DROIT ANGLAIS : LA COMMON LAW
L’Angleterre et l’Amérique n’ont plus rien désormais qui les distingue, sauf bien entendu, le langage. O.WILD
C’est la deuxième grande famille de droits que nous abordons. Les termes COMMON LAW ont plusieurs sens :
Le terme common law est polysémique selon qu’on le définit par rapport à l’EQUITY ou au regard des sources principales du droit anglais.
Il désigne d’abord l’un des grands systèmes de droit du monde occidental, dont l’origine remonte à la conquête de l’Angleterre, en 1066, par Guillaume, duc de Normandie, et qui s’est propagé dans le reste des Îles britanniques (sauf l’Écosse) et sur l’ensemble des colonies britanniques. Dans ce sens large, la common law se distingue notamment de la tradition juridique romano-germanique ou civiliste, qui a inspiré en particulier les droits européens et coloniaux codifiés suivant le modèle français ou allemand (le Québec et la Louisiane sont principalement de tradition civiliste, malgré une influence marquée de la common law). On trouve souvent l’expression droit anglais employée dans ce sens, mais il y a alors risque de confusion avec le droit propre à l’Angleterre contemporaine.
La common law (ou commune ley, comme on disait à l’époque où elle était pratiquée en français) se distinguait, à l’origine et durant tout le Moyen Âge, des diverses coutumes régionales ou seigneuriales administrées par des tribunaux distincts des tribunaux royaux dont la juridiction, elle, était « commune » à tout le royaume. À partir de la Renaissance, elle se distingue plutôt du régime de droit découlant des décisions des tribunaux d’equity.
André TUNC enseignait que la common law s’appuyait sur trois principes fondamentaux: le respect du précédent judiciaire, le recours au jury pour statuer sur les points de fait du litige, la suprématie du droit qui s’impose à toutes les personnes physiques ou morales de droit public ou de droit privé. Les juristes anglais définissent la common law comme « le bon sens de la communauté, regroupé et formulé par nos ancêtres » ( THE COMMON SENSE OF THE COMMUNITY, CRYSTALLISED AND FORMULATED BY OUR FOREFATHERS ). Ajoutons que le système de common law est accusatoire et donne aux parties une plus grande facilité pour « diriger» le procès et établir les preuves; la procédure de DISCOVERY ( découverte de la preuve ) semble plus efficace que celle de la preuve pré-constituée qui prévaut dans le S.R-G.
Le droit de common law ( jadis fréquemment appelé droit judiciaire ) est enraciné depuis des siècles. Il est le produit de règles non écrites élaborées par les tribunaux anglais qui ont fait œuvre créatrice. Ce droit a été repris et remodelé par d’autres pays dont l’Irlande, les Etats-Unis, le Canada, l’Australie, la Nouvelle-Zélande, pour ne citer que les principaux. Le droit de common law, d’essence jurisprudentielle et donc plus flexible, s’oppose, au moins en apparence, au système romano-germanique fondé, comme on l’a vu, sur la loi plus rigide. Cette opposition subsiste-t-elle aujourd’hui ? La mondialisation n’est pas seulement l’ouverture des marchés ; elle est aussi la mise en concurrence des systèmes de droit. La prépondérance du capitalisme anglo-saxon dans les échanges internationaux se traduit par l’invasion de la common law aux dépens du système romano-germanique. L’usage de la common law dans les contrats internationaux est devenu la règle, comme l’anglais est devenu la langue dominante. En matière contractuelle, les différences entre système romano-germanique. et common law sont considérables. Dans le système romano-germanique. les parties contractantes font confiance à la loi, aux codes, pour résoudre les problèmes que peut soulever l’exécution du contrat, alors que dans la common law il faut que le contrat prévoie toutes les difficultés qui peuvent surgir. Selon Michel GUENAIRE ( Le Débat 2001, n° 115, p.52 ), la common law est le droit du capitalisme individualiste, du rapport de force, parfois inégalitaire, en partie improvisé ; la common law construit un droit fragmenté. A l’inverse, le système romano-germanique. est le droit du capitalisme communautaire, familial, égalitaire, hiérarchisé et structuré dans des codes aux valeurs intangibles. Ce juriste voit, dans l’opposition entre les deux systèmes juridiques, les clés d’une authentique alternative de civilisation, et dénonce la dangereuse domination de la common law. Pour M.GUENAIRE, celle-ci aboutit à une absence de politique générale du droit, à un droit fragmenté, hermétique, soumis à l’exégèse des spécialistes. La protection des citoyens en est affaiblie ; le droit n’établit plus le lien social, mais seulement le calcul des acteurs les mieux informés. ( Lire aussi: L’américanisation du Droit, Archives de philosophie du Droit, tome 45, Dalloz, 2001, 400 pages ). Pour ^tre juste, il convient de remarquer que le droit romano-germanique influence la Common Law. A.GARAPON en donne 3 exemples:
– la création d’une sorte de Conseil supérieur de la magistrature en Angleterre;
– l’adoption en Angleterre, en matière de procédure d’expertise unique, du « Case Management », imitation de notre procédure de mise en état;
– le recrutement des juges au mérite aux Etats-Unis.
Malgré la règle du précédent, la common law a su innover: de nombreux principes, raisonnements, procédures, concepts ( ex: la CONSIDERATION, c’est-à-dire la contrepartie en matière de contrat, l’ESTOPPEL c’est-à-dire l’objection péremptoire qui s’oppose à ce qu’une partie à un procès puisse contredire une position qu’elle a prise antérieurement et dans laquelle les tiers avaient placé leur légitime confiance ) demeurent inconnus du système romano-germanique. La common law n’ignore pas la loi; celle-ci y occupe même une place de plus en plus importante, mais n’atteint ni l’idolâtrie, ni l’inflation qu’elle connaît chez nous. Il est impossible d’aborder tous les droits de la common law. Nous nous bornerons à envisager, dans leurs très grandes lignes, le droit anglais et le droit américain. Auparavant, il faut prendre garde que la connaissance de la Common Law n’est pas tant de comprendre ce dont il s’agit, que de pouvoir le traduire en français. Très souvent il n’y a pas de mots , car ceux-ci devraient répondre à des institutions correspondantes qui n’existent pas
Sur cours-de-droit.net, d’autres cours de DROIT ANGLAIS ou DROIT AMERICAIN
1) Cours de droit anglais (common law) – 2) Cours d’anglais juridique – 3) Anglais juridique – 4) English Law – 5) Law Dictionary french – english – 6) English Law – English legal system – 7) Droit américain – Droit des Etats-Unis
Ce Cours complet de droit anglais est divisé en plusieurs chapitres
Première sous-partie
INTRODUCTION AU DROIT ANGLAIS
En Angleterre, un homme accusé de bigamie est sauvé par son avocat qui prouve que son client avait trois femmes. G-C.LICHTENBERG
Conseils bibliographiques ( la documentation en anglais est évidemment très abondante ):
C.BOUSCAREN & R.GREENSTEIN, Les bases du droit anglais, Ophrys, 1993, 576 pages. R.DAVID & X.BLANC-JOUVAN, Le droit anglais , Que-sais-je?, n° 1162, 2001.H.LEVY-ULLMANN, Le système juridique de l’Angleterre, L.G.D.J., 1999, 584 pages. D.FRISON, Droit anglais, institutions britanniques, Ellipses, 2001, 254 pages. Sous la direction de J.A.JOLOWICZ, Droit anglais, Dalloz, 1997, 487 pages. P. KINDER-GEST, Droit anglais, 1992 tome 1, 1997 ; tome 2, 620 pages, L.G.D.J., ( en anglais ) ; Les Institutions britanniques, Que-sais-je ? 1999, n° 1386. J.R.SPENCER, La procédure pénale anglaise, Que-sais-je ?, n° 3274, 1998. D.KEENAN, English Law, Londres, Pitman, 1992. D.OLIVER, Pourquoi n’y a-t-il pas vraiment de distinction entre droit public et droit privé en Angleterre? R.I.D.C. 2 – 2001. COLLECTIF, Aspects comparés droit anglais – droit français, SEFI, 1996. M.PARTINGTON, Introduction to the English Legal System, Oxford Univ. Press, 2003, 320 pages.
Quelques liens :
Banque de données très riche sur l’histoire des institutions et des faits sociaux au Royaume-Uni ; Législation du Royaume-Uni ; site juridique de l’université de Cambridge ; The British Institute of International and Comparative Law ; Oxford University Comparative Law Forum ; portail juridique en français sur le droit anglais .
Le droit anglais est limité, dans son domaine d’application, à l’Angleterre et au Pays de Galles. Il n’est ni le droit du Royaume Uni, ni même celui de la Grande-Bretagne puisque l’Irlande du Nord, l’Ecosse qui conserve son droit national en vertu du traité d’ Union de 1707, les îles anglo-normandes et l’île de Man ne sont pas soumises au droit anglais. Et pourtant, c’est bien à partir de ce droit anglais que la common law s’est répandue dans le monde, bien sûr dans les pays de langue anglaise. C’est dire si l’Histoire est indispensable pour la compréhension de cette famille de droits.
Chapitre 1 . HISTOIRE DU DROIT ANGLAIS
De l’Angleterre tout est grand, même ce qui n’est pas bon. V.HUGO
Le droit anglais ne peut pas être compris, dans son opposition aux différents droits du système romano-germanique., si l’on ne prend pas en considération la manière différente dont les deux systèmes juridiques se sont formés et développés au cours des siècles. L’histoire du droit anglais commence en 1066 lorsque Guillaume le Conquérant, duc de Normandie, devient roi d’Angleterre. Avant la conquête normande, l’Angleterre est régie par un droit primaire que les anglais qualifient d’anglo-saxon. Ce sont les normands et leurs descendants qui vont peu à peu imposer un droit commun à tout le royaume.
Section 1 : La période médiévale : naissance de la common law 1066 – 1485.
L’Angleterre est une colonie française qui a mal tourné. V.HUGO
La common law ( ou comune ley dans le jargon normand du Moyen-Age ) est, par opposition aux coutumes locales, le droit qui est commun à toute l’Angleterre. Les coutumes locales sont appliquées par des juridictions populaires, peu à peu remplacées par les juridictions seigneuriales qui appliquent le droit féodal. Ces juridictions populaires et seigneuriales s’ajoutent aux juridictions ecclésiastiques qui appliquent le droit canonique. C’est donc contre ces juridictions que va s’élaborer la comune ley, droit anglais des cours royales de justice, celles-ci appelées communément du nom du lieu où elles vont siéger à partir du XIIIème siècle, cours de Westminster.
Au début du Moyen-Age, le roi n’exerce que la « haute justice » par le biais de la CURIA REGIS dans laquelle siègent ses serviteurs les plus proches et les grands du royaume. La Curia Regis est la cour des grands personnages et des grandes causes ; ce n’est pas une juridiction ordinaire ouverte à tous les justiciables. Au sein de la Curia Regis, certaines formations vont, au XIIIème siècle, acquérir leur autonomie; c’est le cas du Parlement, c’est aussi le cas de différentes commissions à compétence juridictionnelle qui, cessant d’accompagner le roi dans ses déplacements, fixent leur siège à Westminster : Cour de l’Echiquier ( compétente pour les finances royales ), Cour des Plaids ( compétente pour la propriété foncière et la possession des immeubles ), Cour du Banc du Roi ( compétente pour les affaires criminelles graves ). Le roi confia à des juges itinérants le soin de dire le droit et de trancher certains litiges très importants, et ainsi d’assurer la paix royale sur tout le territoire de son royaume. Ces cours royales ont accru peu à peu leur compétence, d’autant qu’elles étaient de plus en plus sollicitées par les particuliers auxquels la justice royale apparaissait comme très supérieure à celle des autres juridictions. Seules les cours royales avaient les moyens d’assurer la comparution des témoins et de faire exécuter les jugements. Le système de preuve y était aussi plus moderne: on pouvait y prêter serment, à l’inverse des juridictions populaires et seigneuriales. C’est ainsi qu’une jurisprudence ( CASE LAW ) s’est élaborée, et fut appliquée uniformément à l’Angleterre et au Pays de Galles. Les cours cherchaient elles-mêmes, souvent par profit, à accroître leurs compétences. La common law qui, à l’origine, était du droit public ( les affaires de la couronne ), devint un système général comportant des règles pour toutes les situations, qu’elles fussent de droit public ou de droit privé.
Ce droit jurisprudentiel ( JUDGE-MADE LAW ), où sont inextricablement mêlées règles de procédure et règles de fond, est rédigé dans les YEAR BOOKS de 1290 à 1536. A la fin du Moyen-Age, les cours royales sont les seules à administrer la justice, mais jusqu’en 1875 elles demeureront, au moins en théorie, des juridictions d’exception. Ce n’est qu’à cette date qu’une grande réforme les transformera en juridictions de droit commun. En effet, jusqu’en 1875, saisir une cour royale n’est pas un droit, mais un privilège qu’on sollicite de l’autorité royale, et que celle-ci n’accorde qu’à bon escient. En principe, le justiciable s’adresse à un grand officier de la couronne et lui demande la délivrance d’un WRIT ( assignation ou bref ), par l’effet duquel les juridictions royales vont pouvoir être saisies, moyennant le paiement de droits à la chancellerie. Aujourd’hui obtenir un WRIT est une simple formalité réduite à un formulaire type, alors qu’en 1227 il n’y avait que 56 cas permettant d’obtenir un WRIT. A chaque WRIT correspondait une procédure différente et fort complexe, car en vertu d’un adage célèbre en Angleterre, « REMEDIES PRECEDE RIGHTS », qu’on pourrait traduire de manière triviale « la procédure d’abord », c’est-à-dire l’inverse de notre adage « Pas d’intérêt, pas d’action »; pour les anglais c’était plutôt pas d’action, pas d’intérêt. Dans telle procédure il fallait employer tels mots, dans une autre on avait recours à un jury, dans une troisième des témoins étaient indispensables. Dans telle procédure le défendeur pouvait être jugé par défaut, mais pas dans telle autre etc. Bref, la procédure était très rigide et très contraignante; la plus légère faute de procédure entraînait le rejet de l’affaire ou un non-lieu: NO WRIT, NO RIGHT.On pouvait aussi saisir une cour royale par voie de plainte ou pétition. Mais il fallait toujours convaincre la cour qu’elle était compétente; c’est encore le cas aujourd’hui.
Les circonstances dans lesquelles s’est formée la common law n’ont pas qu’un intérêt historique. Elles ont marqué le droit anglais durablement de quatre façons:
— elles ont amené les juristes anglais à concentrer leur intérêt sur la procédure. La common law ne se présente pas comme un système visant à protéger des droits, mais essentiellement comme des règles de procédure jugées propres à assurer la solution des litiges conformément à la justice;
— elles ont déterminé nombre de catégories et servi à forger beaucoup de concepts du droit anglais, en matière de contrat notamment;
— elles ont conduit à rejeter la distinction droit public-droit privé. Les juridictions royales ont accru leurs compétences en développant l’idée originaire que l’intérêt de la couronne justifiait leur intervention. D’autres juridictions devaient normalement être saisies si l’intérêt des particuliers était en jeu. Ces autres juridictions s’étant étiolées, l’idée de droit privé a disparu. Tous les litiges soumis aux cours royales apparaissent comme des contestations de droit public. La technique du WRIT est d’ailleurs une technique de droit public;
— elles ont fait obstacle à une réception en Angleterre des catégories et concepts du droit romain. En effet les cours royales n’étaient que des juridictions d’exception, et les juristes ne recevaient pas une formation universitaire théorique, mais seulement une formation pratique.
Section 2 : La rivalité avec l’equity 1485 – 1832.
EQUITY : il vaut mieux ne pas traduire ce terme. En effet, pour éviter toute équivoque, on préfère ne pas employer le mot equity pour désigner ce que nous appelons l’équité. Ce dernier mot est plutôt traduit par JUSTICE, FAIRNESS ou GOOD CONSCIENCE. L’equity est un ensemble défini de règles légales.
Entravées par le formalisme de la procédure, les cours royales se sont révélées incapables de développer et d’adapter la common law. Les plaideurs, qui n’étaient pas admis devant elles, ou qui ne pouvaient en obtenir justice, avaient pour seule et dernière ressource de s’adresser au roi afin qu’il empêche un mauvais fonctionnement de la justice dans son royaume. Le roi, puis le chancelier auquel il délégua ses pouvoirs, n’intervenait pas pour créer de nouvelles règles de droit, mais uniquement au nom de la morale, pour éviter une injustice ex: dans le cas d’une intrusion sur le fonds d’autrui, la common law offrait des dommages-intérêts, mais aucun moyen de mettre un terme aux agissements de l’intrus ( TRESPASSER ), au violateur des droits d’autrui. Le chancelier, intervenant en equity, accordait une injonction ordonnant au défendeur de cesser d’attenter au bien d’autrui. Si le défendeur n’obtempérait pas, il risquait la prison pour désobéissance à la Justice. L’equity est donc, dès l’origine, un droit supplétif. L’action du chancelier était de rendre des décisions équitables, morales, visant non pas à modifier la common law, mais à la compléter, à l’amender ou à la corriger. Ainsi se développèrent au XVème et XVIème siècles des règles autonomes, simples et modernes pour l’époque. Ces règles obéissaient à une procédure bien définie:
— la prépondérance du droit écrit pour faire valoir ses droits ;
— la procédure écrite et inquisitoriale;
— l’absence de jury, alors que dans la common law il y eut des jurys même dans les affaires civiles jusqu’au XIXème siècle;
— l’intervention discrétionnaire du chancelier dans toutes les affaires qui lui étaient soumises.
On était donc loin de la common law où la procédure est orale et contradictoire.
Il y eut une concurrence très vive, des conflits entre common law et equity. Cette structure dualiste était tout à fait originale par rapport au système romano-germanique. En 1616, le roi Jacques 1er donna un coup d’arrêt au développement incontrôlé de l’equity. A partir de cette date, l’equity fut cantonnée dans un rôle correctif, complémentaire de la common law qui demeurait le fondement essentiel de la Justice. Cette décision royale induisit deux principes capitaux et rigoureux:
1°) l’equity doit respecter le droit ( EQUITY FOLLOWS THE LAW ) ;
2°) le chancelier doit agir toujours de la même manière, c’est-à-dire par ordres, par injonctions adressés au demandeur.
L’equity anglaise, investie d’un caractère juridique de plus en plus marqué, a cessé graduellement d’être l’équité. Il n’en subsiste pas moins, aujourd’hui encore, quelque chose de ses origines: l’octroi d’un « remède d’equity », ou l’application d’une « règle d’equity », présente pour la cour un certain caractère discrétionnaire. Seul pourra l’obtenir celui qui se présente devant les juges avec la conscience pure, c’est-à-dire en n’ayant à se reprocher aucune faute, ni aucune incurie ( CLEAN HANDS ). Les règles et les droits de l’equity ne peuvent être exécutés qu’au moyen de sanctions de l’equity. Enfin, les droits de l’equity ne peuvent pas être exécutés contre un sujet de droit qui a lui-même la conscience nette ; en d’autres termes, là où les considérations d’ordre moral se balancent, la common law doit prévaloir. Il subsistait toutefois une difficulté qui compliquait les actions. Les plaignants, pour obtenir les différentes réparations auxquelles ils avaient droit, devaient intenter deux procès successifs: un en dommages-intérêts devant un tribunal de common law, un autre devant la cour de la chancellerie pour obtenir une injonction ou une ordonnance d’exécution forcée. La common law et l’equity continuèrent à fonctionner en parallèle jusqu’en 1875, date à laquelle, en application de la loi de 1873 sur la réforme judiciaire, les anciennes juridictions de common law et la cour de la chancellerie furent abolies et remplacées par une instance unique appelée Cour Suprême de Justice ( SUPREME COURT OF JUDICATURE ), dont chaque tribunal était autorisé à appliquer aussi bien la common law que l’equity. La même loi disposait que, en cas de conflit entre les règles de la common law et celles de l’equity, ces dernières devaient l’emporter. Ce qui se produisit fut une fusion de l’administration de la common law et de l’equity, mais cela ne signifia pas une fusion des deux systèmes de droit. Les règles de l’equity continuent d’être distinctes de celles de la common law, mais désormais le demandeur peut invoquer les unes et les autres dans le cadre d’une action unique devant une même juridiction. L’equity complète et corrige, sur certains points, la common law : ainsi les cas de nullité des contrats prévus par la common law sont complétés par les vices du consentement sanctionnés par l’equity.
L’equity continue d’évoluer. Ainsi, au cours des cinquante dernières années, un nouveau principe est apparu : une personne ne peut pas invoquer des droits que lui reconnaît la loi si cela porte préjudice à un tiers innocent. Répétons-le, les juges ont un pouvoir discrétionnaire d’appliquer ou pas des remèdes d’equity :
– EQUITY ACTS IN PERSONAM RATHER THAN IN REM: l’equity vise à défendre les personnes plutôt que les biens;
– EQUITY LOOKS TO THE INTEMPT RATHER THAN THE FORMS: l’equity, contrairement à la common law, ne refuse pas d’accorder un remède parce que la procédure n’a pas été respectée, etc. ;
– EQUITY ACTS ON THE CONSCIENCE : l’equity s’inspire des impératifs de la conscience morale ;
– EQUITY WILL NOT SUFFER A WRONG TO BE WITHOUT A REMEDY. L’equity ne permettra pas qu’un tort reste sans remède.
Section 3 : L’évolution du droit anglais depuis le XIXème siècle.
Depuis la deuxième moitié du XIXème siècle, le droit anglais a subi une évolution importante due en grande partie à l’œuvre du législateur. Celui-ci est intervenu tout d’abord en matière d’organisation judiciaire et de procédure. Les cours royales sont devenues des juridictions de droit commun. Les procédures ont été simplifiées et modernisées, de sorte que les juristes anglais ont pu concentrer leurs efforts sur le fond du droit. Il y eut la grande réforme en 1873-1875 déjà évoquée. Mais l’évolution la plus importante, survenue au siècle dernier, est que le législateur s’est occupé de problèmes de fond au point qu’on a vu apparaître une nouvelle source de droit: la loi ( STATUTE LAW ). Il existe une STATUTE LAW REVIEW éditée par les Presses de l’Université d’Oxford, ainsi qu’une STATUTE LAW SOCIETY à Londres. La multiplication des lois est une rupture avec les siècles précédents où, s’il y avait bien des lois, elles ne concernaient que le droit public et presque jamais le droit privé. Ces lois nouvelles, rendues possibles par le REFORM BILL de 1832, ( qui a permis aux populations urbaines et à la classe ouvrière d’avoir une certaine représentation au Parlement ), ont opéré des réformes de fond, aussi bien en matière de propriété foncière que de succession, faillite, sociétés commerciales, lettres de change etc. La loi n’a plus été considérée, ainsi qu’on le disait couramment, comme « l’ennemie naturelle du droit », mais comme l’instrument de sa modernisation. Les lois traduisent un esprit nouveau, anti-individualiste, bien différent de celui de la common law, et tendent à accroître les pouvoirs du gouvernement et des collectivités publiques. Remarquons que, souvent, ces textes ne sont pas votés par le Parlement, mais adoptés par le gouvernement en vertu de lois d’habilitation. Même si la loi est restée en Angleterre une source secondaire du droit, celle-ci n’a cessé de croître aux cotés de la common law et de l’equity. Le XXème siècle a encore vu une accélération du processus de transformation du droit anglais. Cette transformation provient principalement de 4 phénomènes.
1°) Le premier est, au lendemain de la 2ème guerre mondiale, le développement par le Parti Travailliste de l’Etat-Providence ( WELFARE STATE ), qui s’efforce, en Angleterre comme ailleurs, de mettre en place une société plus juste et plus égalitaire. Il en a résulté une multiplication des textes législatifs et réglementaires, surtout dans le domaine économique et social ( impôts, commerce, éducation, santé, travail etc. ). Tout cela s’étudie dans le cadre de l’ADMINISTRATIVE LAW. C’est plus qu’une évolution, une révolution pour les juristes anglais. Pour ceux-ci, les lois ne représentent pas le mode « normal » d’expression du droit: les lois écrites présupposent l’existence de la common law. Par exemple, aucune loi écrite ne dispose qu’un individu doive s’acquitter de ses obligations ou payer ses dettes, ou payer des dommages-intérêts pour atteinte au bien d’autrui: les remèdes dans ces domaines sont prévus par la jurisprudence. Les lois écrites, expliquent-ils, ne sont que des additifs à la common law. Si toutes les lois écrites étaient abrogées, il subsisterait un système de droit, quoique incomplet. Mais si la common law était supprimée, les relations les plus importantes de la vie n’auraient pas de cadre juridique. Les lawyers citent plus volontiers une décision de jurisprudence qui applique une loi, que le texte de loi lui-même. Pourtant le juge anglais considère le Parlement comme un organe qui lui est supérieur, qui est souverain. En fait, le pouvoir judiciaire contrôle souverainement l’application des lois nouvelles considérées comme l’expression fugace d’un moment de la société anglaise. Le caractère secondaire de la loi est si évident que les juges, lorsqu’ils évoquent dans une décision une loi, ne la citent qu’imparfaitement: le titre de la loi ( souvent très court ) et l’année, sans autre précision. Remarquons que le droit anglais n’a pas de Journal Officiel, alors que celui-ci est largement répandu dans les droits du système romano-germanique.: les lois sont regroupées dans les STATUTES OF LAW REPORTS.
2°) Le deuxième phénomène est la réorganisation des juridictions anglaises, avec la grande réforme de 1873-1875, et les réformes qui ont suivi ( cf. infra l’organisation judiciaire ), notamment en matière de procédure
3°) Depuis 1972, le Parlement a incorporé au droit anglais les traités et les règles communautaires qui, bien sûr, utilisent les concepts et les catégories juridiques des droits continentaux ; en cas de conflits, traités et règles communautaires l’emportent sur les lois anglaises ( EUROPEAN COMMUNITIES ACT 1972 ). Depuis le HUMAN RIGHTS ACT de 1998, la Convention européenne des droits de l’homme a été incorporée dans le droit anglais, pouvant même provoquer l’abrogation d’une loi qui lui serait contraire ( lire le mémoire d’Emmanuel VALLENS Intégration européenne et souveraineté en droit anglais ).
4°) L’apparition et le développement d’un droit public ( cf. cours infra ).
Chapitre 2 . L’ORGANISATION JUDICIAIRE
Tout homme a une Chambre des Lords dans la tête. Craintes, préjugés, erreurs de jugement, voilà les pairs qui l’habitent et ils sont héréditaires. LLOYD GEORGE
Ian K. McKENZIE, Law, Power and Justice in England and Wales, 1998, 240 pages. T.INGMAN, The English Legal Process, 2000, Blackstone Press, 552 pages. R.WHITE, The English Legal System in Action, Oxford Univ. Press, 1999, 496 pages.
Les Anglais eux-mêmes reconnaissent que leur système judiciaire est coûteux et imprévisible, et que cela conduit les plaideurs à transiger avant l’audience dans plus des 3/4 des procès civils. Le montant des frais à la charge du perdant, trop souvent supérieur à l’enjeu du litige, rend la justice inaccessible aux classes moyennes, à la différence des catégories plus aisées, ou des plus pauvres qui bénéficient de l’aide judiciaire ( LEGAL AID ACCESS TO JUSCTICE ACT 1999 ). Celle-ci a pour particularité de ne pas être forfaitaire comme en France, mais de couvrir l’intégralité des frais de justice ( la procédure étant accusatoire, le travail de mise en état de la cause est à la charge des parties ), y compris les honoraires des auxiliaires de justice. En Angleterre, le montant des honoraires des avocats est très élevé.
Cette organisation judiciaire est complexe et déconcertante pour nous continentaux. La pyramide judiciaire repose sur 2 types de juridictions: les cours supérieures et les juridictions inférieures, ce qui rappelle, sans toutefois y correspondre, la distinction au Moyen-Age entre haute et basse justice. Les juridictions inférieures, qui ont une compétence d’attribution, sont uniquement chargées de trancher les litiges; les cours supérieures, qui ont une compétence de droit commun, doivent aussi, en plus, dire le droit. En ce sens, on peut dire qu’elles concrétisent, au sens strict, le pouvoir judiciaire. La situation est différente de la France où la Constitution de 1958 ne cite que l’autorité judiciaire. En Angleterre, le pouvoir judiciaire a pu s’affirmer parce qu’il n’était limité ni par des principes constitutionnels, ni par des règles de droit codifiées. Afin d’éviter toute confusion, rappelons que le terme anglais « jurisprudence » correspond à ce que nous appelons « la théorie générale et la philosophie du droit »; pour désigner les décisions judiciaires, on utilise l’expression « CASE LAW », ou quelquefois « THE DECISIONS OF THE COURTS ».
Section 1 : Les cours supérieures.
A tas de blé, rat s’y met ; à tas d’argent, les procès. PROVERBE ALLEMAND
La SUPREME COURT OF JUDICATURE, réformée en profondeur par les JUDICATURE ACTS de 1873-1875 et le COURTS ACT de 1971, cumule les missions des plus hautes juridictions françaises: la Cour de Cassation et le Conseil d’Etat. Elle possède une compétence de droit commun universelle, illimitée, et comprend 3 divisions de juridictions qui siègent, normalement, à juge unique.
A défaut d’un accord entre les parties, cette juridiction est compétente en première instance, en matière civile, pour tous les litiges d’une valeur supérieure à 50.000 £. Elle n’est composée que d’une centaine de juges permanents qui ont compétence pour siéger dans n’importe laquelle des 3 divisions. Ces juges sont choisis parmi les meilleurs BARRISTERS ( avocats ), et depuis 1994 parmi les SOLICITORS ayant plus de quinze ans d’expérience. Ils sont nommés à vie par la reine, sur proposition du chancelier et restent en place jusqu’à 75 ans, sauf révocation à la demande du Parlement. La High Court peut siéger aussi bien en province ( 45 villes ) qu’à Londres. La High Court comprend 3 divisions qui peuvent connaître de n’importe quel type d’affaire civile; toutefois pour des raisons de commodité, chaque division se voit attribuer une compétence spécifique:
1°) La Division du Banc de la Reine ( QUEEN’S BENCH DIVISION ). Héritière des juridictions de common law, elle est présidée par le LORD CHIEF JUSTICE et comprend 64 PUISNE JUDGES ( juges ordinaires permanents appelé JUSTICES ). C’est principalement une juridiction de première instance. La loi de 1970 sur l’administration de la justice a ajouté à la juridiction du Banc de la Reine, spécialisée dans les crimes contre l’Etat, des affaires qui étaient auparavant de la compétence de l’ancienne Cour de l’Amirauté et du Tribunal de Commerce. En pratique, le Tribunal du Banc de la Reine est compétent pour tous les litiges qui ne sont pas explicitement définis comme étant de la compétence d’un autre tribunal de la Haute Cour. Il est ainsi compétent en matière de: responsabilité civile, rupture de contrat, litiges commerciaux, litiges maritimes ( collisions de navires, sauvetages, remorquages et prises en mer ). Aucun plafond n’est fixé pour le montant des dommages-intérêts qu’il est possible de demander devant le Tribunal du Banc de la Reine. Cette juridiction juge en moyenne 140.000 affaires par an. Elle peut aussi siéger en tant que juridiction d’appel, ( elle doit alors comporter deux ou trois juges ), et connaître des appels contre des décisions du Tribunal disciplinaire des Solicitors ou des jugements sur des problèmes de loyers. Elle a par ailleurs la tâche de contrôler le travail des tribunaux inférieurs, des ADMINISTRATIVE TRIBUNALS, et des autorités administratives qui exercent des fonctions quasi judiciaires. Elle reçoit environ 4.500 appels par an.
2°) La Division de la Chancellerie ( CHANCERY DIVISION ). Elle se compose du Chancelier qui d’ordinaire délègue ses fonctions de président au Vice-Chancelier, et d’au moins 17 juges de la Haute Cour. Ce tribunal est compétent en matière d’administration des biens des défunts, de dissolution de sociétés de personnes, d’hypothèques, de trusts ( notion juridique qui n’a aucun rapport avec la notion économique cf. infra ), de liquidations et dissolutions de sociétés, fiscalité, problèmes de ventes et divisions de biens fonciers, rectification et annulation de contrats notariés, exécution forcée de contrats, problèmes de faillites et successions contentieuses. C’est normalement une juridiction de première instance, les décisions étant prises par un juge unique, mais elle peut statuer sur des recours émanant des cours inférieures, relatifs à des problèmes de trusts ou de faillite. Elle comporte une chambre spécialisée dans les brevets. Elle juge en moyenne 40.000 affaires par an.
3°) La Division de la Famille ( FAMILY DIVISION ). Créée en 1970, elle est composée d’un président et de 15 juges de la Haute Cour. Elle statue principalement sur les divorces, séparations, pensions alimentaires, gardes de mineurs, adoptions, filiations, et sur des successions non contentieuses. C’est normalement une juridiction de première instance et les décisions sont prises par un juge unique. Elle est parfois saisie de recours sur des problèmes relatifs à la famille contre les décisions des cours de comté et des tribunaux de première instance: pour ces appels, la cour doit comporter deux juges ou plus. Elle statue sur moins de 100 appels par an.
La Cour de la Couronne a été créée en 1971. Elle est compétente en matière criminelle bien que l’Angleterre ignore la distinction tripartite des infractions, que l’on rencontre très souvent dans le système romano-germanique.: contravention, délit, crime. Pour faciliter la répartition des tâches au sein de la CROWN COURT, les crimes et délits relevant d’une procédure courante et dont la tentative est punissable ( INDICTABLE OFFENCES ) sont divisés en 4 catégories:
1°) ceux jugés par un juge de la HIGH COURT, comme la trahison, l’assassinat etc.;
2°) ceux jugés par un juge de la HIGH COURT ou un CIRCUIT JUDGE, comme l’homicide involontaire, l’infanticide, le viol, l’inceste, la piraterie etc.;
3°) ceux jugés par un CIRCUIT JUDGE ou un RECORDER: voies de fait, coups et blessures volontaires, vol qualifié, faux et usage de faux;
4°) ceux qui peuvent être jugés par n’importe quel juge: les autres délits.
Il peut y avoir un jury de 12 personnes si l’accusé plaide non coupable, c’est-à-dire dans 30 % des cas seulement. Le JURIES ACT de 1974 organise la composition des jurys, en énumérant les conditions requises, les interdictions et les incompatibilités, les modalités du tirage au sort, les possibilités d’excuse et de récusation.
Les juges qui composent la Crown Court sont des juges de la Haute Cour, des juges itinérants ( CIRCUIT JUDGES ) et des juges à temps partiel ( RECORDERS ). Quelquefois des juges venant des cours de comté se joignent à eux. La Crown Court se décompose en une Cour criminelle centrale de Londres appelée OLD BAILEY ( lire : T.MURPHY, The Old Bailey, Mainstream Pub. 1999, 224 pages ), et 92 centres répartis en Angleterre et au Pays de Galles ( ainsi s’explique l’existence de CIRCUIT JUDGES ). Il y a 6 circuits. Les CIRCUIT JUDGES sont environ 550 ; les RECORDERS, qui siègent un mois par an, sont environ 900. La CROWN COURT est saisie de 100.000 affaires par an. En appel, dans une formation de jugement composée de 2 à 4 magistrats, elle juge les décisions ou les peines fixées par les MAGISTRATES ( 20.000 appels par an ).
Rappelons que la procédure pénale anglais, à la différence de celle de la France et de l’Allemagne qui sont inquisitoires, est accusatoire ( il n’y a pas de Code de Procédure Pénale comme en France), et résulte de l’application d’un certain nombre de textes se référant aux pouvoirs de la police, des tribunaux etc. La victime ( partie civile ) ne participe pas au procès pénal : pour les juristes de Common Law, la participation de la victime nuirait au déroulement du procès, en alourdissant inutilement les débats, et en risquant de compromettre l’équilibre entre l’accusation et la défense. Signalons qu’il existe des infractions dites simplifiées, à procédure sommaire ( SUMMARY OFFENCES ). En pratique, la tradition orale domine le procès pénal anglais; les procès-verbaux d’audition de témoins, faits par la police, ne sont pas communiqués au tribunal, et ne constituent pas à l’audience des preuves recevables, à l’exception du procès-verbal d’aveu de l’accusé. Précisons aussi que le système pénal anglais accorde des réductions de peine considérables aux accusés qui plaident coupables.
A l’inverse des droits du système romano-germanique., le droit anglais ne connaît pas de principe général du double degré de juridiction, mais des procédures d’appel sont organisées. En principe, et c’est une différence avec l’appel dans le système romano-germanique., la COURT OF APPEAL rectifie les erreurs de droit et rejuge rarement les faits. En d’autres termes, le second jugement ne constitue pas du tout une répétition de l’audience de première instance. Au sein de la COURT OF APPEAL, on retrouve une division binaire.
1 – La division civile ( 23 juges ). La formation de jugement est composée de 2 ou 3 juges, cinq pour les affaires très importantes, chacun rédigeant son opinion. Elle a une compétence générale pour juger les appels dirigés contre les décisions des cours de comté et de la Haute Cour. Elles est présidée par le MASTER OF THE ROLLS, et juge environ 1.800 appels par an.
2 – La division pénale. Elle est composée en principe d’un juge de la Court of Appeal et de 2 juges de la Haute Cour. Elle est présidée par le Président de la Division du Banc de la Reine. Sa compétence est générale pour juger les appels formés contre les jugements de la Crown Court qui condamnent, et exceptionnelle pour les jugements qui acquittent. Le recours en appel peut en effet porter sur la condamnation ou sur la peine, à moins que cette dernière ne soit fixée par la loi. En moyenne, elle statue sur 8.500 appels par an, dont les 3/4 ne portent que sur la peine.
Les décisions des juridictions inférieures ( MAGISTRATES’ COURTS ou COUNTY COURTS ) sont habituellement portées directement devant la COURT OF APPEAL, et non devant la CROWN COURT ou la HIGH COURT OF JUSTICE : c’est ce que l’on appelle la procédure de saute-mouton, « THE LEAP-FROG PROCEDURE ». Les juges de la Court of Appeal sont 35 ( LORD JUSTICES OF APPEAL ), et ont le même statut que les juges de la Haute Cour. Le Président, qui préside aussi la division civile, porte le titre de MASTER OF THE ROLLS ( gardien des registres ). C’est un très haut magistrat. Cet organigramme est très compliqué pour nos esprits prétendument cartésiens, et en tout cas très différent de son équivalent français ou allemand. C’est le résultat d’une longue stratification historique.
Le recours en cassation n’existe pas, mais contre les décisions civiles et pénales des cours d’appel un recours est envisageable devant le comité d’appel de la Chambre des Lords ( APPELATE JURISDICTION ). La Chambre des Lords siège alors en formation judiciaire distincte de l’assemblée parlementaire ( HOUSE OF LORDS ). Elle est alors composée de 11 juges, dont 2 juges écossais et parfois un juge d’Irlande du Nord, sous la présidence du LORD CHANCELLOR. Les formations de jugement varient de 3, 5 ou 7 juges selon les affaires, chacun d’entre eux pouvant exprimer individuellement son opinion ( SPEECH ). Le recours est rejeté si une majorité des voix n’est pas atteinte. Il ne s’agit pas d’une audience judiciaire solennelle, mais d’une discussion avec les avocats autour d’une table en fer à cheval. En outre, la décision n’est pas rédigée sous forme d’un arrêt motivé, mais sous forme d’opinions individuelles argumentées.
Le double système d’appel anglais, outre son coût exorbitant, ne repose sur aucune raison logique, mais semble une survivance de la tradition. « THE APPELLATE COMMITTEE » est composé de juges appelés LORDS OF APPEAL IN ORDINARY ou LAW LORDS. La présence des deux juges écossais montre que les différents droits britanniques ne sont pas aussi divergents qu’on pourrait le croire de prime abord. Ce comité juge aussi bien le fait que le droit, mais ne décide d’examiner que les affaires qui posent des questions fondamentales du droit. Ce recours est assez exceptionnel, entre 40 et 60 affaires par an ( moins de 100 ), et de plus il y a un filtrage par la Court of Appeal et par la Chambre des Lords elle-même. La Chambre des Lords n’est pas liée par la règle « nullum crimen ». Elle peut entendre un « amicus curiæ » qui donnera un avis sur un point litigieux. Cette haute juridiction tend à unifier les décisions des cours du Royaume-Uni en autorisant, dans l’intérêt de la justice, les appels dirigés non seulement contre les décisions rendues par les juridictions supérieures d’Angleterre, mais également contre celles rendues par les juridictions supérieures d’Ecosse ( uniquement en matière civile ) et d’Irlande du Nord. Introduire un tel recours devant la Chambre des Lords n’est pas un droit; comme on l’a dit, il faut y être autorisé par la Court of Appeal ou la Chambre des Lords elle-même. La loi de 1969 sur l’administration de la justice a institué une nouvelle forme d’appel pour les poursuites civiles, qui permet d’aller directement de la Haute Cour devant la Chambre des Lords, en passant par-dessus la Court of Appeal. Cette procédure, dite de « saute-mouton», doit remplir un certain nombre de conditions strictes.
L’existence de deux degrés d’appel apparaît tout à fait étrange. Cinq juges divisés ( 3 > < 2 ) peuvent réformer la décision de 3 juges unanimes de la Court of Appeal ! Les coûts engendrés pour les parties au procès sont exorbitants ; or, aucune raison logique convaincante ne peut être trouvée en faveur du maintien de ce double système d’appel. Soulignons un point qui traduit bien l’esprit du droit anglais : il est rare que les décisions rendues par les juridictions inférieures soient attaquées parce qu’elles n’ont pas fait une application correcte du droit ou parce qu’elles ont violé la loi. Le recours à une juridiction supérieure s’appuie :
Ø soit sur la notion de FAIR HEARING ( loyauté de la procédure ) ;
Ø soit sur la notion de MISCONDUCT ( conduite blâmable de l’arbitre ).
Enfin il existe le JUDICIAL COMMITTEE OF THE PRIVY COUNCIL ( le comité judiciaire du conseil privé de la reine ) qui, par avis, statue sur les recours portés contre les arrêts des cours supérieurs des Etats membres du Commonwealth ( Australie, Nouvelle-Zélande, îles anglo-normandes, île de Man ). Ce comité, constitué des Law lords, adopte des avis dont l’autorité juridique et morale en matière de common law est très grande, aussi grande que les arrêts de la Chambre des Lords, et d’ailleurs ils sont rapportés dans les mêmes recueils.
Signalons l’existence de juridictions spéciales. Les litiges en droit du travail relèvent des INDUSTRIAL TRIBUNALS composés d’un magistrat professionnel et de 2 juges consulaires, l’un représentant les employeurs, l’autre représentant les salariés. Il existe aussi des juridictions spéciales compétentes pour appliquer le droit fiscal, le droit social, le droit de l’immigration, et pour sanctionner les discriminations raciales et sexuelles. Toutes ces juridictions ont une activité plus arbitrale que véritablement judiciaire.
Section 2 : Les juridictions inférieures.
Ces juridictions sont très variées et présentent des caractères originaux rarement reproduits dans d’autres familles de droits.
On trouve les COUNTY COURTS ( cours de comtés ) créées par la loi de 1846, modifiée en 1984 et 1990. Ces cours de comté ont, en première instance, une compétence très large, afin de soulager la Haute Cour d’une partie importante de son travail, et d’offrir aux justiciables une justice locale plus rapide et moins onéreuse. Il y a 223 cours de comté pour l’Angleterre et le Pays de Galles, avec des juges itinérants chargés chacun de 2 cours ou plus. Dans la mesure où les cours de comté sont des juridictions de première instance, un seul juge statue. Dans chaque cour de comté il y a donc un Circuit Judge, mais aussi un DISTRICT JUDGE ( juge de district ). Les juges de district sont au nombre de 334.
Les Circuit Judges ( environ 450 ) sont nommés à vie par la reine sur proposition du Chancelier. Ces juges, très appréciés des justiciables, sont souvent des barristers expérimentés; quelquefois ce sont des juges à temps partiel ( RECORDERS ) choisis parmi les solicitors ayant un certain nombre d’années de pratique. Les juges de district ont remplacé les REGISTRARS ( juges-greffiers ). Ils ne sont compétents que pour les affaires mineures de moins de 5.000 £, et ont une activité plus conciliatrice que judiciaire, dans le cadre de ce que l’on appelle les petites demandes en justice ( SMALL CLAIMS PROCEDURE ). Ces cours de comté sont devenues, en 1990, des juridictions de droit commun, sauf si l’affaire porte sur un montant élevé: plus de 30.000 ou 50.000 £ selon les cas. L’appel contre leurs décisions a lieu devant la Court of Appeal, civil division: depuis 1999, il doit être autorisé sauf lorsque la liberté individuelle est en jeu. Les compétences des cours de comté sont assez étendues: contrats, responsabilité civile à l’exclusion de la diffamation, problèmes relevant de l’equity ( hypothèques, trusts etc. ), faillites, successions, adoptions, loyers, crédit etc. Pour soulager la FAMILY DIVISION, la loi de 1967 sur les affaires matrimoniales a donné aux cours de comtés une compétence limitée en matière de divorce, notamment dans le cas de divorce par défaut.
Par rapport au système romano-germanique, l’organisation de la justice pénale est très originale. Elle repose sur la distinction entre infractions mineures et infractions graves.
1°) Les juges de paix ( JUSTICES OF THE PEACE ). Ils remontent au XlVème siècle, et siègent de nos jours dans 900 tribunaux de première instance. Ces tribunaux font la majeure partie du travail judiciaire pénal ( 98 % des poursuites pénales ). Les JUSTICES OF THE PEACE sont des non juristes, des non professionnels, et même des bénévoles, c’est-à-dire qu’ils exercent à titre gratuit. Il y a environ 40 % de femmes. Ce sont des personnalités locales, des notables, volontaires, qui travaillent à temps partiel ( LAY MAGISTRATES ). Il s’engagent à siéger une demi-journée, 26 fois par an. L’Etat rembourse leurs frais et dédommage modestement la perte de revenu. Aujourd’hui, le recrutement est transparent et dépolitisé : un comité de sélection trie les candidats qui ont répondu à une annonce. Les juges de paix sont environ 30.000. Pour statuer, il faut qu’ils soient au moins deux ( ils peuvent être jusqu’à 7 ). Ils sont aidés dans leur tâche par un CLERK TO THE JUSTICES, c’est-à-dire un juriste ( en général un solicitor ), sorte de greffier qui les conseille sur les points de droit et de procédure, et s’acquitte du travail administratif du tribunal. L’influence du clerk est généralement prépondérante. Pour les affaires familiales et celles concernant des mineurs, il faut au moins un homme et une femme. Les juges de paix siègent dans les villages et les petites villes, et jugent les infractions mineures ( SUMMARY ou PETTY OFFENCES ). La condamnation ne peut dépasser 6 mois d’emprisonnement ou 1.000 £ d’amende. Ils ont la réputation d’être assez sévères et sont redoutés des délinquants. Leur jurisprudence est parfois chaotique: pour une même affaire, suivant le moment de la semaine où elle est appelée à l’audience ( la composition de la juridiction change toutes les demi-journées ), les accusés peuvent être condamnés à un mois de prison ou à une simple remontrance.
2°) Les STIPENDIARY MAGISTRATES ( 90 ). Dans les grandes villes, on trouve des magistrats professionnels rémunérés par la couronne, nommés à vie et employés à plein temps. Ils sont recrutés parmi les barristers, et les solicitors ayant au moins 7 ans d’expérience. Ils jugent seuls les affaires pénales importantes ( INDICTABLE OFFENCES ), et décident, dans une procédure préliminaire, s’il y a lieu de renvoyer l’inculpé devant la Crown Court. Le STIPE, comme on l’appelle communément, peut siéger seul.
Les justices de paix ( MAGISTRATES’ COURTS ), au nombre de 550, ont aussi, pour être complet, une petite compétence civile très limitée en matière de pension alimentaire. Pour gérer toute cette organisation judiciaire, on a créé, en 1995, le COURT SERVICE sous la forme d’une Agence indépendante. Il y a en Grande-Bretagne 160 prisons et 70.000détenus.
Il n’y a pas en Angleterre de juridictions administratives. Toutefois le droit anglais, souple et imaginatif, possède, à l’instar du droit américain mais de manière moins marquée, une sorte de contentieux quasi judiciaire, avec des organismes compétents en matière administrative. Près de 2.000 organismes, très actifs et très variés dans leur composition ( en principe des non juristes ), appelés BOARDS, TRIBUNALS, COMMISSIONS, selon les situations en jeu, rendent, sous le contrôle de la Haute Cour, des décisions ou des avis qui s’imposent à tous. Certaines affaires doivent d’abord être jugées par ces organismes pour, ensuite, pouvoir être déférées devant la Supreme Court of Judicature, où des juges sont spécialisés dans les affaires administratives. Mais ATTENTION ces organismes n’appartiennent pas au pouvoir judiciaire. Ce sont les modalités du contrôle exercé par les ADMINISTRATIVE TRIBUNALS qui constituent aujourd’hui l’essentiel d’une branche nouvelle du droit anglais: l’ADMINISTRATIVE LAW. Il existe une ADMINISTRATIVE LAW BAR ASSOCIATION.
Lire: A-J.BULLIER, Le Crown Prosecution Service: émergence d’un parquet en Angleterre ?, R.S.C., 1988, p.272.
Pour comprendre la différence qui existe entre le ministère public français et son équivalent anglais, il convient de rappeler ce qu’il est en France et dans beaucoup d’Etats du système romano-germanique. Le ministère public est un service de la magistrature judiciaire, composé de magistrats de carrière hiérarchisés, chargés de requérir l’application des lois et de veiller aux intérêts généraux de la société. Il y a un parquet au pénal qui est toujours partie principale au procès; il y a aussi un parquet civil qui peut être partie jointe ou partie principale.
Du Moyen-Age au XIXème siècle le système anglais a peu évolué. Il reposait sur le principe selon lequel l’arrestation et la poursuite des auteurs d’infractions étaient des prérogatives des citoyens qui devaient les exercer personnellement. Au XIXème siècle a été créée une police professionnelle très décentralisée et morcelée. Les policiers, en tant que citoyens, se sont progressivement chargés des poursuites, saisissant directement les tribunaux, puis choisissant comme le font les particuliers, des avocats pour suivre les affaires aux audiences. La Police cumulait, illogiquement, des fonctions d’investigation et de poursuite. L’action publique se trouvait ainsi confiée à environ une centaine de services de police, indépendants les uns des autres comme du pouvoir central. Aucune politique pénale n’était donc possible, et il y avait des disparités considérables dans l’exercice des poursuites selon l’importance et les ressources des polices locales. Il existe aujourd’hui 52 forces de police locales, soit un effectif total d’environ 150.000 personnes.
En 1879 est créé le poste de DIRECTOR OF PUBLIC PROSECUTIONS ( D.P.P. ), nommé par le Ministre de l’Intérieur mais rattaché au Ministre de la justice, sorte de général sans soldats puisqu’il ne dirigeait aucun service. Mais cela n’a résolu aucun problème, car sa compétence était très réduite: il était chargé d’aider et de conseiller les services de police à leur demande. En 1985, à la suite d’une série d’erreurs judiciaires retentissantes dans lesquelles la police était impliquée, une loi créa le CROWN PROSECUTION SERVICE ( C.P.S. ). Le Crown Prosecution Service est une branche du Civil Service, composée de fonctionnaires d’Etat, indépendants de la police, hiérarchisés sous l’autorité du Director of Public Prosecutions, et répartis en 13 circonscriptions. L’organigramme du Crown Prosecution Service est le suivant:
1°) L’ATTORNEY GENERAL, avocat officiel du gouvernement, ministre de sa gracieuse majesté, mais qui n’est pas membre du Cabinet. Il peut déclencher ou arrêter n’importe quelle poursuite. Il peut poursuivre notamment les journalistes pour CONTEMPT OF COURT ( outrage à magistrat ). Il dirige le Barreau et le Crown Prosecution Service . Il peut aller lui-même devant le tribunal soutenir l’accusation en cas de crime particulièrement grave. L’Attorney General a pour adjoint le SOLICITOR GENERAL qui peut agir à sa place.
2°) LE DIRECTOR OF PUBLIC PROSECUTIONS dirige une administration réorganisée en 1993. A la tête de chaque région, un CHIEF CROWN PROSECUTOR qui a des adjoints ( ASSISTANT CHIEF CROWN PROSECUTOR ), puis les BRANCH CROWN PROSECUTORS qui dirigent chacun une équipe de Crown Prosecutors. Au total, cela représente environ 2.000 personnes.
La mission du Crown Prosecution Service est de donner des conseils juridiques à la police, de conduire les procédures engagées par celle-ci, et de représenter la Couronne devant les juridictions inférieures. Malgré ces réformes, le Crown Prosecution Service n’est qu’un ministère public au rabais, car l’Angleterre n’a pas encore abandonné l’idée que la poursuite des malfaiteurs était une fonction des citoyens. En effet, c’est toujours la police qui saisit les tribunaux, et donc a initialement le pouvoir d’apprécier l’opportunité des poursuites. D’autre part, le Crown Prosecution Service n’a pas le monopole des poursuites: les Douanes, le INLAND REVENUE, le SERIOUS FRAUD OFFICE créé en 1988 pour les fraudes commerciales, ont conservé le droit de poursuivre les infractions dans leur domaine. Plus fondamentalement, le droit de PRIVATE PROSECUTION n’a pas disparu: tout citoyen, et pas seulement la victime d’une infraction, a le droit de saisir directement une juridiction pénale. La victime tend aujourd’hui à le faire de plus en plus rarement; elle laisse ce soin aux autorités publiques et n’a plus, alors, aucune possibilité d’être partie au procès ( elle sera au mieux témoin si l’accusé plaide non coupable ). On ne peut pas, en Angleterre, joindre une constitution de partie civile au dépôt d’une plainte. En outre, devant les juridictions supérieures, le Crown Prosecution Service doit recourir à un avocat, le barreau ayant conservé son monopole. Autre faiblesse encore du Crown Prosecution Service par rapport au ministère public du système romano-germanique : le Crown Prosecution Service n’a aucun pouvoir de direction sur la police. La situation des Crown Prosecutors, à l’égard de la police et du barreau, a des effets négatifs sur la qualité de la justice. La division de la direction d’une poursuite entre 3 organes ( la police, le Crown Prosecution Service et le barreau ), dont aucun n’a une responsabilité totale, comporte des risques de changements d’avis, de fuites d’informations, de malentendus, de lenteurs. L’exclusion des Crown Prosecutors de certaines décisions essentielles, et le manque d’occasion de plaider devant les tribunaux les plus importants, les limitent à un rôle en grande partie bureaucratique, peu attrayant. Le Crown Prosecutor est également dans une position relativement faible à l’égard des tribunaux, en ce sens que sa décision de poursuivre, ou de ne pas poursuivre, peut être remise en cause par deux recours:
1°) ABUSE OF PROCESS: le tribunal, saisi d’une affaire pénale, a le pouvoir et le devoir de faire arrêter la poursuite s’il l’estime abusive;
2°) JUDICIAL REVIEW: c’est une procédure devant la High Court, par laquelle peut être cassée une décision administrative illégale ou déraisonnable ( mais sans possibilité d’indemnisation ).
Enfin le Crown Prosecutor n’a aucune responsabilité en ce qui concerne l’exécution des peines ( différence avec la France ). Le Crown Prosecution Service a été, dès l’origine, très critiqué. D’abord par ceux dont ils mettaient en cause les pouvoirs et les privilèges :
— la police, qui ne voulait pas perdre son pouvoir de poursuite;
— le barreau, qui ne voulait pas perdre ses revenus provenant de la représentation de l’accusation devant les juridictions pénales.
Mais la création du Crown Prosecution Service fut aussi critiquée par l’opinion publique qui ne voulait pas d’une extension du secteur public, et de l’augmentation du nombre de fonctionnaires « budgétivores ». La création du Crown Prosecution Service , en 1985, est donc un compromis, ce qui explique en grande partie sa faiblesse. Depuis plus de 15 ans, on lui reproche son inefficacité et l’incompétence de ses membres. Mais il existe un problème plus grave. Une des raisons de la création du Crown Prosecution Service était de retirer du système judiciaire, avant la phase décisionnelle, les affaires où les preuves sont faibles, et celles où l’intérêt public ne justifie pas la dépense d’une poursuite. Mais une partie de l’opinion publique considère qu’il est anormal que de telles affaires soient classées par un fonctionnaire au lieu d’être jugées, comme antérieurement, par un tribunal. En conséquence, le Crown Prosecution Service se trouve critiqué, même quand il accomplit ses fonctions d’une manière efficace.
Section 3 : Les juges.
Sauf pour la désignation du Lord Chancellor qui, parallèlement à ses fonctions de chef de la magistrature, est également ministre de la justice, membre du Cabinet et président de la Chambre des Lords, aucune considération politique n’intervient dans la nomination des juges. Les juges à plein temps sont recrutés, soit parmi les juges déjà en place, soit parmi les praticiens. Il n’y a pas en Angleterre d’école nationale de la magistrature. Mais, depuis 1979, existe le Bureau d’Etudes Judiciaires, créé à la suite du « Rapport BRIDGE ». Au sein du ministère britannique de la Justice, cet organisme bénéficie d’une large autonomie puisqu’il décide seul des besoins et de la nature de la formation judiciaire mise en place pour les juges. Pour être nommé juge de la Court of Appeal, ou Lord Chief Justice ( Président de la Division du Banc de la Reine ), ou Master of the Rolls ( Président de la Division de la Chancellerie ), ou Président de la Division de la Famille, au sein de la Haute Cour de Justice, il faut:
1°) soit être déjà juge de la Haute Cour;
2°) soit justifier de 15 ans de pratique comme avocat devant la Haute Cour.
Pour être juge de la Haute Cour ou juge itinérant, il faut justifier de 10 ans de pratique comme avocat, ou avoir été juge à temps partiel pendant au moins 5 ans. Enfin pour être juge à temps partiel, il faut avoir exercé en tant qu’avocat, ou en tant que solicitor, pendant 5 ans. Les fonctions de juge de paix rémunéré ( juge professionnel nommé et payé d’une MAGISTRATES’ COURT ) sont ouvertes aux avocats et aux solicitors justifiant d’au moins 7 ans de pratique. Les MAGISTRATES sont nommés par le Ministre de la Justice sur proposition de 95 commissions consultatives. Un MAGISTRATE peut siéger jusqu’à 70 ans. Il reçoit 9 heures de formation théorique et 6 heures de formation pratique. Pendant les premiers mois de sa fonction il siége collégialement. Tous les juges sont nommés par la Reine. Sur proposition du Premier Ministre, la reine nomme le Lord Chancelier, le Lord Chief Justice, le Master of the Rolls, le Président de la Division de la Famille de la Haute Cour, les juges de la Chambre des Lords, les juges de la Court of Appeal. Sur proposition de Lord Chancellor, la reine nomme les juges de la High Court of Justice, les juges itinérants ou juges de tournée, et les juges à temps partiel. Dans la mesure où le pouvoir judiciaire se voit souvent contraint d’arbitrer des différends entre les citoyens et l’Exécutif, en particulier lorsque les administrés introduisent des recours contre les décisions administratives, il est essentiel que le pouvoir judiciaire échappe à l’emprise du Gouvernement. En Angleterre, l’indépendance de la magistrature repose non pas sur des garanties constitutionnelles, mais sur un mélange de règles légales et de règles de common law, de conventions constitutionnelles et de pratique parlementaire, consolidés par la tradition et l’opinion publique.
Comme on le sait, le travail des juges consiste à trancher les litiges. A cette fin, leur tâche est souvent de définir les intentions du législateur et d’appliquer la jurisprudence. Théoriquement ils ne peuvent créer le droit. Mais lorsqu’il n’y a pas de règle de droit préexistante pour résoudre une situation donnée, ou lorsque la décision est laissée à la discrétion du juge, ils doivent établir de nouvelles règles qui constitueront des précédents. En ce sens ils créent bien le droit.
Les juges ont le pouvoir de punir toute conduite qui entrave le bon fonctionnement de la justice. Sont considérées comme entraves au bon fonctionnement de la justice toutes sortes d’agissements, soit positifs ( faire quelque chose ), soit négatifs comme refuser d’exécuter des ordonnances de justice. Les sanctions sont des amendes ou des peines de prison. Selon la common law, la bonne foi et l’erreur ne constituaient pas des excuses valables. Cependant l’article 11 de la loi de 1960, sur l’administration de la justice, excuse une personne :
1°) qui a publié des documents qui entravent le bon fonctionnement de la justice, mais qui ignorait et n’avait aucune raison de soupçonner qu’un procès était en cours ou imminent;
2°) qui a diffusé de tels documents de bonne foi.
Avant la loi constitutionnelle de 1701 qui a décidé que les salaires des juges devaient être « fixes et assurés », le roi exerçait un contrôle important sur ses juges par le biais des pressions financières. Les salaires des juges des cours supérieures sont désormais fixés par la loi et prélevés sur le budget de l’Etat.
Les juges des cours supérieures ( High Court, Court of Appeal et Chambre des Lords ) sont inamovibles, sauf faute de conduite grave. Ils peuvent être démis de leurs fonctions sur requête des deux chambres du Parlement. L’article 12 de la loi de 1973 sur l’administration de la justice permet au Lord Chancellor de déclarer vacant le poste d’un juge des cours supérieures qui est atteint d’incapacité permanente et n’est pas en mesure de démissionner. En vertu de la loi de 1971, les juges itinérants et les juges à temps partiel peuvent être démis de leurs fonctions par le Lord Chancellor pour incapacité ou mauvaise conduite. La loi n’accorde aux juges de paix des magistrates’ courts aucune sécurité dans leurs fonctions. Un certain nombre de règles servent à protéger les juges. Ils sont isolés de la politique par le fait qu’ils ne peuvent, ni être députés à la Chambre des Communes, ni faire de propagande en faveur d’un parti politique. L’exécutif doit s’abstenir de tout commentaire sur leurs activités, et la réciproque est vraie. Les juridictions s’abstiennent de tout examen de la régularité des procédures parlementaires. Enfin les juges sont protégés contre toute action en justice pour les discours prononcés ou les actes commis dans l’exercice de leurs fonctions, et alors qu’ils croyaient sincèrement agir dans le cadre de leur juridiction.
L’Attorney Général est le principal conseiller juridique des différents ministères. Il vérifie le texte des projets de loi. Il peut engager des poursuites au civil devant la Haute Cour, pour défendre des droits publics, et peut prêter son nom pour des actions intentées par des particuliers contre des organismes publics. Il peut engager des poursuites pénales, ou peut ordonner un non-lieu et mettre un terme à tout procès. Il est politiquement responsable des agissements du procureur général ( DIRECTOR OF PUBLIC PROSECUTIONS ), et habilité à lui donner des ordres. Le Solicitor Général peut remplacer l’Attorney Général dans certaines de ses fonctions. Le procureur général n’est pas à proprement parler un conseiller juridique de la Couronne. C’est un barrister ou un solicitor nommé par le Ministre de l’Intérieur ( HOME SECRETARY ), mais qui travaille sous les ordres de l’Attorney Général. Il charge des barristers et des solicitors de poursuivre pénalement dans les affaires que lui confient les différents ministères. Il conseille la police, lorsqu’elle le lui demande, sur l’opportunité d’engager des poursuites.
Le système juridique anglais se caractérise par une totale indépendance du pouvoir judiciaire. En Angleterre, le pouvoir judiciaire est un véritable pouvoir ( à la différence du système romano-germanique), qui est un contrepoids aux pouvoirs législatif et exécutif. Pour garantir cette indépendance, les anglais disent qu’il y a 4 remparts.
1°) L’inamovibilité des juges des juridictions supérieures. C’est le roi qui destitue un juge à la demande des deux chambres du Parlement. Cette procédure ne fut utilisée qu’une fois, en 1830, pour un juge qui avait été reconnu coupable de détournement de fonds.
2°) La loi garante du nombre, du salaire et du prestige des juges. Les promotions des juges ne dépendent pas de créations de postes dues au bon vouloir du gouvernement, et celui-ci ne peut pas nommer des fournées de juges à sa botte. Les juges des cours supérieures prennent leur retraite à 75 ans, 72 ans pour les juges itinérants.
Les juges sont payés sur le CONSOLIDATED FUND, partie du budget qui n’a pas à être discutée mais simplement votée chaque année par le Parlement, et qui est donc renouvelée automatiquement. Les salaires sont réévalués chaque année par le Lord CHANCELLOR. Ce sont des salaires très élevés, plus élevés qu’en France : plus de 80.000 £ par an pour les juges supérieurs. Il faut dire qu’ils sont peu nombreux : l’élitisme et le malthusianisme sévissent dans la haute magistrature anglaise comme dans celle de beaucoup de pays du système romano-germanique.
3°) Les juges : sources du droit. Si le pouvoir judiciaire, pour les anglais, se limite aux seules juridictions supérieures ( SUPREME COURT OF JUDICATURE ), c’est parce que seuls les juges des cours supérieures peuvent énoncer le droit, en ce sens que seules leurs décisions peuvent créer des précédents qui ont force obligatoire. Un débat doctrinal divise les juristes anglais. Pour une grand partie d’entre eux le juge anglais n’a pas le pouvoir d’imposer la règle de droit qu’il estime applicable ; pour d’autres, au contraire, il n’est pas interdit au juge de proposer un moyen de droit qui n’a pas été invoqué, ou d’ordonner la réouverture des débats si un moyen de droit nouveau se présente à lui. Cette proposition doit être reprise par les parties. Il faut toutefois admettre, qu’en droit positif anglais, le juge ne peut pas relever d’office un point de droit contre la volonté des parties au procès.
4°) Les juges ont les moyens de se faire respecter avec la procédure de CONTEMPT OF COURT ( CONTEMPT OF COURT ACT de 1981 ). Le prestige des juges anglais ne tient pas qu’à leur magnifique costume et à leur perruque. Ils peuvent se faire respecter. Le CONTEMPT OF COURT correspond à notre notion d’outrage à magistrat, mais dans un sens beaucoup plus large. Les tribunaux anglais, inférieurs et supérieurs, disposent de pouvoirs péremptoires pour appeler à comparaître, sans délai, celui qui s’est rendu coupable de CONTEMPT OF COURT, et pour le juger sur-le-champ, de manière aussi expéditive que catégorique ex: le fait de refuser de verser, à une victime, l’indemnité qu’a prescrite un tribunal, peut être assimilé à un contempt of court. C’est assez dissuasif, et renforce l’autorité de la chose jugée. Les juges anglais n’utilisent pas cette procédure si c’est leur personne qui est attaquée. La procédure de contempt of court leur sert, non à se défendre eux-mêmes, mais à faire respecter les citations, les ordonnances et les décisions de justice, bref à assurer le bon fonctionnement de la justice. Cette procédure existe aussi aux Etats-Unis et en Inde.
Section 4 : Les auxiliaires de justice.
Mieux vaut une souris dans la gueule d’un chat qu’un client aux mains d’un avocat. PROVERBE ITALIEN
Pour bien s’imprégner de l’esprit de cette catégorie sociale, rien n’est plus instructif que la lecture du roman de J.GALSWORTHY, La saga des Forsyte, ( 1922 ), qui raconte l’histoire d’une famille de lawyers. Ceux-ci, à plusieurs reprises règlent des affaires qui, en France, n’auraient pas été résolues par des avocats, et n’auraient donné lieu qu’à des conseils pour aller en justice. Cette œuvre littéraire permet de comprendre comment une grande quantité de procès trouvent une solution avant d’être présentés au tribunal. Les auxiliaires de justice constituent la LEGAL PROFESSION, et se divisent en deux catégories: BARRISTERS et SOLICITORS. Un certain rapprochement s’est opéré, en 1993, entre les deux professions.
Un avocat incompétent peut retarder un procès pendant des mois ou des années. Un avocat compétent encore plus longtemps. E.YOUNGUER
Ce sont les avocats. Ils remplissent exclusivement des fonctions de plaidoirie et de consultation; ils en ont même eu le monopole devant les cours supérieures jusqu’en 1993. Il y a aujourd’hui une telle masse de décisions prises par les juges anglais ( CASES ) qu’il est bien rare de trouver du nouveau, et de pas avoir, pour une affaire quelconque présentée à un avocat anglais, un précédent de jurisprudence ; si l’avocat trouve un case qui y correspond, cela rend toute discussion inutile devant les tribunaux. Le rôle des avocats anglais est donc, en grande partie, de trouver pour leurs clients la solution que le juge pourra appliquer immédiatement. Puisqu’on sait qu’il l’appliquera immanquablement, il est inutile de faire les frais d’un procès; voilà pourquoi on peut dire que le droit anglais est un droit judiciaire, et expliquer en même temps qu’il y a beaucoup moins d’affaires portées devant les tribunaux que dans le système romano-germanique, et par conséquent moins de juges.
Les barristers sont nécessairement membres de l’une des INNS OF COURT qui existent à Londres ( certains traduisent Inns of court par « écoles de droit » ). Il y en a 4 : INNER TEMPLE, MIDDLE TEMPLE, GRAY’S INN, LINCOLN’S INN. Il en est ainsi même s’ils demeurent et exercent en province. C’est ce qui explique qu’ils constituent un milieu très homogène où tout le monde se connaît. Dans leur Inn où ils déjeunent souvent, et dont ils fréquentent la bibliothèque, les avocats se rencontrent et retrouvent leurs anciens confrères devenus juges. L’Inn joue un peu le rôle d’un club, et contribue à instaurer une confiance réciproque, pour le plus grand profit de la justice. Les 4 Inns coopèrent au sein d’un Conseil Général du Barreau unique en Angleterre, puisqu’il n’y a qu’un seul barreau, celui de Londres. La déontologie n’est pas fixée par une loi mais uniquement par cet organisme. Une des règles veut que, sauf exception, un barrister ( appelé aussi COUNSEL ) ne doit recevoir d’instructions que d’un solicitor, et par conséquent n’a pas de contact direct avec son client. Précisons aussi que les rapports entre un avocat et son client ne sont pas de nature contractuelle; ainsi un avocat n’est pas autorisé à poursuivre son client pour recouvrer ses honoraires. Inversement un avocat ne peut pas être poursuivi pour négligence par son client.
Il y a en activité environ 6.000 barristers dont 4.600 à Londres. Les femmes constituent 1/4 des barristers. Les plus réputés d’entre eux ( 10 % ) peuvent accéder, par décision du Chancelier, à la dignité de QUEEN’S COUNSEL ( conseiller de la reine ). On les appelle aussi SENIORS BARRISTERS ou encore SILKS, du fait qu’ils ont le droit de porter la robe de soie au lieu de la robe de coton ordinaire. Devant les juridictions supérieures, la tradition veut que le barrister porte robe et perruque ( WIG ) .
Les solicitors sont répartis dans tout le pays. Autant la mission de barrister est étroite ( plaider ), autant celle de solicitor est étendue. Les attributions des solicitors sont diverses, recouvrant à la fois celles de conseiller juridique, avoué et notaire ( rédaction de testament et de contrat, règlement de succession, transfert de propriété ). Ils ont le monopole de la postulation, c’est-à-dire qu’ils font avancer la procédure, et notamment entrent en rapport avec les témoins dont la déposition sera utilisée à l’audience. Depuis 1993, les solicitors, exerçant à titre privé, ont le droit de plaider devant toutes les juridictions ( RIGHT OF AUDIENCE ). Peu d’entre eux utilisent cette possibilité, si ce n’est devant les juridictions inférieures. Ils ne portent que la robe, pas la perruque. Une grande part de leur activité est consacrée à des tâches non contentieuses: transferts de propriété, rédaction d’actes de sociétés ou rédaction de testaments qu’ils enregistrent comme les notaires du système romano-germanique. Selon leur organisation professionnelle, ils sont environ 85.000, le plus souvent groupés en cabinets pouvant aller jusqu’à 500 personnes où ils se spécialisent ( LAW FIRMS ). L’exercice individuel de la profession est peu répandu. Le solicitor a une obligation contractuelle de diligence envers son client. En cas de manquement à cette obligation il est passible de dommages-intérêts. La relation qui lie le solicitor à son client est considérée comme:
— interdisant toute donation entre vifs faite par le client au profit de son solicitor ( présomption de violence morale dans ce cas );
— la présomption de violence morale s’applique aux ventes consenties par le client à son solicitor. La présomption est réfutable, s’il est prouvé que le client n’aurait pas pu trouver un meilleur prix sur le marché.
Pour les affaires contentieuses, les honoraires sont fixés d’un commun accord entre le solicitor et son client. Pour les affaires non contentieuses, le solicitor peut demander une somme forfaitaire juste et raisonnable, eu égard : à la complexité de l’affaire, à l’expertise et aux responsabilités afférentes au temps passé, aux sommes d’argent en jeu etc. Le client peut demander, pour une affaire non contentieuse, que sa note d’honoraire soit taxée, et demander au solicitor de lui fournir un certificat, signé par la LAW SOCIETY, attestant que la somme demandée est juste et raisonnable. L’affiliation à la LAW SOCIETY n’est pas obligatoire, mais 85 % des solicitors en sont membres. Depuis 1974, cet organisme veille à l’application des différentes règles concernant les solicitors, notamment les règles déontologiques.
D’autres personnes que les barristers et les solicitors peuvent donner des conseils juridiques. On peut recenser:
1) les PATENT AGENTS, chargés du dépôt des brevets et marques;
2) les notaires chargés d’authentifier certains documents et contrats. Beaucoup de notaires sont également solicitors. On ne peut pas les comparer aux notaires français;
3) les LICENSED CONVEYANCERS sont compétents en matière de cessions immobilières. Beaucoup travaillent dans des organismes octroyant des prêts immobiliers.
Elle ressemble aux ordres professionnels français, mais leur est bien antérieure. Elle a été crée par une charte royale de 1845, dans le but « d’améliorer le niveau de la profession et de promouvoir la connaissance du droit ». Cet organisme est dirigé par un conseil de 105 membres dont 61 sont élus pour un mandat de 4 ans. La loi de 1974 sur les solicitors lui confère un certain nombre de pouvoirs. Elle contrôle, par le biais du SOLICITORS COMPLAINT BUREAU, pratiquement tous les aspects de la profession à l’exception des questions de discipline. La loi confère au conseil le pouvoir d’édicter les règles qui régissent les rapports des solicitors avec leurs clients, la déontologie, et la gestion des fonds qui leur sont confiés en trust. Chaque année, tout solicitor doit remettre à la Law Society un rapport financier. En outre, la Law Society administre un plan d’assistance judiciaire et de conseils juridiques, gère un fonds de solidarité qui sert à dédommager financièrement quiconque subirait un préjudice du fait d’un solicitor qui garderait par devers lui des sommes dues.
Elle applique le SOLICITORS ACT de 1974, le FINANCIAL SERVICES ACT de 1986 et les règles déontologiques ( SOLICITORS PRACTICE RULES ). Les membres de cette juridiction sont nommés par le MASTER OF THE ROLLS. Elle est composée de solicitors en exercice ayant au moins 10 ans de pratique, et de non juristes. Le quorum pour siéger valablement est de 3, dont un non juriste. La juridiction disciplinaire statue sur:
— les requêtes présentées par des solicitors qui ont été radiés de la Law Society et qui souhaitent la réintégrer ;
— les plaintes relatives au non respect des règles de la déontologie fixées par la loi et le Conseil ;
— les demandes émanant de la Law Society et visant à s’opposer à ce qu’un solicitor emploie, sans l’autorisation de la Law Society, un clerc qui a été condamné pour certains délits pénaux.
La juridiction disciplinaire est dotée de très larges pouvoirs: elle peut suspendre ou radier le solicitor, le condamner à payer une amende ( 750 livres maximum ), ou à prendre à sa charge les frais de justice de son client. S’il fait partie de la Cour Suprême de Justice, le solicitor fautif peut aussi être poursuivi pour outrage à magistrat, ou être condamné à payer de ses deniers les dépenses et les frais inutiles causés par sa négligence.
La déontologie, que doivent respecter les barristers, est fixée par le BAR COUNCIL, en accord avec les 4 Inns of Court. En cas de faute professionnelle, la plainte est instruite par le COMPLAINTS COMMISSIONARY. Si celui-ci considère la plainte fondée, l’affaire est transmise au PROFESSIONAL CONDUCT AND COMPLAINTS COMMITTEE OF THE BAR COUNCIL, ou si l’affaire est grave au DISCIPLINARY TRIBUNAL OF THE BAR COUNCIL. Ce dernier peut radier le barrister du barreau ( DISBAR ). Un appel est possible devant une juridiction spéciale: VISITORS OF THE INNS OF COURT.
Chapitre 3. LE FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE EN ANGLETERRE
On court le risque du dégoût quand on voit comment se préparent l’administration, la justice et la cuisine. CHAMFORT
Il convient, maintenant, d’aborder le procès et le jugement en Angleterre pour en faire ressortir les particularismes et les différences, par rapport à ce que l’on connaît dans le système romano-germanique. en général, et en France en particulier.
Section 1 : Le procès.
Lors d’un procès, en Angleterre, le juge écoute les témoins, lit les documents, écoute les avocats, décide quels sont les faits qui sont avérés, et leur applique la loi ou le précédent judiciaire. Tels sont, pour le juge anglais, l’impartialité et la vraie justice. Dans la plupart des procès civils conduits sans jury, le juge suit un mode de raisonnement assez mécanique. Mais parfois il sent intuitivement que cette façon de procéder n’aboutit pas à une décision juste. Alors, tout en respectant les faits, il utilise la marge d’appréciation que lui laisse la loi. Les procès anglais ont une longue tradition d’oralité, qui vient du fait que la magistrature est issue du barreau, et donc habile à improviser. Le résultat est que le procès se déroule de manière ininterrompue jusqu’au prononcé de la décision. Bien qu’il existe généralement une série de documents préparatoires, il est rare que le juge les ait vus avant la veille du procès. Le lendemain, au début de l’audience, la tâche principale des avocats est de sélectionner, de concentrer, de présenter les éléments factuels et juridiques, afin de les expliquer et de convaincre. Après les plaidoiries, et généralement sans pause, le juge rend sa décision. Cette rapidité étonne toujours les étrangers, et en particulier les français habitués à des délibérés très longs. Pour comprendre cette façon de faire, il faut avoir à l’esprit que le juge anglais a passé la première partie de sa vie professionnelle comme avocat, improvisant chaque jour, bien qu’ayant méticuleusement préparé ses dossiers. Sa formation d’avocat lui a appris à orienter un raisonnement logique vers un but précis. La procédure étant essentiellement orale, le juge n’a pas été contraint à passer des heures à lire et à analyser un dossier. Ce sont les avocats qui ont dû sélectionner et résumer tout ce qui peut sérieusement influencer le jugement. Par conséquent, lorsque les plaidoiries se terminent, le juge en sait assez pour prononcer immédiatement la décision de justice.
C’est aussi une des raisons pour lesquelles la décision du juge anglais est narrative. Le juge pense tout haut. Il décrit le témoignage qu’il a entendu, ses raisons pour rejeter un élément ou au contraire en accepter un autre. Il résume la loi, analyse au besoin les précédents. Il récapitule les points principaux des plaidoiries et arrive finalement, devant tout le monde, à sa conclusion. Lorsque l’affaire est plus compliquée, que la décision doit être écrite et ne peut pas être prononcée immédiatement, son style n’est guère différent. La décision est à peine moins ramassée. Les décisions des juges anglais, même écrites, n’ont jamais le laconisme de nos arrêts. Dans le cadre de cette culture juridique orale, de l’échange de dialogues, il n’est pas surprenant que les plaidoiries soient si importantes. Toutefois cette tradition pluriséculaire est en train de changer en raison de l’augmentation de la complexité des affaires, de la diminution des moyens de la Justice, de la généralisation des photocopieuses, de la télécopie, du courrier électronique etc. Le juge anglais est de plus en plus responsable de la préparation du dossier ; il devient autant acteur qu’arbitre ; il connaît les détails de l’affaire longtemps avant l’audience. La solution de beaucoup de procès dépend de plus en plus de documents écrits et de plaidoiries écrites précises.
En attendant la disparition complète de la tradition, il convient de préciser quels sont les impératifs du juge quand il rend sa décision. Lorsque celle-ci concerne l’intérêt public, elle doit être rédigée dans un langage accessible à tous,… même à un journaliste dit avec humour le juge Stephen SEDLEY, juge à la High Court, dont nous utilisons le témoignage. Quand il rend sa décision, le juge s’adresse à la partie perdante, car c’est elle et non le vainqueur qui s’intéresse le plus au raisonnement motivant la décision. Mais il s’adresse aussi aux juristes, aux avocats qui viennent de plaider, aux collègues juges qui, un jour peut-être, devront analyser cette décision afin de la confirmer ou de la critiquer, et à la Court of Appeal qui va peut-être avoir besoin de comprendre comment, sur la base de ces faits, le juge du procès est arrivé à une telle conclusion. En rendant sa décision, le juge anglais essaie donc de satisfaire un éventail assez large d’intérêts. Il est possible que le résultat ne satisfasse personne, mais comme le dit, avec philosophie et en français, le juge SEDLEY : « C’est la vie! ».
Section 2 : Le jugement.
Nous allons recenser quelques différences entre décision juridictionnelle dans le système romano-germanique. et décision juridictionnelle en Angleterre.
— La source de l’obligation de motiver. Il y a de très grandes différences d’un pays à l’autre. Dans certains Etats, le devoir général des juridictions de motiver leurs décisions provient de la Constitution : c’est le cas aux Pays-Bas où l’article 21 du GRONDWET dispose que tout jugement d’un tribunal doit être motivé, sauf dans les cas prévus par la loi. En France rien de tel : l’obligation de motiver résulte de l’art. 455 du Code de Procédure Civile ( « Le jugement doit être motivé » ) et de l’art. 485 du Code Procédure Pénale ( « Tout jugement doit contenir des motifs et un dispositif. Les motifs constituent la base de la décision » ). En France cette obligation est donc imposée par la loi. En Angleterre, le devoir général de motiver n’a aucune base légale, bien que tout le monde reconnaisse son existence. Une série de lois particulières impose certains devoirs de motivation très spécifiques : l’art. 10 du TRIBUNAL AND INQUIRIES ACT de 1992 oblige la plupart des Tribunals à rendre une décision motivée à la demande d’une personne intéressée, mais, on l’a déjà dit, ces tribunals ne sont pas de vraies juridictions. L’obligation de motiver, pour les juridictions de droit commun, est purement jurisprudentielle.
— La nature du devoir de motiver. Dans certains Etats, le devoir de motiver est automatique : la juridiction qui rend une décision doit toujours en donner les motifs, comme le font en Angleterre la High Court et la County Court à la fin d’un procès civil. Pour d’autres juridictions en revanche, l’obligation de motiver n’est pas automatique ; elle n’existe que lorsqu’une des parties demande à la juridiction une décision motivée. C’est le cas, en Angleterre, pour les Magistrates’ Courts, quand ces juridictions jugent une affaires pénale. Devant ces juridictions, la décision de condamner ou d’acquitter se rend normalement par un simple « GUILTY » ( coupable ) ou « NOT GUILTY » ( non coupable ). Mais par la procédure du CASE STATED, le demandeur ou le défendeur peuvent exiger une motivation afin de faire contrôler la décision par la Divisional Court of the Queen’s Bench Division.
— Comment se présente la motivation du jugement. Dans tous les pays, la motivation d’un jugement civil ou pénal doit porter sur 3 éléments : les faits, la règle de droit et l’application de cette règle aux faits pour produire le dispositif. Mais d’un pays à l’autre il y a des différences. Le tribunal doit-il justifier son appréciation des faits ou pas : doit-il expliquer pourquoi il ne retient pas tel ou tel fait ? En France, on considère que les juges n’ont pas à motiver leur appréciation des faits car on applique deux principes : la liberté des preuves ( en matière pénale) et l’intime conviction du juge. Dans d’autres pays, au contraire, on attend de la juridiction qu’elle se justifie. C’est obligatoire pour le juge anglais dans les affaires civiles. En Italie, l’art. 546 du Code de Procédure Pénale exige qu’une motivation contienne « l’énonciation des raisons pour lesquelles le juge n’a pas trouvé acceptable les preuves contraires ».
— Le style des jugements. On trouve de grandes différences selon les familles de droits. A un extrême, il y a le jugement bref et lapidaire de la juridiction française, malheureusement trop connu des juristes français. A l’autre, il y a le jugement d’un tribunal anglais dans une affaire civile. Ce jugement, long et détaillé, a souvent le style d’une conversation. En rendant un jugement, dans un cas où les faits et les points de droit sont contestés, le juge anglais de première instance commence son jugement par son appréciation des faits qui comporte son analyse des preuves apportées par les parties, et ses raisons de préférer les unes aux autres. Dans une deuxième partie, il énonce les règles de droit qu’il juge applicables. Cette partie contient normalement un résumé des arguments des deux parties, avec une discussion de la jurisprudence qu’elles ont citée. Enfin, dans une troisième partie, le juge applique le droit énoncé aux faits qu’il a constatés. Si c’est le demandeur qui gagne, le juge y annonce ce que doit payer le défendeur. Un tel jugement fait de 10 à 50 pages dactylographiées. Il en est de même pour les arrêts de la Court of Appeal ( civil division ), à la différence que comportant 2 ou 3 juges, une série de jugements peut être rendue lorsque les membres de la juridiction ne sont pas d’accord pour en rendre un seul. Cette différence provient du fait que, dans la tradition de la common law, le jugement se rend oralement, alors que sur le continent il se rend par écrit. En Angleterre, en effet, la très grande majorité des décisions de justice se rend oralement. Dans les affaires complexes ou difficiles, le juge prépare un jugement écrit, mais avec les mêmes habitudes que pour les décisions orales. Même quand il s’agit d’un jugement écrit, la partie officielle du jugement, c’est-à-dire celle qui est enregistrée dans les archives du tribunal, est seulement le dispositif. Le fait de rendre un jugement oral, même avec une demi-page de notes, permet au juge anglais d’aller beaucoup plus vite que ses collègues français.
— L’obligation de motiver est-elle un bien ou un mal ? Cette question, insolite et hérétique, mérite d’être posée, et les anglais se la posent. L’idéologie dominante nous répond que la motivation des décisions de justice est non seulement considérée comme un bien, mais comme une nécessité capitale. En effet, on croit, en Angleterre comme dans les pays du système romano-germanique, que c’est le devoir de motiver leurs décisions qui incite les juges à accomplir leur travail scrupuleusement, qui rend possible un contrôle en cas d’arbitraire, qui démontre aux citoyens que les juges respectent les règles de droit, et qui fournit aux parties une explication de la décision, réduisant peut-être pour la partie perdante l’amertume de la défaite. On n’a pas toujours raisonné ainsi. Au Moyen-Age, l’idée dominait que c’était diminuer l’autorité du tribunal que lui demander d’expliquer son raisonnement. C’est encore cet esprit qui gouverne le jury anglais lorsque, sans motiver sa décision, il répond « GUILTY » ou « NOT GUILTY ». Il y a donc en Angleterre, comme dans beaucoup d’autres pays, des décisions de justice obligatoirement motivées, et d’autres qui n’ont pas à l’être. En 1981, le Parlement britannique a voté le Contempt of Court Act qui, dans son art.11, punit pénalement toute tentative de persuader un jury de donner les raisons de son verdict. Certains juristes parlent, à propos de la motivation, d’attitude schizophrénique.
Section 3 : La règle du précédent ( RULE OF PRECEDENT ).
Sir Rupert CROSS, Precedent in English Law, Clarendon Law Series, 1991, 256 pages.
Pour BLACKSTONE, la seule limite à la perpétuité des précédents était « l’évidente contrariété à la raison et surtout à la loi divine ». Cette règle du précédent a bien sûr un rapport étroit avec la hiérarchie judiciaire. Le droit anglais étant un droit jurisprudentiel, il n’est pas étonnant que cette règle y occupe une place capitale. De cette règle, déjà abordée, découlent plusieurs principes fondamentaux.
1°) L’obligation de respecter les règles posées par les juges ( STARE DECISIS ), de respecter les précédents judiciaires qui s’imposent par leur simple existence.
2°) Les décisions rendues par la Chambre des Lords et la Supreme Court of Judicature sont des précédents obligatoires, impératifs, qui doivent être suivis par toutes les juridictions ( BINDING PRECEDENT ). Depuis une déclaration solennelle du Lord Chancellor GARDINER ( ministre de la justice ) dans sa PRACTICE STATEMENT de 1966, la Chambre des Lords a désormais la faculté de s’écarter de ses propres précédents, si des considérations impérieuses, prises dans l’unique intérêt de la justice, l’exigent. En pratique, la Chambre des Lords procède très rarement à des revirements de jurisprudence ( REVERSAL ); le premier ne date que de 1968, arrêt CONWAY v. RIMMER. Les lords, pour ne pas procéder à un revirement ( OVERRULLING ), utilisent soit la technique des distinctions, soit toutes sortes de stratagèmes, comme dans l’affaire CARL ZEISS STIFTUNG en 1967. Ce n’est vraiment qu’en dernier ressort, après épuisement de toutes les possibilités, qu’ils se résignent à renverser une situation juridique établie.
3°) Les décisions rendues par la Court of Appeal constituent des précédents obligatoires pour toutes les juridictions inférieures dans la hiérarchie de cette cour, et sauf en matière criminelle, pour la Court of Appeal elle-même.
4°) Les décisions rendues par un juge de la High Court of Justice s’imposent aux juridictions inférieures, et sans être strictement obligatoires, ont une grande valeur de persuasion ( PERSUASIVE VALUE ). Elles sont, la plupart du temps, suivies par les différentes divisions de la High Court of Justice et par la Crown Court.
Pour comprendre la règle du précédent, il faut considérer la manière dont se présentent les décisions judiciaires, qui, en général, est très différente de celle du système romano-germanique. La décision anglaise se réduit à un simple dispositif. Les juges anglais n’ont pas à motiver leurs décisions. Ils ordonnent et n’ont pas à se justifier. En réalité, les juges anglais, surtout dans les cours supérieures, exposent les raisons de leurs décisions. Dans un commentaire beaucoup moins sec et laconique que les motifs des arrêts français, ils exposent, à propos de la décision qu’ils viennent de prendre, les règles et les principes du droit anglais. C’est ainsi qu’a pu s’établir la technique des distinctions déjà citée. Dans les REASONS données par le juge anglais à l’appui de sa décision, le juriste doit distinguer ce qui est le support nécessaire de la décision ( ratio decidendi ), et ce que le juge peut avoir déclaré sans nécessité absolue ( obiter dictum ). Répétons-le, seule la ratio decidendi constitue le précédent ; l’obiter dictum n’a qu’une valeur de persuasion. Aujourd’hui, en Angleterre, la règle du précédent fonctionne aussi bien dans le cadre de la common law que de l’equity. Le pouvoir « discrétionnaire » que possèdent les cours anglaises, en ce qui concerne l’application des règles de l’equity, ne doit pas tromper: les juges tiennent compte scrupuleusement des précédents. On peut dire que la règle du précédent incite les juges à la plus grande prudence. La règle du précédent joue également, bien que ce soit plus contestable et contesté, pour l’interprétation des lois ( STATUTE LAW ) ; sous la pression du droit européen, une décision de la Chambre des Lords de 1992 autorise les juges à faire référence au recueil des débats parlementaires ( HANSARD ) pour déterminer les motifs du législateur. La conséquence en est le plus souvent un obscurcissement de la loi par la multitude des interprétations jurisprudentielles. Pour que la règle du précédent s’applique bien, il faut que les décisions de jurisprudence soient publiées. Or toutes ne le sont pas, loin s’en faut. Sont publiées: 75 % des arrêts de la Chambre des Lords; 25 % des arrêts de la Court of Appeal; 10 % des décisions de la High Court of Justice. La non publication permet d’éliminer, de fait, un grand nombre de décisions que l’on ne tient pas à voir considérer comme des précédents. Même avec les banques de données informatisées, il faut, pour citer un arrêt non publié de la Chambre des Lords, l’autorisation préalable de celle-ci. Il y a, comme dans le système romano-germanique., des recueils de jurisprudence avec nom et date des décisions.
Section 4 : Le droit au silence.
Le silence est le parti le plus sûr pour celui qui se défie de soi-même. LA ROCHEFOUCAULD
Ce fut longtemps une curiosité du droit anglais, qui n’a été modifiée qu’il y a quelques années. Le droit au silence est reconnu dans de nombreux pays de common law :
Ø le Canada où la CHARTE DES DROITS & LIBERTES, entrée en vigueur le 17 Avril 1982, le consacre dans son article 11-c ;
Ø les Etats-Unis avec le 5ème amendement de la Constitution.
Dans son premier sens, le droit au silence signifie que le suspect ou l’accusé ne peut pas être contraint d’aider la police ou l’accusation en répondant aux questions que celles-ci veulent lui poser. La conséquence la plus évidente est que la police n’a pas le droit de le torturer, ou de le brutaliser, pour le faire parler. Mais la police peut faire pression sur le suspect. Elle peut le garder à vue pendant 96 heures au cours desquelles les menaces sont interdites. Les interrogatoires ne doivent pas, en principe, dépasser deux heures sans interruption ; le suspect doit avoir 8 heures de repos la nuit ; il doit recevoir 3 repas par jour et pouvoir informer ses proches de sa détention ( cf. le POLICE AND CRIMINAL EVIDENCE ACT de 1984 ). L’article 76, de ce texte, plus connu sous le sigle P.A.C.E., oblige le tribunal à rejeter un aveu qui a été obtenu par « oppression ». Le suspect, qui refusait de parler à la police ou de s’expliquer devant le tribunal, ne s’exposait pas à une sanction pénale. Toutefois certains textes obligeaient les citoyens, sous peine de sanctions, à fournir aux autorités des informations qui pourraient l’incriminer. C’était le cas de l’article 22 du CRIMINAL JUSTICE ACT de 1987 qui obligeait une personne, faisant l’objet d’une enquête pour fraude, à répondre aux questions du Serious Fraud Office.
Au cours du XXème siècle, la jurisprudence anglaise, influencée peut-être par celle des Etats-Unis, a donné au droit au silence un deuxième sens: l’exercice de ce droit ne pouvait pas être considéré comme une preuve implicite. Mais devant les critiques d’une bonne partie de l’opinion et de la doctrine, le gouvernement fit voter par le Parlement, en 1994, le CRIMINAL JUSTICE AND PUBLIC ORDER ACT qui, par ses articles 34 à 37, permet au juge de tirer du refus d’un suspect de répondre à certaines questions de la police, de son refus de témoigner à l’audience, et du fait qu’il fasse valoir à l’audience une défense qu’il n’a jamais présentée à la police, « la conclusion qui lui semble bonne ». Il y eut d’âpres débats sur ce sujet. En Angleterre, la police est obligée, avant d’interroger une personne, de l’avertir qu’elle a le droit de se taire. Depuis 1994, l’avertissement officiel de la police doit aussi mentionner que le droit au silence peut être désavantageux.
Le droit au silence existe aussi aux Etats-Unis. Depuis l’arrêt MIRANDA en 1966, la Cour Suprême des Etats-Unis oblige les représentants de l’ordre à informer les prévenus de leurs droits. La formule la plus utilisée est la suivante:
« The Constitution requires I inform you. You have the right to remain silent; anything you say can be used against you in a Court of law. You have the right to have an attorney present during questioning. If you cannot afford one, one will be provided for you without cost. Do you understand each of these rights I have explained to you ? Do you wish to talk to us at this time ? ».
Imité du droit anglais, le droit au silence a été introduit discrètement en France par la loi n° 2000-516 renforçant la présomption d’innocence et les droits des victimes. Ce droit au silence, qui n’existe que pendant l’enquête, est une réforme révolutionnaire consacrée par l’article 63-1 du code de procédure pénale: «…La personne gardée à vue est également immédiatement informée qu’elle a le droit de ne pas répondre aux questions qui lui seront posées par les enquêteurs ». Alors que les anglais tentent de limiter le droit au silence, la France l’introduit dans son droit pénal où il semble inéluctablement appelé à se développer.
Chapitre 4 .DEUX INSTITUTIONS ORIGINALES:LE TRUST ET L’HABEAS CORPUS
Outre le droit au silence, il y a beaucoup d’institutions originales dans le droit anglais, et on ne peut pas toutes les étudier. Arrêtons-nous aux deux plus célèbres : le trust et l’habeas corpus.
Section 1: Le trust ( la fiducie ).
Le mot trust n’a ici aucun rapport avec la notion économique de trust qui, on le sait, est une coalition d’intérêts économiques, grâce auxquels une société mère possède la majorité ou la totalité des titres de plusieurs sociétés filiales dont elle assure le contrôle, l’objectif étant d’avoir un monopole sur un marché.
Pour souligner l’importance du trust dans le droit anglais, D.J.HAYTON écrit, dans The law of trust, qu’il est « the gardian angel of the anglo-saxon ». Le texte de référence est le TRUSTEE ACT de 1925. Parmi les démembrements de la propriété que connaît le droit anglais, l’un des plus importants, du point de vue pratique, est le TRUST, terme qui, étymologiquement, signifie confiance. Le grand historien du droit anglais F.W. MAITLAND disait au début du XXème siècle : « Quiconque désire connaître l’Angleterre, même s’il ne s’intéresse pas aux détails du droit privé, doit savoir quelque chose du trust ». L’idée originale, qui sous-tend le trust, est qu’un bien peut être la propriété d’un individu pour le bénéfice d’un autre. La notion de trust, inconnue du système romano-germanique., est fondamentale et montre l’imagination du droit anglais: c’est la création la plus importante de l’equity. Pour présenter les droits et obligations dans le trust, les anglais aiment bien utiliser l’image du « fagot de bois »: celui qui détient l’ensemble du fagot possède la pleine propriété du bien. Le fagot est composé de bouts de bois. Chaque bout de bois représente un droit ou une obligation:
> l’ensemble des obligations qui représentent la responsabilité de la gestion, comme le pouvoir de louer ou de vendre le bien, constitue « l’intérêt légal »;
> d’autres bouts de bois représentant les droits à la jouissance, comme toucher les revenus du bien et bénéficier de l’augmentation de sa valeur ( ou en subir la diminution ), constituent « l’intérêt de bénéfice » ou « l’intérêt d’équité ».
Cette dissociation entre les obligations et les droits, dans le respect de la propriété d’un bien, est l’essence même du trust.
Le trust repose sur les rapports triangulaires suivants:
le constituant du trust ( SETTLOR OF THE TRUST ) stipule que certains biens seront administrés par un ou plusieurs TRUSTEES, dans l’intérêt d’un ou plusieurs bénéficiaires: le ou les CESTUIS QUE TRUST ( ou BENEFICIARY ).
Le trust est en principe irrévocable, mais le settlor se réserve souvent le pouvoir de révoquer le trust, de modifier les termes du trust, de contrôler la gestion. Le settlor peut être le bénéficiaire du trust. Les trusts perpétuels sont interdits depuis 1833, sauf pour les œuvres charitables. La durée d’un trust varie de 21 à 80 ans maximum. Ce procédé est extrêmement fréquent en Angleterre car très pratique. Il sert à la protection des incapables, à celle de la femme mariée, aux successions, aux fondations etc. Les juristes du système romano-germanique. sont désarçonnés par cette institution. Ils croient voir dans le trustee un représentant, un mandataire. Or rien n’est plus faux. Pour bien comprendre le trust il faut encore une fois se référer à l’Histoire. Selon le droit anglais, le trustee n’est pas un simple administrateur, un simple représentant des bénéficiaires du trust. Le trustee est PROPRIETAIRE des biens constitués en trust; il en dispose à sa guise et n’a de compte à rendre à personne. La limite à son droit de propriété n’est pas d’ordre juridique mais seulement d’ordre moral. Il doit administrer en bon père de famille; il doit verser les revenus et transférer à un certain moment le capital à certaines personnes désignées dans l’acte constituant le trust. Selon la common law, aucune action n’appartient à cestui que trust qui n’a aucun droit. Heureusement, l’equity a apporté des correctifs pour trouver une solution lorsque le trustee n’agit pas comme il doit le faire. Le Chancelier, puis la Cour de la Chancellerie peuvent prescrire au trustee d’agir, l’emprisonner ou placer ses biens sous séquestre. Mais, malgré toutes ces menaces qui pèsent sur lui, il est bien le propriétaire: il peut vendre et même donner les biens constitués en trust. Si le trustee a aliéné à titre onéreux ces biens, ce qu’il reçoit en contrepartie est subrogé à ces biens: le trustee sera désormais considéré comme trustee des sommes provenant de leur vente ou des biens acquis en remploi. Mais cela va plus loin. Si un tiers acquiert les biens à titre gratuit, ou s’il est acquéreur de mauvaise foi, il devient quand même propriétaire légal ( AT LAW ) des biens, mais aussi trustee et doit à son tour les exploiter dans l’intérêt du ou des bénéficiaires du trust. En principe il n’a aucun droit, à strictement parler du point de vue juridique. Il n’a, dans les biens objet du trust, que des intérêts ( BENEFICIAL INTEREST ). Le cestui que trust dispose de 2 actions redoutables contre le trustee:
1°) l’action en exécution du trust selon les termes de l’engagement préalablement définis; le juge répressif peut même dans certains cas être saisi;
2°) l’action en revendication des biens aliénés de mauvaise foi, c’est-à-dire en enfreignant les dispositions originelles du trust ( BREACH OF TRUST ); il peut même demander la révocation du trustee.
Peut être trustee toute personne ayant la capacité juridique. Certaines sociétés ( TRUST CORPORATIONS ) en font profession. La rémunération du trustee, facultative, est déterminée dans l’acte. Il peut y avoir deux trustees : par exemple une banque et un avocat spécialisé. Dans ce cas, ils détiennent en copropriété les biens du trust. On l’a vu, la juridiction compétente est la CHANCERY DIVISION de la HIGH COURT, spécialisée dans le droit de l’equity. Le trust dérange beaucoup les principes juridiques des juristes du système romano-germanique Ce que l’on peut dire, c’est que le trustee est bien propriétaire, mais ses prérogatives sont limitées, d’une part par l’acte de constitution du trust, et d’autre part par les règles d’equity. En outre, il n’a ni l’usage, ni la jouissance de la chose, ni même le droit de détenir matériellement celle-ci.
On peut donner 6 exemples de trusts.
1°) Le trust exprès ( EXPRESS TRUST ). C’est le plus courant. L’acte qui constitue le trust nous apparaît comme un contrat, mais en réalité ne relève pas du tout du droit des contrats en Angleterre. Le propriétaire décide, clairement et avec précision, de la création d’un trust ( acte sous sceau, testament ou écrit ). La loi peut aussi intervenir pour constituer un trust: par exemple au décès d’une personne. En effet, le droit anglais recourt à la technique du trust pour organiser la liquidation des successions. En Angleterre, le mort ne saisit pas le vif. La succession, avant d’être acquise à l’héritier ab intestat ou au légataire universel, est dévolue à un ADMINISTRATOR ou à un EXECUTOR. Celui-ci devient le dépositaire des droits qui naguère appartenaient au défunt. Toutefois, assimilé au trustee ( dont il ne porte pas la qualification pour une raison d’ordre historique ), l’ADMINISTRATOR ou EXECUTOR doit exercer ces droits dans l’intérêt de tous ceux ( héritier, légataire, créancier ) qui ont eux-mêmes des droits à faire valoir sur la succession, et qui recevront, en définitive, une part sur la totalité de celle-ci.
2°) Le trust présumé par les juges ( PRESUMED RESULTING TRUST ). Il est déduit du comportement du propriétaire, sauf intention contraire clairement exprimée ex: le settlor est présumé devenir lui-même le bénéficiaire si le cestui que trust décède ex: un mandataire, qui achète en son nom propre des biens avec les capitaux de son mandant, sera présumé trustee par les juges.
3°) Le trust imposé par la loi ( CONSTRUCTIVE TRUST ). Les parties n’ont pas le choix: le trust est imposé par le droit, quelles qu’aient été leurs intentions. Le cas existe pour prévenir la fraude, en cas de conduite indélicate ou en cas d’enrichissement sans cause ex: un individu acquiert un terrain faisant l’objet d’un trust : il devient trustee de ce bien.
4°) Le trust imparfait ( IMPERFECT or INCOMPLETELY CONSTITUTED TRUST ). Par exemple, une personne promet, dans un acte revêtu d’un sceau, une dot, mais ne s’exécute pas. Pour admettre le trust imparfait, le juge examine soigneusement s’il y a une contrepartie, et quelle est sa nature ( CONSIDERATION ).
5°) Le trust secret ( FULLY or HALF-SECRET TRUST ). Par exemple, une personne jouit apparemment, mais à des degrés divers, pleinement de la propriété d’un bien, mais par écrit reconnaît en n’être que le trustee.
6°) Le trust public ou collectif ( PUBLIC TRUST or CHARITABLE TRUST ). C’est la fondation. Les bénéficiaires sont un groupe de personnes, une collectivité identifiée. Les applications sont nombreuses: aide aux déshérités, protection de l’environnement, développement de l’éducation etc. Ce que l’on a du mal à comprendre, c’est que ceux qu’on appelle en France les « administrateurs » de la fondation sont en Angleterre titulaires, à titre personnel, de droits portant sur les biens constitués en fondation. Ils en sont les trustees, obligés de les gérer en conformité avec l’objet de la fondation.
Le trust est généralement irrévocable; l’acte constitutif en précise la durée. Depuis 1958, les juridictions admettent, limitativement, que les pouvoirs d’administration du trustee puissent être étendus en cours d’exécution. Cette institution du trust autorise un très grand nombre d’applications: on l’a vu pour le droit de la famille ou les fondations ( universités, congrégations religieuses, laboratoires de recherche ). Mais elle concerne aussi le domaine de la finance ( gestion d’emprunts, placement d’épargne ), et pour protéger les intérêts des obligataires des sociétés de capitaux et ceux des anciens salariés sous la forme de pension. Le concept de trust prospère encore plus aux Etats-Unis, notamment dans l’immobilier.
La Convention de La Haye sur le trust de 1991, signée par la France, n’a jamais été ratifiée par le Parlement français. La France a élaboré en 1992 un texte sur la fiducie, mais d’une complexité fiscale telle que le gouvernement a renoncé à le présenter aux deux Chambres.
Section 2 : L ‘ Habeas Corpus.
L’expression exacte est « habeas corpus ad subjiciendum », que l’on peut traduire par « que tu aies ton corps pour le présenter devant le juge ». L’Angleterre est certainement le pays d’Europe où les libertés publiques ont été protégées le plus tôt contre le pouvoir du roi, et le système de protection de ces libertés fait généralement l’admiration des juristes du monde entier ( pourtant il n’y a pas de Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen ). Les anglais se défient des Déclarations des Droits qui les laissent sceptiques et même méfiants. Ils sont avant tout pragmatiques: ils préfèrent créer des procédures qui garantissent pratiquement ces droits, plutôt que des textes solennels au contenu abstrait et imprécis. Pour les anglais, on l’a vu, l’adage juridique le plus important est: REMEDIES PRECEDE RIGHTS. L’habeas corpus ( appelé AMPARO dans les Etats latino-américains ) a été adopté par de nombreux pays comme les Etats-Unis, le Brésil, l’Inde, les Philippines, l’Ouzbekistan etc.
La première de ces libertés est la garantie de ne pas être arrêté de façon arbitraire ( FREEDOM FOR ARREST ), car elle conditionne toutes les autres. Cela a donné lieu à la naissance de l’HABEAS CORPUS. Ces termes sont repris du writ moyenâgeux, écrit en latin, dans lequel le roi ordonnait à une personne, dans une certaine procédure, de comparaître et de venir s’expliquer en justice. Cette expression, reprise par la doctrine et le législateur, a donc son origine dans un acte introductif d’instance, ce qui est assez paradoxal. La Grande Charte de 1215, dans son article 39, avait proclamé, solennellement, que nul individu ne devait être emprisonné illégalement de façon arbitraire. Mais la pratique des lettres de cachet subsista jusqu’en 1628. A cette date, la procédure d’habeas corpus a été mise en place, mais de façon très insuffisante. L’étape importante fut l’HABEAS CORPUS ACT de 1679 , complété en 1816. A quoi correspond cette procédure célèbre dans le monde entier ? Tout d’abord c’est une action populaire. N’importe qui, pour le compte d’une personne détenue, peut demander la délivrance d’un writ d’habeas corpus. Nul intérêt personnel à agir n’est requis du demandeur. Ensuite, ce writ d’habeas corpus peut être demandé à n’importe quel juge de la High Court of Justice. Mais seule une DIVISIONAL COURT peut, dans la procédure engagée sur ce writ, se prononcer contre la liberté. La demande est examinée sans délai, toutes affaires cessantes. Parce qu’elle touche aux libertés, cette procédure a priorité sur toutes les autres. Le juge doit délivrer ce writ s’il existe des indices raisonnables que la liberté subit des atteintes injustifiées. Dans les 3 jours maximum, le défendeur doit se présenter devant la cour accompagné de la personne détenue. Si les explications données pour justifier la détention ( RETURN ) n’apparaissent pas satisfaisantes, l’ordre est donné de rendre sa liberté à la personne injustement détenue. Cet ordre est immédiatement exécuté sous la seule réserve, depuis 1940, d’une possibilité d’appel devant la Chambre des Lords. Les sanctions, qui accompagnent le non respect de l’ordre donné par le juge, sont dissuasives. Celui qui n’amène pas son prisonnier devant le juge, qui ne le libère pas immédiatement sur l’ordre du juge, ou qui l’appréhende à nouveau après l’avoir libéré sur ordre du juge, se rend coupable de « mépris de la cour » ( CONTEMPT OF COURT ), et risque, de ce fait, un emprisonnement dont la durée est laissée à la discrétion de la juridiction.
Ce système garantit-il parfaitement la liberté individuelle ? ( Lire : la critique de Lord Justice Simon BROWN ). Evidemment non ; c’est pourquoi, dans beaucoup de pays, l’habeas corpus est resté un modèle théorique. En Angleterre, il ne joue que pour les internements arbitraires. Mais il faut savoir qu’un internement cesse d’être arbitraire s’il est autorisé par le Parlement. Pendant les deux guerres mondiales, le Parlement donna aux autorités administratives les plus larges pouvoirs d’internement, mais les guerres mondiales sont des circonstances exceptionnelles. De nos jours, seules sont légales les formes d’internement suivantes :
1°) la garde à vue. Pour une infraction grave : crime, incendie volontaire, cambriolage, vol qualifié. De 5 à 8 jours, et quelquefois 28 jours;
2°) l’emprisonnement après la sentence prononcée par un juge;
3°) l’internement d’un malade mental;
4°)l’internement d’un mineur de moins de 14 ans, si le tribunal estime qu’il faut le protéger, le contrôler;
5°) l’internement par exercice de l’autorité parentale. Un parent peut enfermer son enfant dans sa chambre.
Ce qui jadis a limité l’habeas corpus, c’est la timidité des juges à l’égard du pouvoir royal. Aujourd’hui, c’est une procédure qui est exceptionnellement utilisée pour sanctionner des abus de l’autorité familiale, ou des extraditions infondées. Le véritable contrepoids à l’arbitraire administratif, de nos jours en Angleterre, est constitué par l’opinion publique et les media. Si l’habeas corpus était réellement indispensable, les écossais l’auraient importé, or ils ne l’ont pas fait. La demande de mise en liberté sous caution est beaucoup plus utilisée. Lorsqu’une personne a été arrêtée arbitrairement, par exemple lorsque la police l’a arrêtée sans mandat, elle peut demander à être libérée sous caution. Si la police refuse, le détenu doit être amené sous 24 heures devant un tribunal de première instance, auquel il peut demander sa mise en liberté sous caution. Si les juges du tribunal refusent, ils doivent l’informer de son droit de demander sa mise en liberté sous caution auprès de la Haute Cour. D’ordinaire, les juges ne refusent de libérer un détenu sous caution que dans les cas d’infractions majeures ( nous dirions graves ), s’il existe un risque que le criminel commette d’autres forfaits, ou cherche à quitter le territoire et à se soustraire à la justice.
Le développement du terrorisme a entraîné le vote par le Parlement, à la demande du Home Secretary, David BLUNKETT, de l’ANTI-TERRORISM, CRIME AND SECURITY BILL en 2001. Ce texte a été souvent dénoncé comme portant une grave atteinte à l’habeas corpus, dans la mesure où il permet qu’un étranger puisse être détenu sur simple demande d’un ministre, sans que la personne connaisse les chefs d’accusation retenus contre elle, et sans qu’aucun frein ne vienne limiter les pouvoirs d’investigation de la police.
Chapitre 5 . LE DROIT PUBLIC ANGLAIS
En matière d’administration, toutes les réformes sont odieuses. LOUIS XI
S.CASSESE, La construction du droit administratif, France et Royaume-Uni, Montchrestien, 2000, 160 pages.
Le grand juriste anglais A.V.DICEY, qui a eu une forte influence sur le droit de son pays, a dit, à la fin du XIXème siècle : « Il n’y a pas de droit administratif en Angleterre parce qu’on n’en a pas besoin ». Il critiquait ensuite, avec virulence, le système juridique français. Et pourtant… Certes, le droit public anglais ne comporte pas de droit constitutionnel au sens du système romano-germanique. Les règles qui gouvernent les organes suprêmes du Royaume-Uni sont des règles de la common law, et des normes législatives qui n’ont pas un rang supérieur à celui des règles régissant les autres branches du droit. La partie du droit anglais qui se rapporte aux problèmes constitutionnels contient une seule règle: le Parlement est souverain, il peut tout faire. Le Parlement ne peut pas se lier pour l’avenir, et ses actes ne sont pas susceptibles d’être contrôlés par une quelconque autorité britannique. Le droit public anglais se réduit donc aux règles qui régissent l’administration. Par commodité, on va l’appeler droit administratif, mais il ne ressemble pas à ce que l’on connaît dans le système romano-germanique. Le droit administratif anglais ( et américain ) se présente, non comme une discipline autonome distincte du droit commun, mais comme un ensemble de dérogations à ce droit commun. Si le droit administratif français permet d’avoir un aperçu des cadres juridiques de l’action administrative, le droit administratif anglo-saxon, au contraire, ne couvre qu’un aspect de cette action, le reste relevant de la common law. Au cours des dernières décennies, on a donc vu, se développer, en Angleterre, une nouvelle branche du droit : l’ADMINISTRATIVE LAW ( droit administratif, faute de mieux ). P.CANE, An Introduction to Administrative Law, Clarendon Law Series, 1996, 442 pages. P.P.CRAIG, Administrative Law, Sweet & Maxwell, 1999, 977 pages. F.J.GOODNOW, Comparative Administrative Law, 2000, 720 pages.
Section 1: L’absence d’un véritable droit administratif.
On comprend mieux la situation anglaise si l’on a à l’esprit que, ni le mot ETAT, ni celui d’ADMINISTRATION, n’appartiennent au vocabulaire traditionnel de la common law. Le droit anglais préfère se référer à la Couronne ( THE CROWN ) et à celle d’autorités publiques ( PUBLIC AUTHORITIES ). On a coutume de dire que le droit administratif anglais est constitué par un ensemble de règles qui se résument à ce que l’on appelle les privilèges ou les prérogatives de la couronne. A la différence de l’Etat, la Couronne, plus personnalisée, ne comporte pas de divisions territoriales comparables à nos régions, départements, communes. Elle s’identifie avec le seul pouvoir central. Les bourgs, paroisses, comtés ont été longtemps considérés comme de simples groupements de personnes auxquels la coutume ou une charte avait octroyé des pouvoirs. Aujourd’hui encore il n’y a pas, dans ce que l’on peut appeler les collectivités locales anglaises, de représentant du pouvoir central. Comtés et districts ont à leur tête des conseils démocratiquement élus, assujettis au droit commun et soumis au contrôle des cours ordinaires qui leur appliquent la common law. La notion de personne morale de droit public n’existe pas. En droit, il n’y a pas de différence entre une commune et une société commerciale. Outre les collectivités locales, les principales personnes morales qui détiennent des attributions administratives sont les corporations créées par la loi, comme la B.B.C. ( British Broadcasting Corporation ). On traduit souvent CORPORATION par « établissement public ».
En Angleterre aujourd’hui, on considère que ne constitue l’Administration que l’administration centrale. Ainsi, les employés des collectivités locales ou des corporations, n’étant pas des serviteurs de la Couronne ( c’est-à-dire des CROWN SERVANTS ), ne sont pas considérés comme fonctionnaires. Même au niveau de l’administration centrale, on n’éprouve pas le besoin d’avoir un droit et des juridictions spéciales. Les anglais appliquent le principe de RULE OF LAW, c’est-à-dire que le droit, qui préexiste au souverain, s’applique à tous de la même façon, et l’on considère que c’est la meilleure protection contre l’arbitraire. Les anglais sont finalement beaucoup plus égalitaristes que les français héritiers de la grande Révolution de 1789. Par conséquent, on n’est pas surpris de constater, qu’en Angleterre, les contrats et les biens de l’administration sont régis par la common law. Les fonctionnaires anglais ( CIVIL SERVANTS ) obéissent au droit commun. Quant à leur responsabilité, on ne distingue pas faute de service et faute personnelle. En réalité pour les anglais, ne constituent vraiment l’Administration que l’élite peu nombreuse des hauts fonctionnaires ( ADMINISTRATIVE CLASS ). Les autres sont plutôt considérés comme des employés de la couronne.
Section 2: Le développement de l’Administrative Law.
Lire : X.LEWIS, L’influence du droit communautaire sur le droit administratif anglais, A.J.D.A. numéro spécial, Juin 1986, p.124.
L’administrative law se distingue du droit administratif en ce qu’elle ne vise, ni à décrire les institutions administratives ce qui relève de la PUBLIC ADMINISTRATION plutôt que du droit, ni à exposer les principes d’un droit propre à l’administration, puisqu’il n’existe pas. L’objet de l’administrative law est seulement de définir les moyens par lesquels l’administration peut entrer en rapport avec les particuliers, de déterminer le contrôle juridictionnel auquel elle est soumise, et de fixer les règles applicables en cas de poursuites dirigées contre la Couronne.
Remarquons tout d’abord la multiplicité et la variété des « autorités administratives ». A côté du CENTRAL GOVERNMENT ( les ministères ), il y a le LOCAL GOVERNMENT déjà évoqué, la police, les PUBLICS CORPORATIONS, et toutes sortes d’organismes aux noms les plus divers, commodément désignés sous le terme QUANGOS ( QUASI AUTONOMOUS NON GOVERNMENT ORGANISATIONS ), qui ont été créés pour mettre en œuvre les lois de l’Etat-Providence. L’administrative law détermine leur organisation, leur fonctionnement, leurs pouvoirs ( y compris en matière réglementaire puisqu’ils constituent une source importante de DELEGATED LEGISLATION ), leurs obligations et les procédures qu’ils doivent respecter. Les BOARDS et les QUANGOS sont des démembrements de l’Etat dont l’origine et la nature sont très variés. La plupart sont récents. On peut citer quelques exemples pour montrer cette variété :
BRITISH COUNCIL. C’est une institution très connue des étrangers, créée en 1934 pour développer les relations culturelles du Royaume-Uni à l’étranger. A l’origine, il y avait une initiative privée qui fut en quelque sorte nationalisée, en raison des importantes subventions qu’elle était obligée de demander à l’Etat.
UNIVERSITY GRANTS COMMITTEE. C’est un organisme qui n’a pas d’équivalent en France et qui, dirigé collégialement, répartit les subventions entre les universités ( elles-mêmes institutions aux statuts très variés ).
AGRICULTURAL MARKET BOARDS. Ces organismes ont été créés, après 1945, pour gérer les marchés agricoles. Ils ressemblent, en France, à l’O.N.I.C. ( Office national interprofessionnel des céréales ).
REGIONAL HOSPITAL BOARDS. Ils ont été créés, après 1945, pour gérer les hôpitaux à l’échelon régional.
Chacun a un statut particulier. Il y a toutefois des points communs entre eux: la direction est généralement collégiale, et l’autonomie est assez large. Les QUANGOS sont très critiqués ; on leur reproche d’échapper au contrôle du Parlement, et aux règles du CIVIL SERVICE ( fonction publique ) et de la comptabilité publique.
L’administrative law institue aussi les différents contrôles auxquels est soumise l’action administrative. Outre le contrôle politique du Parlement ou des autorités élues, il y a le contrôle de l’ombudsman, le PARLIAMENTERY COMMISSIONNER OF ADMINISTRATION, mais aussi celui des ADMINISTRATIVE TRIBUNALS et des cours ordinaires. Nous savons déjà que les administrative tribunals n’ont rien à voir avec nos tribunaux administratifs. Depuis 1971, ils sont placés sous la surveillance d’un conseil national: le COUNCIL ON TRIBUNALS. Ces « administrative tribunals » sont des organismes administratifs qui exercent des fonctions juridictionnelles ou quasi juridictionnelles, et qui sont moins formalistes, moins coûteux, plus rapides et plus compétents techniquement que les juridictions. Les décisions qu’ils prennent s’apparentent parfois à des arbitrages, et interviennent dans de multiples domaines : en matière militaire, en matière immobilière ( location, copropriété etc. ), en matière économique ( droits d’auteurs, brevets et marques, transports etc. ), en matière fiscale, et surtout en matière sociale ( pensions, gestion des hôpitaux, sécurité sociale etc. ). Dans leur activité quasi contentieuse, ils sont soumis au contrôle des cours, plus précisément de la High Court of Justice. Les juges ont tendance à élargir leur contrôle, direct ou indirect, sur les administrative tribunals, dont les décisions sont de plus en plus nombreuses.
Font enfin partie de l’administrative law, l’ensemble des règles qui concernent les poursuites dirigées contre la Couronne ou ses représentants, c’est-à-dire les fonctionnaires des ministères. Pendant longtemps cette action fut impossible car « le roi ne peut mal agir » ( THE KING CAN DO NO WRONG ). On admettait seulement qu’un CIVIL SERVANT ( fonctionnaire ) ait agi « ultra vires » ( en excédant ses pouvoirs ), qu’il ait mal appliqué les ordres, ou qu’il se soit comporté de manière non conforme au droit. Il était alors permis d’engager la responsabilité personnelle de cet agent, mais la Couronne n’avait pas l’obligation de réparer le préjudice, car la notion de faute de service était inconnue. Comme on peut l’imaginer, le système n’était pas satisfaisant aussi, dès le Moyen-Age, on trouva une solution: la PETITION OF RIGHT. La personne, n’ayant aucun droit d’agir devant les cours royales contre la Couronne, pouvait demander à celle-ci , en grâce, de se laisser juger comme un citoyen ordinaire; elle adressait au roi une humble pétition. D’autres palliatifs, plus compliqués les uns que les autres, avaient été inventés pour remédier à cette situation choquante d’immunité totale de l’Etat. Finalement, une loi fut votée en 1947: le CROWN PROCEDING ACT. Ce texte permet d’agir directement contre la Couronne pour mettre en jeu sa responsabilité en se fondant sur le droit des TORTS, c’est-à-dire des délits civils. Malgré leurs très larges pouvoirs, les juridictions anglaises sont parfois désarmées et appellent au secours le Parlement.
La personne qui veut agir en justice contre une autorité administrative dispose tout d’abord de recours qui peuvent être dirigés seulement contre la personne publique. Ces recours, fondés sur la common law et appelés PREROGATIVE ORDERS, sont au nombre de 3, et désignés par des mots latins :
1°) certiorari = action en annulation d’une décision d’une autorité publique ;
2°) prohibition = action tendant à obtenir une injonction de ne pas faire, car l’autorité est incompétente;
3°) mandamus = action tendant à obtenir une injonction de faire à l’encontre d’une administration.
Cette personne dispose aussi de voies de recours, qui sont des actions en justice de droit commun, et qui peuvent être dirigées indifféremment contre une personne privée ou une autorité publique. Ces recours sont les suivants:
1) INJONCTION = action tendant à obtenir une injonction de ne pas faire;
2) DECLARATION = action tendant à faire établir une situation juridique contestée.
Depuis une réforme de 1981, une seule requête, appelée « demande de contrôle judiciaire » ( APPLICATION FOR JUDICIAL REVIEW ), permet d’introduire un ou plusieurs des recours énumérés ci-dessus. Quelques règles de procédure sont devenues, de ce fait, communes à ces recours. Le délai pour agir est de 3 mois, et il suffit d’avoir un intérêt légitime pour agir.
Echappent au contrôle juridictionnel, d’une part les actes réglementaires pris par le pouvoir exécutif en vertu d’une habilitation législative, et d’autre part un certain nombre d’actes, comparables à nos actes de gouvernement, qui ne peuvent être soumis à un contrôle des juridictions ( ACTS WICH CANNOT BE REVIEWED ): l’élaboration des traités, le droit de grâce, l’attribution de décorations, la dissolution du Parlement, la nomination des ministres etc.
Lorsqu’un particulier peut invoquer l’atteinte portée à un droit subjectif, protégé par le droit privé et non pas un simple intérêt légitime protégé par le droit public, il peut utiliser, aujourd’hui encore, toutes les actions en justice du droit commun, notamment l’injonction ou l’action déclaratoire. Contre les décisions du ministre statuant en matière contentieuse, et contre les décisions des administrative tribunals, la loi a prévu une voie de recours spéciale devant la High Court of Justice: c’est l’appel sur les questions de droit ( APPEAL ON POINT OF LAW ).
Il sont essentiellement de deux ordres.
A . L’obligation de ne pas excéder les pouvoirs légaux.
Selon la common law, une autorité administrative ne doit pas excéder les pouvoirs que la loi ou la common law lui confère, sinon l’acte est entaché d’excès de pouvoir ( ultra vires ). Il existe beaucoup de causes d’annulation, et les juridictions peuvent, librement, en ajouter de nouvelles. L’autorité ne doit donc pas outrepasser ou méconnaître ses compétences légales ( JURIDICTION ). Elle doit également exercer son pouvoir discrétionnaire de façon raisonnable ( REASONNABLE ): c’est le principe de WEDNESBURY. Il faut aussi que l’autorité se fonde sur des faits exacts, respecte le contradictoire et les règles de procédure, ne se laisse pas conduire par des considérations étrangères à sa mission, ou suive une ligne de conduite trop rigide. La prise d’intérêt est également un cas d’annulation. Sinon elle commettrait un abus de pouvoir discrétionnaire ( ABUSE OF DISCRETION ), sanctionné par la procédure de CONTROL OF DISCRETION
En vertu de l’equity, une autorité administrative a l’obligation de procéder selon les principes de la « natural justice », même lorsqu’elle exerce une prérogative royale ou un pouvoir discrétionnaire. Qu’est-ce que la natural justice? L’autorité administrative doit être impartiale ( BIAS ), c’est-à-dire ne pas avoir pris position sur le problème en cause, ou ne pas y avoir un intérêt personnel. Elle doit suivre une procédure loyale ( FAIRNESS ), et le plus souvent respecter le droit à être entendu. En revanche, l’autorité administrative n’a pas, en principe, à motiver sa décision, sauf pour le ministre statuant au contentieux et pour les administrative tribunals. On peut dire que la justice naturelle contient des règles de forme et de procédure. Cela consiste, par exemple, à respecter la règle « audi alteram partem » ( écoute l’autre partie ), c’est-à-dire respecter la procédure contradictoire, les droits de la défense.
Section 3 : L’enquête publique ( PUBLIC INQUIRIES, LOCAL INQUIRIES, PUBLIC HEARINGS ).
C’est une procédure qui a presque 50 ans en Angleterre, et qui a servi de modèle à la France. L’enquête publique est une procédure qui intervient dans l’élaboration d’une décision administrative classique prise par le ministre, une autorité locale ou un établissement public. Cette décision est prise après une enquête publique et contradictoire menée, auprès des personnes intéressées, par un inspecteur. Celui-ci fait des recommandations qui ne sont pas contraignantes ( ex: pour la construction d’un nouvel aérodrome ). L’origine remonte à la célèbre affaire de CRICHEL DOWN qui provoqua la création d’un Comité présidé par Sir Oliver FRANK. A la suite des travaux du FRANK’S COMMITTEE, une loi créant les enquêtes publiques fut votée ( TRIBUNALS AND INQUIRIES ACT de 1958 ), complétée en 1966 et 1971 notamment. Dans ces enquêtes publiques, l’administration doit respecter 3 principes :
1°) OPENNESS = ouverture, transparence;
2°) FAIRNESS = loyauté;
3°) IMPARTIALITY = impartialité.
Un des moyens d’y parvenir est de respecter une procédure contradictoire. Ces enquêtes publiques ne doivent pas être confondues avec les commissions d’enquête qui peuvent être créées par le Parlement à la suite d’un scandale ou d’une catastrophe, ni avec les commissions royales d’enquête constituées pour proposer des réformes. L’enquête publique sert, soit à élaborer une décision, soit à trancher un conflit entre les particuliers, ou entre les particuliers et une autorité locale. Elle est toujours possible même si aucun texte ne la prévoit. Un texte peut la prévoir obligatoirement ou facultativement. On en trouve dans les domaines suivants : expropriation, urbanisme et construction, construction de centrales électriques, aérodromes, cimetières, démolition d’immeubles insalubres, protection des sites et parcs nationaux etc. Il y en a entre 10.000 et 15.000 par an. L’inspecteur qui enquête, siège dans un lieu public, aidé d’un conseiller juridique. Il a en face de lui les plaignants ou les personnes intéressées, l’administration qui a déposé le projet, et le public qui peut poser des questions. Cela se déroule un peu comme un procès. Puis, ayant entendu tout le monde, l’inspecteur rédige un rapport avec ses recommandations, qui est communiqué à tous les intéressés. Si un témoignage nouveau, un avis nouveau ou un fait nouveau interviennent, il faut rouvrir l’enquête. En fait, l’inspecteur ( ou parfois la commission d’enquête composée de 3 à 5 personnes ) est suivi dans 95 % des cas. Cette procédure d’enquête publique coûte cher. Les particuliers peuvent se faire rembourser leurs frais s’ils gagnent. Les délais ont tendance à s’allonger. Aussi la raccourcit-on en la rendant écrite, si les intéressés sont d’accord. Les inspecteurs sont en général très indépendants. Les décisions prises après enquête publique doivent être motivées.
Il existe un organe qui chapote les enquêtes publiques et les Administrative Tribunals, c’est le COUNCIL ON TRIBUNALS. La création de cet organisme avait été suggérée par le FRANK’S COMMITTEE. Il joue un rôle important dans la vie administrative anglaise depuis 1958. Il est composée de 10 à 15 membres nommés par le Lord Chancelier. Sa compétence est double : d’une part surveiller l’activité de l’ensemble des Administrative Tribunals, d’autre part examiner les difficultés dont le Lord Chancelier le saisit. Il n’a pas de pouvoir de décision: il donne des avis et fait des propositions. Les particuliers peuvent aussi le saisir. Il rédige chaque année un rapport transmis au Parlement. Il s’agit donc d’une sorte de comité des sages qui joue le rôle de chien de garde ( WATCH DOG disent les anglais ). Comme le remarque le professeur WADE : « C’est un chien de garde qui aboie mais qui ne mord pas ». Le Council on Tribunals se réunit au moins une fois par mois, et n’a qu’un secrétariat très léger.
CONCLUSION
Pour conclure ce rapide survol du droit anglais, fondateur de la famille de la common law, il convient de rappeler et dénoncer un certain nombre d’idées reçues erronées. Le droit anglais n’est pas un droit coutumier, n’a jamais été un droit coutumier, sinon avant 1066. Pourquoi cette erreur est-elle si répandue? Parce que pour un juriste continental tout ce qui n’est pas droit écrit fondé sur la loi et les codes est droit non écrit, donc coutumier. On ne le répétera jamais assez: le droit anglais est JURISPRUDENTIEL. La loi n’est certes pas une source principale du droit ; c’est une source secondaire, mais non négligeable puisque, comme en France, « nul n’est censé ignorer la loi » ( IGNORANCE OF THE LAW IS NO DEFENCE ). Elle régit des pans entiers de la société, notamment en matière sociale. Il n’en demeure pas moins que la loi, en droit anglais, ne ressemble pas à la loi du système romano-germanique. Elle formule rarement des règles ayant une portée générale; elle est plus casuistique. En effet, les anglais sont déconcertés par nos lois; elles leur paraissent souvent être des principes généraux, exprimant des aspirations morales ou établissant un programme politique, plutôt que des règles de droit. Les anglais recourent presque systématiquement au juge unique, se montrant en cela moins timorés que beaucoup de pays du système romano-germanique, en particulier la France. Mais ils s’interdisent cette commodité pour les décisions d’appel, qui sont presque toujours rendues par des juridictions collégiales. La règle du précédent est certes fondamentale en droit anglais, mais elle n’est pas appliquée aveuglément, et n’entrave pas l’évolution du droit. Elle ne fait pas plus obstacle à cette évolution que la codification pour nos droits continentaux. La règle du précédent donne des cadres au droit anglais. Elle n’empêche pas son évolution, opérée en utilisant la technique des distinctions et parfois le revirement. En définitive, on s’aperçoit qu’en Angleterre, comme chez nous, il y a des branches du droit stables et d’autres qui le sont moins ; il y a des juges ouverts aux changements et d’autres qui sont plus conservateurs.
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