Cours de droit de la Responsabilité

RESPONSABILITÉ DÉLICTUELLE

    Le droit de la responsabilité recouvre l’ensemble des règles de responsabilité qui peuvent être de nature civile, pénale ou administrative.

Le droit de la responsabilité civile fait partie du droit des obligations et recouvre l’ensemble des règles relatives aux obligations qui naissent sans la volonté des parties, à la différence du droit des contrats.

INTRODUCTION AU DROIT DES OBLIGATIONS

          Le droit des obligations est la partie du droit civil qui régit les rapports unissant un créancier et une débiteur. Elle comprend le droit du contrat (les obligations contractuelles) et le droit de la responsabilité (obligations délictuelles).

  

SECTION I – LA NOTION D’OBLIGATION

          Au sens courant, l’obligation est un devoir, une contrainte. En ce sens on va parler d’obligation morale, familiale, professionnelle, mondaine.

         Au sens boursier, l’obligation est un titre tout comme l’action. Elle permet le versement d’un intérêt fixe. Ce sens est le plus technique, il est utilisé en droit financier.

        Au sens juridique, l’obligation est un lien de droit unissant le créancier au débiteur.

 

         Le droit objectif consacre les droits subjectifs qui sont les prérogatives accordées aux sujets de droit. Ces droits subjectifs sont classés par les juristes pour être mieux appréhendés. Il y a une « summa divisio » à laquelle aucun droit subjectif n’échappe, il s’agit de la distinction entre les droits patrimoniaux et extra patrimoniaux. Alors que les droits extra patrimoniaux n’ont pas de valeur pécuniaire, les droits patrimoniaux, eux, sont des éléments de richesse, ils font partis du patrimoine de leur titulaire. Les droits patrimoniaux font eux-mêmes l’objet d’une classification dans laquelle on distingue notamment les droits réels et les droits personnels. Les droits réels sont ceux qui unissent une personne à une chose (ex, le droit de propriété). Les droits personnels sont également appelés droits de créance, ils sont ceux qui unissent une personne à une autre. Plus précisément, le droit personnel permet à une personne, que l’on appelle le créancier, d’exiger quelque chose d’une autre personne, le débiteur. Ce rapport qui unit ces 2 personnes se nomme « rapport d’obligation ». L’obligation se définie comme le lien de droit unissant le créancier au débiteur. Puisqu’elle est un lien entre les deux, elle peut donc s’observer du côté de chacun. Ainsi, l’obligation a un aspect passif du côté du débiteur, il est en effet titulaire d’une dette. Elle possède également un aspect actif du côté du créancier qui bénéficie d’une créance. 

 

SECTION II – LES CLASSIFICATIONS DES OBLIGATIONS

 

         L’intérêt juridique des classifications est que chaque type d’obligation est régi par des règles spécifiques. Il existe 3 types principaux de classifications selon la force de l’obligation, selon sa source et selon son objet.

 

 

  • 1 – La classification des obligations selon leur force contraignante

 

         Les juristes mettent à part les obligations naturelles qu’ils distinguent des obligations civiles. L’obligation civile est celle assortie d’une sanction, c’est à dire une obligation que le créancier peut contraindre son débiteur à exécuter en exerçant une action en justice. L’obligation civile est ainsi susceptible d’exécution forcée. A l’inverse l’obligation naturelle est celle que le créancier ne peut pas contraindre son débiteur à exécuter, elle est donc sans sanction juridique, c’est un devoir de conscience, une obligation morale. Ces obligations naturelles existent là où la loi ne consacre aucune obligation civile mais où la morale en exige une.

 

  • 2 – La classification des obligations selon leur source

         La source est l’évènement qui donne naissance à l’obligation. Exemples: l’emprunteur doit rembourser la somme prêtée, la source de son obligation est le contrat de prêt / l’automobiliste qui a blessé un piéton doit l’indemniser, la source de son obligation est l’accident dont il est à l’origine. Pour souligner la diversité des sources des obligations, J.Carbonnier disait « on peut être obligé aussi bien pour avoir donné sa signature que pour ne pas avoir donné un coup de frein ». Cela explique que le Code civil distingue les obligations conventionnelles et les engagements qui se forment sans convention. Les juristes contemporains ont conservé cette classification mais en l’affinant et en la renommant.

 

A – Les obligations de sources volontaires

 

         L’obligation peut naitre d’une volonté commune, celle du créancier et du débiteur. Ils s’entendent pour créer un lien de droit entre eux. C’est ce que l’on appelle l’obligation conventionnelle, sa source la plus commune est le contrat. L’obligation peut naitre de la seule volonté du débiteur, dans ce cas on parle d’engagement unilatéral, c’est une source d’obligation que le code civil ignorait. La source volontaire de ces deux obligations s’appelle l’acte juridique. On définit l’acte juridique comme tout acte accomplit volontairement en vue de produire des effets de droit.

 

B – Les obligations de sources non volontaires

 

         Ces obligations prennent leur source indépendamment de la volonté du débiteur, ce sont les faits juridiques qui les produisent.

 

1 – Les obligations résultant de la loi

 

         Ces obligations légales se forment involontairement. Exemples: l’obligation alimentaire prévue par la loi entre parents et enfants / les obligations entre les propriétaires voisins (servitude de voisinage).

 

2 – Les obligations résultant d’un fait personnel

  1. a) les quasis contrats

 

Arts 1371 à 1381. Les quasi contrats sont des faits volontaires licites, qui engendrent des obligations prévues par la loi sans qu’il y ait accord de volonté. La gestion d’affaires et la répétition de l’indu sont deux cas envisagés par le code civil. La jurisprudence en a ajouté un troisième: l’enrichissement sans cause. Exemple: (dans la gestion d’affaires, une personne s’est occupée spontanément des affaires d’une autre) un propriétaire est absent et sa maison et potentiellement en ruines, son voisin prend l’initiative de la réparer. Dans ce cas, des obligations naissent de ce quasi contrat; celui qui agit est le gérant d’affaires, il est tenu de continuer cette gestion. Celui dans l’intérêt duquel il a agi, le maitre de l’affaire, est obligé d’indemniser le gérant de toutes ses dépenses utiles.

 

  1. b) les délits et quasi délits

 

         Arts 1382 à 1386-18. Les délits et quasi délits sont des faits illicites et dommageables qui entrainent une obligation de réparation à la charge de leur auteur. Il s’agit, dans la plupart des cas,  d’une obligation de verser des dommages et intérêts à la victime. La différence entre délit et quasi délit se situe dans l’intention, le délit est intentionnel alors que le quasi délit ne l’est pas, le dommage a été causé par imprudence ou négligence.

 

         Conclusion B

 

         Ces obligations de sources involontaires proviennent des faits juridiques, elles naissent indépendamment de la volonté. Un fait juridique est un événement volontaire ou non qui produit des effets de droit prévus par la loi indépendamment de la volonté des intéressés. Certains faits juridiques peuvent être volontaires, c’est le cas du délit et de la gestion d’affaires mais l’obligation qu’ils font naitre est de source non volontaire.

 

         Synthèse § 2

 

         Les actes juridiques sont la source des obligations volontaires, obligations qui peuvent être contractuelles, conventionnelles ou bien naitre d’un engagement unilatéral. Les faits juridiques sont la source des obligations involontaires qui peuvent être délictuelles, quasi délictuelles, quasi contractuelles ou légales ou sens strict.

 

  • 3 – Les classifications des obligations selon leur objet

 

         L’objet de l’obligation désigne ce à quoi le débiteur est tenu envers le créancier.

 

A – Les obligations de donner, de faire ou de ne pas faire

 

         Art 1101. Les obligations de donner et de faire ont pour objet une prestation positive alors que l’obligation de ne pas faire a pour objet une abstention.

 

1 – L’exposé de la distinction

  1. a) l’obligation de donner

 

         C’est l’obligation de transférer la propriété d’une chose, peu importe que ce soit à titre gratuit ou à titre onéreux. Cette obligation est rare en droit français, son domaine est restreint car elle n’existe pas lorsqu’il s’agit d’un corps certain, c’est à dire lorsqu’il s’agit de choses individualisées (ex: voiture de collection). En effet, la propriété de corps certains se transmet automatiquement à l’acquéreur par l’effet de l’accord des volontés. Cette obligation de donner n’existe que dans les contrats portant sur une chose de genre, c’est à dire une chose déterminée seulement en quantité et en quotité (ex: voiture de série). La propriété, dans ce cas, n’est transférée que lorsque la chose sera individualisée.

 

  1. b) l’obligation de faire

 

         Elle a pour objet une prestation positive autre qu’un transfert de propriété. Son domaine est très vaste, il comprend toutes les prestations matérielles et intellectuelles.

 

  1. c) l’obligation de ne pas faire

 

         Elle a pour objet une abstention, le débiteur doit donc s’abstenir de certains actes qu’il pourrait accomplir (ex: l’obligation de non concurrence, de confidentialité). 

 

2 – L’intérêt de la distinction

 

         Le principal intérêt de cette distinction était traditionnellement lié au régime car en vertu de l’art 1142, les obligations de faire ou de ne pas faire sont insusceptibles d’une exécution forcée en nature. Cela signifie qu’on ne pouvait contraindre le débiteur à les exécuter, elles pouvaient simplement donner lieu à une exécution par équivalence sous forme de dommages et intérêts. Cet intérêt s’est amenuisé car l’on estime que toutes les obligations de faire ou de ne pas faire sont susceptibles d’obligation forcée, elles peuvent donner lieu à une condamnation sous astreinte ou à une mesure de cessation sous astreinte pour les obligations de ne pas faire. Cela limite la portée de 1182, certains considèrent qu’il devrait être réécrit pour tenir compte de la jurisprudence. Dans son art 1154, le rapport Catala dit « l’obligation de faire s’exécute, si possible, en nature ». Les Principes Européens de Droit des Contrats, dans leur art 9-102, énoncent « le créancier d’une obligation autre que de sommes d’argent a le droit d’exiger l’exécution en nature ».

 

B – Les obligations de résultats et de moyens

1 – L’exposé de la distinction

 

         Cette distinction est créée par la doctrine. L’obligation est de résultats lorsque le débiteur s’est engagé à obtenir un résultat déterminé qu’il est tenu d’atteindre. A l’inverse, l’obligation est de moyens lorsque le débiteur a promis d’employer les meilleurs moyens possibles et d’agir avec le maximum de prudence et de diligence en vue d’obtenir un résultat mais sans pouvoir le garantir.

 

2 – L’intérêt de la distinction

 

         Cet intérêt se manifeste en matière de preuve nécessaire pour engager une éventuelle responsabilité du débiteur. Quand le débiteur est tenu d’une obligation de résultats, il est à priori responsable si le résultat n’est pas atteint, pour échapper à cette responsabilité se sera au débiteur de prouver que l’inexécution ne lui est pas imputable mais qu’elle provient d’un cas de force majeure. On dit alors que sa faute est présumée du fait de l’inexécution. Quand le débiteur est tenu d’une obligation de moyens, il ne sera responsable que s’il n’a pas agi avec toute la prudence et toute la diligence requis. Dans ce cas, ce sera au créancier de le prouver.

 

3 – Le domaine de la distinction

 

         Cette distinction concerne les obligations de faire parce que les autres obligations, celles de donner et de ne pas faire, sont nécessairement des obligations de résultats.

 

C – Les obligations en nature et pécuniaires

1 – Les obligations en nature

 

         Elles forment une catégorie large à la fois hétérogène et résiduelle, ce sont toutes les obligations dont l’objet n’est pas une somme d’argent. Sont donc des obligations en nature les obligations de faire et de ne pas faire et aussi l’obligation de donner une chose de genre autre que de la monnaie. Cette obligation est insensible à la dépréciation monétaire.

 

 

2 – Les obligations pécuniaires

 

         Elles sont une variété de l’obligation de donner et plus précisément, elles consistent dans l’obligation de transférer la propriété d’une certaine somme d’argent. Les obligations pécuniaires présentent 2 caractéristiques communes: l’exécution forcée est simple, elle s’effectue par la saisie des biens du débiteur. Elles sont soumises aux variations monétaires et se déprécient en fonction de la monnaie. Pour éviter cette dépréciation on utilise les clauses d’indexation qui sont strictement règlementées par la loi.

 

SECTION III – LES SOURCES DU DROIT DES OBLIGATIONS

 

         Il ne s’agit plus de la source de l’obligation elle-même, il s’agit des sources du droit des obligations. Les sources du droit se multiplient et s’entrecroisent, il y a pluralisme des sources qui est lié à la pluralité des ordres juridiques.

 

  • 1 – Les sources textuelles

 

         La source textuelle principale du droit des obligations est une source légale mais, au cours du XX siècle, les sources textuelles se sont multipliées. On entend par sources textuelles des sources écrites et officielles.

 

A – Les sources internes

 

         Le droit des obligations trouve sa source dans le code civil, à partir du titre III (art 1101). Il existe également de nombreuses lois qui n’y sont pas répertoriées. On trouve aussi des statuts particuliers prévus par d’autres codes. Les décrets sont également une source interne du droit.

 

B – Les sources européennes

 

         Il s’agit de directives dont la transposition en droit français est assez rapide. On observe que les directives, même avant leur transposition, peuvent être prises en compte par les juges nationaux.

 

  • 2 – Les sources jurisprudentielles

         Sur le plan interne, la jurisprudence de la Cour de cassation est une des sources majeures du droit de la responsabilité qualitativement et quantitativement. Cette construction jurisprudentielle a permis d’adapter les textes du code civil aux changements sociaux et économiques. Exemple: l’article 1384 alinéa 1 à partir duquel la jurisprudence a construit différents régimes alors qu’en 1804 il s’agissait d’un texte purement formel. Certains arrêts de la CC et de la CEDH ont aussi une influence sur le droit de la responsabilité.

 

  • 3 – Les autres sources

A – La doctrine source de la théorie générale du droit des obligations

 

         La doctrine est une source de droit mais pas au même titre que la loi et la jurisprudence. Alors que lois et jurisprudence sont des sources de droit positives, la doctrine produit une réflexion sur les règles, sur le droit. En droit des obligations elle est importante puisque la théorie générale y tient une grande place. Exemples: les développements sur les fondements du droit des contrats et du droit de la responsabilité et les développements sur les notions.

 

 

 

B – Les sources de droit souple

 

         Le droit souple est un droit non obligatoire et non sanctionné (soft law), en droit interne des obligations, il se manifeste par des recommandations d’autorités administratives indépendantes (ex: recommandations de la commission des clauses abusives, les avis de la cour de cassation, les barèmes d’indemnisation des préjudices). En droit européen, il se manifeste à travers les principes européens du droit des contrats, ces principes sont le fruit d’un travail de mise en ordre, d’harmonisation des différents droits européens dans l’optique de servir de base à un futur code européen de droit des contrats. On trouve également en droit européen les principes européens de droit de la responsabilité civile. En droit international, on trouve les principes unidroit qui sont des principes du droit international commercial. Ces principes de droit souple n’ont pas de force obligatoire mais ils peuvent servir de référence et à ce titre, exercer une influence unificatrice.

 

  • 4 – Les projets concernant le droit des obligations

A – En droit communautaire: des projets de codes

 

         Au sens le plus large il s’agit d’un projet de code civil européen. De manière plus précise, certains juristes travaillent pour un code européen des obligations et pour un code européen des contrats. Il ne s’agirait pas de faire un code uniforme pour tous les pays européens mais d’un code d’harmonisation des différents droits présents dans l’UE.

 

B – En droit interne des avants projets de réforme du code civil

 

         Le premier a été remis en 2005, il s’agit du rapport Catala qui constitue un avant-projet de réforme portant tout particulièrement sur le droit des obligations et le droit des contrats. Sur le plan formel, le rapport Catala procède à une refonte du code civil en matière de droit des contrats, sur le fond, il s’agit de la mise à jour du code civil pour qu’il redevienne le code des contrats. Les autres sont le projet de la Chancellerie de 2008 et le projet Terré qui ne portent que sur le droit des contrats, ils sont plus ouverts à l’influence européenne.

 

L’importance du droit des obligations est:

  • quantitative: c’est la branche du droit dont l’application est la plus fréquente aussi bien dans la vie quotidienne que dans le contentieux.
  • qualitative: c’est un droit matriciel, il fournit de nombreux principes de droit privé, principes applicables non seulement en droit civil mais également au droit des affaires, au droit du travail et même au droit administratif.

LIVRE I – LA RESPONSABILITÉ

 La responsabilité est présentée comme « la condition de notre humanité ». La responsabilité constitue une question à la fois universelle et omniprésente comme la question de la liberté et de la justice.

 

TITRE I – THÉORIE GÉNÉRALE DE LA RESPONSABILITÉ

CHAPITRE I – LA NOTION DE RESPONSABILITE

SECTION I – L’APPROCHE SEMANTIQUE

  • 1 – L’évolution des termes « responsable » et « responsabilité »

A – L’origine étymologique

          Ces 2 termes viennent du latin « responsare »  (faire face) et respondere (faire une réponse ou se montrer digne de …). Le verbe « respondere » a donné « sponsor » (celui qui s’engage à accomplir une prestation en donnant une réponse positive) et « responsor » (caution). On remarque que le terme répondre est lié à l’engagement et à l’idée de se tenir garant des événements à venir. A l’origine répondre n’impliquait aucunement la faute ni même le fait de la personne assujettie. 

 

B – L’évolution historique

1 – L’apparition première du terme « responsable »

          Le terme « responsabilis » n’apparait pas dans les dictionnaires latins, ses premières traces remontent au Moyen Age vers 1300 et plus précisément en 1284 selon le dictionnaire étymologique de la langue française « responsable »: dérivé savant de « responsus », participe passé de « respondere », au sens de se porter garant. Au XV siècle le dictionnaire de Godefroy rapporte 3 sens au mot responsable: 1/ qui sert de réponse, 2/ admissible en justice, 3/ qui peut résister. Sous l’ancien régime, le terme devient assez habituel par l’intermédiaire de « responsum » qui dérive de « respondere ». Lorsque le terme apparaît dans la langue française, il s’attache à la personne à laquelle il incombe de donner une réponse, née ainsi l’expression d’une personne responsable.

 

2 – L’apparition tardive du terme responsabilité

          Il n’apparait ni en droit romain ni dans les dictionnaires anciens de la langue française, il apparaît en 1783 dans les langues européennes. Dans le même temps né irresponsabilité (1786) et irresponsable (1791). L’académie le reconnaît et l’admet dans le dictionnaire de la langue française en 1798 par l’académie française. Aujourd’hui la responsabilité est définie comme « l’obligation de répondre, d’être garant de certains actes ». Cette définition amène plusieurs observations: elle est proche de l’étymologie mais ajoute la notion d’obligation, elle ne fait pas allusion à la faute, et ne fait pas de distinction dans le temps.

 

  • 2 – Polysémie des termes « responsable et « responsabilité »

A – Dans le langage courant

          Le mot responsable peut désigner une personne ou une attitude. Responsabilité peut se décliner au singulier ou au pluriel. Ces termes peuvent se décliner avec les verbes être et avoir. Différentes expressions: être responsable de quelque chose, de quelqu’un, du fait de quelqu’un c’est à dire responsable des dommages qu’il a causé.

 

 

 

B – Dans le langage philosophique

 

         L’expression « je suis responsable » a 2 sens: je suis la source, la cause dans une logique d’imputation / je réponds des conséquences, des effets. En outre, la responsabilité peut désigner une capacité ou une obligation.

 

C – Dans le langage juridique

 

         On trouve 3 déclinaisons classiques en droit de la responsabilité: être responsable de son fait personnel (de sa faute), être responsable du fait d’autrui, être responsable du fait des choses. En droit pénal, être responsable est en corrélation avec être coupable, être fautif. En droit civil être responsable ne suppose pas forcément la faute mais cela implique de répondre des conséquences des dommages causés, d’où l’obligation de réparer. Actuellement la responsabilité civile est source de l’obligation juridique de réparer, elle pourrait aussi devenir source d’un devoir d’anticiper.

 

Conclusion

 

         L’étymologie et de manière plus large l’approche sémantique donne au terme responsabilité un sens doublement large: d’une part un sens moralement neutre c’est à dire qui n’implique pas nécessairement la faute de la personne responsable. Pourtant ce sens n’était pas celui de la responsabilité civile au XIX qui corrélé la responsabilité à la faute mais, c’est devenu le sens de la responsabilité au XX, puisque de nos jours, on peut être civilement responsable sans avoir commis de fautes. D’autre part, un sens temporellement ouvert qui peut être tourné vers le passé mais aussi vers l’avenir, ce n’est pas le sens actuellement retenu par la majorité des juristes, la majorité définie

La responsabilité civile comme l’obligation de réparer les dommages causés. Un courant émergent propose que la responsabilité se tourne également vers l’avenir et qu’elle ne soit plus seulement curative mais aussi une responsabilité préventive.

 

SECTION II – L’APPROCHE TRANSDISCIPLINAIRE DE LA RESPONSABILITE

 

         La notion de responsabilité est au cœur de nombreux débats actuels. La réflexion des philosophes, des hommes de science, des économistes, ou même la réflexion citoyenne peut enrichir celle des juristes.

 

  • 1 – L’approche philosophique

 

Dans les années 90 y a plusieurs ouvrages qui sont apparus sur la question de la responsabilité.

 

A – « Le redéploiement du concept de responsabilité »

 

         Citation de Paul Ricœur philosophe français contemporain « Le juste » 1995 dont un des chapitre porte sur le concept de la responsabilité. Il évoque le rétrécissement du champ juridique de la responsabilité (pour faute) qui est compensé par une extension du champ moral de la responsabilité. Pour lui, notre « responsabilité s’étend aussi loin que nos pouvoirs le font dans l’espace et dans le temps ». Ce qui engendre « une extension illimitée de la portée de la responsabilité accès désormais sur la vulnérabilité future de l’homme et de son environnement parce que ce n’est pas seulement du dommage dont nous sommes responsable mais aussi de l’autrui vulnérable ».

 

 

 

 

B – « Nous sommes au seuil d’un élargissement de la responsabilité sans précédent »

 

         Formule tirée d’un livre de Jean Marie Domenach de 1999. Il souligne l’extension de l’objet de notre responsabilité en ces termes « ce que nous pouvons manipuler, exploiter, détruire mais aussi améliorer relève de notre responsabilité: or il s’agit maintenant de la Terre et de l’humanité ». Il met l’accent sur un double mouvement paradoxal selon lequel la responsabilité grossie et rétrécie en même temps, d’un côté elle s’étend par la multiplication des textes sur la responsabilité et de l’autre côté il y a un effort pour essayer de la contenir avec des systèmes de couverture contre tous les risques (développement de l’assurance).

 

C – « La responsabilité un nouveau repère »

 

         Formule de Alain Etchegoyen. Le mot même de responsabilité peut désigner à la fois un pouvoir ou bien attribué une faute. Il dessine un spectre de la responsabilité, au pire du spectre on est dans la question de qui est responsable ? Cette quête des responsables est du domaine du droit  qui renvoie au passé. Au centre du spectre, le sens du mot responsabilité est plus neutre, la responsabilité est la capacité de répondre de ses actes. Au meilleur du spectre, la responsabilité devient une valeur, sa dimension morale nous parle d’espoir pour l’avenir, elle nous parle de ce que nous devons faire.

 

D – « Le principe responsabilité, une éthique pour la civilisation technologique »

 

         Formule de Hans Jonas (philosophe allemand), l’ouvrage du même titre est un des ouvrages philosophique majeur sur la responsabilité du XX siècle. Le principe responsabilité de Jonas se situe sur le plan de l’éthique et non directement sur celui du droit.

 

1 – Le point de départ

 

         Jusqu’à présent, les théories éthiques se préoccupaient des actions humaines qui par définition avaient une portée limitée à une sphère de proximité. Ainsi, toutes les maximes de l’éthique se cantonnent à l’environnement immédiat de l’action humaine. L’éthique traditionnelle est une éthique de la simultanéité et de l’immédiateté or, aujourd’hui, l’éthique a affaire à des actes d’une portée causale incomparable en direction de l’avenir. En effet, avec les technologies actuelles l’homme tient la nature et sa propre nature en son pouvoir et son action peut avoir une portée à très long terme, possiblement irréversible. Par conséquent, la responsabilité prend de nouvelles dimensions car le cadre de l’éthique antérieure ne suffit plus parce que l’agir humain acquiert une toute autre portée.

 

2 – L’impératif

 

         « Agit de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur Terre », « Ne compromet pas les conditions pour la survie indéfinie de l’humanité sur Terre ». L’éthique nouvelle proposée par Jonas est une éthique de la prévision, de l’anticipation et de la responsabilité.

 

3 – La distinction effectuée quant à la responsabilité

 

         Jonas distingue dans son livre la responsabilité comme imputation causale des actes commis de la responsabilité pour ce qui est à faire (l’obligation de pouvoir). Sa distinction philosophique pourrait se traduire juridiquement comme la responsabilité source de l’obligation de réparer (passé) et la responsabilité source du devoir d’anticiper et/ou d’agir.

 

4 – La méthode

 

         Pour parvenir à la responsabilité qui nous permette de d’anticiper les dangers qui menacent la Terre et l’humanité Jonas préconise une heuristique de la peur. Ce n’est pas la peur qui déconseille d’agir mais au contraire une peur qui invite à l’action, qui permet de dépister le danger.    

 

  • 2 – D’autres approches de la responsabilité

 

         A la suite de la réflexion des philosophes, il y a des voix de plus en plus nombreuses qui se sont élevées pour appeler une responsabilité repensée en direction de l’avenir. Notamment Jérôme Bindé qui estime « qu’une éthique du futur est nécessaire », elle suppose « une mutation temporelle de la responsabilité non plus seulement tournée vers le passé mais aussi vers le futur ». Zaki Laïdi plaide pour une responsabilité envers les générations futures dont l’intérêt est qu’elle commence aujourd’hui, elle pourrait stimuler la créativité. F. Ost, philosophe et juriste, nous dit que « les conséquences de notre action appelle désormais une responsabilité élargie à l’échelle universelle et résolument tournée vers l’avenir ». Il parle aussi de la nécessité de donner consistance juridique au futur car aujourd’hui « nous sommes en train de réaliser que nous pouvons compromettre la survie de l’humanité » « si on admet cette équation simple que l’on a autant de responsabilité que de pouvoir, il me semble juste de dire que nous avons une responsabilité envers les générations futures ».

 

         Cette mutation temporelle de la responsabilité en direction de l’avenir implique de repenser l’idée de progrès. En ce sens, l’ouvrage de Pierre André Taguieff, nous dit que la croyance en un progrès automatique s’effondre et qu’il faut repenser le progrès autrement en lien avec les réflexions éthiques sur la responsabilité. La responsabilité écologique personnelle est liée au concept d’empreinte écologique dont le père fondateur est un professeur d’économie W. Rees, il nous dit que l’empreinte écologique est liée au concept de responsabilité. On appelle empreinte écologique la surface géographique nécessaire pour subvenir aux besoins d’un pays, d’une ville, d’une population, d’un individu.    

 

SECTION III – L’APPROCHE JURIDIQUE DE LA RESPONSABILITE

 

         Pendant longtemps la responsabilité juridique était une, les responsabilités civile et pénale étaient indifférenciées. Aujourd’hui, la distinction entre responsabilité civile et pénale est admise universellement avec l’idée que la ligne de partage entre les 2 repose sur la distinction entre réparation et répression. Les 2 ordres de responsabilité juridique ont des objectifs distincts mais il y a des interférences entre les 2 qui peuvent estomper les différences.

 

  • 1 – L’évolution historique entre responsabilité pénale et responsabilité civile

A – Dans les droits dits primitifs

 

         La distinction entre la responsabilité civile et pénale n’existe pas, la peine et la réparation sont confondues dans la vengeance privée. Par la suite, c’est institué un système de composition dans lequel la victime obtient du coupable une somme qui est fixée au grès des circonstances puis qui devient tarifiées par l’autorité publique. La victime a d’abord était vengée puis indemnisée sans qu’on examine la conduite de l’auteur, c’est à dire que l’on considère l’auteur comme coupable du seul fait que sa conduite a été préjudiciable à autrui.

 

B – En droit romain

 

         La séparation commence mais n’a jamais été complète, peu à peu va s’affirmer la distinction entre d’une part, les peines infligées par l’état (corporelle ou pécuniaire) et d’autre part, la réparation due à la victime (en nature ou en argent).

 

C – Dans l’ancien droit

 

         A partir du XVI, sous l’influence des auteurs canonistes, les anciens auteurs ont nettement séparé la responsabilité pénale mise en œuvre par l’action publique intenté par le roi et tendant à la punition du coupable et la responsabilité civile dominée par un principe général: la victime du dommage a droit à réparation de toutes les pertes et de tous les dommages sans qu’il soit besoin d’un texte spécial « toute faute oblige à réparation ». Au XVII siècle le juriste Jeans Domat va systématiser la distinction en dissociant bien la réparation du dommage et la punition du coupable.

 

D – Dans le droit intermédiaire

 

         Au moment de la révolution la distinction était acquise, et ainsi, dans le code des délits et des peines promulgué en novembre 1795, on trouvait la phrase suivante: « tout délit donne essentiellement lieu à une action publique il peut en résulter aussi une action privée civile ».

 

E – La codification napoléonienne

 

        Elle parachève cette solution, elle régit les responsabilités dans 2 codes distincts. A partir de là, la dualité des systèmes s’est solidement implantée dans notre système juridique.

 

2 § 2 Les rapports actuels entre responsabilité civile et pénale

A – Les différences

1 – Une différence textuelle

 

         La responsabilité pénale ne peut être engagée que pour des infractions limitativement énumérées par la loi. Les infractions pénales sont donc en nombre limité en vertu du principe de la légalité pénale et de la maxime « nullum crimen, nulla poena, sine lege ». Au contraire, la responsabilité civile peut être engagée pour des faits générateurs ayant causés à autrui un dommage. Or ces faits générateurs ne sont pas limités, ils sont régis par des textes généraux qui embrassent une série illimitée de cas possibles. Articles 1382 et 1383 pour le fait générateur et 1384 alinéa 1 pour le fait des choses et d’autrui. Ces textes ne visent pas des comportements précis.

 

2 – Une différence de fonction

 

         La responsabilité pénale a pour but de sanctionner une atteinte à la société, c’est à dire qu’elle a une fonction répressive auquel s’ajoute une fonction d’intimidation et aussi de réadaptation. La responsabilité civile répare le préjudice subi par une personne privée c’est à dire qu’elle a une fonction réparatrice, indemnisatrice.

 

3 – Une différence de conséquence

  1. a) au plan de l’action

 

         Les auteurs d’infractions pénales sont sanctionnés par l’action publique intentée devant les juridictions répressives alors que la victime d’un délit ou d’un quasi délit civil obtiendra réparation en introduisant une action civile devant les juridictions civiles.

 

  1. b) au plan de la sanction             

 

         La sanction pénale varie en fonction de la gravité de l’infraction selon qu’il s’agisse d’une contravention, d’un délit ou d’un crime. La sanction de la responsabilité civile est indépendante de la gravité de la faute commise: principe de réparation intégrale du préjudice, en vertu de ce principe, le montant de la réparation va être proportionnelle au préjudice subi par la victime.

 

B – Les interférences

 

         Les 2 ordres de responsabilité bien qu’ils poursuivent des objectifs différents, contribuent l’un et l’autre à prévenir les comportements illicites et dommageables parce que tous les 2 font peser une menace sur l’auteur potentiel de ces comportements. Un même acte illicite peut être source des 2 responsabilités parce qu’il arrive souvent qu’un acte est la double qualification civile et pénale. Dans toutes les hypothèses où le comportement possède les 2 qualifications, la victime de l’infraction et du dommage va pouvoir agir à la fois devant un juge pénal, saisi de l’action publique, en se constituant partie civile, et agir en même temps devant le juge civil pour obtenir réparation. Au sortir du procès l’auteur de l’infraction et du dommage pourra, sur le plan pénal, être sanctionné par une peine (prison et ou amende) et, d’un point de vue civil, payer des dommages et intérêts à la victime.

 

Conclusion

 

         Les notions fondatrices de la responsabilité civile et pénale étaient traditionnellement fondées sur l’idée d’un devoir être s’adressant à l’individu façonné par les notions de culpabilité et de faute qui étaient au cœur des responsabilités pénale et civile. Ces notions de culpabilité et de faute sont en recule ainsi, le droit pénal à élargi sa perspective de culpabilité à l’idée de dangerosité avec l’idée qu’il s’agit de protéger la société. Quant à la responsabilité civile, elle s’est élargie de la faute vers une idée de solidarité.

 

CHAPITRE II – LES FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE

 

         Pendant longtemps la quête du fondement de la responsabilité consistait à rechercher le fondement commun à tous les régimes de responsabilité civil: la responsabilité du fait personnel, la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait d’autrui. Chaque nouveau fondement avait l’ambition de chasser ses prédécesseurs. Avec le recul, il est beaucoup plus conforme à la réalité juridique de constater que ces différents fondements se sont superposés au fil du temps. On peut dire que le XIX siècle été dominé par le fondement de la faute, le XX par le fondement du risque et de la garantie, le XXI ?

 

SECTION I – LA RESPONSABILITE FONDEE SUR LA FAUTE

 

  • 1 – Le fondement traditionnel et subjectif: la faute

 

         Traditionnellement on enseignait que la responsabilité civile délictuelle supposait une faute de la part de celui sur qui on voulait la faire peser, la responsabilité de la faute était tout simplement le droit commun. Les quelques cas de responsabilité sans faute étaient présentés comme des exceptions.

 

A – L’apparition récente de la faute

 

         Bien longtemps, le droit s’est passé de la notion de faute. Ainsi, le droit romain ne connaissait pas la faute comme fondement général. La personne qui apparaissait comme matériellement à l’origine du dommage était tenu de le compenser, abstraction faite de tout jugement de valeur sur le comportement. C’est sous l’influence de la morale chrétienne, au XVII siècle, que peu à peu on va établir un lien entre la faute et l’obligation de répondre. On va recourir à la notion de faute morale et ainsi procurer à la responsabilité une dimension morale.

B – L’adoption du fondement de la faute par le code civil

 

         Cette adoption du fondement subjectif de faute n’est pas net et visible dans tous les régimes de responsabilité.

 

  1. a) la faute, fondement de la responsabilité du fait personnel

 

         Dans les articles 1382 et 1383, le code civil consacre une responsabilité fondée sur la faute. En raison de la tradition historique canoniste et de ces 2 textes il a longtemps parut indiscutable que la responsabilité civile ne pouvait être fondée que sur la faute. Aujourd’hui encore, cette idée est très prégnante car la faute semble être le fondement essentiel de la responsabilité pour quelques auteurs: Terré, Simier, Lequette, Radé, Aubert et Savaux. D’une manière très générale, la faute peut être définie comme une erreur de conduit au sens où l’on n’a pas agi comme on aurait dû le faire. Cette conception conduit à une responsabilité subjective parce qu’elle suppose de juger la conduite de l’auteur pour en déduire s’il est ou non responsable. Il ne sera condamné à réparer le dommage que si on peut le lui reprocher. L’exigence d’une faute comporte 3 justifications: une morale au sens où les règles du droit de la responsabilité sanctionnent le devoir moral de ne pas nuire à autrui injustement. Une justification sociale, en ce sens, la responsabilité fondée sur la faute est un instrument de prévention des comportements dommageables car si une personne sait qu’elle doit répondre de ses fautes, elle est amenée à se conduire avec prudence. Une justification philosophique, dans la théorie classique de la responsabilité d’inspiration individualiste et libérale, chacun doit supporter son destin, sauf si le dommage provient de la faute d’autrui. La faute est au cœur de la responsabilité du fait personnel tel que le code civil l’a conçu.

 

  1. b) la présomption de faute, fondement de la responsabilité du fait d’autrui et du fait des choses

 

         Dans ces régimes, le code civil admet que l’on puisse être obligé à réparation sans qu’il soit nécessaire d’établir une faute à la charge du responsable. Ces règles s’appliquaient par un mécanisme de présomption de faute. La présomption de la faute renversait la charge de la preuve au bénéfice de la victime. Sur le fond du droit, la responsabilité demeurait fondée sur la faute mais il s’agissait d’une faute présumée et non prouvée comme dans 1382 et 1383. L’évolution postérieure a démontré l’étroitesse du fondement de la faute         

 

  • 2 – La fonction normative et moralisatrice d’une responsabilité fondée sur la faute

 

         Cette responsabilité subjective personnelle a pour rôle de fixer des limites, des interdits et donc des normes. Elle permet au juge d’édicter des normes de conduite sociale toutes axées autour de l’idée de ne pas causer injustement un dommage à autrui. On a dit de la responsabilité qu’elle fixe une frontière entre une zone d’impunité où la liberté humaine va s’exercer et une zone de responsabilité, où la liberté reflue. Elle apparaît comme un contrepoids à la liberté d’action et aux excès individuels. Cette responsabilité fondée sur la faute a donc un rôle à la fois normatif, sanctionnateur et dissuasif, elle est centrée sur l’auteur du dommage et comme il s’agit de le sanctionner, il est logique d’exiger une faute.

         On peut observer un double mouvement; actuellement il a un reflux de ce rôle moralisateur c’est du à la transformation de la faute et à l’admission de la simple faute objective  c’est à dire une faute sans culpabilité et sans impunité. D’un autre coté on assiste à une résurgence de la fonction moralisatrice avec la place grandissante de la faute lucrative qui repose sur un calcul,  c’est à dire que ça rapporte plus de la commettre en acceptant de payer les dommages et intérêts. La réponse des juristes à cela est le développement des dommages et intérêts punitifs,  c’est à dire majorés par rapport au montant du dommage. Cela relève de la fonction de peine privée de la responsabilité civile et ça outrepasse ce qu’exige le principe de réparation intégrale.   

        

  • 3 – les insuffisances d’une responsabilité fondée uniquement sur la faute

 

         Peu à peu la notion traditionnelle de faute est devenue insuffisante pour fonder les solutions nouvelles rendues nécessaires par les transformations économiques et sociales de l’époque. Cette mutation est le fruit principalement de la révolution industrielle avec notamment d’important progrès techniques qui amènent un avènement puis un développement du machinisme. Ce développement s’accompagne d’un accroissement d la dangerosité, et en matière civile les dommages se multiplient et s’aggravent, on parle de plus en plus d’accidents: accident du travail, de la route, médicaux. Or le problème c’est que bien souvent il n’y a pas de faute à la source de l’accident, si c’est bien le cas, la victime qui se trouve dans l’impossibilité de prouver une faute risque de ne pas recevoir d’indemnisation. On réalise à ce moment que la notion de faute toute imprégnée de morale et de subjectivité va apparaître comme trop étroite pour demeurer le seul fondement de la responsabilité civile. Pour pouvoir s’élargie, la responsabilité avait donc besoin de nouveaux fondements qui permettent de pallier les insuffisances de la faute.

 

SECTION II – LA RESPONSABILITE FONDEE SUR LE RISQUE ET LA GARANTIE

  • 1 – Les fondements objectifs de la responsabilité

 

         Il s’agit des fondements du risque et de la garantie. Lorsque la responsabilité civile est fondée sur l’un deux voir sur les deux on parle alors de responsabilité objective  c’est à dire de responsabilité sans faute. Ces deux fondements ont marqué le droit de la responsabilité du XX siècle sans pour autant chasser le fondement de la faute.

 

A – Le fondement du risque

1 – l’exposé de la théorie du risque

 

         Constatant l’insuffisance du fondement de la faute, une théorie objective de la responsabilité a été proposée à la fin du XIX par Saleilles et Josserand. Cette théorie fait reposer la responsabilité civile sur le risque: 1/ d’une part le risque créé: chacun doit assumer la responsabilité du dommage dont il a créé le risque, toute activité dommageable même non fautive doit être génératrice de responsabilité 2/ d’autre part le risque-profit: celui qui tire profit de l’activité d’une chose doit en contrepartie supporter la charge de réparer les dommages qu’il peut causer à autrui. Cette responsabilité fondée sur le risque tend à indemniser les victimes, le problème de responsabilité n’est donc plus un problème moral d’appréciation d’une conduite humaine mais …

 

2 Les manifestations de la théorie du risque en droit positif

 

         Cette théorie du risque a exercé une influence incontestable sur le droit positif: d’abord sur la loi puisque la loi du 9 avril 1998 repose sur l’idée de risque et plus particulièrement sur le risque professionnel. Ensuite sur la Jurisprudence parce qu’elle a encouragée et justifiée les juges à développer une responsabilité générale du fait des choses, elle va développer cette responsabilité sur le fondement du risque. En effet, elle n’est pas fondée sur une présomption de faute puisque le gardien de la chose est responsable même s’il n’a pas commis de faute, il est d’ailleurs responsable sans être autorisé à démontrer qu’il n’a pas commis de faute. Les développements ultérieurs de la Jurisprudence ont créé un principe général du fait d’autrui fondé sur le fondement du risque. Enfin, la théorie du risque a habitué les esprits à ce qu’il soit légitime d’être responsable sans avoir commis de faute.

 

B – Le fondement de la garantie

 

         La théorie de la garantie a été fondée par Boris Starck dans sa thèse en 1947 intitulée « essai d’une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée ».

1 – L’exposé de la théorie de la garantie

 

         Par cette théorie Starck a cherché à sortir de l’affrontement faute/risque en trouvant une troisième voie. Pour lui, le tort des 2 théories précédentes était de se placer du seul côté de l’auteur du dommage, il va proposer de se placer du côté de la victime. Il dit que la victime a des droits et en particulier elle a droit à sa vie, à son intégrité corporelle, à l’intégrité matérielle de ses biens et que ses biens doivent être protégés de l’activité d’autrui et cela même si cette activité est irréprochable « les droits de la victime doivent être garantis contre toute atteinte ». La victime a droit, à titre de garantie, à la réparation de tout atteinte à sa personne ou à son patrimoine, dans ces cas-là il n’y a pas de faute à exiger du responsable. En revanche, les autres dommages comme les dommages moraux ou économiques ne sont pas garantis parce qu’ils sont la conséquence normale de l’exercice du droit d’agir et même de nuire légitimement, droit que possède l’auteur du dommage. Ces dommages non garantis ne donneront lieu à réparation que s’il y a une faute à leur origine. La théorie de la garantie proposée par Starck est mixte, elle combine la responsabilité sans faute pour les dommages garantis et la responsabilité pour faute pour les dommages non garantis. Il combine les fondements de faute et de garantie en fonction de la nature du dommage.

 

2 – Les manifestations de la théorie de la garantie en droit positif

 

         On a reproché à la théorie de la garantie de ne pas rendre compte du droit positif dans son ensemble. Le droit de la responsabilité civile ne faisait pas de distinction en fonction de la nature du dommage: le droit « commun » de la responsabilité civile distingue selon la source du dommage selon qu’il provient d’un fait personnel ou d’un fait d’autrui. Cependant la théorie de la garantie a plusieurs mérites, elle a le mérite de proposer une ligne de partage entre le fondement de la faute et le fondement du risque, de montrer que ces 2 fondements étaient compatibles et d’expliquer certains régimes actuels de responsabilité civile comme le régime d’indemnisation des victimes d’accident de la route mis en place par la loi du 5 juillet 1985. Cette loi dote d’un régime particulier sans faute l’indemnisation des dommages corporels et matériels.

 

  • 2 – La fonction indemnisatrice de la responsabilité objective

        

         Face à la multiplication et l’aggravation des dommages, deux aspirations majeures vont marquer le XX siècle: l’indemnisation des victimes mais aussi la solidarité avec les responsables.

 

A – Les soucis d’indemnisation des victimes

 

         Au fil du XX les impératifs de la responsabilité se transforment, l’essentiel n’est plus de moraliser et de réprimer des conduites individuelles d’où le reflux de la responsabilité pour faute. On est passé de l’impératif de sanction du responsable au souci de protection de la victime. La faute qui, jusque-là, permettait l’identification du responsable va devenir un obstacle à l’indemnisation de la victime. Si la victime n’arrivait pas à prouver la faute, elle se retrouvait sans réparation. On a compris que, juridiquement, pour favoriser l’indemnisation il était nécessaire de faire refluer le rôle de la faute et de justifier des responsabilités sans faute. C’est ce à quoi vont s’employer les théories du risque et de la garantie, on assiste donc à une convergence des sources du droit pour surmonter cette difficulté. La Jurisprudence s’est montrée créative et audacieuse et le législateur a créé des cas de responsabilité sans faute (loi de 1998). Au final, le domaine de la responsabilité subjective s’est considérablement restreint au profit des cas de responsabilité objective qui continuent à se multiplier. Aujourd’hui, c’est bien plus le dommage qui engendre la responsabilité civile que le comportement du responsable.

 

 

B – Les soucis de la solidarité avec les responsables

 

         Au fil du développement du souci d’indemnisation des victimes, on réalise que la structure individualiste de la société est de plus en plus inadaptée, va alors apparaître le souci corollaire de ne plus faire peser le poids de la réparation sur les seuls responsables. On va se mettre à assister au déclin de la responsabilité individuelle parallèlement à la socialisation des risques. C’est la thèse que défend Geneviève Viney. Cette socialisation des risques a contribué à répartir le poids de l’indemnisation des dommages sur la collectivité toute entière, elle s’est mise en place par différents mécanismes:

 

  1. a) l’assurance

 

  • développement de l’assurance

 

         L’assurance est un mécanisme de socialisation des risques qui s’est développé à partir de la loi du 13 juillet 1930 et qui a permis une meilleure réparation du coût des risques afin d’indemniser les victimes en évitant de faire supporter tout le poids du dommage à l’auteur. Cette extension de l’assurance a d’abord été spontanée puis a été rendue en parti obligatoire notamment pour certaines activités dangereuses.

 

  • conséquence sur la responsabilité civile

 

         Le développement de l’assurance a permis aux tribunaux de retenir la responsabilité civile beaucoup plus facilement en l’interprétant de manière plus souple. Ils ont donc donné une grande efficacité aux contrats d’assurance mais, par le jeu de l’assurance, le responsable n’est plus vraiment le débiteur de la réparation, il va apparaître comme le fournisseur de l’assurance. Progressivement, la désignation du responsable va se faire par la recherche de l’assuré dans le procès. Ce critère objectif de l’existence de l’assurance va prendre le pas sur le critère subjectif de la faute. Plus l’assurance se généralise et plus la responsabilité civile peut s’étendre. Exemple: en 1958, a été instaurée l’assurance automobile automatique, cela va entrainer très rapidement un développement et un alourdissement de la responsabilité des conducteurs. L’émergence de l’assurance a entrainé une démoralisation de la responsabilité civile et un reflux des comportements nuisibles.

 

  1. b) les autres mécanismes de socialisation des risques

 

         Différents textes ont contribué  à l’édification du système d’indemnisation par la collectivité pour certains dommages spécifiques et ce indépendamment de toute appréciation de la responsabilité. Ces textes sont fondés sur la notion de risque social. Aujourd’hui, dans l’éventail de tous les procédés d’indemnisation ces modes collectifs de prise en charge du risque sont prédominants, ils font passer l’indemnisation par la responsabilité civile au second plan.

 

  • les fonds de garantie(ou d’indemnisation): ils permettent d’éviter que les victimes ne supportent le poids de l’insolvabilité du responsable (lorsque le responsable n’est pas assuré ou lorsqu’il n’est pas identifié). Exemple: fond de garantie automobile créé en 1951 au bénéfice des victimes d’accident de la circulation / fond de garantie pour les victimes d’actes de terrorisme qui date de 1986 / fond de garantie pour les victimes du sida à la suite d’une transfusion sanguine qui date de 1991 / fond de garantie pour les victimes de l’amiante en 2000 / fond de garantie pour les victimes d’accidents médicaux 2002
  • la sécurité sociale: c’est une expression et un symbole de la solidarité sociale en matière de responsabilité civile puisque, grâce à elle, c’est la collectivité dans son ensemble qui va prendre en charge les atteintes à la santé et leurs conséquences pécuniaires. Exemple: depuis 1946, la réparation des accidents du travail est incorporée dans le régime de sécurité sociale.

Tous ces mécanismes contribuent à renforcer la responsabilité objective  c’est à dire d’une responsabilité détachée de la faute. Une responsabilité qui s’est développée dans un souci d’indemnisation quitte à ce que le responsable du dommage ne soit pas le payeur de la réparation. Ce système repose sur l’idée d’égalité entre les victimes et de solidarité face au coût.

 

  • 3 – Les limites à l’extension de la responsabilité objective

 

         Elle a eu des répercussions sur les plans économique, social et moral. Sur ces 3 plans, des limites étaient nécessaires pour ne pas tomber dans l’exemple repoussoir de la dérive américaine (Laurence Engel). La jurisprudence française ne suit pas cet exemple américain, cependant, la responsabilité sans faute n’a pas cessé de s’étendre avec notamment la responsabilité du fait des choses qui, dans la première moitié du XX siècle, est devenue une responsabilité sans faute. Cela s’est poursuivi avec la responsabilité du fait d’autrui aujourd’hui fondée sur le risque. Il n’y a plus que la responsabilité du fait personnel qui reste subjective, fondée sur la faute. Il est clair que le but de cette responsabilité est l’indemnisation et cette généralisation du risque s’est faite au prix d’un certain refoulement de la faute.

 

A – Le risque sur le plan moral: la déresponsabilisation due au reflux de la faute

 

         La faute a en effet refluée dans différentes branches du droit. En droit pénal, cela se manifeste par le développement d’infractions non intentionnelles et par le développement de la notion de dangerosité qui progressivement à restreint la part de la culpabilité et donc de la faute. En droit public, la responsabilité sans faute de l’administration s’est taillée une place importante qui est désormais définitive. En droit civil, ce reflux généralisé de la faute a pu faire craindre à certains une déresponsabilisation: la certitude que la victime va bien être indemnisée par le jeu de l’assurance pouvait favoriser des comportements insouciants et la responsabilité civile risquait de perdre son rôle dissuasif des comportements dommageables. Ce rôle dissuasif reste tout de même fort pour certaines fautes dont les conséquences ne sont pas couvertes par l’assurance. Il s’agit des fautes lourdes, volontaires et lucratives qui appellent une sanction par des dommages intérêts punitifs.

 

B – Le risque sur le plan économique: le coût de la socialisation croissante du risque

 

         Tous ces mécanismes de socialisation des risques coutent chers à la collectivité dans le sens où leur coût global outrepasse le seul coût de l’indemnisation des dommages en raison de tous les frais de fonctionnement du système qui sont lourds. On réalise que l’extension de cette responsabilité peut conduire à une saturation du système. Pour certains risques majeurs, les assureurs ont développé des parades sous forme de coassurance et de réassurance. Dans la réassurance, l’assureur prend lui-même une assurance auprès d’une compagnie d’assurance dans le but d’être indemnisé à son tour si le risque survient.

 

C – Le risque sur le plan social: le découragement de l’initiative

 

         Le risque d’une responsabilité entièrement objective est de constituer un frein à l’initiative et à la liberté d’action. Cette crainte s’est révélée infondée mais, pour autant, le tout risque n’est une solution. Le droit a donc finit par combiner les 2 types de responsabilité et les 2 fondements.

 

La responsabilité civile est périodiquement soumise à des défis:

  • le défi de l’indemnisation des victimes et de la socialisation des risques a été celui de la fin du XIX siècle et de l’entier XX siècle, il a été relevé sur les plans théorique et technique. Au plan théorique par l’invention et le développement de 2 nouveaux fondements: le risque et la garantie. Au plan technique, par la mise en place des mécanismes de socialisation: l’assurance et les fonds de garantie qui ont permis une répartition des risques sur l’ensemble de la collectivité.
  • Le défi de l’anticipation des risques qui est apparu à la fin du XX siècle et qui pourrait être celui du XXI siècle. Au plan théorique, il suppose l’invention de fondements pour une responsabilité préventive: la précaution ? La préservation ? Au plan technique ce défi nécessite la mise en place de mécanismes d’anticipation, par exemple: une action en responsabilité préventive ou le développement de sanctions préventives.

 

SECTION III – LA RESPONSABILITE FONDEE SUR LA PRECAUTION

 

         Le droit (de la responsabilité civile) évolue sous une double pression: la pression des faits (par exemple de nouveaux dommages) et celle des idées (par exemple de nouvelles théories). Cette double pression va mettre en évidence les insuffisances du droit positif à un moment donné. A la fin du XIX, la pression des faits se manifeste par l’apparition et la multiplication des accidents, ce qui va mettre en lumière les insuffisances d’une responsabilité exclusivement fondée sur la faute. Ainsi va émerger une responsabilité sans faute. A la fin du XX siècle, la pression des faits se manifeste par l’apparition de nouveaux risques d’une autre échelle et d’une autre nature que les risques connus jusque-là. Cela pourrait conduire à l’admission d’une responsabilité sans préjudice.

 

  • le changement d’échelle: en 1804, les risques étaient individuels et à la fin du XIX ils deviennent collectifs avec les accidents. Aujourd’hui, ce sont ajoutés les risques technologiques, les risque sanitaires et les risques écologiques. On les appelle risques majeurs ou catastrophes. Ils se développent à l’échelle collective voire même à l’échelle nationale ou planétaire.
  • Le changement de nature: certains de ces risques présentent la caractéristique d’irréversibilité. Avec l’apparition de l’irréversibilité émerge la prise de conscience qu’il y a de l’irréparable. Or, en l’état actuel la fonction principale de la responsabilité civile à cette nouvelle pression des faits suppose une nouvelle évolution qui ne doit plus être seulement tournée vers la réparation des dommages déjà causés mais également vers l’évitement des dommages à venir.

 

  • 1 – Le fondement de la précaution

A – Les sources du principe de précaution

 

         En l’espace de quelques années ce principe de précaution est devenu une norme essentielle des législations environnementales au point que l’on se demande même s’il n’est pas en train de devenir un principe général du droit. C’est un processus de densification du droit qu’il nous amène à voir. Il figure dans la déclaration de Rio en 1992 qui énonce une série de principes. Il figure également dans une douzaine de traités internationaux, il figure dans le droit européen où il fait parti des principes qui doivent aider la politique de l’environnement de l’UE. Il figure dans la loi Barnier du 2 février 1995 dans laquelle il figure parmi les grands principes de protection de l’environnement « l’absence de certitude compte tenu des connaissances scientifiques du moment ne doit retarder l’adoption de mesures effectives et proportionnées visant à prévenir un risque de dommage grave et irréversible à l’environnement, à un cout économiquement acceptable ». Il est également dans la Charte de l’environnement, article 5, depuis la loi du 1 mars 2005. Son domaine est apparu dans le droit de l’environnement puis il s’est ensuite étendu au droit de la santé et il a vocation à étendre son domaine d’application pour permettre une large protection du vivant et de l’avenir.

 

B – La portée du principe de précaution

1 – Les destinataires du principe de précaution

 

         A l’origine ce principe est un principe politique qui s’adresse aux états. Sur le plan national ce principe concerne les pouvoirs publics: état et collectivités territoriales dont il guide l’action environnementale et sanitaire. Aujourd’hui, le principe de précaution s’applique à tous et le juge judiciaire le manie largement autant que le juge administratif.

 

2 – La force du principe de précaution

 

         Ce principe met en lumière le processus d’émergence du droit de densification normative. A l’origine il s’agit de droit déclaratoire  c’est à dire dépourvu de force obligatoire et contraignante, il a seulement une force d’inspiration puisqu’il indique des orientations souhaitables aux états. Ensuite il se densifie et devient un principe directeur pour les politiques environnementales de l’UE et pour les politiques nationales. Sa légitimité finit par augmenter encore, il se constitutionnalise. Cette densification juridique est également le fruit de la jurisprudence. L’invocation du principe de précaution est de plus en plus utilisée en droit privé par les avocats. Il est le plus utilisé dans le contentieux relatif à la nocivité des antennes relais de téléphonie mobile: TI de Grasse 17 juin 2003 (premier jugement référant au principe de précaution) / Cour d’Appel d’Aix / Arrêt du TGI de Nanterre 18 septembre 2008 / Cour d’Appel de Versailles 4 février 2009: les familles n’ont pas à être exposée aux risques d’antennes relais contre leur volonté. Il y a donc d’assez nombreuses décisions des juges du fond qui adoptent des positions différentes. La Jurisprudence administrative, elle, semble plus favorable aux opérateurs de téléphonie. Quant à la Cour de cassation, elle avait été saisie d’un pourvoi mais il se trouve que Bouygues s’est désisté. On trouve pourtant un arrêt de la 3ème chambre civile du 3 mars 2010 qui précise que le principe est inapplicable en l’absence de tout risque de pollution. Il s’agissait d’un propriétaire de terrain situé à proximité d’une source d’eau minérale exploitée. Ce propriétaire avait fait creuser un forage pour l’arrosage de son jardin. La Cour de cassation a considéré que cela n’entrainait aucun risque de pollution pour la source et n’entrainait pas l’application du principe de précaution.

 

  • 3 – L’appréciation du principe de précaution

 

         Les auteurs qui ont réfléchis au principe de précaution sont tous d’accord pour reconnaître l’importance de ce principe. Le 1er à « avoir vu le vent venir » est Gilles Martin dans Précaution et responsabilité. Il dit que le principe de précaution aura, dans l’avenir, une forte influence dans notre droit et que cela parait difficilement contestable. Convergence dans le rapport Viney-Kourilsky, rendu en novembre 1999 au 1er ministre. Viney et Kourilsky disent qu’il n’y a pas lieu de contester le principe de précaution qui répond à une demande sociale évidente et pourtant ce principe suscite des réserves.

 

  1. a) sur la plan social

 

         On a dit qu’il s’agirait d’un principe d’inaction engendrant l’abstention et qu’il pourrait constituer un frein à l’initiative. Qu’il serait la traduction de la maxime : « dans le doute, abstiens-toi ».

         La même critique a été émise il y a un siècle à propos de la théorie du risque, qui s’est pourtant déployée sans constituer un pareil frein. Les défenseurs du principe (les associations écologiques) la collent à cette autre maxime : « dans le doute, met tout en œuvre pour agir au mieux ». Il s’agirait d’un principe d’action qui incite à chercher des solutions alternatives plus respectueuses de l’environnement et de la santé. La précaution pourrait être une source d’innovation pour imaginer des sources alternatives.

 

  1. b) sur le plan juridique

 

         Ce principe a suscité des réserves contradictoires: pour certains il constituerait un risque de régression du fondement du risque / pour d’autres il ne lui ajoute pas grand-chose.

  • le principe de précaution vu comme un risque de régression du fondement du risque: réserve de Gilles Martin, en multipliant les obligations pesant sur les individus et en étoffant l’idée de faute de précaution, le risque est que le principe de précaution vienne redonner de la vigueur au fondement de la faute et donc de faire perdre du terrain au fondement objectif du risque. Des travaux ultérieurs ont démontré que le principe de précaution était compatible avec une responsabilité sans faute et qu’il n’entrait pas en conflit avec la théorie du risque
  • le principe de précaution vu comme une confirmation du fondement du risque: réserve de Geneviève Viney, elle minimise l’apport du principe de précaution à la responsabilité civile. Elle le qualifie d’ersatz assez pauvre du risque, il confirmerait simplement l’orientation du droit positif. Elle le situe sur le plan d’un fondement comme le risque, et sous-entend donc que le principe de précaution est lié à une responsabilité objective.
  • Le principe de précaution vu comme une redécouverte de la prudence. Certain auteurs vont minimiser l’apport du principe de précaution: Philippe Le Tournau et Philippe Brun « à tout prendre il ne s’agit que de la redécouverte sous un nouveau nom de la vertu morale et juridique de prudence ». Cette qualification ramène plutôt le principe de précaution vers une responsabilité subjective.

 

Conclusion

 

         La thèse de Mathilde Boutonnet démontre que le principe de précaution ne concerne pas les conditions de la responsabilité civile et qu’il peut donc s’appliquer que la responsabilité soit subjective (pour faute) ou objective (sans faute) parce qu’il ne concerne pas les conditions mais les effets de la responsabilité civile. Il vient ajouter au principe de réparation des dommages un principe de prévention de certains risques de dommages graves.

 

  • 2 – La fonction anticipatrice de la responsabilité fondée sur la précaution

A La possible prise en compte de simple risque de dommage

 

         Le régime classique de la responsabilité civile suppose l’existence d’un dommage certain alors que le principe de précaution peut s’appliquer aux simples risques de dommage grave et/ou irréversible dans les domaines de l’environnement et de la santé. L’innovation est considérable ici puisqu’après l’avènement d’une responsabilité sans faute, c’est donc d’une responsabilité sans préjudice dont il s’agit. Le principe de précaution permet un assouplissement du régime de la responsabilité.

 

B – De possibles mesures préventives et une possible action préventive

 

         La fonction actuelle de la responsabilité civile est l’indemnisation de la victime. Admettre l’influence du principe de précaution sur la responsabilité civile conduit à 2 innovations:

  • « permettre au juge de prendre les mesures conservatoires ou de remise en état qui s’imposent pour prévenir un dommage » rapport Kourilsky-Viney.
  • Permettre de fonder une nouvelle action en responsabilité civile qui serait préventive concernant les effets de la responsabilité; qui pourrait assortir une responsabilité sans faute ou pour faute.

 

C – Une nouvelle fonction de la responsabilité: la fonction d’anticipation des dommages

 

         La fonction préventive de la responsabilité existe déjà s’agissant de la responsabilité pour faute puisque cette dernière a pour objectif de prévenir les comportements nuisibles et dommageables. Mais il s’agit là d’une prévention dissuasion de certains comportements. La responsabilité fondée sur la précaution présente l’avantage et la nouveauté d’avoir une fonction de prévention, non plus des comportements, mais des dommages eux-mêmes  c’est à dire que c’est une prévention anticipation et pas dissuasion pour les dommages particulièrement graves. Ce qui invite à orienter la responsabilité vers l’avenir.

 

Conclusion sur les fonctions de la responsabilité civile

 

         Bien que la fonction d’indemnisation de la responsabilité civile a été mise en avant au XX siècle, la responsabilité civile en assume beaucoup d’autres ce qui fait sa richesse et sa complexité: réparer ou indemniser, sanctionner, dissuader, normer, faire cesser, prévenir, anticiper, …

 

1 – Fonctions indemnisatrice: permettre la réparation du dommage

 

         Réparer c’est la fonction traditionnelle de la responsabilité civile et c’est d’ailleurs la seule à laquelle le Code civil fait allusion (article 1382). Le terme réparation n’est pas toujours approprié parce que certains dommages juridiquement réparables ne peuvent être réellement réparés comme par exemple les dommages moraux. C’est pourquoi au XX siècle on a utilisé de plus en plus le terme indemniser. Ces deux verbes sont souvent utilisés comme synonyme mais une différence peut être fait entre les deux: on répare un dommage et on indemnise une victime. Cette fonction indemnisatrice s’est considérablement développée avec le fondement du risque mais on peut dire que pour cette fonction-là, une pluralité de fondements peuvent convenir: la faute, du risque, de la garantie …

 

2 – Fonctions normatives: permettre de normer les comportements, de tracer la frontière entre le licite et l’illicite

 

         La responsabilité civile l’assume de différentes manières: par la fonction sanctionnatrice → sanctionner une faute, punir le responsable. Elle se rattache au fondement de la faute / par la fonction dissuasive → le risque d’avoir à verser des dommages et intérêts dissuaderait les comportements illicites. Elle correspond à une fonction de peine privée qui s’exprime notamment par les dommages et intérêts punitifs / par la fonction corrective de cessation de l’illicite → thèse de Cyril Bloch qui établit une distinction des fonctions réparatrice et corrective, cette fonction permet de « mettre le fait en conformité avec la règle de droit violée ».

 

3 – Fonction préventive: permettre la prévention des comportements illicites ou des risques dommageables

 

  • la prévention dissuasion des comportements dommageables: fonction traditionnelle
  • la prévention anticipation des risques: fonction émergente grâce au support du principe de précaution

 

 

CHAPITRE III – L’ARTICULATION DES DIFFERENTS FONDEMENTS DE LA RESPONSABILITE

 

  • 1 – La typologie des mécanismes évolutifs du droit

A – Le changement « linéaire »

 

         Il a lieu par petites touches successives, il se fait en douceur et est parfois étalé sur un temps long sans véritable conscience du changement d’ensemble.

 

B – Le changement par exception

 

         Il permet de garder le principe intact et de faire évoluer le droit par dérogation à ce principe, exemple: pendant longtemps le principe était celui d’une responsabilité pour faute et les cas de responsabilité sans faute étaient des exceptions. L’inconvénient de ce type de changement est que lorsque les exceptions se multiplient trop, le maintien du principe devient artificiel.

 

C – Le changement pendulaire ou par réaction

 

         Il fait basculer d’un pôle à un pôle inverse. La résistance du premier pôle et le risque du retour du balancier sont les dangers de ce changement.

 

D – Le changement par expansion

 

         L’avantage de ce type de changement est que les acquis sont conservés et en même temps l’évolution du droit a lieu. Le fondement de la faute conserve son domaine et son champ d’application mais on expanse progressivement les fondements en admettant le risque.

 

E – Le changement de paradigme (Thomas Kuhn)

 

         Il s’agit de changer de cadre de référence. En effet, il arrive un moment dans l’histoire où le cadre de référence ne correspond plus à certaines découvertes (des anomalies), ces anomalies sont au début marginalisées. Lorsqu’elles se multiplient, certains chercheurs vont chercher un nouveau paradigme. Ce nouveau paradigme peut remplacer l’ancien ou l’expanser. Souvent ce n’est qu’après coup que l’on peut qualifier un changement de paradigme.

 

  • 2 – L’évolution des fondements du droit de la responsabilité

 

         L’évolution du droit de la responsabilité peut se comprendre par changement de paradigmes successifs. Il ne s’agit donc pas de changements radicaux mais de changements englobant non exclusifs de ce qu’il précède. Le changement se produit lorsque le fondement dominant ou paradigme dominant révèle ses limites, ses insuffisances face à l’apparition de nouveaux risques. Dans ce cas, la théorie général de la responsabilité et le droit positif vont alors tenter de s’ajuster aux nouveaux besoins de la société.

 

         1 – En 1804, le fondement mis en avant par les codificateurs est la faute, les quelques cas de responsabilité où la faute est présumée sont exceptionnels par rapport au paradigme dominant. Au fil du XIX siècle, le fondement de la faute s’avère insuffisant car l’exigence d’une faute prouvée aboutie à des solutions injustes dans certains cas où la victime est laissée sans réparation.

         2 – Apparition du fondement du risque. Le point de rupture et d’innovation réside dans le fait que la responsabilité fondée sur le risque est une responsabilité sans faute.

         3 – Au milieu du XX siècle le fondement de la garantie est proposée par Starck, le point de rupture et d’innovation avec ce qu’il précède réside sur la focalisation de la victime alors que les deux fondements précédents mettent l’accent sur l’auteur. L’avènement des fondements du risque et de la garantie couplé avec le développement de l’assurance souligne un autre point de rupture: le passage de la sphère individuelle à la sphère sociale.

         4 – Réfléchir à un nouveau fondement pour la responsabilité c’est tenir compte du tournant majeur dans lequel nous sommes qui se caractérise par 3 points de rupture. Dans le temps: jusqu’alors, la responsabilité juridique s’attachait exclusivement au dommage déjà produit et était donc tournée vers le passé. La réflexion des philosophes nous conduit à nous tourner vers l’avenir et à envisager un caractère prospectif. La responsabilité pourrait devenir aussi un instrument d’évitement des dommages graves et irréversibles. Dans l’espace: nous sommes aujourd’hui confrontés à des risques susceptibles de traverser les frontières, nous allons avoir besoin de penser les risques en termes planétaires. Dans la relation humaine: les précédents fondements de la responsabilité civile étaient conçus pour des contentieux interpersonnels ou encore collectifs entre des acteurs vivants et au présent. Le nouveau fondement à découvrir relit les générations actuelles avec les générations futures,  c’est à dire les générations nées et à naitre.

 

TITRE II – LE DROIT COMMUN DE LA RÉSPONSABILITÉ CIVILE

 

Il s’agit, ici, d’étudier le droit positif de la responsabilité civile et plus précisément sous l’angle des règles gouvernants son régime (ensemble des règles applicables à une question donnée). Ce sont les règles de base applicables en général d’où l’appellation de droit commun. Pour la RC il se compose des conditions et des effets de la responsabilité.

 

SOUS TITRE I – LES CONDITIONS DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

 

La mise en œuvre de la responsabilité,  c’est à dire l’existence de l’obligation de réparer un dommage injustement causé à autrui suppose 3 conditions: un fait générateur soit un fait personnel, soit le fait d’une chose, soit le fait d’autrui. Ce fait générateur doit avoir engendré un préjudice ayant occasionné un dommage.

 

CHAPITRE I – LE PREJUDICE

 

Cette condition de préjudice permet de faire la distinction avec la responsabilité pénale parce que cette dernière peut tout à fait être engagée sans préjudice. De nos jours, le préjudice est devenu la condition centrale de la responsabilité civile, c’est la conséquence de l’objectivation de la responsabilité et de son corolaire, le souci d’indemnisation des victimes. Il a pris la place de la faute qui était la condition première d’une responsabilité subjective.

 

1 – Précision terminologique: dommage et préjudice.

 

         Les auteurs utilisent ces deux termes encore fréquemment comme synonymes. Un courant doctrinal grandissant fait une distinction entre les deux.

 

  1. a) la distinction entre dommage et préjudice.

 

         Le dommage est une notion de fait, il s’agit de l’atteinte subie par la victime. Alors que le préjudice est une notion de droit, il s’agit du dommage juridiquement réparable.

 

  1. b) les intérêts de la distinction.

 

         Sur le plan du régime, le dommage est constaté alors que le préjudice est réparé. Sur le plan de l’existence: il existe des dommages qui ne sont pas des préjudices, des atteintes qui ne sont pas réparables en droit positif. Sur le plan des évolutions des dommages et préjudices: la notion de dommage a beaucoup évolué ces dernières décennies notamment avec l’apparition des dommages graves et irréversibles. Pour l’heure, la notion de préjudice réparable ne s’est pas encore adaptée, d’où un possible décalage entre les faits et le droit.

 

2 – Précision sur l’évolution des préjudices.

 

         Pendant longtemps préjudice supposait préjudice personnel, il n’était envisagée qu’à l’échelle de la personne ce qui correspondait bien à la réalité des faits car la sphère des dommages était une sphère individuelle. D’où l’exigence d’un intérêt personnel à agir en responsabilité individuelle. Au fil du XX siècle, on a pris conscience qu’il y avait aussi des intérêts collectifs susceptibles d’être lésés ce qui a donné naissance au préjudice collectif qui se déploie dans la sphère collective.

 

3 – Rapport Dintilhac remis au garde des sceaux par le président de la 2eme chambre civile de la Cour de cassation qui a dirigé un groupe de travail sur la nomenclature des préjudices personnels. Le but de ce rapport est de guider les praticiens du droit dans l’indemnisation en répertoriant les postes d’indemnisation selon des définitions qui peuvent être communément partagées. Ce rapport est présenté comme une référence majeure utilisable par l’ensemble des acteurs de l’indemnisation du dommage corporel.

 

SECTION I – LE PREJUDICE INDIVIDUEL

 

         Le Code civil ne contient aucune restriction quant aux types de dommage réparables. C’est donc à la Jurisprudence de préciser. Classiquement on distingue selon la nature de l’intérêt lésé, si l’atteinte est d’ordre patrimonial, il s’agira d’un préjudice patrimonial, économique ou matériel. Si l’atteinte est extra patrimoniale, il s’agira d’un préjudice moral ou extra patrimonial.

 

  • 1 – Les divers chefs de préjudice

A – Le préjudice matériel ou économique

 

         C’est une lésion d’intérêts patrimoniaux qui ont pour spécificité d’être directement évaluables en argent.

 

1 – En théorie: une perte subie ou un gain manqué

 

         La perte subie se caractérise par un appauvrissement de la victime. Le gain manqué constitue une privation, pour la victime, d’un enrichissement auquel elle pouvait s’attendre.

 

2 – En pratique

 

         Le préjudice matériel doit être entendu juridiquement de manière plus large que dans le langage courant. En effet, il englobe:

  • les atteintes aux biens: la destruction ou la détérioration d’un bien appartenant à la victime
  • les atteintes à la personne physique: atteintes à l’intégrité physique ce qui inclut l’atteinte à la santé, à l’intégrité corporelle voir à la vie même de la victime. De ces différentes atteintes à la personne physique résultent le préjudice corporel dans lequel la perte subie s’analyse en un appauvrissement économique du aux frais médicaux.

        

         Quant aux gains manqués ils consistent dans le manque à gagner découlant de l’incapacité de travail causée par l’atteinte que cette incapacité soit totale ou partielle, il s’agit de l’aspect économique du préjudice corporel. Ce dernier est également susceptible de revêtir une dimension morale, personnelle ou extra patrimoniale.

 

B Le préjudice moral ou personnel

 

         Le préjudice moral consiste en une souffrance physique ou morale. Il atteint la victime dans son bienêtre, son bonheur, ses sentiments.

 

1 – La controverse sur la réparation du dommage moral

 

  • contre: un certain nombre d’auteurs parmi lesquels Ripert et Esmein ont fait valoir que cette réparation du dommage moral était:
  • inconvenante: ils trouvaient choquant de monnayer une souffrance éprouvée à la perte d’un proche
  • inadaptée: on ne peut pas effacer avec une indemnité une souffrance d’ordre moral
  • arbitraire: un tel dommage est difficile à établir et à évaluer puisqu’il s’agit d’évaluer le prix de la souffrance
  • pour: cette réparation est simplement compensatoire c’est à dire qu’à défaut de pouvoir effacer le dommage, elle permettait au moins à la victime une sorte de satisfaction de remplacement en lui procurant des dérivatifs à sa douleur.
  • Cette controverse est demeurée sans effet sur la jurisprudence, puisqu’elle admet sans hésitation la réparation du dommage moral.

          

2 – La variété de préjudice moral

 

         La Jurisprudence française est considérée comme l’une des plus généreuses au monde en matière d’indemnisation de préjudice moral.

 

         Cette terminologie de préjudice moral est une terminologie doctrinale, le rapport Dintilhac n’utilise pas l’expression préjudice morale, il parle de préjudices extra patrimoniaux.

 

  1. a) les atteintes à un droit extra patrimonial

 

         Il s’agit des atteintes aux droits moraux de la personnalité. Exemples: l’atteinte au droit à l’honneur par la diffamation, atteinte à la vie privée, atteinte au droit à l’image.

 

  1. b) les atteintes à l’intégrité corporelle

 

         Il s’agit des conséquences extra patrimoniales ou personnelles d’un préjudice corporel. Les tribunaux réparent ces préjudices consécutifs à une atteinte corporelle qui consistent en des souffrances de la victime physiques ou morales. La nomenclature D regroupe ces deux types de souffrance dans un même poste de préjudice qu’elle appelle le déficit fonctionnel.

 

  • les souffrances physiques. La Jurisprudence les indemnise sous la rubrique de « pretium doloris ». Le prix de la douleur est indemnisé dans ses manifestations passées mais aussi dans ses manifestations à venir lorsqu’elles sont susceptibles de se prolonger. La nomenclature D distingue entre les préjudices extra patrimoniaux (souffrances physiques endurées par la victime avant consolidation définitive de son préjudice) et permanents (après la consolidation)

 

  • les souffrances morales. En France, la Jurisprudence s’est orientée dans la voie de l’énumération des souffrances morales:
  • le préjudice esthétique (celui qui résulte de cicatrices, de défiguration, de mutilation). Il a d’abord été réparé avec parcimonie mais aujourd’hui il est réparé avec beaucoup plus de libéralisme par la Jurisprudence puisque y sont comprises toutes les atteintes portées à l’apparence physique de la personne, dès lors qu’elles sont susceptibles de la faire souffrir dans son quotidien. Ce préjudice est évalué sur une échelle de 1 à 7 par les experts.
  • le préjudice d’agrément. C’est dans les années 50 que la Jurisprudence a commencé à indemniser ce préjudice d’agrément, ce chef de préjudice est une conséquence extra patrimoniale du préjudice corporel.
  • Étape 1/ l’abandon d’une définition étroite et subjective initialement retenue par les juges: ce préjudice était considéré comme résultant de la perte pour la victime de la possibilité de se livrer à des activités de loisir spécifiques. Il était interprété de manière subjective au regard des activités antérieures de la victime. La doctrine a qualifié cette conception d’élitiste, elle a fini par être délaissée.
  • Etape 2/ l’adoption d’une conception élargie et objective. Peu à peu la Cour de cassation s’est ralliée à une conception plus large admettant que le préjudice d’agrément correspondait à la « privation des agréments d’une vie normale ». Avec une telle définition, on s’est mis à indemniser la privation des plaisirs du quotidien. La deuxième chambre civile a admis que la perte du goût et de l’odorat constituait un préjudice d’agrément.
  • Etape 3/ 2ème civ. 28 mai 2009: censure d’une décision de la Cour d’Appel de Colmar qui avait indemnisée, au titre d’agrément, la perte de vie et des joies usuelles de la vie courante. La Cour de cassation motive sa décision par la reprise de la distinction faite dans la nomenclature D. Selon elle, la perte de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante relève non pas du préjudice d’agrément, mais de l’incapacité totale ou partielle qui est désormais incluse par la nomenclature dans le poste de préjudice dénommé déficit fonctionnel. Il en résulte à nouveau une définition réduite du préjudice d’agrément, on en revient à la conception initiale.
  • le préjudice sexuel. L’évaluation de ce préjudice est d’autant plus forte lorsque la victime est jeune.
  • 1/ Il s’agit d’un préjudice autonome 2ème civ. 6 janvier 1993, la Cour de cassation a affirmé que le préjudice sexuel ne constituait pas un préjudice d’agrément, il constitue un chef de préjudice à part entière.
  • 2/ C’est un préjudice de nature personnelle qui est classé par la nomenclature D comme un préjudice extra patrimonial et permanent. L’intérêt pour la victime tient dans le fait que la somme de l’indemnisation se trouve exclus du recours des organismes sociaux, la somme lui revient exclusivement.
  • 3/ C’est un préjudice à plusieurs facettes énumérées par le rapport D, énumération reprise par la Cour de cassation, 1ère civ. 17 juin 2010. Ce préjudice comprend: le préjudice morphologique lié à l’atteinte aux organes sexuels primaires et secondaires / le préjudice lié à l’acte sexuel lui-même / le préjudice lié à une impossibilité ou une difficulté de procréer. L’appréciation de ce préjudice se fait in concreto, c’est à dire en fonction de la victime et notamment de son âge
  • le préjudice d’affection. L’atteinte portée aux sentiments, c’est le chagrin engendré par la mort ou l’invalidité d’un proche. Ce n’est pas un préjudice de la victime directe, il s’agit du préjudice subi par ses proches. On parle, ici, de préjudice par ricochet, c’est précisément à ce propos que s’est discuté la controverse du préjudice moral: la Cour d’Appel de Bourges, le 3 juin 1996, a indemnisé le préjudice moral d’une petite fille de 4 ans pour la mort de son grand frère. Le préjudice moral résultant de la perte d’un animal: il a été admis, à titre exceptionnel, dans l’arrêt 1ère civ. 16 juillet 1962 « Lunus ».

 

  • 2 – Les conditions du dommage réparable

 

         Pour qu’un dommage soit réparable, il doit remplir certaines conditions qui en font des préjudices. De manière traditionnelle, on enseignait que le dommage devait être direct, actuel et certain pour être réparable. Concernant le caractère direct, cela relève de l’étude du lien de causalité. Concernant le caractère actuel, il n’est plus exigé aujourd’hui parce que la Jurisprudence admet tout à fait de réparer des dommages futurs à condition qu’ils soient certains. C’est le caractère certain qui demeure la condition exigée en matière de dommage mais cette exigence est remise en cause par l’émergence du risque de dommage avec le principe de précaution.

 

A – L’exigence de la certitude du dommage

1 – La notion de dommage certain

  1. a) le dommage actuel

 

         Une fois qu’il est réalisé il est nécessairement certain. Si nécessaire son évaluation sera faite par une expertise.

 

 

  1. b) le dommage futur

 

         Il est réparable parce que la certitude du dommage ne se confond pas avec son actualité. Le dommage sera futur et certain en même temps s’il apparaît comme « la prolongation certaine et directe d’un état de chose actuelle » (c’est l’attendu de principe d’arrêts rendus par la Chambre criminelle des requêtes le 1er juin 1932 qui ont consacré le principe de la réparation du dommage futur). C’est une Jurisprudence constante. Par exemple, la réparation d’une incapacité permanente de travail va être indemnisée par rapport à un dommage futur  c’est à dire qu’on indemnise la victime pour la diminution future de ses gains professionnels. La nomenclature nous parle d’un préjudice patrimonial permanent.

 

  1. c) le dommage éventuel

 

         Sa réalisation est hypothétique, il n’y a pas de certitude, il n’est donc pas réparable. Ce sont ces mêmes arrêts de la chambre des requêtes 1er juin 1932 qui l’attestent en disant qu’« il n’est pas possible d’allouer des dommages et intérêts en réparation d’un préjudice purement éventuel ».

 

  1. d) le dommage probable ou risque de dommage

 

         Il s’agit d’une catégorie intermédiaire entre le dommage certain et le dommage éventuel. Le dommage éventuel est susceptible d’être pris en compte par le droit par le principe de précaution. Exemples: le risque de dommage résultant de l’implantation d’une antenne relai de téléphonie mobile / le règlement européen dit règlement Bruxelles I du 12 décembre 2000 qui porte sur la compétence judiciaire. L’article 5-3 de ce règlement est relatif à la matière délictuelle et quasi délictuelle. Il donne compétence, non seulement au tribunal du lieu où le fait dommageable s’est produit, mais aussi où il risque de se produire.

 

2 – La perte d’une chance

  1. a) une notion large

 

L’indemnisation de la perte d’une chance est admise par la Jurisprudence dans des cas très divers:

 

  • Il peut s’agir de la perte d’une chance de gains financiers: la Jurisprudence a admis qu’un jockey dont la faute a fait perdre d’importantes chances de gains à un parieur, doit l’indemniser.
  • Il peut s’agir aussi de la perte d’une chance de gain d’un procès. Certains avocats ont oublié d’exercer une voie de recours dans le délai prévu et doivent indemniser le plaideur.
  • Il peut s’agir d’une perte de chance de guérison ou d’amélioration de l’état de santé voir même encore perte d’une chance de survie du à la faute d’un médecin.
  • La perte d’une chance de se présenter à un examen, la perte d’une chance de promotion.

 

  1. b) des conditions strictes

 

         La Jurisprudence exige que la chance perdue soit réelle et sérieuse, elle précise bien que la chance ne se confond pas avec la rêve, l’illusion ou bien le simple espoir de la victime, il faut donc que le gain espérer, l’avantage escompté est une certaine dose de probabilité. Il faut que la perte de chance soit la conséquence du fait générateur.

 

  1. c) un régime spécifique d’indemnisation

 

         La perte de chance obéit à des règles très particulières en ce sens qu’elle peut être certaine alors que le gain escompté ne l’était pas. Exemple: même si l’avocat avait bien exercé la voie de recours le plaideur n’était pas sûr de gagner son procès / même si le médecin n’avait pas commis de faute, la guérison du malade n’était pas certaine. Les juristes l’expriment en disant que le gain escompté par la victime est soumis à un aléa au sens où sa réalisation était plus ou moins probable, le montant de la réparation de la perte de chance est déterminée par la Jurisprudence grâce à un calcul de probabilité en fonction de la probabilité du gain. Le juge réparera seulement une partie du gain escompté proportionnelle à sa probabilité de réalisation: 1ère Civil 16 juillet 1998 « la réparation d’une perte de chance doit être mesurée à la chance perdue et ne peut être égale à l’avantage qu’aurait procuré cette chance si elle s’était réalisée ».

 

B – L’indifférence de la conscience du dommage    

          

         La Jurisprudence décide que la conscience par la victime du préjudice qu’elle subit n’est pas une condition de réparation de celui-ci. La question s’est posée particulièrement pour les victimes qui se sont retrouvées dans un état d’inconscience. Le problème de droit posé par ces cas était le suivant: la seule réalisation du dommage est-elle suffisante pour qu’il soit réparé ou faut-il en plus que la victime est conscience de son préjudice pour obtenir des dommages et intérêts ? La Cour de cassation s’est prononcée à plusieurs reprises sur cette question. C’est la chambre criminelle qui s’est d’abord prononcée sur la question dans un arrêt du 3 avril 1978, elle a décidé que le préjudice d’agrément subit par un inconscient était réparable, le motif invoqué était « l’indemnisation d’un dommage n’est pas fonction de la représentation que s’en fait la victime, mais de sa constatation par les juges et de son évaluation objective ». La même chambre criminelle a étendu cette solution au préjudice esthétique (10 novembre 1986), puis au préjudice économique et physiologique (11 octobre 1988). Elle admet donc que tous ces dommages sont réparables malgré l’état végétatif de la victime. En revanche, la deuxième chambre civile, par deux arrêts rendus le 21 juin 1989 a semblé s’être prononcée en faveur d’une appréciation subjective du préjudice. En effet, elle a paru considérer que la réparation du préjudice subi par une personne en état d’inconscience ne peut avoir pour objet que les besoins futurs de la victime. La Jurisprudence a fini par s’unifier avec la levée de l’opposition entre la Jurisprudence de la chambre criminelle et la Jurisprudence de la deuxième chambre civile: 2ème civ. 22 février 1995 et 2ème civ. 28 juin 1995: « L’état végétatif d’une personne humaine n’excluant aucun chef d’indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ces éléments ». L’ambiguïté est levée, la Jurisprudence est unifiée, désormais les victimes en état végétatif sont indemnisées dans les mêmes conditions que les autres sans prise en compte de leur inconscience et sans distinction selon les chefs de préjudice.

 

  • 3 – Les modalités du préjudice

A – Le préjudice immédiat de la victime directe

 

         Il s’agit du préjudice que la victime subie dans sa personne et dans ses biens. L’indemnisation de ce préjudice immédiat peut être obtenu soit par la victime elle-même, soit par ses héritiers si la victime immédiate est décédée mais après avoir survécu quelques temps à ses blessures. L’action en responsabilité civile a eu le temps de rentrer dans le patrimoine de la victime directe et elle va se transmettre aux héritiers en qualité d’action successorale.

 

B – Le préjudice par ricochet de la victime par ricochet

 

         Il s’agit du préjudice subit non pas par la victime initiale mais par d’autres personnes qui lui étaient proches, le droit leur reconnaît un droit propre à réparation tant pour leur préjudice économique que moral. Lorsqu’une personne chargée de famille est tuée dans un accident, ses proches éprouvent à la fois:

  • une perte matérielle de revenu = préjudice économique par ricochet. La Jurisprudence indemnise la cessation de subside dont bénéficiaient les proches à condition qu’elle soit certaine.
  • un chagrin moral = préjudice moral par ricochet. Dans un premier temps, son indemnisation était limitée aux hypothèses de décès de la victime directe. Par la suite, la Jurisprudence l’a admis également pour la douleur à voir un proche diminué du fait des séquelles de l’accident. Ce préjudice d’affection est présumé par les juges lorsqu’il existe des liens de famille entre la victime par ricochet et la victime directe mais c’est une présomption simple. Elle est écartée par la Jurisprudence pour le conjoint séparé de fait, par exemple. Ce préjudice peut également être indemnisé pour des proches non parents à condition d’apporter la preuve des liens d’affection qu’il y avait avec la victime directe. Cette question a fait l’objet d’une évolution significative concernant la concubine de la victime directe. Pendant longtemps, la Jurisprudence lui a refusé toute indemnisation au motif qu’elle ne justifiait pas d’un intérêt légitime juridiquement protégé. Dans les 50’s, la Chambre criminelle a accepté d’indemniser la concubine ce qui a conduit à la réunion d’une Chambre mixte le 27 février 1970, cet arrêt admet l’indemnisation de la concubine si le concubinage est stable et non délictueux (= non adultérin). Cette exigence va disparaître de la Jurisprudence postérieure et la loi du 11 juillet 1975 dépénalise l’adultère. Par la suite, la Jurisprudence s’est considérablement libéralisée, elle se contente maintenant d’un concubinage stable sans nécessaire cohabitation.

 

SECTION II – LE PREJUDICE COLLECTIF

  • 1 – Les dommages lésant un intérêt collectif

 

         Alors que le préjudice individuel atteint personnellement des victimes individualisées et déterminées, le préjudice qui lèse un intérêt collectif est plus diffus avec une certitude: ce n’est pas une addition de dommages individuels. Il porte atteinte à un intérêt collectif que ce soit l’intérêt d’une profession, l’intérêt d’une catégorie de personnes, l’intérêt des animaux, l’intérêt de la nature … L’admission de ces dommages a conduit à un élargissement progressif des demandeurs à l’action en responsabilité civile. Progressivement, le droit à peu à peu ouvert aux personnes morales le droit d’agir en justice pour obtenir réparation des atteintes à l’intérêt collectif qu’elles défendent.

 

A – les syndicats professionnels

 

         Ce droit a d’abord était reconnu par la Jurisprudence dans un vieil arrêt des Chambres réunies du 5 avril 1913 qui a consacré l’action collective des syndicats pour la défense des intérêts collectifs de la profession, il affirme que « l’intérêt d’un syndicat ou d’une association syndicale, intérêt collectif, ne se confond pas avec les intérêts individuels de ses membres », « le préjudice collectif n’est pas la somme des préjudices subis individuellement par les syndiqués ». Ce droit a été reconnu, par la loi du 9 mars 1920, aux syndicats professionnels qui peuvent agir « en réparation de tout préjudice direct ou indirect à l’intérêt collectif de la profession qu’il représente ». 

 

B – les associations

 

1/ les associations qui défendent les intérêts de leurs membres

D’un côté la Chambre criminelle est hostile à la recevabilité de leur action depuis un arrêt du 16 décembre 1954 et de l’autre côté la Chambre civile qui a accueilli ses actions dès le début du XX siècle à la condition que le fait dommageable représente une atteinte aux intérêts collectifs de leurs membres conformément à leur objet social déclaré. Cette Jurisprudence bienveillante à de nombreuses applications.

 

2/ les associations qui défendent les intérêts collectifs de portée plus générale dépassant ceux de ses seuls membres

La Cour de cassation avait pris initialement une position défavorable à l’encontre de l’action de ces associations: Chambre réunie, 15 juin 1923. Ce principe initial de refus de l’action associationnelle connait aujourd’hui de nombreuses exceptions légales: les associations de lutte contre le racisme sont admises à agir pour les infractions qualifiées de raciste depuis la loi du 1er juillet 1972. De même, les associations agréées de consommateurs qui ont le droit d’agir pour l’atteinte à l’intérêt collectif des consommateurs. Désormais l’assouplissement est aussi jurisprudentiel parce qu’il y a un courant de Jurisprudence qui accueille l’action en responsabilité civile des associations même en dehors des conditions des habilitations législatives: 3ème Civ. 26 septembre 2007 qui admet le préjudice personnel moral d’une association de protection de l’environnement défendant des intérêts collectifs. La doctrine défend l’idée d’un droit général des associations à agir en réparation des droits collectifs qui correspondent à leur domaine d’activité.

 

  • 2 – Le préjudice écologique

 

        Les dommages écologiques sont d’une grande variété, ils peuvent être ponctuels, graduels, différés dans leurs effets, effets qui vont survenir longtemps après l’apparition du fait dommageable. Ce sont des dommages complexes qui obligent le droit de la responsabilité civile à s’adapter.

 

A – La spécificité du préjudice écologique

 

         Contrairement aux préjudices individuels qui portent atteinte à l’intérêt qu’il soit patrimonial ou extra patrimonial d’une personne victime, ce qu’on appelle le préjudice écologique pur consiste en un dommage causé directement au milieu, à l’environnement, indépendamment de ses répercussions sur les biens.  C’est à dire que la victime directe n’est pas une personne, c’est l’environnement lui-même, la destruction d’une espèce ou la perturbation d’un écosystème. C’est un préjudice collectif car les atteintes qui atteignent l’environnement lèsent la communauté dans son ensemble. Il y a deux grandes thèses sur le sujet, celle de Francis Caballero et celle de Laurent Neyret. Depuis plusieurs années, le préjudice écologique pur ou objectif est en voie d’émergence juridique, autrement dit, il est en train de passer de dommage à dommage juridiquement réparable. Plusieurs indicateurs vont dans ce sens:

  • une part influente de la doctrine y est favorable, Viney qui y voit un dommage collectif qui constitue une atteinte au patrimoine commun de la communauté et qui, en tant que tel, doit être réparé
  • la directive européenne du 21 avril 2004 sur la responsabilité environnementale: dans son article 2, elle définit ce qu’elle appelle le dommage environnemental qui correspond au dommage écologique pur. Il s’agit de dommages causés aux espèces et habitats naturels protégés, ceux affectant les eaux, ceux affectant les sols. Cette directive a été transposée par la loi sur la responsabilité environnementale n°2008-757 du 1 août 2008. Cette loi oblige l’auteur d’une pollution « à prendre les mesures de réparation adaptées » mais le texte de la directive a été amendé et la loi n’aborde pas la question de l’indemnisation
  • le rapport Catala dans lequel Viney à rédiger la partie responsabilité, rapport qui propose une définition large du préjudice destiné à permettre la réparation du préjudice écologique pur: « Est réparable tout préjudice certain constituant dans la lésion d’un intérêt licite, patrimonial ou extra patrimonial, individuel ou collectif ».

 

         Le préjudice écologique est considéré, par certains auteurs, comme un préjudice collectif. Cette référence au caractère collectif du préjudice a cependant disparu de la proposition de loi déposée au Séant le 9 juillet 2010 sur la réforme de la responsabilité civile. Ce texte, de l’aveu même de ces rédacteurs, s’inspire très directement du rapport Catala.

 

B – La jurisprudence en matière de préjudice écologique pur

1 – La distinction entre dommage et préjudice

 

         La Jurisprudence était assez disséminée et peu systématisée sur la question. Mais certaines décisions reconnaissaient indirectement le préjudice écologique à travers l’indemnisation du préjudice moral d’associations de défense de l’environnement: Tribunal d’Instance Tournon, 28 avril 1981, il s’agissait d’un chasseur qui avait tué un rapace d’une espèce protégée en voie de disparition, il a été condamné en réparation du préjudice moral causé à l’association dont l’objet est précisément la protection de cet oiseau. Actuellement, une étape est en train d’être franchie avec la Jurisprudence sur l’affaire de l’Erika. En première instance, le TGI de Paris, le 28 janvier 2008, a réparé le préjudice écologique subit par un département et par une association. On voit ici qu’il y a un lien entre l’accueil de l’action des associations et la reconnaissance du préjudice écologique pur. Concernant la force normative des décisions de justice, ce jugement a eu une grande force normative car a été très médiatisé. En seconde instance, la CA de Paris par un arrêt du 30 mars 2010, est allée plus loin dans la consécration du préjudice à l’environnement en le qualifiant de « préjudice objectif autonome », c’est une reprise, en partie, de la terminologie proposée par L. Neyret dans sa thèse. Selon Neyret, cet arrêt est « historique » car il est hors norme par sa longueur et par l’ampleur de l’indemnisation. La Cour opère plusieurs distinctions importantes dans cet arrêt: la distinction entre dommage et préjudice « les dommages causés par le déversement des hydrocarbures sont à l’origine d’un certain nombre de préjudices… », la distinction entre préjudices subjectifs et préjudice objectif. En fait, il ressort de l’arrêt une classification des préjudices:

 

2 – La distinction entre préjudices subjectifs et préjudice objectif

  1. a) les préjudices subjectifs

 

         Ce sont ceux qui portent atteinte aux intérêts patrimoniaux et extra patrimoniaux des sujets de droit. Certains préjudices subjectifs sont donc patrimoniaux: le préjudice matériel lié aux activités de dépollution (frais de nettoyage des sites pollués, …), le préjudice économique qui résulte de la pollution (perte de chiffre d’affaire des professionnels victimes, …). D’autres sont extra patrimoniaux, dans ces cas, la CA de Paris a, dans sa décision, affiné le préjudice moral des associations puisqu’elle a indemnisée un chef de préjudice qu’elle imagine en indemnisant « le prix du découragement parce que la marée noire a porté atteinte à leur objet social et à contrarier gravement les efforts déployés par ces associations de protection de l’environnement ». La Cour a également indemnisé, au titre du préjudice moral, les collectivités territoriales « pour atteinte à leur image de marque et à leur réputation en ce qu’elles sont dépendantes du tourisme et des produits de la mer ». Ici, on est en présence de préjudices écologiques subjectifs  c’est à dire touchant des sujets de droit.

 

  1. b) le préjudice objectif

 

         C’est ce que l’on appelait préjudice écologique pur dans la doctrine, constituant une atteinte à l’intégrité du patrimoine naturel. La Cour le définie comme « toute atteinte non négligeable à l’environnement naturel à savoir, notamment, l’air, l’atmosphère, l’eau, les sols, les terres, les paysages, les sites naturels, la biodiversité et l’interaction entre ces éléments qui est sans répercussion sur un intérêt humain particulier mais qui affecte un intérêt collectif légitime ». Il s’agit, ici, d’une extension notable des préjudices réparables en droit commun de la responsabilité civile, au-delà des seuls préjudices corporels.

 

         On est dans l’attente de la décision de la Cour de cassation, plus d’une quarantaine de parties civiles ont formé un pourvoir. Toutes les questions ne sont pas résolues, notamment, la réparation sous forme pécuniaire est contesté par la doctrine, elle préconise des mesures de réparation spécifiques avec remise en état initial de l’environnement.

        

CONCLUSION

 

         On peut observer que, d’une part, la notion de dommage, notion factuelle, a beaucoup évolué, elle s’est élargie avec un double changement d’échelle et de nature. D’autre part, la notion de préjudice, de dommage juridiquement réparable fait, elle aussi, l’objet d’une évolution qui consiste dans une démultiplication et un affinement croissant des chefs de préjudice. Le droit français répare des préjudices de plus en précis et immatériels, par exemple, on peut citer les différents chefs de préjudices sexuels et le prix du découragement.

         Quant aux nomenclatures des préjudices, on peut citer la nomenclature Dinthillac qui fournit une classification des dommages réparables en cas de dommages corporels, elle a fait l’objet d’une circulaire demandant aux magistrats de la mettre en œuvre. Son fort degré d’acceptation par les praticiens lui a conféré une certaine légitimité qui la dote d’une puissante force normative. Cette force normative s’est accrue puisque la Cour de cassation se sert de ses définitions. Il y a également un projet de nomenclature des dommages réparables en cas d’atteinte à l’environnement. C’est un groupe de travail animé par Gilles Martin et Laurent Neyret, il est composé de magistrats, d’universitaires, d’écologues et d’économistes. Il a procédé à des auditions de parties prenantes (assureurs, représentants du MEDEF, des avocats, des magistrats, des associations, …). Le but de ces nomenclatures est d’éviter des réparations à géométrie variable selon les juridictions, il s’agit d’assurer une certaine harmonisation dans les réparations.

         La reconnaissance des préjudices collectifs participe de l’extension au XX siècle de la sphère de responsabilité civile, de la sphère individuelle à la sphère sociale, cette expansion progressive amène à une troisième sphère qui est celle du vivant plus largement.

 

 

CHAPITRE II – LE FAIT GENERATEUR

 

         Les codificateurs et les auteurs du XIX siècle ont pensé la responsabilité civile autour d’un fait générateur qui était essentiel et central à leurs yeux: la faute. Cependant, les termes utilisés par les articles du Code civil et notamment ceux de l’article 1384 al. 1, ont permis à la jurisprudence, aidée par la doctrine, de dissocier, dès la fin du XIX, trois faits générateurs: la fait personnel, identifié à la faute et régit par les articles 1382 et 1383 du Code civil, le fait de la chose dont on a la garde visé par l’article 1384 al. 1, 2 et 3 et le fait d’autrui  c’est à dire des personnes placées sous l’autorité d’une autre article 1384 al. 1, 4 et suivants. Par conséquent, ces trois faits constituent les trois catégories de faits générateurs de la responsabilité civile. On les retrouve avec des variantes dans la plupart des systèmes juridiques.

 

SECTION I – LE FAIT PERSONNEL

 

         Il s’identifie à la faute. Observation sur la double nature de la faute en responsabilité civile: la faute est à la fois fondement et condition de la responsabilité civile. La faute en tant que fondement relève de la théorie générale de la responsabilité, elle a été concurrencée par le fondement du risque. La faute en tant que condition de la responsabilité civile est assimilée au fait personnel et elle est incluse parmi les faits générateurs, c’est donc l’une des trois conditions de la responsabilité civile en tant que fait générateur à côté du préjudice et du lien de causalité.

         Il est de droit positif que toute faute dommageable appelle réparation de son auteur. Ce principe tiré de l’article 1382, a une valeur constitutionnelle cela provient d’un arrêt du CC du 22 octobre 1982 qui présente cette règle comme la suite nécessaire du principe que nul n’a le droit de nuire à autrui en se fondant sur la DDHC de 1789. La constitutionnalisation de ce principe de responsabilité pour faute a été confirmée par le CC le 19 juillet 1998. Aujourd’hui encore, malgré un certain recul de la responsabilité pour faute, celle-ci est parfois présentée comme le droit commun de la responsabilité civile ce qui signifie qu’elle a vocation à régir toutes les hypothèses non prévues par un texte spécifique. Cela explique que la Jurisprudence recours à la faute dans des domaines variés: l’utilisation du nom d’autrui, les atteintes à l’honneur, la concurrence déloyale. La faute constitue la pierre angulaire de la responsabilité du fait personnel, même si ce que l’on entend aujourd’hui par faute est très différent de la faute de 1804 car la faute subjective est devenue objective. On a assisté à un double mouvement d’objectivation de la responsabilité civile: l’objectivation des fondements et l’objectivation de la condition de faute.

 

  • 1 – Les différents types de faute

 

         La Cour de cassation, depuis un arrêt du 15 avril 1873, affirme de manière constante que « s’il appartient aux juges du fond de constater souverainement les faits d’où ils déduisent l’existence ou l’absence de faute, la qualification juridique de la faute relève du contrôle de la Cour de cassation ». C’est ici une expression de la distinction du fait et du droit.

         Dans les articles 1382 et 1383, le Code civil n’impose pas l’observation de dommages précis aux contours bien définis. Par conséquent, les tribunaux se reconnaissent la possibilité de sanctionner comme fautif tous les comportements contraire à la norme fondamentale de comportement (Puech) et cela même si le comportement en question n’est pas incriminé par un texte particulier.

 

A – La faute par commission et par omission

 

         La faute par commission est un acte positif, avoir fait ce que l’on n’aurait pas dû faire. Alors que la faute par omission ou faute d’abstention consiste à ne pas avoir fait ce que l’on aurait dû faire.  Le problème de droit est de savoir si l’on peut être civilement responsable en raison d’une inaction. La réponse à ce droit a évolué, au XIX, le droit répondait plutôt non pour des raisons plus philosophiques que juridiques car le droit était imprégné d’individualisme. Cet individualisme faisait que l’on répugnait à l’idée que la responsabilité soit engagée en cas de simple abstention, au motif que la liberté individuelle incluait aussi la liberté de ne pas agir. Par la suite, l’argument s’est affaibli et l’opinion inverse a fini par prévaloir avec la nuance que l’abstention est considérée comme une faute mais de manière plus restrictive qu’un acte positif. Dans l’avenir, on peut penser que l’introduction du principe de précaution pourrait avoir des incidences sur la notion de faute d’abstention.

 

1 – L’abstention en présence d’une obligation formelle d’agir

 

         Il s’agit de l’inexécution d’une obligation textuelle, légale ou réglementaire, contenue dans de nombreux textes. En effet, ces textes imposent aux particuliers de se conformer à telle ou telle prescription dans leurs activités afin d’éviter des préjudices pour les tiers. La violation de ces dispositions, entraine nécessairement une responsabilité.

 

2 – L’abstention en l’absence d’une obligation formelle d’agir

 

         On est en dehors de toute disposition textuelle, le problème est donc de savoir si les tribunaux ont le pouvoir de sanctionner une abstention en mettant en jeu la responsabilité civile ?

 

  1. a) l’attitude de la doctrine (assez réservée)

 

La doctrine opère une distinction entre:

 

         1/ l’omission dans l’action,  c’est à dire le cas où l’abstention s’intègre dans un acte positif et se confond avec lui. Exemple: le fait pour un automobiliste de ne pas avoir freiné à temps. Dans ce cas, il n’est pas discuté en doctrine la qualification de faute de l’acte, il s’agit d’une faute par imprudence ou négligence.

         2/ l’omission pure et simple (ou abstention pure et simple),  c’est à dire le fait de rester passif devant une situation que l’on aurait pu modifier par une intervention active. C’est à son sujet que s’expriment les réserves doctrinales. Si l’abstention est dictée par une intention de nuire, elle est certainement constitutive d’une faute. Mais en dehors de toute intention de nuire, les auteurs sont hésitants, ils ont du mal à justifier la responsabilité.

 

  1. b) la jurisprudence: l’admission de la faute d’abstention

 

         C’est dans l’affaire Branly que la Cour de cassation a rendu un arrêt de la chambre Civil du 27 février 1951 dans laquelle elle s’est prononcée sur l’omission d’un historien qui avait écrit une histoire de la TSF en omettant de citer le nom de Branly. La CA a refusé d’admettre que cette omission à un caractère fautif car d’après elle, l’historien avait exprimé une opinion personnelle sans chercher à nuire à la réputation de Branly. Cette décision a été cassée au motif que « la faute prévue dans les articles 1382 et 1383 peut consister aussi bien dans une abstention que dans un acte positif ». La Cour de cassation va plus loin puisqu’elle admet que l’abstention puisse constituer une faute même en l’absence d’obligations légales ou règlementaires d’agir et même en l’absence d’intention de nuire. La faute de l’historien consistait à avoir violé son devoir professionnel d’objectivité. Cet arrêt va être confirmé par la Jurisprudence postérieure en posant en principe « qu’une abstention peut être fautive lorsqu’elle constitue l’inexécution d’une obligation d’agir ». Mais peu importe la source formelle ou textuelle de cette obligation. A défaut de textes, le juge va devoir rechercher quelle aurait été la conduite d’un individu avisé placé dans les mêmes circonstances.

 

         Observation: la proposition de loi portant réforme de la RC du 9 juillet 2010 fournie dans son article 1386-3 une définition de la faute qui est la suivante: « violation d’une loi ou d’un règlement, ou manquement à une obligation de prudence ou diligence ».

 

B – La faute intentionnelle et non intentionnelle

 

         Cette distinction a été tirée de la doctrine des articles 1382 et 1383. Pourtant, aucun des deux ne se réfère aux délits ou aux quasi-délits. Cette distinction n’est pas reprise par la proposition de la réforme de la RC. Elle repose sur la gravité du comportement de l’auteur du fait dommageable.

 

1 – Délit, faute intentionnelle

 

         La faute intentionnelle se caractérise non seulement par la volonté de commettre l’acte dommageable, mais aussi par la volonté de causer le dommage. Une pareille faute suppose donc la conscience de causer le dommage. Par conséquent, elle ne peut pas être commise par un individu privé de raison qu’il s’agisse d’un petit enfant ou d’une personne atteinte d’un trouble mental. En principe, le droit de la RC n’attache pas de conséquence particulière au caractère intentionnel de la faute: toute faute entraine la responsabilité de son auteur si elle a été source d’un dommage. Quant à l’étendue de la réparation elle est calquée sur l’importance du préjudice et non pas sur la gravité de la faute. Toutefois, en présence d’une faute intentionnelle, le juge sera enclin à accorder une indemnisation plus importante à la victime. On peut ajouter que l’auteur d’une faute intentionnelle ne peut pas faire jouer son contrat d’assurance.

 

2 – Quasi-délit, faute non intentionnelle

 

         Il consiste dans une imprudence ou une négligence de l’auteur du faut dommageable, en l’état actuel du droit positif elles sont visées à l’article 1383 du Code civil. L’auteur du fait dommageable n’a pas voulu causé le dommage mais seulement l’acte dommageable (non pas ses conséquences). La négligence s’analyse comme un manque d’attention et l’imprudence comme un manque de réflexion.

 

C – La faute lucrative

 

         C’est une notion en voie d’émergence. C’est une faute « qui rapporte à son auteur plus que ce que la réparation du dommage qu’elle cause ne va lui retirer ». La proposition de réforme de la RC lui consacre un article sans la nommer mais en évoquant « une faute délictuelle (…) (qui) a permis à son auteur un enrichissement que la seule réparation du dommage n’est pas à même de supprimer ». L’article 1386-25 prévoit que cette faute peut donner lieu à des dommages et intérêts punitifs. Le cadre posé par la proposition de réforme est hyper strict, trois conditions sont posées aux dommages et intérêts punitifs:

  • la loi doit prévoir expressément cette possibilité
  • le juge doit motiver sur ce point précis sa décision
  • le montant des dommages et intérêts punitifs ne peut pas dépasser le double du montant des dommages et intérêt compensatoires

 

  • 2 – L’évolution de la notion de faute: l’objectivation de la faute

 

         La doctrine a déployé beaucoup d’efforts pour tenter de définir la faute au sens juridique et pour arriver à la dégager de la faute morale. Différentes définitions ont été proposées, par exemple, Planiol a défini la faute « comme la violation d’une obligation préexistante ». On a reproché à cette définition d’être trop restrictive car la faute peut être un manquement à un simple devoir sans qu’existe une obligation préexistante au sens juridique du terme et trop imprécise parce qu’elle ne renseigne pas sur les obligations dont la violation constitue une faute. Mazeaud et Chabas ont proposé une définition selon laquelle la faute « est une erreur de conduite telle qu’elle n’aurait pas été commise par une personne avisée placée dans les mêmes circonstances ». Viney et Jourdain définissent la faute comme « la violation d’une norme ou d’un devoir qui s’imposait à l’agent ».

         Au-delà il importe d’avoir à l’esprit l’évolution de la notion de faute sur la fin du XX siècle. Pendant longtemps, la faute été subjective et elle supposait que soit réunies deux conditions: l’illicéité et l’imputabilité à son auteur. De nos jours, la faute est objective  c’est à dire que la condition d’imputabilité est écartée, il n’est plus nécessaire que la faute puisse être imputée  c’est à dire reprochée à son auteur. Il suffit donc qu’elle soit illicite.

         L’intérêt de l’objectivation de la faute c’est qu’elle facilite l’indemnisation de la victime. En effet, la preuve que la victime doit rapporter est bien plus légère: elle doit rapporteur seulement la preuve de l’illicéité. Les inconvénients sont au nombre de deux: l’objectivation « démoralise » la faute qui est désormais en droit de la RC coupée de toute dimension subjective de culpabilité. L’objectivation de la faute peut parfois se retourner contre la victime si cette victime a elle-même commise une faute. Ainsi, un enfant sans discernement peut être en faute et peut se voir imposer un partage de la responsabilité qui va diminuer son indemnisation.

 

A – Le maintien de la condition d’illicéité

 

         Aujourd’hui, la faute se réduit à son élément matériel à savoir l’illicéité, autrement dit, l’anormalité, la défectuosité du comportement de l’auteur du dommage.

 

1 – En cas de préexistence d’une règle de droit positif

 

         Quand le fait dommageable a transgressé une règle de droit positif, la constatation de l’illicéité est facile. C’est le cas lorsque le respect de la norme de comportement était impérativement prescrit par une règle de droit.

 

2 – En cas d’absence d’une règle obligatoire de droit positif

 

         C’est au juge qu’il appartient de décider si le fait dommageable est considéré comme illicite. Il l’appréciera au regard des bonne mœurs, du bon sens, de la morale, et plus généralement sur le devoir général de chacun d’agir avec prudence et diligence. Pour retenir la faute, il devra constater l’illicéité du comportement.

 

B – L’indifférence de l’imputabilité

1 – L’ancienne exigence d’imputabilité

  1. a) l’exposé

 

         Pendant longtemps, la seule illicéité du comportement ne suffisait pas à qualifier de faute l’attitude d’un sujet de droit, il fallait en plus que l’acte soit imputable à son auteur  c’est à dire que ce dernier est une conscience du caractère illicite de son acte. Un élément objectif d’illicéité s’ajoutait donc à un élément subjectif s’imputabilité. La conséquence était qu’aucune faute ne pouvait être commise par une personne qui avait causé un dommage dans un état d’inconscience. La justification de cette solution traditionnelle se trouvait dans la philosophie individualiste du Code civil avec l’idée que l’on ne peut reproché à l’homme que les actes dont il a pu mesurer la portée. La responsabilité subjective était liée à la raison. Par conséquent, en l’absence de raison, en cas d’inconscience de l’auteur, l’acte illicite ne pouvait être considéré comme une faute.

 

  1. b) les applications

 

         Les personnes privées de raison étaient civilement irresponsables.

 

1/ l’ancienne irresponsabilité des personnes atteintes d’un trouble mental. La Jurisprudence affirmait de manière constante l’irresponsabilité sur le terrain des articles 1382 et 1383 des personnes ayant agi sous l’empire de la démence à deux conditions: qu’elles aient souffert d’un état de démence complet au moment de la réalisation du dommage et que leur état n’ai pas été dû à une faute antérieur de leur part.

2/ l’ancienne irresponsabilité des jeunes enfants (ceux qui n’avaient pas encore atteint l’âge de raison). On ne pouvait pas imputer une faute à un mineur en raison de son jeune âge, solution justifiée par l’impossibilité, pour le jeune enfant, de comprendre et de mesurer ses actes.

 

  1. c) la critique

 

         Progressivement l’indemnisation des victimes est apparue comme l’objectif prioritaire de la RC. Le principe d’irresponsabilité des inconscients a été de plus en plus critiqué, on lui a reproché d’être inéquitable pour les victimes de dommages causés par des inconscients puisque ces victimes se trouvaient privées de réparation. Le droit positif a alors progressivement écarté cette exigence d’imputabilité

 

2 – La suppression de la condition d’imputabilité

 

         Cette suppression a en premier lieu été effectuée par la loi pour les personnes atteintes d’un trouble mental puis par la Jurisprudence pour les très jeunes enfants.

 

  1. a) la responsabilité des personnes atteintes d’un trouble mental

 

         Cette première exception a été le résultat d’une loi du 3 janvier 1968 concernant les incapables majeurs. Une des dispositions de cette loi prévoit que « celui qui a causé un dommage à autrui alors qu’il était sous l’empire d’un trouble mental, n’en est pas moins obligé à réparation ». Ce texte a été inséré au Code civil dans l’article 414-1, le sens du texte est clair: l’inconscience de la  personne atteinte d’un trouble mental n’empêche pas que celle-ci soit considérée comme responsable. La portée du texte a peu à peu été dégagée par la jurisprudence.

La jurisprudence a précisé que l’obligation à réparation édictée par ce texte concernait tous les incapables, qu’ils soient majeurs ou mineurs, à partir du moment où sous l’empire d’un trouble mental, ils ont causé un dommage à autrui. La jurisprudence applique la maxime « ubi lex non distinguit ». Ensuite, la Cour de Cassation a considéré que ce texte ne pouvait pas s’appliquer aux enfants en bas âge qui ne souffraient pas d’un trouble mental au moment du dommage. Ici, il s’agit d’une technique de raisonnement a contrario. La jurisprudence a également procédé à une interprétation restrictive des conditions d’application de ce texte et notamment de la notion de trouble mental. Elle refuse d’appliquer ce texte à la personne qui a créé un dommage sous l’empire d’un trouble physique. Enfin, la Cour de Cassation a précisé que cet article n’édictait pas un régime spécifique et autonome de responsabilité. Au contraire, ce texte s’applique à toutes les responsabilités relevant des articles 1382 et suivants. Cela signifie que, malgré le trouble mental qui interdit de lui imputer sa faute, la personne est civilement responsable dans les cas et conditions du droit commun. 

 

  1. b) la responsabilité des enfants en bas âge

 

         Dans un arrêt du 9 mai 1984, arrêt Derguini, l’Assemblée Plénière a décidé que l’infans (enfant en bas âge) pouvait être l’auteur d’une faute sans qu’il soit nécessaire de vérifier s’il était capable de discerner les conséquences de ses actes. Ce nouveau principe de responsabilité du jeune enfant est appliqué par l’Assemblée plénière au cas où l’enfant est victime, sa faute va alors engendrer un partage de responsabilité avec l’auteur du dommage. La même année, dans un arrêt du 12 décembre 1984, la 2ème Chambre civile applique le principe dégagé par l’Assemblée plénière au cas où l’enfant est auteur du dommage. Elle en déduit que sa responsabilité peut être engagée sur le fondement de l’art. 1382.

 

En conclusion, on peut dire qu’aujourd’hui, l’indifférence de la condition d’imputabilité est complètement entérinée. Peu importe que l’on ne puisse pas reprocher sa faute à l’auteur du dommage. La faute a ainsi perdu sa coloration morale. On est donc ainsi passé de l’exigence d’une faute subjective (nécessairement imputable à son auteur) à celle d’une faute objective. La responsabilité de la personne atteinte d’un trouble mental et du petit enfant s’inscrit dans un mouvement plus vaste d’objectivation de la responsabilité. Le mouvement d’objectivation c’est à la fois l’objectivation de la faute, des autres régimes de responsabilité et des fondements.

 

  • 3: L’appréciation de la faute
  • Les deux modes d’appréciation

 

Pour qualifier tel fait dommageable de faute, le juge dispose de deux méthodes :

  • L’appréciation in concreto: la qualification de faute sera retenue en fonction de la personne de l’auteur du dommage. Il qualifiera son comportement de faute si la personne n’a pas mis en œuvre tous les moyens qu’elle avait à sa disposition compte tenu de sa spécificité concrète.
  • L’appréciation in abstracto: le juge ne tient plus compte des caractéristiques de la personne, il se livre à une comparaison entre le comportement de l’auteur du fait dommageable et le comportement qu’aurait eu une personne normalement prudente et raisonnable dans les mêmes circonstances.

 

  • La solution retenue
  • Le principe retenu

 

Il s’agit de celui d’une solution in abstracto, c’est-à-dire que le juge apprécie le comportement de l’auteur du dommage par rapport à celui d’un individu loyal et avisé. La conséquence est que les tribunaux refusent, en principe, de tenir compte des insuffisances personnelles ou psychologiques de l’auteur du dommage. Cette solution sévère est en même temps en cohérence avec la nouvelle notion de faute, qui est devenue objective. En effet, la suppression de la condition d’imputabilité conduit à une appréciation objective, in abstracto. Cela résulte du fait que la faute est désormais juste un comportement illicite.

 

  • La tempérance du principe

 

Le juge n’utilise pas un modèle de référence qui soit unique mais plutôt des modèles de référence catégoriels. D’une part, il prend en compte la situation professionnelle pour qualifier le comportement ou non de faute. Par exemple, le médecin dont le comportement a été dommageable à son patient, verra son comportement comparé à un médecin normalement prudent et diligent. D’autre part, le juge prend en compte certaines caractéristiques de l’auteur qui ne relèvent pas de sa volonté ou de son intelligence, tel qu’un handicap, la surdité ou la cécité.

 

  • Le contrôle de qualification de la faute

 

Il est exercé par la Cour de Cassation. Elle exerce ce contrôle sur la qualification de faute retenue par les juges du fond. Il faut donc bien distinguer d’une part, la constatation de l’existence des faits, qui relève du pouvoir souverain des juges du fond. D’autre part, la qualification de ces faits en faute relève du contrôle de la Cour de Cassation.

 

En conclusion, la doctrine s’est demandée si on assistait à un déclin ou à une mutation de la faute, ou bien à une résistance de la faute. Un élément de réponse peut se retrouver dans l’étude de la proposition de réforme de la responsabilité civile. La réponse y est mitigée. D’un côté, un nouveau type de faute prend discrètement sa place : la faute lucrative. De l’autre côté, la responsabilité pour faute perd son statut de droit commun de la responsabilité civile parce que le nouvel art. 1382 pose un principe général de responsabilité sans faire référence à la faute.

 

SECTION II – LE FAIT DES CHOSES

 

En 1804, pour les codificateurs, il n’existait que deux types de choses susceptibles de causer un dommage : les animaux (art. 1385) et les immeubles tombant en ruine (art. 1386). Le Code Civil ne consacrait donc que deux textes à la responsabilité du fait des choses. En dehors de ces deux cas, quand un dommage était causé par l’intermédiaire d’une chose, la victime devait prouver la faute de celui qui utilisait cette chose au moment de la réalisation du dommage. Autrement dit, la réparation ne pouvait donc être obtenue que sur le fondement de la responsabilité du fait personnel, c’est-à-dire pour faute. A la fin du XIXème siècle, ces règles sont apparues insuffisantes sous la pression de plusieurs facteurs comme le développement du machinisme et des progrès techniques. Ces facteurs vont engendrer une multiplication des dommages sous forme d’accident du travail, de la circulation… Bien souvent, l’indemnisation de la victime va se trouver entravée par son impossibilité de prouver une faute. Par exemple, les ouvriers qui se sont retrouvés victimes d’outils défectueux étaient souvent dans l’impossibilité d’établir la faute de leur employeur. Ces deux phénomènes conjugués vont conduire la doctrine et la jurisprudence à rechercher une règle nouvelle qui permette la réparation de ces dommages. Cette règle nouvelle a été « découverte » dans l’art. 1384 al. 1, par son interprétation. Ce texte dispose qu’« on est responsable, non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait (fait personnel = faute), mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre (fait d’autrui) ou des choses que l’on a sous sa garde (fait des choses) ». Dans l’esprit des codificateurs, ce texte était dépourvu de toute portée juridique. Il ne s’agissait que d’un alinéa de transition qui à la fois, résumait les deux articles précédents, et annonçait les alinéas et articles suivants. Ainsi, concernant les choses que l’on a sous sa garde, l’art. 1384 al. 1 annonçait les articles 1385 et 1386. Cet alinéa de transition visait donc exclusivement les animaux et les bâtiments en ruine. La jurisprudence s’est affranchie de l’intention des codificateurs. Elle va se saisir de ce texte et va créer une nouvelle norme sur la base de ce texte, un principe général de responsabilité du fait des choses. Désormais, on est responsable du fait des choses, toutes les choses, que l’on a sous sa garde. C’est une très forte illustration du pouvoir créateur de la jurisprudence.

 

  • 1: L’affirmation du principe général de responsabilité du fait des choses
  • L’apparition du principe de responsabilité du fait des choses

 

La première étape de son apparition remonte à un arrêt de la Cour de Cassation rendu le 16 juin 1896 dans l’affaire dite du remorqueur. C’est la première fois que le principe de responsabilité du fait des choses est affirmé par la jurisprudence. Dans cette espèce, la chaudière d’un remorqueur avait explosé et avait tué l’ouvrier qui travaillait dessus. La Cour de Cassation a reconnu la responsabilité du propriétaire du bateau, et donc de la chaudière, sur le fondement de l’art. 1384 al.1. Elle en déduit que celui-ci doit réparer le dommage causé par la chose dont il est propriétaire. Cet arrêt s’inscrit dans le mouvement doctrinal de l’époque puisque c’est une illustration de la théorie du risque prônée par Saleilles et Josserand. Seulement, la portée de cet arrêt a rapidement été limitée par la loi du 9 avril 1898 concernant les accidents du travail puisque ce texte soumet ces accidents à une responsabilité automatique et forfaitaire de l’employeur.

 

La deuxième étape va de l’arrêt de 1896 à 1930. Pendant cette période, l’application de l’art. 1384 al. 1 est plutôt timide, mais la jurisprudence a tout de même évoluée à son sujet. A l’origine, la Cour de Cassation décidait que cette responsabilité nouvelle était fondée sur une présomption de faute. Par conséquent, on pouvait s’en exonérer par la simple preuve de l’absence de faute parce que cette présomption était une présomption simple. Puis, elle a décidé que la présomption ne pouvait pas être renversée par la preuve de l’absence de faute mais seulement par la preuve d’un cas de force majeure. Elle va progressivement transformer le régime, on est alors passé d’une présomption de faute à une présomption de responsabilité.

 

  • La consécration du principe

 

Ici, c’est le développement de la circulation automobile et la difficulté d’indemniser les victimes d’accident qui va fournir l’occasion de cette consécration. Dans l’arrêt Jand’heur, un enfant a été écrasé par un camion sans que la faute du conducteur ne soit démontrée. La mère demandait réparation du préjudice subi. L’arrêt a été rendu par les Chambre réunies le 13 février 1930. Cet arrêt est capital dans la construction de la responsabilité du fait des choses car expose toutes les règles essentielles qui gouvernent la responsabilité du fait des choses et cela à trois égards : quant au fondement de la responsabilité, quant à son domaine et quant à son régime.

 

  • Quant au fondement de la responsabilité

 

Ce principe général de responsabilité autonome tiré de l’art. 1384 al. 1 repose sur une présomption de responsabilité. Certains auteurs ont estimé que cette expression était équivoque mais avec le recul, cette formulation permettait de détacher la responsabilité du fait des choses de l’idée de faute. Par conséquent, cette formulation fait de la responsabilité du fait des choses une responsabilité autonome par rapport à la responsabilité du fait personnel. Par la suite, la jurisprudence a abandonné cette expression au profit de celle de « responsabilité de plein droit ». Ces changements terminologiques traduisent une évolution vers une responsabilité de plus en plus objective et donc une responsabilité dont on peut de moins en moins s’exonérer.

 

  • Quant au domaine de la responsabilité

 

Il résulte de la motivation de l’arrêt que cette responsabilité a vocation à s’appliquer à toute sorte de choses, peu importe que la chose ait été ou non actionnée par la main de l’homme, peu importe encore qu’elle comporte ou non un vice propre susceptible de causer le dommage. L’arrêt ne fait pas allusion au fait que la chose ait ou non un caractère dangereux. L’existence d’une chose ayant causé un dommage est une condition qui se suffit à elle-même. L’arrêt le confirme en rattachant la responsabilité à la garde de la chose et non pas à la chose elle-même.

 

  • Quant au régime de la responsabilité

 

Cet arrêt nous apporte 2 enseignements importants:

 

  • La victime bénéficie d’une présomption. À savoir que dès lors qu’une chose est intervenue matériellement dans la réalisation du dommage, la victime n’a pas à apporter la preuve que juridiquement cette chose est à l’origine du dommage. Elle n’a pas non plus à prouver que son gardien a commis une faute.
  • Le gardien de la chose qui a causé le dommage ne peut pas s’exonérer de sa responsabilité par la preuve de son absence de faute. Il n’y a que la preuve d’un cas de force majeur ou d’une cause étrangère peut l’exonérer.

 

  • 2 – Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité du fait des choses

 

         Selon l’article 1384 alinéa 1 tel qu’interprété par la jurisprudence, on doit donc répondre du fait des choses que l’on a sous sa garde.

 

A – Les conditions relatives à la chose

1 – La chose

  1. a) le principe

 

         En principe toutes les choses entre dans le domaine de l’article 1384 alinéa 1 quelque soient leur nature ou leurs caractéristiques. Toutes choses:

 

  • qu’elles soient meuble ou immeuble sauf si elle est soumise à un régime spécifique de responsabilité
  • Qu’elles soient ou non affectée d’un vice interne, les caractéristiques de la chose sont indifférentes: Cassation chambre civile, 16 novembre 1920, confirmée par l’arrêt Jand’heur.
  • Qu’elles soient dangereuse ou non, la Cour de cassation a refusé de n’appliquer la responsabilité du fait des choses qu’aux seules choses dangereuses.

 

         Certains auteurs ont dit que c’était le risque à l’état pur qui été mis en œuvre dans la responsabilité du fait des choses puisque toute référence moral est exclue. Aucune chose ne résiste au principe général du fait des choses contenu dans l’article 1384 alinéa 1.

 

  1. b) les exceptions

 

Certaines choses sont exclues de la responsabilité du fait des choses:

 

  • les choses soumises à un statut spécial, comme les véhicules terrestres à moteur soumis à la loi du 5 juillet 1985
  • les choses sans maitre, l’article 1384 alinéa 1 ne s’applique pas aux res nullius (= choses qui n’ont jamais eu de propriétaire) par exemple, la neige et la pluie ne sont pas des choses au sens de 1384 sauf si une personne vient à se les approprier et commet un dommage avec. L’article 1384 ne s’applique pas non plus au res delictae (= choses qui n’a plus de propriétaire)
  • le corps humain? En principe le corps humain n’est pas assimilé à une chose. La conséquence de ce principe est que le dommage, provenant directement du corps humain sans médiation d’un objet, relève de la responsabilité pour faute. Pourtant, la Jurisprudence admet l’application de 1384 lorsque le corps de la personne formait un tout avec une chose en lui empruntant ses effets dommageables. Exemples: collision entre deux skieurs ou deux cyclistes. Dans ces hypothèses, le dommage est le résultat de l’impulsion que la chose à conférer au corps, le corps emprunte ainsi sa nature à la chose. La Jurisprudence va plus loin en admettant l’application de 1384 alinéa 1 au corps relié à une chose inerte. Par exemple une personne poussant un vélo ou une personne tenant la poignée de sa voiture. Le corps humain est alors le prolongement de la chose, la solution a été critiquée par la doctrine parce le principe du respect de la personne humaine est heurté par l’assimilation du corps humain à une chose

 

La chose est entendue de manière très extensive par la Jurisprudence ce qui sert l’indemnisation des victimes et ce qui va dans le sens de la responsabilité civile.

 

2 – Le fait de la chose

 

         En vertu de 1384 alinéa 1 la réparation du dommage subit par la victime suppose que celui-ci provienne du fait d’une chose. Plusieurs sens du fait de la chose ont été écartés par la Jurisprudence qui n’en a retenu qu’un seul: il y a fait de la chose lorsque la chose est la cause du dommage. Exiger le fait de la chose revient à exiger un lien de causalité entre la chose et le dommage.

 

  1. a) les significations écartées par la jurisprudence

 

  • le fait de la chose n’est pas nécessairement un fait autonome (exclusif) de la chose (arrêt Jand’heur) « la loi ne distingue pas suivant que la chose qui a causé le dommage était ou non actionnée ou non par la main de l’homme. La responsabilité du fait des choses s’applique également aux cas ou le dommage est dû à un fait propre de la chose. Par exemple: une bouteille de gaz qui explose, … La responsabilité du fait des choses s’applique également lorsque le dommage est activé par la main de l’homme.
  • le fait de la chose n’est pas nécessairement celui d’une chose en mouvement: Cours de Cassation, 24 février 1941. La Cour de cassation y précise que 1384 alinéa 1 ne distingue pas selon que la chose est inerte ou en mouvement
  • le fait de la chose ne suppose pas nécessairement un contact: Cour de cassation, 2 février 1940 « l’absence de contact entre la chose et le dommage n’est pas forcément exclusive du lien de causalité ».

 

Conclusion a):

 

         Le mouvement de la chose ou le contact avec le lieu du dommage ne constituent pas des critères d’application du principe général d’application du fait des choses. Ceux sont cependant des circonstances susceptibles d’exercer une influence sur le régime de responsabilité.

 

  1. b) la signification retenue

 

         Il y a fait de la chose lorsque la chose est la cause du dommage. Autrement dit il faut et il suffit que la chose est causée le dommage. En conséquence la victime va devoir démontrer d’une part la participation matérielle de la chose et d’autre part, son rôle causal dans la survenance du dommage.

 

1/ la preuve d’une intervention matérielle de la chose

 

         La Jurisprudence se contente d’une participation matérielle quelconque de la chose qu’il y ait eu ou non contact entre la chose et la victime. La preuve de cette participation matérielle peut être faite par tous moyens y compris par des présomptions graves, précises, et concordantes. En cas de contact, la preuve sera relativement facile pour la victime. En l’absence de contact la preuve sera plus difficile, la victime va devoir prouver que la chose était dans une situation anormale, ou qu’elle a eu un comportement anormale. Cette preuve n’est pas toujours facile a apporté, les tribunaux facilitent parfois la tâche de la victime en se contentant d’une preuve négative.

 

2/ la preuve d’une intervention causale de la chose

 

         La chose doit avoir été génératrice du dommage, elle doit avoir joué un rôle causal dans la production du dommage.

 

◊ La distinction traditionnelle

 

  • dans le cas d’une chose inerte, la charge de la preuve du rôle causal joué par la chose est supporté par la victime. Quant à l’objet de la preuve la Jurisprudence considère que ce rôle causal résulte d’une anormalité: position anormale de la chose / structure anormale de la chose. C’est cette anormalité que la victime doit prouver.
  • dans le cas d’une chose en mouvement, la victime ne supporte pas la charge de la preuve parce que la Jurisprudence opère un renversement de la charge de la preuve par la présomption. Il suffit donc que la victime est apportée la participation matérielle de la chose pour que le rôle causal de la chose soit présumé.

 

◊ Le flottement momentané:

 

         Le heurt d’une chose inerte suffit-il à engager la responsabilité du gardien de la chose ? La Jurisprudence répond que non, selon la chambre civile, la victime doit prouver en plus de la position anormale, le comportement anormal ou le défaut de la chose. La chambre civile a pourtant écarté plusieurs fois cette condition en se contentant de ce que la chose ai été l’instrument du dommage sans que la victime ai eu à établir sa position, son comportement anormal ou son défaut. Cette solution a été reprise: 2ème cour de cassation chambre civil 23 mars et 15 juin 2000 et 25 octobre 2001. Viney s’est prononcée pour le maintien de l’exigence d’anormalité car elle vient tempérer la sévérité du régime de responsabilité du fait des choses. Trois arrêts ont suivi cette critique en exigeant le caractère anormal initialement fixé par la responsabilité du fait des choses: 2ème civ., 24 février 2005.

 

◊ Les propositions de réforme de la RC

 

         Elles se rallient à l’exigence soit d’un vice de la chose, soit de l’anormalité de la chose, soit de sa position, soit de son état. La proposition Terré ajoute également l’exigence de l’anormalité du comportement. Pour elle, ces exigences sont dans tous les cas alors que, pour la proposition de réforme devant le Sénat, c’est seulement quand la chose est inerte et ou sans contact avec le lieu du dommage (article 1386-5 pour la proposition devant le Sénat / article 20 alinéa 2 pour la proposition Terré).

 

B – Les conditions relatives à la personne responsable

 

         Le principe de responsabilité du fait des choses, dégagé par la Jurisprudence de 1384 alinéa 1, énonce que l’on est responsable du fait des choses que l’on a sous sa garde. Lorsque les conditions relatives à la chose sont remplies, la responsabilité va alors peser de plein droit sur le gardien. La question de droit qui se pose est de savoir qui est le gardien responsable de la chose ?

 

1 – La notion de garde

 

         La garde est un pouvoir effectif et indépendant sur la chose

 

  1. a) un pouvoir effectif sur la chose

 

Cette notion s’est dégagée progressivement en 3 temps:

 

         1/ Dans un premier temps, on considérait que la garde était un pouvoir de droit sur la chose  c’est à dire un pouvoir justifié par un titre juridique. Dans cette conception, il y avait un lien très étroit entre la garde et la propriété. Il en résultait que le propriétaire d’une chose n’en perdait pas la garde même en cas de dépossession involontaire par un voleur, voleur qui exerçait un pouvoir de fait sur la chose. La conséquence juridique pour le propriétaire était qu’il était responsable du dommage causé par la chose alors même qu’elle était dans les mains du voleur. C’est une solution dure pour le propriétaire mais directement inspirée de la théorie du risque avec l’idée que la propriété d’une chose engendre des risques pour les tiers et que la charge de ces risques doit peser sur celui qui tire profit de la propriété de la chose. La Jurisprudence a évolué et a atténué le caractère objectif de la notion de garde mais elle a conservé une règle de cette théorie: le propriétaire de la chose est présumé en être le gardien. S’il veut échapper à la responsabilité qui pèse sur lui, il doit démontrer qu’il n’avait pas la garde effective de la chose, on lui demande dont de renverser la présomption.

         2/ La Jurisprudence a admis que la garde est un pouvoir de fait sur la chose. Elle l’a affirmée dans l’arrêt Franck rendu par les Chambres réunies le 2 décembre 1941. Dans cette affaire, le voleur d’une voiture avait causé un accident, la Cour de cassation a décidé que le propriétaire, dépossédé par les faits du vol, « se trouvait dans l’impossibilité d’exercer sur sa voiture une surveillance ». Et que, par conséquent, il n’en avait plus la garde puisqu’il avait été privé « de l’usage, de la direction et du contrôle de sa voiture ». C’est cet arrêt qui pose la définition de la notion de garde. La garde réside donc dans les pouvoirs d’usage, de direction et de contrôle exercés sur une chose au moment du dommage.

         3/ On a précisé ce qu’il fallait entendre par pouvoir de fait sur la chose. Il s’agit d’un pouvoir physique, matériel exercé sur la chose, cela permet donc de considérer que le voleur est le gardien de la chose. Il doit s’agir d’un pouvoir effectivement exercé au moment de la survenance du dommage.

 

  1. b) un pouvoir indépendant sur la chose

 

         Pour être considéré comme le gardien d’une chose, la personne doit avoir exercé sur elle un pouvoir autonome. Cette exigence permet d’exclure la qualité de gardien dans certaines situations, par exemple, une personne qui prend une leçon de conduite ne dispose pas de la qualité de gardien car il est privé d’un pouvoir autonome sur la chose. Deux précisions apportées par la jurisprudence: une personne atteinte d’un trouble mental peut être gardien de la chose. En effet l’article 414-3, l’oblige à réparer les dommages causés sous l’empire d’un trouble mental or, ce texte ne distingue pas que le dommage soit causé par un fait personnel ou bien par la fait d’une chose qu’elle a sous sa garde. L’enfant en bas âge peut également être gardien et cela malgré son absence de discernement depuis les arrêts rendus en assemblée plénière le 9 mai 1984. La qualité d’incapable n’exclue pas la qualité de gardien et donc n’exclue pas la qualité du fait des choses.

 

2 – La détermination du gardien

 

         Ce n’est pas une tâche simple pour les juges mais elle est facilitée par une présomption qui connait certains infléchissements.

 

  1. a) la présomption de garde pesant sur la propriétaire

 

         Le propriétaire est présumé gardien de sa chose, par conséquent, quand on ne sait pas de façon précise qui utilisait la chose dommageable, on présume qu’elle est demeurée sous la garde de son propriétaire. Cette présomption repose sur le « plerumque fit »  c’est à dire sur la loi du plus grand nombre. En effet, la plupart du temps, le gardien d’une chose est son propriétaire. Cette présomption est simple et elle peut donc être renversée par tous les moyens de preuve. Le propriétaire doit simplement prouver que la garde a été transférée à quelqu’un d’autre. La Jurisprudence admet assez facilement le transfert de la garde à la charge des personnes qui se sont emparés même temporairement de l’usage d’une chose. Plus précisément lorsque la personne marque la volonté de s’approprier la chose, le transfert de la garde est effectif.

         1/ le transfert involontaire de la garde: la garde est transférée au voleur par l’effet du vol, le propriétaire cesse d’être gardien et n’en est donc plus responsable.

         2/ le transfert volontaire de la garde par un contrat, par l’accord des volontés, donnant droit à la détention de la chose comme un contrat de bail, de prêt, de transport. Le locataire, l’emprunteur, le transporteur deviennent gardien de la chose remise par le propriétaire à condition qu’ils aient un pouvoir réel et autonome sur la chose. Le transfert de la garde de la responsabilité va alors s’opérer.

 

Conclusion de la notion de gardien dans les propositions de réforme de la RC

 

         La proposition de loi déposée devant le Sénat contient un article 1386-6 qui définit le gardien et qui pose une présomption « le gardien est celui qui a la maitrise de la chose (…) lors de la survenance du fait dommageable. Le propriétaire est présumé gardien ».

         La proposition de Terré, dans son article 20 alinéa 3, définit la notion de gardien et pose une présomption « est gardien celui qui avait ou aurait dû avoir l’usage et la maitrise de la chose au moment du fait dommageable. Le propriétaire est présumé gardien ».

        

         Ces deux propositions ont la même présomption de garde du propriétaire, elle est exprimée de manière identique au plan formel. C’est l’expression d’une solution jurisprudentielle classique. Ces deux textes abandonnent la trilogie de l’arrêt Franck (usage, direction et contrôle) au profit de la notion de maitrise qui vient remplacer le contrôle et la direction.

         Dans la proposition Terré il y a davantage d’éléments: l’usage s’ajoute à la maitrise, alors que l’autre proposition mentionne simplement la maitrise, ces deux conditions sont cumulatives. Le texte de proposition du groupe Terré va au-delà d’un pouvoir effectif de la chose en qualifiant également de gardien celui qui aurait dû en avoir l’usage et la maitrise. Ce texte réintroduit une certaine dose de subjectivité dans ce cas de responsabilité objective.

 

SECTION III – LE FAIT D’AUTRUI

 

         Article 1384 énumère plusieurs cas de responsabilité du fait d’autrui, il s’agit d’hypothèses où le fait dommageable causé par une personne peut faire naitre une responsabilité à la charge d’une autre. Ainsi, les pères et mères sont responsables du fait de leur enfant mineur, les artisans du fait de leur apprenti ou les commettants du fait de leur préposé. Dans l’esprit des codificateurs l’article 1384 avait pour but de stimuler la vigilance des hommes « chargés du dépôt sacré de l’autorité ».

 

  • 1 – Présentation générale

 

         On va rechercher les raisons qui justifient qu’une personne soit obligée de réparer les dommages causés par une autre. Cela revient à se poser deux questions: pour et quoi ? Et pourquoi ?

 

A – Le but de la responsabilité du fait d’autrui

 

         Ce but est un besoin de solidarité avec les victimes qui se traduit par l’impératif d’indemnisation. Il s’agit, ici, d’augmenter leurs chances d’indemnisation parce que, dans le cadre de la responsabilité du fait d’autrui, les personnes qui ont causées le dommage sont souvent insolvables. Dans ces conditions l’absence de responsabilité du fait d’autrui pourrait équivaloir à une absence de réparation pour la victime ce qui explique que les victimes puissent agir contre les personnes responsables du fait d’autrui. En 1804 la responsabilité du fait d’autrui était présentée comme relevant de quelques cas exceptionnels contrairement à la responsabilité pour faute, ils étaient énumérés aux articles 1384 et suivants. Alors qu’aujourd’hui, cette responsabilité constitue un principe général à part entière qui est le pendant du principe général du fait des choses.

 

B – L’évolution des fondements de la responsabilité du fait d’autrui

 

         Traditionnellement, les cas de responsabilité du fait d’autrui reposaient sur le fondement subjectif d’une faute présumée que cette faute soit due à un défaut de surveillance de la personne ou à un défaut de choix. L’idée était que si autrui causait un dommage, il était concevable de présumer que la personne qui devait et pouvait exercer son autorité avait failli à son obligation d’exercer cette autorité et qu’elle avait donc commis une faute.

         Aujourd’hui, tout comme pour la responsabilité du fait des choses, les fondements de la responsabilité du fait d’autrui tendent à s’objectiver.  C’est à dire que cette responsabilité apparaît comme la contrepartie d’un pouvoir sur autrui ou du profit tiré de son activité. Le fondement du risque permet d’éclairer les évolutions de la jurisprudence depuis les 90’s. Le fondement objectif n’est véritablement apparu qu’avec l’émergence récente d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui. Ce principe général, coexiste, s’articule, englobe des cas particuliers qui tendent de plus en plus à s’harmoniser avec le principe.

 

  • 2 – Le principe général de responsabilité du fait d’autrui

 

         Le problème de droit tranché par la Jurisprudence s’est posé de la façon suivante: l’article 1384 du Code civil procède-t-il à une énumération exhaustive des différents cas de responsabilité du fait d’autrui ? Ou bien au contraire pose-t-il un principe général dans son alinéa 1 en énonçant que l’on est responsable du dommage « causé par le fait des personnes dont on doit répondre » ? Répondre par l’affirmatif à cette deuxième question c’est reconnaître une valeur normative au premier alinéa de 1384 alors que pour les codificateurs il n’en avait pas. Cela revient à faire, des cas particuliers énoncés aux alinéas 4 et suivants, des applications de ce principe général.

 

A – Le débat doctrinal

 

         Jusqu’en 1991, la quasi-totalité des auteurs à l’exception de quelques visionnaires, enseignaient que l’article 1384 alinéa 1 ne contenait pas de principe général du fait d’autrui, il se bornait juste à énoncer les hypothèses d’une telle responsabilité régit par les alinéas 4 et suivants. D’ailleurs la Jurisprudence considérait que ces cas étaient limitatifs et même d’interprétation restrictive. Cette opinion avait été critiquée très tôt par le doyen Savatier dans une de ses chroniques « la responsabilité générale du fait des choses que l’on a sous sa garde a-t- elle pour pendant une responsabilité générale du fait des personnes sont on doit répondre ? ».

 

1 – L’exclusion d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui

 

C’était la thèse longtemps dominante qui avait été soutenue par les frères Mazeaud. Leur opinion s’appuyait sur trois arguments :

 

  1. a) L’argument exégétique

 

Cet argument est l’intention des codificateurs. L’argument est alors irréfutable. Dans l’esprit des codificateurs, l’al. 1 de l’art. 1384 n’était rien d’autre qu’un texte de transition qui articulait les hypothèses de responsabilité du fait personnel et les cas de responsabilité du fait des choses et du fait d’autrui.

 

  1. b) L’argument pragmatique

 

Leur idée est que l’affirmation d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui poserait des difficultés pratiques de mise en œuvre parce que les différents cas spéciaux de responsabilité du fait d’autrui prévus par le Code se caractérisent par leur grande diversité, soit dans leurs fondements, soit dans leur régime. Dans ces conditions, il est difficile de trouver un principe général qui chapoterait tous ces cas particuliers.

 

  1. c) L’argument « idéologique »

 

Pour les frères Mazeaud, la reconnaissance d’un tel principe n’apparaissait pas à leurs yeux comme étant imposé par un impératif social d’indemnisation. Ces arguments ont été méthodiquement contestés par Savatier.

 

2 – La nécessité d’un tel principe général

 

On peut dire que la thèse de Savatier s’inscrit dans le courant indemnitaire qui anime le droit de la responsabilité civile. Selon lui, l’évolution de la responsabilité doit inéluctablement conduire à admettre qu’elle joue de plein droit pour le fait d’autrui. Savatier en déduit que lorsqu’une personne cause un dommage dans des circonstances qui ne permettent pas de déclencher les cas spéciaux de responsabilité d’autrui, il faut « impérieusement que quelqu’un réponde de lui », il préconise alors un principe général de responsabilité du fait d’autrui. A l’appui de cette affirmation, Savatier va adresser ses critiques aux arguments de frères Mazeaud.

 

  1. a) Argument exégétique

 

Il s’agit de l’argument selon lequel l’al. 1 ne constitue qu’une formule de style. Selon Savatier, cet argument peut être combattu par un argument d’analogie. La jurisprudence, malgré l’intention des codificateurs, a créé à partir de ce texte un principe général de responsabilité du fait des choses. Par conséquent, rien ne s’oppose à ce que la jurisprudence soit créatrice pour le fait d’autrui comme pour le fait des choses.

 

  1. b) Argument pragmatique

 

Savatier répond que la diversité qui caractérise la responsabilité du fait d’autrui ne s’oppose pas à la reconnaissance d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui. Il s’appuie encore sur l’analogie. La variété de régimes des cas spéciaux de responsabilité du fait des choses, régit par des textes particuliers, n’a pas empêché l’admission d’un principe général de responsabilité du fait des choses.

 

  1. c) Réponse au troisième argument

 

L’évolution sociale justifie la création d’un tel principe. En effet, l’éducation des mineurs, le traitement des malades mentaux ou encore la répression des délinquants se caractérisent par une liberté de plus en plus grande. Or, cette liberté engendre des risques accrus pour les tiers, risques qui justifient une extension responsabilité de la même façon que le développement du machinisme avait en son temps entrainé l’émergence d’un principe général de responsabilité du fait des choses.

 

B – La solution jurisprudentielle

 

Pendant longtemps, la jurisprudence a refusé d’admettre l’existence d’un principe général de responsabilité du fait d’autrui, à l’exception de quelques décisions de juges du fond. La jurisprudence admettait donc que la liste des personnes qui répondent du dommage causé par une autre était une liste limitative. Par conséquent, pour engager la responsabilité d’une personne en dehors des cas légaux prévus par 1384 et suivants, il fallait prouver sa faute et donc revenir à sa responsabilité du fait personnel. En 1991, un revirement de jurisprudence consacre le principe de responsabilité du fait d’autrui en laissant plusieurs incertitudes quant à son régime et à son domaine.

 

1 – L’affirmation du principe général de responsabilité du fait d’autrui

 

Ce principe a été posé par un arrêt de l’Assemblée plénière du 29 mars 1991, Blieck, qui constitue un important revirement de jurisprudence.

 

  • Le sens clair de l’arrêt Blieck

 

L’affaire concernait un handicapé mental qui avait été placé dans un centre d’aide par le travail qui accordait à ses patients une totale liberté de circulation. Profitant de cette liberté, ce handicapé a mis le feu à une forêt et les propriétaires ont alors agit en réparation contre l’association qui gérait le centre et son assureur. En première instance, les juges ont retenu la responsabilité personnelle de l’association sur le fondement de l’art. 1383. La Cour d’Appel a décidé que la liberté laissée au handicapé était exclusive d’une faute de surveillance de sa part et pourtant, la Cour d’Appel a tout de même retenu la responsabilité de l’association sur le fondement de l’art. 1384 al. 1 qui édicte, selon elle, le principe d’une présomption de responsabilité du fait des personnes dont on doit répondre. Un pourvoi est formé, reprochant à l’arrêt d’avoir inventé un pareil principe alors qu’il n’y a de responsabilité du fait d’autrui que dans les cas reconnus par la loi. L’Assemblée plénière rejette le pourvoi et pour se faire, elle relève que les juges du fond avaient constaté que l’association avait accepté « la charge d’organiser et de contrôler, à titre permanent, le mode de vie de l’auteur du dommage » et que par conséquent, elle devait répondre de celui-ci au sens de l’art. 1384 al. 1. Le sens de l’arrêt Blieck est clair, la Cour de Cassation considère que les cas de responsabilité du fait d’autrui énumérés par l’art. 1384 al. 4 et s. ne sont pas limitatifs et donc qu’une personne peut être responsable du dommage causée par une autre dont elle répond sur le seul fondement de l’alinéa 1er.

 

  • La portée discutée de l’arrêt Blieck

 

Cet arrêt n’est pas un arrêt de principe. Il se distingue de l’arrêt d’espèce qui est très lié à l’espèce. L’arrêt de principe contient un attendu de principe.

La motivation de l’arrêt Blieck sert de très près les faits de l’espèce. Ce qui était sûr à la lecture de cet arrêt est la reconnaissance de la valeur normative de 1384 al. 1. La question de sa portée consistait à savoir si cet arrêt créait un nouveau principe de responsabilité ou un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui. Pour certains auteurs, tel que Ghestin, cet arrêt consacre un principe général de responsabilité du fait d’autrui. Pour d’autres, il valait mieux être plus réservé compte tenu de la motivation de celui-ci.

 

  • Les suites de l’arrêt Blieck

 

  • Une confirmation: arrêt de la 2ème civ., 9 décembre 1999 qui a retenu la responsabilité d’une association chargée « d’organiser et de contrôler, à titre permanent, la vie du mineur ».

 

  • Une extension: cette extension se fait de deux manières. La première est l’admission de nouvelles application de la responsabilité du fait d’autrui avec 3 arrêts du 22 mai 1995 qui ont posé la responsabilité d’une commune pour le fait de squatteurs qui occupaient un immeuble appartenant à la commune en raison d’un incendie qui s’était propagé à l’immeuble voisin. La Cour de Cassation retient la responsabilité du fait d’autrui de la commune. Elle a également posé la responsabilité de clubs sportifs pour le fait de joueurs affiliés à ces clubs qui dans une bagarre ou dans le cadre de la compétition sportive avaient tué ou blessé un membre du club adverse. Un arrêt de la 2ème chambre civile, du 12 décembre 2002 a retenu la responsabilité du plein droit d’une association pour le fait d’une majorette qui, dans un défilé, en avait blessé une autre avec son bâton.

La seconde est l’allègement des conditions de la jurisprudence Blieck. En premier lieu, dans ces nouvelles applications, la responsabilité du fait d’autrui est retenue sans que soient remplis les conditions posées par la jurisprudence Blieck c’est-à-dire le pouvoir d’organiser le mode de vie de la personne et la permanence du contrôle. En deuxième lieu, certaines de ces applications nouvelles ne sont pas fondées sur un devoir de contrôle lié à l’état physique ou mental de la personne. Dans l’arrêt de la majorette, la Cour de Cassation va plus loin que dans les arrêts des clubs sportifs puisque le dommage n’était pas dû à des violences volontaires. En outre, l’arrêt précise que la responsabilité de l’association peut être admise « sans avoir à tenir compte de la dangerosité potentielle de l’activité » dès lors qu’elle « avait pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses membres au cours du défilé ». Cet assouplissement jurisprudentiel a engendré une crainte dans la doctrine qui n’est pas sans rappeler celle qu’elle avait eue au moment où se développait la responsabilité du fait des choses. La crainte était celle des velléités d’extension de cette responsabilité qui risque de se révéler considérable. Ces craintes se sont révélées infondées parce que la jurisprudence a su délimiter la responsabilité du fait d’autrui.

 

  • Une limite à la jurisprudence Blieck: les dernières évolutions jurisprudentielles sont plutôt de nature à montrer que la jurisprudence est capable de canaliser le principe qu’elle fait émerger.

L’ajout d’une condition supplémentaire pour la responsabilité des associations sportives, depuis les arrêts de 1995, avec la possibilité de voir leur responsabilité engagée du fait d’un de leur membre ayant causé un dommage à autrui. Mais pour cela, il faut qu’il ait commis une faute caractérisée par la violation des règles du jeu.  Cette solution a été répétée à plusieurs reprises : 2ème chambre civile, 20 novembre 2003.

La limitation du domaine de ce principe : ce principe n’est en effet pas applicable à un syndicat professionnel pour les dommages causés par ses membres (2ème chambre civile, 22 octobre 2006). « Un syndicat n’ayant ni pour objet ni pour mission d’organiser, de diriger et de contrôler l’activité de ses adhérents au court de mouvements ou manifestations auxquels ses derniers participent, les fautes commises personnellement par ceux-ci n’engagent pas la responsabilité de plein droit du syndicat auquel ils appartiennent ».

 

Depuis l’arrêt Blieck, la jurisprudence sur la responsabilité du fait d’autrui peut se fonder sur le fondement du risque, que ce soit le risque-crée par le fait d’avoir pris en charge une personne faisant conduire à autrui des dangers particuliers. Pour certains auteurs, c’était le domaine raisonnable du principe de responsabilité du fait d’autrui mais la jurisprudence est allée plus loin en consacrant également l’idée de risque-profit au sens où la responsabilité du fait d’autrui peut apparaitre comme la contrepartie d’un pouvoir de nature économique et/ou du profit tiré de la responsabilité du fait d’autrui. De manière plus englobante aujourd’hui, on parle de plus en plus de risque social lié à l’activité des personnes que l’on a sous sa garde.

 

Les propositions de réforme du droit de la responsabilité civile & le principe général de la responsabilité du fait d’autrui : la proposition faite au Sénat pose un principe général de responsabilité assez audacieux car ne se référant pas à la faute et le pose à l’art. 1382 modifié : « tout fait quelconque de l’homme (…) qui cause à autrui un dommage oblige son auteur à le réparer ». Aux articles 1386-7 à 1396-10, cette proposition énumère les cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui. Il n’y a pas de principe général de responsabilité du fait d’autrui mais un principe général de responsabilité auquel la responsabilité du fait d’autrui peut se raccrocher. La proposition Terré pose un principe général de responsabilité fondé sur la faute qui semble constituer le droit commun : art. 1 al. 2 qui énonce « tout fait qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ». L’alinéa 3: « en l’absence de faute la même obligation de réparation ne nait que dans les cas et aux conditions déterminées par la loi ».  C’est à dire que tout ce qui n’est pas responsabilité pour faute, est une exception. Par voie de conséquence cela exclu clairement un possible principe général de responsabilité du fait d’autrui qui se trouve reléguée au rang d’exception. L’article 13 semble confirmer cela puisqu’il dit qu’on ne répond du dommage causé par autrui que dans les cas et aux conditions déterminées par la loi ».

 

2 – Le régime de la responsabilité générale du fait d’autrui

  1. a) l’affirmation de la responsabilité de plein droit

 

         L’arrêt chambre criminelle, 26 mars 1997, Notre Dame des flots précise ce régime puisqu’il énonce que « les personnes tenues de répondre du fait d’autrui au sens de l’article 1384 alinéa 1 ne peuvent s’exonérer de la responsabilité de plein droit résultant de ce texte en démontrant qu’elles n’ont commis aucune faute ». Il s’agit d’une responsabilité sans faute avec des causes d’exonération limitées. Il en résulte que la preuve de l’absence de faute ne permet pas eu défendeur de s’exonérer de sa responsabilité du fait d’autrui. D’autre part, seule la preuve d’une cause étrangère présente les caractères de la force majeure.

         La justification de cette solution a été donnée par le magistrat qui a fait les conclusions de cet arrêt à la Cour de cassation: Desportes. Il nous dit qu’il y a une unité de texte entre la responsabilité du fait des choses et la responsabilité du fait d’autrui. Il doit donc avoir unité de régime pour ces deux responsabilités. Les tentatives de limiter le domaine de la responsabilité du fait des choses en fonction de la nature de la chose se sont heurtées à des difficultés pratiques et n’ont pas été suivies par la Cour de cassation d’où le refus de procéder à des distinctions entre personnes dangereuses ou non. Cette dualité de régime avait été proposée notamment par Geneviève Viney pour limiter le domaine de la responsabilité du fait d’autrui. Cette distinction-là est écartée par la Jurisprudence de Notre Dame des Flots.

 

  1. b) l’exigence d’une faute de l’auteur du dommage

 

         Contrairement à la solution retenue dans la responsabilité des pères et mères (arrêt Levert de l’Assemblée Plénière, 13 décembre 2002), la jurisprudence exige une faute de l’auteur du dommage pour engager la responsabilité générale du fait d’autrui fondée sur 1384 alinéa 1. Par exemple, 2ème chambre civile, 20 novembre 2003 et 13 janvier 2005 à propose de la responsabilité d’associations sportives.

 

Conclusion

         En quelques années la responsabilité du fait d’autrui s’est vue érigée en principe général doté d’un régime général de responsabilité objective. L’évolution de la responsabilité du fait des choses qui s’est faite sur plusieurs décennies a manifestement ouvert la voie et faciliter cette émergence du principe général de responsabilité du fait d’autrui. Cette mutation a produit des effets retour sur les cas spéciaux.

 

  • 3 – Les responsabilités particulières du fait d’autrui

 

  • Dans l’esprit des codificateurs, l’article 1384 ne contenait que des cas particuliers de responsabilité du fait d’autrui qui étaient visés aux alinéas 4 et suivants. Ces cas étaient limitatifs et exceptionnels car dérogatoires au fondement générale de la faute. Depuis 1804 le paysage juridique a beaucoup changé et, depuis que la Jurisprudence a dégagé un principe général de responsabilité du fait d’autrui, ces cas ne sont plus limitatifs et apparaissent de plus en plus comme des applications de principe général de responsabilité du fait d’autrui. Les alinéas 4 et suivants prévoient 4 cas:
  • la responsabilité des parents du fait de leurs enfants
  • la responsabilité des artisans du fait de leurs apprentis
  • la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés
  • la responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves

 

  • Le mouvement d’unification des différents fondements de ces cas spéciaux: jadis, ces cas particuliers se distinguaient les uns des autres par leurs fondements. L’un deux, la responsabilité des instituteurs du fait de leurs élèves, était fondé sur la faute présumées puis fut fondée sur la faute prouvée de l’enseignant par la loi du 5 avril 1937. Il ne s’agit plus d’une responsabilité du fait d’autrui aujourd’hui, mai d’une responsabilité du fait personnel. Deux autres cas étaient fondés sur une faute présumée: celle des parents et celle des artisans. Celle des parents est devenue une responsabilité objective, ce qui logiquement devrait transformer pareillement la seconde qui est traités par la même al. 7 de l’art. 1384. La Jurisprudence se fondant sur cet alinéa a toujours calqué le régime de l’artisan sur celui des parents. Un arrêt de l’Assemblée Plénière, du 13 décembre 2002 semble confirmer ces deux tendances: l’alignement de la responsabilité des artisans sur celle des parents (« Vu l’article 1383 alinéa 1, 4 et 7 du Code civil). Quant au dernier cas de la responsabilité du fait d’autrui, la doctrine l’a fondée initialement sur une présomption de faute. Mais comme cette présomption était irréfragable, le commettant n’était pas autorisé à prouver son absence de faute. Par conséquent on s’accorde aujourd’hui à définir ce cas particulier comme une responsabilité objective.

 

A – La responsabilité des parents du fait de leurs enfants

 

         En vertu de l’art 1384 al 4, les parents sont responsables lorsque leur enfant mineur cause un dommage à un tiers. La victime peut alors mettre en jeu, non seulement la responsabilité personnelle du mineur, mais aussi ou bien seulement, celle des parents. Cette responsabilité a fait l’objet d’un important revirement de jurisprudence: l’arrêt Bertrand de 1997 qui, selon G. Viney, « modifie de fond en comble son régime et son fondement. Cette évolution a été confirmée par l’Assemblée plénière en 2002.

 

1 – L’évolution des fondements de la responsabilité des parents

  1. a) le fondement initial

 

         Traditionnellement, la responsabilité des père et mère était fondée sur une présomption de faute de leur part. On estimait que si le mineur avait causé un dommage, c’est qu’il avait été mal éduqué ou qu’il avait été mal surveillé. Il y avait donc une présomption d’un faut d’éducation et/ou de surveillance. Un arrêt de la 2 civ. Du 12 octobre 1955 avait systématisé cela en énonçant que « la responsabilité du père en raison du dommage causé par son enfant mineur (…) découle de ses obligations de surveillance et de direction sur la personne de ce dernier ». Il s’agissait d’une présomption simple de faute des parents qu’ils pouvaient renverser par la preuve contraire. Autrement dit, la preuve de l’absence de faute était exonératoire.

 

  1. b) l’amorce du revirement

 

         Arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984, dans lequel la Cour de cassation substitue à l’expression « présomption de faute » celle de « présomption de responsabilité ». C’est clairement une amorce d’objectivisation.

 

  1. c) le revirement de l’arrêt Bertrand

 

         2ème chambre civile, 19 février 1997, cet arrêt utilise la formule de « responsabilité de plein droit » ce qui signifie clairement qu’il s’agit d’une responsabilité sans faute objective. S’en est finit du fondement objectif et traditionnel de la faute. Ce revirement a été confirmé par un arrêt de l’Assemblée plénière du 13 décembre 2002. La solution nouvelle établie une garantie parentale fondée sur le risque créé qui permet une indemnisation systématique des victimes. Un pareil fondement appelle une obligation légale d’assurance (ce type d’assurance est fortement inscrit dans la pratique).

 

2 – Les modifications du régime de la responsabilité des parents

  1. a) la diminution des causes d’exonération

 

         Dans la Jurisprudence traditionnelle, fondant la responsabilité des parents sur une présomption simple de faute, les parents pouvaient la renverser en apportant la preuve contraire.  C’est à dire qu’ils étaient admis à s’exonérer de leur responsabilité en démontrant leur absence de faute d’éducation et/ou de surveillance. Cette faculté va demeurer même après l’arrêt Fullenwarth (1984) qui pourtant s’appuie sur une présomption de responsabilité qui est une formule longtemps utilisée pour désigner le régime de responsabilité de plein droit incombant au gardien de la chose. Il faudra donc attendre l’arrêt Bertrand (1997) pour que soit clairement affirmé que seule la force majeure ou la faute de la victime peuvent exonérer les parents. Cette solution a été confirmée par l’arrêt de l’Assemblée Plénière, 17 janvier 2003 qui modifie l’arrêt de 2002: désormais l’absence de preuve de faute des parents est devenue inopérante, seule la force majeure (Assemblée Plénière, 2003) et non la cause étrangère (Ass. Plénière, 2002), ou la faute de la victime peuvent exonérer les père et mère de la responsabilité du fait de leur enfant. Cette réduction des causes de l’exonération possible alourdie la responsabilité parentale.

 

  1. b) l’allégement des conditions de cette responsabilité

 

         Traditionnellement la Jurisprudence en exigeait deux: la cohabitation de l’enfant avec ses parents et sa faute. Deux conditions qui étaient liées au fondement initial de la faute de la responsabilité des parents en ce qu’elle révélait la possibilité pour les parents de contrôler leur enfant et leurs défaillances à cette obligation. Ce qui justifie la responsabilité des parents, ce n’est plus l’idée de sanction mais la garantie d’indemnisation des victimes. Par conséquent, ces deux conditions (cohabitation et faute) ne sont plus en cohérence avec la responsabilité de plein droit pesant sur les parents.

 

1/ l’assouplissement de la condition de cohabitation

 

         Cette condition de cohabitation de l’enfant avec ses parents est visée à l’art. 1384 al. 4, c’était la présomption de faute des parents qui justifiait cette exigence. La présomption de faute ayant désormais disparu, la Jurisprudence tente de minimiser cette condition pour mettre en jeu le plus possible la responsabilité des parents. La cour de cassation a précisé que « la cohabitation de l’enfant avec ses père et mère visait à l’art. 1384 al. 4 et 7, résulte de la résidence habituelle de l’enfant au domicile des parents ou de l’un deux » 2ème chambre civile, 20 janvier 2002. Or, la résidence habituelle de l’enfant n’est pas forcément sa résidence effective au moment du dommage, ce qui emporte une série de conséquences:

  • la cohabitation ne cesse pas en cas d’éloignement temporaire des parents et de cessation de courte durée d’hébergement. Les parents restent donc responsables de l’enfant qui a été confié quelques jours à sa grand-mère (2ème chambre civile, 20 janvier 2002). Les parents restent également responsables pendant que l’enfant est confié à un organisme de vacances, car ce dernier n’est pas chargé d’organiser et de contrôler à titre permanent le mode de vie de l’enfant (Chambre Criminelle, 29 octobre 2003)
  • la cohabitation ne cesse pas durant la présence de l’enfant dans un établissement scolaire même en régime d’internat (2ème chambre civile, 16 novembre 2000 et 29 mars 2001)
  • la cohabitation ne cesse pas quand l’enfant a été confié par ses parents à sa grand-mère, chez qui il réside depuis 12 ans (chambre Criminelle, 8 février 2005)

 

         Le but de cette Jurisprudence extensive est de maintenir même dans ces différents cas, la garantie fournie par les parents. La condition de cohabitation est donc entendue très largement et de manière abstraite. Au fond, elle tend à se confondre avec l’autorité parentale. La doctrine considère que cette condition devrait être supprimée de 1384 al. 4 (G. Viney). Les deux propositions de réforme du droit de la RC du 9 juillet 2010 suppriment indirectement cette condition de cohabitation, respectivement aux articles 1386-7 1° et 14, en énonçant que « sont responsable de plein droit » du fait du mineur « ses père et mère en tant qu’ils exercent l’autorité parentale ». La responsabilité des parents serait désormais corrélée à leur autorité parentale et non plus à leur cohabitation avec l’enfant. Les deux propositions ajoutent également, parmi les personnes responsables du fait du mineur, son tuteur et la personne physique ou morale chargée, par décision judiciaire ou administrative, de régler son mode de vie (Béteille) / d’organiser et contrôler à titre permanent le mode de vie du mineur (Terré). Dans la proposition, cette responsabilité peut se cumuler avec celle des parents, alors que dans la proposition Terré, elles sont alternatives.

 

2/ la suppression de la condition de faute de l’enfant remplacée par le fait de l’enfant

 

         L’exigence d’une faute de l’enfant était liée à la présomption de faute imputée aux parents. Faute qui n’était vraisemblable que si l’enfant s’était lui-même mal conduit. L’arrêt Fullenwarth du 9 mai 1984 avait considérablement allégé cette exigence en se contentant que l’enfant « est commis un acte qui soit la cause directe du dommage invoqué par la victime ». Autrement dit, la simple participation causale de l’enfant à la production du dommage est alors suffisante,  c’est à dire un acte licite de sa part pourrait suffire à mette en jeu la responsabilité de ses parents. La Jurisprudence postérieure à cette arrêt l’a énoncé avec une plus grande clarté encore, 2ème chambre civile, 20 mai 2001, « attendu que la responsabilité de plein droit encourue par les père et mère des dommages causés par leur enfant mineur habitant avec eux n’est pas subordonné à l’existence d’une faut de l’enfant ». Cette solution a ensuite était entérinée par l’Assemblée Plénière dans un arrêt du 13 décembre 2002 qui énonce très clairement que « il suffit que le dommage invoqué par la victime ai été directement causé par le fait, même non fautif, du mineur ».

         Bilan 2/. On peut dire qu’en l’état actuel, le fait de l’enfant est aujourd’hui très proche du fait de la chose. Cette Jurisprudence est spécifique à la responsabilité des parents mais elle n’a pas été transposée à la responsabilité générale du fait d’autrui qui, dans certain cas, nécessite une faute caractérisée de l’auteur du dommage. Les deux propositions semblent vouloir revenir sur cette Jurisprudence en exigeant, chacune à leur manière, un fait illicite du mineur (art 13 al. 1 et 2 Terré / 1386-11 Béteille).

 

3/ le maintien de la condition de minorité de l’enfant (art. 1384 al. 4)

 

         Il est logique que la responsabilité parentale cesse avec la fin de l’autorité parentale. C’est une condition qui n’est pas remise en cause par les propositions de réforme.

 

Conclusion

 

         Jusqu’à ces propositions, on pouvait dire qu’il y avait un vent d’unification et d’objectivation qui soufflait sur la responsabilité des parents. Ces propositions ont en effet réintroduit une condition d’illicéité  de la faut de l’enfant qui opère un retour à la subjectivité de la responsabilité des parents.

 

B – La responsabilité des commettants du fait de leurs préposés

 

         Il est prévu à l’art. 1384 al. 5 qui dispose que « les maitres et les commettants (sont responsables) du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». La catégorie des commettants est générique, les maitres sont une sorte de commettant et les domestiques une sorte de préposé. Ce cas de responsabilité est complexe au sens où il ne se laisse pas expliquer par un fondement unique. En même temps cette complexité fait sa richesse car son régime illustre bien la dualité de fonctions de la responsabilité civile, à la fois indemnisatrice et sanctionnatrice. Bien souvent le prépose à l’origine du dommage subit par la victime est souvent insolvable, elle aura donc plutôt intérêt à faire jouer la responsabilité du commettant qui est assuré.

 

1 – Les fondements de la responsabilité

  1. a) l’inadaptation et l’abandon du fondement de la faute

 

         De manière unanime, la doctrine classique fondait la responsabilité du commettant sur une double présomption de faute dans le choix ou/et dans la surveillance du préposé. Cette explication est abandonnée, la présomption est irréfragable,  c’est à dire que le commettant ne peut s’exonérer en prouvant son absence de faute, il est toujours responsable même sans faute.

 

  1. b) l’insuffisance antérieure du fondement du risque

 

         Puisque le commettant profitait de l’activité de son préposé il devait aussi en subir les risques (profit). Seulement, cela ne cadrait pas complètement avec une dimension de son régime de responsabilité. En effet, s’il était vrai que sa responsabilité était corrélée à son activité et à celle de son employé, il aurait dû supporter le poids de la responsabilité de manière définitive et complète. Or, traditionnellement, le commettant ne supportait pas la charge de la responsabilité du fait de son préposé de manière définitive parce qu’il était autorisé à se retourner contre son préposé une fois la victime indemnisée. Le seul fondement du risque était donc insuffisant pour expliquer l’entier régime de la responsabilité du commettant.

 

  • l’adéquation nouvelle du fondement du risque

 

         Assemblée Plénière 25 février 2000, Costedoat. La Cour de cassation a affirmé que « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie ». Cette solution revient à consacrer l’irresponsabilité personnelle du préposé qui est qualifiée par certains auteurs d’immunité personnelle au profit du préposé. Dans ce cas, la commettant sera donc l’unique et l’ultime responsable du dommage causé par son préposé. Désormais, tout comme les parents ou le gardien d’une chose, il doit assumer directement et définitivement les risques liés à l’activité de ses préposés. La conséquence technique est qu’il ne peut plus se retourner contre son préposé si celui-ci n’a pas excédé les limites de sa mission.

 

1/ l’appréciation de cette solution

         Cette solution déroge au principe de responsabilité personnelle. Son inconvénient c’est qu’elle prive la victime d’un responsable alors que le commettant peut n’être pas assuré ou n’être pas solvable. C’est une solution précédemment énoncée dans un arrêt de la Chambre commerciale (1é octobre 1996), elle était soutenue par une partie de la doctrine qui juge que le préposé agissant au service d’autrui et qui agit pour le compte et dans l’intérêt du commettant ne soit pas responsable lorsqu’il est demeuré dans ses fonctions.

 

Conclusion

 

         Après cette décision de l’Assemblée Plénière et en l’état actuel du droit positif, le fondement de la responsabilité du commettant diffère selon deux cas:

  • pour le cas où le préposé n’a pas excédé les limites de sa mission, la responsabilité du commettant, fondée sur le risque lié à son activité et à celle de ses préposés, est définitive, elle pèse directement et uniquement sur lui et cela sans qu’il puisse se retourner contre son préposé considéré comme irresponsable = logique objectivation totale au bénéfice du préposé.
  • Pour le cas où le préposé a excédé les limites de sa mission, la responsabilité du commettant fonctionne comme une garantie au bénéfice de la victime mais, elle ne pèse pas définitivement sur le commettant qui a toujours la possibilité de se retourner contre son préposé fautif qui, cette fois ci, répond de certaines de ses fautes = logique mixte objective au bénéfice de la victime et subjective au bénéfice du commettant

 

2 – Les conditions de la responsabilité du commettant

 

         Il faut d’une part un lien de préposition entre commettant et préposé et, d’autre part, un fait dommageable du préposé.

 

  1. a) le lien de préposition entre commettant et préposé

 

         On entend par lien de préposition, un rapport de subordination du point de vue du côté du préposé et un rapport d’autorité du côté du commettant. Le commettant est responsable du fait de ses subordonnés parce qu’il a le pouvoir de leur donner des ordres et des instructions.

 

1/  la nature du lien de préposition. Il peut s’agir d’un lien de droit né d’un contrat ou d’un lien de fait non contractuel

  • le lien contractuel de préposition
  • le contrat de travail créé systématiquement un lien de préposition (c’est à dire un lien de subordination et d’autorité entre l’employeur et son employé)
  • le contrat de mandat qui créé parfois un lien de préposition entre le mandant et le mandataire lorsque le mandant a donné des ordres précis au mandataire quant aux buts à atteindre et quant aux moyens à employer
  • le contrat d’entreprise ne créé jamais de lien de préposition parce que l’entrepreneur, l’artisan, le chauffeur de taxi, organisent leur travail par eux-mêmes
  • le lien non contractuel de préposition. Il suffit qu’une situation de fait établisse une relation d’autorité et de dépendance entre deux personnes dont l’une effectue un travail au profit d’une autre. Cela peut être à l’occasion de relations familiales, amicales ou de lien de « complaisance occasionnel » (lorsqu’une personne rend occasionnellement service à une autre)

 

2/ l’attribution du lien de préposition

         La question est parfois délicate pour le juge en cas de prêt de main d’œuvre et notamment quand une entreprise d’intérim met une personne à la disposition temporaire d’une entreprise cliente. Si l’employé cause un dommage à un tiers, le juge va devoir déterminer qui de l’employeur habituel ou de l’employeur occasionnel sera considéré comme le commettant responsable (= problème du transfert du lien de préposition). La Jurisprudence considère qu’il y a transfert du lien de préposition et donc de la qualité de commettant à l’entreprise cliente de la société d’intérim s’il y a eu transfert de l’autorité et du pouvoir de donner des ordres au préposé.

 

  1. b) le fait dommageable du préposé

1/ la faute du préposé

 

         Pour engager la responsabilité du commettant il faut que le dommage causé par son préposé provienne d’une faute de ce dernier. Une faute objective suffit, autrement dit, un fait illicite. Il n’est pas nécessaire que ce fait soit imputable au préposé. Le dommage causé par un fait illicite d’un préposé en état de démence entraine la responsabilité du commettant.

 

2/ le lien entre la fait dommageable et les fonctions du préposé

 

La certitude des cas extrêmes

         Il est certain que 1384 al. 5 prévoit la responsabilité des commettants pour les dommages causés par leurs préposés « dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ». Il doit donc exister un lien entre le fait dommageable et les fonctions du préposé. Les conséquences sont les suivantes:

  • le commettant est responsable du dommage causé par son préposé dans l’accomplissement de ses fonctions
  • le commettant est irresponsable du dommage causé par son préposé lorsque ce dommage n’a aucun rapport avec l’accomplissement de ses fonctions

 

L’incertitude des cas intermédiaires

         Le commettant est-il responsable lorsque le préposé profite de ses fonctions pour causer un dommage ?

1ère phase: la Jurisprudence s’est montrée très extensive sur la question en admettant la responsabilité du commettant même en cas d’abus de fonctions de la part du préposé (position favorable aux victimes).

2ème phase: la Jurisprudence s’est montrée divergente sur la question puisque les Jurisprudences de la Chambre Criminelle et de la chambre civile se sont mises à diverger. D’un côté la Chambre Criminelle est partie de plus en plus loin dans cette Jurisprudence extensive au point d’admettre la responsabilité du commettant d’un ouvreur de cinéma qui avait violé et tué une spectatrice dans les toilettes du cinéma. D’un autre côté la 2 civ. s’est mise à se montrer plus protectrice des intérêts du commettant. Elle a fini par affirmé que la responsabilité du commettant devait être exclue en d’abus de fonctions du préposé. Pour résumer cette opposition, un auteur a pu dire que, pour retenir la responsabilité du commettant, la Chambre Criminelle se contentait de faute du préposé commise à l’occasion de ses fonctions. Alors que la chambre civile, elle, exigeait une faute dans ses fonctions.

3ème phase: la Jurisprudence s’est unifiée. La Cour de cassation s’est réunie en Chambres réunies puis en Assemblée plénière et a tenté, à cinq reprises, de mettre fin à l’opposition entre ces deux Chambres, en 1960, 1977, 1983, 1985 et 1988. Les deux premiers arrêts des Chambres réunies du 9 mars 1960 et de l’Assemblée Plénière du 10 juin 1977 ont eu une portée réduite parce que trop liés à l’espèce pour que la Chambre Criminelle ne se sente obligée d’aligner sa Jurisprudence sur la ligne plus limitative donnée par ces deux décisions. Les trois derniers arrêts de l’Assemblée Plénière du 17 juin 1983, 15 novembre 1985 et 19 mai 1998 ont fini  par aboutir au principe suivant: « le commettant ne s’exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ».

 

Conclusion

 

         L’évolution Jurisprudence ultérieure a confirmé cette solution à la fois favorable aux victimes et sévère pour le commettant. Ainsi, la Chambre Criminelle, 16 février 199, retient une définition étroite de l’abus de fonctions seul susceptible de permettre au commettant d’échapper à sa responsabilité. Finalement on peut dire que l’Assemblée Plénière s’est ralliée à la Jurisprudence extensive de la Chambre Criminelle en la limitant par les trois conditions énumérées dans l’attendu précédemment évoqué

 

3 – Les effets de la responsabilité du commettant

  1. a) les solutions antérieures

 

         La victime et le commettant se trouvaient dans des situations plutôt avantageuses sur un plan théorique. D’une part la victime parce qu’elle bénéficiait d’une option lui permettant d’agir soit contre le seul préposé sur le terrain de la responsabilité pour faute, soit contre le commettant sur le terrain de la responsabilité du fait d’autrui, soit contre les deux. Quant au commettant, il disposait d’un recours contre son préposé  c’est à dire qu’une fois qu’il avait indemnisé la victime, il pouvait se retourner contre son préposé pour se voir restituer les dommages et intérêts qu’il avait versé à la victime. Ce recours était tout de même plus théorique que pratique en raison de l’insolvabilité fréquente du préposé et en raison du jeu de l’assurance du commettant en tant que civilement responsable du préposé.

 

  1. b) les solutions ultérieures

 

         En énonçant que le préposé, qui agit dans les limites de sa mission, « n’engage pas sa responsabilité à l’égard des tiers » cet arrêt modifie les faits antérieurs de la responsabilité de l’art. 1384 al. 5

 

1/ les conséquences

 

         La victime n’a plus d’options en raison de l’irresponsabilité du préposé qui n’existait pas auparavant. Il ne lui reste plus que l’action contre le commettant et son assureur.

 

2/ les limites

 

         L’irresponsabilité du préposé suppose qu’il ait agit dans les limites de sa mission. En revanche, elle cesse quand il a commis certains types de fautes.

  • en cas de faute intentionnelle, la Cour de cassation a affirmé que le préposé condamné pénalement pour une infraction intentionnelle engage sa responsabilité civile (Assemblée Plénière, 14 décembre 2001)
  • en cas de faute qualifiée, la Cour de cassation a affirmé que « le préposé (titulaire d’une délégation de pouvoir), (…), auteur d’une faute qualifiée au sens de l’art. 121-3 du Code pénal, engage sa responsabilité à l’égard du tiers victime de l’infraction celle-ci fut elle commise dans l’exercice de ses fonctions ». Cette faute qualifiée est celle qui établit une prise de risque consciente au mépris d’autrui. Cette Jurisprudence prolonge l’arrêt Ass. Plén 2001 met qui va au-delà parce en l’occurrence il n’y avait pas de faute intentionnelle. C’est là une nouvelle limite à l’immunité du préposé. (Cette Jurisprudence réintroduit de la faute donc de la responsabilité subjective du préposé)

 

Conclusion

 

         Les deux propositions de réforme traitent de la responsabilité du commettant à l’art. 1386-10 (Béteilles) et à l’art. 17 (Terré). On observe que la proposition Terré a modernisé la terminologie en substituant au couple commettant/préposé celui de l’employeur et du salarié. Les deux propositions, la responsabilité reste une responsabilité du fait d’autrui mais le projet Terré précise qu’il s’agit d’une responsabilité de plein droit. Dans les deux, le commettant est admis à s’exonérer de sa responsabilité en prouvant que son préposé a agi:

  • en dehors de ses fonctions (Béteilles)
  • sans autorisation
  • à des fins étrangères à ses attributions (Béteilles) / a son emploi (Terré)

Dans les deux, l’exonération n’est pas possible si la victime « pouvait légitimement croire que le préposé agissait pour le compte du commettant. A quelques nuances près, il s’agit d’une reprise de la jurisprudence.

 

        

SOUS TITRE II – LES EFFETS DE LA RESPONSABILITÉ CIVILE

 

         Lorsque les trois conditions de la responsabilité sont réunies, il y a une obligation de réparer le dommage qui va naitre à la charge du responsable. La victime dispose d’une créance de réparation qui nait au jour de la survenance du dommage. La mise en œuvre de cette créance suppose qu’elle exerce une action en responsabilité.

 

I – L’action en responsabilité

 

         Le demandeur à l’action est la victime du dommage, il peut s’agir d’une personne physique ayant un intérêt personnel à agir ou d’une personne morale comme une association défendant un intérêt collectif. Si la victime est décédée, l’action se transmet à ses héritiers.

         Le défendeur à l’action est le responsable ou ses héritiers. Mais il peut aussi s’agir de son assureur contre lequel la victime peut agir directement. Enfin, le défendeur peut également être un fond de garantie.

         L’action devra être portée devant un juge civil qui a la compétence d’attribution.

 

II – La créance de réparation

 

         Lorsque l’action en responsabilité civile aboutie, le juge rend une décision qui fixe le montant de cette créance de réparation. En principe, ce montant est fixé en fonction d’un seul critère: l’étendue de son préjudice. Le principe gouvernant cette question est le principe de réparation intégrale du préjudice qui signifie qu’il doit exister une adéquation parfaite entre l’importance du préjudice et le montant de la créance. Selon une formule constante de la Cour de cassation: « le propre de la RC est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit » (2 civ. 9 juillet 1981). C’est le motif d’où la doctrine tire le principe de réparation intégrale.

 

III – Les modes d’exécution de la créance de réparation

 

         Le juge peut décider que la réparation sera exécutée en nature ou par équivalent. A priori la réparation ne nature est la plus adéquate dans le sens où elle correspond le mieux à l’objectif de responsabilité qui est de replacer la victime dans la  situation où elle se serait trouvée si l’acte dommageable ne s’était pas produit. C’est ce type de réparation qui prévalait en cas de préjudice matériel mais elle n’est pas toujours possible (préjudice moral ou corporel).

         A défaut le juge va opter pour une réparation en équivalent. Le responsable sera condamné à verser une somme d’argent à la victime sous forme de d et i qui ont pour objet de compenser le dommage subit par la victime.

 

 

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