisme juridictionnel car on ne conçoit pas que l’Administration puisse faire l’objet d’un jugement. La faute revient à Napoléon ayant inventé un dualisme juridictionnel.

 

  1. D) La juridiction administrative apparait à l’époque napoléonienne

                    La constitution du 22 frimaire an VIII (décembre 1799) annonce la remise en ordre d’une Administration bouleversée par la Révolution française. Elle annonce une autonomie au pouvoir réglementaire. Le concept de pouvoir réglementaire apparait sous l’an III en 1795, lorsque dans la mise en œuvre des principes révolutionnaires, on se rend compte que l’exécutif a besoin d’édicter des règles générales non dépendantes de lois. Cette même constitution de l’an VIII créé un CE (art. 42) qui est chargé « de rédiger les lois et les règlements d’administration publique, et de résoudre les difficultés qui s’élèvent en matière administrative. » C’est la résurrection du conseil du Roi ayant existé sous la monarchie française. Ce n’est pas un juge indépendant de l’administration, qui peut s’émanciper… Ce Conseil d’Etat connait en appel des décisions des conseils de préfecture (ancêtres des tribunaux administratifs) créés par la loi du 28 pluviôse an VIII (février 1800). Ils sont pensés comme des juridictions, mais avec des pouvoirs limités, et des nombres de contentieux limités.

         C’est également le Conseil d’Etat qui est chargé de trancher des conflits d’attribution pouvant s’élever entre les juges judiciaires et les conseils de préfecture. Si un litige s’élevant entre l’Administration et un particulier était confié à une juridiction judiciaire, ce serait au Conseil d’Etat de prononcer le transfert du litige à la connaissance des conseils de préfecture.

         Ce système est le système de la justice retenue existant déjà sous la monarchie française, car le Conseil d’Etat est chargé de proposer une solution à un litige, mais ce n’est pas lui qui tranche, mais le 1er consul.

         Le système, tel qu’il est prévu, va fonctionner non pas comme le souhaitait Napoléon, et l’institution gagnera en autonomie. L’institution produit progressivement une jurisprudence (devenue le droit administratif).

         – Dans une période dite républicaine, on verra arriver un Conseil d’Etat, juge indépendant de l’administration.

        

  • 2 : La constitution jurisprudentielle du juge administratif

          « Constitution jurisprudentielle » car le juge administratif s’est constitué en autorité indépendante de l’Administration. Mais, il l’a fait à partir d’un texte.

         Au sortir de la guerre de 1870, il s’agit d’organiser les institutions. L’une des grandes lois nous concernant est celle du 24 mai 1872 organisant une délégation de la justice administrative au Conseil d’Etat.

 

  1. A) La loi du 24 mai 1872

                    L’art. 9 de la loi du 24 mai 1872 dispose que le Conseil d’Etat « statue souverainement sur les recours en matière contentieuse administrative et sur les demandes d’annulation pour excès de pouvoir formés contre les actes des diverses autorités administratives. » La nouveauté ici est cette souveraineté. Le Conseil d’Etat est le maitre de sa décision et nul ne peut par la suite la contester : la justice est déléguée. L’organisme qui juge, en devenant souverain, devient de fait supérieur à l’Administration et est donc extérieur à elle. C’est la grande nouveauté de la loi de 1872. Déjà, en 1848, on avait envisagé un tel système et on avait créé un tribunal des conflits. Cette constitution n’eut qu’une courte vie.

 

         Le Conseil d’Etat demeure le juge d’appel des décisions des ministres dans les cas prévus par la loi. Le système est paradoxal : on a une souveraineté du Conseil d’Etat sur les recours en matière contentieuse, mais on reconnait une compétence de droit commun au juge. On reste donc, pour une part du contentieux administratif, sous la théorie du ministre-juge.

 

         Le système a pu fonctionner comme cela pendant un certain temps, mais une question s’est posée au CE à un moment et l’a obligé à s’émanciper de cette loi du 72 : imaginons qu’une autorité administrative non placée sous l’autorité hiérarchique d’un ministre (une ville, une municipalité) prenne une décision ne relevant pas en vertu de la loi de la compétence des conseils de préfecture. Quelle juridiction est compétente pour connaitre d’une telle décision ? La théorie du ministre-juge (qui n’est qu’une organisation) ne peut fonctionner en premier ressort. Les conseils de préfecture ne peuvent être compétents si la décision ne relève pas de leurs matières, et donc le Conseil d’Etat non plus en recours. Le Conseil d’Etat s’émancipe alors du texte…

 

  1. B) L’arrêt Cadot du 13 décembre 1889

                    Cet arrêt signe l’abandon de la fameuse théorie du ministre-juge.

 

  1. Cadot occupait un emploi à Marseille, et était ingénieur directeur de la voirie et des eaux de la ville. La ville supprime son poste et ne le licencie pas. M. Cadot réclame des dommages et intérêts à la ville car il se retrouve, de fait, licencié. La ville refuse. M. Cadot se tourne vers les tribunaux judiciaires, incompétents car le contrat qui lie Cadot à la ville n’est pas un contrat civil (mais entre une personne publique et une personne privée, et n’ayant rien d’un contrat de louage de services). Cadot se tourne vers les conseils de préfecture. La demande n’est pas fondée sur l’exécution d’un contrat de travaux publics. Les conseils de préfecture ne sont pas compétents pour les litiges entre une ville et un particulier à propos d’un contrat d’embauche. Cadot n’a plus qu’une solution : s’en remettre au ministre de l’intérieur. Ce dernier rejette sa demande, incompétent. La seule solution est de saisir directement le Conseil d’Etat du refus du ministre de connaitre son affaire. Le ministre serait alors peut-être compétent. Le Conseil d’Etat a une réponse très laconique, ce qui est la meilleure arme pour s’arroger des pouvoirs que l’on n’a pas. Le Conseil d’Etat dit : « Du refus du maire et du conseil municipal de Marseille de faire droit à la réclamation du sieur Cadot, il est né entre les parties un litige dont il appartient au Conseil d’Etat de connaitre. » Il n’y a aucune solution. Cadot dispose d’une juridiction compétente, et le Conseil d’Etat accepte d’être un juge indépendant du ministre, d’être saisi directement sans que le ministre soit, à proprement parler, intervenu.

         Le commissaire de Gouvernement, à l’époque, explique que « partout où existe une autorité ayant un pouvoir de décision propre pouvant prendre des décisions administratives exécutoires, un débat contentieux peut naitre et le Conseil d’Etat peut être directement saisi. Il suffit pour cela que le débat soit né par l’effet d’une décision de l’autorité administrative rendue sur le litige. »

         – le Conseil d’Etat devient, en 1889, le juge de droit commun et en premier et en dernier ressort des recours en annulation contre des actes administratifs, ainsi que des actes formés contre des autorités publiques.

 

         Le commissaire de gouvernement au sein du CE n’a rien d’un commissaire, ni avec le gouvernement. On voulait que les juges puissent juger en ayant une connaissance aussi parfaite que possible du droit en vigueur au moment du jugement. On voulait aussi que le juge ait un exposé du droit en vigueur pouvant être favorable aux conceptions du gouvernement (au XIX siècle). Aujourd’hui, le commissaire du gouvernement est un membre du Conseil d’Etat ayant pour mission première de présenter l’Etat du droit positif au moment où l’affaire est présentée au Conseil d’Etat, sans défendre la thèse du Gouvernement. C’est un poste extrêmement exposé, et la meilleure solution est de faire avancer le droit positif. Qui exerce cette mission ? Des gens ayant une expérience de l’administration ou du Conseil d’Etat. Ce sont des énarques qui composent le Conseil d’Etat et quelques personnalités à la discrétion du Président de la République. Les jeunes énarques sortis de l’ENA sont rapporteurs : ils dépouillent les dossiers et font un inventaire des problèmes juridiques que présente l’affaire. Il dresse l’inventaire des textes applicables et/ou des solutions envisageables. Une autre personne, commissaire du Gouvernement, mais n’ayant pas ce titre, revoit le dossier. C’est le maitre des requêtes. Bien plus tard, on devient juge et on a le titre de conseiller d’Etat.

         Un commissaire du Gouvernement exerce une fonction capitale : il permet au juge d’avoir une idée du droit positif et de leur propre jurisprudence (le droit administratif est essentiellement jurisprudentiel). Le commissaire, outre qu’il rappelle le droit positif, exerce une fonction capitale au-delà du CE lui-même, pour les litiges, les avocats, les professeurs, car il expose les justifications des différentes solutions adoptées dans tel ou tel domaine. Le commissaire donne le point de vue que la juridiction nourrit à l’égard de tel ou tel litige. C’est un point de vue officiel, au sens où c’est une instance dans laquelle la liberté d’esprit est assez cultivée. Très souvent, la solution proposée est un peu nouvelle, différente. Le commissaire partage son avis. Cf. Jacques-Henri Stahl et Guy Braibant.

         Les solutions les plus nouvelles ne s’expliquent pas. Les contentieux portés devant le Conseil d’Etat sont souvent des problèmes épineux.

 

  • 3 : La fonction normative du juge administratif

          Cette fonction normative a commencé à s’exercer à partir de la fin du XIX siècle et très largement à partir du début du XX siècle. Cette fonction normative s’est donc exercée à l’âge d’or du contentieux administratif.

 

  1. A) L’âge d’or du contentieux administratif

                           À donné lieu à deux mouvements corollaires :

          – Un mouvement d’extension du domaine d’intervention du juge administratif : cela a eu lieu à partir du moment où le Conseil d’Etat a entrepris d’unifier le contentieux des personnes publiques, c’est-à-dire faire en sorte que les personnes publiques ne relèvent que d’un seul juge.

         Cf. arrêt TERRIER du 6 février 1903 : il consacre l’unification du contentieux administratif parce qu’il pose une règle importante selon laquelle tout ce qui relève (= toutes les affaires) des personnes publiques doit être confié au juge administratif. Cette solution, pouvant paraitre sans intérêt, est capitale car elle permet de comprendre que le Conseil d’Etat apparait comme le juge de l’administration au sens propre. Cela fait gagner du temps aux particuliers, car dès lors qu’ils ont un litige avec une personne publique, ils savent à qui le litige doit être confié.

         Cela vaut aussi pour la responsabilité contractuelle des collectivités locales que pour la responsabilité extracontractuelle (= responsabilité délictuelle en civil). L’arrêt qui consacre cette solution est un arrêt de 1808 du tribunal des conflits, arrêt FEUTRY (M. Feutry demande la réparation d’un dommage dont il impute la responsabilité à un département).

         Cette évolution ayant consisté à étendre le domaine d’intervention du juge administratif atteint son point culminant avec un arrêt du CE du 4 mars 1910, l’arrêt THEROND. C’est un contrat passé entre la ville de Montpellier et M. Thérond qui lui confiait la charge de nettoyer la ville de ses chiens errants et de ses bêtes mortes (= contrat communal de louage de services). Il sera qualifié de concession ayant pour objet l’exécution d’un service public par le juge du Conseil d’Etat. Ce litige qui met en cause un particulier et une commune aurait pu, dans un autre contexte, être confié au juge judiciaire (en 1889, comme contrat de louage de services). Dans l’arrêt Cadot, les juges judiciaires ne se sont pas reconnus compétents, car le contrat n’était pas un contrat de louage de services. Ici, alors que Thérond espère le paiement des services effectués, le Conseil d’Etat reconnait sa propre compétence et considère que le juge administratif est compétent pour un contrat de louage de services.

         à Le juge administratif étend son domaine d’intervention en pensant que qui peut le plus peut le moins. C’est parce qu’il s’est rendu compétent pour des affaires étatiques, il l’est aussi pour les affaires publiques concernant les personnes autres que l’Etat.

 

         – Un mouvement d’extension du pouvoir du juge administratif : par pouvoir, il ne faut pas penser à un pouvoir d’injonction (du juge envers l’Administration). Il faut attendre 1980, puis 1995 pour que la loi confère ce pouvoir d’injonction. Au début du XX siècle, le Conseil d’Etat se refuse à dresser des injonctions aux administrations. Si le Conseil d’Etat veut être un juge autonome de l’Administration, il doit distinguer la fonction d’administrateur de la fonction de juge. En dressant des injonctions, il apparaitra comme un supérieur hiérarchique. Mieux encore, une fois qu’il a adressé des injonctions, et que l’Administration, en suivant ces injonctions, cause un dommage, qui sera responsable ? Pour éviter de se trouver mis en cause, en tant qu’administrateur ou administrateur cause d’un dommage, le Conseil d’Etat s’est refusé de dresser des injonctions et a attendu qu’une loi lui confère ce pouvoir.

         Le Conseil d’Etat a étendu ses pouvoirs de façon indirecte : en intervenant dans les affaires de l’Administration par le biais contractuel. Le Conseil d’Etat, au début du XX siècle, se reconnait un large pouvoir d’appréciation du contenu des contrats passés par l’Administration. C’est un pouvoir d’appréciation le conduisant parfois à « oublier » les stipulations contractuelles pour faire produire à ses contrats des effets que les auteurs du contrat ne voulaient manifestement pas : c’est le pouvoir de manipulation objective des stipulations contractuelles. Cette interprétation objective permet au Conseil d’Etat de faire prévaloir l’intérêt public sur l’intérêt du cocontractant. Ex. réinterprétation des conventions passés entre certaines villes et compagnies gazières par le juge administratif, le choix de l’énergie relevant largement de la ville et non pas de la compagnie. On a tourné les contrats au profit de l’intérêt général. La convention de délégation de service public présente l’inconvénient selon lequel les compagnies ayant un monopole préfèrent exploiter les infrastructures existantes avant de moderniser (cf. compagnies de tramways).

          À côté de cette extension des pouvoirs et de cet âge d’or, il y a la protection du droit des administrés…

  1. B) La protection du droit des administrés

          Le Conseil d’Etat protège le droit des administrés contre l’autorité et parfois l’arbitraire de l’Administration, en facilitant les cadres d’ouverture du recours pour excès de pouvoir (cf. loi de 1872 relative au Conseil d’Etat, le Conseil d’Etat statue souverainement sur les litiges administratifs, notamment par le biais du recours pour excès de pouvoir). Le recours pour excès de pouvoir est une voie de recours contentieuse : on recherche une faveur par une décision de justice. Ce recours peut être défini comme le procès fait à un acte administratif. Au cours de ce procès, on ne demande pas la réparation d’un dommage mais on demande l’annulation objective, définitive, d’un acte !

         On distingue le recours pour excès de pouvoir des recours en indemnités (en dommages et intérêts). Le premier cas est un recours objectif, en vue d’obtenir le rétablissement de la légalité. Pour un recours en excès de pouvoir, un particulier demande l’annulation d’un acte car cet acte viole la loi. On peut demander cela indépendamment de tout préjudice subit par l’existence de cet acte. Le recours en indemnité est différent : on demande réparation d’un préjudice identifiable, concernant une personne en particulier, devant prouver qu’elle subit un préjudice. On demande de l’argent, ou l’annulation d’un acte dans d’autres cas. Cette annulation a un effet rétroactif. L’annulation rétroactive d’un arrêté ministériel fait comme si cet arrêt n’a jamais existé.

         La question qui s’est posée au Conseil d’Etat était de savoir qui pouvait exercer le recours pour excès de pouvoir. Le Conseil d’Etat a ouvert très tôt le recours au plus grand nombre de personnes possibles. Le Conseil d’Etat a reconnu à tout membre d’une commune le pouvoir d’agir contre une décision du conseil municipal. C’est le cas notamment d’un arrêt de 1901, l’arrêt CASANOVA. M. Casanova agissait en qualité de contribuable municipal. Le Conseil d’Etat a aussi reconnu le même intérêt à agir 2 ans plus tard à un membre d’une assemblée délibérante (arrêt PERGEAU en 1903). Le Conseil d’Etat reconnait un intérêt à agir pour les personnes lésées dans des nominations politiques (arrêt LOT à propos d’un archiviste paléographe apprenant qu’une autre personne que lui est nommée à un poste devant lui revenir).

 

         – Arrêt Croix de Seguey et Tivoli, 21 décembre 1906, à propos d’une ligne de tramway à Bordeaux. Le Conseil d’Etat reconnait ici un intérêt à agir à une association de quartier, donc à un groupement de personnes qui agissaient contre un règlement relatif à la circulation des tramways.

 

         – Arrêt patrons coiffeurs de Limoges, le Conseil d’Etat refuse un intérêt à agir à une association au motif qu’elle défend des intérêts corporatistes et non d’intérêt général.

 

         – Arrêt GRAZIETTI, 1902 : le Conseil d’Etat accepte de contrôler les recours pour excès de pouvoir des décisions de dissolution des conseils municipaux, or ces décisions étaient prises par le chef de l’Etat (loi sur les communes du 5 avril 1984, qui lui conférait un pouvoir discrétionnaire). Le juge administratif, lorsqu’il contrôle le pouvoir discrétionnaire, doit créer des normes pour encadrer ce pouvoir. Si le PR peut dissoudre les assemblées municipales, le PR dispose d’un pouvoir d’appréciation considérable. Si le juge souhaite contrôler le pouvoir discrétionnaire d’une autorité quelconque, il devra produire des justifications à ce contrôle.

         Le juge a voulu encadrer la compétence discrétionnaire du maire selon laquelle le maire a un pouvoir de police. Cela s’effectue dans des normes que le juge créé lui-même (exigences de temps et de lieu). En 1902, l’arrêt Grazietti commence à faire la même chose et suppose un contrôle a minima du juge.

 

         – Arrêt commune de Néris-les-bains du 18 avril 1902 : le Conseil d’Etat accepte de contrôler les actes de tutelle des préfets susceptibles de porter atteinte au pouvoirs des maires. Le préfet a interdit les jeux d’argent sur le territoire tout entier. Les communes pouvaient en organiser sur dérogation obtenue auprès du ministère de l’Intérieur. Le maire veut interdire ces jeux sans même une dérogation. Le maire renforce une décision d’interdiction prise par le préfet. Or, ce pouvoir de renforcer les mesures de police au niveau local est un pouvoir qui pouvait être reconnu au maire, mais que le préfet ne reconnait pas. Le Conseil d’Etat va ici faire prévaloir le droit du maire et donc l’autonomie des communes sur l’autorité de l’Etat. Entre plusieurs autorités administratives, le Conseil d’Etat ne fait pas systématiquement prévaloir l’autorité de l’Etat et contribue à reconnaitre un pouvoir local.

        

         – Arrêt M. MARTIN du 4 août 1905 : le Conseil d’Etat invente la catégorie des actes détachables des contrats. Cette catégorie sert à permettre aux tiers au contrat (à tout usager qui n’est pas partie à un contrat) d’exercer une action non pas directement contre le contrat mais contre des actes ayant contribué à la formation du contrat. L’arrêt veut que les tiers à un contrat, les administrés, ne puissent jamais attaquer un contrat. Le contrat passé entre une collectivité et une entreprise quelconque est un accord de volonté ne devant pas faire l’objet de recours intempestifs de la part de tiers. En même temps, elle empêchait aux tiers de contester la légalité même d’un contrat. Le contrat peut être privé de base légale, mais il ne disparait pas automatiquement. Il revient à l’administration de tirer les conséquences de l’acte détachable du contrat. Cette solution, très ancienne, demeure. Elle procède de l’idée qu’il faut maintenir l’intérêt de l’administration, avec l’intérêt à agir de tiers à ces contrats.

 

         Le Conseil d’Etat a modéré l’action administrative, et notamment en défendant en la liberté économique, la liberté du commerce et de l’industrie contre de nombreuses interventions économiques des collectivités locales. Ces collectivités portaient atteinte à des activités économiques entre particuliers et faussaient le jeu du marché en créant des établissements agissant dans des conditions concurrentielles. Des arrêts du CE encadrent la responsabilité de l’Administration et permettent des actions en responsabilité de l’Administration engagées par des administrés et accompagnant l’annulation d’un acte. Si un préjudice est causé, dans le cadre d’un contentieux subjectif, l’annulation d’un acte est demandée par un administré.

 

         Quel est le critère de la compétence du juge administratif ? Question pertinente, mais mal posée. On a voulu poser le critère déterminant selon lequel la juridiction d’Etat était compétente.

 

CHAPITRE III : LES CRITERES D’APPLICATION DU DROIT ADMINISTRATIF

 

         Ces critères ont fait l’objet de réflexions doctrinales intenses. Le droit positif a vite fait l’objet d’une grande ambiguïté.

 

Section 1 : L’ambiguïté du Droit positif

 

         Cette ambiguïté n’était pas au départ évidente. Les personnes publiques géraient les services publics et relevaient de la juridiction administrative.

 

         Le grand arrêt du droit administratif, du tribunal des conflits, 8 février 1873 : l’arrêt BLANCO. M. Blanco espère obtenir réparation du préjudice subit par la perte de sa fille Agnès. La fille jouait près des voies de chemins de fer et a été blessée mortellement. Le préjudice a été causé par une institution, un service étatique (régie des transports…). Qui réparera le préjudice ? Le père saisit les tribunaux judiciaires contre l’Etat, alors qu’il aurait dû le faire contre les employés de la manufacture de tabac. Très vite se pose un problème de compétence. La juridiction administrative serait compétente, mais sur quel fondement ? La responsabilité de l’Etat ne peut être engagée par les juridictions judiciaires, mais ne peut être engagée que selon des conditions spécifiques d’un droit exorbitant du droit commun. Les conclusions du commissaire David sont importantes et mettent en œuvre une grande postérité. Le commissaire commence par distinguer l’Etat comme propriétaire et l’Etat comme Administration, puissance publique. Il y a une distinction entre les actes d’autorité et les actes de gestion pouvant être pris par l’Etat (selon Edouard Laferrière). Ici, les dommages sont causés par des actes de gestion (et non d’autorité). Il y a cependant un inconvénient, celui de penser l’Etat comme une personnalité juridique double. Or, à cette époque-là, on a bien conscience d’une difficulté à penser l’Etat comme un dualisme et l’on recherche un moyen d’unifier.

         Le moyen trouvé est de dire que les actes, soit de gestion, soit de puissance, ont un élément commun : la gestion d’un service public rendu obligatoire par la loi.

         Les personnes publiques gèrent des services publics, et relèvent de la compétence administrative. Le critère du droit administratif est le service public. Cette idée de service public contient en elle-même l’idée de puissance. On a là l’idée que les services publics relèvent par nature des personnes publiques, et au premier plan, de l’Etat. On distingue mal le concept de service public du concept de puissance publique.

 

         Arrêt TERRIER de 1903 : Dans cette affaire, les conclusions importantes sont prononcées par Jean Romieu. Il s’agissait de détruire les animaux nuisibles. On met en place un appel d’offre et on établit une prime pour les personnes ayant détruit des animaux nuisibles. Terrier a détruit une vipère, mais il ne reste plus d’argent. Il demande alors une indemnité, et se pourvoit devant la juridiction administrative. On a beau se trouver bien longtemps après l’arrêt Blanco, l’analyse de cette situation n’est pas très compliquée. Cf. conclusions.

  1. Romieu pose un principe : « Tout ce qui concerne l’organisation et le fonctionnement des services publics (généraux, locaux), l’administration agissant par contrat ou unilatéralement, constitue une opération administrative. »

         Ce principe unifie la compétence de la juridiction administrative en s’attachant à la notion de service public, mais c’est une notion embrouillée. Elle rend compte des activités d’Etat et de l’idée d’intérêt général censée être poursuivie par toutes les collectivités.

         On conçoit beaucoup plus clairement que dès lors qu’un acte se rattache à un service public, géré par une personne publique, cet acte relève du juge administratif, quelque soit la demande adressée au juge : annulation ou réparation.

 

         Romieu ajoute dans ses conclusions ce qui annoncera une évolution : « il peut se faire que l’administration […] agissant dans l’intérêt d’un service public comme une personne publique n’invoque pas le bénéfice de sa situation de personne publique et se place volontairement dans les conditions du public [au sens de particuliers] soit en passant un de ces contrats de droit commun, soit en effectuant une de ces opérations courantes que les particuliers font journellement. » Cela sème la confusion. On a dans un cas des personnes publiques gérant des services publics, et tout ce qu’elles font relèvent du juge administratif. D’un autre côté, si la personne publique n’invoque pas le bénéfice de sa situation, alors la juridiction compétente sera peut-être la juridiction de droit privé ? Invoquer le bénéfice de sa situation, c’est manifester sa situation de personne publique… de puissance publique.

         – On retrouve cette idée selon laquelle pour qu’il y ait compétence administrative, il faut qu’on soit dans le cadre de l’organisation d’un service public, et il faut que l’administration mette en œuvre des prérogatives de puissance publique (des pouvoirs n’appartenant qu’à elle et ne pouvant être jugés que par un juge administratif).

         Ces conclusions présentent des aspects confus, confusion qui s’installera dans les années 1920.

 

         – Arrêt du tribunal des conflits du 22 janvier 1921 « Société commerciale de l’Ouest africain » (BAC D’ELOKA). La colonie de Côte d’Ivoire gère un bac permettant de passer d’une rive à une autre. Une nuit, le bac fait naufrage, 1 mort, 17 rescapés, 4 automobiles endommagées dont les propriétaires appellent leurs assureurs en demandant réparation du préjudice. La compagnie d’assurance se demande vers qui elle pourra se tourner en réparation. Cette société commerciale se tourne vers la colonie de Côte d’Ivoire et l’assigne devant le tribunal civil. Qu’est-ce que la colonie sinon l’Etat français ? Le tribunal des conflits est saisi et doit identifier la juridiction compétente, car l’Etat dit que sa responsabilité ne peut être engagée devant une juridiction judiciaire. La personne publique n’a pas invoqué le bénéfice de sa situation. L’Etat gère ce bac dans les mêmes conditions qu’une société ordinaire, qu’une personne privée qui poursuivrait une activité commerciale (chacun paye sa place, et le coût même d’un voyage est payé par le voyageur). Il n’y a pas de rapport administratif entre les usagers et la société commerciale. La compétence est celle des tribunaux judiciaires, car la personne publique agit comme une personne privée. L’équation de David et Romieu se fissure. Il n’y a pas systématiquement compétence des tribunaux administratifs…

 

         – Arrêt Monpeurt de 1942 : mise en place du corporatisme sous Vichy. Chacun n’est qu’un élément d’un rouage. D’un point de vue économique, le corporatisme suppose la mise en place d’une organisation assez lourde et de comités allant imposer des normes de production. Ces comités se voient investis par la loi le pouvoir de fixer les volumes de productions des entreprises. Le comité de la production du verre a incité des entreprises à s’entendre pour produire dans des conditions qui n’étaient pas celles du marché. Le directeur impose à deux entreprises de livrer avec un rabais de 20% à une tierce entreprise. Les entreprises prennent mal cette décision et exercent un recours. Le problème qui se pose ici est un problème de compétence. Le juge administratif est-il compétent pour connaitre de la décision du directeur du comité ? Il conviendrait d’invoquer le critère organique de l’auteur de l’acte attaqué. C’est le comité qui est en cause, et on ne sait pas quel est le critère juridique du comité. On est obligé de se rattacher à un critère fonctionnel. Comment analyser la fonction du comité d’organisation ? On l’avait toujours admis, et on l’avait déjà utilisé en 21. La solution de la juridiction est de considérer que c’est un acte administratif, non pas parce qu’il émane d’une personne publique mais parce qu’il émane dans l’exécution d’un service public et qu’il est l’expression de prérogatives de puissance publique reconnue par la loi aux comités d’organisation. – On a une personne publique qui gère un service public et qui invoque le bénéfice de sa situation.

 

Section 2 : Les critères proposés par la doctrine

 

         Maurice Hauriou et Léon Duguit. Maurice Hauriou (1856-1929) était un ardent défenseur de la puissance publique. Pour lui, rien d’autre que la puissance publique ne peut justifier l’existence du droit administratif. L’organisation de l’Etat ressemble à l’organisation de l’Eglise. Il préfère l’exécutif au législatif. Les personnes publiques doivent manifester une puissance échappant aux juges judiciaires. Pour le reste, les juges judiciaires sont compétents. Le juge administratif doit être compétent à chaque fois que les personnes publiques utilisent leurs pouvoirs. S’il est incontestable que le conseil d’Etat a justifié sa compétence en se référent au concept de puissance publique, il ne s’en est jamais tenu à ce seul critère.

         À Bordeaux, Léon Duguit (1859-1928), ami de Maurice, a construit la doctrine du service public. Léon n’était pas attaché à cette vision catholique romaine et se voulait beaucoup plus démocrate, plus républicain. Il était très autoritaire, mais attaché à l’idée du socialisme municipal du début du XX siècle : il faut, dans certains cas, que les personnes publiques interviennent dans l’activité économique afin de pallier les carences du marché. Cette idée procédait d’une thèse plus générale, de type sociologique. Pour lui, le droit n’était rien d’autre que l’interdépendance entre individus. Il existait selon lui une norme au-dessus de toute norme juridique, à savoir donc qu’il existe une solidarité, à laquelle le droit doit se conformer. Il voit le droit administratif comme devant reproduire cette solidarité. L’Etat n’est légitime que s’il concoure à une activité d’intérêt général qui satisfait les besoins collectifs, et qu’il prend à sa charge.

         – Définition des services publics : « toute activité dont l’accomplissement doit être réglé, assuré et contrôlé par les gouvernants, parce qu’il est indispensable à la réalisation et au développement de l’interdépendance sociale, et qu’il est de telle nature qu’il ne peut être assuré complètement que par l’intervention de la force gouvernante. »

         En réalité, ces auteurs veulent retrouver dans le droit positif ce qu’ils y mettent eux-mêmes (puissance publique, service public). La compétence du juge administratif ne dépend pas d’un critère, seul, qui serait la cause de tout. La compétence est justifiée à chaque fois d’une manière un peu différente car le Conseil d’Etat ne suit pas une règle qui préexiste à son action mais créé une règle lorsqu’il agit. Il y a quelque absurdité à vouloir enfermer le droit administratif, alors qu’il se créé au fur et à mesure des problèmes.

        

         – le Conseil d’Etat est le maitre de sa compétence. Il n’est pas lié par le service public ou la puissance publique.

 

         Après la justification du service public qui mêlait la puissance publique, dans des conditions obscures, tout en se servant de la doctrine, le juge administratif a toujours été contesté en dépit de ces réformes.

 

Section 3 : De la contestation à la constitutionnalisation de la juridiction administrative

 

1) Une juridiction contestée

 

                   La contestation a souvent changé de registres.

         – D’abord elle a été politique au XIX siècle au nom du libéralisme (au sens politique) comme Tocqueville (1835, 1840).

         – Puis, le Conseil d’Etat est d’abord un protecteur de l’Administration et ne doit sa place qu’en vertu d’un arbitraire consulaire, napoléonien. Il va à l’encontre des principes libéraux ordinaires. L’Administration est censée agir le moins possible et protéger les droits comme le droit de propriété. Un juge qui protégerait l’Administration de requêtes ou contestations émanant des propriétaires (ceux ayant le droit de vote au XIX siècle) apparait comme diminuteur des libertés individuelles, ce qui n’était pas faux.

         – Cette critique libérale n’a pas disparu au XX siècle, moment où le juge administratif devient autonome de l’Administration. Il exerce une influence politique selon certains. Le juge protège l’Administration et se trouverait à la solde du Gouvernement. Dans les années 20, le juge administratif a contribué à une intervention de l’Administration dans l’économie et a su trouver une justification à cette intervention, qui n’était peut-être pas toujours aussi cohérente qu’on aurait pu l’imaginer.

         La reconnaissance de certaines prérogatives de puissance publique à certaines personnes privées a aussi une dimension politique.

         – Dans certaines situations, en matière d’urbanisme, le juge administratif a incontestablement favorisé l’intervention de l’Administration au détriment des personnes privées, sans que l’on puisse contester une négation des droits des individus. Le juge présentait son argumentation comme un balancement (intérêt public/intérêt privé d’une opération d’urbanisme).

         Mais quel jugement n’a pas de dimension politique… ?

 

         Le juge administratif a-t-il construit une argumentation cohérente ? On pourrait répondre qu’il a construit une idéologie politique, en même temps qu’il construisait sa jurisprudence. Dans les années 50, à l’issue de la 2GM, le juge administratif a favorisé l’intervention économique des personnes publiques, et il semblerait qu’il y ait un retour en arrière aujourd’hui.

         – La CEDH (1950) mise en avant par la Cour européenne des droits de l’homme tend à réduire ou à priver de certaines justifications l’action étatique.

         – La montée en puissance du droit communautaire (longtemps porté sur les activités commerciales) grignotant l’activité des Etats.

         Face à ces montées en puissance, le juge est devenu le protecteur des administrés. Selon certains, il contribue à construire un ordre public libéral…

 

         – À partir des années 1950, la contestation devient sociologique. Sous l’effet du développement des études sociologiques, et notamment de juristes faisant de la science administrative (sociologie de l’Administration et de la science administrative), on a commencé à analyser l’origine sociale des membres de la juridiction administrative. L’interrogation s’est portée sur l’esprit corporatiste porté au sein de cette juridiction. À partir du moment où l’ENA a été créé, cette école a nourrit le corps de la juridiction administrative. Ces gens pensaient tous la même chose. On rétablissait un esprit de corps selon certains chercheurs. La liberté de penser est plus développée au CE qu’ailleurs. Cette critique s’est portée sur le thème de l’homogénéité de l’état d’esprit du Conseil d’Etat. Le juge administratif se voulant de plus en plus autonome était composé de gens qui étaient tenus de passer dans l’Administration active un jour ou l’autre.

         – C’est la trop grande proximité entre la juridiction et l’Administration active qui est contestée. Selon d’autres, il faudrait des gens autant extérieurs que possible de l’Administration pour former la juridiction administrative.

 

         – Il y a également une contestation d’ordre pratique, qui porte expressément sur le dualisme juridictionnel. Pédoncule disgracieux de la juridiction française, la juridiction administrative a été contestée car les requérants sont baladés de juridictions judiciaires en juridictions administratives. Il y a un traitement différent des personnes selon qu’elles interviennent comme personnes privées ou personnes publiques. Il est vrai que le juge administratif applique les règles du Code Civil, mais le droit civil tel qu’il est appliqué par le juge administratif n’a souvent rien à voir avec celui appliqué par les juridictions civiles. Il y a une incertitude juridique, une insécurité juridique depuis quelques années.

         Il y a effectivement des cas où les contentieux obligent les administrés à des contorsions juridiques inacceptables, mais il faut admettre qu’il n’y aura jamais de sécurité parfaite. Le droit n’est-il pas un ensemble de règles déductibles de la raison pure ?

 

2) La consécration constitutionnelle de la juridiction administrative

 

                   Le Conseil d’Etat n’intervient qu’à titre consultatif dans la Constitution. Nul part, il n’existe de juridiction administrative dans la Constitution. L’art. 66 de la Constitution prévoit expressément l’existence d’une juridiction judiciaire. Elle est « gardienne de la liberté individuelle »…

         – le Conseil Constitutionnel a remédié à cette situation : la loi du 22 juillet 1980 relative à la validation des actes administratifs (loi de validation d’actes administratifs : on hisse au niveau législatif un acte administratif qui n’était plus appliqué (annulé tacitement par le juge), ce qui permet de maintenir son existence juridique). Au cours d’un examen d’une loi de validation, le Conseil Constitutionnel affirme que « l’indépendance des juridictions administratives est garantie ainsi que le caractère spécifique de leurs fonctions, et cette garantie relève d’un principe fondamental reconnu par les lois de la République ». Les PFRLR sont un moyen de créer des normes constitutionnelles pour le Conseil Constitutionnel. Le Conseil d’Etat garantit l’indépendance et le caractère spécifique des fonctions. Il se garde de dire en quoi consistent les fonctions des juridictions administratives. Domaine de compétence ? Que jugent ces juridictions ?

         – Une décision du 23 janvier 1987 du CC relative à l’ordonnance de décembre 1986 créant un conseil de la concurrence précise cela. J. Chirac arrive au pouvoir et décide de mettre en œuvre une politique très libérale, courageuse, afin de rompre avec une tradition interventionniste. Ils ont entrepris de libéraliser les prix et d’abolir le contrôle administratif des prix qui existait auparavant, et dans beaucoup d’Etats européens, entrave au commerce selon le Traité de Rome. Le Droit européen imposait ce changement de toutes les façons. À partir du moment où l’on libéralise les prix, on instaure une libre concurrence entre les entreprises. La question qui se pose est de savoir quelle juridiction sera compétence pour connaitre des litiges s’élevant entre particuliers et relatifs à l’application des règles organisant la concurrence. La concurrence est avant tout une affaire de réglementation. Plus il y a de concurrence, plus il faut de réglementations, et de recours à l’intervention étatique.

         On a créé une autorité administrative chargée de trancher les litiges entre les administrés : le conseil de la concurrence. Cette AAI (Autorité Administrative Indépendante) est un démembrement de l’Etat, censée ne pas être un service du ministre de l’économie et des finances (ex. CSA). Ce sont des pouvoirs de juridictions. Cette AAI, chargée de poser des règles générales, pouvant faire l’objet d’un appel. La question qui s’est posée en 1986 était : à quelle juridiction va t-on confier l’appel des jugements émanant du conseil de la concurrence ? Le conseil de la concurrence est une AAI, certes indépendantes, mais administrative quand même. La juridiction naturellement compétente pour connaitre des décisions de cette AAI devrait être le Conseil d’Etat.

         C’est, à certains égards, du droit commercial, des droits entre personnes privées, et c’est pour cela que la juridiction judiciaire serait compétente. Des personnes publiques interviennent aussi parfois… L’ordonnance de 1986 a tranché en faveur de la juridiction judiciaire. Il y a eu une convulsion chez les publicistes français. Lors de la saisine de la juridiction constitutionnelle, certains ont montré que cette idée de transférer les contentieux du conseil de la concurrence était une atteinte à la Constitution. Le Conseil Constitutionnel a dû se prononcer sur ce moyen : il a maintenu l’idée de 1980 que la juridiction administrative a une compétence constitutionnelle. – C’est l’annulation et la réformation des décisions prises par les autorités exerçant le pouvoir exécutif et toute autre personne publique qui exerce des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE. L’annulation est rétroactive. La réformation est la modification des décisions rendues par les juridictions administratives. Cela exclue le contentieux subjectif de la responsabilité et le contentieux contractuel. C’est donc un retour à une compétence a minima du juge administratif, compétence initiale reconnue à la juridiction administrative. C’est une réduction assez forte, allant chercher la conception française de la séparation des pouvoirs, pour établir un dualisme juridictionnel. Le dualisme juridictionnel dérive de la séparation des pouvoirs. « Le mythe de la séparation des pouvoirs entraine la séparation des juridictions » (S. Velley). C’est un moyen de reconnaitre la compétence de la juridiction administrative pour des domaines x en isolant l’AAI.

         La loi des 16 et 24 août 1790 et la loi du 16 fructidor an III n’ont pas de portée constitutionnelle.

 

PREMIERE PARTIE :

Les finalités de l’action administrative

 

            Ce sont les fins poursuivies par l’action de l’Administrative. On distingue deux finalités : le service public et la police administrative.

 

CHAPITRE I : LA NOTION DE SERVICE PUBLIC

 

         Notion essentielle recouvrant à la fois des institutions, des organismes, une activité et qui, en outre remplit une fonction de justification de la compétence du juge administratif. La première difficulté que l’on rencontre est d’arriver à identifier la notion. La notion est saturée de controverses. Duguit cherche moins à décrire la notion de service public qu’à proposer une définition allant être adoptée secrètement par la juridiction administrative…

 

Section 1 : La notion

 

         Le service public ne relèverait que des personnes publiques : le service public est en réalité une activité entreprise dans des conditions spécifiques relativement déterminées mais aussi définies par le juge lui-même. Il y a donc des éléments permettant d’identifier les actions de service public, mais le juge reste libre dans son appréciation. 3 éléments principaux sont à analyser :

 

  • 1 : L’organisation fonctionnelle

 

         Commissaire Corneille dans l’arrêt Astruc du 7 avril 1916 : « Le service public est un procédé juridique par lequel satisfaction est donnée par l’Administration à un besoin d’intérêt général. » Cette définition combine 3 éléments :

 

  1. A) Un élément matériel

 

                   C’est au fond la finalité que l’on poursuit, c’est-à-dire répondre à un besoin d’intérêt général. Cela suppose que cet intérêt général là ait été identifié. Cette identification peut relever de la loi, du décret, autrement dit d’un texte, mais aussi du juge lui-même dans certains cas. Sur le fondement de textes, le juge a identifié le besoin d’intérêts généraux. Pour qu’il y ait activités de services publics, il faut que la personne qui prend en charge cette activité réponde non pas subjectivement, mais soit identifiée comme répondant objectivement à ce besoin. Cette autorité est la plupart du temps soit législative soit réglementaire.

 

  1. B) Un élément organique

 

                   Corneille parle d’un besoin satisfait « par l’Administration ». En 1916, c’est l’Administration qui satisfait un besoin d’intérêt général. Mais, ce n’est pas toujours l’Administration. Dès les années 1930, des personnes privées pouvaient se voir confier des missions tendant à satisfaire l’intérêt général (par un texte législatif ou réglementaire, ou par un contrat). L’élément organique tient au fait que la plupart du temps, c’est l’Administration qui satisfait un besoin d’intérêt général ou une personne privée qui, parce qu’elle contribue à un tel besoin, sera placée sous une forme de tutelle d’une autorité publique (ex. un concessionnaire distribuant de l’eau sur le territoire d’une commune, sous le contrôle de l’autorité publique lui ayant délégué ce service en vertu d’un contrat).

 

  1. C) Un élément formel

 

                   Le service public est d’abord un procédé juridique, avant la conception économique ou sociologique de la chose. Pour qu’une personne puisse satisfaire un intérêt général, on lui reconnait des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE que les autres n’ont pas. Ces PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE, les personnes publiques en sont naturellement investies, territorialement définies, spéciales pour les établissements publics n’existant qu’en vertu d’un texte (loi, décret). Les personnes publiques peuvent se voir reconnaitre des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE. Ex. Arrêt Manier de 1961, les fédérations départementales de lutte contre les hannetons, privées, avaient le monopole et bénéficiaient de recettes fiscales émanant de taxes. Elles avaient le pouvoir d’exécuter d’office les traitements antiparasitaires sur les territoires privés. Elles violaient le droit de propriété des individus.

 

         – le Conseil d’Etat n’exige pas l’existence de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE pour reconnaitre l’existence d’un service public mené par une personne privée (arrêt ville de Melun de 1990). L’association n’était que le reflet de la municipalité elle-même. Elle était composée de conseillers municipaux, exerçait son action sous le contrôle de la commune, agissait comme l’aurait fait la commune, et n’était qu’une copie de cette dernière. Le juge n’est pas naïf et a affaire à un duplicata de la commune.

         Ces 3 éléments se combinent sous l’autorité du juge administratif. L’appréciation du juge est en quelque sorte le quatrième élément. Il est le maitre de la pondération de ces 3 éléments.

 

         La notion de service public a beaucoup évolué. Certaines activités qui ne l’étaient pas sont devenues des activités de Service Public. La personne publique prenant en charge une activité publique est considérée comme agissant dans le cadre d’un Service Public. Il y a le développement du Service Public dans le domaine des loisirs, dans le domaine culturel.

         Arrêt 7 avril 1916 Astruc laisse entendre que la création d’un théâtre, l’activité théâtrale pourrait être une activité de Service Public. En l’espèce, il explique que non puisqu’il n’y a pas d’activité organique.

         Arrêt 1923 Gheusi, le Conseil d’Etat juge que l’opéra comique à Paris est un Service Public car l’activité est gérée en vertu d’une concession, et que l’Etat participe à la gestion de son activité.    Au début du XX siècle, certaines activités dites culturelles, comme l’activité théâtrale ont fini par être qualifiées de service public contre l’avis très motivé et très rigoureusement exposé de la doctrine qui ne s’attendait pas que des activités théâtrales relevant d’activités économiques, dites de loisirs, puissent apparaitre comme de service public. En même temps que les activités culturelles ont commencé à être de service public, certaines activités de santé ont été considérées comme des activités de service public (lutte contre le cancer…), mais cela s’est aussi fait pour des associations de chasses agréées. L’autre domaine où s’est étendue la notion de service public est le sport. Les activités sportives ont été petit à petit reconnues comme des activités de service public, par le juge et par la loi.

         Pendant très longtemps, on a mis un temps certain de passer de la notion de service public procédant de l’Etat à une notion de service public qui n’était pas naturellement celle de l’Etat. Cela étant, certaines activités sont inhérentes à l’activité d’un Etat (privatisation de la police ou de l’armée).

         Le service public va parfois se nicher là où on ne l’attend pas du tout : les concessions de plage. C’est un contrat qu’une commune passe avec un concessionnaire, ce qui lui permet d’occuper une portion du domaine public. Ces portions ont été longtemps considérées comme des occupations domaniales (c’est toujours une situation où une personne privée est autorisée à occuper une portion du domaine public. Lorsque cette occupation découle d’un contrat, cette convention d’occupation domaniale ne porte que sur le territoire et ne qualifie pas l’activité exercée).Arrêt SARL Plage « Chez Joseph », 21 juin 2000, le Conseil d’Etat admet que les concessions de plage ne sont pas seulement des occupations domaniales mais peuvent être considérées comme des conventions de délégation de service public. C’est donc un contrat par lequel une personne publique délègue à une personne privée la gestion d’un service public. L’activité déléguée doit être préalablement identifiée comme une activité de service public.

         Le contrat organise le développement de la station balnéaire, et le concessionnaire est chargé de l’équipement, de l’entretien de la plage… (Idées des années 1960). On identifie d’une part qu’il y a un intérêt général dans le développement de la station balnéaire, que le concessionnaire se voit investi d’une mission qui consiste à s’occuper de l’entretien et de l’exploitation de la plage, mais également veiller à la salubrité de la baignade et aux mesures destinées à assurer la sécurité de la plage. « Salubrité » et « sécurité » se retrouvent dans la notion d’ordre public (cf. police administrative). On dit que la loi veut que le maire exerce son pouvoir de police en vue du maintien de l’ordre public (défini par la sécurité, salubrité, tranquillité publique). Ce maintien de la salubrité et la sécurité s’effectue sous le contrôle de la commune. Des prérogatives sont donc incontestablement reconnues aux concessionnaires de plage.

         – le Conseil d’Etat ne pouvait pas faire autrement que de reconnaitre une délégation de services.

 

         Le juge n’est en aucun cas lié de manière indéfectible par chacun de ces catégories avec lesquelles il joue. Le juge n’identifie parfois pas de service public alors que tout portait à penser qu’il y en avait une. Arrêt Rolin, 27 octobre 1999, la Française des Jeux, personne morale de droit privé à laquelle le Gouvernement a confié l’organisation et l’exploitation d’une activité de loterie dont il est prévu par le texte que le produit de cette loterie alimente la caisse contre les calamités agricoles. C’est le Gouvernement qui confie une mission (un élément organique, il la surveille donc apparemment), il s’agit d’alimenter une caisse (intérêt général), d’avoir le monopole de cette loterie (PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE) : tous les éléments semblent réunis pour identifier cette action comme une mission de service public. Le Conseil d’Etat refuse de penser qu’il y a ici une mission d’intérêt général. Cela tiendrait, d’après le commissaire du gouvernement, à la nature même de la FDJ. Cf. conclusions : « les jeux de hasard ne présentent pas de caractère véritablement sportif, récréatif, culturel… » C’est ce qui permet de dire qu’il n’y a pas de mission d’intérêt général. Fournir une espérance de gains est pourtant fournir du bonheur, ce qui est une mission d’intérêt général. Cette jurisprudence est contestable, car les casinos ont été reconnus comme des activités de service public, depuis fort longtemps (au moins les années 1960). C’est parce que la loi qui encadre l’activité des casinos prévoit des activités culturelles, des spectacles, des bibliothèques…

         En 1988, dans l’arrêt commune d’Hyères, le Conseil d’Etat n’a pas hésité à dire que l’organisation d’un festival de BD était une mission d’intérêt général d’ordre culturel et touristique.

         – L’identification par le juge d’une activité de service public est relativement prévisible, mais en même temps, il faut bien reconnaitre qu’elle repose très largement sur les appréciations du juge lui-même et qu’il est fort peu contraint dans cette identification-là. C’est lui qui a construit cette notion de service public, qui n’est pas celle de service public à la française qu’imaginent nombre d’acteurs politiques et sociaux. Très souvent, la notion de service public est mise en avant pour geler des situations considérées comme acquises.

 

  • 2 : Les différentes catégories de service public

 

         On distingue traditionnellement 2 catégories : les Services Publics Administratifs (SPA) et les Services Publics Industriels et Commerciaux (SPIC).

 

  1. A) L’émergence de ces catégories

 

                   À l’origine, avant qu’on identifie les SPIC, il n’y avait que des SPA. Lorsque le Conseil d’Etat parle de Service Public avant les années 20 (commissaire David sous l’arrêt Blanco, ou Romieu en 1903), ils associent le Service Public à une activité administrative. C’est une activité prise en charge par les personnes publiques (ou sous le contrôle de personnes publiques) et qui est censée revenir naturellement à une personne publique. C’était naturellement de l’activité de police, de justice, l’activité des hôpitaux, d’enseignement, et l’activité culturelle (musées), les activités de logement, d’indemnisation des chômeurs. Ce qui est commun à toutes ces activités, c’est qu’elles ne produisent pas de gains. Gérer des musées et accueillir du public, loger des gens, n’est pas censé faire gagner de l’argent aux personnes qui s’en occupent. Des personnes publiques peuvent agir comme des personnes privées. Romieu, en 1903, admettait que certaines personnes publiques puissent avoir une activité d’intérêt général sans faire valoir leur qualité de personnes publiques. Elles échappaient à la compétence du juge administratif car elles se comportaient comme des personnes privées. Tous leurs actes relevaient de l’ordinaire, du droit commun !

         La distinction est approfondie par Léon Blum, commissaire du gouvernement au Conseil d’Etat avant de faire de la politique : dans un arrêt d’assemblée du 3 février 1911, arrêt commune de Mesle-sur-Sarthe, Léon Blum atténue le raisonnement par le critère organique de ses prédécesseurs. La question était de savoir si une entreprise publique d’électricité gérée en commun par une commune et une personne privée doit être soumise à la patente (ancêtre de la taxe professionnelle). Poser cette question revient selon Léon Blum à se demander si l’éclairage public doit être considéré comme un service public ou privé (en 1911). Pour répondre à cela, Léon Blum distingue 2 types d’activités : les activités commerciales et les activités non commerciales (celles produisant un bénéfice, et celles n’en produisant pas). Il ne s’agit pas d’identifier un bénéfice réel, effectif, mais d’identifier une situation dans laquelle le bénéfice est possible. Il s’interroge sur les conditions de l’échange économique. Cet échange économique, parce qu’il y a rencontre de 2 intérêts, est-il susceptible de produire un bénéfice ? Va-t-il accroitre le patrimoine de l’entreprise ayant opéré l’acte d’échange, ou au contraire, cet échange ne produira pas cet accroissement de patrimoine, ce bénéfice. Ce raisonnement montre qu’en raisonnant sur le critère économique, on est amené à examiner matériellement comment se déroule un service privé ou public. Or, en 1911, la solution retenue dans cet arrêt consiste à admettre que dès lors qu’un échange est susceptible de produire un bénéfice, l’activité est industrielle et commerciale, et est donc rattachée à la gestion privée. On n’éprouve pas le besoin de qualifier l’activité de service public.             

         – Parce qu’il y a un accroissement du patrimoine, on se trouve dans les conditions du droit commercial ordinaire.

         Avec l’arrêt Bac d’Eloka, les choses se compliquent : on raisonne en admettant qu’il y a une activité d’intérêt général gérée dans les conditions du droit privé. Même si Blum n’était pas commissaire, le commissaire Mater s’intéresse aussi aux conditions de l’échange. Les conditions dans lesquelles le bac est géré est une condition dans laquelle la personne publique peut s’enrichir. Il rattache le contentieux au droit privé, et qualifie lui-même le service de service industriel et commercial. Cette solution conduit à confier à des juges judiciaires la connaissance de litiges d’indemnisation, de responsabilité civile, mais une responsabilité des personnes publiques. Ce que le Conseil d’Etat comprend très bien à partir de janvier 1921 est qu’une partie du contentieux pour lequel il se sent indispensable risque de lui échapper. Si l’on admet que toutes les activités d’intérêt général exercées dans les conditions du droit commun sont de droit privé, une partie du contentieux de droit public échappera à la compétence administrative. Pour endiguer l’hémorragie, ces activités procèdent du droit privé, mais comme il y a un intérêt général, on peut les qualifier de service public, et les rattacher à la juridiction administration. La solution est de considérer que ces activités, comme il y a un intérêt général, ce sont des activités de service public.

         CE, 23 décembre 1921, arrêt société générale d’armement : le Conseil d’Etat considère non plus la notion de service industriel et commercial mais de SPIC. C’est un peu l’avènement du christianisme, on distingue les anciens SPA (« les services publics » jusque là) et les nouveaux SPIC. Cette invention ne procède pas d’une nécessité absolue s’imposant aux juges.

         Dans les années 1950, on a cru qu’une troisième catégorie allait naitre, la catégorie des services publics sociaux. Arrêt Naliato contre l’Etat du tribunal des conflits du 22 janvier 1955 : lors d’une colonie de vacances du personnel, un enfant est victime au cours d’une séance de jeux, et le père demande le payement de dommages et intérêts et exerce une action devant le juge civil. Bien évidemment, on élève le conflit et on explique que le juge civil est incompétent. Le Tribunal des Conflits explique qu’il y a un but d’intérêt social que visent les personnes publiques lorsqu’elles organisent des colonies de vacances. Ce but d’intérêt social « imprime à cette organisation le caractère d’un service public ». Dans l’affaire, la compétence est bien celle des juges civils. Ce qui frappe la doctrine, c’est que le but d’intérêt social peut qualifier un caractère de service public. Malgré tout, cette catégorie ne s’est jamais imposée par la suite et le Tribunal des Conflits a mis fin à cette lueur dans un arrêt du 4 juillet 1983, arrêt Gambini. Ici, le Tribunal des Conflits conclue que le litige relève de la compétence administrative, mais non pas en se fondant sur un intérêt social, mais parce que le village de vacances ne fonctionnait pas dans les conditions du droit privé, mais dans les conditions du droit public.

 

  1. B) L’identification de ces catégories

 

                   De même qu’il n’y a pas de Service Public par nature, il n’y a pas de SPIC ou de SPA par nature. Cette distinction est très artificielle et parfaitement contestable. Il existe des qualifications textuelles qui vont s’imposer au juge.

 

1) Les qualifications textuelles

 

                   Si un Service Public est géré par une personne publique, il arrive qu’il le soit par un établissement public. En créant un établissement public par un texte, ce texte peut qualifier le Service Public (ex. l’ADEM). Inversement, si l’établissement est considéré comme administratif, le service est administratif. Dans certains cas, la loi qualifie expressément l’organisme, soit le service lui-même. Dans ces cas-là, l’identification est assez simple. Parfois, le décret est utilisé pour créer un établissement public auquel on confie la gestion d’un service. De sorte que toutes les qualifications textuelles ne s’imposent pas au juge administratif de la même façon. Il n’est pas le juge de la loi, mais le juge du décret. Si le décret  lui semble avoir fourni une qualification inadéquate, il pourra revenir sur cette qualification.

         Soit la qualification émane de la loi, et le juge administratif se contentera d’enregistrer cette qualification, sans la discuter. Lorsque la qualification résulte d’un décret, le juge administratif revient sur cette qualification. Arrêt des sociétés distilleries bretonnes, 24 juin 1968 du Tribunal des Conflits : il était question du FORMA (Fonds d’Organisation et de Régulation des Marchés Agricoles), aide aux agriculteurs pour des pertes imprévues, établissement industriel et commercial selon le décret. Si un organisme censé fournir de l’aide est qualifié d’industriel et commercial, on peut considérer qu’il sert un SPIC. Il apparait pour le Tribunal des Conflits que l’action de ce FORMA est une action purement administrative, les aides étaient distribuées sans que le fonds ne retire aucun bénéfice de ces subventions. Parce que l’action est purement administrative, il faut pousser la logique jusqu’à son terme. Si l’action est administrative, le Service Public est SPA.

         Cette jurisprudence a donné lieu à une assez grande confusion, ayant conduit les observateurs à qualifier deux types d’établissements publics :    

         – il y a ceux au visage inversé (les établissements publics mal qualifiés par le décret, et requalifiés par le juge). Un EPIC deviendra un EPA, et le Service Public qu’il gérait deviendra SPA. Ex. ANPEEC = SPA, alors qu’elle était EPIC par décret.

         – Il y a ceux à double visage, ceux ayant à la fois un SPIC et un SPA. Ex. l’établissement public qu’est les « voies navigables de France ». Il est chargé de deux activités : exploiter les bords des fleuves à des fins commerciales (locations d’emplacements pour vivre sur une péniche) et une activité de police (organiser l’occupation du domaine public navigable). La première était une activité commerciale de droit privé, la deuxième est une activité de police administrative, purement administrative, d’autorité, et d’organisation domaniale. Ce cas n’est pas isolé. Le centre français du commerce extérieur était un organisme industriel et commercial, mais avait aussi une activité administrative. Les critères permettant d’identifier la part administrative de la part industrielle et commerciale ne sont pas toujours faciles à analyser.

         Le juge utiliser la technique du faisceau d’indices. Arrêt assemblée. USIA, 16 nov. 1956, le juge administratif affirme deux choses : lorsqu’il s’agit de distinguer un SPA d’un SPIC, le juge pose une présomption. Elle se fait en faveur du caractère administratif du service. Dès lors que le juge est confronté à une activité de SP, il présume que c’est une activité administrative. Cette présomption est réfragable. Elle peut être renversée si après analyse, 3 indices montrent que le service s’en éloigne :

         – L’objet du service, la substance même de l’activité, la nature de la prestation.

         – Le critère des ressources du mode de financement du service : le service est-il financé par des usagers privés, ou financé majoritairement d’une taxe fiscale qui relèverait d’une taxe fiscale. Lorsque les usagers contribuent au service, on appelle cela des redevances. Une redevance, c’est un prix. C’est un des indices mis en avant dans un arrêt Hofmiller de 1992. Il est arrivé au juge administratif, alors même qu’une activité était exercée dans la plus pure gratuité soit qualifié d’industriel et commercial.  Il est arrivé qu’un financement forfaitaire et inférieur au coût réel soit considéré comme un service industriel et commercial.

         – Les modalités de fonctionnement ou de gestion du service. Ce sont les conditions dans lesquelles le service est géré. C’est l’aspect plus organique, plus institutionnel de la distribution du service. L’organisme qui fournit le service est-il soumis aux règles de la comptabilité publique. Si les règles de la comptabilité publique sont appliquées, on le rattachera à l’administration, et inversement, s’il est financé par le privé.

 

         – Le critère le plus précis est celui du mode de financement du service, où l’on oppose ceux financés par les usagers et ceux financés par une taxe. Si ce critère est le plus précis, on n’en tire pas nécessairement les conséquences qu’on y attache a priori. Parfois, le Service Public est financé par la taxe, et pourtant on le qualifie de SPIC, et inversement.

         – Le financement des services peut se faire au moins selon 3 formes.

                   * On fait appel au forfait (système dans les transports urbains, enlèvement des ordures ménagères).

                   * Il y a le tarif binôme : un abonnement qui couvre les charges fixes (EDF, GDF, eau…).

                   * Le tarif proportionnel, établi pour un coût moyen (eau, transports…).

 

         – Le Service Public Administratif est la catégorie originelle de Service Public. En 1921, on a inventé les SPIC.

 

         Cette distinction entre les SPIC et les SPA se retrouve-t-elle en droit communautaire ?

 

  1. C) Les notions juridiques de Service Public au sens communautaire

 

                   La raison d’un malentendu entre le Service Public à la française et ce que le droit communautaire entend par SP, il faut mesurer l’écart entre le raisonnement français et le raisonnement communautaire. En France, le Service Public est originellement associé à l’idée de la puissance publique. La question est d’encadrer l’activité en encadrant son champ de compétences. Le Service Public est une activité d’intérêt général, car il va de soi fin XIX que les personnes publiques n’ont d’autre finalité que de poursuivre l’intérêt général.

 

         Les activités des personnes publiques ont une dimension économique, mais il n’y a pas besoin d’évaluer cette dimension. Le droit communautaire n’a d’autre finalité que de favoriser les échanges économiques entre Etats membres. Donc, la notion d’activité économique est une notion clef. Elle est le critère permettant de distinguer les activités tombant sous l’autorité du Droit communautaire et toutes les autres, échappant au droit communautaire. Par ailleurs, le Droit communautaire ne connait pas au critère organique l’importance que le Droit français lui reconnait. Il est difficile de respecter les critères institutionnels de tous les pays, et il est plus facile d’attraper les activités économiques selon la façon que les personnes ont d’appréhender les activités économiques. La communauté distingue les activités économiques et celles qui ne le sont pas. Le fait que la personne soit publique ou non ne compte pas pour le moment.

 

         En Droit communautaire, nombre de notions sont en construction. En réalité, le droit communautaire ne bénéficie pas de l’antériorité du Droit français. Le droit communautaire est un bricolage auquel chacun apporte sa contribution.

 

1) Le Service d’Intérêt Economique Général (SIEG)

 

         Mais, pour autant, l’idée de Service Public n’est pas complètement étrangère au Droit communautaire. C’est la notion de Service d’Intérêt Economique Général (SIEG) qui importe. Le terme « économique » montre qu’on est dans le champ du droit communautaire, qu’on sert des activités économiques. Cette notion apparait dans le traité de l’UE, article  86, § 1er, ancien article  90 § 1. Cet article prohibe en principe l’octroi de droits exclusifs et spécifiques accordés par les Etats membres à des entreprises qu’elles soient privées ou publiques. Le principe posé à l’art. 86 § 1er est un principe d’avantages qui pourraient conduire une entreprise à bénéficier d’une situation de monopole dans un domaine économique. Au § 2, l’exception intervient : s’il bien un principe de prohibition de droits exclusifs accordé aux Etats membres, il y a une exception pour les entreprises chargées d’un SIEG. Cette exception est différente de ce qu’on aurait pu trouver en Droit français. Ces entreprises sont soumises en principe aux règles de la concurrence, sauf si ces règles rendent impossibles la gestion des SIEG qu’elles prennent en charge. Encore une fois, ce n’est pas une exception nette au principe posé au 1er §, mais une exception en cas d’incompatibilité. Il ne faut pas prouver qu’on gère un SIEG pour être exonéré des règles de concurrence, mais justifier que les règles de concurrence font échec à la mission particulière dont sont investies les entreprises qui gèrent un SIEG.

 

         La présomption est différente de celle en Droit Français qui est : si on gère un SP, on ne se trouve plus dans une situation ordinaire, sauf si la personne publique ne fait pas valoir les attributs qui s’attachent à sa qualité de personne publique. En droit communautaire, la concurrence doit s’appliquer, elle s’applique toujours, sauf si la concurrence est incompatible avec la SIEG.

 

         Le 3ème § indique que la commission veille à l’application de l’art. 86 § 2, c’est-à-dire que la concurrence soit le plus fréquemment appliquée. La commission veille aussi à certains critères pour justifier que l’activité de SIEG soit sous le coup du droit de la concurrence, et une ultime autorité intervient : la CJCE. Cette CJCE a recours à un ensemble de critères permettant d’identifier les cas où les SIEG échapperont aux règles de la concurrence. Quelles sont les conditions pour que l’on reconnaisse à une entreprise une activité d’intérêt général ? Il faut :

 

  1. a) Un acte de puissance publique

 

                   La CJCE a reconnu que tout type d’intérêt économique général s’entendait comme une activité exercée par une personne publique ou privée mais dont l’exercice a été confié par un acte de puissance publique. Cet acte peut être contractuel ou unilatéral (il peut y avoir un contrat entre une personne publique et une personne privée, comme une délégation), le fait est qu’il faut un texte permettant d’identifier les obligations spécifiques qui pèsent sur l’entreprise, et qui permet d’identifier une mission d’intérêt général qui ne serait pas celle de toute entreprise ordinaire. La CJCE souligne qu’une simple autorisation de puissance publique ne permet pas d’établir la matérialité d’un Service Public.

 

  1. b) La nature de l’entreprise concernée n’a pas d’influence sur la qualification du service

 

                   Le droit communautaire a une conception de l’entreprise qui est extrêmement formelle : « est entreprise toute entité exerçant une activité économique, quel que soit son statut juridique, son mode de financement ou encore son lien de rattachement à une personne publique » (CJCE). Sont dites économiques les activités « de caractère industriel et commercial, consistant à offrir des biens et des services sur le marché ».

         L’avantage de ces définitions est qu’elles sont floues, leur champ d’application est difficile à cerner, mais c’est aussi leur inconvénient. On ne connait pas les limites de ces « définitions ». Tout ce que l’on a examiné jusqu’à présent en droit communautaire, ce sont des activités ayant une dimension économique.

 

         Pour autant, on souligne que la notion de marché est entendue de façon restrictive. Dans un arrêt Poucet contre AGF de 1993, la CJCE (Cour de justice des communautés européennes)  doit être apprécié le caractère juridique des caisses de Sécurité Sociale : les régimes de Sécurité Sociale reposant sur un système d’affiliation obligatoire ne sont pas des activités de nature économique parce qu’ils sont indispensables à l’application du principe de solidarité, et parce que l’affiliation obligatoire est nécessaire à l’équilibre financier de ces régimes. N’est pas économique une activité financée de manière obligatoire par la loi. Le critère est le mode de financement : dans un cas, il fait appel à la taxe ou à l’autorité publique (ce n’est plus un marché), dans un autre il fait appel aux usagers du service (on est alors probablement sur un marché). Il y a une marge énorme, car il est rare que des services soient uniquement financés par la taxe ou uniquement par le marché. Comment fait-on la différence, comment imaginer que la logique institutionnelle ne donne pas lieu à un affrontement entre les autorités nationales voulant conserver les activités hors du marché, et les autorités communautaires poursuivant une logique concurrentielle et économique ?

 

 

 

        

  1. c) Le caractère d’intérêt économique général de l’activité relève très largement de l’appréciation de la CJCE

                  

         L’activité d’intérêt économique et général doit présenter une spécificité. Cette exigence a été formulée par la CJCE (arrêt à propos du port de Gênes en 1991 ; du courrier transfrontalier en 2000, arrêt Deutsche Post).

         Deux décisions de 1993 et 1994 sont importantes dans la jurisprudence de la cour :

         – 19 mai 1993 : Paul Corbeau, à propos des activités postales. Il s’agit d’un service postal considéré comme un SIEG, parce que l’autorité publique impose à l’entreprise certaines obligations qui ne sont plus seulement des obligations concernant l’activité économique de cette entreprise, il y au fond un but social : l’aménagement du territoire. Les obligations correspondant à ce but social sont des obligations de distribuer et de relever le courrier sur l’intégrité du territoire, à des tarifs identiques quelque soit le coût de revient du service. Il y a une obligation juridique que cette activité soit ouverte à la concurrence. Cette distribution des plis ordinaires sera bientôt ouverte à la concurrence en janvier 2008.

         – 27 avril 1994 : commune d’Almelo. Le service est considéré comme un SIEG car la concession (contrat) d’électricité passé entre une commune et une entreprise impose l’obligation de distribuer l’électricité sur le territoire, à tous les consommateurs et dans les quantités demandées à tout moment, et ce à des tarifs uniformes. C’est le même service, pour tout le monde, dans les mêmes conditions et au même tarif. Là encore, les obligations sont telles que l’entreprise d’électricité n’est pas dans les conditions de n’importe quel commerçant (faisant payer à ses clients les coûts du service). L’activité échappe aux conditions du marché et n’est pas à proprement parler économique.

        

         Ces SIEG ne recouvrent-ils pas les SPIC ? Il faut rester extrêmement prudents sur cette analogie, car la logique à l’œuvre dans l’utilisation des deux catégories n’est absolument pas la même. La catégorie des SPIC est une catégorie qui a surtout servi à justifier que des personnes publiques agissant comme des personnes privées demeurent partiellement soumises au droit public (soustraction au droit privé). Elles le sont pour peu de choses : pour la part réglementaire de leur activité (le règlement qui fixe les modalités de fonctionnement de l’activité est un acte administratif). La catégorie des SIEG justifie un régime juridique spécifique, c’est-à-dire la soustraction de l’entreprise aux règles de la concurrence, mais sans pour autant que cela entraine des compétences en terme juridictionnels. L’identification d’un SIEG n’a aucune espèce d’importance au plan de la compétence juridictionnelle. On admettra que les règles de concurrence ne s’appliquent pas. La portée n’est pas la même.

         Peut-être que le SIEG est plus proche du Service Public que du SPIC. L’exception qui s’applique à l’identification d’un SIEG ressemble plus à un SPA. Ce ne sont pas des activités relevant d’un marché, et pour cela, on n’applique pas les règles ordinaires du Droit français, soit les règles communautaires de concurrence. La proximité des deux notions est alors beaucoup plus évidente. Les présomptions qui sont à l’œuvre ne sont pas du tout les mêmes. En Droit français, on part du présumé qu’une personne gérant un Service Public a un intérêt général. Cette présomption est bien évidemment réfragable.

 

2) La notion de service universel apparue en Droit français.

 

                   La notion a été mise en avant par l’entreprise AT&T s’occupant du télégraphe et du téléphone fin XIX siècle. En 1893, le brevet Bell expire. Toutes les entreprises voulant faire du téléphone peuvent le faire dans des conditions de concurrence extrême. Peu à peu s’installe le monopole naturel, de fait. Sauf que ce monopole allait à l’encontre de l’interdiction juridique existante, de l’organisation de cartels et du regroupement abusif d’entreprises pouvant abuser de leurs situations de monopole. AT&T pour justifier son monopole naturel a eu l’idée d’un service universel, en expliquant qu’au fond, il est des systèmes qui parce qu’ils sont interdépendants, intra-communicants, sont les seuls à même de fournir un service de qualité aux clients. Au lieu de dire que leur service était monopolistique et dominant, ils ont dit qu’il était universel. En vendant cette idée, ils ont fait obstacle aux règles de la concurrence, et ont réussi à procéder à l’unification des différents systèmes de téléphonie et ont constitué un gros monopole. Cette notion de service universel a été fortement critiquée. En 1982, un tribunal de Colombia a contesté la notion de service universel et a éclaté les réseaux de AT&T. Bizarrement, parce que l’Europe est indépendante par rapport aux Etats-Unis, la notion est revenue du côté de la commission européenne et a été introduite en Europe par les Anglais, et notamment par M. Tchatcher.

         Les Français ont cru que c’était l’équivalent du Service Public à la française. Le service universel est un « service de base, dans un environnement concurrentiel, offert à tous, dans des conditions tarifaires abordables, et avec un niveau de qualité standard ». Cette notion a permis de justifier certaines obligations imposées à des opérateurs originellement publics, qui se retrouvaient mis en situation de concurrence. Le service universel postule qu’il y a une situation de concurrence. Le service universel, ce sont des obligations imposées à un opérateur sur un marché et qui justifient que cet opérateur bénéficie de certains avantages par rapport à d’autres. C’est le cas de France Télécom aujourd’hui. Il bénéficie de certains avantages, en raison du maintien de cabines téléphoniques dans les villes par exemple. Il a aussi pour obligation d’entretenir les réseaux de téléphonie.

         – La notion de service universel permet lors de l’ouverture à la concurrence de certaines activités monopolisées que des obligations spécifiques soient reconnues à certaines entreprises qui sont investies de certains pouvoirs, contreparties de ces obligations.

 

         Service universel/SIEG ?

         Pour certains, ces deux notions se recoupent déjà. Les notions restent très floues, et on ne peut pas considérer aujourd’hui une réelle différence mais sans pourtant identifier les points communs. Ce sont deux notions utilisées dans deux contextes différents. Le SU a été utilisé dans un contexte de services en situation de monopoles, tandis que le SIEG a été utilisé en vue de soustraire certaines entreprises intervenant sur un marché aux règles de la concurrence, car elles étaient incompatibles avec leur mission. La notion de SU, intégrée en Droit français, ex. article  L35 loi de 1996 sur la réglementation des télécommunications explique qu’il y a un SU de la téléphonie, de qualité, pour tous, à des prix abordables, restreint aux seules prestations téléphoniques sur l’ensemble du territoire (cela exclue l’annuaire, de n° payants).

 

         Va-t-on vers une conception européenne du Service Public ?

         Le Droit communautaire fait-il place à une notion de Service Public commune à tous les Etats membres ? La notion de Service Public européen, si au fond il existe à travers une jurisprudence relative au SIEG, il ne recouvre certainement pas des notions internes, et l’on pense difficilement que cette notion de Service Public européen est terminée. On en voit des traces, et on admet que certaines activités échappent à la concurrence, mais la liste de ces activités est à créer.

 

Section 2 : Création et suppression des services publics

 

  • 1 : L’acte de création et l’acte de suppression

 

  1. A) Un acte de la puissance publique

 

                   Comme pour le droit communautaire, une personne publique doit être à l’origine de la création (originelle) d’un Service Public. Une personne publique ne peut s’auto investir d’une mission de Service Public. Il faut un acte, pouvant prendre des formes très différentes. Ce peut être un contrat (écrit, oral) ou un acte unilatéral (loi, décret, règlement).

         On a cru un moment à des services publics virtuels, dans un arrêt de 1944, Compagnie maritime de l’Afrique Orientale, le commissaire du gouvernement Chenot laissait entendre qu’il y aurait peut-être des Service Public potentiels, et que ces activités de Service Public potentiels pouvaient se voir reconnaitre le statut de SP, sur simple autorisation de l’Administration, et sur une obligation par le juge d’une autorisation de Service Public. Cette théorie laissait une marge au juge et surtout aux entreprises, pouvant se définir comme agissant dans le cadre d’un Service Public et rechercher des autorisations. Il faut un acte formel, et qui ne soit pas seulement une autorisation, mais aussi un acte encadrant une autorisation de Service Public qui pèse sur une personne privée ou une autre personne publique. Seules les personnes publiques peuvent créer des Service Public.

         Quelle est l’autorité compétente ?

 

  1. B) L’Etat et les collectivités locales

 

         – Avant 1958, pour l’Etat, il y avait un principe républicain non écrit en vertu duquel il semblait entendu que seul le Parlement pouvait créer un Service Public d’Etat. Sous l’empire de la Constitution de 1958, ce principe a été très largement battu en brèche par la distinction entre l’art. 34 et 37 de la Constitution. La compétence de principe en matière de création de Service Public est plutôt celle du pouvoir réglementaire de l’art. 37, la loi étant en vertu de l’art. 34 compétente pour créer des catégories de SP, mais pas pour créer des Service Public en tant que tels.

 

         L’affirmation est à nuancer, avec toutes les observations du Conseil Constitutionnel quant à ces articles 34 et 37. Finalement, la compétence du législateur n’est plus limitée à l’article 34 (cf. article  72, 3…).

 

         Le Parlement est en revanche compétent lorsque les Service Public portent sur certains domaines relevant explicitement du législateur et que l’on associe à l’Etat : justice, SS (loi de financement de la SS)…

 

         Ce qui vaut pour la création vaut pour la suppression. L’autorité qui créé le Service Public est seule compétente pour le supprimer. Ce qui est créé par le règlement ne peut être supprimé que par le règlement.

 

         – Pour les collectivités locales, la décision de création et la décision de suppression relève de l’organe délibérant de la collectivité locale (conseil municipal – commune…). Exception : établissements publics de coopération intercommunale, qui sont en fait des collectivités locales plus qu’autre chose.

 

  • 2 : L’étendue des pouvoirs de décision et de création de l’Etat et de chacune des collectivités locales

        

         Ce pouvoir de création des Service Public est relativement discrétionnaire, mais il y a des limitations imposées par d’autres normes, et d’autres par le juge.

 

  1. A) Les limitations imposées par d’autres normes

 

                   L’Etat est lié par les conventions internationales. Il s’engage et conformément à une norme traditionnelle, il doit tenir ses promesses et honorer les conventions. Lorsque l’Etat Français adhère à une convention internationale qui suppose la création d’un SP, l’Etat se doit de créer ce service, et son pouvoir de création est contraint. Certains Service Public sont rendus obligatoires par les textes. Ex. convention de Genève sur les réfugiés et apatrides : tout Etat qui adhère à cette convention créé un organisme chargé de traiter ces demandes (création de l’OFPRA).

         Est-ce que la Constitution impose à l’Etat la création de certains services publics ? La question s’est posée en 1986 après que le Conseil Constitutionnel eut affirmé les 25 et 26 juin que la nécessité de certains Service Public nationaux découle de principes ou de règles à valeur constitutionnelle.

         Plus tardivement, dans une décision du 18 septembre 1986, le Conseil Constitutionnel parle de l’existence et du fonctionnement de ces Service Public exigés par la Constitution. Juste après 1986, le Conseil Constitutionnel s’est mis à imaginer des Service Public constitutionnels (mais on ne les connait pas : peut-être un Service Public de la police, de la justice, de l’armée, des prisons…).

         Les collectivités locales n’adhèrent pas encore d’elles-mêmes à des conventions internationales. La Constitution n’impose pas la création de certains Service Public aux collectivités territoriales. L’obligation de la création de certains Service Public relève de la loi pour les collectivités (maintien de l’état civil dans les mairies ; les mairies le font au nom de l’Etat). Il y a des lois qui ont imposé la création de certains Service Public à des communes et qui leur imposent l’obligation de financer. C’est le cas des pompes funèbres ; par ex. toute commune doit disposer d’un service de pompes funèbres. Toute commune doit disposer d’un centre d’enseignement primaire. Il y a des cas d’obligation de création, et le problème qui se pose est le problème du financement. Lorsque la loi impose de créer un SP, elle doit concrètement le financer. La question est de savoir comment les collectivités locales vont le financer ? L’Etat fait-il un transfert, ou les collectivités doivent-elles trouver un mode de financement autonome.

                  

  1. B) Les limites de forme et de fond

 

         –  Il y a d’abord des limites de forme qui tiennent à la compétence des autorités. L’Etat dispose d’une compétence générale, il n’est donc jamais soumis à un quelconque principe de spécialité de sa mission, et peut donc a priori créer tous les Service Public qu’il entend créer, sauf évidemment s’il empiète sur des normes de fond imposées par le juge administratif.

         En outre, le principe d’indivisibilité de la République (cf. Constitution) à conduit à penser que l’Etat devait conserver certains Service Public et ne pas les transférer aux collectivités territoriales. C’était une imposition en matière de décentralisation. Cela a été changé selon la disposition constitutionnelle selon l’organisation de l’Etat était décentralisée.

         Le problème se pose surtout pour les collectivités locales : la compétence des collectivités en matière de création des Service Public relève essentiellement de la loi. La grande loi qui procède à cette attribution de compétences est la loi de 1982, suivie par une loi de janvier 1983. L’idée est que l’on a confié dans ce processus de décentralisation de 1982 une compétence générale aux collectivités locales pour ce que l’on a appelé les affaires relevant de leurs compétences. Ce sont celles que la loi leur attribue, au coup par coup, et en 1982 la loi prévoyait de nombreuses compétences en matière sociale, d’enseignement, d’aide économique. Les collectivités sont tenues de ne pas empiéter sur le domaine de compétence des autres collectivités ou de l’Etat.

         Evidemment, la limitation des compétences de chacune des collectivités territoriales en France prête à confusion : en matière d’enseignement, on sait que certaines collectivités s’occupent de l’enseignement primaire et secondaire, que les départements construisent des universités (mais parfois ce ne sont pas vraiment des universités, d’où conflits).

         – Le principe est posé, mais le contenu est mal défini. Le principe le plus clair est celui qui s’applique aux établissements publics, organismes créés par d’autres collectivités locales, soumis à un principe de spécialité, non définis territorialement et donc non investis d’une compétence générale. Les établissements publics peuvent être nationaux (université) ou municipaux (bains douches municipaux). Cela suppose que la mission des établissements publics soit bien définie.

         Tous ces principes ne sont pas rigoureux, car ces acteurs sont économiquement importants et que l’on n’a pas voulu limiter leur marge de manœuvre.

 

         –  L’obligation de respecter des règles de fond :

         D’abord, la personne publique doit respecter la liberté du commerce et de l’industrie en créant un Service Public. Cette liberté de type économique a été érigée en un principe général du droit et reconnu par un arrêt chambre syndicale du commerce en détail de Nevers du Conseil d’Etat, le 30 mai 1930. Les conseils municipaux ne peuvent ériger des entreprises en Service Public communaux que si un intérêt public le justifie en raison de circonstances particulières de temps et de lieu.

         Pour créer un Service Public relevant de la compétence d’une personne publique, encore faut-il qu’il y ait un intérêt public, lui-même déterminé par des circonstances de temps et de lieu. Cet arrêt a été interprété comme allant dans le sens du libéralisme économique.   C’était une des tendances qui se dessinaient à partir des années 1920. Les communes avaient entrepris de se substituer à cette initiative privée, et à faire ce que des personnes privées faisaient. Le danger était de les voir évoluer vers une situation où elles empièteraient sur l’activité privée. À force de multiplier les entreprises comme Service Public communaux, les communes empêcheraient la création d’entreprises purement privées !

 

         Il a fallu tempérer ces ardeurs, même s’il faut reconnaitre qu’il y a toujours eu beaucoup d’ambiguïté dans l’interprétation de cette norme. Le libéralisme économique dont on taxait le Conseil d’Etat était modeste pendant de nombreuses années.

         Le Conseil Constitutionnel a fait usage d’une idée de liberté publique, comme quoi le Conseil Constitutionnel devait préserver la liberté économique des acteurs privés. En 1952, lors des nationalisations, le principe de la liberté d’entreprendre a eu une valeur constitutionnelle.

         Cette liberté d’entreprendre n’est ni générale, ni absolue, mais est censée faire obstacle à des restrictions arbitraires ou abusives, qui seraient apportées par l’Etat à la liberté d’entreprendre des personnes privées. On en a déduit au fond que ce que le Conseil Constitutionnel cherchait à dire en 1982, c’est que si la France est une République sociale, elle n’est pas une République socialiste, communiste où domine l’initiative publique. Pour autant, le Conseil Constitutionnel n’indique pas à quelles conditions on passe d’une République sociale à une République socialiste. La consécration de cette liberté d’entreprendre permet de faire prévaloir un principe de concurrence.

         Le Conseil d’Etat a une interprétation nuancée de cette liberté du commerce et de l’industrie, qui se rapproche de la liberté d’entreprendre : le Conseil d’Etat considère que cette liberté devait être sous la protection du législateur lui-même. Après avoir posé ce principe de limitation en le formulant avec l’expression « commerce et industrie », il a renvoyé l’affaire du côté du législateur : l’intervention publique devait être limitée à ce que la loi prévoyait elle-même. Le Conseil d’Etat n’a pas eu l’occasion de sanctionner au profit de cette liberté du commerce et de l’industrie.

         – Cela est surtout une justification à la création de Service Public qu’une justification à la suppression de Service Public locaux.

         Ce principe s’impose aux établissements publics en cas d’extension de leurs compétences à d’autres activités. On a comme cela le cas de certains établissements publics qui ont une compétence initiale, mais qui les conduit à développer une autre activité qui risque d’empiéter sur l’activité des personnes privées. Pour limiter cet empiétement et les effets anticoncurrentiels, l’arme du Conseil d’Etat a été celle de la liberté du commerce et de l’industrie.

        

         – La liberté du commerce et de l’industrie ne concerne que la création ou le champ d’intervention d’une personne publique qui gère le Service Public : le Conseil d’Etat n’a jamais fait usage de ce principe lorsqu’une personne publique prenait l’initiative de supprimer un Service Public.

         – La liberté du commerce et de l’industrie voit son champ d’application limité par un autre principe : le principe d’égale concurrence entre les opérateurs économiques, que ces derniers soient publics ou privés, principe qui découle directement du Traité de Rome, donc du droit communautaire et intégré dans le droit Français par la jurisprudence du CE (mais qui figurait déjà dans l’ordonnance de 86 sur la concurrence).

         – La liberté du commerce et de l’industrie apparait vieillie aujourd’hui, car ce qui caractérise ces 20 dernières années est le droit de la concurrence…

 

         –  Le respect par les personnes publiques du droit de la concurrence : l’arrivée de la concurrence dans les Service Public n’est pas une nouveauté absolue. En réalité, les personnes publiques ont toujours eu une activité économique, et sont toujours intervenues dans l’économie. Cette intervention peut être directe, par le biais de subventions par ex. L’aide à l’activité économique peut se faire par des commandes publiques (commandes publiques de l’Etat Français auprès de Dassault, Boeing aux E-U). L’Etat peut créer des organismes qui peuvent avoir une activité économique, comme dans les années 1920. Les personnes publiques ont créé des entités parfois de nature privée, ou publique, et ayant vocation à intervenir sur le marché, dans les conditions du droit privé. Et pourtant, même en étant de nature privée, ils étaient rattachés à une personne publique, car ils agissaient à la place d’une personne publique (PP).

         Le Conseil d’Etat considère que lorsqu’une Personne Publique ou une Propriété privée agit dans le cadre du SP, mais dans les conditions du marché, elle doit être soumise au droit commun. À l’époque, il n’y avait pas de liberté de prix. Les entreprises devaient demander l’autorisation du ministre pour augmenter leurs prix. Ce système disparait au milieu des années 1980. Le point de départ a été l’influence du Traité de Rome et l’adoption du l’ordonnance de 86 relative à la liberté des prix. Cette ordonnance a créé le Conseil de la Concurrence chargé de régler cette concurrence et les litiges entre les opérateurs économiques, et d’appliquer les règles de la concurrence.

         L’ordonnance de 86 s’applique-t-elle également aux Service Public ?

                   – La question a d’abord été négative. On a pensé dans un premier temps qu’il n’était pas possible que cette ordonnance s’appliquât à des PP/Propriété privées (dans le cadre de leur mission de SP).

                   – De manière plus précise, on s’est rendu compte que l’organisation même d’un Service Public consiste en une série d’actes qui ne relèvent pas du marché, de la production de services ou de biens. Donc, tous les actes qui organisent un Service Public ne devraient pas relever de l’ordonnance de 86. Par ailleurs, l’organisation d’un Service Public en elle-même ne porte pas atteinte à la concurrence, ou de la fausser.

         – Ces 2 arguments étaient défendus avec dogmatisme. Les actes constituant l’organisation d’un Service Public ne concernent pas une activité marchande. On présuppose que l’organisation d’un Service Public ne relève que de la sphère administrative et que donc que des PP. Ce faisant, on privilégie une conception du Service Public qui est loin d’être la seule : parfois, les Service Public sont gérés par des Propriété privées ayant une dimension économique.

 

         L’organisation d’un Service Public comme ne pouvant pas restreindre le jeu de la concurrence est un argument contestable. On imagine parfaitement que l’organisation d’un Service Public vienne fausser le jeu de la concurrence et empêche des acteurs de présenter une activité commerciale. Dès 1989, une affaire permet de mesurer le côté dogmatique de ce problème : affaire de la ville de Pamiers (TC, 6 juin 1989, Ville de Pamiers).

         La ville de Pamiers a décidé de confier par contrat la gestion de l’eau à une entreprise privée, la « Lyonnaise des eaux » (contrat classique prenant la forme d’une concession). La ville de Pamiers a dû signifier à une autre entreprise, « SAEDE » (Société d’Aménagement et d’Exploitation De l’Eau), qu’elle ne renouvelait pas son contrat. La SAEDE estime avoir été empêchée de candidater pour ce nouveau contrat. Donc, elle saisit le Conseil de la Concurrence en estimant qu’il y a eu ici une décision qui faussait le jeu de la concurrence entre 2 entreprises privées pour la candidature à un contrat de gestion de l’eau.

         Le conseil de la concurrence est face à une demande embarrassante. L’entreprise privée conteste ce qu’à eu une autre entreprise privée, mais il y a une personne publique au milieu ! Le c. concurrence est-il compétent de connaitre de la décision d’une ville portant un contrat confiant la gestion d’un Service Public à une Propriété privée ? Le c. concurrence rejette la demande de la société au motif que la décision de la ville de Pamiers ne relève pas de l’ordonnance de 1986, des actes de production, de distribution ou de services.

         L’art. 53 de l’ordonnance prévoit que les règles de concurrence s’appliquent à des règles de production, de distribution ou de services, y compris celles qui sont le fait de Service Public. La société ne renonce pas et saisit la CA de Paris. La Cour d’Appel, à laquelle on a reconnu un bloc de connaissances pour appliquer ces règles de concurrence, se réjouit d’être compétente. Elle considère que la ville de Pamiers, en confiant le contrat à la Lyonnaise des eaux a exercé une action sur le marché. À partir de là se met en place une bataille terrible entre 2 camps : ceux défendant la position de la Cour d’Appel, et ceux défendant la position du conseil de la concurrence…

 

         – Personne ne saura jamais ce qu’est une activité de production, de distribution ou de services. Chacun avait donc raison autant qu’il avait tort. Pour certains, il y avait une opposition de nature entre l’organisation d’un Service Public et une activité de distribution ou de services, et pour d’autres non.

         TC, 1989, Ville de Pamiers : l’acte par lequel un conseil municipal attribue l’exécution d’un Service Public à une entreprise privée est un acte d’organisation des services publics (position de R. Chapus) et non un acte d’organisation, de distribution ou de services. Un tel acte ne fausse pas le jeu de la concurrence. Cette position a été suivie par le Conseil d’Etat.

         CE, 1993, Compagnie Générale des Eaux : est-ce que pour autant une PP, lorsqu’elle fait usage d’une PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE échappe aux règles de la concurrence ? La décision du Tribunal des Conflits de 1989 préserve-t-elle les Personne Publique du droit de la concurrence lorsqu’elles agissent dans le cadre de leurs PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE ?

         On s’est rendu compte qu’il fallait préciser certains points, notamment dans certains cas l’acte par lequel on organise le service peut avoir des effets au-delà de la pure organisation dans ce service, et donc des effets anticoncurrentiels. Il faut signaler :

         – CE section, 8 nov. 1996, Fédération française d’assurance et autre : à propos de la conformité d’un décret (du PR ou du PM) au regard des dispositions du Traité CEE de Rome de 1957. Ce décret accordait à une caisse d’assurance vieillesse un droit exclusif puisqu’elle se voyait octroyer exclusivement un régime d’assurance vieillesse. Ce décret est un acte d’organisation de services, et en même temps puisque cela se fait de manière exclusive, il y a un cas d’anti-concurrence. L’acte administratif n’était pas contraire au Traité de Rome, mais il pourrait le devenir « si l’entreprise en cause est amenée par le simple exercice du droit exclusif qui lui a été conféré à exploiter sa position dominante de façon abusive » (abus de position dominante, sanctionné par le droit de la concurrence).

         On a vu la même chose dans le cadre contractuel : on peut confier un Service Public par contrat.

         – CE section, 3 nov. 1997, Société Million et Marais : il s’agit d’un contrat par lequel une commune confie la gestion d’un service de pompes funèbres à une Propriété privée et évidemment, cette concession est confiée de manière exclusive. La société Million et Marais estime qu’il y a là octroi d’un droit exclusif, contraire au principe de concurrence, mais au lieu d’évoquer le traité de Rome, elle invoque les règles de la concurrence et l’art. 8 de l’ordonnance de 1986 sur la concurrence (L 420-2 du Code de Commerce). Le tiers au contrat qu’est la société Million et Marais estime que le contrat en lui-même porte atteinte au principe de concurrence, mais un principe qu’elle fait dépendre de l’art. 8 de l’ordonnance. Jusqu’à cette date, le Conseil d’Etat n’avait pas intégré l’ordonnance de 1986 parmi les sources normatives du Droit administratif. Sauf invocation du traité de Rome, l’activité d’une Propriété privée échappe aux règles de la concurrence tirées du droit interne. Le Conseil d’Etat considère que le contrat en lui-même n’est pas contraire à l’ordonnance de 1986 mais qu’il le deviendrait si la personne privée, en exerçant le droit exclusif que le contrat lui a conféré en venait à abuser d’une position dominante. Les effets du contrat pourraient le rendre illégal. Le Conseil d’Etat tente de préserver l’acte administratif en tant que tel. L’acte reste en lui-même un acte d’organisation du Service Public qui manifeste une certaine puissance. Cette puissance publique, à l’œuvre dans le SP, ou dans le contrat, ne saurait être soumise au droit de la concurrence, mais ses effets le seront.

         ATT. Le Conseil d’Etat perdrait un pan du contentieux administratif s’il cédait sur ce point !

        

         En matière de gestion du domaine public, une décision prise par Aéroports de Paris (ADP), motivée par une décision du Service Public aéroportuaire motive le juge du Tribunal des Conflits à poser un principe distinguant les activités de distribution de services et les activités de gestion du domaine public relevant d’une activité de Service Public. Le Tribunal des Conflits considère que la décision de regrouper à l’aéroport d’Orly des activités du groupe Air France et de refuser à la société TAT d’ouvrir de nouvelles lignes à partir d’Orly est une décision d’organisation de services, de gestion du domaine public, c’est donc un acte de puissance publique. La décision de réorganiser les aérogares échappe au droit de la concurrence.

         En revanche, obliger une compagnie aérienne à utiliser les infrastructures, les services d’assistance d’ADP, cette décision ne constitue plus un acte de puissance publique, et le Tribunal des Conflits considère que cette décision est détachable de l’acte administratif qui organise le service en procédant à la gestion du domaine public : TC, 18 oct. 1999, Aéroports de Paris.

         Que ce soit dans l’octroi de droits exclusifs ou dans la gestion du domaine public, le droit de la concurrence s’infiltre, mais tout en échappant, en omettant de s’appliquer à certains actes d’organisation de services. Ex. à propos de l’organisation d’un marché de vente de billets pour des compétitions sportives. Le fait pour une fédération d’imposer à ses adhérents l’achat d’un système de billetterie est considéré comme un acte de puissance publique échappant au principe et au droit de la concurrence. Il y a en revanche des décisions détachables de ces actes de puissance publique, et donc conférées au droit de la concurrence (juge judiciaire, CA de Paris, appliquant le droit de la concurrence à des Personne Publique et des Propriété privées agissant dans le cadre de production et/ou distribution de services).

 

  1. C) L’appréciation de l’opportunité de la décision de création d’un SP

 

                   On distingue la situation de l’Etat et celles des autres établissements publics :

         Pour l’Etat, que ce soit le législateur ou l’autorité réglementaire qui créé le service, il dispose d’une totale liberté d’appréciation lors de la création du service, et le juge administratif, lorsque c’est l’autorité réglementaire qui créé le service, a tendance à ne pas contrôler l’opportunité de la décision de création d’un Service Public.

         De même, le Conseil Constitutionnel, lorsqu’il est confronté à une loi créant un Service Public n’exerce aucun contrôle sur l’opportunité de cette création, au mieux invoque-t-il l’existence du Service Public constitutionnel, pas encore complètement identifié, mais dont on considère que le législateur et l’autorité réglementaire jouissent d’une totale liberté d’appréciation.

 

         Les établissements publics sont soumis au principe de spécialité, ils ne peuvent créer un Service Public qui ne serait pas dans la stricte continuité de leur activité initiale. Dans le cas d’une extension de l’activité, cette décision serait illégale !

 

         Pour les collectivités locales, le pouvoir d’appréciation des élus locaux reste très important, sous réserve de respecter la compétence de l’Etat, donc a fortiori la compétence des collectivités locales en matière de création de Service Public.

         Il y a une forte inégalité entre les diverses collectivités, le pays étant encore centralisé. Cette inégalité tirée des ressources fiscales explique la création de Service Public ici et non là. Ex. Les collectivités les plus riches ont des Service Public que d’autres ne peuvent créer.

 

  • 3 : La décision de suppression d’un SP

 

         D’une part, les autorités compétentes pour supprimer un Service Public sont celles qui étaient compétentes pour le créer, et d’autre part, on se demande pour quel motif on peut supprimer un Service Public ? Quelle liberté d’appréciation est laissée aux collectivités locales ou à l’Etat lorsqu’elles veulent supprimer un Service Public ?

         Les autorités disposent d’un large pouvoir d’appréciation, corollaire de leur pouvoir d’appréciation lors de la création. Si l’intérêt général n’est pas satisfait, et qu’un service est créé, elles peuvent par là même supprimer un Service Public au motif que l’intérêt financier n’est plus justifié, le service n’est plus rentable. Un service peut ne plus être rentable, car il n’y a plus de besoin à satisfaire (plus de bains douches car les Français ont des lavabos).

         On peut aussi supprimer un Service Public s’il est mis en place pour des raisons ponctuelles (notamment après la 2GM où des activités de Service Public ont été prises en charge par les communes puis supprimées), ou un principe d’adaptation faisant que l’on supprime un certain service. Ce principe peut être le corollaire d’un principe financier (un Service Public devient trop cher eu égard au contexte : électricité à gaz). Ce principe vaut pour les collectivités comme pour l’Etat, même si pour l’Etat un certain nombre de Service Public paraissent constitutionnels et donc au regard de la jurisprudence du CC, ces Service Public dits constitutionnels sont censés ne jamais être supprimés.

 

Section 3 : Le régime juridique des services publics

 

  • 1 : Principes fondamentaux du SP

 

         Ces principes fondamentaux du Service Public sont appelés les lois de Rolland (Louis Rolland, disciple de Léon Duguit). Dans les années 1930, il a essayé de faire la théorie des lois du Service Public (au sens scientifique). Ce seraient des lois qui s’imposeraient en ce le Service Public serait public. Il y a des lois qui régissent la nature, d’autres régissent le Service Public selon Rolland. Il y a plusieurs lois, dont le principe d’égalité : il faut rester sceptique sur cette loi, c’est un principe que l’on aménage. Ce principe consiste à dire que les personnes se trouvant dans la même situation doivent être traitées de la même façon. À situation identique, traitement identique. Comment identifier une situation identique à une autre ? Qui le fait, et à l’aide de quel critère ? Ce principe a été érigé en un principe général du Droit (découvert par le juge). Arrêt CE sect., 9 mars 1951, Société des concerts du conservatoire. Il a aussi été reconnu par le Conseil Constitutionnel.

         Ce principe découle directement de la Constitution. Il y a un article qui interdit à la loi de se fonder sur certains critères pour établir des différences de situation entre les individus (ex. une loi pour les blancs, et une loi pour les noirs). La Constitution interdit à la loi d’établir des distinctions sur le sexe, la race. La religion n’est pas non plus un critère, ni les opinions politiques. Le législateur ne peut pas tout faire. Cet article vient de l’article 1 de la DDHC. Ces dispositions constitutionnelles ayant été rappelées, on n’a pas attendu 1958 pour imposer à l’Administration de respecter des règles d’égalité dans la gestion des Services Publics.

         Il faut étudier la façon dont ces principes sont appliqués et comment on peut y déroger.

 

         Il y a plusieurs cas dans lesquels une collectivité peut déroger au principe d’égalité dans la gestion d’un Service Public :

 

         –  Lorsque la loi autorise la dérogation, cela vaut pour les Service Public rendus obligatoires par la loi elle-même (ex. toutes les collectivités ont l’obligation de permettre aux enfants d’aller à l’école municipale, et peuvent dans certains cas déroger au principe d’égalité en matière d’accès à l’école, et c’est ce qui autorise la carte scolaire).

 

         –  Un cas plus facile à utiliser pour les collectivités : lorsque la collectivité responsable du service parvient à justifier d’une différence de situation entre les usagers. Cette différence de situation doit en vertu de la jurisprudence administrative être objectivement appréciable, ou justifiée au regard des finalités du service. Une fois que l’on a posé cette règle, les problèmes commencent. Comment apprécie-t-on, dans quelle mesure justifier d’une différence de situation entre plusieurs personnes ? On peut tirer plusieurs objets de la nature même du service, mais il faut justifier de la pertinence du critère choisi. Cela peut justifier une limitation dans l’accès au service, soit une différenciation au regard des tarifs de ce service lui-même.

         – Les différences de situation et l’accès au service : une ville met en place un service d’allocations familiales, « congé parental d’éducation », et établissant une différence quant à ce congé (une somme) entre les Français et les étrangers. Une telle discrimination ne paraitrait pas justifier au regard du but du service, qui est d’aider les parents à éduquer leurs enfants. En 1990, la ville de Paris a eu cette idée. Seuls les Français avaient droit à cette allocation. La décision est apparue illégale et a été annulée. Percevoir ou non une allocation c’est accéder ou non à un service public. Distribuer de l’argent à ceux qui en ont besoin est aussi un Service Public.

         Ex. un service d’aide à domicile est mis en place par une ville. Cette ville réserve les bénéfices à ses seuls administrés, aux Nanterrois. Ce service établirait une discrimination entre des habitants de Nanterre et ceux n’y habitant pas, mais y travaillant. Mais, si c’est un service à domicile, il n’y a pas de raison pour que les autres puissent en bénéficier. Il y a une différence objective. Le critère du lieu de résidence peut être dans certains cas pertinent, mais tout dépend de la finalité du service. Mais peut-on utiliser une périphrase pour désigner le critère de la résidence : toutes les personnes ayant un lien particulier avec la commune pourront accéder à un conservatoire/école de danse… C’est ce que la ville de Dreux a imaginé en 1984, dans une délibération qui organisait une école de musique, l’accès était réservé à tous les enfants et adultes ayant un lien particulier avec la commune. C’est extrêmement vague. Ce peut être un lien de type ethnique, un critère historique… Plutôt que de parler des résidents de Dreux, elle a parlé de ce lien particulier. « Le lien particulier » cachait un critère de résidence. Le Conseil d’Etat a censuré cette décision tout en reconnaissant la pertinence du lien géographique particulier. L’exception est acceptable par le Conseil d’Etat, à la condition qu’elle ne soit pas un déguisement du seul critère de la résidence, non pertinent pour justifier d’une situation appréciable au regard de l’objet du service. In abstracto, le lien du critère particulier avec la commune est utilisable s’il ne masque pas un critère de résidence. Les commerçants, les parents qui n’habitent pas à Dreux se trouvent au regard de l’école de musique de la même situation et pourraient en bénéficier. Il y a des cas de limitations en matière de tarification du service.

         – Le critère géographique peut-il justifier une différence de tarif ? Dans les cantines scolaires, une commune peut-elle établir un régime différent en fonction des gens qui déjeunaient à la cantine ? Ceux qui ne vivent pas à Nanterre ne paient pas d’impôts locaux et ne financent pas la cantine à long terme. Inversement, ceux qui ont besoin de déjeuner à la cantine, ce sont ceux qui ne vivent pas à Nanterre, donc il serait anormal de les faire payer.

         Le juge administratif dans un arrêt CE sect., 5 oct. 1984, Commune de Lavelanais. Il y avait un tarif différent pour les gens qui habitaient la commune et les autres. Le commissaire du gouvernement trouvait que cela pouvait se justifier très largement. Pour éviter que le service de cantine devienne un restaurant de luxe pour privilégiés, le Conseil d’Etat a admis une différence de tarifs fondée sur le critère géographique, mais a exigé que le prix le plus élevé ne doit pas excéder le prix de revient du service.

         – La question du critère des ressources des usagers : peut-on établir une différence de tarifs fondée sur les revenus ? Le Conseil d’Etat semble avoir toujours refusé ce critère et on cite : CE, 26 avril 1985, ville de Tarbes : une différence de tarif fondée sur une différence des ressources n’est pas légale. Pour les services de loisirs (poterie, danse…), on ne pouvait pas se fonder sur le critère des ressources. Mais, pour les services sociaux (not. crèches), peut-être qu’une différence tirée des ressources pouvait se justifier. Pour le reconnaitre, on est passé par un intermédiaire, qu’est la reconnaissance d’un intérêt général.

 

         –  La troisième dérogation est celle tirée de la présence d’un intérêt général qui justifie une dérogation au principe d’égalité. La reconnaissance par le juge de l’existence d’un intérêt général permet d’établir des différences de tarifs en utilisant le critère des ressources. CE, 1989, Centre Communal d’Action Sociale (CCAS) de la Rochelle : la crèche est largement financée par les usagers, et il apparait justifié d’établir des différences de tarifs selon les revenus des usagers, mais non pas parce que cette différence de revenus en elle-même serait constitutive d’une différence de situation appréciable au regard de l’objet du service, mais parce qu’il y a un intérêt général de permettre au plus grand nombre de profiter du service.

         Même biais utilisé dans deux arrêts de section importants : CE sect., 29 décembre 1997, Ville de Nanterre et Ville de Gennevilliers. Dans ces deux affaires rendues sur les conclusions du commissaire Stahl, le Conseil d’Etat affirme donc qu’il est « de l’intérêt général qu’une école de musique puisse être fréquentée par tous ceux qui le souhaitent sans distinction selon leurs possibilités financières ». Le Conseil d’Etat admet alors des différences de tarifs qui varient selon les revenus des usagers. Il maintient la règle posée dans l’arrêt Commune de Lavelanais, à savoir que le prix le plus élevé ne doit pas permettre le financement indirect du service ou un profit. Il explique le prix le plus élevé doit être inférieur au prix de revient du service.

         Il reste un problème : tous les usagers se trouvant dans la même situation doivent-ils être traités de manière identique ? On ne voit pas pourquoi il y aurait un traitement indifférent. CE, 10 juillet 1995, Contremoulin : M. Contremoulin demandait à bénéficier d’une dérogation dont avait bénéficié d’autres personnes étant dans la même situation que lui (à propos de la carte scolaire). Il n’y a pas de raisons pour que cette personne n’en bénéficie pas. Le Conseil d’Etat a annulé la décision dont M. Contremoulin était destinataire au motif qu’elle violait le principe d’égalité en n’octroyant pas ce droit au requérant. Contremoulin gagne l’affaire.

         L’Administration ne doit pas toujours traiter les situations différemment. CE, 28 mars 1997, société Baxter : le principe d’égalité n’implique pas que des entreprises se trouvant dans des situations différentes doivent être soumises à des régimes différents.

 

  1. B) La neutralité du service public ou l’égalité dans le service

 

         – L’égalité dans le service public découle de l’égalité devant la loi. Il y a également l’égalité dans la loi. Cette égalité dans la loi se retrouve aussi dans le service où il ne s’agit plus d’instaurer une égalité dans l’accès au service, mais aussi dans le fait qu’il soit rendu aux usagers. On met en avant un principe de neutralité des agents. Cette neutralité des agents justifie qu’ils ne manifestent pas leurs opinions religieuses, politiques, philosophiques ou morales. Cette neutralité est le corollaire du principe d’égalité. L’idée est d’imposer aux agents qu’ils ne manifestent pas eux-mêmes leurs opinions. Les enseignants du primaire et du secondaire ne peuvent venir avec des insignes religieux. Ce principe a toujours existé, mais il faut le rappeler. Il existe quelques cas où ce principe a été mobilisé pour imposer aux agents du service de la retenue dans la manifestation de leurs opinions.

         – Avis du 3 mai 2000 du Conseil d’Etat, Mme Julie Marteaux, permet au Conseil d’Etat d’affirmer que le principe de neutralité qui s’accompagne de la liberté de conscience et de la laïcité de l’Etat s’applique à l’ensemble des Service Public sans distinction, au sein des établissements scolaires entre les enseignants et les autres personnels de l’Administration scolaire. Le fait pour un agent de porter des signes est un manquement aux obligations de l’agent. Il ne faut pas voir de rigidité dans la position française. La CEDH a elle-même dans un arrêt du 15 février 2001, Dahlab c/ Suisse, reconnu que l’Etat suisse pouvait imposer un principe de neutralité à une enseignante qui refusait d’enlever son foulard en cours. La Cour considère qu’il faut concilier liberté religieuse et démocratie, ce qui justifie que des Etats puissent restreindre la liberté religieuse des agents du Service Public. Cette cour applique la CEDH de 1950, dont la Suisse fait partie.

 

         – Le principe de liberté et d’indépendance : il vaut pour les professeurs d’université, en vertu d’une jurisprudence du Conseil Constitutionnel. Le problème ne s’est pas posé avec la question de la neutralité pour le moment. L’indépendance d’opinion doit pouvoir prévaloir sur la neutralité.

        

         – Le principe de continuité du service : c’est un principe permettant de justifier la restriction du droit de grève dans les Service Public. Parce que le Service Public est un SP, il doit pouvoir être exercé de manière continue, sans interruption… Il faut concilier le droit de grève et le principe de continuité dans ce pays social. CE assemblée, 7 juillet 1950, explique que le droit de grève pouvait quand même s’exercer, mais dans le cadre de la loi. Cette décision permet en réalité de ne pas dire grand chose, et de permettre d’expliquer une conciliation entre le droit de grève et le principe de continuité. Le pouvoir réglementaire peut restreindre le droit de grève dans les SP, mais pas le supprimer. Ce principe permet-il à des usagers du service d’exercer une action contre les collectivités prenant en charge ce service. Peut-on chercher à engager la responsabilité du service en cas de discontinuité ? Le principe de continuité peut-il être violé par les agents du service ? Le principe de continuité ne justifie aucune action, il ne se viole jamais, et ne permet pas d’envisager une quelconque action en responsabilité pour discontinuité du service. En revanche, le Conseil d’Etat explique que le principe de continuité doit être mis en œuvre par le chef de service. Il existe dans la jurisprudence depuis 1936, arrêt Jamart (GAJA), qui reconnait un pouvoir important au chef du service en matière d’organisation du SP, mais qui doit se situer dans la continuité de la législation en vigueur et qui permet au chef de service d’adapter sa gestion en fonction du cadre légal (cela a peu d’importance en réalité). Le principe reste une sorte de déclaration.

 

         – Le principe de mutabilité (ou d’adaptation du service) : ce principe consiste en une obligation pour l’administration d’adapter le service au besoin des usagers. En réalité, pour bien mesurer la dimension de ce principe, il faut se remémorer que certains Service Public étaient confiés à des Propriété privées. Fin XIX siècle, beaucoup de services de transports étaient confiés à des entreprises privées, cherchant à gagner de l’argent. L’Administration avait du mal à trouver des cocontractants. Une fois qu’un était trouvé, on le laissait agir comme il voulait. Le concessionnaire n’adaptait pas les structures comme il devait le faire, aux besoins des usagers. L’offre restait toujours la même, alors que le nombre d’usagers augmentait. On a trouvé des moyens pour les obliger à moderniser, dont le principe d’adaptation à la demande des usagers. Si, dans un premier temps ce principe a pu servir à justifier une modernisation, il n’a pas bénéficié aux usagers. Aujourd’hui, on peut considérer que ce principe est une justification de ce que les usagers n’ont jamais droit au maintien du règlement du service. Le gestionnaire du service reste libre de changer les modalités d’organisation du service (de la même façon que l’université peut modifier le règlement des examens). Au-delà de ces cas de non rétroactivité, l’Administration peut modifier le règlement du service. Si le règlement ne pouvait changer, le service serait voué à disparaitre. Ce principe de continuité ne joue pas du tout en faveur des usagers.

 

  • 2 : Le régime juridique

 

         Il y a une distinction entre les SPIC et les SPA, qui entraine des conséquences juridiques.

 

          Le régime applicable aux SPA :

         Face à un Service Public, identifié comme administratif (en utilisant les critères de l’arrêt Usia), il faut se demander s’il est géré par une Personne Publique ou une Propriété privée.

                   Un SPA géré par une Personne Publique : Ici, le droit public dominera très largement. Un SPA géré par une Personne Publique c’est le cas de l’université ou de l’hôpital, ou d’un musée.

                            – Dans ce cas, les actes unilatéraux de la Personne Publique qui gère ce SPA seront des actes administratifs (décision d’attribution d’un diplôme par l’université, admission d’un enfant en crèche…). Ces actes sont administratifs, sans le consentement du destinataire et se rattachant à l’exercice d’une certaine autorité.

                            – Les contrats de la Personne Publique gérant le SPA sont administratifs, sous réserve de 2 conditions. :

                                      * Soit ces contrats contiennent des clauses exorbitantes du Droit commun (manifestation d’une puissance dans le contrat), une clause n’ayant pas à figurer dans un contrat de droit privé, car l’Administration impose des obligations au cocontractant.

                                      * Soit le contrat en lui-même confie une mission de Service Public au cocontractant. C’est-à-dire que le contrat fait participer le cocontractant à une mission de Service Public.

                            – Les contrats de recrutement d’agents passé par une personne publique gérant un SPA sont toujours des contrats administratifs, en vertu de l’arrêt TC, 1996, Berkani. Dans la fonction publique, on n’est pas recruté par contrat, mais par décision. Dans l’université, il peut y avoir cependant des agents contractuels et non statutaires. Dans ce cas-là, les contrats sont toujours administratifs. Si l’on participe à la mission de SPA, on est soumis à l’univers administratif. Tous les autres agents qui ne sont pas contractuels sont publics et soumis au Droit public.

                            – Enfin, la responsabilité d’une Personne Publique gérant un SPA ne peut être engagée que devant les juridictions administratives (solution de l’arrêt Blanco).

 

 

                   Lorsque le SPA est géré par une Propriété privée.

                            -Les actes de cette Propriété privée gérant un SPA ne sont des actes administratifs que s’ils mettent en œuvre des Prérogatives de Puissances Publiques, s’ils sont pris dans l’exercice par cette Propriété privée de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE. Toute Personne Publique est présumée utiliser ses PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE. En revanche, ce n’est pas naturel pour une Propriété privée d’utiliser des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE.

                            – Les contrats qui gèrent un SPA seront administratifs si le contenu même du contrat révèle l’utilisation d’une prérogative de puissance au travers par exemple d’une clause exorbitante, mais encore faut-il qu’une personne publique soit partie au contrat passé avec cette Propriété privée (!)

                            – Les agents de cette Privée gérant un SPA seront tous des agents privés. Le droit commun, droit du travail, est applicable à ces agents.

                            – La responsabilité de cette Propriété privée est principalement engagée devant le juge judiciaire, sauf si le préjudice lui-même résulte des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE (arrêt CE, 1979, ADASEA du Rhône).

 

          Le régime applicable aux SPIC 

         C’est un régime largement privé. On se rend compte qu’il n’est plus nécessaire de distinguer selon la nature de la personne qui gère le service. Le critère organique n’est ici plus un facteur de répartition des compétences.

         Les actes de ces SPIC seront tous des actes de droit privé, sauf un acte essentiel qui est le règlement d’organisation du service. Cette solution résulte de TC, 1968, époux Barbier. Une hôtesse de l’air d’AF s’est mariée avec un autre employé d’AF, or une des dispositions prévoyait que les employés ne pouvaient se marier entre eux. Ce règlement est apparu en décalage avec les mœurs. AF était une économie mixte, personne privée, et on aurait pu confier tout cela au juge judiciaire, mais on a conservé une petite part de droit administratif. L’idée n’a pas disparue, car l’arrêt de 1989 du Tribunal des Conflits à propos de la gestion de l’eau, fait renaitre un acte de puissance publique.

         Les contrats de ces SPIC sont a priori des contrats de Droit privé. On distingue :

                   – Les contrats passés avec les usagers et les contrats passés avec les tiers. Les usagers des SPIC sont tous et toujours liés à ce service par un contrat de droit privé. Cette solution univoque résulte de CE sect., 13 oct. 1961, établissements Campanon-Rey, à propos des rapports d’un SPIC avec un de ces usagers qui relèvent toujours de la juridiction judiciaire (= bloc de compétence judiciaire). Le contrat passé avec la RATP/SNCF est toujours de droit privé !

                   – Les contrats passés avec les tiers peuvent être des contrats administratifs dans certains cas, à la condition bien sûr qu’il y ait une personne publique au contrat, et que le contrat lui-même contienne des clauses exorbitantes du droit commun ou fasse participer la personne privée à l’exécution du service. En réalité la plupart des contrats passés entre les SPIC et leurs fournisseurs sont des contrats de droit privé.

                   – Les agents de ces SPIC sont tous des agents privés, sauf le directeur du Service Public et le chef comptable, en vertu d’un arrêt de 1923, Robert Lafreygère (GAJA).

                   – La responsabilité des SPIC est principalement engagée devant le juge judiciaire. Le juge administratif est compétent uniquement si la responsabilité du SPIC découle de l’illégalité de l’acte d’organisation du service, autrement dit si l’illégalité de l’acte a causé un dommage dont il résulte un préjudice, alors la responsabilité sera engagée devant les juridictions administratives. Si un individu conteste la facture d’abonnement à l’eau et la considère trop élevée, alors il conteste un acte procédant d’un contrat de droit privé. L’abonnement à un SPIC est passé entre un SPIC et un usager, et est de droit privé.

                   Si le dommage résulte de la mise en œuvre de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE, la responsabilité sera engagée devant le juge administratif.

 

 

CHAPITRE II : LA POLICE ADMINISTRATIVE

 

         Cette activité se distingue de la répression des infractions. La police administrative est un service public, sinon le service public de tous les services publics. La sécurité des citoyens est la condition de leur liberté. La police est un service public administratif, comme tous les services régaliens. On ne parle pas non plus de l’institution mais de l’activité qu’est le maintien de l’ordre public. Cette activité est très ancienne. En réalité, ce mot police est un dérivé du grec polis (la Cité), soit l’ensemble des règles qui organisent la vie sociale. C’est l’examen des pouvoirs qu’ont certaines autorités leur permettant d’établir les conditions d’un déroulement normal d’une collectivité.

 

Section 1 : La notion de police administrative

 

         La police administrative se caractérise par le maintien de l’ordre public. Ce maintien de l’ordre public s’oppose à la répression des infractions. Cette opposition amène une autre distinction : la police administrative et la police judiciaire.

 

  • 1 : La police administrative et la police judiciaire

 

         Du côté des infractions, celle-ci doit être punie, mais on peut d’un côté punir ou réprimer des infractions, ou tenter de les prévenir. La punition ou la répression relève du juge pénal, qui devrait être considéré comme un juge administratif, mais qui est un juge judiciaire car en même temps qu’il applique la loi pénale, il est chargé de veiller au maintien des libertés individuelles. Tandis que la prévention relève du juge administratif. Où s’arrête la prévention ? Où commence la répression ? Pour distinguer les deux grandes activités, on utiliser un critère finaliste.

 

  1. A) Un critère finaliste

 

                   Critère tiré de la finalité de la mission poursuivie par l’agent : c’est le but du service. Ce sont les mêmes agents qui préviennent les infractions et les répriment. Cette finalité n’est pas entendue au sens subjectif. Ce n’est pas la finalité que poursuit un agent. C’est une finalité objective qui est en réalité une reconstruction par le juge administratif, indépendamment du témoignage de l’agent lui-même. Ce critère résulte d’une jurisprudence :      CE sect., 11 mai 1951, Les consorts Baut.

                   TC, 7 juin 1951, Dame Noualek.

         Un gardien de la paix poursuivant un individu et le soupçonnant de vol sort son arme et tire. Le poursuivi est blessé. À quelle juridiction cet individu va demander réparation du dommage subi ? La question est : Quelle finalité poursuivait l’agent ? L’agent a-t-il cherché à réprimer une infraction (la personne a commis un vol) ou à en prévenir une (la personne va en commettre un). Il serait excessif de tirer sur quelqu’un pour l’empêcher de commettre un vol. Le but retenu serait le but de la répression, et la responsabilité serait engagée devant le juge judiciaire.

         Ces cas se parviennent relativement facilement, car la tendance générale est toujours de savoir si l’on cherche à réparer un dommage (la plupart du temps, pour un dommage causé par un policier, on saisira le juge judiciaire car l’utilisation de l’arme dénote un comportement répressif). La jurisprudence fait prévaloir une sorte de présomption, qui est l’intention répressive des agents sur la réalité même des infractions. Il n’est pas nécessaire qu’une infraction ait été commise pour retenir le but répressif. Le juge se contente de retenir le but répressif sans noter d’infraction réelle : c’est le cas d’une opération d’interpellation d’un individu suspect, alors qu’il n’a commis aucune infraction. Les dommages qu’il subit en raison de l’interpellation seront commis devant le juge judiciaire. Hormis ces deux cas, les pans se mêlent.

         Une activité de police administrative peut devenir une activité de police judiciaire. Dès lors qu’un automobiliste ne respecte pas un commandement, le policier relève le n° d’immatriculation.

         Ex.     Enlever un véhicule pour le mettre en fourrière est une activité de police judiciaire. Son gardiennage est une activité de police administrative. La plupart des sociétés de fourrière sont privées.

 

  1. B) Son aménagement

 

         – Arrêt CE assemblée 24 juin 1949, consorts Lecomte : à propos d’un véhicule forçant un barrage routier ouvert par la police. Les agents tuent un tiers qui n’était pas dans le véhicule. La famille demande réparation et s’adresse au juge administratif. Celui-ci aurait dû se déclarer incompétent (l’activité vise à réprimer quelqu’un). Pourtant, le Conseil d’Etat se reconnait compétent et identifie l’action comme une action de police administrative. On aurait pu le suivre à la limite que l’installation d’un barrage est une activité de police administrative, mais pas l’utilisation des armes. Le Conseil d’Etat s’est déclaré compétent en vue de reconnaitre la responsabilité des services de police. Le Conseil d’Etat a voulu gagner du temps et ne pas renvoyer les parties devant un autre juge pour permettre l’indemnisation rapide. Aujourd’hui, une telle jurisprudence ne serait plus suivie, car le Tribunal des Conflits a rattaché cette activité comme une activité de police judiciaire.

         – Arrêt 1977, arrêt Motsch (cf. fiche de TD).

         – Arrêt TC, 12 juin 1978, Sté Le profil : à propos d’une société ayant fait l’objet d’un cambriolage et souhaitant engager la responsabilité de l’Etat pour faute, mais qui en réalité a le choix entre une action devant le juge administratif et devant le juge judiciaire. Cette société, menacée, avait demandé à la police de surveiller ses installations : il y avait une activité de police administrative visant à prévenir l’infraction, qui a eu lui, sans qu’elle soit réprimée. Il y a un manquement à l’obligation de police administrative, et un manquement aux obligations de police judiciaire, car l’infraction a eu lieu et n’a pas été réprimée. La question fut : faut-il engager deux actions devant deux juges distincts (2 avocats, 2 fois plus de temps) ? Le Tribunal des Conflits a simplifié le problème en identifiant l’activité comme une activité de police administrative et en faisant prévaloir un critère chronologique, et a confié l’affaire au juge administratif. Le manquement des services de police administratifs a conditionné le manquement des activités de police judiciaire. La chronologie l’emporte.

         2 juges distincts examinent les actes pris par la police.

 

  • 2 : La distinction entre la police générale et la police spéciale

 

         La police générale est la protection de l’ordre public. La police spéciale est la protection d’un aspect spécifique de cet ordre public. La police spéciale est une police confiée par la loi à des autorités publiques (police des prix…).

 

  1. A) La police administrative générale : le maintien de l’ordre public

         L’ordre public se définit par 3 sous notions :

– Sécurité,

– Salubrité,

– Tranquillité.

       

         Longtemps, l’ordre public était confié aux maires des communes (loi du 5 avril 1884 sur les communes). Cette compétence a été codifiée dans le Code des communes, article  L 131-2, puis désormais article  L 22-12-2 C. général des collectivités territoriales.

         On n’a pas réservé l’exclusivité du maintien de l’ordre public aux maires.

         CE, 8 août 1919, Labonne, à propos de l’extension du maintien de l’ordre public au chef de l’Etat et l’a investi du pouvoir réglementaire. Cela peut entrainer des conflits de compétence nombreux en matière de police.

 

          La sécurité : une notion invariable ?

         C’est la condition de la liberté de tout individu. L’autorité de police peut être conduite à prendre des mesures en vue de prévenir des infractions. On distingue la sécurité au service de la liberté d’une sécurité sécuritaire luttant contre d’éventuelles factions. Cela explique que la notion est évolutive en fonction des dangers potentiels des techniques inventées par l’homme (l’automobile, en 1910, n’était pas réglementée).

         La tranquillité : on cherche à éviter que l’être humain cesse d’être trop humain. C’est un moyen de réfréner le prosélytisme de certains.

         La salubrité : maintien de l’humain à son état humain. C’est le fait d’empêcher les uns de déverser leurs ordures partout. Les réglementations sont quantitativement plus importantes et plus nécessaires il y a encore 2 siècles. Elles sont moins contraignantes aujourd’hui (tri sélectif).

        

         En arrière-plan se dessine la liberté des individus et une cohésion de la société.

 

         Très vite s’est posée la question de savoir si cette notion devait faire place à la moralité publique.

 

         Les unités de police peuvent-elles agir, prendre des règlements pour assurer la moralité publique et préserver des troubles à l’ordre public où il signifie moralité publique.

         Pour certains, il faut distinguer moralité publique et ordre moral.

         Ex. CE, 10 décembre 1957, Sté nationale d’édition cinématographique, conclusions Guldner, « la protection de la moralité publique revient à protéger le minimum d’idée morale communément admise à un moment donné par la moyenne des citoyens ». La moralité publique est la morale du jour, de l’époque, commune, évolutive. Le juge ne prétend pas imposer la moralité publique à des individus.

         L’ordre moral est une conception très impériale. C’est un ensemble d’idées morales imposées aux individus.

        

         C’est au fond l’idée qui ressortait de nombreuses jurisprudence, qui dans les années 1930, considéraient comme légal l’interdiction d’un maire à des baigneurs de se rhabiller sur la plage. Le Conseil d’Etat considérait comme légaux ces règlements.

 

         Le développement du cinéma a donné lieu à la réalisation de certains films dévoilant des scènes choquantes. Fallait-il exiger une population précise, en ne basculant pas de la moralité publique à l’ordre public, au nom de ce que certaines scènes sont choquantes.

         Lorsque quelque chose est « immoral », « choquant », on pose un ordre moral. Le maire de Nice a interdit la projection d’un film sur le territoire de sa commune, Le Feu dans la peau, susceptible de choquer la population de sa commune. La décision est contestée, et donne lieu à CE sect., 18 décembre 1959, Sté des films Lutecia (GAJA). Le juge administratif s’est révélé très habile : plutôt que de s’opposer à la décision du maire de manière frontale, il a jugé l’interdiction légale, mais a expliqué que cette interdiction était légale non pas parce que le film avait des scènes choquantes (ce qui aurait été un jugement du CE sur le film) mais parce que le film pouvait être interdit pour des circonstances locales. Ces circonstances sont de nature à justifier la décision. Dans cette affaire, on n’a pas exigé du maire qu’il explique davantage les circonstances locales. Le maire aurait pu invoquer le fait que le film allait causer des troubles dans l’ordre public.

         Il a pu apparaitre qu’un film susceptible d’être diffusé au moment d’un procès pouvait être interdit sur le territoire de la commune. La légalité de la décision du maire est à chaque fois censée être subordonnée à l’existence de circonstances locales. Le contrôle du Conseil d’Etat est de plus en plus rigoureux, ce dont témoigne Conseil d’Etat, 1985, à propos de la ville d’Aix-en-Provence où se tenait le procès du meurtrier d’un enfant et donnant lieu au roman et au film le pull-over rouge.

         Ces interdictions portant sur les films donnent lieu à une jurisprudence importante, et la distinction moralité publique/ordre public est cachée par les « circonstances locales ». CE, 11 mai 1977, Ville de Lyon, à propos de l’interdiction d’un sex-shop près d’un mémorial de la résistance. Aucun arrêt n’a jamais consacré l’idée que l’ordre public se définirait non plus seulement par la sécurité/salubrité/tranquillité mais aussi par la moralité publique. Il y a donc une jurisprudence au cas par cas où la moralité publique est rattachée par une tranquillité.

 

         La question de la dignité humaine : l’ordre public fait-il de la place à la dignité humaine ? Depuis CE assemblée, 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge (GAJA), où le Conseil d’Etat affirme que le « respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public ». Voilà comment l’ordre moral revient en force. Le jeu consistait à lancer des nains le soir. Le maire a estimé que ce spectacle était dégradant, alors qu’il avait lieu dans un espace non public (boite de nuit, espace clos, avec des personnes consentantes). Rien ne menaçait l’ordre public, rien ne permettait d’invoquer des circonstances locales ! Les administrés n’allant pas dans ces boites de nuit n’en savaient rien. La CA Versailles a annulé cet arrêt dans un premier temps, la compétence du maire s’arrêtant à la porte de l’établissement tant que les bruits ne gênaient personne, et que l’ordre public n’était pas troublé. Elle a jugé la décision du maire illégale, qui a fait un recours devant le Conseil d’Etat. La protection de la dignité humaine fait partie de l’ordre public.

         On voit ici le retour de l’ordre moral selon certains. Lutter contre l’ordre moral, c’est lutter contre un autre moral que le sien.

         L’argument de la dignité est un argument totalitaire : on ne peut empêcher une activité au moyen de cet argument. On s’est servi de cet argument pour inculper des criminels ayant œuvré sous un système totalitaire. Le seul moyen, à Nuremberg, a été d’utiliser la norme absolue qui serait la protection de la dignité humaine. Cela a pu resservir pour la Yougoslavie ou le Rwanda. On met sur le même plan un lancer de nains et un génocide.

         La dignité est une valeur absolue. Le Conseil d’Etat ne s’est jamais resservi de cet argument. C’est une sorte de bavure. Ex. il est dangereux d’utiliser l’argument de la dignité humaine qui permet de tout interdire (prostitution ?).

        

         Y a-t-il des décisions pouvant être prises dans un but autre que l’ordre public ? Normalement non, l’ordre public absorbant le seul motif d’une décision de police générale. On a considéré comme légales des décisions par lesquelles on imposait le port de la ceinture obligatoire, ou le port du casque. Cette décision pouvait paraitre excessive au regard de l’ordre public. Si les individus ne souhaitent pas se protéger, comment les y contraindre ? Ils ne font pas courir d’autres risques aux autres. Le Conseil d’Etat a relevé dans l’arrêt CE sect., 25 juillet 1975, Chaigneau, à propos de la limitation de vitesse à 110km/h, que cet objectif pouvait être autorisé car elle combinait 2 buts :

         – La protection des individus,

         – La réalisation d’économies pour la collectivité.

         C’est dans les mêmes termes qu’on a pu justifier le port de la ceinture et du casque obligatoire.

         Toute protection du droit des individus a une dimension économique.

 

         En revanche, il y a des cas où l’ordre public reste imperméable à certaines décisions. La protection de l’esthétique n’est pas une composante de l’ordre public. Les nombreux règlements par lesquels les maires essayent de réglementer les monuments funéraires par ex. sont illégaux, car pris sur le fondement d’un pouvoir de police générale, mais ce pouvoir s’arrête au seuil de la protection de l’esthétique. Les maires ne sont pas compétents pour ces décisions.

 

         Les décisions sont globalement assez simples, et peu contraignantes. Elles visent à organiser de manière cohérente la vie d’une communauté.

 

  1. B) Les polices administratives spéciales

 

         Ce sont des polices spécifiques, expressément prévues par la loi, et qui visent à accroitre le pouvoir de réglementation, ou d’intervention de la puissance publique. On les distingue soit par leurs buts, leurs auteurs ou les procédures qu’elles mettent en œuvre.

         Les polices spéciales par leur but : ce sont les polices échappant à la protection de l’ordre public. Il y a, en vertu de lois spéciales, la police des monuments historiques (min. de la culture), la police des publications étrangères (min. de l’Intérieur), la police de l’affichage ou de la publicité (préfet), et plus généralement toutes les polices économiques (police des prix, police de la concurrence du min. des finances « DGCCRF »).

         Les polices spéciales en raison de leurs auteurs : ce sont des polices confiées par la loi à des autorités qui ne seraient pas compétentes a priori. Ce sont des polices confiées à une autorité au détriment d’une autre. Ainsi, la police des gares, des aérodromes, des établissements dangereux ou insalubres. Elle est confiée au préfet. De même, la police de l’expulsion des étrangers a été confiée au min. de l’intérieur. La police des transports et de l’aviation au min. des transports.

         Les polices spéciales par des procédures : la police des édifices menaçant ruine. Cette police est confiée au maire et lui permet de prendre un arrêté de péril par lequel le maire a le pouvoir de prescrire au propriétaire de l’édifice qui est sur le point de s’écrouler l’exécution de travaux non pas de remise en état, mais visant à conjurer l’effondrement du bâtiment.

 

Section 2 : Le régime de la police administrative

 

  • 1 : Titulaires du pouvoir de police administrative

 

         Il ne peut être exercé que par des personnes publiques.

 

  1. A) Le pouvoir de police ne se délègue pas

 

                   Une autorité publique ne peut pas confier son pouvoir de police à une personne privée en vertu d’un contrat. C’est un pouvoir qui ne contractualise pas. On ne peut confier à une entreprise privée la surveillance des routes. L’organisation de la police de stationnement relève du maire, mais l’enlèvement du véhicule peut être géré par une personne privée. On ne peut pas confier le maintien de l’ordre public sur une plage à un concessionnaire de plage. Arrêt Chez Joseph, le concessionnaire a des prérogatives importantes, mais sous l’autorité de la police municipale.

         Le pouvoir de police ne peut se contractualiser.

 

  1. B) Les titulaires pour l’Etat

 

         – En vertu de l’arrêt Labonne, le président de la République dispose d’un pouvoir de police.

         – Mais aussi le Premier ministre de part l’exercice de son pouvoir réglementaire,      – Les préfets disposent d’un pouvoir de police général et aussi un pouvoir de police spéciale pour les gares et les aérodromes, pour les routes nationales et pour prendre des mesures applicables à plusieurs communes (protection de l’environnement ou santé publique),

         – Les maires agissant en vertu d’un pouvoir de police pour l’Etat. Ils peuvent être soumis à l’autorité de l’Etat pour leur activité de police. Lors d’une activité Vigipirate, on impose que soient modifiées toutes les poubelles publiques. Lorsque les maires retirent ces poubelles, ils exécutent une décision de l’Etat.

         – Les ministres ne sont jamais investis d’un pouvoir de police générale, mais d’un pouvoir de police spéciale (police des monuments historiques…).

 

  1. C) Les titulaires pour le département et la commune

        

         – Pour le département, c’est le président du Conseil Général.

         – Le maire dans sa commune, pouvoirs de police en matière de circulation…. Il est l’autorité la plus importante car la plus fréquemment sollicité. Il rencontre le préfet et l’Etat sur son chemin. Ex. en matière de tranquillité publique, le préfet est compétent pour les manifestations traditionnelles, le tapage nocturne…

 

  1. D) La concurrence entre les titulaires

 

         L’articulation des différentes lois donne lieu à des contentieux. La question de savoir si un maire peut prendre une décision plus restrictive qu’une autorité d’Etat se pose souvent. Le maire peut-il interdire un film sur le territoire de sa commune, alors qu’un film est soumis à un visa d’exploitation accordé au plan national. Le film est normalement exploitable sur tout le territoire national. Le renforcement a été autorisé par un arrêt de 1902, Commune de Néris-les-bains, une autorité légale peut renforcer une décision de police administrative prise au niveau national. Cela est considéré comme légal par le Conseil d’Etat. Un maire ne peut pas changer une mesure mais la renforcer.

 

  • 2 : Le contrôle des décisions de police

 

  1. A) Le contrôle des motifs de la décision administrative

 

         Elles sont soumises à un contrôle de proportionnalité. C’est le degré le plus élevé du contrôle que l’on peut exercer sur une décision. Loi du 5 avril 1984 conférant un pouvoir de police général à des maires ne parle pas des critères avec lesquels on doit contrôler les décisions des maires. La loi confère des compétences pour maintenir l’ordre public.

         Le seul contrôle que l’on pourrait exercer est un contrôle du respect de sa compétence par le maire. Si l’ordre public se définit par la salubrité/tranquillité/sécurité, il faut contrôler si la décision d’un maire rentre dans l’une de ces catégories constitutives de l’ordre public. Dès lors qu’elle en relève, elle est légale. Mais, ce faisant, on n’examinerait pas le contenu de la décision, on aurait une approche assez formelle, et on considérerait comme légales certaines décisions. Cette première solution peut paraitre dangereuse, ou prêter à des excès.

         L’autre décision est de soumettre le contrôle de police à un contrôle plus serré des motifs de la décision, des raisons pour lesquelles elle a été prise et pas seulement de la sphère dans laquelle elle intervient. On imagine alors plusieurs degrés.

         On peut exiger qu’une mesure de police intervienne dans le cadre de l’ordre public mais ait toujours le maintien d’une liberté. On peut exiger du maire qu’il prenne des mesures strictement nécessaires. Ce faisant, on exerce un contrôle approfondi, et on limite potentiellement le nombre de décisions émanant de cette autorité. C’est la solution choisie par le Conseil d’Etat, 1933, René Benjamin, à propos d’une conférence interdite par le maire de Nevers.

         Or, ces décisions d’interdiction générales et absolues sont interdites par le Conseil d’Etat. Le propre d’une autorité de police, c’est qu’elle ne peut interdire totalement. Elle doit concilier le maintien de l’ordre public et la protection des libertés. Commissaire Corneille, affaire Baldy de 1917, « la liberté est la règle et la restriction l’exception ». L’arrêt Benjamin a consacré le refus du Conseil d’Etat de mesures générales et absolues. Le Conseil d’Etat a tourné la loi de 1984 en créant une compétence liée là où il y avait du pouvoir discrétionnaire.

 

  1. B) Le contrôle de proportionnalité à l’égard des mesures de police

 

         Le Conseil d’Etat a imposé que le pouvoir de police soit toujours mis en balance avec la protection des libertés des individus. Une mesure de police doit être proportionnée, d’où l’idée d’un contrôle de proportionnalité.

         L’interdiction d’une manifestation est possible à la condition qu’elle soit justifiée par des circonstances de temps et de lieu. Le maire peut interdire la circulation automobile sur sa commune entre telles dates/heures et telles dates/heures. Un maire ne peut décider que la mendicité est interdite. Il peut la limiter à une certaine période de l’année.

         Une mesure de police est une mesure de restriction de la liberté de l’individu. Le Conseil d’Etat privilégie la liberté, et c’est ce qui implique que le juge administratif ait toujours exigé que les mesures de police soient exigées par des circonstances de temps et de lieu. Une mesure de police ne pose jamais d’interdiction générale. Il faut qu’elle ne soit pas disproportionnée.

 

  1. C) L’obligation d’agir des autorités de police

 

                   Les autorités de police administrative ont parfois l’obligation d’agir, soit en édictant un règlement visant à faire cesser un trouble grave (CE, 23 oct. 1959, Doublet, à propos d’une plainte contre des campeurs).

         L’autorité peut aussi avoir l’obligation d’agir non seulement en édictant un règlement, mais en appliquant un règlement qu’elle a elle-même édicté.

         Cette obligation d’appliquer un règlement de police s’impose aussi bien lorsque ce règlement a été édicté par l’Administration elle-même que par une Administration supérieure. Si l’Etat prend un règlement de police s’appliquant sur tout le territoire, les maires doivent en tenir compte et l’appliquer (CE sect., 14 déc. 1962, Doublet).

         L’Administration peut prendre des actes individuels (concernant une personne).

         L’Administration a également l’obligation d’agir en exécutant un acte matériel, c’est-à-dire en prenant les mesures matérielles qui permettent de mettre en œuvre un règlement de police ou de remédier à un trouble à l’ordre public (CE sect., 13 mai 1983, Veuve Lefèbvre, où il est imposé à l’Administration d’installer des cabines téléphoniques près d’un lac où avaient eu lieu des noyades).

 

         Cette obligation d’agir donne parfois lieu à une extension des pouvoirs de police en cas de circonstances exceptionnelles. C’est une théorie jurisprudentielle visant à identifier une situation comme exceptionnelle afin de justifier l’action de l’Administration, qui serait illégale en dehors de ces circonstances. Arrêt de principe : CE, 28 juin 1918, Heyries, affaire dans laquelle le Conseil d’Etat reconnait au Président de la République le pouvoir de suspendre l’application de la loi, en l’espèce l’art. 65 de la loi du 22 avril 1905 relative à la communication de pièces de son dossier à un fonctionnaire étant révoqué. Le Conseil d’Etat accepte que le PR suspende l’application de cette loi, circonstance exceptionnelle.

        

         Le juge contrôle la compétence de l’autorité administrative, même si en effet les circonstances exceptionnelles permettent à une autorité administrative de déléguer ses pouvoirs en dehors d’une habilitation législative ou réglementaire. De même, en situation de circonstances exceptionnelles, l’Administration peut se trouver investie de pouvoirs qui relèveraient de la loi. En matière de compétence, les circonstances exceptionnelles justifient qu’une personne privée puisse se substituer à une autorité publique défaillante, et en vienne alors à exercer des compétences relevant du règlement, voire de la loi.

         En cas de circonstances exceptionnelles, certains actes peuvent être pris qui seront jugés comme légaux pendant la période de reconnaissance de circonstances exceptionnelles, alors qu’ils sont illégaux en dehors.

         La théorie des circonstances exceptionnelles est utile et dangereuse, et utilisée avec grande parcimonie. On est dans une autre appréciation de la légalité.

         Le Conseil d’Etat exige certains critères :       – la survenance brutale d’événements graves, mettant l’Administration dans l’incapacité d’utiliser des règles normales. L’urgence justifie le non respect de certaines procédures.

                                                        – l’impossibilité d’agir dans le cadre légal, et c’est là qu’intervient le contrôle de proportionnalité du CE ou juge administratif. Pour pouvoir identifier des circonstances exceptionnelles, le juge administratif exige que le moyen normalement illégal soit le seul d’aboutir à la finalité visée.

         Les dérogations ne durent que ce durent les circonstances (durée identifiée par l’Administration).

 

         Cette jurisprudence des circonstances exceptionnelles qui donne tout de même lieu à un contrôle par le juge administratif plus modéré, ne doit pas être confondu avec des cas d’application de pouvoirs exceptionnels prévus explicitement par des textes :

         – article  16 de la Constitution de la V République (pouvoirs exceptionnels du PR),

         – Loi du 9 août 1849 sur l’état de siège, le pouvoir de police est transféré directement à l’armée. Le Conseil d’Etat a reconnu sur le fondement de cette loi le pouvoir à un préfet d’interdire à certaines personnes la fréquentation de certains lieux (28 fév. 1819, Dames Dol et Laurent, le préfet maritime de la base de Toulon interdit l’activité des filles galantes et impose l’interdiction aux buralistes de recevoir les filles dans leurs établissements, de les y employer… C’est une situation dite d’état de siège, où le pouvoir de police est étendu en vue de préserver les secrets de l’armée).

         – Loi du 3 avril 1955 sur l’état d’urgence, toujours en vigueur, dont le Conseil Constitutionnel a refusé de vérifier la conformité à la Constitution de 1958, est celle sur laquelle s’est fondée M. Sarkozy et le Gouvernement pour tenter de remédier à la révolte de novembre 2005.

                  

DEUXIEME PARTIE :

Les moyens de l’action administrative

 

         Actes unilatéraux & contrats.

 

TITRE I : LES ACTES ADMINISTRATIFS UNILATERAUX

 

CHAPITRE I : LA NOTION D’ACTE ADMINISTRATIF UNILATERAL

 

         Difficile à cerner, cette notion est fréquemment employée sans vraiment savoir ce que c’est. Un acte unilatéral est un acte qui sert à décider, et a cette particularité de s’exécuter lui-même. L’acte émane d’une personne et s’adresse à une autre.

 

Section 1 : Acte unilatéral : acte décisoire et exécutoire

 

  • 1 : Le caractère décisoire de l’acte

 

         Pour des raisons d’économie et de temps, toutes les décisions des administrateurs n’ont pas la signification juridique de décision. Des actes apparaissant comme des décisions n’ont pas nécessairement une signification juridique de décision. La jurisprudence exige que l’acte fasse « grief » pour qu’il ait une signification juridique.

 

  1. A) L’acte « faisant grief »

 

                   Un acte faisant grief est un acte qui pose une norme. C’est un acte qui va modifier la situation juridique d’une personne, mais pas sa situation psychologique/biologique/…. Un acte peut faire grief, poser une norme, modifier la situation juridique d’une personne de 2 façons :

         – L’acte ajoute une norme à un ordonnancement normatif (ex. l’acte confère un droit à quelqu’un et impose une obligation à un autre),

         – La norme retire un élément normatif de l’ordonnancement normatif d’une personne (ex. l’acte retire un droit).

         On peut imaginer une situation où l’Administration prend un nouveau règlement, où l’Administration modifie un élément relatif à la traçabilité de la viande.

         On peut faire cesser les effets d’une norme (à partir d’une date, tel règlement ne produira plus d’effet). On a alors substitué de l’ordre normatif une norme existante. Cette abrogation ajoute une norme selon laquelle une norme antérieure ne s’applique plus.

         Une décision psychologique peut faire grief, parce qu’elle ajoute ou retire quelque chose.

 

         Certains actes ne retirent rien/n’ajoutent rien et pourtant font grief. Cela parait paradoxal. On dit cela à propos des décisions de rejet d’une demande. Ex. rejet d’une demande de permis de construire, il ne retire rien car on n’en possédait pas auparavant. Elle ajoute à une situation indéfinie une définition juridique précisément. Le rejet d’une demande ajoute un élément au caractère juridique de la situation d’une personne.

         Il n’y a pas d’actes qui rajoutent rien/n’ajoutent rien !

 

         Définitions :

          – « L’acte administratif unilatéral est une manifestation de volonté qui se traduit par l’édiction d’une norme destinée à modifier l’ordonnancement juridique des intéressés. »

         – « L’acte administratif unilatéral est une manifestation de volonté qui définit juridiquement une situation         en imposant une norme au(x) destinataire(s) de l’acte. »

 

         L’acte faisant grief est un sésame du point de vue de la contestation juridique. Le Conseil d’Etat ne contrôlera la légalité d’un acte qu’à la condition qu’il fasse grief. Autrement dit, le Conseil d’Etat n’accepte de connaitre que les actes faisant grief.

         L’acte qui fait grief n’est pas un jugement de valeur. Un acte peut s’avérer illégal, il sera alors annulé. Un acte « faisant grief » est un préalable au contrôle de sa légalité. Certains actes ne faisant pas grief ne seront pas contrôlés.

 

  1. B) Les actes non décisoires ou les décisions qui ne font pas grief

 

          Parmi ces actes qui ne font pas grief, il y a d’abord les circulaires administratives. Une circulaire renvoie à un contenu et non à un document identifiable. Peut-être appelée circulaire un document dénommé circulaire, mais aussi une note de service, note du ministre à ses services, ou tout autre document ayant pour vocation de :

         – circuler dans les services et

         – de transmettre une information aux administrateurs/gestionnaires.

         Une circulaire est transmise d’un supérieur hiérarchique vers ses subordonnés. Le contenu de cette information consiste en une explication des règles applicables, de la loi applicable, en vue de permettre aux administrateurs de prendre une décision conforme à la loi.

         La circulaire au sens propre n’est autre qu’une explication de la loi. Une circulaire doit être interprétée, elle interprète la loi.

 

         Une circulaire n’est que de la paraphrase ; elle n’ajoute rien !

 

         Certaines circulaires n’en sont pas vraiment : le ministre ou le chef de service utilisait des notes de services pour ajouter des règles au détour d’un paragraphe, ou à son insu. Il a fallu recourir à la distinction entre des circulaires interprétatives (= des circulaires) et les circulaires réglementaires (= des règlements). Conseil d’Etat, assemblée. 29 janvier 1954, Notre-Dame-du-Kreisker (GAJA) à propos de l’octroi de subventions à des conditions non prévues par la loi, l’introduction de nouvelles conditions implicitement contenues dans la loi sont apparues comme réglementaires. Cette distinction est utile mais délicate à appliquer. Cf. Guide du Droit administratif, p. 10.

         Une circulaire étant normalement interprétative, comment saisir le juge ? La circulaire est interne ? Comment en prendre connaissance ? Elle n’est pas censée contenir de normes. La décision qui sera prise sera fondée sur la loi ou un règlement antérieur mais pas sur la circulaire. Il a fallu adapter cette interprétation, utile mais contestable. Elle est contestable, car toute autorité administrative concrétisant des règles abstraites est amenée à produire des interprétations de certaines règles. Ces interprétations se distinguent et sont parfois imposées aux administrés. Le Conseil d’Etat a entrepris de modifier la distinction, CE, 18 juin 1993, Institut Français de l’Opinion Publique (IFOP). Apparait une distinction entre les interprétations impératives et les interprétations non impératives, autrement dit des interprétations imposées à des subordonnés, et des interprétations qui se contentent de proposer.

         CE sect., 18 décembre 2002, Mme Duvignères (GAJA), tente autre chose, arrêt qui prétend formuler autrement la distinction entre les circulaires interprétatives et réglementaires (cf. GAJA p. 903, « considérant que l’interprétation par voie (…) ») :

         – Est désormais considérée comme faisant grief une disposition interprétative à caractère général ainsi que le refus de l’abroger. Face à une circulaire (note de service…), toute disposition interprétative à caractère général fait grief.

         – La recevabilité d’un excès de pouvoir contre une circulaire n’est plus liée au fait de savoir si cette circulaire modifie ou affecte l’ordre juridique. Ce qui compte, c’est qu’elle soit revêtue de cette qualité d’impérativité. Inversement, le Conseil d’Etat s’autorise à ne pas examiner des dispositions qu’il ne jugera pas impératives.

 

         Il reste que cette jurisprudence ajoutant une distinction impératif/non impératif ne modifie pas fondamentalement le passé. La prévention selon laquelle une norme impérative ne doit pas entacher des normes supérieures existait auparavant.

         Parce qu’elles font griefs, on peut en soumettre le contrôle au juge administratif. Ce n’est pas assez pour dire que ces dispositions sont contraires à la loi. Il faut prouver :

         – que l’autorité les ayant prises était incompétente,

         – que le contenu est contraire à des normes supérieures.

         Raisonner en termes d’impérativité ou non ne change rien.

 

         ATT. La jurisprudence Duvignères, si elle ajoute une distinction entre les dispositions impératives et non impératives, n’a pas radicalement changé la solution antérieure qui visait de toute façon et en définitive de faire l’économie d’un contrôle ou des dispositions antérieures !

 

         CE sect., 19 février 2003, Sté auberge ferme des jeunets, à propos d’une affaire fiscale et d’une note émanant du ministre de l’économie et des finances. Le requérant pensant que c’est une norme impérative faisant grief. Cette note, comme le soutien le ministre, se borne à donner aux agents chargés du contrôle fiscal des établissements de restauration certaines indications. Parce qu’elle se borne, elle fait grief, elle n’est pas une disposition impérative de caractère général.

        

         La jurisprudence Duvignères ne change pas le régime : dès lors qu’une disposition est impérative, elle est analysée comme faisant grief. Lorsqu’elle est à portée générale, c’est un règlement susceptible de recours pour excès de pouvoir. Le refus de l’abroger est susceptible de recours.

 

          Les directives ne font pas grief. Le terme « directive » est utilisé pour désigner celles qui émanent de Bruxelles. Mais ce sont des actes administratifs qui ne font pas toujours grief. Cette catégorie a été reconnue dans CE sect., 11 déc. 1970, Crédit Foncier de France (CFF) (GAJA). Ces directives ne doivent pas être analysées comme des règlements camouflés. Ce sont des indications adressées par un supérieur hiérarchique à ses administrés, c’est un acte sans effet juridique sur les administrés et pouvant ressembler à une circulaire. En même temps, c’est un acte sur le fondement duquel l’Administration peut être conduite à prendre une décision, décision qui alors aura un effet sur les administrés.

         Ex. faire bénéficier une catégorie de personne d’une aide à un logement.

         La directive n’a aucun effet sur les administrés. La décision individuelle de faire bénéficier tel individu d’un logement sera fondée sur la directive adressée au subordonné qui aura pris la décision. D’un point de vue juridique, les administrés ne peuvent jamais exercer de recours direct contre une directive, mais ils peuvent se prévaloir de la directive, pour contester une décision qui a été prise à leur égard.

         Ce faisant, ils peuvent invoquer 3 motifs :

         – Le fait que la directive n’a pas permis de prendre en compte leur situation individuelle/spécifique,

         – Un motif d’intérêt général,

         – Un motif tiré de l’illégalité même de la directive.

 

         Ces directives sont soumises à publication, en vertu d’un arrêt CE sect., 29 juin 1973, Sté GEA, en vertu d’un décret de 1983 imposé pour les circulaires même si on a fait remarqué le paradoxe d’imposer la publication pour des documents non voués aux administrés, mais uniquement aux administrateurs.

 

         Les décisions qui ne font pas grief. On y trouve :

         Les actes préparatoires : décisions préparant une autre décision. Juridiquement, la décision d’ouvrir une enquête est préparatoire à une autre décision d’expulser des individus pour favoriser une construction. Ce peut aussi être une mise en demeure dans le cadre d’une procédure de recouvrement d’une créance par l’Administration, ou des délibérations émanant d’une autorité administrative au terme de laquelle on poursuit une procédure administrative. Le Droit administratif ne qualifie pas ces actes d’actes faisant grief. Elles ne sont pas susceptibles de recours pour excès de pouvoir. Elles ne sont ni légales ni illégales.

         Les Mesures d’ordre intérieur : c’est incontestablement une décision au sens psychologique et juridique. Mais, comme l’indiquent les termes « ordre intérieur », ce sont des mesures pensées comme nécessaires à l’organisation interne d’un service et qui permettent son bon fonctionnement. Elles sont prises par le chef de service ou par l’autorité hiérarchique supérieure. Elles ne sont pas susceptibles de faire grief, parce qu’elles ne sont pas assez importantes. De minimis curat praetor. (« Au fond, le juge ne s’occupe pas de ce qui est mineur »).

         C’est uniquement pour filtrer l’intervention du juge dans le service – afin de ne pas le transformer en administrateur – qu’il créé ces mesures d’ordre intérieur. Relèvent des mesures d’ordre intérieur les règlements intérieurs des lycées, des prisons, des assemblées délibératives, d’une commune (propre à l’organisation du Conseil Municipal)… Il y avait également des décisions individuelles comme, par exemple, la décision d’exclure une personne allant à l’encontre du règlement. Cette catégorie présente un grand avantage, car le chef d’un service peut avoir une certaine maitrise sur son service (et ne pas craindre en permanence une mise en cause de ses décisions). Elles favorisent l’autorité du supérieur hiérarchique et le fonctionnement du Service Public. Cette catégorie présente un inconvénient majeur. Des décisions peuvent avoir des effets sur des individus, parfois importants, sans que ces individus puissent exercer le moindre recours contre de telles décisions !

         Cette catégorie n’a jamais été contestée en tant que telle, mais les décisions de ranger certaines décisions dans cette catégorie ont été contestées. Ex. un directeur de prison place un détenu dans le QHS (Quartier de Haute Sécurité), moyen de soustraire un individu du régime ordinaire. Cette décision de placer quelqu’un dans une telle situation juridique est incontestablement réductrice de la liberté du détenu. Cette décision vise à infliger un régime disciplinaire à quelqu’un qui s’est probablement comporté de façon contraire à l’ordre intérieur. CE, 1984, Alain Caillol : le commissaire du gouvernement Bruno Genevois rend des conclusions où il explique que la décision de placer un détenu en QHS est une décision trop grave pour que le juge ne puisse en connaitre. Elle est trop grave pour ne pas faire l’objet d’un recours en excès de pouvoir. Il faut autoriser les détenus à pouvoir faire ce recours. Cette décision est plus importante que d’autres (de changer un détenu d’établissement…). C’est une atteinte à une liberté individuelle qui doit être préservée au sein de l’établissement pénitentiaire, et non abolie. En 1984, le Conseil d’Etat ne suit pas ces conclusions, et considère que c’est une mesure d’ordre intérieur. Cette décision ne fait pas grief, elle ne modifie pas la situation juridique de la personne : en prison, il était, il y reste. C’est donner des gages importants à l’autorité au sein du service, ou à l’autorité du service.

         Dans les années suivantes, on a une montée en puissance des solutions jurisprudentielles émanant de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Elle a favorisé ici la liberté individuelle au détriment de l’arbitraire des administrateurs. Probablement sous l’influence de la jurisprudence de la CEDH, des choses ont changé par la loi ou la jurisprudence elle-même.

         – Par la loi : une loi du 6 février 1992, relative à l’Administration territoriale, dispose en son article  31 que les règlements des assemblées locales sont susceptibles de recours pour excès de pouvoir. La décision par laquelle un conseil municipal adopte ou modifie son règlement intérieur constitue une mesure qui fait grief. Ce règlement peut être déféré devant un tribunal administratif. La jurisprudence, jusque là, considérait que les règlements intérieurs étaient des mesures d’ordre intérieur ne concernant pas le juge. CE sect., 10 février 1995, Albert Riehl et une autre Commune de Coudekerque-Branche, application de ce principe. La commune voit le règlement de son conseil municipal mis en cause devant le juge.

         – Par le décret du 24 juillet 1992, qui porte règlement général de discipline des armées reconnait un droit à la permission pour les militaires. La décision qui consiste à refuser une permission est une décision qui porte atteinte à un droit, décision qui fait traditionnellement grief.

         Parallèlement, il y a un mouvement de relecture des mesures d’ordre intérieur par le juge :

         – Arrêt Kherouaa, illustrant les conséquences d’un avis du Conseil d’Etat de 1989 à propos du foulard islamique. En 1989, L. Jospin demande son avis au CE concernant le port du foulard dans les écoles laïques et publiques, qui répond qu’au regard de sa jurisprudence la plus simple, une interdiction générale et absolue n’est jamais compatible avec la liberté individuelle. La décision est modérée, et l’opinion s’attendait à une décision politique.

         En 1992, un règlement intérieur du lycée interdit formellement le port du foulard. Une décision individuelle exclut des jeunes filles au motif qu’elles portaient le foulard. Le Conseil d’Etat aurait pu maintenir une jurisprudence traditionnelle et dire que les règlements étaient des mesures d’ordre intérieur, et que toutes les mesures individuelles appliquant ces mesures, relevaient de ces mesures d’ordre intérieur : il aurait pu se déclarer incompétent. Mais, entre temps, il avait rendu un avis, et il était difficile, après avoir conclu que le port de certains signes était compatible ou pouvait l’être tant qu’il ne portait pas atteinte au service, de considérer que l’interdiction venant du règlement intérieur était une mesure d’ordre intérieur. Il a alors qualifié le règlement et les décisions individuelles de décisions faisant grief, et donc susceptibles de recours pour excès de pouvoir, et l’on peut donc en contrôler la légalité.

         L’arrêt Kherouaa ne pose pas de frontière, ni de grille de lecture. Adviennent alors les arrêts :

         Conseil d’Etat assemblée 17 février 1995, Philippe Hardouin et Pascal Marie. L’un est militaire, l’autre un détenu. Ils contestent des décisions les soumettant à un régime juridique extraordinaire. Ils font l’objet d’une décision qui dira le Conseil d’Etat, « porte atteinte à leur liberté individuelle ». Au fond, les décisions excèdent les stricts besoins d’organisation interne du service et ont des conséquences sur leurs libertés individuelles et sur leurs droits fondamentaux. Parce que ces décisions excèdent les régimes ordinaires, ces décisions font grief et sont susceptibles de recours.

         Ces décisions de 1995 sont très indépendantes de la jurisprudence de la CEDH, qui avait incité les juges en général et les Etats à favoriser l’accès à la justice par des détenus ou des militaires faisant l’objet de traitements humiliants.

         La jurisprudence de 1995 établit un dualisme : certaines décisions, par nature, portent atteinte à un droit, et d’autres ne portent pas atteinte. Aucune décision, par nature, ne porte atteinte à un droit. Elle porte atteinte à un droit si on a reconnu un droit à une décision. Tout règlement intérieur porte nécessairement atteinte à des droits, dès lors que l’ont fait une interprétation large de ce droit. Une chaine de décisions est pourtant nécessaire, et des décisions doivent être imposées autoritairement. Il faut distinguer les décisions qui portent atteinte à un droit fondamental et les autres. Un droit fondamental n’est pas qualifiable. Cette autorité, c’est le juge, et lui seul peut qualifier. La limitation même de ce droit dépend largement du juge qui applique le texte. Cette critique peut être faite à cette jurisprudence de 1995 et à toutes les jurisprudences qui raisonnent ces termes.

 

         La catégorie des mesures d’ordre intérieur s’est considérablement vidée de son contenu aujourd’hui. Il reste quelques décisions, par ex. dans les établissements d’enseignement.

         La CAA Paris, 5 nov. 2002, M. Saïd-André Remli, où la Cour Administrative d’Appel prend le contre-pied exact du Conseil d’Etat en matière de placement à l’isolement d’un détenu (QHS auparavant). Dans une autre décision de 1996, le Conseil d’Etat affirmait que le placement à l’isolement était une mesure d’ordre intérieur (JP Caillol). En 2002, la CAA énonce qu’une telle décision fait grief. CE, 30 juillet 2003, Remli, où le Conseil d’Etat, comme la CAA rappelle que la mise à l’isolement, par sa nature même, prive la personne de certaines activités. Le Conseil d’Etat suit la Cour Administrative d’Appel.

         En revanche, le Conseil d’Etat rappelle que la mise en cellule disciplinaire à titre préventif restait pour lui une mesure d’ordre intérieur. De même, il est concevable que la mise à l’isolement volontaire est une mesure d’ordre intérieur. Or, si cette décision vient du détenu, comment peut-elle faire grief ? Il y a là un consentement du détenu à subir un régime extraordinaire.

 

  • 2 : Le caractère exécutoire de l’acte

 

         Ce terme intervient différemment. Il est imputé à Maurice Hauriou, qui confond le caractère exécutoire de l’acte et l’exécution d’office.

 

  1. A) Décision exécutoire et exécution d’office

 

  1. Hauriou utilise l’expression de décision exécutoire dans son Précis de Droit administratif et énonce : « la décision exécutoire est toute déclaration de volonté, en vue de produire un effet de droit vis-à-vis des administrés, émise par une autorité administrative, c’est-à-dire dans une forme qui entraine l’exécution d’office. »

         On perçoit l’idée que l’intervention de l’autorité administrative produit un effet immédiat. Il semblerait que si cette déclaration de volonté ait été émise par quelqu’un d’autre que l’autorité administrative, on n’aurait pas eu d’exécution d’office. C’est la forme dans laquelle la décision est prise qui produit l’effet exécutoire. Une décision d’une autorité administrative est une décision autoritaire, autrement dit qu’elle s’impose à des individus sans leur consentement.

  1. Hauriou parle d’exécution d’office, mais est-ce l’exécution matérielle ou le caractère exécutoire. L’exécution d’office serait l’exécution matérielle au-delà de l’examen de la légalité de la décision. Ce serait presque le confinement de la voie de fait.          Le terme « exécution d’office » peut laisser penser à l’exécution forcée. L’exécution forcée d’une décision est cette situation contraignant un individu en utilisant précisément la force publique par ex.

        

         Différence entre l’acte unilatéral et l’exécution d’office. L’acte unilatéral ne donne pas lieu à une contrainte physique. Il est pris sans le consentement des intéressés (ex. reconduite à la frontière, décision juridiquement valide du jour où elle a été prise, mais qui ne donne pas nécessairement lieu à l’emploi de la contrainte physique). Il n’y a pas toujours d’effets matériels que suppose la décision intellectuelle. On reproche à M. Hauriou de croire qu’il y a décision exécutoire dès qu’il y a exécution de la décision avec emploi de la contrainte physique. Hauriou aurait légitimé l’emploi systématique de la contrainte physique par l’Administration et aurait considéré qu’une décision exécutoire justifie toujours l’emploi de la force physique. Or, il est certain que si la plupart des décisions administratives doivent donner lieu à l’emploi de certaines forces, l’emploi de force ne justifie pas l’exécution forcée (l’exécution d’une décision contre des individus en dépit de toute légalité possible).

         On reproche à Hauriou de confondre le plan du fait et le plan du droit. Parler d’exécution d’office suffit à Hauriou l’intervention systématique de la force avant même la décision juridique de l’emploi de cette force. Mais, cette interprétation-là de M. Hauriou est elle-même très contestable.

         Hauriou cherche en réalité à identifier la situation particulière permettant à l’autorité administrative d’avoir recours à une certaine contrainte en y étant autorisé par sa décision intellectuelle propre. L’autorité administrative est investie d’une puissance que ne connaissent pas les particuliers. La décision unilatérale s’impose sans leur consentement.

 

 

 

  1. B) Décision exécutoire et sursis à exécution

 

                   La décision exécutoire était la décision qui ne pouvait faire l’objet d’un sursis à exécution. Cela venait d’une jurisprudence du Conseil d’Etat, not. CE, 23 janvier 1970, Amoros, à propos d’une décision d’un médecin inspecteur régional de la santé (autorité administrative) refusant de classer des étudiants en médecine susceptibles d’être nommés comme externes. Le doyen refuse la communication des notes. On a des refus des décisions individuelles, qui en l’espèce modifient la situation juridique des candidats au concours. Ils ne peuvent pas être externes ou obtenir leurs notes. Cette décision de refus est considérée comme ne modifiant pas la situation des personnes. Le Conseil d’Etat considère que cette décision n’est pas exécutoire, parce que c’est une décision de pur rejet d’une demande, et qu’elle ne peut pas faire l’objet d’un sursis à exécution d’une décision.

         Une décision de rejet n’a, a priori, besoin d’aucune demande d’exécution matérielle (ex. refus d’un permis de construire). Tout laisse penser que cette décision s’impose à des administrés, et qu’elle n’est pas exécutoire car elle ne suppose pas en outre une exécution matérielle. On ne peut donc pas suspendre son exécution, c’est-à-dire « surseoir son exécution ». Une décision de rejet produit ses effets au moment où elle prise.

         Puis, le Conseil d’Etat semble lier la notion exécutoire de la décision au sursis à exécution de la décision. On en vient à penser qu’une décision est exécutoire lorsqu’elle fait l’objet d’un sursis. C’est risquer la confusion entre des décisions de rejet produisant leurs effets lorsqu’elles sont prises et des décisions qui produiraient leurs effets du jour où elles sont mises en œuvre matériellement. Ex., mais, la décision de reconduite à la frontière, ayant besoin d’une exécution matérielle, produit des effets sur l’individu dès le jour où elle est prise. Cette jurisprudence était elle-même très contestable. Elle montre l’ambiguïté de l’expression « caractère exécutoire » !

         « Exécutoire » signifie « toute décision qui est susceptible d’un sursis à exécution ». Cette même idée n’est plus défendable aujourd’hui car la loi qui organise le référé depuis 2000 (action en justice permettant de gagner du temps) par laquelle on demande au juge de prononcer le sursis à exécution d’une mesure (elle était possible pour les décisions de rejet, et par la loi de 2000 les décisions de rejet sont susceptibles de sursis à exécution). Aujourd’hui, on ne peut plus raisonner comme en 1970, en considérant qu’une décision exécutoire peut donner lieu à un sursis à exécution.

                  

  1. C) Décision exécutoire et entrée en vigueur

 

                   Depuis la loi sur la décentralisation en 1992, il est prévu que les actes des autorités locales sont exécutoires de plein droit dès lors qu’il a été procédé à leur publication ou notification aux intéressés. Ici « exécutoire » ne peut pas désigner une décision susceptible d’un sursis à exécution, à une exécution d’office.

         Dire qu’un acte entre en vigueur, c’est qu’il commence à produire ses effets, c’est un acte qui s’exécute de lui-même, ou que l’on exécute. Cela veut dire qu’il y a une forme d’exécution d’office.

         > Distinguer « entrée en vigueur » et « exécution d’office » n’est pas pertinent.

         > Une décision exécutoire de plein droit est une décision qui produit ses effets.

        

  1. D) Le « caractère exécutoire » des décisions : « règle fondamentale du droit public »

 

                   Le caractère exécutoire serait une règle fondamentale du droit public. Cela résulte de CE assemblée. 2 juillet 1982, Huglo et autres, où le Conseil d’Etat a cette formulation selon le caractère exécutoire d’une décision administrative est la règle fondamentale du droit public.

         Cette idée que la décision produit ses effets indépendamment des destinataires, et qu’en outre l’Administration n’a pas à obtenir l’autorisation d’un tiers (ex. juge) pour imposer une obligation ou conférer un droit à un administré. Ne pas avoir à passer par le juge pour faire produire des effets à une décision est ce qui fondamental au sens de constitutif du droit public. Ex. on la retrouve dans un arrêt 30 mai 1913, Préfet de l’Eure, où le juge administratif énonce que l’Administration n’a pas à demander au juge d’exercer une compétence qu’elle seule détient. Lorsque l’Administration demande cela au juge, elle renonce à sa propre compétence, renonciation interdite en Droit. Cette notion de caractère exécutoire est aussi le privilège du préalable. L’Administration prend des décisions qui s’appliquent avant toute contestation. Elle produit ses effets préalablement, ce qui est une autre manière de dire qu’elle s’exécute d’office, dès le moment où elle est prise.

         La CEDH pourrait s’y intéresser, au motif que c’est une atteinte au droit d’accès à la justice, ou que cela prive d’un recours. Une décision administrative est avant tout une décision d’autorité, par laquelle on impose un certain ordre public, qui n’est pas un ordre moral. Si cette décision n’est pas dotée de ce privilège du préalable, alors peut-être qu’aucun ordre public n’est concevable ou ne peut faire l’objet d’un maintien quelconque.

 

Section 2 : Le critère de l’acte administratif

 

         Ces critères sont proches de ceux dégagés pour le Service Public.

 

  • 1 : Le critère organique

 

         Le critère organique est tiré de l’autorité qui prend l’acte. Mais qu’est-ce qu’une autorité administrative ? Ce pourrait être simplement une personne publique, ce serait donc l’Etat, les collectivités territoriales, les établissements publics… Cette définition est ambiguë car il y a des autorités non rattachées à l’Administration auxquelles le juge reconnait le pouvoir de prendre des actes administratifs.

         – Il y a aussi des autorités administratives qui prennent des actes qui ne sont pas administratifs. Des autorités administratives prennent parfois des mesures d’ordre intérieur qui ne sont pas considérées comme des actes administratifs.

         – Certaines autorités non rattachées à l’Administration peuvent prendre des actes administratifs. Ex. les juridictions civiles, pénales… non intégrées à la hiérarchie administrative. Leurs actes concernent le Service Public de la justice. Ils sont considérés comme administratifs. Arrêt CE Assemblée., 17 avril 1953, Falco et Vidaillac, à propos du conseil supérieur de la magistrature rattaché à l’organisation du service judiciaire, et donc en tant que tel il n’est pas une autorité administrative, mais néanmoins, dès lors qu’il prend des décisions relatives à des litiges concernant la désignation de certains de ses membres (du Service Public de la justice) de la juridiction, il prend des décisions de nature administrative. Au fond, il participe à l’organisation du Service Public de la justice. On voit ici un critère matériel de l’acte administratif.

         – Les assemblées parlementaires ne sont pas des autorités administratives. Le Parlement n’est pas une personne publique à part entière. Le Parlement français agit au nom de l’Etat. Pourtant, il peut arriver dans certains cas que les services des assemblées parlementaires prennent des actes administratifs. Il faut une organisation au Parlement, qui conduit à la prise d’actes administratifs.

         Ex. CE assemblée, 5 mars 1999, Président de l’Assemblée Nationale (GAJA), à propos de contrats de marchés de travaux publics passés par les services de l’AN avec de cocontractants privés. Le Conseil d’Etat explique de manière subtile que les actes qui sont détachables de ces contrats eux-mêmes administratifs sont des actes administratifs. Le Conseil d’Etat identifie le caractère administratif à partir de l’acte duquel il se détache. CE, 1905, Martin, actes détachables.

         – Les personnes privées prenant des actes administratifs : c’est le cas de ces personnes auxquelles on confie la gestion d’un Service Public.

        

         > Le critère organique ne suffit jamais à lui seul pour identifier un acte administratif. Il faut le critère matériel, tiré du service ou de la puissance publique.

 

  • 2 : Le critère fonctionnel

         Ce critère se dédouble en une alternative.

         Un acte administratif, ou émanant d’une autorité usant de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE, est qualifié d’acte administratif. Des décisions s’imposant à des administrés et par lesquelles l’auteur fait usage de prérogatives de puissance sont une décision administrative (arrêt Monpeurt de 1942 vérifie cela ; on voit bien qu’alors même que la personne ayant pris l’acte n’est pas une Personne Publique ni une Propriété privée, c’est l’utilisation d’une certaine puissance, contrainte, qui rend cet acte administratif. Mais, cette puissance publique n’est pas utilisée au profit de la personne, et vise une finalité qu’est l’organisation du SP). L’organisation du Service Public permet de rattacher les règlements à la catégorie générale de l’acte administratif (arrêt époux Barbier, à propos des hôtesses d’AF).

         Dans Monpeurt, l’usage du comité de sa puissance d’imposer aux entreprises de produire à certains prix et dans certaines conditions est mis au cœur de l’organisation de la production du verre. Il y a un lien entre le critère de la puissance et l’organisation du service.

         Dès lors que l’autorité administrative à l’origine de l’acte est publique, on présume que son acte est administratif, car il est la manifestation d’une certaine puissance en vue d’une certaine fin.

         Quand l’autorité qui prend l’acte est une Propriété privée ou largement soumise au Droit privé, on présume que la finalité est celle du service, mais il faut prouver qu’il y a utilisation d’une prérogative de puissance (ex. Propriété privées qui exercent un SP, prennent des décisions dans le cadre de son exécution, mais dont toutes les décisions ne sont pas la manifestation d’une puissance publique susceptible de rendre l’acte « administratif »).         Il y a combinaison des critères organiques et fonctionnels !

 

         Le critère fonctionnel, au fond, est utilisé lorsqu’on est face à un acte pris par une Propriété privée. Il est utile, car il permet de renverser la présomption selon laquelle une Propriété privée prend des actes de Droit privé, tandis que ce critère fonctionnel est un corollaire du critère organique, car la personne à l’origine de l’acte est une PP.

         Le problème a lieu devant des personnes dont on ne connait pas la nature (ex. Banque de France, car le législateur ne voulait pas la qualifier de Personne Publique ce qui rattacherait les comptes des particuliers au domaine public). TC, 1997, a affirmé que la Banque de France est une personne morale de Droit public. Le législateur est obligé de revoir le statut de la banque et ses activités. On utilise le critère fonctionnel pour trouver la nature de la personne.

 

CHAPITRE II : LE REGIME DES ACTES ADMINISTRATIFS

 

Section préliminaire : La classification des actes

 

         Actes réglementaires/non-réglementaires. Le régime juridique d’un acte administratif dépend de son caractère réglementaire ou non. Il y a des actes qui ne sont ni réglementaires, ni individuels.

 

  • 1 : Les actes réglementaires

 

         Il vise une catégorie de personnes. C’est un ensemble d’individus identifiés d’une certaine manière, à la discrétion de l’Administration. Il lui est interdit de fonder des catégories sur le critère de la religion/race… discrimination au principe d’égalité, et à la Constitution. L’acte est donc réglementaire car il s’applique à des individus identifiés par une catégorie, mais l’acte doit en outre poser une norme. C’est pourquoi, certains actes ne sont pas qualifiés d’actes réglementaires.

         Pour qu’un acte pose une règle, il faut pouvoir en faire une application individuelle. Il doit être concrétisable, applicable à un individu.

         Ex. un arrêté ministériel qui inscrit certains produits pharmaceutiques sur une liste de médicaments remboursables, est un acte réglementaire qui applique à un ensemble d’éléments une règle, et on pourra prendre une décision quant à un seul des éléments sur le fondement de cette décision. C’est sur le fondement de l’acte qui classe que l’on pourra rembourser le médicament pris par Ségolène.

         Ex. un préfet prescrit le curage d’un cours d’eau à des riverains de ce cours d’eau. Cette décision est étonnante, car dans la mesure où elle est assortie d’aucune obligation, elle n’est suivie d’aucune concrétisation, aucune sanction n’est prévue.

         Un acte réglementaire pose une règle pour une catégorie de personne et qui doit assortir cette règle d’une sanction, qui doit servir de fondement à une décision individuelle.

 

  • 2 : Les actes non-réglementaires

 

         Parmi ces actes non réglementaires, on trouve des actes individuels (ceux ne concernant qu’une personne déterminée, nommément désignée). Ex. la nomination d’un fonctionnaire, l’autorisation donnée à une personne, un jury d’examen. Il n’y a aucune règle générale derrière. Il faut un nom.

 

         Il y a des actes non réglementaires, non individuels, ce sont les actes du troisième type. Ce sont les actes dits collectifs, ils concernent plusieurs personnes mais ne sont pas porteurs d’une règle applicable à des individus susceptibles d’individualisation. Ex. lors d’un concours, un candidat est admis et classé. Selon le rang, le candidat a différents droits, peut choisir son affectation. La situation d’un individu dépend de la situation des autres. Ex. Lors d’un concours pour un poste, le deuxième dépend de la situation du premier. Si le premier a fraudé, le deuxième monte. C’est un acte typiquement collectif.

         Pour autant, ce n’est pas un acte réglementaire non plus, ni purement individuel : on ne peut pas les détacher les uns des autres.

 

         Il y a des actes qui concernent une situation mais ne permettent pas d’identifier une règle applicable à des individus (ex. la délimitation d’une circonscription électorale). L’acte concerne une pluralité de personnes, mais ne contient aucune prescription susceptible d’être individualisée. Ex. déclaration d’utilité publique d’expropriation. C’est un acte particulier.

 

         Selon que l’acte est réglementaire ou non, les règles appliquées à ses effets dans le temps vont changer. On ne l’abrogera pas de la même façon s’il est individuel, le retrait sera plus compliqué.

        

Section 1 : L’édiction de l’acte administratif unilatéral

 

  • 1 : L’auteur de l’acte : les règles de compétence

 

         La compétence, c’est l’aptitude juridique à prendre une mesure. Cette compétence dépend de :

         – l’élément matériel,

         – l’élément territorial,

         – l’élément temporel (ratione temporis…).

 

  1. A) La détermination de l’autorité compétente

 

         La compétence matérielle (ratione materiae) : une autorité administrative n’est pas compétente pour tout. Une autorité administrative est compétente pour certains actes, dans certains domaines, plus ou moins vastes. Il y a toujours une sphère de compétences, une sphère matérielle. Une autorité administrative ne peut intervenir qu’en matière administrative.

         Une autorité administrative ne peut empiéter sur le domaine de compétences d’une autre autorité (dans l’ordre ascendant ou descendant). La compétence se définit d’abord matériellement, puis géographiquement et territorialement.

         La compétence territoriale : Une autorité administrative n’est compétente que sur un certain territoire. La plus haute autorité administrative de l’Etat (Président de la République, Premier Ministre) sont compétents pour le territoire national. Un préfet ne peut prendre des mesures que pour son cadre territorial (sinon l’acte est entaché d’un vice d’incompétence), c’est-à-dire le département.

         La compétence temporelle : La compétence d’une autorité administrative commence avec son investiture et s’achève avec sa désinvestiture. Il ne lui suffit pas d’être nommé pour être compétente. Elle doit être elle-même entrée en vigueur. Entre la nomination et l’entrée en vigueur, l’autorité n’est pas compétente, elle doit être investie.

         L’auteur de l’acte doit être en fonction. Une autorité administrative ne peut pas prévoir qu’un acte entrera en vigueur une fois que l’autorité aura quitté ses fonctions, même si un acte peut prévoir ses effets au-delà de l’investiture.

 

  1. B) L’assouplissement des règles de compétences

        

                   La théorie du fonctionnaire de fait. Pour pallier des carences, en situation d’urgence ou de danger, on admet dans certains cas soit qu’une autorité administrative puisse déborder de son cadre territorial, ou de son cadre matériel, soit encore on admet qu’une Propriété privée agisse comme une autorité administrative.

         La théorie du fonctionnaire de fait peut concerner :

                   – soit une autorité administrative dont on va étendre le champ de compétences (elle déborde de son cadre territorial/matériel),      

                   – soit on va transformer l’action d’un Propriété privée en l’action d’une autorité administrative (elle devient un fonctionnaire de fait, c’est une pure fiction, mais nécessaire).

        

  • 2 : La procédure d’élaboration de l’acte administratif

 

         2 lois :          – 17 juillet 1978

                            – 12 avril 2000

         1 décret :      – 28 nov. 1983 (contient la norme selon laquelle une circulaire doit être publiée)

 

         La procédure est dominée par le principe du contradictoire, auquel s’associe des consultations, avis et délais.

 

  1. A) Le principe du contradictoire

 

                   Depuis les années 1970, il y a un courant assez fort se manifestant régulièrement visant à améliorer les relations entre l’Administration et les administrés (loi du 17 juillet 78, 6 janvier 78, décret 28 nov. 1983, loi du 12 avril 2000 relative à l’amélioration des relations). Ce mouvement profond s’inscrit dans une conception démocratique des choses, où il s’agit de tempérer l’autorité ou la tentation discrétionnaire de l’Administration.      

         Toute décision administrative, même unilatérale, est soumise au principe du contradictoire (sinon illégalité de l’acte).

 

         Ce principe se confond avec un autre principe du respect des droits de la défense. Toute décision administrative qui a un caractère de sanction doit être précédée, prise, en suivant une procédure permettant à l’intéressé de discuter des griefs formulés contre lui. Ce principe du contradictoire formulé autrement sous la forme du respect des droits de la défense a été posé par CE, 5 mai 1944, Veuve Trompier-Gravier (GAJA). Ce principe a d’abord été posé par le juge administratif en 1944 et a été qualifié de principe général du droit (imposé à l’Administration par le JA). Il s’impose désormais au législateur lui même (art. 6, § 1er, CEDH). Le Conseil Constitutionnel lui-même impose le respect de ce principe de cette décision (28 déc. 1990).

         Ce principe impose à l’Administration de mettre l’intéressé soumis à une décision de sanction en mesure de présenter une défense, et cela suppose donc pour un fonctionnaire que la communication de son dossier est un droit. Ce dossier contient des informations pouvant avoir fourni des éléments à une décision de sanction. Les autres agents, non fonctionnaires, peuvent également présenter leur défense sans dossier, mais ils peuvent aussi être informés d’un projet de sanction à leur égard.

         L’accès au dossier, l’information d’une intention de décider une sanction sont autant d’informations qui doivent être fourni à l’intéressé.

 

         Ce principe implique des tempéraments :

         – Lorsque la décision défavorable dont fait l’objet un intéressé est prise dans l’intérêt général (ex. fermeture d’une maison de retraite dont les installations sont dangereuses ; ex. autorisation temporaire de domaine public), le principe du contradictoire ne s’impose pas. On ne cherche pas à sanctionner un administré, mais à faire en sorte que le domaine retourne à son état initial.

         – Une décision prise pour le maintien de l’ordre public (ex. une mesure de police pouvant avoir des effets défavorables sur un débit de boisson, retrait de licence) n’est pas soumise au principe du contradictoire.

        

         Certaines sources textuelles font application de ce principe : article  24, loi du 12 avril 2000, reprend les dispositions du décret du 28 nov. 1983, article  8 et prévoit que les actes individuels, unilatéraux, qui ne sont pas pris à la demande de l’intéressé et qui sont soumis à une obligation de motivation, ne peuvent intervenir qu’après que la personne a été mise en mesure de présenter des observations écrites, une défense.

         Ex. le préfet prend un arrêté retirant l’autorisation d’ouverture une pharmacie. Cet acte peut être pris indépendamment de la personne, sans que l’on recherche à la sanctionner, et sans qu’il y ait derrière de nécessité d’ordre public, et il y a une procédure contradictoire qui s’imposera.        

 

         Au-delà même des sanctions, il y a des mesures individuelles défavorables soumises au principe du contradictoire, par ex., lorsque le Gouvernement décide de ne pas proposer le renouvellement d’un agent qui siège dans une organisation internationale, la décision peut ne pas être prise au titre d’une sanction, mais elle est prise à titre individuelle. Il y a donc principe du contradictoire, et il faut mettre l’agent à même de présenter une défense. Ex. décision de mutation d’un agent prise à titre individuel. Ce n’est pas nécessairement une sanction, et l’agent doit pouvoir présenter une défense.

        

         Toute décision prise à l’égard d’un administré, d’un intéressé, et qui est défavorable, doit pouvoir permettre à l’intéressé de présenter sa défense. On doit pouvoir connaitre les griefs dont on fait l’objet. Cela vaut lorsque la décision est une sanction, et aussi lorsque la décision n’est pas prise au titre d’une sanction.

         Ce principe reste très formel. Ce n’est pas parce qu’on met en mesure l’intéressé de présenter sa défense que la nature de la décision changera. Cela permet éventuellement à l’intéressé de pouvoir exercer un recours en connaissance de cause (cela ne vaut pas la peine si les faits sont avérés par ex.).

        

  1. B) Les consultations et avis

 

           On a les consultations facultatives et les consultations obligatoires.

         Consultations facultatives : elles ne sont pas imposées par un texte, mais sont imposées par l’Administration à elle-même en vue de prendre une décision adéquate. La seule exigence de la jurisprudence est que la consultation soit menée à son terme (respecter les règles de la collégialité, la consultation doit être exhaustive, toutes les personnes concernées sont convoquées, l’autorité consultante met l’organisme qui prendra la décision en mesure de se prononcer).

         Consultations rendues obligatoires par la loi : elles posent problème, not. Lorsqu’elles prennent la forme d’un avis du Conseil d’Etat. Certains textes prévoient que leur application sera prise en Conseil d’Etat. On distingue 2 formes d’avis du Conseil d’Etat :

                   – Avis simple : même obligatoire, il impose à l’autorité soumise de consulter le Conseil d’Etat, mais cette autorité n’a pas l’obligation de le suivre. L’autorité, en cas d’avis simple imposé par la loi, doit recueillir l’avis du CE, mais n’est pas tenue de s’y conformer. L’autorité administrative « n’est pas liée » par cet avis.

                   – Avis conforme : lorsqu’un texte prévoit cela, l’autorité administrative doit recueillir l’avis du Conseil d’Etat est s’y conformer intégralement. Le Conseil d’Etat accorde une importance considérable à cette conformité. Ex. un texte pris sans consultation du Conseil d’Etat, ou sans avis conforme, serait entaché d’un vice de procédure, mais le Conseil d’Etat lui considère qu’en cas d’omission ou de non respect de son avis conforme, l’autorité administrative prend un acte entaché d’incompétence. L’omission de la forme qu’est la consultation du Conseil d’Etat en cas d’avis conforme est sanctionnée par l’incompétence de l’auteur de l’acte administratif. Le Conseil d’Etat se reconnait donc le titre de co-auteur d’un texte lorsque ce texte est pris sur avis conforme du Conseil d’Etat. Ce qui vaut pour le Conseil d’Etat vaut aussi pour d’autres autorités dont la loi impose que l’avis conforme soit recueilli (ex. modification d’un bâtiment classé,  sans l’architecte des bâtiments de France… l’acte serait entaché d’incompétence).

                   Un acte pris avec l’avis conforme du Conseil d’Etat ne peut être modifié sans repasser par l’avis conforme du Conseil d’Etat. C’est le parallélisme des formes, résultant de CE assemblée, 3 juillet 1998, Syndicat national de l’environnement.

         Arrêt CEDH, Procola c/ Luxembourg, si un acte administratif est entaché d’incompétence dès lors qu’il a omis de respecter certaines formes, le Conseil d’Etat peut-il être juge du texte dont il est le co-auteur. N’y a-t-il pas ici de ce que la CEDH appelle la séparation des pouvoirs.

 

  1. C) Les délais

 

         La plupart du temps, l’Administration est libre de rendre sa décision quand elle le veut. Il n’y a pas de délai s’imposant à elle. Mais, lorsqu’un texte impose un délai, alors ce délai doit être respecté. Mais, l’état du Droit est en train de changer, sous l’effet de la jurisprudence de la CEDH, qui tend à sanctionner de plus en plus les administrations étatiques qui mettent beaucoup de temps à prendre des textes nécessaires à l’application de certaines lois (décrets d’application). La France est un des Etats dans lequel l’Administration met un certain temps à prendre les décrets d’application de certaines lois.

 

         Le Conseil d’Etat lui-même en vient à sanctionner de plus en plus fréquemment l’Administration lorsqu’elle n’agit pas dans un délai raisonnable. Le Conseil d’Etat a toujours fait cela, mais la fréquence de cette activité augmente aujourd’hui.

 

         CE, 28 juillet 2000, Association France Nature Environnement (AFNE), à propos duquel le Conseil d’Etat précise que l’exercice du pouvoir réglementaire comporte l’obligation de prendre dans un délai raisonnable les mesures qu’implique nécessairement l’exécution de la loi (cela désigne non seulement les décrets d’application, mais aussi toutes les mesures nécessaires à la loi et qui découlent des nécessités d’application).

 

  • 3 : La forme de l’acte et la question de la motivation

 

  1. A) La forme

 

                   L’Administration doit suivre des procédures (prévenir les personnes concernées, suivre l’avis de certaines autorités). La forme de l’acte administratif peut être aussi bien écrite qu’orale. La plupart du temps, les décisions sont écrites, et toute décision orale doit pouvoir faire l’objet d’une trace écrite (pour la contestation).

        

         La forme de l’acte administratif peut être :

         – Explicite,

         – Implicite.

         En principe, les décisions de l’Administration sont explicites. Parfois, la notification est implicite, par absence de décision. Il existe un principe reconnu par la jurisprudence selon lequel le silence gardé par l’Administration pendant un certain temps vaut rejet de la demande. La plupart du temps, le silence est de 2 mois. Ce délai de 2 mois a été consacré par article  21, loi du 12 avril 2000. Auparavant, CE assemblée, 27 février 1970, Commune de Bozas.

         Ce principe a été contesté par le Conseil Constitutionnel, qui considérait l’inverse, mais le Conseil d’Etat a maintenu sa règle.

 

         L’Administration gagne du temps en ne notifiant pas le rejet, mais au regard des droits de la défense, ce principe peut paraitre discriminatoire.

 

  1. B) La motivation

 

                   2 époques :

         – Avant loi du 11 juillet 1979

         – Après la loi du 11 juillet 1979

 

         Cette loi pose un principe selon lequel pour certaines décisions (not. décisions individuelles défavorables), la motivation doit être écrite, c’est-à-dire qu’elle doit comporter l’énoncé des considérations de Droit et de fait qui constituent le fondement de la décision.

         Cette motivation vaut pour les décisions individuelles défavorables ou qui restreignent l’exercice des libertés publiques.

 

         Avant cette loi, la plupart des décisions individuelles défavorables ne faisaient pas l’objet d’une motivation systématique. Il y avait cependant une jurisprudence, CE assemblée, 27 nov. 1970, Agence maritime Marseille Fret, à propos d’une décision concernant un organisme professionnel investi de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE prenant des décisions permettant d’exploiter un trafic maritime qui devaient être motivées. Quelle est la portée de cette jurisprudence ? Tous les organismes investis de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE devaient-ils systématiquement exposer les motivations de leurs actes ?

         En réalité, cette jurisprudence n’a pas eu la portée qu’on a pu y voir au début. Elle a surtout été un moyen pour le Juge Administratif confronté à un organisme dont on ne connaissait pas la nature (public/privé ?) d’exiger une motivation lorsque cet organisme apparaissait comme plutôt public ou investi de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE. Pas de principe général suite à cette jurisprudence.

        

         Pourquoi la loi de 1979 ? Elle correspond au mouvement de démocratisation des administrations européennes (ex. Norvège, Danemark, Suède). En France, dans les années 74, le ministre de l’intérieur J. Chirac a fait fusionner plusieurs fichiers informatiques relevant du min. de l’intérieur et du min. des finances, dans le fichier Safari. Dénoncé par les journalistes, une commission est mise en place, puis donne lieu à la loi de 1978 sur la CNIL allant encadrer les fichiers informatiques de l’Administration. On créé une autorité habilitée à transmettre les documents administratifs (CADA), et on adopte une loi relative à la motivation des actes administratifs.

 

         Motivation : fourniture des justifications en Droit, des raisons juridiques sur lesquelles doit s’appuyer une autorité administrative lorsqu’elle prend une décision. C’est un acte qui consiste à expliciter les raisons juridiques d’une décision.

         Les motifs s’appliquent à des faits, à la situation de la personne. La loi de 1979 prévoit l’énonciation des considérations de Droit et de faits (préoccupation d’ordre démocratique, idée d’une bonne Administration, des politiques publiques, exigences tirées du contrôle des décisions administratives).

        

1) Le champ d’application de cette exigence de motivation

 

         – article  1 de la loi de 1979 :

                   * Les décisions individuelles défavorables sont concernées.

                   * Cela exclut les décisions réglementaires (les décisions qui ne sont pas favorables, donc ne créant pas de droit pour un particulier). L’administration ne doit pas motiver une décision favorable. Les motifs n’ont pas besoin d’être explicités par l’Administration même s’ils existent dans une décision favorable.

                  * Cela exclut des décisions défavorables à des tiers mais favorables à l’intéressé.

               * Les décisions dites d’espèce, ni individuelles, ni réglementaires, ne sont pas concernées par la loi de 1979.

 

        Ces décisions individuelles défavorables entrent dans des catégories prévues :

 

        1/ Les mesures restrictives de liberté :

               * mesures restreignant l’exercice de libertés publiques car elles conduisent à l’expulsion d’un étranger.

               * Les mesures prononçant la déchéance de nationalité française

               * L’internement d’office dans un hôpital psychiatrique.

 

        2/ Les mesures individuelles défavorables qui relèvent du pouvoir de police :

               * L’interdiction de la vente d’une revue à des mineurs.

               * L’arrêté du préfet qui ordonne la fermeture d’un débit de boisson

 

        Le refus de prendre une mesure de police ne tombe pas dans le cadre de la loi et n’a pas besoin d’être motivé.

 

        3/ Les mesures qui infligent une sanction, ce sont ces mesures qui concernent les fonctionnaires (ex. qui retirent un emploi).

 

        4/ Les mesures qui subordonnent l’octroi d’une autorisation à des conditions restrictives, ou encore qui imposent des sujétions.

 

        5/ Les mesures qui retirent ou qui abrogent une décision créatrice de droit (ex. retrait d’un permis de construire).

 

        6/ Les mesures qui opposent une prescription, une forclusion (lorsqu’une action en justice est ouverte pendant un certain délai, au délai de ce délai on est forclos) ou une déchéance (une personne est hors délai pour présenter une demande).

 

        7/ Les mesures qui refusent un avantage dont l’attribution constitue un droit pour les personnes qui remplissent les conditions légales pour l’obtenir. Ce peut être l’attribution d’une prime. Le refus d’attribution est un refus d’un avantage, et si la personne était en droit de l’obtenir, la décision doit être motivée.

 

        Loi du 17 janvier 1986 introduit :

         8/ Les mesures qui refusent une autorisation. Cette catégorie a été rendue nécessaire après une jurisprudence de 1983, époux Mousset, à propos d’une demande formée par des parents d’inscrire leurs enfants avant l’âge réglementaire à l’école réglementaire refusée. En vertu de la loi de 79, ces refus ne rentraient pas dans les cases de la loi, ce n’était pas une mesure de restriction des libertés publiques. Cela permet aux administrés d’obtenir la motivation de la décision de refus.

 

         À l’art. 2, on trouve une autre catégorie : les décisions individuelles qui dérogent  aux règles générales. Cette catégorie peut paraitre favorable aux destinataires (exceptions), mais la présence de cette catégorie parmi les décisions devant faire l’objet d’une motivation se justifie au regard de l’information des tiers (on oblige l’administration à informer les tiers). C’est une exception à toutes les règles défavorables qui doivent être motivées.

 

         Une décision qui ne serait pas motivée serait illégale en la forme, mais pas nécessairement au fond. La décision pourrait être reformulée avec la motivation.

         Les motivations formelles rencontrent des limites. L’Administration agit parfois dans l’urgence, et il y a des limites à l’obligation de motiver qui se rencontrent en cas d’urgence ou de circonstances exceptionnelles. Cela ne dispense pas l’Administration pour autant de réfléchir à une motivation de sa décision. L’article précise que l’intéressé a le droit de la communication sur ses motifs dans un délai d’un mois. Pour qu’il y ait dispense de motivation, il faut qu’il y ait urgence absolue (définie strictement et sous le contrôle du juge). Ex. Le juge peut considérer que l’expulsion d’un étranger n’est pas justifiée par l’urgence, et qu’une telle décision devait être motivée (arrêt de 1988).

         L’Administration ne décide pas s’il y a urgence. Si l’urgence n’était pas contrôlée par le juge, ce serait une porte ouverte à la dispense de motivation permanente.

 

         Le cas des décisions implicites : l’Administration dispose du pouvoir de prendre des décisions implicites, où la motivation n’est pas fournie. Si la décision implicite ne donne pas lieu à une motivation expresse, l’Administration n’est pas censée avoir décidé de manière purement arbitraire, de sorte que l’intéressé a le droit à la communication des motifs dans un délai d’un 1 mois. Le délai commence à courir à partir du jour de la concrétisation du jour de la conclusion de la décision implicite (c’est-à-dire 2 mois après la mesure).

 

         L’Administration doit appliquer les règles générales et prendre en compte réellement la situation de l’intéressé, ce qui justifie le choix de ces règles en question. On retrouve le formalisme classique selon lequel tout fait doit être régi par une règle, mais aussi une attention portée sur l’intention précise de l’intéressé. On tente d’empêcher des motivations standard. Ces motivations sont considérées comme illégales. Le juge porte un contrôle sur l’existence et sur le caractère suffisant de la décision.

         Il ne suffit pas que la décision existe pour qu’elle soit légale. La motivation illégale est l’absence de motivation, mais aussi la motivation standard ou stéréotypée.

         Ex. Arrêt 1982,Mugler, à propos d’une autorisation d’ouverture d’une officine de pharmacie et des besoins de la population qui ne justifient pas cette ouverture. Ces besoins n’ont pas de rapport avec la situation de Mme Mugler.

         Ex. On ne peut pas par ailleurs expulser quelqu’un au motif qu’il prévoyait des actions violentes. Cela ne suffit pas à motiver une décision d’expulsion en urgence absolue d’un étranger.

         Ex. Une référence à un dossier peut parfois suffire. Ex. en matière de dossier scolaire, le refus d’inscription dans une CPGE est une décision défavorable. Le dossier suffit pour identifier le niveau de l’étudiant (CE, Arrêt 1987, Consorts Métrat).

         Quant à la présentation, les motifs doivent figurer dans la décision elle-même. On ne peut pas se contenter d’expliquer que les motifs de sa décision figurent dans un décret pris antérieurement.

         L’extradition d’un étranger ne saurait être suffisamment motivée par l’avis de la chambre d’accusation qui doit intervenir et donner un avis, car l’avis lui-même n’est pas la décision d’extradition. De même ne sera pas considéré comme légalement motivé le rejet par un préfet d’une demande de régularisation ne faisant pas état de fait de la situation du demandeur.

        2) la sanction de l’exigence de motivation

 

         La sanction de l’absence de motivation est l’illégalité de la décision administrative pour vice de forme, mais qui ne justifie pas pour autant une illégalité sur le fond même de la décision. L’Administration devra reprendre sa décision en y introduisant sa décision identique.

        

        

Section 2 : Les effets des actes administratifs

 

         « Effets » désigne les effets juridiques et les effets matériels (l’effectivité). Quand commencent-elles à produire leurs effets, et quand cessent-elles de produire des effets ? La situation est différente selon que les actes sont réglementaires ou individuels.

 

  • 1 : Les effets juridiques

 

         On distingue l’édiction d’un acte de son opposabilité. Il peut y avoir des décisions qui ne sont pas opposables, même si elles existent. L’opposabilité et l’applicabilité ne se confondent pas non plus. Il faut parvenir à identifier le moment exact où un acte « entre en vigueur », expression pouvant désigner différentes choses (caractère d’existence juridique, opposabilité, applicabilité). Il n’est pas rare qu’un acte soit pris, mais que ses effets soient reportés à une date ultérieure, ultérieure à son existence même.

 

  1. A) L’entrée en vigueur

 

         – Désigne parfois la validité de la décision.

         – L’entrée en vigueur peut s’entendre comme l’existence de la décision, c’est-à-dire la matérialisation d’un document (signé, publié), mais pour autant l’existence d’un acte administratif n’est pas subordonnée à sa publication ou à sa notification. Autrement dit, une décision peut exister sans être connue de ceux qu’elle concerne. Conseil d’Etat, assemblée., 21 déc. 1990, Confédération Nationale des Associations Familiales Catholiques.

         L’acte existe, il a juste été signé.

         – L’opposabilité de l’acte : l’acte a produit des effets, il est opposable à ceux qui sont concernées (les destinataires, et les tiers). Ex. un acte de nomination, il y a le nommé et celui qui ne l’est pas. Cette entrée en vigueur au sens d’opposabilité est dépendante de la publication de l’acte. Les destinataires doivent être informés de ce que l’acte produira des effets. La publication de l’acte est ce qui le rend opposable.

         – L’entrée en vigueur désigne l’applicabilité de l’acte. C’est la date à partir de laquelle l’acte produira des effets et sera opposable. Un acte est parfois pris et sa date d’entrée en vigueur est différée : c’est l’applicabilité différée, mais qui ne rend pas l’acte inopposable, car il peut avoir été publié. Il est donc obligatoire car porté à la connaissance de tous.

 

         Il n’est pas rare de bouleverser les règles de l’entrée en vigueur qui dépendent de certains textes, jusqu’à une date récente. Code Civil, l’article 2 du décret du 5 nov. 1870, prévoyaient, organisaient l’entrée en vigueur des textes législatifs et réglementaires. La règle était que c’était obligatoire, un jour franc à compter de leur promulgation (pour les lois) ou leur publication (pour les actes administratifs). Jusqu’en 2004, les textes législatifs et réglementaires étaient applicables un jour franc après leur promulgation ou publication (un jour franc à Paris, et un jour de plus en Province). Ordonnance du 20 fév. 2004 a modifié ces règles (article 1 du Code civil + décret de 1870).

         Désormais, l’art. 1er de cette ordonnance dispose que ces lois et les actes administratifs lorsqu’ils sont publiés entrent en vigueur à la date qu’ils fixent, ou à défaut le lendemain de leur publication. Pour les actes nécessitant des mesures d’application, la date d’entrée en vigueur est reportée à la date de la prise de ces mesures. En cas d’urgence, entrent en vigueur dès leur promulgation les lois dont les décrets d’application le prévoient. Ces règles sont subordonnées à la condition d’urgence, mais entrent en vigueur les lois dont le délai de promulgation le prescrit. En cas d’urgence, la règle posée à l’art. 1er, al. 1 de cette ordonnance de 2004 peut être suspendu. Ces règles d’entrée en vigueur des actes ne valent pas pour les actes individuels, mais uniquement pour actes législatifs et réglementaires.

        

         Entrée en vigueur des règlements : L’acte individuel est opposable s’il est notifié, l’acte réglementaire s’il est publié. Cette publication se fait par affichage en mairie ou sur un document officiel (bulletin officiel d’une commune, JO). Cette règle de publication est importante car l’absence de publication rend un règlement inopposable, aussi bien à l’égard de l’Administration que des administrés. Une décision individuelle ne peut être fondée sur un règlement non publié : 16 avril 1943, Lanquetot.

         Il y a des cas où la publicité de l’acte ne suffit pas encore : ainsi, par ex. les actes des collectivités locales décentralisées. Les actes doivent être transmis au préfet (loi du 2 mars 1982). L’entrée en vigueur de ces actes est donc subordonnée non seulement à leur publication, mais aussi à leur transmission au préfet.

         De même, certains règlements (par ex. les règlements de police de la circulation), ne seront pas opposable  du seul fait qu’ils ont été publiés, encore faut-il qu’ils fassent l’objet d’une signalisation concrète. Le seul affichage de l’information n’est pas suffisant pour être opposable aux administrés.

         Il n’est pas rare que l’on reporte l’entrée en vigueur d’un texte pour des raisons matérielles. Ordonnance de 2004 modifiant Code civil + décret de 1870 prévoit en son article  7 qu’elle entrera en vigueur le premier jour du quatrième mois suivant sa publication au JO. Ce genre de mesures n’est pas rare.

 

         Les actes non réglementaires : ce sont ces décisions ni réglementaires ni individuelles entrant en vigueur après publication. Ex. déclaration d’utilité publique. L’opposabilité de ces actes par ex. n’existe quasiment pas.

         Pour les actes individuels, qui sont non réglementaires, ils entrent en vigueur après notification, mais il faut ajouter d’une part que lorsque ces actes émanent d’une collectivité locale, ils doivent également être transmis au préfet. D’autre part, il faut distinguer selon que la décision est favorable ou défavorable.

          Actes non réglementaires favorables au destinataire : ces décisions entrant en vigueur en vertu de la jurisprudence dès leur signature. CE sect., 19 déc. 1952, Demoiselle Mattéi. Imposer qu’une décision favorable entre en vigueur dès sa signature empêche l’autorité administrative de revenir sur sa décision au terme d’une pression amicale exercée sur lui. C’est un moyen de protéger les droits de la personne au profit de laquelle on a pris cette décision. Une décision favorable est a priori créatrice de droit. Pour éviter des manœuvres/manipulations postérieures, la jurisprudence a introduit ce cliquet. Cette règle est contestée, car la protection des droits du destinataire (objectif visé par la règle) se heurte au fait que si la décision favorable entre en vigueur dès sa signature, sa signature ne suffit pas à la rendre publique. Il y a donc une sorte d’illogisme, car dès lors que la décision n’est ni publiée, ni notifiée, la personne au profit de laquelle elle est prise ne la connait même pas. La décision produit des effets, mais la personne concernée ne le sait pas.

         Cela produit des conséquences en matière de retrait des décisions favorables : si l’entrée en vigueur se fait à la signature, le délai au terme duquel la décision peut faire l’objet d’un retrait par l’Administration commence à courir dès la signature de la décision et non pas dès sa publication. Une décision peut être retirée par l’Administration (effet rétroactif, comme une annulation). Pour retirer une décision, le délai change selon l’entrée en vigueur (la signature ici).

         Décisions individuelles défavorables : elles entrent en vigueur après leur notification, CE, 18 nov. 1952, Dame Lefranc, à propos de la révocation d’un fonctionnaire. Ces décisions défavorables peuvent avoir des effets sur des tiers. La révocation conduit à la nomination d’un autre fonctionnaire par ex. Dans ces cas-là, le Conseil d’Etat explique que les décisions qui refusent une titularisation à des agents peuvent créer des droits au profit de tiers dès leur signature. Il en ressort une ambiguïté dans la jurisprudence : avec l’arrêt Lefranc, des décisions défavorables entrent en vigueur dès la publication, mais le Conseil d’Etat explique que ces mesures créent des droits dès la signature. CE, 12 juin 1959, Syndicat chrétien du ministère de l’industrie et du commerce. Les actes sont opposables à la notification, mais ces décisions étant doubles, la part favorable de la décision produit elle ses effets au profit des tiers dès la signature.

 

 

 

 

  1. B) L’application des actes (principe de non rétroactivité et respect des droits acquis)

 

                   L’Administration peut légalement retarder l’entrée en vigueur d’un acte. Elle peut décider pour le futur, mais pas pour le passé. Elle ne peut pas faire produire des effets à un acte antérieurement à son adoption : c’est la non rétroactivité des actes administratifs.

         On distingue :

         – Le retard dans l’application : ce retard dans l’application d’un acte se justifie par diverses hypothèses :

                   * soit la décision administrative nécessite elle-même l’édiction d’actes complémentaires (décrets d’applications pour les actes réglementaires émanent du pouvoir exécutif…).,

                   * soit l’acte lui-même prévoit des modalités suspensives à son application pour des raisons autres que de simples nécessités de mise en œuvre, mais pour une information des administrés et de ceux concernés par l’acte réglementaire (ex. interdiction de stationnement à compter de telle date…).

         La question qui se pose en Droit est celle de savoir si l’Administration peut, et à quelles conditions, laisser s’écouler du temps entre l’adoption d’un acte et le moment de son entrée en vigueur, de son application. Autrement dit, peut-on prévoir des actes s’appliquant à longue échéance ? Tout dépend de l’acte et des besoins justifiant cette échéance. En matière de décisions individuelles, seront illégales les décisions individuelles pour lesquelles la date de décision ou la date d’édiction est très éloignée de la date d’entrée en vigueur (nomination d’un fonctionnaire au-delà d’un délai de 3 mois). Le délai est jugé « excessif ».

         Le retard prend deux formes :

                   * Un terme suspensif (interdiction de stationnement)

                   * Une condition suspensive (ex. une mesure peut subordonner son application à l’entrée en vigueur d’une autre mesure).

         La légalité du retard dépend de la situation précise ou de la nature même de l’acte pris.

         – L’avance (la production des effets dans le passé) : la réponse est évidemment négative. De même que les lois n’ont pas d’effet rétroactif, les actes administratifs ne produisent pas d’effets dans le passé : CE, 25 juin 1948, Société du journal L’Aurore. Ce principe n’est évidemment que le corollaire de l’art. 8 de la DDHC de 89, du principe de non rétroactivité des lois érigé en une règle constitutionnelle par le Conseil Constitutionnel en 1969. Ce principe n’est rien d’autre que la traduction du principe de la liberté politique formulée par Montesquieu (l’homme doit pouvoir avoir le choix entre régler son action selon la règle ou accepter de la violer).

         Il faut donc savoir quelle règle est susceptible d’être imposée à une action qui ne la respecte pas. Si des normes ont un effet rétroactif, l’intéressé est soumis à la personne ayant la maitrise de ces règles. Il y a des cas de rétroactivité, on distingue 2 formes de rétroactivité en réalité :

                   * Une rétroactivité au sens strict : c’est-à-dire l’utilisation d’un acte administratif pour produire des effets dans le passé : l’arrêt de 48 interdit cette rétroactivité (cf. GAJA), on ne peut pas décider de soumettre à une règle nouvelle une situation antérieure. Ce même principe fait l’objet d’une exception.

                   * Une rétroactivité au sens large :

                   Le principe de non rétroactivité stricto sensu peut faire l’objet d’exceptions : l’exception résultant d’une loi, si une disposition législative expresse autorise l’administration à prendre une décision produisant des effets dans le passé, l’administration peut prendre 25 fév. 1949, Société civile de l’école Gerson.

                   Lorsque l’administration sera autorisée à retirer une autorisation, dans certaines conditions. Le retrait a un effet rétroactif, sur le passé de la décision qui est réputée n’avoir jamais existé. Dans ce cas là, l’Administration agit sur le passé à l’aide d’une décision nouvelle.

                   Lorsque l’administration tire les conséquences d’une annulation contentieuse d’une décision (prononcée par le juge), elle sera conduite à faire disparaitre les effets d’une décision est agira sur la passé. L’annulation contentieuse produit un effet rétroactif.

                   Il y a des cas, où la rétroactivité s’impose en vertu d’une lacune juridique.

                  

                   La rétroactivité imposée par la loi : lorsque cela est nécessaire, l’Administration pourra revenir sur une situation antérieure sous le contrôle du juge, et sous d’autres conditions (cf. validations législatives). L’Etat s’en sert pour empêcher certains recours. Parmi les cas d’intervention d’un acte dans le passé, il faut mentionner le cas des lacunes juridiques :

         – Elles sont de type technique en réalité. Elles rendent l’application d’un texte impossible (ex. oubli de la mention d’une commission censée intervenir).

         – Il y a des lacunes idéologiques, dénoncées par un juge pour justifier sa non application de la loi par ex.

         Les lacunes techniques se rencontrent lorsqu’une réglementation n’est pas applicable, alors même que tout le monde attend un texte. C’est ce que l’on a rencontré dans des périodes appelées les campagnes de production, c’est-à-dire une période de temps s’ouvrant au cours de laquelle plusieurs activités ont lieu (par ex. économiques), et qui est interprétée comme un espace temporel unique (ex. une réglementation intervient au cours d’une campagne de pêche, ou pour des productions agricoles). On isole une période de temps au cours de laquelle une réglementation intervient, mais qui aurait dû intervenir plus tôt.

         CE, 21 oct. 1966, Société Graciet & CE assemblée., 8 juin 1979, Confédération générale des planteurs de betteraves, dans lequel le Conseil d’Etat affirme que la réglementation doit produire ses effets pour l’ensemble de la campagne agricole. La période de temps est considérée comme indivisible, non fragmentable.

        

         Il y a une autre forme de rétroactivité : la rétroactivité lato sensu, « au sens large ». Elle correspond à des actes qui règlent des situations qui se prolongent dans l’avenir. Situation fréquente. Beaucoup de réglementations produisent des effets pour le présent et pour l’avenir. La question est de savoir si certains contrats conclus sous l’empire d’une réglementation doivent nécessairement changer si la réglementation change ? Bien sûr qu’il faudra tenir compte de la réglementation, mais souvent on maintient des situations antérieures (ex. réglementations en matière d’hygiène et de sécurité). La question qui se pose souvent est celle de la fréquence des changements, et du maintien des situations acquises. On retrouve des grands principes du Droit : les situations antérieures peuvent être maintenues, un délai peut être prévu pour leur modification…

         Si une réglementation antérieure a permis de créer des droits acquis (par ceux aux profits desquels on a créé ces droits), on ne pourra pas revenir dessus. On procédera pour l’avenir à une modification de la réglementation.

 

  1. C) La disparition des actes unilatéraux

 

                   Ex. Le nouveau règlement en vertu duquel on cessera le recrutement des professeurs abroge un règlement antérieur.

         On distingue deux situations :

         La fin normale des effets d’un acte : de très nombreuses décisions administratives sont censées produire des effets pour un certain temps au delà duquel les effets disparaissent. Ex. réglementation en matière de stationnement sur la voie publique pour une semaine. Le terme extinctif est prévu par la décision elle-même.

         De nombreux actes réglementaires prévoient un terme extinctif au-delà duquel l’acte cesse de produire ses effets.

         Cela ne vaut pas pour les actes individuels. Sauf obligation statutaire prévue par la loi, les actes individuels ne peuvent pas être encadrés par un terme extinctif. On ne nomme pas un fonctionnaire pour 3 ans, on n’accorde pas un permis de construire pour 2 semaines. Il y a toujours des exceptions liées à la situation particulière (nomination d’un PR pour 5 ans, 9 ans pour un conseiller au Conseil Constitutionnel). Il y a aussi des limites de temps (retraite…). L’acte de nomination d’un fonctionnaire ne prévoit pas de terme extinctif, qui anticiperait sur une certaine retraite.

         Quand il est réglementaire : en vertu d’une disposition expresse.

         Quand il est individuel : avec la fin de la situation (disparition de la personne, retraite…).

         La fin anticipée : retrait et abrogation des actes administratifs.

         D’un côté, l’action de l’Etat a besoin de pouvoir s’adapter à des situations nouvelles. On ne concevrait pas une situation faisant prévaloir le passé sur le présent, sauf à vouloir maintenir une action dans une tradition. Or, nous vivons dans des Etats qui conçoivent l’évolution humaine. L’action des autorités étatiques doit pouvoir s’adapter à des situations présentes et imposer des comportements pour l’avenir.

         Cette action ne saurait être capricieuse : l’adaptation ne saurait être décidée de manière autoritaire, au risque de tomber dans l’arbitraire, despotisme…

         Les Etats d’aujourd’hui concilient l’adaptation de situations étatiques et le maintien de situations acquises. On essaye de concilier la continuité de l’Etat avec l’intangibilité des situations individuelles.

         Autrement dit, les règles générales sont censées pouvoir évoluer, mais les situations individuelles créées sur le fondement de règles générales doivent être maintenues lorsqu’au delà d’un certain délai, elles sont acquises. Ce principe de continuité est une autre forme de la « souveraineté de l’Etat ».

         De l’autre côté, il y a le principe de l’intangibilité des situations individuelles, des droits créés.

 

         Il faut parvenir à des règles qui concilient ces impératifs antagonistes d’adaptation et de maintien. On dispose de 2 formes de décisions :

         L’abrogation : on supprime les effets d’un acte pour l’avenir. Abrogation législative : une nouvelle loi abroge la loi antérieure. Il n’est pas nécessaire que l’acte s’appelle « abrogation »)

         Le retrait de la décision administrative : l’Administration dispose du pouvoir de retirer une décision dont elle est à l’origine. Ce retrait produit un effet rétroactif, absolument équivalent à l’annulation par le juge administratif d’une décision administrative. L’acte retiré par l’Administration disparait de l’ordre juridique comme s’il n’avait jamais existé. Compte tenu de la force de ce retrait, les règles qui encadrent ce retrait sont assez strictes. L’Administration ne peut pas retirer un acte n’importe quand.          On a donc une autre distinction à laquelle on sera attentif : la distinction entre les actes légaux/illégaux. Il peut paraitre normal de retirer un acte illégal, d’abroger un acte illégal. En revanche, il ne semble pas possible de retirer un acte illégal, mais il est concevable d’abroger un acte légal pour en prendre un autre. Les règlements administratifs peuvent être changés sans qu’ils soient illégaux.

         Une autre distinction doit être prise en compte au moment de la conciliation : la différence entre les actes individuels et actes réglementaires. Si on veut concilie l’adaptabilité et l’intangibilité des situations acquises, on ne peut concevoir d’appliquer les mêmes solutions à des actes différents (individuels et réglementaires). Les règles varient selon que l’acte est individuel et réglementaire, et plus précisément selon qu’il a ou non créé des droits.

 

         Comment définir un acte créateur de droits ? Il n’y a pas de droits sans obligation. Le Juge Administratif est souvent embêté lorsqu’il s’agit de définir un acte créateur de droits. 1984, conclusions : « Un acte est créateur de droits si d’une part quelqu’un a avantage à son maintien, et si d’autre part vous [le CE] estimez pouvoir lui reconnaitre une stabilité limitant la possibilité pour l’Administration de le remettre en cause » Cela est exprimé sous réserve que le Juge Administratif dispose d’un large pouvoir d’appréciation.

         Autrement dit, un acte est dit créateur de droits par le juge s’il estime qu’un individu a avantage à son maintien et qu’il faut le maintenir. Il n’y a aucune définition, mais un maintien au cas par cas. Cela permet au Juge Administratif de donner une liste d’exemples d’actes créateurs de droits. Rentrent dans cette catégorie les nominations, promotions, décorations, autorisations de faire (conduire, construire, démolir, exploiter…), attributions (subventions, biens, diplômes, titres, contrats…), approbations (par une autorité, d’une procédure…). Ces droits sont concédés au demandeur de l’acte.

         Ces actes peuvent aussi parfois créer des droits au profit de tiers, c’est-à-dire des gens qui ne sont pas destinataires de l’acte. Ils créent des droits au profit du destinataire, quand d’autres n’en créent pas à son encontre, mais en créent au profit de tiers (décision de refus ne créant pas de droit au profit du destinataire, mais ces refus créent des droits au profit de tiers). Cela va avoir des effets sur les délais sur lesquels on pourra revenir sur un droit.

 

         À l’opposé, on trouve les actes non créateurs de droits :

         – obtenus par fraude (examen, concours…),

         – qualifiés d’inexistants par le juge,

         –  actes se bornant à constater une situation,

         – actes pécuniaires de liquidation d’une somme.

         Il peut être retiré ou abrogé dans n’importe quelle situation (on ne touche pas à des situations acquises).

 

         Aucun acte réglementaire n’est créateur de droit en réalité.

 

         En doctrine, on distingue les situations d’actes créateurs de droits acquis et les actes créateurs de droits non acquis/précaires (qui ne confèrent pas de droits définitifs, de pure faveur comme les autorisations de police, d’occupation du domaine public). Il faudrait distinguer les actes créateurs de droits définitifs, non définitifs, et non créateurs. Cette distinction définitif/non définitif semble inutile. Ces droits sont créés car l’autorisation est favorable, mais comme c’est une autorisation elle peut toujours être abrogée sans que l’on porte atteinte à une situation individuelle. Il n’y a jamais eu de droit créé au sens propre, et il n’y a pas d’obligation de l’Administration de revenir sur une situation. Certains imaginent des droits sans obligations, qui sont des droits moraux.

         On a alors : actes créateurs de droit (ayant une contrepartie qu’est l’obligation de l’Administration de ne pas revenir sur une situation passée) et les actes non créateurs de droits.

 

         La question de l’abrogation :

         On distingue les actes réglementaires et les actes non réglementaires.

         L’abrogation des actes réglementaires est toujours possible, en vertu d’une jurisprudence constante qui est l’adaptation aux règlements administratifs un principe valant pour les lois (toujours abrogeables). Deux arrêts :         – CE, 25 juin 1954, Syndicat national de la meunerie à seigles, le Conseil d’Etat fait application du principe selon lequel un règlement peut toujours être modifié et nul n’a droit à son maintien.

                                                        – CE sect., 27 janvier 1961, Sieur Vannier, dans lequel le Conseil d’Etat affirme que les usagers d’un SPA n’ont aucun droit au maintien de ce service, et qu’il appartient à l’Administration de mettre fin à un tel service lorsqu’il l’estime nécessaire (avant même la durée initiale). Principe reconnu par CC dans une décision du 27 juillet 1982 (82-142).

         Les règlements sont ici légaux, conformes à la loi, que l’Administration peut modifier avant leurs termes, sans que l’on puisse considérer un droit quelconque au maintien d’un règlement. L’abrogation d’un règlement légal est toujours possible.

 

         Il y a une obligation d’abroger les règlements illégaux en Droit administratif, résultant de l’art. 3 du décret du 28 nov. 1983. « Toute demande tendant à l’abrogation d’un règlement illégal (…) doit être satisfaite ». Un décret est lui-même un règlement, et l’auteur de ce décret peut revenir dessus en vertu de la norme selon laquelle nul n’a droit au maintien d’un règlement. Comment imposer à l’Administration cette norme ? Conseil d’Etat, assemblée, 3 février 1989, Alitalia, où le Conseil d’Etat élève cette norme du décret de 83 au rang de principe (qu’il ne qualifie pas de Principe Général du Droit (PGD)), mais c’est imposer que l’Administration ne pourra jamais revenir dessus sans se heurter à la censure du Juge Administratif (étant soumis à la loi, mais pas au décret !).

 

         Deux motifs d’illégalité pour un règlement :

         – Illégalité ab initio, initiale : avant cela, il existait une jurisprudence du CE complexe résultant de CE, 12 mai 1976, Leboucher & Tarendon, posant une obligation d’abroger un règlement qui était imposé à l’Administration, lorsqu’elle était saisie par un particulier.

         Plus tard, CE sect., 30 janv. 1981, Ministre du Travail c/ Sté Afrique Europe Transactions, le Conseil d’Etat posait la règle selon laquelle l’abrogation n’est plus obligatoire et devient une faculté lorsqu’elle est demandée après l’expiration du délai de recours contentieux (c’est-à-dire au-delà du délai de 2 mai après la publication d’un acte réglementaire). L’abrogation n’est plus obligatoire. Un acte réglementaire illégale, après 2 mois, pouvait être conservé dans l’ordre juridique administratif, et pouvait même produire des actes individuels a priori eux-mêmes illégaux car produits sur le fondement d’un acte illégal.

         C’est pour en finir avec cette situation qu’on a introduit l’art. 3 du décret suscité.

 

         – Illégalité résultant de circonstances de fait ou de droit :

         Lorsqu’elle résulte de circonstances de droit, c’est l’illégalité résultant d’une modification de la loi, ou d’une modification d’une norme internationale. Dans la mesure où les règlements administratifs doivent respecter les lois/réglementations internationales, il est normal de pouvoir modifier les textes pour les rendre conformes aux textes hiérarchiquement supérieurs.

         Lorsqu’elle résulte de circonstances de fait, c’est l’hypothèse qui résulte de la finalité qu’est censée poursuivre le règlement. Pour qu’un règlement de police soit légal, il faut qu’il soit nécessaire, que la mesure prise par l’autorité de police soit proportionnée aux finalités poursuivies. Si la finalité disparait, le règlement n’a plus de raison d’être. Il y a une illégalité à maintenir une telle réglementation. Son abrogation est justifiée.        

         Cette construction du changement de droit ou de fait résulte de CE, 10 janvier 1930, Despujol, à propos d’un arrêté de réglementation du stationnement (GAJA). Il a permis cette jurisprudence habile sur les changements de circonstances.

        

         Décret de 83 va bientôt disparaitre. Le décret du 8 juin 2006 dispose que le décret du 28 nov. 1983 modifié est abrogé à compter du 1er juillet 2007. Cela ne veut pas dire que le contenu du décret de 83 disparait complètement. La loi du 12 avril 2000 a repris des choses, et la jurisprudence a érigé des principes en Principes Généraux du Droit (obligation d’abroger des règlements illégaux, suite à l’arrêt Alitalita par ex.).

 

         Les conditions pour l’abrogation d’un acte :

         – L’Administration doit être saisie d’une demande,

         – Par une personne ayant un intérêt à cette abrogation,

         – La personne doit s’intéresser à l’autorité pouvant abroger le règlement (l’auteur du règlement) afin de respecter le parallélisme des compétences. Le PREMIER MINISTRE ne peut abroger un arrêté du maire.

         – En outre, l’Administration engage sa responsabilité pour faute si elle s’abstient d’abroger un règlement illégal, que ce règlement ait été illégal dès l’origine, ou qu’il le soit devenu du fait d’un changement de circonstances ou de droit.

 

         Il y a une limite à ce pouvoir d’abrogation, une question récurrente à chaque abrogation d’un acte réglementaire, car un acte réglementaire peut servir de fondement à un acte individuel : que vont devenir les actes individuels produits sur le fondement du règlement ? Ils demeurent en tant que tels (la nomination d’un fonctionnaire à un poste en vertu d’un règlement ne sera pas remise en cause), car l’abrogation fait disparaitre le règlement pour l’avenir. Tous les actes pris sur le fondement de ce règlement dans le passé demeurent.

         On s’oriente vers une remise en cause selon laquelle les actes réglementaires sont toujours abrogeables, d’où la question de la sécurité juridique.

 

         La question de la sécurité juridique ?

         Nouvel opium des juges, le principe de sécurité juridique vient du Droit communautaire qui l’a associé avec un autre principe, qu’est le principe de la confiance légitime (ce principe vient du droit allemand). Il a été explicitement consacré par CJCE, 4 juillet 1973, Westzicher, affaire 1/73, puis un autre arrêt en 79.

         Le principe de confiance légitime consiste en la norme selon laquelle l’Etat ne peut changer sa réglementation sans tenir compte de la situation créée par un état du Droit antérieur. Cette affirmation conduit la juridiction communautaire à envisager la possibilité pour un administré d’engager la responsabilité d’un Etat :

         – soit du fait d’un changement tellement fréquent de la réglementation qu’il ne serait plus matériellement possible de s’y conformer (les entreprises ne peuvent plus se conformer),

         – soit la responsabilité est engagée du fait d’une trop grande difficulté à saisir la réglementation, à la comprendre, telle que les opérateurs économiques ne pourraient s’y conformer.

         > Des mesures transitoires sont prévues par le droit communautaire avant tout changement de réglementation, ce qui incite les Etats à réfléchir avant de changer leur réglementation.

         Le revers du principe de la confiance légitime est le principe de la sécurité juridique. La sécurité juridique ne consiste plus en la mise en œuvre de mesures transitoires, mais vise à préserver les situations individuelles créées par la réglementation antérieure. Ce principe de la sécurité juridique recouvre l’hypothèse de la rétroactivité en droit communautaire. La confiance légitime est un verrou supplémentaire au principe de non rétroactivité.

 

         La confiance légitime n’existe pas sous cette appellation en Droit français, bien qu’il y ait eu des tentatives (Tribunal Administratif Strasbourg, 8 déc. 1994, Entreprise de transport Freymuth) : L’administration doit prévoir des mesures transitoires lorsqu’elle modifie la réglementation existante. La loi doit être claire et prévisible du point de vue des juges constitutionnels, comme pour les juges administratifs. On doit pouvoir prévoir une adaptation à la modification de la réglementation. Mais, ce jugement du Tribunal Administratif a par la suite été infirmé par la CAA Nancy, 17 juin 1999, Freymuth, qui ne suit pas le jugement encore qu’elle ait eu une certaine velléité de le faire : on ne peut réunir les conditions de la violation du principe de la confiance légitime. En revanche, le Conseil d’Etat va par la suite mettre le principe de confiance légitime sous le boisseau par CE, 9 mai 2001, Ministre de l’environnement c/ entreprise Freymuth. Le principe de confiance légitime n’est pas applicable en Droit interne, mais il existe en Droit communautaire. Le Conseil d’Etat ne peut l’ignorer. Depuis qu’il accepte de faire prévaloir le Droit communautaire sur le droit interne, il peut se trouver contraint d’appliquer ce principe au droit interne : les principes généraux du droit communautaire sont applicables dès lors que le droit communautaire lui-même est applicable. Cela résulte de l’arrêt du Conseil d’Etat ass., 5 mars 1999, Rouquette.

 

         L’Administration française doit elle appliquer une norme s’inspirant de ce principe ? Une norme transitoire doit-elle être prévue pour ne pas porter atteinte aux situations antérieures ? Si le principe n’est pas formellement appliqué, et rejeté en droit interne, il est évident que matériellement, la norme selon laquelle une réglementation administrative ne peut intervenir sans mesures transitoires existe depuis bien longtemps (CE, 1982, Compagnie des mines de Siguiri, où le Conseil d’Etat annule un retrait d’autorisation opéré dans des conditions abusives car des mesures transitoires n’avait pas été prévues).

 

         Récemment, le Conseil d’Etat a consacré explicitement un principe de sécurité juridique : CE ass., 24 mars 2006, KPMG. Tout cela résulte d’un corollaire de l’affaire Enron. Les conclusions annoncent un grand bouleversement. La question est de savoir pourquoi le Conseil d’Etat a appelé cela la sécurité juridique, car cela s’appelle la confiance légitime en Droit communautaire. Mais, l’entreprise rhétorique consistant à qualifier d’un autre terme un principe communautaire remonte déjà à une dizaine d’années. Dans son rapport public de 2005, le Conseil d’Etat avait proposé tout un rapport relatif à la sécurité juridique et à la complexité du Droit. L’idée de sécurité juridique était antérieure, car en 1995, le thème était revenu. L’expression de sécurité juridique n’est pas étrangère au Droit communautaire, ainsi qu’au Droit européen (CJCE, 1972, ACNA c/ commission, 57/69, à propos de l’exigence fondamentale de la sécurité juridique). CEDH, 1979, Marckx c/ Belgique, où la CEDH évoque un principe de sécurité juridique nécessairement inhérent au Droit de la convention (CEDH) et au Droit communautaire. Dans cet arrêt du 24 mars 2006, le Conseil d’Etat est saisi d’un décret approuvant le nouveau code de déontologie applicable à une profession. Les requérants contestaient ce décret, et notamment l’application de ce décret aux contrats en cours. Le Conseil d’Etat a lui aussi estimé que les perturbations excessives apportées aux relations contractuelles en cours par le décret contesté étaient contraires au principe de sécurité juridique. Il n’a pas annulé le décret, mais a posé un principe selon lequel « le pouvoir réglementaire doit édicter les mesures transitoires qu’impliquent s’il y a lieu une réglementation nouvelle ».

         Désormais, le pouvoir de modifier les actes réglementaires (jusqu’à présent formellement illimité) est encadré pour des motifs de sécurité juridique. Derrière la sécurité juridique consacrée par le Conseil d’Etat, il n’y a rien d’autre que ce que d’autres appellent la confiance légitime.

 

         Le principe de confiance légitime créerait un droit subjectif à une absence de réglementation, à créer un droit subjectif à un particulier parce qu’il n’y a pas de réglementation. Ce ne serait pas une garantie contre des changements de réglementations. L’explication est peu convaincante, car la logique du principe même n’est pas reconnue. Il s’agit ici de garantir la modification des réglementations applicables et de dénoncer l’inflation des réglementations. Mais, CJCE, 2005, Alliance for Natural Health and others, 154/04. CJCE explique qu’un opérateur économique (= entreprise) ne saurait faire valoir un droit acquis ou même une confiance légitime dans le maintien d’une situation existante qui peut être modifiée par des actes pris par les institutions communautaires dans le cadre de leur pouvoir d’appréciation.

         Derrière le principe de confiance légitime, il n’y a pas de droit subjectif à une absence de réglementation. Choisir la sécurité juridique, c’est une forme de nationalisme juridique et une forme pour le Conseil d’Etat de préserver son autonomie, en décidant que le principe de confiance légitime s’appliquera quand le Droit communautaire est applicable. Le juge français reste maitre du principe dans le cadre du droit interne. C’est un moyen d’organiser les rapports entre le droit international et le droit interne. L’articulation entre le droit international/communautaire et le droit interne sont plutôt monistes. En réalité, dès que les juges le peuvent, ils organisent un dualisme, séparer les 2 sphères.

 

         Le Droit administratif consacre un principe de sécurité juridique, qui n’est rien d’autre que la confiance légitime du Droit communautaire, pour remédier à la complexité du Droit, ce qui est paradoxal.

 

         L’abrogation des actes non réglementaires.

         Le problème majeur est le problème de la création des droits, et la grande distinction à laquelle on se rapporte (summa divisio) est à établir entre les actes créateurs de droits et les actes non créateurs de droits.

         L’abrogation des actes non réglementaires créateurs de droits : ces actes ne sont en principe jamais abrogeables, parce que précisément ils créent des droits. Cela est particulièrement vrai des actes non réglementaires qui sont en outre parfaitement légaux. Ces actes légaux sont protégés par le principe de l’intangibilité des situations individuelles. Mais, il existe un moyen de neutraliser ce principe et d’abroger un acte créateur de droits non réglementaire sans le dire : c’est l’hypothèse de l’acte contraire. Ex. la révocation du fonctionnaire (pas d’effets pour le passé, mais pour le futur, et c’est un acte contraire à sa nomination). Dans la mesure où les effets valent pour le futur, c’est une abrogation. Cet acte devra être motivé, en vertu de la loi de 1979, car il est défavorable.

         Pour les actes illégaux, la solution est différente : ils n’ont pas de raison de rester dans l’ordre juridique. Mais s’ils créent des droits, il faut préserver les situations individuelles. On va trancher à l’aide d’un critère purement temporel : ces actes individuels créateurs de droits et illégaux peuvent être abrogés dans le délai du recours contentieux, mais pas au-delà. Au-delà du délai de recours, on considérera que la situation individuelle est acquise et qu’elle ne peut plus être remise en cause.

         Enfin, pour les actes non créateurs de droits, il n’y a aucune situation à préserver. L’abrogation est donc toujours possible, mais peut être en outre obligatoire dans certains cas, notamment lorsque l’Administration est saisie d’une demande d’abrogation d’un acte non réglementaire, non créateur de droits et illégal (à la condition que l’illégalité soit constatée !). Cela résulte de CE sect., 30 nov. 1990, Association Les Verts.

 

         Les règles relatives au retrait.

         Il faut envisager la décision de légalité d’un retrait avec une certaine délicatesse, le retrait étant rétroactif. Le retrait est « consolateur et consolidateur » (P. Délvolvé).  L’acte, en dépit de son illégalité, doit être maintenu, car la situation créée est acquise.

         Peut-on retirer un acte légal ? Il n’a aucune raison d’être retiré, mais certains aménagements sont prévus : on a établi une distinction.

                   – Actes créateurs de droits : lorsqu’il est légal, il ne peut être jamais retiré pour simple opportunité (CE section, 21 mars 1947, Mlle Ingrand, à propos d’un acte ayant rapporté une mesure disciplinaire, & CE sect, 13 nov. 1981, Commune de Houilles, où le maire ne peut retirer un arrêté ayant créé des droits au profit de l’intéressé et qui n’est pas illégal). Le retrait est possible si : 

                            * Une disposition législative l’autorité, l’Administration étant soumise à la loi, si la loi autorise le retrait, l’Administration doit le faire.

                            * S’il existe une demande de l’intéressé, et à condition que le retrait de cet acte légal créateur de droits ne porte pas atteinte aux droits des tiers (CE sect., 23 juillet 1974, Ministre de l’Intérieur c/ M. Gay, l’auteur d’une décision ayant créé de droit ne peut la rapporter, que si elle ne porte pas atteinte aux droits des tiers).

                   – Actes non créateurs de droits : la jurisprudence admet volontiers le retrait pour simple opportunité. Cela résulte de CE sect., 27 juin 1947, Société Duchet et Cie. Mais, pour ces actes non créateurs de droits, on opère une distinction :

                            * Les actes non réglementaires, individuels : ils peuvent ne pas avoir créé de droits pour l’avenir, mais avoir créé des droits pour le passé (ex. autorisations précaires et révocables ; nomination à la discrétion du Gouvernement). Cela ne prévoit pas de pouvoir rester en place pour « x » années. Des droits sont créés en matière de retraite. Le retrait et la disparition rétroactive de l’acte le ferait disparaitre dans le passé. Il est créateur de droits jusqu’à son extinction. Lorsque l’acte créé des droits pour le passé mais pas pour l’avenir, seule reste la possibilité d’une abrogation.

                            * Les actes réglementaires : même lorsqu’ils sont légaux, ils peuvent être retirés pour opportunité à la condition qu’ils n’aient pas fait l’objet d’une application, servi de fondement à des décisions individuelles. Alors, la disparition de ces actes rétroactivement ferait disparaitre tous les actes individuels produits sur le fondement de cet acte réglementaire. Ainsi, le règlement des examens ne pourrait être retiré au mois de janvier, dès lors qu’il y a application par des situations individuelles.

 

         Un acte non réglementaire peut ne pas avoir créé des droits au profit du destinataire mais au profit des tiers : le retrait de permis de construire. L’acte ne peut plus être retiré, car il a créé des droits au profit de tiers.

 

         Les actes illégaux : pour les actes illégaux, on distingue :

                   – Actes illégaux non créateurs de droits : peut être retiré à toute époque sous réserve des droits des tiers. Il faut se méfier de ces actes non créateurs de droits au profit de leur destinataire principal. Il est illégal, ne créé pas de droits, il n’y a pas à le maintenir.

                   – Actes illégaux créateurs de droits : on a longtemps vécu sous l’empire de CE, 3 nov. 1922, Dame Cachet, où la solution était complexe. L’Administration ne pouvait retirer à l’époque un acte créateur de droit illégal que si les délais de recours n’étaient pas expirés. Cette solution pouvait apparaitre simple sur le papier, mais en réalité se posait une question qui était de savoir quand commence à courir le délai de recours (2 mois).

                            * Le délai commence-t-il au jour de la notification de l’acte ? Il ne court qu’au regard du destinataire dans ce cas-là. On ne tient pas compte des tiers dans cette hypothèse.

                            * Doit-on considérer que le délai commence à courir au jour de la publication d’un acte, ce qui permet l’information des tiers. L’Administration ne notifiera alors plus rien…

                   Le Conseil d’Etat a adopté une nouvelle solution : CE, 6 mai 1966, Ville de Bagneux, où le Conseil d’Etat admettait que l’Administration pouvait retirer à toute époque une décision illégale créatrice de droits si cette décision bien que notifiée n’a pas été encore publiée et donc n’a pu créer de droits au profit des tiers. Cette solution avait l’avantage qui était de permettre à l’Administration de revenir sur une situation individuelle, mais elle laissait le destinataire de l’acte dans une grande indécision. Il y avait une atteinte à la sécurité juridique dans le sens de la non rétroactivité d’un acte administratif. Si on peut revenir sur une décision notifiée mais pas publiée, on peut considérer que le droit n’est jamais acquis ! L’Administration prend parfois ses aises : Conseil d’Etat assemblée, 24 mars 2006, Conseil d’Etat ass, 24 oct. 1997, Mme de Laubier, dans lequel l’Administration avait retiré un acte illégal dans les délais du recours (conformément à la jurisprudence Cachet), mais qui n’avaient pas commencé à courir car l’Administration elle-même avait en réalité empêché que ce délai ne commence à courir. L’Administration a tenté de jouir de sa propre turpitude, ce qui est interdit, ce qui interdit.

 

         La question du délai du recours et du délai de retrait devait être distinguée ! Pour éviter que ne se prolongent des décisions d’indécision, et afin une bonne fois pour toutes de permettre aux destinataires d’une acte créateurs de droit à quoi s’en tenir, il fallait séparer le délai du recours du délai du retrait. Conseil d’Etat assemblée, 26 octobre 2001 fait cela, M. Ternon (GAJA), arrêt qui introduit une rupture entre le délai du recours et le délai du retrait, et qui abandonne la logique des arrêts Cachet et Laubier. Le Conseil d’Etat pose en principe que sou réserves de dispositions législatives ou réglementaires contraires, et hors le cas où il est satisfait à une demande du bénéficiaire, « l’Administration ne peut retirer une décision individuelle explicite créatrice de droits si elle est illégale que dans le délai de 4 mois suivant la prise de cette décision ». Le délai de 4 mois correspond au double du délai du recours contentieux (2 x 2 mois), il est purement arbitraire. L’expression « prise de décision » est complexe : on ne parle plus de notification/publication. Il en ressort :

         1/ L’Administration peut revenir sur une décision illégale au delà du délai de 2 mois, et peut si elle en était informée (d’un recours exercé par un administré) encore éviter un recours contentieux en retirant son acte, avant que l’affaire ne soit portée devant le JA. On concilie l’autonomie de l’Administration avec le principe de bonne administration de la justice administrative.

         2/ Le point de départ du délai commence avec la prise de décision, ce qui laisse entendre qu’il faut se référer à la date de la signature de l’acte lorsqu’il est signé, et s’il ne l’est pas, à une matérialisation quelconque de cet acte, voire à son expression orale si la décision a été prise oralement.

         3/ Une fois expiré le délai de 4 mois, il est évident que l’Administration ne pourra plus retirer une décision créatrice de droits illégale.

         L’arrêt Ternon apporte beaucoup de clarté et de systématicité, mais maintient une règle évidente : le destinataire de l’acte comme les tiers disposent toujours de 2 mois pour contester un acte illégal créateur de droits, après la notification pour l’intéressé, ou la publication pour les tiers.

         C’est un moyen de concilier les droits individuels créés par une décision, même illégale, et l’illégalité qui suppose le retrait d’une décision illégale, et la continuité et le bon fonctionnement du service. Au-delà de 4 mois, une décision créait ses droits définitivement. Lorsqu’elle est illégale, l’Administration peut rattraper l’erreur, pour éviter un contentieux, ce qui soulage par ailleurs le JA.

         Ternon ne fait pas disparaitre la jurisprudence antérieure. La distinction du délai de recours pour les destinataires directs de l’acte et pour les tiers demeure évidemment.

         – Le destinataire direct de l’acte administratif dispose d’un délai de recours de 2 mois, après la notification de l’acte.

         – Pour les tiers, le délai est aussi de 2 mois, mais après la publication de cet acte, car les tiers ne peuvent être informés de la décision qu’une fois cette décision publiée.

 

         Dans ces conditions, la sécurité juridique des destinataires est acquise à l’égard de l’Administration, c’est-à-dire que le destinataire lui-même sait à quoi s’en tenir vis-à-vis de l’Administration dans le délai de 4 mois, ou dans le délai du recours, mais il lui reste toujours le délai qui court auprès des tiers, puisque les tiers disposent d’un délai de recours ne correspondant pas systématiquement au délai du recours le concernant lui. La date de notification ne correspond pas nécessairement à la date de publication.

         La sécurité juridique est relative, mais c’est parce qu’on cherche à protéger les droits des tiers.

 

         L’Administration ne peut se fonder sur la date de la publication pour le retrait, et donc reculer comme avant Ternon le terme d’un retrait éventuel d’une décision illégale. Elle ne peut le faire parce que Ternon prévoit explicitement que le délai du retrait commence au jour de la prise de décision.

         La situation d’un acte illégal ou créateur de droit s’est améliorée par rapport à ce qui existait auparavant. Ternon n’abolit pas les droits des tiers, ni l’incertitude juridique pouvant en résulter.

         Ternon doit beaucoup à la loi du 12 avril 2000 sur les relations entre les usagers et l’Administration venue mettre de l’ordre dans les délais de recours de décision, en clarifiant que le délai de 2 mois était impératif, que le silence valait rejet… Ternon a aussi subit une évolution, notamment en matière de décisions créatrices de droits. En vertu d’un arrêt CE sect., 15 oct. 1976, Buissière, il était acquis que les décisions recognitives (c’est-à-dire par laquelle l’Administration se borne à reconnaitre une situation constituée, par ex. des droits préexistants, ou alors des décisions conférant un avantage sans que l’Administration ne puisse exercer un pouvoir d’appréciation à l’égard du bénéficiaire de cet avantage) étaient considérées comme ne conférant en elles-mêmes aucun droit. Elles se contentaient de reconnaitre un droit conféré par une autre décision, mais la décision elle-même ne créait par elle-même aucun droit. Dès qu’elle était illégale, cette décision recognitive pouvait être retirée à tout instant.

         Ex. de décision recognitive : les décisions purement pécuniaires, par laquelle l’Administration accorde une prime à un fonctionnaire, mais qui ne dépend pas des qualités des fonctionnaires, une prime purement statutaire, qui est prévue par le statut qui régit le poste occupé par tel fonctionnaire. Cette décision n’est pas considérée comme créatrice d’un droit : elle s’attache au statut, elle est « purement réglementaire ».

 

         Récemment, dans un arrêt 6 nov. 2002, Mme Marguerite Soulier, où Mme Soulier bénéficie d’un avantage financier illégal, et que l’Administration le lui ayant accordé a décidé de retirer 10 mois après son octroi. Or, les premiers juges ont considéré que la décision était recognitive, que la prime s’attachait au statut et non pas à la qualité de la personne. Et que, bien qu’illégale, elle pouvait être retirée au-delà du délai de recours, et du délai de retrait. Le Conseil d’Etat fait une analyse différente : il juge que, « une décision administrative accordant un avantage financier créé des droits au profit de son bénéficiaire, alors même que l’Administration avait l’obligation de retirer cet avantage. (…) En revanche, n’ont pas cet effet les mesures qui se bornent à procéder à la liquidation de la créance née d’une décision prise antérieurement. »

 

         En l’espèce, la décision d’accorder une prime à Mme Soulier est considérée comme entrant dans la catégorie des décisions procurant un avantage que l’Administration a l’obligation de refuser, mais elle est créatrices de droits et ne peut être retirée que si elle est illégale, dans un délai de 4 mois. La décision de retrait d’une décision accordant une prime elle-même illégale est illégale. Mme Soulier retrouve donc sa prime retirée. Cette prime ne peut être qu’abrogée pour l’avenir.

         Soulier ne vient pas ruiner Ternon, mais révèle une préoccupation louable voulant cerner les décisions créatrices de droit, en essayant de préserver au mieux les droits des tiers lorsqu’ils bénéficient d’avantages. Cela impose à l’Administration de réfléchir à 2 fois avant d’accorder cet avantage en question.

         Il en est fini de la catégorie des décisions recognitives. Elle ne contient plus que les décisions procédant à une liquidation d’une créance, c’est-à-dire au paiement matériel de cette créance (présupposant la décision de procéder à cette liquidation, donc d’octroyer une prime). Les décisions recognitives restent des décisions de pure exécution d’autres décisions elles-mêmes créatrices de droit.

 

         Ultime question, le délai de retrait de 4 mois posé par cet arrêt s’impose-t-il à l’Administration lorsque c’est le bénéficiaire de la décision qui demande le retrait d’une décision créatrice de droits à son profit ? CE, 13 novembre 2006, France Télécom, 270-536 répond par la négative. L’Administration peut légalement retirer une décision sur demande du bénéficiaire au-delà du délai de 4 mois, suivant son adoption, dès lors que la décision n’a pas créé de droits au profit des tiers. Le problème juridique qui s’est posé est que : puisque le monsieur a refusé une proposition de reclassification, France Télécom demandait le payement à ce monsieur de sommes qu’il n’aurait jamais dû percevoir puisqu’il était nommé dans un corps, où il n’est pas allé. Le monsieur a juridiquement demandé le retrait d’une décision dont il a bénéficié. Ce retrait pouvait être prononcé au-delà de la décision de retrait. L’agent devra payer le somme à France Télécom.

        

         Les décisions implicites : le silence gardé par l’Administration équivaut à une décision de rejet d’une demande. Le principe est posé par l’art. 21 de la loi du 12 avril 2000.

         Cette décision implicite de rejet est considérée comme acquise au-delà d’un délai de 2 mois qui suivent la réception par l’Administration d’une demande formulée par un administré.

         Exception : CE sect., 14 décembre 1969, Sieur Eve, à propos d’une autorisation de cumul d’exploitations agricoles. La loi de 62 applicable en l’espèce prévoyait qu’à défaut d’une décision expresse, le refus du préfet dans un délai de 2 mois valait acceptation d’une demande. Autrement dit, la loi prévoit explicitement dans cette affaire que le silence vaut acceptation, au-delà du délai de 2 mois. Le Conseil d’Etat a considéré qu’une fois passé ce délai de 2 mois, l’Administration était dessaisit, qu’elle ne pouvait plus retirer sa décision, et qu’en outre on n’a pas ici la question des droits des tiers, puisqu’étant implicite, elle n’a jamais été portée à la connaissance des tiers.

         En cas d’exception prévue par la loi, le silence peut valoir acceptation. Dans ce cas, la loi postérieure s’appliquera, qui déroge à la loi antérieure, mais une fois l’acceptation formulée implicitement par l’absence de réponse, l’Administration ne peut revenir sur sa décision.

         En revanche, l’Administration retrouverait son pouvoir de retirer la décision, si le texte dérogeant au principe valant rejet ajoutait en outre que l’Administration doit publier sa décision. Il faut un acte de publication pour que le délai de recours des tiers court. L’Administration dispose à nouveau d’un pouvoir de retrait. Cela résulte de Conseil d’Etat, assemblée, 1er juin 1973, Ministre de l’Equipement c/ époux Roulin. Ces solutions de la jurisprudence sont consacrées par l’art. 23 de la loi du 12 avril 2000.

 

 

        

 

  • 2 : L’effectivité – le problème de l’exécution forcée (effets matériels d’une décision)

 

  1. A) La sanction de l’inexécution

 

                   Par « inexécution », on entend l’inexécution d’une décision par les administrés. La question qui se pose est de savoir si l’Administration dispose d’armes d’exécution effective de ses décisions par les administrés. Autrement dit, dans quelle mesure peut-elle recourir à la force pour obtenir l’exécution de ces décisions.

         Si les décisions administratives jouissent du privilège du préalable, si elles ont un caractère exécutoire, si ce caractère est une règle fondamentale de Droit public, il ne correspond pas à un privilège général d’exécution forcée d’une décision. La jurisprudence administrative considère en effet qu’il y aurait trop de risques à reconnaitre à l’Administration un pouvoir d’exécution d’office, d’exécution forcée, d’exécution par la force, des décisions de l’Administration. Autrement dit, l’Administration ne peut pas se faire justice elle-même. TC, 2 déc. 1902, SCI de St. Juste (GAJA), conclusions Romieu.

        

         Mais alors, de quoi dispose l’Administration ?

         Elle bénéficie de poursuites pénales, et d’un pouvoir de sanction administrative.

 

         Les poursuites pénales :

         En cas d’inexécution de sa décision, l’Administration pourra activer la justice pénale et exercer un recours auprès de l’autorité judiciaire afin de requérir une sanction pénale, et de solliciter au besoin l’autorisation de recourir à la force publique.

         Cela évidemment, sous réserve que la loi n’a pas explicitement conféré à l’Administration un pouvoir d’agir par elle-même (cf. exécution forcée plus bas).

         S’il n’y a pas de loi supposant l’exécution forcée, l’Administration doit recourir à la sanction administrative.

         Les sanctions administratives : elles suppléent parfois les poursuites pénales, et s’y ajoutent parfois. Elles sont très en vogue, beaucoup de textes législatifs reconnaissent le pouvoir d’infliger des sanctions. Le terme « sanctions » est très ambigu :

         Les sanctions au sens métaphorique : la recommandation, l’observation, la mise en garde, que l’Administration peut porter à la connaissance d’un administré, et pouvant aller jusqu’à des mises en demeure, des injonctions de faire ou de ne pas faire. Ces décisions là ne sont pas encore réellement des sanctions au sens étroitement juridique du terme.

          Les sanctions juridiques sont : les blâmes, les suspensions, les interdictions d’activités, les retraits d’autorisation et d’agrément, les sanctions pécuniaires, les amendes.

         Ces sanctions, prévues par des textes, sont assez efficaces. Elles sont prononcées par les AAI. Elles relèvent du pouvoir exécutif, mais elles sont indépendantes et n’en relèvent pas. CE sont des êtres hybrides créés dans les années 70 (cf. CNIL, CADA). On voulait désigner par là des services ministériels externalisés. Ces AAI n’ont pas toutes la personnalité juridique. Rares sont celles qui en jouissent. Elles sont censées exercer leurs pouvoirs indépendamment du ministre du secteur dont elle relève, et du Premier Ministre, même si elles sont composées par l’exécutif et que des gens bien vus du pouvoir y siègent.       Infligent des sanctions le Conseil de concurrence (1986), qualifié d’organisme administratif par le Conseil Constitutionnel en 1987, doté du pouvoir de prononcer lui-même des condamnations pécuniaires, avec des montants importants.

         La commission bancaire, autre AAI, peut prononcer des sanctions.

         Le conseil des marchés financiers, la CNIL, le CSA, ont un pouvoir de sanction pécuniaire, dont on dit qu’elles sont très lourdes.

 

         L’autre question qui se pose est de savoir si ces AAI sont des juges, ou disposant d’un pouvoir plutôt réglementaire ? Les juridictions, Conseil d’Etat comme Cour de cassation, considèrent que l’exercice de ce pouvoir de sanction, même s’il n’est pas expressément qualifié de pouvoir judiciaire par la loi, donne lieu à des décisions qui sont réputées être prises par des tribunaux. Elles agissent comme des tribunaux, au sens de l’art. 6, § 1er de la CEDH. L’intérêt d’une telle qualification est pour la Cour de cassation. Et le Conseil d’Etat d’avoir considéré que ces AAI siégeaient en qualité de tribunaux est que l’on pouvait conserver les garanties des justiciables et reconnaitre ces garanties à cela même qu’ils font l’objet des sanctions prononcées par ces AAI. Ces qualifications résultent de CE sect., 20 oct. 2000, Sté Habib Bank Ltd., ou CE sect., 22 nov. 2000, Sté Crédit Agricole indo suez Chevreux, ou 4 février 2005, Sté GST Gestion et autres. La commission bancaire agit en qualité de tribunal et peut se voir opposer le respect de l’art. 6, § 1er de la CEDH. La reconnaissance d’un pouvoir de sanction ne viole pas quelque peut la règle de la séparation des pouvoirs. Mais, le Conseil Constitutionnel ne juge pas de la même façon, 28 juillet 1989, 89/260. Le Conseil d’Etat a suivi cette décision, CE, 30 juillet 2003, Sté Dubus.

 

         La superposition de sanctions administratives à des sanctions pénales ne conduit pas l’Administration à des sanctions disproportionnées, en vertu de l’art. 8 de la DDHC (peines strictement et évidemment nécessaires). Ce qui vaut pour la loi vaut pour des décisions administratives (cf. décisions de police + contrôle de la proportionnalité).

 

         Le Conseil Constitutionnel a encadré ce pouvoir en prévoyant certaines garanties :

         – Une peine ne peut être infligée qu’à la condition que soit respecté le principe de légalité et de nécessité des délits et des peines,

         – Le principe de non rétroactivité de la loi pénale, lorsque cette dernière est plus sévère,

         – Le respect des droits de la défense, exigence des droits de la défense qui « s’étend à toute sanction ayant le caractère d’une punition, même si le législateur a laissé le soin de la prononcer à une autorité non juridictionnelle ».

         Cela résulte de CC, 25 février 1992, n°92/307.

 

         L’Administration n’a pas le pouvoir de se faire justice elle-même. Elle est tenue d’utiliser les procédures ordinaires (poursuite pénale, sanctions administratives), mais il est des cas où le recours à la force est possible.

        

  1. B) Le recours à la force

 

                   On distingue 2 hypothèses :

          Le recours n’est pas autorisé, mais le Droit s’applique et limite l’action de l’Administration :

         Elle engage dans ce cas sa responsabilité. Elle commet une illégalité, car elle ne dispose pas du pouvoir qu’elle met en œuvre. La question qui se pose n’est pas de savoir si ce recours est illégal, mais de savoir quel juge sera compétent pour juger l’Administration, l’illégalité, et la condamner à réparer la faute commise. On distingue de nouveau 2 situations :

         Le recours à la force non autorisée est illégal et n’a pas porté atteinte à une liberté fondamentale ou au droit de propriété : Le juge compétent est le JA. Arrêt de référence : CE, 21 juillet 1949, Wolff.

         L’exécution forcée (= recours à la force) viole un droit de propriété ou une liberté dite fondamentale : l’Administration a commis une voie de fait. Elle entraine immédiatement la compétence du JJ.

         Il y a le référé des libertés (procédures refondues depuis 2000) pour une décision portant atteinte à une liberté fondamentale (liberté d’aller et venir, de s’exprimer…). Les voies de fait disparaissent. La Justice Administrative préfère reconnaitre la mise en cause d’une liberté fondamentale et préfère suspendre la décision, que de se déclarer incompétent ce qui entraine la compétence du Juge Judiciaire. L’Administration, avec les voies de fait, agit en dehors de tout cadre juridique et se comporte comme une personne privée. L’acte qu’elle commet est tellement grave qu’elle ne relève plus du Juge Administratif mais du Juge Judiciaire, l’idée étant que la juridiction Administrative ne peut plus être compétent car il n’est plus face à une administration mais face à une Propriété privée ayant utilisé la force à des fins strictement personnelles.

 

         Le recours est autorisé sous certaines conditions : c’est le recours à la force sur habilitation. C’est une des exceptions (lorsque l’Administration ne recourt pas du pouvoir de recourir à la force) prévue soit par une Loi, soit par la jurisprudence.

 

         Il y a en effet des lois qui dans certains cas prévoient des exceptions à l’interdiction d’utiliser la force pour l’Administration. On ne peut pas faire une liste exhaustive de toutes les hypothèses législatives autorisant l’Administration à recourir à la force. Certaines lois ont un caractère conjoncturel évident, n’ont une application que temporaire (loi du 19 janvier 1943 sur la répartition des produits industriels sous le corporatisme de Vichy, et l’Administration disposait en vertu de la loi du pouvoir d’exécuter de manière forcée certaines décisions impératives qu’elle pouvait prendre, comme contraindre de transférer des stocks de textile d’une entreprise à une autre).

         D’autres lois ont connu des applications plus durables.

         Ex. loi du 29 décembre 1892 sur l’occupation de terrains privés, en vertu de l’exécution de travaux publics, autorisant des agents de l’Administration à pénétrer sur des terrains privés dans autorisation de la part des propriétaires.

         Ex. en matière de la construction et d’habitation, le code de construction et de l’habitation habilite des agents de l’Administration à faire exécuter des travaux d’office, en cas d’inexécution par le propriétaire. D’où les arrêtés de péril du maire pour des travaux de consolidation. C’est une exécution forcée : on dispose du bien du propriétaire sans son consentement. Il n’y a pas de voie de fait, en vertu de la loi elle-même.

         Ex. loi de 1906 autorisant les agents à disposer des terrains privés pour installer les lignes électriques.

         L’Administration peut prendre des décisions unilatérales se rattachant à des droits individuels. Ce sont des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE. L’une des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE est le pouvoir de disposer du bien d’autrui, au nom de l’intérêt général. Dans ce cadre, l’Administration a le pouvoir d’exécuter sa décision sans le consentement.

         Exécutoire ici, s’entend comme exécution d’office, exécution forcée (cf. arrêté de péril).

 

         Les exceptions admises par la jurisprudence, de 1902 (Romieu). Le TC, puis le Conseil d’Etat et la jurisprudence en général, ont admis un pouvoir d’intervention au profit de l’Administration en dehors de tout texte légal habilitant l’Administration. Ce pouvoir est subordonné à des conditions strictes.

                   – L’urgence : Ces conditions tiennent à la gravité de la situation, qui exigerait une action immédiate de l’Administration, ce qui suppose que l’Administration ait constaté une urgence, susceptible de contrôle par le JA.

         Ex. réquisition d’immeuble de 1939 à 45, où le Juge Administratif a considéré que les réquisitions étaient justifiées par une urgence (CE sect., 18 janvier 1946, Agence Brad).

         Ex. prise de possession d’une habitation vacante pour y loger une famille expulsée en plein hiver (TC, 23 mars 1950, Martin-Rouilmas).

         L’urgence n’est pas constatée, et ne justifie pas une réquisition d’immeuble, lorsque la famille privée de logement du fait d’un incendie s’est vue offrir par l’employeur du sinistré un appartement de rechange (1957).

         La première condition est l’urgence, qui est contrôlée par le Juge Administratif ! Le Juge Administratif cherche à savoir si la décision est proportionnée à la finalité poursuivie.

                   – L’absence de toute autre sanction légale : cette hypothèse est le produit de Romieu (SCI St. Juste). Il imaginait le cas où une loi pourrait ne pas être exécutée au motif que le législateur aurait omis une condition de l’application de la Loi, et not. si le législateur a omis des sanctions adéquates dans la loi elle-même. L’Administration ne dispose pas d’un moyen de contraindre : la question est de savoir si elle peut elle-même compléter la loi en procédant éventuellement à une exécution forcée. Romieu, immédiatement, affirme que la force doit rester à la loi et qu’il serait dangereux de reconnaitre à l’Administration le pouvoir de pallier la lacune législative d’elle-même. En même temps, il faut pouvoir agir sans être tenu à un débat législatif (long sous la III République, et à l’issue improbable). Le juste milieu serait de donner à l’Administration une possibilité d’intervention, pour exécuter la loi, sans glisser vers l’arbitraire. Romieu envisage alors 4 conditions susceptibles de permettre à l’Administration de procéder à l’exécution forcée d’une décision en l’absence de sanctions légales :

                            * Il faut qu’il n’y ait pas de sanction adéquate, « le contrôle de l’Administration ne pourrait être licite qu’à la condition d’être l’ultima ratio à défaut du moyen normal qui est l’application de la loi par le juge pénal » : l’Administration peut utiliser la force en cas d’absence de sanctions pénales prévues par la loi. Mais, l’absence de sanctions civiles est aussi visée. CE précise qu’il ne fallait pas se limiter à l’absence de sanctions pénales.

                                      > En cas d’éventuelles procédures au civil engagées par l’Administration, alors elle ne disposait plus du pouvoir de procéder à l’exécution forcée de sa décision (CE, 17 mars 1911, Abbé Bouchon, à propos de l’expulsion d’un presbytère).

                                      > Si des sanctions administrations sont autorisées par la loi, l’Administration est privée du pouvoir d’exécuter sa décision (CE, 23 janvier 1925, Alban).

                            * Il faut qu’il y ait lieu à exécution forcée : l’Administration doit avoir rencontré une résistance de la part des administrés. Il faut répondre à une nécessité et ne pas utiliser la force par mauvaise volonté.

                            * Il faut que l’opération administration pour laquelle l’exécution forcée est nécessaire trouve sa source dans un texte de loi. Il faut qu’elle mette en œuvre un pouvoir qui lui a été reconnu par la loi. Il faut qu’elle agisse au plan intellectuel dans un cadre légal.

                            * Il faut que les mesures d’exécution forcée soient proportionnées. Ces opérations doivent tendre uniquement à la réalisation d’une opération prescrite par la Loi, au risque de verser sinon dans la voie de fait, comme c’était le cas à propos de la saisie de journaux (TC, 8 Avril 1935, Action Française (GAJA)).

 

CHAPITRE III : LE CONTENTIEUX DES ACTES

 

         Cas d’ouverture du Recours pour excès de pouvoir & contrôle de la légalité, des motifs, du Juge Administratif.

 

Section 1 : Le recours en annulation de l’acte : le recours pour excès de pouvoir

 

  • 1 : Les conditions de recevabilité

 

  1. A) Les conditions liées à l’acte

 

                   Quels actes peuvent faire l’objet d’un Recours pour Excès de Pouvoir (REP) ?

         – L’acte doit être juridiquement considéré comme tel par le juge lui-même, c’est-à-dire qu’il est censé faire grief. La distinction permet d’exclure les mesures d’ordre intérieur, ou encore les circulaires, qui ne sont pas censées produire des effets sur les administrés pris en tant qu’individus.

         – Toutes les mesures qui échappent à ces mesures d’ordre intérieur (ces circulaires, actes préparatoires), c’est-à-dire les actes contenant des normes impératives, sont susceptibles de recours.

         – Les actes contractuels (entre l’Administration et une Propriété privée) sont censés produire des effets uniquement entre 2 personnes : ils ne sont pas a priori susceptibles d’un Recours pour excès de pouvoir (Jurisprudence Martin de 1905, dont on attend la remise en cause par la Justice Administrative d’ici peu). Les contrats sont soumis à la légalité, et il faudrait pouvoir en contrôler la légalité (c’est ce que le déféré préfectoral fait lorsqu’il examine la légalité des actes des collectivités territoriales).

 

  1. B) Les conditions liées au requérant

 

                   Pour pouvoir exercer un Recours pour excès de pouvoir, encore faut-il disposer d’une capacité et d’un intérêt à agir.

         – L’intérêt à agir doit être à la fois personnel, direct, légitime, conforme aux principes juridiques, réel, et certain. Ces éléments n’ont pas à être justifiés systématiquement. En réalité, cette longue liste ne sert qu’à rendre des divers moyens que le Juge Administratif a utilisé de temps en temps pour rejeter l’intérêt à agir d’un requérant. Le requérant n’a pas à justifier du caractère réel, direct, légitime… de son intérêt à agir lors d’un Recours pour excès de pouvoir.

         – Le juge exige que l’annulation de l’acte puisse avoir des conséquences sur celui qui le demande. Au fond, nul n’est censé agir pour autrui. On n’exerce pas un Recours pour excès de pouvoir pour le bien de la Nation : le requérant n’est pas censé représenter la Nation.

         L’illégalité d’un acte administratif, lorsqu’il est réglementaire, a des effets sur un grand nombre de personnes. Le Conseil d’Etat n’a pas cherché à imposer une jurisprudence au terme de laquelle seuls les actes individuels pourraient faire l’objet d’un Recours pour excès de pouvoir.

         Il faut arriver à montrer que l’acte doit être annulé parce qu’il est illégal, et il doit être annulé sans quoi sur le fondement risqueraient d’être pris des actes pouvant concerner le requérant. Le Juge Administratif fait preuve d’une grande compréhension lorsqu’il lui est revenu de définir les conditions du Recours pour excès de pouvoir au regard du requérant. L’intérêt à agir est admis de manière large (des associations peuvent exercer des Recours pour excès de pouvoir au nom d’un intérêt général, et non pas collectif, d’où Patrons coiffeurs de Limoges agissant au nom d’un intérêt collectif, mais s’ils avaient agi dans un intérêt général, leur recours aurait été admis).

 

  • 2 : Les cas d’ouverture du recours pour excès de pouvoir

 

                   Préliminaires : Cas d’ouvertures et moyens d’annulation

 

                  Les cas d’ouverture correspondent aux moyens d’annulation de l’acte administration. René Chapus dit du Recours pour excès de pouvoir que c’est un « procès fait à un acte ». Ce procès doit s’appuyer sur des motifs, des moyens, soulevés par le requérant, en vue d’obtenir l’annulation de l’acte.

         Il y a eu une première classification des cas d’ouverture, remontant à Laferrière (Traité de la juridiction administrative, 1887), Laferrière était membre du Conseil d’Etat et bien placé pour rendre compte de la façon du Juge Administratif de classer les moyens d’annulation d’un acte. Il distinguait 4 cas d’ouverture regroupés 2 par 2 :

          Les moyens de légalité externe : cela concerne non pas le fond de l’acte, mais sa forme.

                   – Le vice de compétence : l’incompétence est un moyen dans lequel on explique que l’auteur n’était pas compétent pour le prendre.

                   – Le vice de forme : tel acte aurait dû être reçu avec l’avis de telle commission, l’avis n’est pas conforme…

 

          La légalité interne : Laferrière distinguait 2 moyens possibles de légalité interne :

                   – Violation de la loi et des droits acquis : c’est la fausse interprétation de la loi et l’atteinte à un droit.

                   – Le détournement de pouvoir (le « vice de but » selon Laferrière). C’est l’usage d’un pouvoir à des fins personnelles. C’est l’usage par un administrateur d’un pouvoir de l’Administration à des fins personnelles (ex. refus de l’autorisation de l’ouverture d’un commerce à un individu qui serait justifié par l’empêchement de cet individu de procéder à une concurrence au cousin du maire ; ex. interdiction de stationner dans la rue du maire, pour des raisons personnelles).

         Cette classification se retrouve en Droit communautaire, article  230 du Traité de Maastricht, lorsqu’il s’agit d’examiner la conformité des actes au Droit communautaire.

         Au-delà de la classification de Laferrière, il y en a une autre, qui est un approfondissement résultant d’une étude de François Gazier (conseiller d’Etat, ayant cherché à montrer que la classification pouvait être complétée).

         À la légalité externe, Gazier ajoute le vice de procédure, en soulignant que la loi exige une certaine forme, et parfois une certaine procédure, préalable à l’édiction de l’acte. Ainsi, l’absence de motivation d’un acte, en vertu de la loi de 1979, est un vice de forme. Mais l’absence de consultation d’une commission est un vice de procédure.

         En matière de légalité interne, à la violation de la loi ou au détournement de pouvoir, Gazier ajoute l’erreur de droit.

 

         À côté de ces moyens classiques, il faut noter l’existence de moyens d’ordre public, mais aussi de moyens inopérants ou irrecevables.

         Les moyens d’Ordre Public sont des moyens soulevés d’office par le Juge Administratif (= de lui-même), en raison de leur extrême gravité. Autrement dit, si un requérant omet de soulever ce type de moyen très grave, le Juge Administratif le fera à sa place. Les moyens d’ordre public ne sont pas nombreux : défaut de base juridique du fait d’une incompétence, du champ d’application de la loi… Ce sont des moyens qui conduisent irrémédiablement à l’annulation de l’acte sans véritable discussion.

         Les moyens inopérants ou irrecevables : ils ne donneront jamais lieu à une annulation.

                   – Peut être considéré comme inopérant :

                            * Un moyen soulevé alors que l’Administration dispose d’une compétence absolument liée (ex. annulation d’une abrogation obligatoire en vertu de la jurisprudence Alitalia, c’est-à-dire que l’acte à abroger est lui-même illégal. L’Administration est liée, et doit prendre la décision. Le moyen soulevé d’une abrogation illégale, rendue obligatoire, serait inopérant).

                            * Un moyen mal fondé : un requérant demande l’annulation d’un acte qui en réalité est pour une part légal et pour une autre part illégal et que l’annulation est demandée pour ce qui concerne la partie de l’acte en réalité légale. Le moyen sera considéré comme mal fondé, et donc inopérant. CE sect., 30 sept. 2005, Commune de Beausoleil, à propos d’un promoteur s’étant vu attribuer un permis de construire, mais moyennant quand même le paiement d’une participation en faveur de la commune du fait de l’absence de réalisation de parking. La décision exécutoire est prise, est contestée par la société en question, qui se fonde sur un moyen n’ayant rien avoir avec le cadre légal dans lequel à agit l’Administration. Au lieu de dire que la décision la contraignant est prise de manière illégale au regard du texte prévoyant le paiement, la société soutient que la décision est fondée sur un permis de construire lui-même illégal. Le moyen est complètement inopérant, car sans rapport avec le cadre légal dans lequel agit l’Administration.

                            * Un moyen ne permettant pas au juge d’effectuer le contrôle qu’on lui demande : CE sect., 2005, CGT et autres, à propos du Contrat Nouvelle Embauche (CNE), où les requérants soulevaient un nombre considérable de moyens pour soulever l’illégalité du CNE. Parmi ces moyens, l’un était tiré de la violation de l’art. 30 de la charte des droits fondamentaux de l’UE. Or, cette charte n’a pas été introduite dans l’ordre juridique. Le moyen tiré de sa méconnaissance est dès lors inopérant : la norme n’existe pas.

                   – Les moyens irrecevables : ils conduisent au rejet immédiat de la requête.

         La violation par un acte administratif de la Constitution au motif que l’acte a été pris sur le fondement d’une loi elle-même inconstitutionnelle. Ce moyen a été soulevé en 1936 par M. Arrighi, où le Conseil d’Etat refuse d’examiner la constitutionnalité de la loi lorsque tel acte est pris en vertu d’une loi inconstitutionnelle, ce qui rendrait l’acte inconstitutionnel.      L’exception d’inconstitutionnalité est un moyen irrecevable.

        

 

 

 

  1. A) La légalité externe

        

         Le premier moyen est tiré de l’incompétence de l’acte. Mais, dans l’arrêt Duvignères, l’incompétence est le fait que l’Administrateur qui agit ne disposait pas du pouvoir mis en œuvre : il est sorti de ses compétences, et cette incompétence peut être exactement comme pour l’incompétence matérielle, temporelle ou spatiale.

         Ce peut être une incompétence du fait qu’on agit dans le passé, dans un futur trop éloigné, ou dans un espace où l’on n’a pas de pouvoir.

 

         Le vice de forme : Laferrière avait tendant à confondre vice de forme avec vice de procédure. Au sens strict, le vice de forme est la violation de toutes les règles relatives à toutes les formes dans lesquelles l’acte doit être pris. Ainsi, il y aura vice de forme :        – Quand l’acte est oral, alors qu’il devait écrit ;

                   – S’il ne comporte pas la signature de l’autorité qui en est l’auteur ;

                   – Si l’acte ne comporte pas la motivation de la décision.

         Le vice de forme est le vice le plus léger, à l’égard duquel le Juge Administratif est le plus conciliant, sauf si la forme est considérée comme substantielle. L’absence de motivation fait partie des vices de forme irrémédiables.

 

         Le vice de procédure, c’est-à-dire les consultations, préparations, avis etc. Les actes préparatoires ne permettent pas que l’on exerce contre eux un Recours pour excès de pouvoir, car ils ne contiennent aucune norme, mais leur omission peut rendre leur acte illégal, du fait d’un vice de procédure. L’omission d’un acte préparatoire prévu par la loi conduit à l’adoption d’un acte ne répondant pas aux exigences légales.

         L’annulation pour vice de procédure n’est prononcée qu’en cas d’omission d’une procédure dite substantielle.

 

  1. B) La légalité interne

 

                   Ce sont les moyens développés dans une requête. Ce sont les moyens d’annulation d’un acte administration concernant les motifs pour lesquels l’acte a été pris. Ils doivent être distingués de la motivation, puisque c’est l’explicitation formelle des motifs. La motivation ne doit jamais être formulée de manière standard, et être attentive et s’attacher à la situation personnelle de l’administré. On distingue 2 moyens d’annulation tirés des motifs de l’acte :

          Moyens d’annulation tirés des motifs de droit :

         Ces moyens se rattachent à l’idée que l’Administration aurait violé la Loi, ou qu’elle aurait commis une erreur de Droit, voire une erreur d’interprétation. L’Administration aurait privé de base légale sa décision. Pour certains, on distingue toutes ces hypothèses. Cette erreur de Droit doit être distinguée d’une autre hypothèse qui est le détournement de pouvoir.

                   – La violation de la Loi :

                   L’Administration viole la loi en enfreignant une norme supérieure s’imposant à elle (principe de non rétroactivité des actes administratifs, par ex. en prenant un acte produisant des effets dans la passé), prend une norme contraire à ce que la Loi l’autorise à faire…

                            * Le fondement de la décision administrative est illégal : une autorité administrative, qui après avoir fixé dans une décision des règles qui encadreront des décisions ultérieures, ne respecte pas finalement ce cadre qu’elle s’est elle-même fixé.

                            Ex. Concrètement, CE sect., 25 février 2005, France Télécom (droit public économique), où l’ancienne ART (Autorité de Régulations des Télécommunications), puis ARCEP, avait fixé des règles de calculs de certains coûts incrémentaux, et au moment de prendre une décision concernant France Télécom, elle ne respecte pas cette règle qu’elle s’était fixé. Une norme réglementaire est violée, posée par l’autorité de régulation, qui est l’auteur de la norme individuelle, et de la norme réglementaire. Dans cette décision individuelle, une norme réglementaire est violée par l’Administration.

                            Ex. CE, 23 fév. 2005, Société Caixa Banque France, à propos de poursuites engagées par la commission bancaire contre une banque. L’autorité administrative en l’espèce engage des poursuites en se fondant sur le règlement du comité de la réglementation bancaire qui est lui-même contraire à une norme européenne. On a donc une décision individuelle engageant des poursuites, fondée sur un règlement administratif, lui-même contraire au Traité de Rome. Le fondement de la décision individuel est illégal : il y a violation de la Loi.

                            L’Administration agit sur un fondement illégal, ou prend une décision individuelle étant elle-même illégale. Il y a ici une privation de base légale de la décision.

                            * La norme de référence est légale, mais cette norme a été mal interprétée.

                            Ex. CE, 15 oct. 1999, Syndicat National des Directeurs d’Ecole de Masso-Kinésithérapie, à propos d’une décision prise par une autorité pour déterminer un nombre d’étudiants à une formation. Le Code de la santé publique indique que le nombre doit prendre en compte les besoins de la population, or l’autorité administrative, au lieu de se fonder sur les besoins de la population, va fixer le nombre d’étudiants admis à suivre une formation, en référence au nombre des professionnels déjà en activité. Il y a ici une violation de la Loi, ou une erreur dans l’application de la loi (appelée aussi l’erreur de droit). Sera également considéré comme entaché d’une erreur de Droit une décision prise en omettant de tenir compte d’un motif de Droit impliqué par la Loi elle-même.

                            Ex. CE, 9 oct. 2002, Union Nationale de l’Apiculture Française, à propos d’un insecticide, où le Conseil d’Etat doit examiner une décision émanant du ministre de l’Agriculture refusant de retirer du marché des insecticides Gauchos (qui tuent les abeilles). Cet insecticide n’est pas retiré, et le Conseil d’Etat juge que lorsqu’il a pris sa décision de refus, « le ministre n’a pas examiné l’intégralité des éléments nécessaires à l’appréciation de l’innocuité du produit ». Ici, la loi prévoit un certain nombre d’éléments pour que le ministre apprécie le caractère dangereux, mais au fond il lui est reproché de ne pas avoir pris en compte l’intégralité des éléments et d’avoir fondé son choix sur certains d’entre eux. Il y a erreur de droit, parce qu’on n’a pas accordé autant d’importance à toutes les conditions prévues par la Loi pour prendre une décision.

                            Parfois, l’Administration joue sur les mots et dit que ses conditions sont implicitement contenues dans la Loi. Parfois, le Conseil d’Etat conteste cela. CE sect., 6 fév. 2004, Mme Hallal, à propos d’un visa de long séjour en qualité d’ascendante à charge d’un ressortissant français qui est refusé. Elle a droit à un recours auprès de la commission de recours des refus de visas, qui rejette son recours en expliquant que l’intéressé n’était pas isolé dans son pays d’origine. Cette circonstance ne pouvait pas à elle seule signifier le refus accordé à l’intéressé. L’idée qu’elle n’est pas isolée constitue une erreur de droit pour le Conseil d’Etat. C’est une implication implicite qui n’est pas retenue comme étant légale.

                            Par ailleurs, il est question de savoir si la violation directe de la loi ou l’erreur de droit doivent être distinguées. Ces notions sont proches, l’idée étant que l’Administration doit toujours fonder sa décision sur un motif de Droit. Lorsque le motif lui-même n’est pas identifiable, la décision elle-même n’est pas susceptible d’être contrôlée par le JA. Le juge ne refusera pas pour autant de contrôler la décision. L’Administration doit fournir le motif de droit de sa décision. CE sect., 26 janvier 1968, Société Maison Genestal, à propos d’un refus d’agrément pour l’acquisition d’immeubles au Havre. Le ministre devait faire application d’un article  du Code Général des Impôts, mais il se contente de dire que l’opération immobilière ne lui a pas paru comporter sur le plan de l’intérêt général des avantages économiques suffisants pour justifier l’octroi d’un agrément. Le Conseil d’Etat estime que ce motif est formulé en termes trop généraux pour permettre à la juridiction administration d’exercer son contrôle sur la légalité de la décision. Cela ne veut pas dire que la décision est légale, mais qu’elle doit être reformulée.

                   – Le détournement de pouvoir : le vice le plus grave dont peut être entaché un acte administratif. Il affecte le but pour lequel l’acte a été pris. L’Administration dispose de PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE, reconnues et attribuées parce qu’elle est censée servir l’intérêt général. Il est des cas où l’Administration se croit autorisée à utiliser des PRÉROGATIVES DE PUISSANCE PUBLIQUE à des fins qui ne sont plus l’intérêt général :

                            * L’Administration/administrateur use de son pouvoir en vue de satisfaire un intérêt personnel : ex. le maire protège la situation d’un de ses proches. Un PREMIER MINISTRE modifie le statut d’un corps d’administrateurs pour faire nommer ses collaborateurs (CE, 13 janv. 1995, Syndicat autonome des inspecteurs généraux de l’Administration, dans lequel le syndicat conteste le décret du 31 déc. 1992 venant modifier le statut des inspecteurs généraux en abaissant l’âge minimum des nominations et en instituant un nouvel ordre de nomination d’application immédiate. Il s’agissait pour le PREMIER MINISTRE de procéder à 3 nominations concernant 3 collaborateurs.). C’est une opération de modification d’un statut qui satisfait un intérêt personnel.

                            * L’Administration vise une finalité autre que celle prévue par la Loi. Ce détournement de pouvoir là n’est plus nécessairement le fait d’un administrateur agissant comme un chef de clan, mais est le fait d’une autorité administrative avec plusieurs administrateurs.

                            Ex. un conseil municipal qui modifie le POS pour faire classer un terrain qu’elle convoite (CE, 12 janv. 1994, Consorts Esvan, où le Conseil d’Etat relève que le changement de zonage intervient à la suite d’une demande d’acquisition adressée aux consorts Esvan. Pour faire baisser la valeur du terrain, l’Administration procède à ce changement).

                            Ex. un arrêté concernant l’université de Paris X-Nanterre, et pour justifier une fermeture éventuelle, l’arrêté décide de transférer des postes d’enseignants de Nanterre à Malakoff (rattachée à Paris V). Cela intervient en méconnaissance du fonctionnement de l’université, en manque de moyens. Conseil d’Etat est amené à connaitre de cette situation : CE sect., 30 mars 1979, Université Paris X-Nanterre, dans lequel il annule l’arrêté pris par la secrétaire d’Etat. Par diplomatie, et aussi par ironie, le Conseil d’Etat considèrera qu’il n’y a pas détournement de pouvoir mais une erreur manifeste de l’Administration (qui a cru pouvoir prélever une vingtaine de postes d’enseignants…). Le Conseil d’Etat dissimule un détournement un pouvoir, qui ne satisfaisait pas les intérêts personnels, mais les intérêts du Gouvernement au sens large.

        

          Moyens d’annulation tirés des motifs de fait :

         On distingue 2 types de motifs de fait que l’on peut contester.

         Le motif tiré de l’inexactitude matérielle des faits : une décision sera illégale si elle est fondée sur des faits inexacts. Le cas le plus connu : CE, 14 janv. 1916, Camino (GAJA), où le Conseil d’Etat est amené à examiner la légalité d’une décision de suspension et révocation d’un maire accusé d’avoir fait entrer un convoi funéraire, par une brèche d’enceinte du cercueil et d’avoir mis le cercueil dans une fosse trop petite car il aurait nourri un mépris pour le défunt. Après vérification, le conseil de département qui a suspendu le maire s’est fondé sur des faits qui ne sont matériellement pas exacts. C’est donc un pur mensonge. Le motif de fait est une affabulation complète. Jusqu’à cet arrêt de 1916, l’exactitude ne vérifiait pas l’exactitude des faits, et en le faisant, il ouvre un nouveau moyen d’annulation.

         L’hypothèse de la qualification juridique des faits : on peut demander l’annulation d’une décision au motif que la qualification juridique des faits est elle-même contraire à la Loi. L’opération de qualification est déterminante, c’est la nomination juridique d’un fait. Pendant longtemps, le Conseil d’Etat se refusait à examiner et à contrôler la qualification juridique retenue par l’Administration. C’était un problème, car une grande part des décisions illégales de l’Administration était due à une erreur de la qualification juridique des faits. C’était aussi reconnaitre un pouvoir considérable à l’Administration. Le Conseil d’Etat revient là-dessus, dans CE, 4 mars 1916, Gomel, à propos d’un refus de permis de construire opposé à M. Gomel par le préfet de la Seine. Gomel voulait faire construire un immeuble à la place Beauvau à Paris. Le permis de construire était subordonné en vertu de la loi à une condition d’un décret de 1852. L’alignement et le nivellement de la voie publique au devant de son terrain devait être faite. Une loi de 1911 comportait une disposition selon laquelle un plan et des coupes cotées doivent être adressées à l’Administration. La conservation des perspectives monumentales devait être respectée. La décision du préfet de refus est fondée sur le fait que la place Beauvau étant une perspective monumentale, la construction doit être refusée. Or, le Conseil d’Etat se reconnait dans l’arrêt Gomel le pouvoir de vérifier si l’emplacement prévu pour la construction est compris dans une perspective monumentale existante et dans l’affirmative, le Conseil d’Etat considère qu’il lui reviendra alors de vérifier que la construction est de nature à porter atteinte à cette perspective. Il conclut dans l’affaire que la place ne saurait être regardée comme une perspective monumentale, et qu’il n’y a aucune raison de refuser le permis de construire. On voit ici le Juge Administratif se substituer à l’Administration elle-même. Le Juge Administratif se demande si tel immeuble entre dans une perspective monumentale, ce qui est la question posée au préfet. Pour apprécier la qualification juridique, le Conseil d’Etat est obligé de se fonder sur les mêmes critères, voire sur d’autres critères. Le Conseil d’Etat se reconnait ici un pouvoir important : il refait la décision de l’Administration. Cela lui donne l’occasion de se demander si tel film est pornographique : CE, 14 juin 2002, Association Promouvoir (association de promotion du bon ordre public), à propos d’une association exerçant un recours contre la décision du ministre de la culture de diffusion du film Baise Moi. La question était si ce film était X ou – de 18 ans. Si le film est qualifié de X, il n’est plus diffusable. Le Conseil d’Etat retient que le film est porno, car il est une succession de scènes de violence et de sexe non simulé, sans que les autres séquences traduisent l’intention de dénoncer la violence faite aux femmes par la société. C’est ce qui distinguerait Baise Moi des 120 Journées de Sodome. Umberto Eco dit du film x qu’on y fait l’amour, on voyage…, et dans le film porno on y fait l’amour.

         En matière de contrats administratifs, l’Administration doit prendre des mesures de publicité pour certains contrats, pour permettre à toutes les personnes de faire valoir une offre (ex. marchés publics d’architecture). Il arrive que le Conseil d’Etat ne se contente pas seulement de rappeler qu’une mesure de publicité doit être prise, encore faut-il que la publicité soit suffisante. CE, 7 oct. 2005, Région Nord Pas-de-Calais, à propos de la construction de l’antenne du Louvre.

         La proportionnalité de la mesure : lorsque le Juge Administratif contrôle les motifs de fait, il s’intéresse souvent à la proportionnalité de la mesure prise au regard des faits qui ont justifié la motivation de la décision de l’Administration. C’est un moyen d’annulation très puissant. Cette proportionnalité est celle exigée dans l’arrêt Benjamin de 1933, où le Juge Administratif subordonne la décision du maire à la proportionnalité de sa mesure.

 

  • 3 : L’étendue du contrôle du juge

 

         Selon ce qu’on demande au juge, il n’exercera pas le même contrôle. Soit, on part des cas d’ouverture du Recours pour excès de pouvoir, et on dira alors que le contrôle du Juge Administratif est d’autant plus approfondi que les cas d’ouverture sont nombreux, ou encore les moyens d’annulation sont eux-mêmes nombreux.

         On peut s’intéresser à l’objet même sur lequel s’exerce le contrôle du juge. Le contrôle de l’acte administratif varie en fonction de ce qui est effectivement contrôlé. Cela sert à dire que ce n’est pas la quantité des moyens d’annulation qui justifie les moyens d’annulation, car en réalité, tout moyen d’annulation peut donner lieu à un contrôle plus ou moins approfondi, en mesure de ce que le juge cherche à contrôler.

 

         On distingue généralement 2 types de contrôles, et on s’interroge sur un 3ème type. On a : le contrôle normal et le contrôle restreint.

 

  1. A) Le contrôle normal

 

                   2 façons de présenter le contrôle normal :

         Pour les uns, il y a contrôle normal lorsque le Juge Administratif contrôle la légalité externe de l’acte ainsi que la légalité interne. Par légalité interne, on entend toute la légalité interne (erreur de droit, violation de la loi, l’exactitude matérielle des faits, la qualification juridique des faits, la proportionnalité de la mesure, et éventuellement le détournement de pouvoir). Il faudrait que le juge ait tout examiné.

         Pour d’autres, il y a contrôle normal lorsque le Juge Administratif contrôle pleinement la qualification juridique des faits. Cette qualification juridique est l’acte déterminant du régime juridique qui sera ensuite appliqué à un administré ou à une situation individuelle. CE sect., 9 juin 1978, Lebon, à propos de M. Lebon, professeur pédophile, ayant fait l’objet d’une mesure de mise à la retraite d’office par le recteur de l’académie de Toulouse. Cette mise à la retraite justifiée par les attouchements, sont selon le Conseil d’Etat de nature à justifier une sanction disciplinaire. Dire que les faits sont de nature à justifier une sanction disciplinaire, c’est avoir pris la peine d’avoir vérifié leur exactitude matérielle, mais c’est aussi contrôler la qualification juridique que l’Administration va apporter aux faits commis par l’instituteur pédophile. Or, ce contrôle conduit nécessairement le Juge Administratif à tenir compte bien évidemment de cas tirés de la légalité externe, mais c’est un contrôle qui oblige le Juge Administratif à refaire la décision et à se mettre à la place de l’Administration. Il en va de même dans Conseil d’Etat, 18 oct. 2000, Terrail, à propos d’une décision de mise à la retraite d’office d’un avocat général à la Cour de cassation. Ayant fait un article  critiquant un collègue magistrat. L’avocat général a terminé par un jeu de mot « lepénien », moyennement apprécié. Le Conseil d’Etat accorde une importance considérable aux pièces du dossier. Le Conseil d’Etat relève que ces termes ne peuvent évoquer que les génocides de la seconde guerre mondiale et que les faits reprochés qui sont établis constituent une faute disciplinaire. Or, en indiquant que les faits reprochés constituent une faute disciplinaire de nature à justifier la sanction dont a fait l’objet M. Terail, le Conseil d’Etat contrôle la qualification retenue par le ministre. Le Conseil d’Etat lui-même reprend le dossier en entier et vérifie que la conclusion à laquelle est arrivée l’Administration est effectivement conforme à la Loi.

         A fait l’objet d’un contrôle normal la récente opération de privatisation des autoroutes : CE sect., 27 sept. 2006, M. Bayrou et autres, à propos de sa contestation de privatisation des autoroutes et de la méthode de calcul permettant d’évaluer le prix de l’entreprise cédée. CE conclue que la méthode de calcul choisie était pertinente, de nature à justifier le prix fixé par le ministre. Il s’agit ici d’un contrôle normal, sans qu’on ait besoin de vérifier que tout a été examiné en détail.

 

  1. B) Le contrôle restreint

 

                   Au-delà de l’hypothèse la plus courante du contrôle normal, il y a une limite à l’examen par le Juge Administratif de certains décisions.

         Ce peut être l’examen de la légalité externe de l’erreur de droit et de l’inexactitude matérielle des faits uniquement. Cela exclurait la qualification juridique.

         Le contrôle est restreint dès lors que le juge se borne à vérifier que l’Administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation ou encore qu’elle n’a pas commis d’erreur manifeste d’adéquation.

         Autrement dit, ce contrôle restreint peut porter sur la qualification juridique des faits et sur la proportionnalité de la mesure. Il sera indique par le fait que le juge se contente de vérifier qu’il n’y a pas eu d’erreur manifeste d’appréciation ou d’erreur disproportionnée au regard des faits.

         Ex. Lebon et Terail. Dans ces affaires, on distingue la qualification de certains faits de fautes disciplinaires, puis la mesure prise pour cette faute. Le contrôle normal concerne la qualification des actes comme faute, mais le contrôle sera restreint sur la sanction ou la part de décision concernant la sanction. Ainsi, dans l’arrêt Lebon de 78, le Conseil d’Etat, après avoir reconnu une faute disciplinaire reconnaitra que l’Administration n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation, en sanctionnant M. Lebon par une décision de mise à la retraite d’office.

         Ce qui indique le contrôle restreint est l’adverbe « manifestement » ou l’expression « erreur manifeste ». Le Juge Administratif vérifie qu’il n’y a pas d’erreur grossière pouvant être relevée par tout administré même non spécialiste. Il faut se méfier de cet adverbe, car dans l’arrêt concernant Nanterre, le secrétaire d’Etat a commis une erreur manifeste d’appréciation, mais on parle de détournement de pouvoir.

         Ce domaine est considéré comme technique, et comme un domaine où le Juge Administratif n’a pas d’instruments lui permettant de contrôler une décision. Ex. CE, 2 nov. 2005, Société Bouillon, où la société demande une annulation des conditions d’utilisation de bâchage des vignes. Cela entraine le Conseil d’Etat dans des discussions sur l’atteinte au terroir… Il considère qu’il n’y a pas d’erreur manifeste d’appréciation.

        

         Décision du 30 nov. 2006, par laquelle le Conseil Constitutionnel reconnait que l’appellation commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives ne relève pas de la loi mais du règlement. Le pouvoir réglementaire pourra modifier ce nom et lui donner un autre titre.

 

  1. C) L’existence d’un contrôle maximum ?

 

                   Il concerne tous les cas d’ouverture et aussi le contrôle de la proportionnalité d’une mesure, ou encore ce que l’on appelle le bilan coûts-avantages. CE ass, 28 mai 1971, Ville nouvelle Est, où le Conseil d’Etat soumet la décision administrative concernant une opération d’urbanisme à un bilan coûts-avantages. Ce bilan consiste à évaluer, et faire une balance entre l’intérêt général que poursuit une opération d’urbanisme d’un côté et l’atteinte portée aux intérêts particuliers des personnes allant faire l’objet d’une expropriation.

         En réalité, ce bilan coûts-avantages, n’est pas très éloigné d’un contrôle de proportionnalité d’une mesure au regard des buts poursuivis. On met toujours dans ce contrôle de proportionnalité en balance l’intérêt général et les conséquences de la mesure sur d’autres intérêts. Ce contrôle est fréquent depuis 1933 en matière de décisions de police. Il est devenu quasiment général depuis CE sect., 9 juillet 1997, Société Ekin, à propos d’une revue basque ayant fait l’objet d’un arrêté d’interdiction, en vertu d’un texte ancien lui conférant un pouvoir discrétionnaire. La Cour Européenne des Droits de l’Homme a trouvé à redire sur le maintien de cette disposition légale-réglementaire (décret-loi) conférant un pouvoir discrétionnaire au ministre. Ce contrôle de proportionnalité est sans doute très important, qui au-delà de la qualification conduit le Juge Administratif à se transformer en administrateur. Quant à savoir si c’est un 3ème degré de contrôle, on peut répondre par la négative. Certains qualifient le contrôle de proportionnalité comme un contrôle normal (CE ass., 19 avril 1991, Belkacem, où le Conseil d’Etat accepte de contrôler une mesure prononçant la reconduite à la frontière d’un étranger au regard de l’art. 8 de la CEDH reconnaissant à tout individu un droit à une vie familiale normale !). Beaucoup de décisions ont été fondées sur cet article  8 par la suite. Porter atteinte au droit à une vie familiale c’est faire la balance entre l’Etat et ses règles de maintien sur le territoire, et le droit individuel de chaque individu à pouvoir vivre.

 

         Peut-être qu’il faut, plutôt que de rentrer dans des subtilités de savoir s’il y a un contrôle maximum qui serait un contrôle de proportionnalité, il faut voir en fait qu’il y a 2 contrôles de proportionnalité :

         – Contrôle de proportionnalité de mesures disproportionnées au regard de certains faits (mesures de police)

         – Contrôle de proportionnalité d’une mesure au regard d’un impératif d’équilibre entre deux objectifs antinomiques (lorsque le Conseil d’Etat contrôle le caractère excessif ou non d’une atteinte au principe de la concurrence, ex. CE sect., 10 mars 2006, Commune d’Houlgate, à propos du casino de cette ville, et où le Conseil d’Etat relève qu’il appartient au ministre de l’intérieur de veiller à ce qu’une décision en matière d’exploitation d’un casino n’ait pas pour effet de porter une atteinte excessive au jeu de la concurrence sur un marché.) Le ministre doit donc parvenir à un équilibre, une conciliation entre les nécessités de la protection de l’ordre public d’un côté, et les impératifs tenant à la préservation de l’égalité d’accès à un marché de l’autre (= le principe de la libre concurrence).

        

         Les effets quant à l’annulation : l’annulation d’un acte une fois le contrôle du juge exercé et si l’acte s’avère illégal, consiste en une disparition rétroactive de l’acte administratif. Le Conseil d’Etat est un sage faisant disparaitre la décision. La rétroactivité de l’annulation apparait de plus en plus comme dangereuse.

         Depuis le début du XXI siècle, la tendance est à une modulation du caractère rétroactif des décisions d’annulation du JA. On s’oriente vers une atténuation de cet effet rétroactif, de 2 façons au moins :

         – Suspendre l’annulation de l’acte à une modification ultérieure de ce dernier par l’Administration. À défaut d’une telle modification, l’acte sera annulé. C’est la jurisprudence de la 2ème chance, qui résulte de CE, 27 juillet 2001, Titran, à propos d’une décision prise par le garde des sceaux à propos de la gestion des fichiers informatiques. Le Conseil d’Etat introduit dans cet arrêt est cette idée que la décision telle qu’elle existe doit faire l’objet d’une annulation, mais le Conseil d’Etat accorde un délai à l’autorité administrative pour qu’elle corrige sa décision dans ce délai. Une fois la correction effectuée, la décision devient légale. C’est une politique de réformation audacieuse des actes administratifs, mais qui reste relativement classique. Il est déjà arrivé que le Conseil d’Etat juge comme cela.

         – La grande nouveauté pour tempérer l’effet rétroactif consiste à moduler dans le temps les effets d’une annulation contentieuse. Cela consiste pour le Conseil d’Etat à préserver une partie de l’acte, ou une partie des effets produits par un acte administratif ; à en annuler certains de manière rétroactive ; à en abroger d’autres. Cette nouveauté a été introduite par le Conseil d’Etat ass., 11 mai 2004, Association AC !, à propos de l’agrément de la convention de retour à l’indemnisation. Cette jurisprudence a fait l’objet d’une application dans CE sect., 25 fév. 2005, France Télécom, où le Conseil d’Etat diffère de 2 mois l’annulation d’un règlement de l’ancienne ART à propos d’un mode de calcul des coûts incrémentaux. Au regard des conséquences de l’annulation rétroactive, le Conseil d’Etat prend la liberté de décider que certains effets d’un acte ne tomberont pas sous le coup de l’annulation rétroactive pendant un certain délai. Au delà du délai, tout sera annulé. Cette solution ouvre de belles perspectives en matière de contrats administratifs. Le contrat ne peut pas faire l’objet d’une annulation au terme d’un Recours pour excès de pouvoir, au nom du caractère bilatéral du contrat et de son effet relatif. La nouveauté procédurale de modulation dans le temps pourrait donner lieu à une remise en cause de cette jurisprudence de 1905. On voit des éléments selon lesquels le Conseil d’Etat remet en cause la Jurisprudence.

 

Section 2 : Les autres recours

 

         Etudes de certains référés.

 

  • 1 : Le recours en suspension des effets de l’acte (le référé-suspension)

 

         En principe, les recours administratifs n’ont pas d’effets suspensifs. La décision dont on demande la réformation continue à s’appliquer même après le dépôt de la requête. En vertu de L. 521-1 Code de Justice Administrative, il existe une procédure de référé-suspension. Cette procédure consiste à demander au juge qu’il prononce la suspension de l’effet d’un acte. Le terme « référé » indique que la procédure est régie par l’urgence (on peut obtenir une décision dans les 48h). Le juge ne prononce que la suspension de la décision et non son annulation. Le référé est obtenu rapidement mais est une mesure provisoire, conservatoire, en attendant un jugement au fond de l’affaire.

         Les effets de la suspension : si elle est prononcée par le juge du référé au terme d’une ordonnance de référé, l’autorité administrative a l’obligation de ne pas exécuter sa décision.

         Le juge qui annonce la suspension ne doit pas excéder ses compétences : ni annuler, ni ordonner une mesure ayant les effets d’une annulation (d’un jugement pour défaut de base légale). En se fondant sur l’art. L 521-1 CJA, le Conseil d’Etat rejette la demande de référé-suspension émanant de 74 professeurs d’université, juristes, qui demandaient la suspension du décret du 8 nov. 2005 où le ministre déclarait l’état d’urgence afin de lutter contre les violences urbaines. Or, le Conseil d’Etat fait remarquer que demander la suspension de ce décret aurait conduit en réalité à prendre une décision ayant eu la même portée qu’une annulation de l’état d’urgence. Le Conseil d’Etat a rejeté le référé. On ne peut pas suspendre n’importe quel acte. Les effets de la suspension ont parfois comme conséquence la suspension de la mesure.

 

  1. A) Les conditions de la suspension

 

         La demande de suspension doit toujours être une demande accessoire. Elle doit être accessoire d’une demande d’annulation (disparition rétroactive) ou de réformation (modification de l’acte). Il faut donc avoir soit préalablement, soit en même temps, déposé une demande d’annulation pour espérer obtenir une décision de suspension d’un acte.

         Par ailleurs, la décision dont on demande la suspension ne doit pas avoir été entièrement exécutée. Il n’y a plus lieu de la suspendre, on peut au mieux demander son annulation. C’est pourquoi certaines décisions de police ne peuvent être suspendues (cf. arrêt Benjamin).

 

  1. B) Deux « conditions de fond »

 

         2 conditions tenant à la procédure même de référé :

         Une condition d’urgence : le référé est toujours justifié par l’urgence, et la suspension également. La décision doit donc porter préjudice à l’individu ou encore porte atteinte de manière suffisamment grave et immédiate à une situation juridique pour justifier le prononcé de la suspension. C’est au requérant qu’il incombe de prouver qu’il y a préjudice ou atteinte à une situation individuelle de manière grave ou immédiate.

         Une condition liée au moyen développé par le requérant : la loi exige un moyen propre (…). Pour qu’un acte fasse l’objet d’une suspension, il faut que l’on ait un doute sur la légalité. Le doute sérieux est en réalité une condition moins exigeante que la condition de l’illégalité pour le prononcé de l’annulation. Le juge du référé ne procédera pas au même contrôle que le juge du Recours pour excès de pouvoir. Il se contente de vérifier que la légalité de l’acte est effectivement discutable, mais il ne peut pas procéder à un contrôle entier de la mesure qui porterait sur la qualification juridique des faits ou la proportionnalité de la mesure. Pour le requérant, il faut démontrer que l’acte est profondément contestable.

        

  1. C) La procédure

                  

                   C’est la procédure suivie par le juge. Une fois saisi par une demande de référé suspension, le juge saisit l’Administration pour qu’elle fasse sa défense. Si le juge des référés considère que la demande de suspension est fondée (qu’il y a urgence, doute sérieux sur la légalité de l’acte…), alors il prononcera la suspension qui n’est encore une fois pas une annulation et qui ne lie pas le juge du fond, pouvant estimer la décision légale dans un second temps en levant le doute sérieux invoqués préalablement.

         C’est la que le Juge Administratif a introduit récemment une petite nouveauté : CE sect., 27 oct. 2006, Sté Techna, où le Conseil d’Etat accepte de reporter dans le temps l’application d’une décision de rejet en tant que cette décision met fin aux effets de la suspension d’un acte administratif prononcé par le juge des référés. Une requête en annulation avait été déposée contre un acte ayant fait l’objet d’une mesure de suspension par le juge des référés. Si la requête en annulation est rejetée, l’acte recommence à produire ses effets. Mais, le Juge Administratif remarque qu’il peut apparaitre que l’effet de l’acte est « de nature compte tenu des difficultés de tout ordre contre lesquels l’Administration ne pourrait parer elle-même, à porter atteinte à la sécurité juridique ». Pour concilier la procédure du référé qui est indépendante du Recours pour excès de pouvoir et le principe de sécurité juridique, qui est maintenant le nouvel opium du Juge Administratif, le Juge Administratif accepte de faire une appréciation de l’intérêt général qui le conduit à reporter l’entrée en vigueur d’une décision de rejet d’une annulation contentieuse à une date ultérieure à celle à laquelle elle devrait normalement entrer en vigueur, et cela en vue de permettre à l’Administration de prendre les mesures transitoires qui s’imposent.

         Le Juge Administratif peut reporter l’annulation dans deux mois, ce qui permet à l’Administration de faire une transition juridique. Il ne faut pas être fasciné, mais il y a une maitrise de la temporalité.

         Le juge des référés dispose d’un pouvoir d’appréciation très large à l’image du juge de l’annulation. Cette appréciation est liée au fait que le juge des référés peut rejeter une demande de suspension sans nécessairement tenir une audience publique, soit parce qu’elle ne présente pas un caractère d’urgence, soit parce que l’Administration n’est en réalité pas compétente, soit parce que la demande est mal fondée ou irrecevable.

 

  • 2 : Les recours en appréciation de légalité et en interprétation

 

          Le recours en appréciation de légalité est le recours exercé par le Juge Administratif sur renvoi des juridictions civiles, lorsque celles-ci, en vertu du principe de la séparation des pouvoirs des lois de 90 et du décret de l’an III sont confrontées à un acte administratif dont elles ne peuvent contrôler la légalité, mais qu’elles doivent appliquer. Elles demandent au Juge Administratif d’apprécier la légalité de l’acte auparavant. La Cour de Cassation reconnait que ce recours est différent du recours en appréciation de l’inconventionnalité d’un acte (conformité d’un acte administratif à une convention internationale).

         C’est cette distinction qui a justifié un arrêt de la CA Paris relatif à la mise en œuvre du CNE.

         L’issue de ce recours en appréciation de légalité est de déclarer l’acte légal ou illégal. Si l’acte est déclaré illégal, il peut faire l’objet d’un recours conduisant à son annulation devant le Juge Administratif.

        

         Le recours en interprétation : il s’agit de saisir le Juge Administratif pour qu’il se prononce sur le sens d’un acte administratif dont l’application est rendue délicate du fait de son obscurité. Ici, le terme interprétation est entendu au sens d’explicitation de la signification d’un acte, en vue de savoir si cet acte contient une norme d’interdiction. C’est un recours banal pouvant être exercé par voie d’action ou d’exception.

 

  • 3 : Les recours en reformation de l’acte

 

         Ce sont des recours de « pleine juridiction ». C’est un recours différent du Recours pour excès de pouvoir. Le Juge Administratif, soit en vertu de la loi, soit de sa jurisprudence, s’est reconnu non pas le seul pouvoir d’annuler un acte mais le pouvoir de se substituer à l’Administration, de s’y substituer complètement en modifiant un acte administratif. Ce pouvoir de réformation est limité à certains domaines, qui sont :

         – Le contentieux fiscal, permettant au Juge Administratif de corriger une imposition.

         – Le contentieux électoral : le Conseil d’Etat peut dans certains cas et pour les élections dites administratives (non législatives, non présidentielles) modifier les résultats d’un scrutin.

         – Le contentieux des édifices menaçant ruine, dans lequel le Juge Administratif peut aggraver la décision prise par l’autorité administrative, et donc imposer par exemple une mesure de consolidation ou d’intervention sur une propriété.

         – Dans le domaine des installations classées : le Juge Administratif peut délivrer une autorisation de construction ou au contraire abroger une décision administrative (CE, 21 janv. 2002, Ministre de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement c/ Schweppes, où le Juge Administratif relève que lorsqu’il est saisi d’un RPC mettant en demeure des exploitants peut constater que les mesures ne sont pas nécessaires, et non pas annuler l’arrêté et seulement abroger la décision pour l’avenir).

 

         Le pouvoir de réformation de l’acte administratif donnant lieu à des décisions d’abrogation (conservation des effets pour le passé, suspension des effets pour l’avenir) : la question est de savoir si ce contentieux n’a pas dépassé les 4 domaines précédemment cités. Peu à peu, le pouvoir de réformation grignote d’autres domaines que le simple plein contentieux. Il s’introduit dans le Recours pour excès de pouvoir : c’est ce que démontre l’arrêt AC ! de 2004 et les applications en 2005 et 2006. Non seulement, de plus en plus d’actes administratifs sont contrôlés, des catégories se vident de leur contenu (mesure d’ordre intérieur…), et il y a aussi une tendance à associer un pouvoir d’annulation avec un pouvoir de réformation au point de brouiller la frontière entre le recours en annulation et le recours en réformation.

         Le Juge Administratif se reconnait de plus en plus de pouvoirs et se substitue à l’Administration elle-même ! Le Juge Administratif devient un administrateur quand il le souhaite.

 

         Deux sujets :

         – Dissertation > résumer/synthétiser l’essentiel du cours du 1er semestre. Question transversale, et non de cours (même si elle l’est en apparence). Ne pas uniquement reproduire un chapitre précis. Il faut prendre de la hauteur vis-à-vis des notions et montrer la pertinence, et le caractère dépassé des notions.

         Le cours tient compte de l’actualité.

         Il faut tirer les grandes lignes du cours : le Droit administratif est en évolution et en contestation. La place du Juge Administratif n’est plus celle qu’il occupait hier. Il est confronté au droit européen, aux autres juges, et du fait qu’il a lui-même produit beaucoup de normes qui sont toujours plus favorables à l’activité privée. Il est contraint de réduire la part discrétionnaire de l’autorité publique. Le Juge Administratif ne peut nier l’activité privée, et doit trouver un équilibre difficile à tenir, entre les impératifs du Service Public et le maintien des activités privées. On voit qu’une frontière se dessine, que l’on revient à une conception du droit administratif du début du XX siècle, car on réduit la prolifération d’entités publiques. Beaucoup d’établissements publics deviennent des SA (GDF, Poste).

         Le sujet tient compte des thèmes de Service Public, de prérogatives de puissance, et de la compétence du Juge Administratif (critères de compétence). Il faut tenir compte de l’histoire du droit administratif (Etat interventionniste) et de l’actualité (retrait partiel de l’administration, car il y a des AAI aux pouvoirs exercés par l’Etat auparavant, qui agissent en lieu et place de l’Etat).

         – Commentaire d’arrêt > soulever plusieurs questions. Ne pas utiliser l’arrêt pour parler du cours. Il y a parfois 2 problèmes de droit : la question de la qualification d’un établissement publique d’où découle la compétence du juge ; la qualification d’un acte et sa légalité à une norme supérieure… Il faut pouvoir mobiliser ses connaissances sur 2 problèmes différents. Le programme du 1er semestre parle de la notion d’acte administratif, mais aussi de la compétence du juge. Il n’y a pas d’impasse possible.

         Le commentaire d’arrêt veut une explication de la solution de l’arrêt, sans paraphrase, et il faut penser cette solution dans la perspective générale du droit administratif. Cela suppose une assez bonne connaissance du terrain. Pour le premier aspect (l’explication), ce n’est pas une reproduction de la solution. Il faut pouvoir formuler le problème de droit présenté au juge, pour pouvoir expliquer l’arrêt. Souvent, on a tendance à aller trop vite, et à ne pas expliquer la solution à quelqu’un qui ne connait rien. Le correcteur attend une explication très pédagogue et fait comme s’il ne connait rien.

         La portée de l’arrêt : les choses sont plus relatives, car on ne prédit pas l’avenir. On peut dans certains cas apprécier l’importance d’une solution. Certains arrêts de la CAA Paris s’immiscent dans l’organisation des prisons. En matière de transferts de détenus, les décisions sont encore considérées comme des Mesures d’ordre intérieur (par le Conseil d’Etat). Des CAA veulent en faire des actes faisant grief, en utilisant des arguments différents. Elles modifient la jurisprudence antérieure. Le critère d’appréciation de l’acte faisant grief, en matière de  Mesures d’Ordre Intérieur (Hardouin), est de faire en sorte que la décision limite la part de liberté individuelle du détenu. Fait grief la décision qui limite la part de liberté individuelle d’un détenu. La personne est prise comme un détenu, et sa liberté individuelle n’est pas plus prise lorsqu’il est transféré. La jurisprudence actuelle des CAA qui essaye de faire de ces actes des actes faisant grief, alors que ce sont des MOI, modifie le critère retenu par les arrêts Hardouin et Marie en 1995. Ces arrêts sont considérables puisqu’ils reviennent sur la jurisprudence antérieure de 95. Ils modifient des actes comme faisant grief également. Si le Conseil d’Etat retenait cette position-là, il reviendrait sur ses qualifications antérieures. La question est de savoir si la règle antérieure est modifiée ou non. L’application d’une règle ancienne à un cas nouveau n’est pas anodin non plus. Le Juge Administratif accepte de moduler l’effet rétroactif de sa décision (AC !). On attend l’application de cette solution à des contrats et non pas seulement à des AAU. La solution de l’arrêt apparait comme favorable à l’interdiction du Recours pour excès de pouvoir du contrat pour les tiers. L’annulation du contrat serait une abrogation car on maintiendrait des situations juridiques.

         La jurisprudence Administrative a tendance à ne pas se freiner comme auparavant. Il intervient de plus en plus dans l’action administrative. D’autres juges le feront s’il ne le fait pas. Il ne veut pas être en reste. De plus, on vit dans l’idée que les juges doivent intervenir dans les actes touchant les libertés publiques.

         Il faut utiliser la solution pour avoir une vision générale du droit administratif. Il ne faut pas recracher tout le cours, ni une seule partie. Il faut profiter de la solution, voir comment elle va évoluer par la suite.

 

         L’argument de textes est mobilisé lorsque les textes n’autorisent pas réellement. Pour diminuer la part de liberté dont le juge profite, il utilise bon nombre de textes.

         À l’inverse, moins il utilise de textes, plus c’est capital. Cf. arrêt PR de l’AN, la solution de 2 lignes sans justification est profondément nouvelle.

 

 

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