Cours de droit des personnes

DROIT DES PERSONNES

Le droit des personnes est une branche du droit civil. Être une personne au sens juridique du terme s’est être un sujet de droit, c’est la faculté d’être titulaire du droit et de les exercer.

Le droit français distingue très clairement les personnes physiques (les individus) des personnes morales (entreprises, commerçants, associations…).

LE DROIT COMMUN DES PERSONNES

Deux sortes de sujets de droit existent :

  • d’une part, la personne physique, c’est-à-dire l’homme lui-même au sens générique du terme ;
  • d’autre part, la personne morale, étant précisée qu’il s’agit là d’un groupement assimilé par le droit à une personne.

PARTIE I LA PERSONNE PHYSIQUE

Aujourd’hui tous les êtres humains sont des personnes physiques, c’est-à-dire des personnes juridiques, c’est-à-dire se trouvent dotés de la personnalité.

En effet, se trouvent abolis : tout d’abord, depuis 1848 dans les colonies françaises, l’esclavage ; ensuite, depuis 1819, le droit d’aubaine, ôtant toute personnalité aux étrangers ; enfin, depuis la loi du 31 mai 1854, la mort civile frappant les condamnés aux peines perpétuelles et déterminante de l’ouverture de leur succession et de la dissolution de leur mariage.

Par là, à l’époque contemporaine, le droit semble devoir être le décalque de la médecine dans la définition de la personne physique, simple être humain.

En vérité cette observation se révèle infondée lorsque l’être humain se trouve pris en considération par le droit : en effet, les limites et le contenu de la notion de personne physique se révèlent différents selon l’angle juridique ou biologique sous lequel on se place.

L’étude de la notion juridique de personne physique suppose donc l’examen :

  • d’une part, de sa personnalité juridique,
  • d’autre part, de son identification,
  • enfin, de ses droits.

CHAPITRE I – LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DE LA PERSONNE PHYSIQUE

Le droit remodèle la nature : la notion juridique de personne physique, ne coïncide pas nécessairement avec la notion biologique, notamment sur le plan de la vie humaine ; aussi bien, convient-il d’abord de délimiter dans le temps la personnalité, c’est-à-dire d’aborder le problème de son existence.

Par ailleurs, l’homme vivant en société, il faut le distinguer de ses semblables ; aussi bien, convient-il de délimiter dans l’espace la personne, c’est-à-dire de poser le problème de l’individualisation de celle-ci.

Il faut, enfin, énoncer les droits attachés à cette personnalité juridique

Section 1 – Le début et la fin de la personnalité juridique

Biologiquement, l’existence d’une personne physique se situe entre deux dates extrêmes : celle de la naissance et celle de la mort.

Les limites juridiques de la vie humaine se révèlent différentes : aussi est-il plus opportun d’envisager :

  • dans une sous-section 1, l’entrée sur la scène juridique

  • dans une sous-section 2, la sortie de la scène juridique.
  • Sous-section 1 – Le début de la personnalité juridique

Il faut distinguer la naissance du statut juridique de l’embryon et du fœtus § 1 – Le statut juridique de l’embryon et du fœtus

L’embryon et le fœtus1 n’ont pas la personnalité juridique. Ils peuvent certes l’avoir, rétroactivement, par l’application de l’adage Infans conceptus…. mais, précisément parce qu’il s’agit d’une rétroactivité, encore faut-il que l’enfant soit né et, même, qu’il naisse vivant et viable. L’embryon et le fœtus sont donc, juridiquement, des choses.

Ainsi a-t-il été jugé que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire d’autrui soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon et le fœtus2.

II reste que l’embryon et le fœtus ne peuvent sans doute pas être considérés comme n’importe quelle chose. Rendant d’ailleurs compte de la difficulté qu’il y a à ranger l’embryon dans la catégorie des choses ordinaires, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé a cru bon, au sujet de l’embryon, de parler de « personne humaine potentielle »1.

1 la distinction étant fonction du développement de la grossesse 2 Cass. Ass. pl., 29 juin 2001

La formule est cependant contestable puisque, juridiquement, une personne existe ou n’existe pas, la

« personne humaine potentielle » ne correspondant à aucune catégorie définie. On doit, semble-t-il, considérer que, à défaut d’être juridiquement des personnes, l’embryon et le fœtus sont tout de même des êtres vivants, leur appartenance à l’humanité justifiant un traitement un peu particulier. Comme a pu le faire observer un auteur2, il ne serait pas si choquant d’admettre qu’ils sont des choses au sens juridique, dès lors que ces choses bénéficient « d’un statut à part […], qui mettrait en avant [leur] appartenance à l’humanité ». Ainsi, en matière de procréation médicalement assistée, et en dehors même du fait que la terminologie retenue par le législateur emprunte tantôt au droit des personnes, tantôt au droit des biens, faut-il relever qu’est affirmée l’interdiction des recherches sur l’embryon humain, encore que la loi du 6 août 2004 ayant révisé les lois bioéthique du 29 juillet 1994 ait permis, à titre d’exception, des expérimentations « lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques », et ceci pour une période transitoire de cinq ans. En outre, le principe de l’absence de toute rémunération en la matière3, ainsi que celui selon lequel un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielle, renvoyant à l’idée d’extrapatrimonialité, témoignent eux aussi d’une volonté de conférer un statut original à l’embryon.

On remarquera d’ailleurs, sur un autre terrain, qu’au sujet de l’interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 15 janvier 1975 rendue en examen de la loi Veil, avait considéré que la loi du 17 janvier 1975 n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit. Et d’ajouter qu’aucune de ces dérogations n’est contraire à l’un des principes fondamentaux de la République ni ne méconnaît le principe énoncé dans le Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la Nation garantit à l’enfant la protection de la santé, non plus qu’aucune des autres règles à valeur constitutionnelle édictées par le même texte1.

1 Avis du 22 mai 1984

2 Neirinck

3 art. 16-6 Code Civil

La loi de 1975 affirme donc le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie2, donc bien avant la naissance, et l’interruption volontaire de grossesse ne vient y porter atteinte qu’à titre exceptionnel, soit qu’il s’agisse d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique lorsque l’enfant à naître est atteint d’un mal incurable au moment du diagnostic ou que la vie de la mère est mise en danger par la grossesse, soit qu’il s’agisse d’une interruption de grossesse justifiée par la détresse de la mère. Alors que la première peut avoir lieu à n’importe quel moment de la grossesse, la seconde ne peut plus être pratiquée passées les douze premières semaines de celle-ci.

Le sujet continue semble-t-il de soulever des passions. Pour preuve les controverses suscitées par l’arrêt Perruche de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 novembre 2000 par lequel la Haute juridiction a condamné un médecin, qui n’avait pas diagnostiqué la rubéole dont était atteinte une femme enceinte, à réparer le préjudice de l’enfant né gravement handicapé. Certains, pour contester le bien-fondé de la solution de l’Assemblée plénière, ont fait valoir qu’il n’y avait en réalité pas de lien de causalité entre la faute du médecin et le handicap de l’enfant, le handicap trouvant seulement sa cause dans la rubéole de la mère. On a encore critiqué l’arrêt au motif que le préjudice souffert par l’enfant ne serait pas, en tout état de cause, son handicap mais, plus radicalement, le fait même d’être né puisque si le médecin n’avait pas commis l’erreur de diagnostic qui lui était reprochée, la mère aurait avorté et l’enfant n’existerait pas. Sans reprendre l’ensemble de la discussion, au demeurant aujourd’hui close depuis que le législateur, par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, est venu briser cette jurisprudence, la réparation du préjudice constitué par la naissance d’un enfant handicapé relevant désormais de la solidarité, on relèvera tout de même qu’il n’est pas anodin que l’arrêt, qui s’inscrit dans la logique de la législation sur l’interruption volontaire de grossesse, ait fait l’objet de débats aussi vifs. Ceux que l’arrêt a heurté ne l’ont-ils pas été, fondamentalement, par le fait que la Cour de cassation, constatant que la mère avait la possibilité d’avorter et avait fait connaître sa volonté en ce sens au cas où l’enfant serait atteint d’un mal incurable, en a déduit que la faute du médecin l’avait empêchée d’avorter en la trompant sur l’existence du mal de l’enfant ?

1 Cons. const. 15 janv. 1975

2 art. 1er

On observera, en tout état de cause, que même après la loi du 4 mars 2002, l’affaire Perruche pourrait bien connaître un prolongement européen, d’autant que, à propos de la réparation du préjudice souffert par les parents cette fois, la Cour européenne des droits de l’homme a, le 6 juillet 20041, admis la recevabilité, au regard des articles 6 § 1, 8, 13, 1er du protocole n° 1 combiné avec l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la requête de parents qui, en raison de l’application aux instances en cours de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, n’avaient pas pu obtenir réparation pour les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de son handicap, non détecté pendant la grossesse à la suite d’une inversion des résultats des analyses.

Concrètement, la Cour de Strasbourg a admis la recevabilité du grief reprochant à la loi du 4 mars 2002 d’avoir créé « une inégalité de traitement injustifié entre les parents d’enfants handicapés en raison d’une faute médicale ou de la faute d’un tiers qui peuvent obtenir réparation de l’entier préjudice par une action en responsabilité, et les parents d’enfants dont le handicap n ‘a pas été décelé avant la naissance en raison d’une faute qui, (eux), ne peuvent obtenir réparation que de leur préjudice personnel, l’indemnisation des autres charges relevant d’un mécanisme de solidarité nationale ».

  • 2 – Le commencement de la personnalité juridique

Pour être doté de la personnalité juridique, l’individu doit être né vivant et viable. Cette exigence se trouve exprimée par un certain nombre de textes particuliers. Ainsi, en matière de filiation, l’article 311-4 du Code civil dispose-t-il qu’ « aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable ». En matière successorale, l’article 725 énonce que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable ». L’article 906, alinéa 3, du Code civil prévoit encore que « la donation ou le testament n’auront leur effet qu’autant que l’enfant sera né viable ». De ces textes particuliers, on induit le principe général selon lequel la naissance marque le point de départ de la personnalité juridique. Encore faut-il, on l’a vu, que l’enfant soit né vivant et viable.

1 CEDH, 6 juill. 2004

Partant, l’enfant mort-né n’a pas la personnalité juridique et est même considéré ne jamais l’avoir eu. Il faut en outre que l’enfant né vivant soit viable, autrement dit qu’il soit doté de tous les organes nécessaires à la vie, organes qui doivent donc avoir atteint un niveau de développement suffisant. Si ces conditions sont remplies et, donc, que l’enfant naît vivant et viable, alors il aura la personnalité juridique, aura un patrimoine et pourra hériter.

Au principe qui vient d’être exposé, il faut apporter un tempérament : l’enfant simplement conçu est réputé né chaque fois qu’il y va de son intérêt. C’est ce qu’exprime l’adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur. Cette solution, que l’on retrouve dans quelques articles du Code civil permettant, précisément, de faire remonter la personnalité juridique jusqu’au moment de la conception, repose sur un mécanisme original. Il y a là en effet une fiction qui conduit, comme son nom l’indique, à méconnaître la réalité : on fait comme si l’enfant était né alors qu’il est simplement conçu, et ce dans le but de lui octroyer la personnalité juridique. La Cour de cassation, élargissant les quelques hypothèses visées par le Code civil, a fait de cette solution un principe général qu’elle n’a d’ailleurs pas hésité à viser au soutien d’une cassation1. L’application de cette fiction juridique suppose cependant que quelques conditions soient remplies.

Il faut, d’abord, que l’enfant finisse par naître vivant et viable : la fiction opère rétroactivement, de telle sorte que, techniquement, elle consiste à conférer de façon rétroactive la personnalité juridique à un enfant né vivant et viable en la faisant remonter jusqu’à sa conception.

Par conséquent, l’enfant qui ne naîtrait pas vivant et viable ne pourrait pas bénéficier de cette fiction : on ne saurait donc, dans ce cas, considérer qu’il avait la personnalité juridique dès sa conception. On rappellera que certains ont cru pouvoir trouver dans l’adage Infans conceptus… un moyen de contester l’interruption volontaire de grossesse, faisant valoir que, puisque la personnalité juridique peut exister dès la conception, l’embryon et le fœtus seraient des personnes. Ce raisonnement, juridiquement inexact, repose sur une méconnaissance de la première condition posée à la mise en œuvre de la fiction considérée : encore une fois, la possibilité de faire remonter la personnalité juridique jusqu’à la conception suppose, in fine, que l’enfant naisse vivant et viable, ce qui, par hypothèse, n’est pas le cas en cas d’interruption volontaire de grossesse de sorte que, dans ce cas de figure, la personnalité juridique n’a jamais existé.

1 Cass. civ. 1°, 10 décembre 198

Il faut ensuite, pour que s’applique l’adage Infans conceptus…, qu’il y aille de l’intérêt de l’enfant, autrement dit qu’il y aille de son intérêt d’être considéré comme né plus tôt. L’intérêt peut, par exemple, exister si son père est décédé pendant la grossesse de la mère : grâce à l’adage Infans conceptus…, l’article 725 du Code civil s’appliquera et l’enfant pourra succéder à son père. De la même manière, l’article 906 du Code civil permettra à l’enfant simplement conçu de recevoir des donations. Et la jurisprudence a élargi ces hypothèses, donnant ainsi à l’enfant simplement conçu la possibilité de bénéficier d’une assurance vie. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 décembre 1985, on aurait certes pu, a priori, s’interroger puisque c’était ici la mère qui était désignée comme bénéficiaire de l’assurance. Aussi bien, n’était-ce pas son intérêt que soient pris en compte les enfants simplement conçus au jour du décès du père de façon à augmenter le montant de la prime ? En réalité, l’intérêt de l’enfant était bien en cause, le mode de calcul de la prime1 attestant que celle-ci était au moins pour partie destinée à l’éducation des enfants.

Si ces conditions sont remplies – l’enfant est né vivant et viable, et il y va de son intérêt de faire remonter l’acquisition de sa personnalité juridique au jour de sa conception -, on peut mettre en œuvre l’adage Infans conceptus… Il restera tout de même alors, très concrètement, à déterminer la date de la conception de l’enfant, notamment lorsque l’intérêt de l’enfant est d’ordre successoral et que se pose la question de savoir s’il était déjà conçu au jour du décès de son auteur. Le Code civil a ici posé deux présomptions : la première intéresse la période légale de la conception qui se situe entre le 180e et le 300e jour avant la naissance2 tandis que la seconde – Omni meliore momento – permet de retenir comme jour de la conception au sein de cette période de 121 jours le jour qui apparaît être le plus favorable à l’enfant.

1 en fonction du nombre d’enfants

2 art. 311 du Code civil

Sous-section 2 – La fin de la personnalité juridique

  • 1 – La mort

Si l’on s’accorde à penser que c’est la mort qui marque la disparition de la personnalité juridique, il reste à savoir à partir de quand il faut considérer qu’une personne est morte. Le moment de la détermination de la mort présente un intérêt pratique indiscutable, notamment du point de vue du droit des successions puisque c’est à partir de la mort que le patrimoine du défunt se transmet à ses héritiers. C’est un décret du 2 décembre 1996 qui définit la mort, décret qui s’inscrit dans le cadre de la réglementation du prélèvement d’organes où, là encore, l’intérêt attaché à la détermination du moment de la mort est important, l’objectif étant de situer le plus précisément possible la mort dans le temps afin de procéder, dans les conditions les plus satisfaisantes qui soient, au prélèvement d’organes sur des personnes décédées. Il faut rappeler que, avant 1996, la définition de la mort résultait d’une série de circulaires1, ce qui était d’ailleurs pour le moins original, la définition de la mort en droit français relevant ainsi d’un acte qui émane du pouvoir exécutif et qui n’a pas de force juridique contraignante. Toujours est-il que, après avoir d’abord défini la mort par référence à des critères sanguins, une approche plus moderne, à partir de 1968, a conduit à considérer que la mort consistait dans l’arrêt de l’activité cérébrale. L’article R. 671-7-1 du Code de la santé publique, issu du décret du 2 décembre 1996, consacre cette idée que la mort définitive de l’individu correspond à la mort cérébrale. Selon ce texte, « le constat de la mort ne peut être établi que si les trois critères cliniques suivants sont simultanément présents :

  • absence totale de conscience et d’activité motrice spontanée ;

  • abolition de tous les réflexes du tronc cérébral ;

  • absence totale de ventilation spontanée ».

On signalera, pour mémoire, que jusqu’à une époque récente, dans l’hypothèse dans laquelle deux – ou plusieurs – personnes appelées à la succession l’une de l’autre périssaient dans un même événement, le Code civil, afin de répondre à la question de savoir laquelle était morte en premier, énonçait un certain nombre de présomptions prenant en compte l’âge ou le sexe des intéressés. Cette théorie, dite des co-mourants, incomplète et assez artificielle, a finalement été abandonnée à l’occasion de la réforme du droit des successions réalisée par la loi du 3 décembre 2001.

1 1958, 1968, 1978

Aujourd’hui donc, en pareille hypothèse, l’ordre des décès peut être établi par tous moyens. À défaut, la succession de chacune des personnes décédées est dévolue sans que l’autre y soit appelée1.

Cette sortie de la scène juridique doit être déclarée, dans le délai de 24 heures, par toute personne, parente ou non, à peine de commettre un délit, au maire. Celui-ci doit dresser l’acte de décès, dernier acte de l’Etat civil concernant l’individu. Ici on observe un contrôle de l’autorité publique qui trouve sa manifestation dans le permis d’inhumer : celui-ci, requis pour l’enterrement, est délivré 24 heures seulement après la mort, par le maire sur production d’un certificat établi par un médecin chargé de vérifier la réalité du décès et son caractère non équivoque.

Toutefois, en cette hypothèse même, le droit admet déjà un certain prolongement de la personnalité après la mort ; cette discordance entre la réalité biologique et la réalité juridique trouve son expression dans le respect, d’une part, de la mémoire du défunt, d’autre part, de son affection. Le respect de la mémoire du défunt tout d’abord est assuré en ce sens que les diffamations ou injures dirigées contre elle sont pénalement punissables et peuvent civilement donner lieu à dommages-intérêts. Le respect de l’affection du défunt ensuite trouve sa manifestation en matière successorale, à propos aussi bien des successions ab intestat que des successions testamentaires. Quant aux successions ab intestat, l’affection du défunt est présumée dans la détermination légale des héritiers qui succèdent à ses droits et à ses obligations, sur le fondement de l’idée qu’ils continuent sa personne. Quant aux successions testamentaires, l’affection du défunt est prouvée par sa manifestation de volonté, destinée à s’imposer aux survivants ; le souvenir de cette volonté, normalement appelé à s’estomper par une exécution rapide du testament, se perpétue remarquablement dans le cas d’une fondation : alors, en effet, une personne prétend, par delà la tombe, imprimer indéfiniment une certaine destination à ses biens.

Le remodelage de la nature par le droit se révèle plus sensible lorsque le cadavre n’est pas découvert.

1 art. 725-1 Code Civil

  • 2 – Le statut juridique du cadavre

Le mort n’a plus la personnalité juridique. Le cadavre est donc, juridiquement, une chose, même s’il s’agit sans doute d’une chose particulière. De fait, contrairement aux choses ordinaires, le cadavre fait l’objet d’une certaine protection. D’abord, le droit s’efforce d’assurer le respect de la volonté du défunt, en réalité de la volonté de la personne décédée exprimée de son vivant. Cette volonté produit des effets après la mort : le testament qui permet de faire des legs dans la limite des règles du droit des successions, les règles relatives à l’organisation des funérailles et au choix du mode de sépulture, ou encore celles relatives au don d’organes en sont quelques exemples. Ensuite, certaines règles, comme celles du droit pénal sanctionnant la violation des sépultures, sont des règles de protection du cadavre. Enfin, parce que le mort a, par hypothèse, été une personne vivante et a appartenu à l’humanité, le droit organise une protection de la personne du défunt. Ainsi existe-t-il une protection de la mémoire des morts ou, plus largement encore, de la dignité de la personne humaine qui s’applique non seulement aux personnes vivantes, mais aussi aux morts. C’est en tout cas ce qu’a nettement considéré la Cour de cassation dans l’affaire du préfet Erignac en jugeant illicite, parce que contraire au respect de la dignité de la personne humaine, la reproduction de son cadavre gisant dans son sang sur la chaussée. La Solution mérite d’ailleurs d’être approuvée : s’il est certain que l’intéressé, parce que décédé, n’avait plus de droit au respect de la vie privée ou de droit à l’image, faute d’avoir encore la personnalité juridique, le principe du respect de la dignité de la personne humaine en général était atteint.

Section 2 – Les incertitudes sur l’existence de la personne

L’absence et la disparition renvoient, comme cela a déjà été dit, à des situations d’incertitude. Il est en effet des personnes dont ne sait si elles sont encore vivantes ou déjà décédées. Elles sont alors considérées, juridiquement, comme absentes. Il ne faut pas confondre cette hypothèse avec celle dans laquelle la personne dont on est sans nouvelles s’est trouvée confrontée à un péril tel qu’il est permis de penser qu’elle est décédée même si un doute demeure. Elle est alors réputée disparue.

Sous-section 1 – L’absence

L’absence renvoyant à la situation d’une personne dont on est sans nouvelles et dont on ne sait si elle est encore vivante, il importe de trancher la question de savoir si on doit la considérer, juridiquement, comme vivante ou décédée. Le Code civil distingue, à cet égard, deux phases.

Afin d’assurer la sauvegarde des intérêts de l’absent, la première phase est celle d’une présomption d’absence synonyme, en réalité, de présomption de vie puisque, pendant cette période, l’absent est présumé vivant. Le juge des tutelles, constatant qu’il y a présomption d’absence1, désignera une personne pour représenter l’absent afin de gérer ses biens2. Dans l’hypothèse dans laquelle l’absent réapparaîtrait3, il est mis fin aux mesures prises pour sa représentation. Toutefois, à l’issue d’une période de présomption d’absence d’au moins dix ans à compter du jour où la présomption a été judiciairement constatée ou de vingt ans si elle n’a pas fait l’objet d’une telle constatation, la vraisemblance oblige à considérer que la personne est finalement décédée.

S’ouvre alors une seconde phase, dite de déclaration d’absence4, qui aboutit à un jugement déclaratif d’absence emportant tous les effets qu’aurait eu le décès de l’absent s’il avait été formellement établi5. Rien n’exclut cependant que l’absent réapparaisse. Si tel est le cas, l’annulation du jugement déclaratif d’absence peut être poursuivie à la requête du procureur de la République ou de toute autre partie intéressée6. L’absent dont l’existence est judiciairement constatée recouvre ses biens dans l’état où ils sont et pour autant qu’il en subsiste7. En revanche, son mariage reste dissous, ce qui peut s’expliquer par le fait que, entre temps, son conjoint a pu se remarier.

Sous-section 2 – La disparition

II se peut que le décès d’une personne paraisse hautement probable alors même que son corps n’aurait pas été retrouvé en raison de circonstances, dit l’article 88, alinéa 1er, du Code civil, « de nature à mettre sa vie en danger ». Il en va notamment ainsi lorsque l’intéressé a disparu dans une catastrophe8.

Dans cette hypothèse, on considère, en droit, que cette personne est décédée. Le dispositif du jugement déclaratif de décès est transcrit sur les registres de l’état civil du lieu réel ou présumé du décès et, le cas échéant, sur ceux du lieu du dernier domicile du défunt1.

1 art. 112 Code Civil

2 art. 113 Code Civil

3 art. 118 Code Civil

4 art. 122 Code Civil

5 art. 128

6 art. 129 Code Civil

7 art. 130 Code Civil

8 voir, par exemple, le tsunami du 26 décembre 2004 en Asie

Parce que tout demeure envisageable, il n’est cependant pas impossible que celui, disparu, dont le décès a été judiciairement déclaré, réapparaisse. Le procureur de la République ou tout intéressé peut, en pareil cas, poursuivre l’annulation du jugement déclaratif et l’on applique alors le régime, plus haut évoqué, de l’absence2.

1 art. 90 Code Civil

2 art. 92 Code Civil

CHAPITRE II

L’IDENTIFICATION DE LA PERSONNE PHYSIQUE

A raisonner en termes généraux, les critères qui constituent la personne sont, bien évidemment, très nombreux et renvoient, entre autres, à ce qu’elle est, à son caractère, sa personnalité, son image, sa réputation, ou encore à ses origines, culturelles, géographiques, sociales. On remarquera d’ailleurs que l’on a semble-t-il pris conscience plus nettement à l’époque contemporaine que par le passé de l’importance pour la personne de la connaissance de ses origines, le fait que le législateur ait cherché, par la loi du 22 janvier 2002 relative à l’accès aux origines des personnes adoptées et pupilles de l’Etat, à concilier ou, en tout cas, à équilibrer le droit des femmes d’accoucher de façon anonyme1 et le droit de l’enfant d’avoir accès à ses origines2 en constituant un exemple certain.

L’identité de la personne peut cependant être comprise plus strictement et l’on relèvera alors que la personne se distingue de ses semblables par divers signes qui, précisément, révèlent son identité : son nom, nom de famille, nom d’usage, prénom, son domicile, sa nationalité. Par les actes de l’état civil, les événements les plus importants de son existence3 sont enregistrés, permettant de situer la personne dans l’espace et dans le temps. Il faut encore remarquer, l’immatriculation ne cessant de se développer4, que chiffres et lettres se font ici de la a concurrence pour situer la personne par rapport aux autres. Toujours est-il que, ainsi identifiée, la personne possède sa propre identité qu’elle peut vouloir protéger ou, différemment, modifier.

Section 1 – Les éléments d’identification de la personne

Ils sont au nombre de trois.

Sous-section 1 – Le sexe

Lors de la déclaration de naissance, toute personne est déclarée comme étant du sexe masculin ou féminin. Le sexe faisant partie de l’état de la personne, cette déclaration ne peut être modifiée.

1 accouchement « sous x », art. 341-1 Code Civil 2 art. L. 222-6 c. act. soc. et des familles

3 naissance, mariage, décès, etc.

4 numéro de Sécurité sociale, numéros bancaires…

Néanmoins la règle a été atténuée en faveur des transsexuels. Il arrive que l’on constate, après la naissance, une situation complexe. Le sexe est en effet le résultat de la juxtaposition de divers éléments, anatomiques, génétiques et psychologiques. Une personne peut ressentir qu’elle appartient à un sexe opposé à celui qui est physiologiquement le sien, et, par traitements médicaux, peut parvenir à prendre l’apparence physique de l’individu du sexe opposé.

Le phénomène du transsexualisme est aujourd’hui reconnu par la médecine et par le droit. Désireux d’obtenir le changement de leur état civil, les transsexuels se sont longtemps heurtés au refus de la Cour de cassation. La Cour européenne des droits de l’homme a considéré, en 1992, que la législation française interdisant la modification de l’état civil en ce qui concerne le sexe était incompatible avec le respect dû à la vie privée. De ce fait, la Cour de cassation a opéré un revirement par un arrêt de l’Assemblée plénière du 11 décembre 1992 : peut obtenir le changement de son état le transsexuel auquel sa morphologie modifiée et son comportement social confèrent une apparence le rapprochant du sexe revendiqué.

La position adoptée par la Cour de Cassation avait été critiquée, car ne pesait pas sur l’État français une obligation positive de reconnaître juridiquement le nouveau sexe d’un transsexuel. On aurait pu se contenter à l’époque de modifier par exemple le procédé d’attribution du numéro de sécurité sociale, qui fait apparaître le sexe de la personne. Le choix fait par la France des moyens pour remédier aux atteintes à la vie privée des transsexuels avait été jugé excessif. La récente condamnation, par la Cour européenne des droits de l’homme, du Royaume-Uni qui refuse le changement de sexe des transsexuels révèle qu’au fond1, la Cour de cassation française a bien fait de réagir ainsi…

Les actes de l’état civil seront donc modifiés. Le transsexuel pourra exercer les droits liés à son sexe, notamment en matière de mariage. S’il était marié avant de changer de sexe, son mariage est caduc ; son conjoint peut aussi opter pour l’autre cause de dissolution du mariage qu’est le divorce.

Ceci peut aboutir à de curieuses situations : par exemple, Primus se marie, a des enfants. Il divorce. A la suite d’interventions chirurgicales, il devient Prima. Prima peut se remarier avec un homme. Peut-être l’homme-femme Primus avait il eu des enfants de son premier couple ; en tant que femme. Prima peut être la mère adoptive d’un autre enfant…

Il faut noter que le changement de sexe ne produit pas d’effet rétroactif.

1 CEDH 11 juill. 2002

Sous-section 2 – Le nom et prénom

  • 1 – Le nom

La nature du nom est ambiguë : s’il est un élément d’identification de la personne et, à ce titre, un instrument de police civile, il revêt incontestablement une dimension personnelle et affective, rattachant la personne à un groupe social et évoquant l’histoire familiale de la personne qu’il désigne. De son aspect public, en tant que mode d’identification, certains auteurs, et en particulier Planiol, avaient déduit que le nom n’était qu’un moyen parmi d’autres d’immatriculation de la personne, de telle sorte que celle-ci serait dépourvue de droit subjectif sur son nom. Le nom ne serait pas l’objet d’un droit et ne serait qu’un instrument de police civile. Cette analyse n’a en réalité jamais réellement convaincu, et la jurisprudence a reconnu l’existence d’un droit subjectif sur le nom, ou au nom. Mais quel droit ? Elle a, un temps, estimé que le droit au nom devait être compris comme un droit de propriété sur le nom, comparable au droit qu’une personne peut avoir sur tel ou tel élément de son patrimoine. Cette conception a, par la suite, été abandonnée, et l’on assimile aujourd’hui le droit au nom à un droit de la personnalité, comme le droit au respect de la vie privée ou le droit à l’image. La Cour européenne des droits de l’homme a ainsi pu considérer que le nom, « en tant que moyen d’identification personnelle et de rattachement à une famille », intéresse la vie privée et familiale de l’individu1. On relèvera tout de même, dans les développements qui suivent, que certaines des solutions du droit positif ne s’accordent qu’assez difficilement avec cette idée d’un droit au nom compris comme un droit de la personnalité, donc comme un droit extrapatrimonial, insaisissable, incessible, indisponible, intransmissible et imprescriptible.

I – L’attribution du nom

A – Le nom de famille

1 CEDH, 22 fév. 1994 ; comp, dans le même sens s’agissant du prénom, CEDH, 24 oct. 1996

Pendant longtemps, hormis dans le cas dans lequel il n’était pas connu ou n’avait pas reconnu l’enfant, celui-ci portait le nom de son père.

S’agissant de l’attribution du nom patronymique, le droit était donc, à cet égard, inégalitaire1. Les données de la question ont été profondément modifiées à la faveur de la loi du 4 mars 2002 relative au nom de famille qui tend, pour l’essentiel, à remédier à l’inégalité des sexes dans les règles de transmission du nom. Cette loi, modifiée par une loi du 18 juin 2003, est entrée en vigueur le 1er janvier 2005. On remarquera, dès à présent, que le « nom de famille » est venu remplacer le « nom patronymique », cette modification terminologique étant révélatrice de la volonté de conserver le caractère familial de la transmission du nom tout en rejetant toute idée de prééminence paternelle. Rompant avec nos habitudes ancestrales, et afin d’exprimer dans l’identité originaire d’une personne l’égalité des sexes, le principe est celui du double nom, l’enfant portant le nom de ses deux parents, à moins qu’ils en aient décidé autrement2.

S’agissant de l’attribution du nom aux enfants légitimes3, l’article 311-21 du Code civil prévoit que les parents choisissent le nom de famille qui devra être le même pour tous les enfants : soit celui du père, soit celui de la mère, soit leurs deux noms accolés dans l’ordre qu’ils ont choisi4.

S’agissant des enfants naturels5, plusieurs cas de figure doivent être envisagés :

  • en cas d’établissement simultané de la filiation6, la règle précitée de l’article 311-21 du Code civil s’applique ;

  • en cas d’établissement de la filiation de l’enfant à l’égard d’un seul de ses parents, l’enfant portera le nom de celui-ci ;

1 sur la condamnation de la Suisse par la Cour européenne des droits de l’homme pour atteinte à l’égalité de l’homme et de la femme au regard des règles régissant l’attribution du nom, voir CEDH, 22 fév. 1994, préc.

2 sur les modalités de déclaration du nom, voir Décret n° 2004-1159 du 29 oct. 2004, portant application de la loi du 4 mars 2002 modifiée relative au nom de famille et modifiant diverses dispositions relatives à l’état civil

3 enfants issus de parents mariés

4 dans la limite d’un nom de famille pour chacun d’eux 5 c’est-à-dire nés hors mariage

6 hypothèse dans laquelle la filiation naturelle de l’enfant serait établie en même temps à l’égard du père et de la père

– en cas d’établissement successif de la filiation de l’enfant à l’égard de ses deux parents1, l’article 334-1 du Code civil dispose que « l’enfant acquiert le nom de celui de ses deux parents à l’égard de qui sa filiation est établie en premier lieu ». L’article 334-2 prévoit cependant que pendant la minorité de l’enfant et avec son accord s’il a plus de treize ans, les parents pourront décider que l’enfant prendra par substitution le nom de celui de ses parents à l’égard duquel la filiation a été établie en second lieu, ou que l’enfant portera accolés les deux noms du père et de la mère dans l’ordre qu’ils auront choisi.

S’agissant des enfants adoptés, il faut cette fois distinguer selon qu’il s’agit d’une adoption simple ou d’une adoption plénière. Alors que la première ne rompt pas les liens que peut avoir l’enfant avec sa famille d’origine, la seconde emporte rupture totale avec elle et assimile l’enfant adopté à un enfant légitime. Aussi bien, en cas d’adoption plénière, les règles générales s’appliquent-elles : les parents adoptants donnent à l’adopté, qui perd son nom originaire, le nom du père, ou de la mère, ou des deux accolés, dans l’ordre qu’ils ont choisi2. En cas d’adoption simple, il faut distinguer le cas dans lequel elle serait le fait d’un seul adoptant ou d’un couple : en cas d’adoption individuelle, l’adopté ajoutera à son nom d’origine celui de l’adoptant ; en cas d’adoption par deux époux, le nom de famille accolé à celui de l’adopté est, à la demande des adoptants, soit celui du mari, soit celui de la femme et, en tout état de cause, à défaut d’accord, celui du mari3.

B – Le nom d’usage

Dans certaines hypothèses, une personne va pouvoir user du nom d’un autre. Ainsi en va-t-il bien souvent de la femme mariée qui peut porter le nom de son mari qui n’est pour elle qu’un nom d’usage. Alors en effet que, en droit, la femme mariée conserve son nom de jeune fille4, elle choisit fréquemment de le remplacer par celui de son mari ou, éventuellement, de l’y ajouter. Il s’agit là d’une coutume que le Code civil a implicitement repris à l’article 264 disposant, dans sa rédaction issue de la loi du 26 mai 2004 relative au divorce, que, « à la suite du divorce, chacun des époux perd l’usage du nom de son conjoint ».

1 ex. : sa filiation ne serait établie à l’égard de son père que dans un second temps) 2 art. 357-1 Code Civil

3 art. 363 Code Civil

4 voir ainsi, déclarant nul l’avis à tiers détenteur émis par le fisc sous le nom de la femme mariée, et jugeant qu’il aurait dû être émis sous son nom de jeune fille, Cass. civ. 1°, 6 fév. 2001; comp. cependant, tenant pour valable l’assignation faite à une femme sous son nom de femme mariée, Cass. civ. 3e, 24 janv. 2001

S’il en va ainsi, c’est bien que, en amont, le mariage permet à un époux, le plus souvent en pratique à la femme, d’acquérir l’usage du nom de son conjoint. Du reste, même après divorce, il peut, à certaines conditions, conserver l’usage du nom de l’autre, s’il y a consenti, ou avec l’autorisation du juge «s’il justifie qu’un intérêt particulier s’y attache pour lui ou pour les enfants »1.

Hormis l’hypothèse du nom d’usage de la femme mariée, il faut signaler que, avant la loi du 4 mars 2002, le législateur avait déjà cherché, de façon assez prudente il est vrai, à limiter la prééminence masculine dans le régime du nom : aux termes de la loi du 23 décembre 1985, « toute personne majeure peut ajouter à son nom, à titre d’usage, le nom de celui des parents qui ne lui a pas transmis le sien », cette faculté étant, pour les mineurs, mise en œuvre par les titulaires de l’autorité parentale. On n’a pas manqué de remarquer que cette loi avait ainsi ouvert la voie d’une place faite à la volonté individuelle dans l’attribution du nom. La loi du 4 mars 2002 est, depuis, allée bien plus loin, consacrant même une certaine « privatisation du droit au nom »2.

II – La modification du nom

Longtemps, le principe a été celui de l’intangibilité du nom et, donc, de l’impossibilité de le modifier, principe qui, venant de l’Ancien Régime, s’expliquait notamment par la volonté d’empêcher les roturiers de changer de nom et risquer ainsi de porter atteinte à la noblesse. A la Révolution, une loi du 24 brumaire an II avait, en réaction, donné à chaque citoyen la possibilité de changer de nom par simple déclaration.

Ce système a cependant assez rapidement été abandonné pour des nécessités de police par la loi du 6 fructidor an II, l’article 1er de cette loi disposant en effet « (qu ‘)aucun citoyen ne peut porter de nom ni de prénom autres que ceux exprimés dans son acte de naissance ». Le texte prévoyait même que ceux qui avaient quitté leurs noms étaient tenus de les reprendre.

1 art. 264, al. 2, Code Civil

2 voir, en ce sens, l’opinion de Monsieur le Professeur Malaurie

Par la suite, afin de combattre les excès antérieurs tout en favorisant la fonction de police civile, identification par l’État-, la loi du 11 germinal an XI, sans exclure la possibilité de changer de nom, l’avait subordonnée à des conditions strictes. Certes, l’article 4 de cette loi prévoyait que « toute personne qui aura quelque raison de changer de nom en adressera la demande motivée au Gouvernement » ; mais, pratiquement, compte tenu de la position restrictive du Conseil d’État, compétent pour donner ici son avis, les changements de noms supposaient des raisons graves, tenant à la consonance ridicule du nom, aux confusions déshonorantes qu’il pouvait entraîner, ou encore au désir de relever un nom familial menacé d’extinction. Aussi bien le principe de l’immutabilité du nom dominait-il. La loi du 8 janvier 1993 est venue modifier les règles applicables. Abrogeant la loi du 11 germinal an XI, elle a ainsi admis la possibilité de changer de nom pour « toute personne qui justifie d’un intérêt légitime »1, le changement pouvant alors être autorisé par décret. L’immutabilité du nom se trouve ainsi tempérée, d’autant que, à l’hypothèse de changement de nom visée par l’article 61 du Code civil, il faut ajouter, plus spécialement, celle prévue par la loi du 25 octobre 1972 autorisant la francisation des noms étrangers : toute personne qui acquiert la nationalité française peut en effet demander la francisation de son nom et de ses prénoms lorsque leur apparence et leur consonance étrangères sont susceptibles de gêner l’intégration de celle-ci dans la communauté française.

La conséquence la plus remarquable de l’immutabilité du nom qui demeure, bien qu’assouplie, le principe tient à l’imprescriptibilité du nom.

Ainsi le nom ne doit-il pas, en principe, pouvoir s’acquérir par l’écoulement du temps, pas plus d’ailleurs qu’il ne doit pouvoir se perdre ainsi. Le fait d’avoir porté un pseudonyme ou le nom d’autrui pendant un certain temps ne devrait donc pas permettre de l’acquérir et, inversement, le fait de ne pas porter un nom pendant longtemps ne devrait pas le faire perdre.

Parce qu’imprescriptible, il ne saurait donc y avoir, s’agissant du nom, de prescription acquisitive ou extinctive. A vrai dire, de la même manière que l’immutabilité du nom a été assez largement tempérée, son imprescriptibilité est, elle aussi, nuancée.

1 art. 61, al. 1er, Code Civil

La Cour de cassation a certes affirmé que le nom ne se perd pas par le non-usage1, et donc jugé que la possession d’un nom ne fait pas obstacle à ce qu’un individu, renonçant à s’en prévaloir, revendique le nom de ses ancêtres qu’il n’a pas perdu en raison de l’usage d’un autre nom par ses ascendants les plus proches2. Elle indique tout de même qu’il appartient au juge, « en considération de la durée et des circonstances dans lesquelles elles3 se sont succédé, d’apprécier s’il y a lieu d’accueillir cette revendication »4. Autrement dit, le juge doit distinguer deux périodes, celle où le nom que l’on revendique a été porté et celle où le nom que l’on veut quitter l’a été lui aussi, et comparer la durée et l’ancienneté des possessions respectives. Par où le temps joue tout de même ici un rôle, traduisant une certaine patrimonialisation du nom5.

III – La protection du nom

Le nom est, d’abord, protégé contre l’usurpation dont il peut, éventuellement, faire l’objet. Dans l’hypothèse en effet dans laquelle une personne usurpe le nom d’autrui, celui qui porte légitimement le nom usurpé peut agir contre l’usurpateur. Encore faut-il, comme l’exige la jurisprudence, que deux conditions soient réunies : il faut non seulement, pour pouvoir agir, porter légitimement et exactement le même nom que celui qui a été usurpé, mais encore que l’usurpation fasse naître un risque de confusion, ce qui sous-entend que le nom usurpé soit un nom rare ou illustre, on ne saurait protéger un nom si répandu que la confusion en est généralisée. Si ces conditions sont satisfaites, le juge interdira à l’usurpateur de porter le nom et pourra le condamner à des dommages et intérêts si l’usurpation a causé un préjudice.

Le nom est, ensuite, protégé contre les utilisations abusives qui peuvent en être faites. Ainsi, si l’utilisation commerciale de son propre nom est en principe licite6, elle est en revanche interdite dans l’hypothèse dans laquelle ce nom serait déjà utilisé comme nom commercial ou comme marque dans un commerce identique par un homonyme, et ce afin d’éviter tout risque de confusion et de détournement de la clientèle par une concurrence qui serait alors déloyale.

1 Cass. civ. 1°, 15 mars 1988

2 même arrêt

3 les possessions

4 Cass. civ. 1°, 25 mai 1992

5 comp., notamment sur l’utilisation commerciale du nom

6 art. L. 713-6 c. prop. intell.

Il se peut, autre hypothèse, que, pour exercer une activité commerciale, un commerçant veuille faire usage non plus de son propre nom, mais d’un autre nom qui serait aussi celui d’autrui. Le porteur du nom peut s’y opposer, sauf, premier cas de figure, s’il n’existe aucun risque de confusion susceptible de porter atteinte à ses droits de la personnalité ou, second cas de figure, s’il a donné son autorisation et ainsi consenti à ce qu’un commerçant utilise son nom comme nom commercial. C’est ce qu’a très nettement affirmé la Cour de cassation dans l’affaire Bordas. Pierre Bordas, éditeur, avait cédé aux éditions Bordas le droit d’exploiter commercialement son nom mais, ayant dû quitter l’entreprise, avait souhaité créer une nouvelle société d’édition portant, elle aussi, le nom « Bordas ». La haute juridiction ne l’y pas autorisé en énonçant que « le principe de l’inaliénabilité et de l’imprescriptibilité du nom patronymique, qui empêche son titulaire d’en disposer librement pour identifier au même titre une autre personne physique, ne s’oppose pas à la conclusion d’un accord portant sur l’utilisation de ce nom comme dénomination sociale ou nom commercial »1. Il faut préciser que, plus récemment, la Cour de cassation a, s’agissant d’un nom notoirement connu, entendu limiter l’autorisation donnée à l’usage strictement prévu par la convention, décidant que le consentement donné par un associé fondateur, dont le nom est notoirement connu à l’insertion de son patronyme dans la dénomination d’une société exerçant son activité dans le même domaine ne saurait, sans accord de sa part et en l’absence de renonciation expresse ou tacite à ses droits patrimoniaux, autoriser la société à déposer ce patronyme à titre de marque pour désigner les mêmes produits ou services2. Cessible, le nom de famille peut donc se détacher de la personne physique qui le porte pour devenir un objet de propriété incorporelle dans le patrimoine de la personne morale. Les solutions qui viennent d’être évoquées relatives à l’utilisation du nom à des fins commerciales pourront être comparées avec les hypothèses d’utilisation littéraire du nom d’autrui, encore que, pour que cette utilisation devienne illicite, il faut ici non seulement qu’elle crée un risque de confusion, mais aussi qu’elle cause un préjudice au porteur du nom.

1 Cass. com., 12 mars 1985

2 Cass. com., 6 mai 2003

  • 2 – Le prénom

Le prénom individualise les membres d’une même famille portant le même nom. La loi du 11 germinal an XI avait prévu que pouvaient être choisis comme prénoms les noms en usage dans les différents calendriers ainsi que ceux des personnages connus de l’histoire ancienne, et il appartenait à l’officier d’état civil de n’en admettre aucun autre. Cette loi a cependant été abrogée par la loi du 8 janvier 1993 et l’article 57, alinéa 2 du Code civil dont il est issu pose désormais en principe que les parents sont libres de choisir les prénoms de l’enfant. Il s’agit cependant d’une liberté a priori ou, dit-on parfois, « limitée »1 : si, s’il a en effet, le prénom, seul ou associé aux autres prénoms ou au nom, lui paraissent contraires à l’intérêt de l’enfant ou au droit des tiers, l’officier d’état civil en avise le procureur de la République qui peut saisir le juge aux affaires familiales2. Celui-ci peut en ordonner la suppression sur les registres d’état civil et en attribuer un autre3.

II faut, en outre, signaler que, hormis cette hypothèse, l’article 60 du Code civil, lui aussi issu de la loi du 8 janvier 1993, autorise toute personne qui justifie d’un « intérêt légitime » à demander à changer de prénom. La demande est portée devant le juge aux affaires familiales qui doit procéder à une appréciation in concreto de l’intérêt légitime. Aussi bien ne peut-il pas se déterminer par un motif d’ordre général sans rechercher si l’état de fait invoqué par le requérant n’est pas de nature à constituer, pour lui un intérêt légitime4. L’usage prolongé d’un prénom, le désir de réaliser une complète assimilation à la communauté française ou l’exercice d’une religion ont pu être considérés comme révélant l’existence d’un intérêt légitime. Tel n’est, en revanche, pas le cas du simple motif de convenance, le désir de substituer aux prénoms d’origine leurs diminutifs, déjà utilisés habituellement dans la vie courante, ne reposant par sur un intérêt de nature à justifier la demande5.

1 Ph. Malaurie op. cit.

2 art. 57, al. 3, Code Civil

3 art. 57, al. 4, Code Civil

4 Cass. civ. 1°, 2 mars 1999

5 Cass. civ. 1°, 20 fév. 1996

Sous-section 3 – Le domicile

Au même titre que le nom ou le prénom, le domicile est lui aussi un élément d’individualisation de la personne. Alors que le nom et le prénom désignent la personne, le domicile la situe dans l’espace et revêt, à ce titre, un rôle de police civile puisqu’il permet, concrètement, de trouver la personne censée y être présente. Mais comme le nom et le prénom, le domicile ne se limite pas à cela. Parce que, en effet, le rôle social et familial du domicile est considérable, parce que le foyer familial est censé être le lieu d’épanouissement de l’individu et relève, d’ailleurs, de la vie privée1, il est lui aussi, dans une certaine mesure, un élément de la personnalité. Du reste, la Cour européenne des droits de l’homme a pu se fonder sur l’article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour affirmer, afin de défendre la sphère d’intimité à laquelle a droit la personne, que le respect du domicile implique le droit de vivre dans un environnement sain, rattachant par la même la lutte contre les troubles anormaux de voisinage à la protection du domicile et, plus largement encore, des droits de la personnalité.

Le droit français s’articule en la matière autour de deux principes : la nécessité et l’unicité du domicile. D’abord, en effet, de même que chaque personne a une personnalité et un patrimoine, toute personne a nécessairement, en droit, un domicile, ce qui, en fait, n’est pas toujours le cas, et l’on n’ignore pas l’existence d’errants et de sans-abri. Ensuite, on ne peut avoir qu’un seul domicile, ce qui n’empêche pas d’avoir une résidence secondaire. Le principe de l’unicité du domicile n’est cependant pas absolu, de telle sorte que, pour les personnes morales, si le domicile correspond normalement au siège social, la jurisprudence a admis qu’une entreprise est censée avoir tacitement élu domicile à ses succursales importantes pour les affaires qu’elle peut faire avec des tiers2.

Bien que la détermination du domicile puisse paraître, à première vue, ne pas appeler de développements particuliers, il faut tout de même relever qu’elle n’est pas en réalité sans susciter quelques difficultés. Or, il s’agit là d’une question importante, d’autant que, à la détermination du domicile, sont attachées de nombreuses conséquences juridiques très concrètes.

1 voir ainsi l’article L. 226-4 du Code pénal classant la violation du domicile parmi les atteintes à la vie privée

2 jurisprudence dite « des gares principales »

Ainsi, sans toutes les énumérer, faut-il ici rappeler que, lorsque l’on est en présence d’une situation présentant un élément d’extranéité1, le domicile contribue parfois à la détermination de la loi applicable ; que, en cas de litige, le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel demeure le défendeur2 ; que le mariage est célébré dans la commune où l’un des époux a son domicile ou sa résidence3 ; que les opérations d’ouverture et de liquidation d’une succession sont centralisées au domicile du défunt4 ; ou encore que les actes de procédure adressés par une partie à une autre doivent être signifiés au domicile ou la résidence du destinataire s’ils ne peuvent l’être à sa personne5.

Mais qu’est-ce donc que le domicile ? L’article 102 du Code civil dispose que « le domicile de tout Français, quant à l’exercice de ses droits civils, est au lieu où il a son principal établissement ». Le domicile suppose donc un établissement qui puisse être considéré comme principal, ce qui n’est pas le cas des vagabonds, que l’on appelle aujourd’hui les « sans domicile fixe » terminologie d’ailleurs discutable puisque, au sens civil du mot, ils n’ont, comme on vient de le voir, aucun domicile, le domicile impliquant une certaine fixité ou, en tout cas, stabilité. Dire, comme avaient pu le faire Aubry et Rau, que le domicile est le lieu auquel est rattachée une personne, n’élude pas réellement les difficultés tenant à sa détermination.

Lorsque l’article 102 du Code civil fait référence, pour désigner le domicile, au lieu ou l’intéressé a « son principal établissement », il entend viser le lieu où il habite effectivement, en somme son lieu de vie. Parfois, la loi détermine elle-même ce lieu : ainsi le mineur non émancipé est-il domicilié chez ses père et mère6 et les domestiques chez la personne qu’ils servent ou chez laquelle ils travaillent habituellement lorsqu’ils demeurent avec elle dans la même maison7. Et pendant longtemps, la femme mariée était impérativement domiciliée chez son mari, même en cas de séparation de fait.

1 l’extranéité renvoyant à la qualité de ce qui est étranger 2 art. 42, al. 1er, NCPC

3 art. 74 Code Civil

4 art. 720 Code Civil

5 art. 655 N.C.P.C.

6 art. 108-2 Code Civil

7 art. 109 Code Civil

Le souci d’assurer l’égalité entre les époux a cependant conduit le législateur, par la loi du 11 juillet 1975 relative au divorce, à supprimer ce qui pouvait paraître constituer une subsistance de l’ancienne prépondérance maritale. Aussi bien l’article 108 du Code civil dispose-t-il, depuis, que « le mari et la femme peuvent avoir un domicile distinct sans au ‘il soit pour autant porté atteinte aux règles relatives à la communauté de vie ». Dans chacune de ces hypothèses, le domicile légal correspond ou est censé correspondre au lieu où l’individu « a son principal établissement » pour reprendre les termes de l’article 102 du Code civil.

Il faut cependant noter que, parfois, la loi donne, pour l’exercice de certains droits, une définition particulière du domicile qui ne correspond pas à celle de l’article 102 du Code civil. Elle admet en effet l’existence de domiciles spéciaux permettant à un individu, pour des besoins particuliers, d’avoir un domicile particulier. Ainsi en va-t-il, par exemple, du domicile électoral : selon le Code électoral en effet, il faut avoir déménagé depuis plus de six mois pour pouvoir voter dans la circonscription du lieu ou l’on a déménagé alors que, au regard de l’article 102, le domicile effectif est celui de l’intéressé à compter du déménagement.

Section 2 – Les procédés d’identification de la personne

Les personnes juridiques étant l’instrument de base du commerce juridique, elles ne peuvent remplir cette fonction qu’autant que leur existence est constante. Le souci d’une preuve de l’existence des personnes est particulièrement important pour les personnes morales, lesquelles n’ont pas nécessairement un substrat matériel et donc une existence tangible. Il n’est pas négligeable chez les personnes physiques car si elles ont une existence matérielle qui les rend donc naturellement perceptibles, une incertitude affectant leur identité peut rejaillir sur leur existence et faire apparaître le besoin d’une preuve. En outre, la preuve de l’existence des personnes physiques est nécessaire à l’exercice de leur droit d’obtenir des informations sur la réalité de leur identité et les circonstances de leur naissance1.

Ces considérations mettent au jour le lien étroit qui unit la preuve de l’existence des personnes à celle de leur état. On ne peut prouver l’existence d’une personne sans que celle-ci ait une identité, car c’est l’identité qui permet de reconnaître les personnes.

1 art. 8 CEDH

C’est pourquoi les mêmes moyens de preuve ont été adoptés pour établir, d’une part la naissance et l’extinction des personnes, d’autre part les différents éléments constitutifs de l’état.

Dans un souci de certitude, il est apparu nécessaire de préconstituer la preuve. Il n’y a donc pas de liberté de la preuve en matière d’existence et d’état des personnes ; en ce domaine, la preuve est légale et prend une forme littérale. Pour jouir d’un supplément de crédibilité, son établissement est entouré de formes, l’acte contenant les informations relatives à l’existence et à l’état des personnes devant être authentique ou faire l’objet d’un dépôt auprès de l’autorité publique.

La preuve de leur existence et de leur état permet aux personnes de justifier de leur identité dans la vie juridique. Mais elle ne parvient pas à satisfaire à elle seule le besoin d’information des tiers. La sécurité du commerce juridique requiert que ceux-ci puissent s’assurer par eux-mêmes de la réalité et de l’identité de la personne avec laquelle ils sont susceptibles de traiter. Dans l’intérêt général, l’autorité publique a donc institué des services de publicité de l’existence et de l’état des personnes.

Il existe entre ces services et ceux qui sont chargés de recueillir les actes intéressant l’état et l’existence des personnes des liens fonctionnels évidents, ce qui explique que, dans certains cas, un seul et même service assure et la publicité et la conservation des preuves de l’état et de l’existence des personnes. Cette unicité peut être tout particulièrement constatée chez les personnes physiques.

Le service chargé de la preuve et de la publicité de l’état et de l’existence des personnes est dénommé service de l’état civil. Civil, il l’est en raison de l’abandon du caractère religieux du service qui, sous l’Ancien Régime, assurait la conservation de l’état des personnes. La Révolution a affirmé la laïcité de l’enregistrement des naissances, mariages et décès en conférant un caractère constitutionnel à ce principe1. Le décret de 20-25 septembre 1792 institua l’état civil, confiant à l’autorité municipale la charge de tenir les registres d’état civil.

La rédaction et la conservation des actes de l’état civil est assurée par des officiers publics exerçant leur fonction sous l’autorité du pouvoir judiciaire2. Il ne s’agit pas d’officiers ministériels, mais de membres de l’autorité administrative, les maires et leurs adjoints auxquels la loi confie des attributions judiciaires1

1 Const. 1791, titre II, art. 7

2 L’ensemble des lois, règlements, interprétations administratives et jurisprudentielles essentielles est rassemblé dans une Instruction générale relative à l’état civil dont la dernière édition eut lieu le 11 mai 1999 (JO, annexe au n° 172 du 28 juillet 1999, IEC, 50003 à 50235 ; RTD civ., 1999.900, comm. Th.

Revêt). Elle est présentée par ses auteurs comme « l’ouvrage de référence en matière d’état civil, à l’usage des parquets et des officiers de l’état civil » (Instr. gén., p. 50003). Il arrive qu’elle comporte des interprétations administratives contraires à la loi ou à son interprétation jurisprudentielle.

A l’étranger, les actes de l’état civil sont reçus par les agents diplomatiques et consulaires2. Les officiers de l’état civil n’assument pas leur tâche écrasante seuls ; ils délèguent la plus grande partie de leurs fonctions probatoire et publicitaire au personnel communal, qui agit sous leur contrôle et sous leur responsabilité3. Ils répondent de leurs fautes sur un fondement délictuel, notamment en cas de faux et d’absence de registre4 et même du fait d’autrui en cas d’altérations5, le tout sans préjudice des poursuites pénales et disciplinaires auxquelles leur comportement fautif les expose.

Dans le cas où la preuve de l’état n’a pas été préconstituée initialement, elle doit l’être a posteriori au moyen d’une décision de justice6. Si l’absence d’acte est imputable à une défaillance du service de l’état civil, le tribunal de grande instance rend un jugement supplétif de l’état civil. Si elle est due à une absence de déclaration, à une déclaration tardive ou à une impossibilité d’instrumenter en raison de l’incertitude de l’état, il rend un jugement déclaratif de l’état civil. Les juges du fond apprécient souverainement. Ces décisions sont transcrites sur les registres de l’état civil pour jouer le rôle d’une preuve préconstituée et bénéficier de la publicité des actes de l’état civil.

Autant pour pourvoir à la preuve extrajudiciaire de son état dans l’attente d’un jugement que pour administrer la preuve judiciaire de celui-ci dans l’instance en déclaration d’état, l’intéressé peut obtenir un acte de notoriété du juge du tribunal d’instance constatant son état tel qu’il résulte de la commune renommée, mode archaïque d’établissement de l’état des personnes. Ce moyen de preuve peut être utilisé quand les registres de l’état civil sont perdus ou détruits7 ou dans le cas où une personne désirant se marier se trouve dans l’impossibilité de produire une preuve instrumentaire de son état8.

1 art. L. 2122-32 CGCT

2 art. 48, al. 1er, Code Civil S’agissant des événements affectant l’état au cours d’un voyage maritime, v. art. 59 Code Civil S’agissant des militaires et de marins en cas de guerre, d’expédition, d’opération de maintien de l’ordre ou de stationnement des troupes françaises en territoire étranger, v. art. 93 Code Civil 3 art. R. 2212-10 CGCT

4 art. 52 Code Civil

5 art. 51 Code Civil

6 art. 46 Code Civil

7 L. 20 juin 1920

8 art. 71 Code Civil

Les officiers de l’état civil ne sont pas seulement les officiers instrumentaires de l’existence et de l’état des personnes ; ils en assurent en outre la publicité).

Sous-section 1 – La preuve de l’existence et de l’état des personnes physiques

La preuve de l’existence et de l’état des personnes physiques n’est pas libre, mais légale. Elle ne peut être rapportée par tous moyens que dans des cas exceptionnels. En principe, elle doit être administrée par titre ou par la possession.

  • 1 – La preuve par titre

La preuve de l’existence et de l’état d’une personne physique est faite par la production d’actes instrumentaires dans lesquels ont été consignés les événements relatifs à son existence et les éléments de son état. Cette exigence est liée au souci d’établir de manière certaine et opérationnelle les données juridiques du sujet. Pour renforcer la sécurité de l’état, institution d’ordre public, la loi exige en outre que l’acte instrumentaire soit établi en la forme authentique, ce qui en accroît les garanties de sincérité et de conservation. Grâce à des règles strictes d’établissement et de production, ces actes jouissent d’une importante force probante.

I – L’établissement des actes de l’état civil

A – Règles générales d’établissement

L’officier de l’état civil rédige les actes relevant de son ministère à la maison commune, en présence des déclarants et des témoins quand la loi prévoit leur présence. Si l’acte est un negotium, c’est son auteur qui doit comparaître. La représentation est possible ; elle requiert un pouvoir spécial établi par acte authentique1. L’acte est rédigé en français.

La conservation de l’état des personnes requiert une fiabilité du support instrumentaire. Si la conservation et la délivrance des actes de l’état civil peuvent être assurées par des procédés automatisés, cette méthode ne dispense pas de la rédaction des actes sur support papier, laquelle demeure la règle. La rédaction peut être manuscrite ou automatisée.

La fiabilité de la date des actes est assurée par l’obligation de rédiger les actes à la suite sur des registres. Mais cette obligation est assouplie par la faculté offerte aux officiers instrumentaires d’utiliser des feuillets mobiles numérotés et timbrés ou cotés et paraphés par le juge du tribunal d’instance sous réserve de procéder à leur reliure.

1 art. 36 Code Civil

Le contenu de l’acte varie selon son objet, des règles particulières gouvernant l’établissement des actes de naissance, des actes de reconnaissance d’enfant naturel, des actes de mariage et des actes de décès. Des principes sont communs à tous les actes de l’état civil. L’officier instrumentaire ne doit consigner dans l’acte que ce qui lui est déclaré sans prendre en compte une autre source de renseignement1. Pour préserver l’intimité de la vie privée et prévenir les discriminations, il ne doit inclure dans l’acte que les mentions autorisées par la loi2. En cas de mention superflue, une action en rectification peut être engagée.

Après lecture, l’acte est signé par les intervenants, puis par l’officier de l’état

civil3.

B – Rectification

Lorsqu’un acte de l’état civil comporte une erreur ou une omission, il ne peut y être remédié par l’officier de l’état civil dès lors que l’acte a été clôturé par sa signature. Il n’y a matière à inscription de faux qu’en cas de fraude de sa part. Si intervention du juge il y a, elle se fait sur un mode réparateur : comme il a lui-même le pouvoir de déclarer l’état, le tribunal peut, a fortiori, en rectifier l’expression instrumentaire. En cela, cet office se différencie fondamentalement de celui que constituent les jugements statuant sur les actions d’état, qui sont des jugements tranchant le fond du droit sur une question d’état.

Il en résulte que la rectification donne lieu à des formes de procéder légères. Elle est ordonnée par le président du tribunal de grande instance dans le cadre d’une procédure gracieuse4. Elle peut même être ordonnée par le procureur de la République dans l’exercice de son pouvoir de tutelle sur les officiers de l’état civil lorsque l’erreur ou l’omission a un caractère purement matériel. On parle alors de rectification administrative5. Cette forme de rectification peut être adoptée notamment pour les erreurs sur le sexe, le domicile ou la profession, les erreurs d’orthographe ou altérations affectant la mention du nom et les mentions non autorisées par la loi.

1 art. 35 Code Civil

2 La loi permet parfois l’indication de la nationalité. Ainsi les actes administratifs et les déclarations ayant pour effet l’acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité sont mentionnés en marge de l’acte de naissance. Il en va de même de la première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité (art. 28 Code Civil).

3 art. 39 Code Civil

4 art. 99, al. 1er, Code Civil

5 art. 99, al. 4, Code Civil

L’action peut être exercée par tout intéressé et notamment par la personne dont l’état civil est incomplet ou inexact et par l’officier de l’état civil. Le procureur de la République est recevable à agir, car l’état des personnes intéresse l’ordre public. Il est même tenu d’agir quand l’erreur ou l’omission porte sur une indication essentielle de l’acte.

C – Sanctions

Le formalisme instrumentaire est normalement sanctionné par la nullité lorsque la règle qui n’a pas été respectée est substantielle. Mais la matière des actes de l’état civil est avare de nullités car cette sanction a des conséquences graves en ce qu’elle prive une personne de la preuve de son état. La loi ne prévoit guère de nullités qu’en matière d’acte de mariage : absence de l’une des parties, incompétence de l’officier de l’état civil et défaut de publicité de la célébration1. Doivent également être considérés comme substantiels la qualité d’officier de l’état civil de la personne qui instrumente, la rédaction de l’acte sur un registre et la formalité de la signature. La nullité est également encourue lorsqu’un acte de l’état civil n’avait pas lieu d’être établi, soit que l’acte ait déjà été reçu, soit qu’il constate un fait inexistant ou totalement inexact, l’authenticité au sens matériel étant ici en défaut.

En raison des inconvénients qui s’y attachent, l’annulation est évitée autant qu’il se peut. Tout d’abord en faisant obstacle à l’action en nullité, par exemple en objectant l’absence de grief lié au fait que l’irrégularité n’affecte pas la force probante de l’acte. Dans cet esprit, la loi elle-même déclare irrecevables les actions en nullité de mariage dans le cas où les parties ont la possession d’état d’époux2. Ensuite, en permettant et en organisant la régularisation de l’acte. La jurisprudence admet qu’un acte non signé puisse être régularisé en justice. La loi œuvre dans le même esprit en étendant la procédure de rectification qui, en bonne logique, ne concerne que les erreurs, aux omissions3. La rectification est étendue par la pratique judiciaire aux mentions illicites.

1 art. 191, 146-1 et 184 Code Civil 2 art. 196 Code Civil

3 art. 99 Code Civil

II – La production des actes de l’état civil

Les actes de l’état civil sont destinés à servir de preuve préconstituée de l’état des personnes. En conséquence, ils sont conservés par l’officier de l’état civil à cette fin et sont tenus par lui à la disposition des intéressés. Le public ne peut en faire usage ; il ne peut que prendre connaissance des informations qui s’y trouvent consignées. Seule la personne concernée peut accéder aux actes instrumentaires en vue d’en faire usage, sous quelques exceptions limitatives. La raison en est qu’il est nécessaire de sauvegarder la confidentialité des informations qui ne sont pas indispensables à la publicité de l’existence et de l’état des personnes. Hormis le titulaire de l’état et ses héritiers, peuvent accéder aux actes de naissance, de reconnaissance et de mariage le procureur de la République, gardien de l’état des personnes, le greffier du tribunal d’instance, pour l’établissement des certificats de nationalité et la proche famille : descendants, ascendants, et conjoint. Tout intéressé peut obtenir la copie d’un acte de décès. Pour les autres actes, une dérogation peut être demandée au procureur de la République et, en cas de refus, au président du tribunal de grande instance.

Comme les autres officiers instrumentaires, l’officier de l’état civil ne communique pas les originaux de ses actes, qu’il conserve en minutes, et ne délivre que des expéditions ; nul ne peut exiger la production de l’original. Il en va de la sécurité de la conservation de l’état des personnes. Outre les copies, l’utilisation des actes de l’état civil peut prendre la forme d’extraits ampliatifs.

III – La force probante des actes de l’état civil

Les actes de l’état civil sont des actes authentiques1. Ils font donc foi jusqu’à inscription de faux et ne sont pas exposés à un désaveu d’écriture ou de signature comme le sont les actes sous seing privé. Cependant, la vigueur de cette force probante doit être relativisée. Toutes les énonciations de l’acte ne sont pas authentiques ; seules celles relatant ce que l’officier instrumentaire a constaté, vu ou entendu ont ce caractère. Par ailleurs, l’inscription de faux n’est admise que de manière exceptionnelle au profit d’un large pouvoir de rectification.

Les copies délivrées par l’officier de l’état civil ont la même force probante que les originaux, lesquels ne sont pas, dans un souci de conservation, communicables.

1 art. 1317 Code Civil

Les mairies remettent en outre aux intéressés des livrets de famille, fascicules portatifs constitués d’une compilation de copies et d’extraits d’actes de l’état civil. Sous réserve d’être tenus à jour par l’officier de l’état civil, ces documents ont la même force probante que les actes de l’état civil.

  • 2 – La preuve par la possession

I – Place de la possession dans la preuve de l’état

L’état des personnes peut, telle une chose, être objet de possession en raison de sa commercialité relative. La possession a même vocation à jouer un rôle privilégié en la matière du fait de la dimension sociale de l’état, lequel n’est autre que l’identité civile, donc une relation à autrui, élément caractéristique de la possession. Comme à l’égard des choses, elle comporte un corpus et un animus. Le corpus consiste dans l’usage d’un état, qui se trouve, de la sorte, attribué à une personne de manière factuelle. Il ne résulte pas d’actes matériels, bien sûr, mais d’une appréhension factuelle de l’état, constituée par un comportement qui accrédite que la personne a un état déterminé, confirmé par la notoriété qui s’attache à la réalité de cet état. L’animus consiste dans la croyance qu’a le sujet d’avoir tel état, la volonté n’ayant pas, contrairement à celui qu’elle joue dans la possession des choses, un rôle à remplir en raison des restrictions dont fait l’objet la disponibilité de l’état.

Comme en droit commun, la possession assure en matière d’état un double rôle, à la fois probatoire et acquisitif. Elle permet de présumer l’existence d’un état et, au bout d’un certain temps, d’en provoquer en tant que de besoin l’acquisition. Comme mode de preuve, elle a un rôle non négligeable. La preuve par titre lui est préférée en raison de son caractère préconstitué alors que la possession d’état est par nature contentieuse. Mais elle n’en est pas moins un mode de preuve apprécié parce que, correspondant à la réalité vécue, elle présente des garanties de crédibilité importantes, voire supérieures à celles des actes instrumentaires, lesquels sont le plus souvent établis sur la foi de simples déclarations. La possession s’épanouit pleinement en matière de filiation, où le législateur lui a reconnu un rôle privilégié au point d’instituer un mode d’établissement instrumentaire et, partant, publiable, de la possession d’état d’enfant1. Elle joue un rôle limité en matière de mariage où elle ne peut, par définition, suppléer un acte de mariage inexistant, mais les enfants peuvent se prévaloir de la possession d’état d’époux de leurs père et mère afin d’établir leur légitimité1.

1 art. 310-1, 310-3, al. 1

De même, le nom possédé ne peut rivaliser avec le nom qui résulte du titre pour des raisons d’ordre public, mais l’usage est pris en compte en cas de changement de nom ou de prénom. Si l’on inclut le domicile dans l’état, l’usage n’a plus à son égard l’importance qu’il avait dans l’ancien droit mais est toujours présent à travers la fonction que remplit l’habitation réelle dans l’établissement du domicile.

II – Régime

A l’instar du droit commun, la possession ne remplit sa fonction probatoire en matière d’état qu’à la condition d’être utile, c’est-à-dire d’avoir certaines qualités qui en font une possession civile. La possession d’état doit être dépourvue d’équivoque, continue, publique et régulière. A défaut, elle n’est pas probante, ce qui en fait un mode de preuve aléatoire au regard de la preuve instrumentaire.

Sa force probante est celle d’un fait ; autrement dit, il s’agit d’une présomption. Cette présomption est simple, sauf quand la possession prolongée a permis de prescrire l’état ; elle souffre donc la preuve contraire, le juge appréciant souverainement la valeur des preuves en présence. Elle peut entrer en conflit avec les actes de l’état civil, sous réserve de ne pas contredire des mentions ayant valeur authentiques, mentions qu’il n’est possible de combattre que par l’hypothétique voie de l’inscription de faux. Sauf le cas où la possession ne peut pas faire échec au titre, le juge évalue la force de chacune des preuves et retient celle qui lui paraît la plus convaincante. En général, la possession d’état et le titre sont concordants, en sorte que l’une vient conforter l’autre.

Sous-section 2 – La publicité de l’existence et de l’état des personnes physiques

La particularité de la publicité des informations relatives aux personnes physiques est d’être assurée par les officiers publics qui en constituent et en conservent la preuve, fonctions habituellement dissociées car peu compatibles. Il est ici apparu que l’association des ces missions procure une plus grande efficacité. Toutefois, la fonction publicitaire conserve son autonomie, quant à ses techniques autant qu’à ses sanctions.

1 art. 196 Code Civil

  • 1 – Les techniques de publicité de l’existence et de l’état des personnes

Le service de l’état civil met en œuvre des techniques spécifiques pour assurer la publicité de l’existence des personnes et de leur état. Ces techniques visent à assurer le traitement de l’information en vue de sa publication et sa communication au public.

I – Le traitement de l’information en vue de sa publication

A – Procédés

Les officiers de l’état civil établissent des tables annuelles et décennales pour accéder aux actes en vue de satisfaire les demandes d’information du public. Par ailleurs, faute de l’existence d’un service centralisé de l’état civil, ils coordonnent les informations qu’ils détiennent respectivement soit en transcrivant sur leurs registres des actes extérieurs, soit en les mentionnant en marge de leurs propres actes.

B – Transcription

Pour permettre au public d’avoir connaissance d’actes qui non pas été reçus par un officier de l’état civil donné1, la loi prescrit que cet officier reproduise de tels actes sur ses registres lorsque ceux-ci constituent une source que les tiers sont susceptibles d’interroger en raison des liens unissant la personne concernée à ses registres2. Mais la reproduction n’est pas toujours intégrale car la loi peut en restreindre l’étendue. La lourdeur du procédé explique qu’il soit de moins en moins imposé, une simple mention en marge apparaissant suffisante. Ne sont soumis à la formalité de la transcription que les actes de décès, qui doivent être transcrits par l’officier de l’état civil du domicile du défunt quand il n’a pas cet officier pour auteur, ce qui est fort possible puisque la loi pose en principe que l’établissement de cet acte de décès est de la compétence de l’officier de l’état civil de la commune où le décès a eu lieu3. Il est alors fait obligation à l’officier d’état civil instrumentaire d’adresser, dans le plus bref délai, une expédition de cet acte à l’officier de l’état civil du dernier domicile du défunt, et il s’impose à ce dernier de le transcrire immédiatement sur les registres4. Peuvent être transcrites les reconnaissances d’enfant naturel qui n’ont pas été reçues par un officier de l’état civil. Le domaine essentiel de la transcription est celui des jugements qui tiennent lieu d’état civil.

1 mais par un autre

2 commune de naissance, commune de domicile…

3 art. 78 Code Civil

4 art. 80 Code Civil

Pour leur conférer un caractère instrumentaire et une plus grande publicité, la loi prévoit la transcription des jugements déclaratifs1 et supplétifs de l’état civil2, des jugements déclaratifs d’absence3 et des jugements d’adoption4 ainsi que de révocation d’adoption5.

Elle définit, en général, la personne ou l’autorité chargée de requérir la transcription et le délai dans lequel celle-ci doit être effectuée. La transcription des actes de décès a lieu à la requête de l’officier qui a reçu l’acte6. Celle des jugements est requise en général par les parties, sauf quelques cas où son caractère impérieux conduit à en confier la demande au procureur de la République. Mais la diligence des parties peut être stimulée par l’inopposabilité qui sanctionne parfois le défaut de transcription.

C – Mentions en marge

La mention d’un acte ou d’un fait en marge des actes de l’état civil consiste à signaler sur un tel acte l’existence de ce fait ou de cet acte en en indiquant la substance. Elle se matérialise par un ajout en bas de page, en marge ou au verso de l’instrumentum.

Elle constitue la principale technique de coordination des supports de l’état civil. La loi l’impose en de multiples domaines, sans qu’il y ait lieu d’en faire un recensement exhaustif. De nombreux actes ou jugements doivent être mentionnés en marge des actes de naissance : tel est le cas des jugements déclaratifs de l’état civil, des actes administratifs en matière de nationalité, de la reconnaissance d’enfant naturel, de la légitimation, de l’adoption, de la dation ou du changement de nom ou de prénom, du mariage, du PACS et du décès. En marge de l’acte de mariage, doivent être mentionnés les jugements affectant le régime matrimonial et les jugements de divorce ou de séparation de corps. En marge des actes de décès sont mentionnés des circonstances particulières du décès dont l’indication est permise par la loi. Enfin sont mentionnés sur tous les actes de l’état civil les décisions d’adoption simple, le consentement à un changement de nom par l’effet de la filiation et les rectifications, qu’elles soient judiciaires ou administratives.

1 art. 91 C. civ2 art. 46 Code Civil

3 art. 127 et 128 Code Civil

4 art. 354, 357-1, Code Civil

5 art. 370-1 Code Civil

6 art. 80 Code Civil

La mention marginale est effectuée d’office par l’officier de l’état civil, lequel peut être requis par tout intéressé1. Lorsqu’il n’est pas le rédacteur de l’acte, c’est l’officier instrumentaire qui doit le requérir dans les trois jours. Les jugements sont mentionnés en marge des actes de l’état civil à la requête du procureur de la République quand la loi le prévoit et par les parties dans le cas contraire. La formalité est accomplie sans délai par l’officier requis afin que la publicité des actes soit à jour.

II – La communication de l’information au public

Toute personne peut obtenir des renseignements sur l’état civil d’autrui.

Toutefois, l’intérêt de la conservation de l’état exclut la possibilité d’une consultation des registres par le public, du moins pendant la durée de leur exploitation, qui est de cent ans.

Par ailleurs, tout dans l’état des personnes n’est pas publiable, en raison de la nécessité d’avoir égard au droit à la vie privée des personnes dont l’état est relaté par les actes instrumentaires. Il en résulte que tous les actes de l’état civil ne sont pas publiables ; seuls le sont les actes de naissance, les actes de mariage et les actes de décès, à l’exclusion notamment des reconnaissances d’enfant naturel. Il en résulte aussi qu’à l’exception des actes de décès, la délivrance au public de copies des actes est écartée, seules certaines personnes et institutions limitativement énumérées par la loi jouissant, comme la personne dont l’état est relaté dans l’acte, du droit d’obtenir copie. La publication s’effectue sous la forme d’extraits relatant les mentions de l’acte n’ayant pas un caractère confidentiel. Ce procédé permet de préserver la confidentialité des événements relatifs à la filiation et des changements d’état, éléments non publiables en eux mêmes.

  • 2 – Les sanctions de la publicité de l’existence et de l’état des personnes

La publicité de l’état des personnes physiques est essentiellement informative ; elle ne conditionne ni la naissance ni l’exercice d’un droit. L’état des personnes étant en lui-même opposable, la publicité ne peut jouer qu’un rôle accessoire à cet égard. Il s’ensuit qu’en principe, le défaut d’accomplissement de la publicité ne fait pas l’objet d’une sanction particulière. Les personnes et les tiers victimes d’un défaut de publicité peuvent rechercher la responsabilité de l’officier de l’état civil ou du service chargé de requérir la formalité si elles justifient d’un dommage.

1 art. 49 Code Civil

Le défaut de publication de l’état civil est exceptionnellement sanctionné. Les jugements de divorce, les jugements de séparation de corps, la réconciliation des époux séparés de biens doivent être publiés à peine d’inopposabilité aux tiers de leurs effets sur les biens des époux. De même, les jugements déclaratifs d’absence sont inopposables aux tiers à défaut d’avoir été publiés.

Plus exceptionnellement encore, le défaut de publicité va jusqu’à priver d’effet l’acte ou la situation soumise à publicité. C’est le cas des jugements déclaratifs d’absence, dont la non-publication se trouve ainsi doublement sanctionnée1, et du consentement au changement de nom résultant de la légitimation d’un ascendant2.

1 art. 127, al. 1, Code Civil

2 art. 331-2, al. 3, Code

Civil

CHAPITRE III

LES DROITS DE LA PERSONNE HUMAINE

Les droits de la personne sont des droits extrapatrimoniaux, c’est-à-dire perçus comme n’ayant pas de valeur pécuniaire. Ils sont incessibles, intransmissibles et imprescriptibles. L’ensemble des attributs que la loi reconnaît à tout être humain, placé en dehors du commerce juridique et opposable à tous constitue les droits de la personnalité : droits à l’honneur, à l’image, à l’intimité de la vie privée… Une place à part doit être faite au droit à la vie et à l’intégrité de la personne. La personne n’a pas de droit sur son corps. La personne physique n’est pas, à proprement parler, titulaire d’un droit de la personnalité en ce qui concerne son corps. Le renouvellement total des données juridiques par l’intervention des lois dites bioéthiques de 1994 et de 2004 justifie amplement que soit traité en priorité ce qui touche au corps humain avant que ne soient examinés les attributs de la personnalité.

Section 1 – Le corps humain

Le droit s’est toujours préoccupé d’assurer le respect dû au corps humain. Le droit pénal a pour objet essentiel de mettre en œuvre ce respect, en sanctionnant les atteintes à la vie humaine. Du côté du droit civil, les textes étaient rares, mais les principes certains. La jurisprudence veillait à ce que soient respectés les principes d’inviolabilité et d’intégrité du corps humain, ainsi que la règle de l’indisponibilité de l’état des personnes. Ont été interdites les conventions, à titre gratuit ou à titre onéreux, portant sur le corps, du moins tant qu’elles n’étaient pas justifiées par un motif légitime1.

Les fabuleux progrès de la médecine ont bouleversé les données. C’est ainsi que dès 1952 a été reconnu la licéité du don du sang, et en 1976 le don d’organes. Une étape importante a été franchie avec la loi du 20 décembre 19882 autorisant ouvertement les expérimentations sur le corps humain. Après plusieurs années de réflexions et de nombreux débats, deux lois importantes ont complété le dispositif : il s’agit des lois du 29 juillet 1994 relative au respect du corps humain, intégrée dans le Code civil3 et du 29 juillet 1994 relative aux principes généraux applicables au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, intégrée dans le Code de la santé publique. Ces deux lois constituaient un ensemble, et sont le plus souvent dénommées « lois bioéthiques ». Ces lois devaient faire l’objet d’une révision au bout de cinq ans. Il a fallu attendre en réalité près de dix ans : la loi du 6 août 2004 n’a pratiquement pas changé les textes du Code civil ; en revanche elle apporte des modifications substantielles au Code de la santé publique.

1 ex. : intérêt thérapeutique de la personne

2 dite loi Huriet

3 art. 16 à 16-9

Selon l’article 16 « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ». Il s’agit là d’une déclaration de principe, à portée limitée, puisque les textes suivants et ceux intégrés dans le Code de la santé publique apportent des limitations importantes.

L’article 16 pose expressément l’interdiction de l’atteinte à la dignité de la personne humaine. Ce principe très général a été également affirmé par le Conseil constitutionnel : la sauvegarde de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation est un principe à valeur constitutionnelle. D’autres textes y font aussi référence1. A lui seul, ce principe fondamental suffit à fonder l’ensemble de la législation bioéthique. On peut aussi y rattacher diverses atteintes spécifiques ; fait d’abuser de la vulnérabilité d’une personne, conditions de travail, protections diverses contre la dégradation, voire l’humiliation, etc.

Sous-section 1 – L’inviolabilité du corps humain et le principe d’intégrité physique

  • 1 – Le principe

Les lois bioéthiques ont consacre le principe du droit à l’intégrité physique, qui se dissocie d’ailleurs mal du principe d’indisponibilité du corps humain. Le corps ne peut subir aucune atteinte à l’intégrité physique. Des sanctions civiles comme pénales sont mises en œuvre en cas d’atteinte illicite.

Selon l’article 16-1 : « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable ». L’article 16-3 affirmait également que : « II ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité thérapeutique pour la personne ».

L’exception de la nécessité thérapeutique n’est pas nouvelle : il a toujours été admis que le médecin qui porte atteinte à l’intégrité physique de la personne2 accomplit un acte légitime. Prenant en compte les revendications du corps médical, qui trouvait l’exception trop restrictive,

1 Pacte des Nations Unies de 1966, Code pénal qui consacre un chapitre aux atteintes à la dignité de la personne…

2 par une intervention chirurgicale par exemple rendue nécessaire

Le texte vise depuis une loi du 27 juillet 1999 la nécessité médicale. Il n’est cependant pas évident que désormais ce texte permette de valider la médecine « de confort », telle la procréation médicalement assistée, la chirurgie esthétique… A noter que la stérilisation sur les majeurs, qui constitue une atteinte très grave à l’intégrité du corps humain, fait l’objet depuis 2001 d’une loi expresse qui la valide et l’encadre lorsqu’elle concerne des incapables majeurs.

L’idée qu’il est exclu de porter atteinte à l’intégrité même de la personne est traditionnelle. Elle explique de nombreuses solutions du droit positif : l’impossibilité d’imposer des expertises médicales contre la volonté de la personne, l’interdiction de faire un traitement médical ou une intervention chirurgicale sans consentement, le refus de l’exécution forcée des obligations de faire, etc.

Est plus novatrice l’exception tirée de la nécessité thérapeutique, depuis 1999, médicale, pour la personne qui vise tout aussi bien la personne concernée directement que des tiers. Ainsi, en validant le don d’organes en faveur d’autrui, notamment de moelle osseuse, la loi autorise ouvertement l’atteinte au corps sans nécessité thérapeutique pour celui qui donne un organe, mais dans l’intérêt d’autrui. La solidarité collective justifie la solution. On comprend alors la rigueur des conditions du don d’organes.

De même, la loi Huriet du 21 décembre 1988 autorise déjà l’expérimentation de médicaments sans intérêt thérapeutique direct : l’intérêt de la collectivité l’emporte sur la sauvegarde de l’individu.

Tout ceci explique l’importance attachée à l’exigence du consentement préalable.

On autorise certaines atteintes au corps sous réserve que la personne soit consentante. Ce principe du consentement préalable figure dans de nombreux textes : dans l’article 16-3, mais aussi de manière systématique et répétitive dans le Code de la santé publique lorsqu’est ouvert un droit à intervenir sur le corps humain1.

La loi du 6 août 2004 a encadré la médecine prédictive, c’est-à-dire qui procède aux investigations sur le patrimoine génétique de la personne. La loi la subordonne au consentement exprès et écrit de la personne, en limite l’utilisation. Si une maladie grave est découverte, le patient n’est pas obligé d’informer les membres de sa famille potentiellement concernés. Tout sera affaire de conscience personnelle du malade…

1 don d’organe, expérimentation biomédicale, assistance médicale à la procréation…

Dans la prolongation des principes posés, le nouvel article 16-2 prévoit que le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci. Cette formule n’est pas sans rappeler celle retenue en matière d’atteinte à l’intimité de la vie privée.

  • 2 – L’intégrité de l’espèce humaine

Selon l’article 16 précité, « la loi garantit le respect de l’être humain dès le commencement de la vie ».

Il faut rattacher à cette proclamation le principe suivant lequel nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine : l’article 16-4 interdit la pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes. Dans sa volonté de réagir contre les risques d’eugénisme, la loi a même proclamé qu’aucune transformation ne peut être apportée aux caractères génétiques dans le but de modifier la descendance de la personne.

Depuis la réforme du 6 août 2004, le clonage reproductif est formellement interdit. L’article 16-4 alinéa 3 affirme solennellement : « Est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée ». L’atteinte à ce principe est susceptible d’être sanctionnée de la réclusion criminelle à vie. Le clonage dit « thérapeutique » est aussi prohibé. L’interdiction ne figure que dans le Code pénal : il s’agit non d’un crime mais d’un délit, sanctionné par dix ans d’emprisonnement.

La loi a réservé la question des recherches tendant à la prévention et aux traitements des maladies génétiques. Or, l’étude des textes du Code de la santé publique permet de découvrir que la réserve est d’importance. Les thérapies géniques ne sont pas officiellement interdites ; les manipulations génétiques sont validées, dès lors que leur objet est de prévenir la transmission des maladies héréditaires. Certaines recherches peuvent être faites sur les embryons. Combinés avec les règles sur l’interruption volontaire de grossesse et les possibilités de diagnostic préimplantatoire et celles de diagnostic prénatal, les textes favorisent l’«eugénisme individuel » ce qui suscite des réactions d’inquiétude légitime.

  • 3 – L’intégrité physique de l’enfant à naître

Nous l’avons dit, la personnalité juridique de l’enfant n’apparaît, en tant que telle, qu’au moment de la naissance. Faut-il pour autant en déduire que l’enfant qui n’est pas encore né n’a pas de statut juridique ? L’absence de la qualité de sujet de droit empêche-t-il l’élaboration d’un statut qui aurait pour finalité la protection de l’embryon et du fœtus ?

Les difficultés à régler sont d’ordre divers : légalisation de l’interruption volontaire de grossesse, action en responsabilité pénale pour homicide involontaire contre les responsables du décès d’un fœtus, sort des embryons conçus dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation. Se profile derrière cette question celle de savoir si l’embryon et le fœtus doivent être considérés comme des choses ou comme des personnes.

Aucune disposition d’ordre général ne définit ce qu’est l’embryon ni ne fixe de règles générales. La loi Veil du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse a proclamé que « la loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie. Il ne saurait être porté atteinte à ce principe qu’en cas de nécessité et selon les conditions définies par la présente loi ». Ce texte reconnaît donc à l’enfant à naître la qualité d’être humain. Mais il légalise dans le même temps l’interruption volontaire de grossesse.

L’article 16 du Code civil a repris une disposition analogue1. Lors du vote des lois bioéthiques en 1994, il a été clairement dit qu’il ne saurait être question de remettre en cause la législation sur l’interruption volontaire de grossesse.

Ces mêmes lois ont adopté un régime applicable à l’embryon qui atteste des contradictions de notre droit positif : sur certains points l’embryon est traité comme une chose, sur d’autres comme une personne.

La loi du 4 juillet 2001 qui a allongé la durée durant laquelle l’interruption volontaire de grossesse est possible a confirmé l’ambiguïté actuelle de la législation.

Face aux contradictions quasiment insurmontables des dispositions internes, mais aussi internationales, la doctrine a proposé des analyses renouvelées. L’enfant à naître, même non doté de la personnalité juridique, pourrait faire l’objet d’une protection minimum, en tant qu’être humain potentiel, bénéficiant à ce titre d’un droit à l’intégrité physique.

1 « la loi garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie »

La seule exception est celle de l’avortement : l’atteinte portée est alors licite en raison d’impératifs absolus, ceux de la liberté et de la protection de la femme en état de détresse.

La jurisprudence n’a pas encore tiré toutes les conséquences de ces propositions doctrinales. Ainsi, elle refuse de considérer, avec l’assentiment de la Cour européenne des Droits de l’Homme1, que le fœtus est une personne pénalement protégée (pas d’homicide involontaire) 2.

Les arrêts de l’Assemblée plénière du 17 novembre 2002 relatifs aux actions en responsabilité civile formées contre des médecins dont les fautes ont contribué directement ou indirectement à la naissance d’un enfant handicapé ont relancé le débat3. Ces actions ont été accueillies favorablement. Selon l’Assemblée plénière, « dès lors que les fautes commises par un médecin et un laboratoire dans l’exécution des contrats formés avec une femme enceinte4 ont empêché celle-ci d’exercer son choix d’interrompre sa grossesse afin d’éviter la naissance d’un enfant atteint d’un handicap, ce dernier peut demander la réparation du préjudice résultant de ce handicap et causé par les fautes retenues ».

La loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a combattu cette jurisprudence. Désormais, « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance. La personne née avec un handicap dû à une faute médicale peut obtenir la réparation de son préjudice lorsque l’acte fautif a provoqué directement le handicap ou l’a aggravé, ou n’a pas permis de prendre des mesures susceptibles de l’atténuer »5. Pour éviter que les parents n’obtiennent indirectement des indemnisations qui couvrent le préjudice subi personnellement par l’enfant, il est dit clairement que les parents ne peuvent être indemnisés qu’au titre de leur propre préjudice, lequel ne saurait inclure les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de ce handicap. La compensation de ce préjudice relève de la solidarité nationale.

Ainsi, le législateur, sous la pression des médecins, pression explicable, le coût des assurances médicales étant devenu exorbitant, a-t-il exclu la réparation du préjudice matériel causé par la naissance d’un enfant handicapé suite à une erreur médicale, notamment une erreur de diagnostic. Seul le préjudice moral subi par les parents est indemnisable. L’enfant ne dispose pas d’action, hors le cas où existe un lien de causalité direct entre la faute à l’origine du handicap et le handicap1.

1 CEDH, 8 juill. 2004

2 Ass. Plén. 29 juin 2001

3 Ass. Plén., 17 nov. 2002, affaire Perruche

4 non détection de la rubéole

5 art. L. 114-5 CASP

Au niveau européen, la question reste controversée. La France a été condamnée par deux arrêts de la CEDH du 6 octobre 2005 : le juge européen a considéré que les actions qui auraient pu être engagées après l’affaire Perruche, mais avant l’entrée en vigueur de la loi du 4 mars 2002, doivent pouvoir l’être. Autrement dit, ce qui est censuré, ce n’est pas la loi elle-même, mais l’application rétroactive de cette loi. La Cour de cassation, par trois arrêts du 24 janvier 2006, a fait revivre la jurisprudence admettant l’indemnisation2. Le débat sur le caractère indemnisable ou non du préjudice de vie est loin d’être clos.

Sous-section 2 – L’indisponibilité du corps humain § 1 – Le principe d’indisponibilité

Le corps humain n’est pas une chose. C’est pourquoi il est hors du commerce, indisponible selon l’article 1128, il n’y a que les choses qui sont dans le commerce qui puissent être l’objet de conventions. En principe, il est exclu de faire des conventions sur le corps ou ses éléments et produits.

Il est interdit de vendre un organe, un bout de peau, et, à plus forte raison, des gamètes ou un embryon… Ce principe a pu être mis en avant par la Cour de cassation pour déclarer illicite le recours aux « mères porteuses ». La solution figure aujourd’hui à l’article 16-7 : « toute convention partant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ».

Il n’existe pas de droit « à » l’enfant. En aucun cas, un enfant ne peut être traité comme un bien dans le commerce. Aucune convention ne peut être conclue relativement au corps d’un enfant à naître ou déjà né.

En ce sens, il est certain que le principe d’indisponibilité est une règle fondamentale du droit privé.

1 on songe spécialement au cas où le fœtus a été blessé à la suite d’une intervention volontaire de grossesse non réussie

2 L’application, aux instances en cours le 7 mars 2002, des dispositions de cette loi qui écartent la réparation du « préjudice de vie » aux conditions favorables établies par la jurisprudence Perruche, ont valu à la France des constats de violation de la Convention européenne des droits de l’homme (Cour EDH, 6 oct. 2005). La Cour de Cassation comme le Conseil d’État se sont inclinés. Reste à savoir si la loi « anti-Perruche » elle-même sera un jour censurée.

Si le corps humain est indisponible, doit-il aussi en être de même pour ses produits et éléments ? C’est ce que semble suggérer le législateur, mais de manière ambiguë : les conventions sont possibles ; ce qui est interdit c’est de conférer une valeur patrimoniale aux éléments ou produits1.

Le principe d’indisponibilité a toujours connu des limites. Certaines résultent d’une situation de fait : ainsi, la prostitution est une convention valable2 ; les sportifs sont rémunérés pour leur force physique… Nul n’est d’ailleurs intéressé à remettre en cause la validité de telles conventions3.

Par ailleurs, il est apparu de plus en plus utile de consacrer l’évolution des sciences biomédicales, et de valider l’utilisation des éléments et produits du corps humain, notamment pour favoriser le développement de l’assistance médicale à la procréation et la transplantation d’organes : la loi intégrée au Code de la santé publique autorise et réglemente l’utilisation des produits et éléments du corps humain, qui sont en réalité traités comme des biens susceptibles de faire l’objet de conventions.

Mais ceci a été fait de manière indirecte : les contrats entre deux personnes présentes et qui se connaissent restent globalement interdits4.

Seuls les « dons » sont autorisés : une personne fait un don, une autre personne le reçoit. L’« anonymat » protège et le donneur et le receveur. Ce mécanisme original explique qu’un ensemble de principes de même nature puissent être dégagés. On rapprochera du don les expérimentations sur le corps, qui obéissent globalement aux mêmes règles.

Si la loi déclare qu’elle assure la primauté de la personne et interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci, force est de reconnaître qu’elle-même admet bien des entorses à cette règle. A été légalisée la pratique de la procréation médicalement assistée, ce qui implique la validation de la technique de la congélation d’embryons. A été élargie la possibilité de dons d’organes, et ouvertes définitivement les possibilités d’expérimentations sur le corps humain, y compris des personnes saines, ce d’ailleurs dès 19885. Ces atteintes sont souvent dissimulées à travers des textes épars figurant dans le Code de la santé publique. Il faut donc s’efforcer de trouver des principes les régissant, de façon à encadrer les pratiques médicales, et à limiter les revendications excessives.

1 art. 16-5 du Code civil

2 seul le proxénétisme est interdit

3 encore que l’on rediscute périodiquement de la licéité de la prostitution…

4 A titre d’exception, on relèvera spécialement le « don » d’organes entre personnes vivantes, membres d’une même famille : il y a en réalité une vraie donation d’une partie du corps.

5 la loi de 1994 ne remettant nullement en cause les autorisations accordées en ce domaine par la loi relative à l’expérimentation biomédicale

  • 2 – Les principes régissant les actes autorisés

I – La protection de celui qui subit une atteinte à l’intégrité de son corps

La protection passe par l’exigence du consentement préalable, dont le recueil est soumis à des règles strictes, afin que l’on ait la certitude qu’il a été donné de manière libre et éclairé. En amont, le médecin est tenu de donner au patient toute information sur les risques, mêmes exceptionnels, encourus lors d’un traitement ou d’une intervention.

Celui qui envisage de faire un don d’organe, de cellules, etc. dispose d’une possibilité de révocation unilatérale.

L’obligation de soins imposée aux médecins les conduit parfois à transgresser ce principe. Le médecin doit en principe recueillir le consentement, sauf cas d’urgence. Cette obligation imposée au médecin entre en conflit avec le principe du respect de la volonté du patient lorsque, pour des raisons de principes, notamment religieux, celui-ci refuse des soins. Ainsi en est-il des témoins de Jéhovah qui refusent des transfusions sanguines. La jurisprudence avait décidé que n’est pas responsable le médecin qui procède à un tel acte en cas d’urgence pour sauver un malade. Aujourd’hui, la loi du 22 avril 2005 autorise toute personne à refuser un traitement médical ; il n’est pas évident que la solution soit maintenue.

Selon l’article L. 1121-2 du Code de la santé publique, « aucune recherche biomédicale ne peut être effectuée sur l’être humain si elle ne se fonde sur le dernier état des connaissances scientifiques et sur une expérience préclinique suffisante ; si le risque prévisible encouru par les personnes qui se prêtent à la recherche est hors de proportion avec le bénéfice escompté pour ces personnes ou l’intérêt de cette recherche ; si elle ne vise pas à étendre la connaissance scientifique de l’être humain et les moyens d’améliorer sa condition ».

Le principe de proportionnalité entre les risques encourus par le patient et le bénéfice escompté pour la personne est un principe essentiel en matière de recherches biomédicales, dans lesquelles il convient de veiller à éviter tout débordement. Il est spécialement difficile à respecter lorsque sont testés de nouveaux médicaments sur des personnes saines. Il vaut aussi, de manière plus générale, pour tous les actes médicaux, le Code de déontologie l’ayant consacré depuis longtemps. Relevons que pour couvrir les actes qui ne sont pas destinés à tenter de guérir un malade, mais à tester de nouvelles techniques ou médicaments, la loi vise le bénéfice « pour la personne » ou « pour la recherche ». C’est admettre très officiellement l’atteinte à l’intégrité du corps sans nécessité pour la personne elle-même, dans l’intérêt de la science.

Tout acte médical doit être effectué dans des conditions de sécurité sanitaire renforcée. Par exemple, le Code de la santé publique réglemente les lieux où ces actes peuvent être effectués1, renforce les contrôles en cas d’utilisation du sang, etc.

Toutes les personnes ne sont pas autorisées à faire don de leurs éléments, produits du corps… Les majeurs protégés, les mineurs, les personnes incarcérées, les femmes enceintes font tous l’objet de dispositions particulières. Parfois, les actes sont purement et simplement interdits2. La loi est particulièrement vigilante en matière d’expérimentation biomédicale, domaine dans lequel les risques d’abus d’influence ou d’autorité sont spécialement aggravés.

II – Le principe de secret de l’identité

Le principe même du don implique que l’on ne puisse faire un rapprochement entre le donneur et le receveur, et par là les identifier. Ceci explique la disposition de l’article 16-8 : « aucune information permettant d’identifier à la fois celui qui a fait don d’un élément ou d’un produit de son corps et celui qui l’a reçu ne peut être divulguée. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur ».

On dit souvent que le don est anonyme. En fait, il s’agit plus d’un secret d’identité qui est imposé. La preuve en est que donneur et receveur sont parfaitement identifiés, connus par les services médicaux. Ce que l’on ne veut pas, c’est que donneur et receveur aient la possibilité respective de se connaître… C’est pourquoi l’article 16-8 reconnaît aux médecins du donneur et du receveur et à eux seuls la possibilité d’avoir accès aux informations permettant l’identification de ceux-ci.

1 locaux soumis à des contrôles administratifs…

2 ex. : don d’organe par un mineur

Le principe est spécialement utilisé dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation : c’est parce que l’on a imposé le secret de l’identité des deux parties1 que tout peut se passer comme si l’enfant né par insémination artificielle était l’enfant biologique du couple.

III – La non-patrimonialité du corps et la gratuité des actes

La non-patrimonialité signifie qu’aucune valeur pécuniaire ne peut être conférée au corps lui-même, à ses éléments ou produits. L’article 16-5 proclame le principe. « Les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles. » Dans la même lignée, l’article 16-6 interdit qu’une rémunération soit allouée à celui qui se prête à une expérimentation sur sa personne, au prélèvement d’éléments de son corps ou à la collecte de produits de celui-ci.

Différents textes du Code de la santé publique rappellent le principe. Ainsi celui qui se prête à des expérimentations avec bénéfice thérapeutique direct ne peut obtenir de rémunération ; le don de sang ou de plaquettes sanguines, le don d’organe, le don de sperme et le don d’embryon sont nécessairement gratuits. Ce principe a pu être discuté, notamment après l’affaire du sang contaminé, car il donne l’illusion de la sécurité et de l’impossibilité de tout trafic.

En corollaire, est généralement interdite la publicité en faveur d’un don2.

Le principe a été légèrement modéré en cas d’expérimentation sans bénéfice thérapeutique direct pour la personne3 : une « indemnité » peut être allouée. Un montant annuel à ne pas dépasser est fixé par les textes, afin d’éviter que des personnes nécessiteuses ne deviennent des professionnels du don.

Le principe de non-patrimonialité a une portée qui reste limitée : une fois le produit ou l’élément du corps prélevé, rien n’empêche qu’il rentre dans le commerce. Il en est ainsi pour le sang. Pour le sperme et la transplantation d’organe, les solutions sont plus subtiles, pas « d’achat » officiel, mais remboursement par la sécurité sociale des « frais ».

Dans le souci d’éviter la commercialisation du génome humain, la loi de 1994 avait interdit la brevetabilité des séquences génétiques. Une directive européenne du 6 juin 1998 a mis à mal notre position. Après avoir largement dépassé les délais de transposition et sans avoir convaincu le reste de l’Europe de la qualité de sa position, la France a du se plier. Sont désormais brevetables les inventions constituant l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain1.

1 donneur de sperme et receveur

2 mais pas l’information relative au don, ce qui est autre chose 3 expérimentation sur des personnes saines

Section 2 – Les attributs de la personnalité

Toute personne possède des prérogatives du seul fait qu’elle est une personne. Ces prérogatives sont appelées droit de l’homme et du citoyen lorsqu’elles ont pour objet de limiter les pouvoirs de l’État. On les qualifie de droits de la personnalité lorsqu’elles sont invoquées dans les rapports entre les particuliers.

Sous-section 1 – Les droits de l’homme

On peut sommairement les définir comme les droits inhérents à la nature humaine, auquel le législateur ne doit pas porter atteinte. Leurs sources sont nombreuses : Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 17892. Préambule à la Constitution de la IVe République3, Constitution du 4 octobre 19584. Déclaration universelle des droits de l’homme5. Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales de 19506

Sont consacrées des libertés : liberté d’aller et venir, liberté de pensée, de croyance et d’expression7, liberté du commerce et de l’industrie… La liberté de conscience peut être considérée comme l’une des plus fondamentales. Elle est une conséquence de la liberté d’opinion. L’une de ses expression est la liberté religieuse, qui elle est parfois complexe à délimiter. La loi du 15 mars 20048 interdisant le port ostensible de signes religieux dans les établissement scolaires le démontre amplement.

Des droits fondamentaux sont affirmés : droit à la vie, à l’honneur, à la nationalité, à l’instruction, droit de grève, droit à la sécurité sociale…

1 article L. 611-18 du Code de la propriété intellectuelle, modifié par la loi du 6 août 2004

2 liberté de pensée, de croyance, d’expression, de faire ce qui ne nuit pas à autrui, d’aller et venir ; la propriété…

3 1946

4 égalité de l’homme et de la femme, droit au travail, à l’instruction, droit de grève, liberté syndicale, droit à la sécurité sociale…

5 proclamation d’un idéal à atteindre en ce domaine

6 droit à la vie, à la liberté, à un procès équitable, au respect de la vie privée et familiale ; interdictions de la torture et des traitements inhumains ou dégradants

7 nul ne peut être inquiété pour ses opinions, même religieuses ; droit à la libre communication des pensées et des opinions…

8 loi dite du foulard islamiste, du 15 mars 2004 qui encadre, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une apparence religieuse à l’école.

Ils reposent tous sur le principe d’égalité : égalité des sexes, principe de non-discrimination fondée sur la santé, la nationalité, la race, etc. Ces droits sont parfois appelés des droits publics, car ils s’exercent surtout dans les rapports entre les particuliers et les agents de l’État : les libertés, les droits sont protégés contre les empiétements de l’Etat. Mais ils peuvent aussi s’exercer dans les rapports des particuliers entre eux.

La loi du 30 décembre 2004 a créé une haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité1. A été modifié le régime de la liberté de la presse prévu par la loi du 29 juillet 1881 : les incriminations et les peines relatives aux discours racistes et antisémites sont désormais applicables aux discours incitant à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison du sexe, de l’orientation sexuelle ou d’un handicap.

Sous-section 2 – Les droits de la personnalité

Toute personne se voit reconnaître un certain nombre de prérogatives : destinées à obtenir le respect de sa personne, elles sont opposables à tous.

  • 1 – Les différents droits de la personnalité

Ils ont été précisés tant par la jurisprudence française que par le juge européen.

I – Le respect de la vie privée

Concernant la vie privée, l’article 9 du Code civil proclame que chacun a droit au respect de sa vie privée. Or ni ce texte ni l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme2, ne précisent le contenu et l’acception de ces termes.

La vie privée recouvre divers éléments : vie familiale, vie sentimentale et sexuelle, domicile, droit à l’image, droit à la voix, convictions religieuses et morales, santé-loisirs et travail. Parce qu’il constitue une sphère privée, nul ne peut diffuser des éléments de cette vie privée. De nombreux aspects sont protégés : vie sentimentale ou conjugale, adresse personnelle, état de santé, maternité, mœurs, religion…

La Cour de cassation considère que le décès d’une personne visée dans un article de presse ne permet pas pour autant de publier des informations relevant de la vie privée sans autorisation1.

1 La Halde

2 chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale

L’autorisation de publication d’une photographie passe aux héritiers. On explique cette jurisprudence par le fait qu’il s’agit de protéger la vie privée des héritiers en tant que tels.

La constitution de fichiers informatisés concernant la vie privée des particuliers est strictement réglementée. La loi « informatique et liberté » du 6 janvier 1978 précise que l’informatique ne doit pas porter atteinte à la vie privée. Aucun élément ne peut être fiché sans autorisation expresse de l’intéressé. Une protection existe également au niveau européen.

La frontière entre vie privée et publique est difficile à établir. Le principe est, bien sûr, que les personnalités publiques renommées pour leur talent artistique ou leur position politique peuvent faire respecter leur vie privée. Mais la jurisprudence a parfois tendance à restreindre la notion de vie privée des personnes publiques.

L’article 9 est souvent appliqué par les tribunaux. Des personnes célèbres demandent des dommages-intérêts en cas de divulgation par des journaux d’éléments relatifs à leur vie privée, mais monnaient par ailleurs les grands moments de leur vie privée, ce qui sème de la confusion : on se demande souvent si elles n’ont pas donné des autorisations implicites de divulgation.

Inversement, relèvent de la vie publique les comportements attestant une participation à des manifestations publiques mais aussi, par exemple, la composition du patrimoine personnel2.

Si la personne concernée donne son autorisation, expresse ou tacite, à la divulgation de ces renseignements, il n’y a pas atteinte à la vie privée.

La vie privée doit être respectée pendant le travail, mais ce respect n’est pas absolu : il se heurte aux exigences de l’entreprise ; la conciliation est parfois difficile.

Celui qui porte atteinte à la vie privée d’autrui encourt des dommages-intérêts. La seule atteinte à la vie privée est suffisante : la victime n’a pas à démontrer l’existence d’une faute. Le droit au respect de la vie privée est sanctionné indépendamment de l’article 1382 9.

De plus et surtout, l’article 9, al. 2 déclare que les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestre, saisie et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée.

1 La saisie du livre du docteur Gubler, médecin du Président Mitterrand, a montré l’efficacité de ces droits

2 au moins s’agissant des principales personnalités du monde des affaires, voir Civ. 1°, 28 mai 1991, Civ. 1°, 5 nov. 1996, Princesse Caroline Grimaldi

Ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé. Le texte exige une atteinte à l’intimité de la vie privée. L’intimité de la vie privée est le noyau irréductible de la vie privée. Les juges s’attachent essentiellement à la gravité de l’atteinte pour les prescrire ou non.

La jurisprudence n’admet ce type de mesures que de manière restrictive, lorsque l’atteinte à la vie privée est d’une gravité intolérable et ne peut être réparée par des dommages-intérêts.

On notera, au titre des sanctions, qu’il ne peut être procédé à un licenciement pour une cause tirée de la vie privée d’un salarié.

Des sanctions pénales sont aussi parfois organisées1.

Celui qui reçoit une confidence dans l’exercice de ses fonctions doit la garder secrète2.

II – Le droit à l’honneur

Toute personne a le droit d’exiger des autres le respect de sa propre dignité, de faire protéger son honneur et sa réputation. Pénalement, certaines atteintes à l’honneur ou à la considération de la personne constituent l’infraction de diffamation ou d’injure.

On entend par diffamation l’imputation d’un fait précis et déterminé, de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée, même si elle est présentée sous une forme déguisée ou dubitative ou par voie d’insinuation.

L’injure est l’expression outrageante, le terme de mépris ou invective qui ne renferme l’imputation d’aucun fait précis.

A titre de sanction, des dommages-intérêts peuvent être alloués à la victime, qui peut également user d’un droit de réponse si elle a été mise en cause dans un périodique ou sur les ondes.

III – Le droit au respect de la présomption d’innocence

En vertu d’un principe à valeur constitutionnelle, tout homme est présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable.

1 ex : en matière informatique

2 médecin, prêtre, notaire, banquier, etc.

Malheureusement, les journalistes portent souvent atteinte à cette présomption. Les lois du 4 janvier et du 24 août 1993 ont eu pour objet de faciliter la sanction des atteintes à la présomption d’innocence. L’article 9-1 proclame solennellement que chacun a droit au respect de la présomption d’innocence, et l’al. 2 organise la mise en œuvre des sanctions en cas d’atteinte, spécialement par la possibilité de faire ordonner l’insertion dans la publication concernée d’un communiqué aux fins de faire cesser l’atteinte.

IV – Le droit à l’image, à la voix et à la correspondance

Le droit à l’image est un droit éventuellement autonome du droit au respect de la vie privée : une atteinte au droit à l’image peut être constituée indépendamment d’une atteinte au respect de la vie privée. Chacun a droit à ce que son image ne soit ni reproduite, ni publiée sans son autorisation. Toute personne a un droit sur les photographies qui la concernent. Elle peut en empêcher la divulgation, et même, en deçà, interdire d’être prise en photographie.

Toute réalisation et diffusion d’une image prise dans un lieu privé est subordonnée au consentement de la personne. Si elle se trouve sur un lieu public, le consentement est parfois présumé1, parfois même non exigé2. La reproduction de l’image d’autrui par une photographie nécessite donc l’autorisation de la personne, soit expresse, soit tacite3. L’autorisation de la personne que sa photographie soit diffusée ne vaut que pour la situation visée.

Dans la prolongation du droit à l’image, a été consacré par la jurisprudence le droit au respect de la voix et le droit à interdire l’utilisation de son image dans un jeu vidéo.

La sanction varie suivant la situation : lorsque l’atteinte au droit à l’image se cumule avec une atteinte à la vie privée, on applique les sanctions de l’article 9. A défaut, les dommages-intérêts sont alloués sur le fondement de l’article 1382.

Le droit à la voix répond aux mêmes finalités : il s’agit de sanctionner ceux qui enregistrent des conversations privées sans autorisation préalable. Les écoutes téléphoniques sont également interdites, sauf dans le cadre de la loi du 10 juillet 19911.

1 ex. : prise de l’image effectuée au vu et au su de la personne 2 ex. : homme d’État dans l’exercice public de ses fonctions

3 personne publique paraissant dans un lieu public

La jurisprudence a également reconnu le droit à faire respecter le secret de la correspondance et des missives. Une lettre ayant trait à la vie privée d’une personne ne peut être divulguée qu’avec l’accord préalable de son auteur et du destinataire qui en est le propriétaire.

C’est essentiellement au cours des procédures de divorce que ces questions sont examinées.

Les sanctions civiles attachées à l’atteinte à ces différents droits sont les mêmes que celles attachées à la violation du droit au respect de la vie privée ; la protection peut être obtenue, indépendamment de tout préjudice subi.

  • 2 – Le régime des droits de la personnalité

Les droits de la personnalité sont des droits extrapatrimoniaux, attachés à la personne.

Les droits de la personnalité ne sont pas estimables en argent. Il est vrai qu’en cas d’atteinte à un droit de la personnalité, la victime peut obtenir, sous forme de dommages-intérêts, réparation du préjudice qu’elle a subi, ce qui semble conférer aux droits de la personnalité un certain caractère patrimonial. Le caractère extrapatrimonial résulte de ce que le droit n’est pas conçu en lui-même comme ayant une valeur pécuniaire. Ce n’est pas son objet direct.

Parce qu’ils sont attachés à la personne, ils ne peuvent être exercés par des créanciers par la voie oblique2. Ils sont généralement intransmissibles. Néanmoins, en cas d’atteinte à la mémoire ou à la réputation d’une personne après sa mort, les proches peuvent demander réparation.

Ils sont en principe indisponibles et incessibles.

Néanmoins, ce principe est mis à mal, puisque le consentement de l’individu suffit le plus souvent à rendre licite l’atteinte portée aux droits de la personnalité. On peut aussi renoncer a posteriori à exiger le respect par la presse de sa vie privée ou à faire respecter la présomption d’innocence.

Ces droits sont intransmissibles par succession ; cependant, en cas d’atteinte à la mémoire d’une personne après sa mort, le conjoint ou les proches peuvent obtenir réparation. Les héritiers peuvent demander réparation en cas d’atteinte au droit moral de l’auteur d’une œuvre littéraire ou artistique.

1 autorisation du juge d’instruction ou interception de sécurité

2 art. 1166 du Code civil

Ils peuvent autoriser la publication de l’image du défunt.

DEUXIEME PARTIE

LES PERSONNES MORALES

Des groupements de personnes physiques, plus rarement de biens, sont personnifiés : ce sont les personnes morales. La reconnaissance de la personnalité juridique aux groupements permet de les considérer comme des sujets de droits distincts des membres qui les composent. Doté d’un patrimoine propre, le groupement peut conclure des contrats, agir en justice ou y défendre, comme pourrait le faire une personne physique.

Nous traiterons des grandes lignes de la question ; chaque catégorie de personnes morales faisant l’objet d’un enseignement distinct, nous nous contenterons d’expliquer sommairement les données relatives à l’existence et au statut des personnes morales.

CHAPITRE I

L’EXISTENCE DES PERSONNES MORALES

Que les intérêts des particuliers soient reconnus et consacrés par le droit est une évidence : tout individu, de sa naissance à sa mort, se voit reconnaître l’aptitude à être titulaire de droits et obligations. Pour les groupements, la reconnaissance de cette protection a été débattue. Aujourd’hui, nombreux sont les groupements dotés de la personnalité juridique.

Section 1 – Les discussions théoriques sur la reconnaissance de la personnalité morale

La personnalité morale n’est pas accordée systématiquement. Les controverses ont été vives pour définir les conditions d’octroi. Aujourd’hui, la loi définissant le plus souvent les groupements dotés de cette personnalité, le débat sur ce point n’a plus beaucoup d’intérêt.

Sous-section 1 – La controverse sur la nature juridique des personnes morales

Au XIXe siècle, deux grandes théories ont été proposées, qui ont conduit certains à nier la valeur même de la personne morale.

La théorie de la fiction part de l’idée que seul l’être humain peut être sujet de droit, car il est le seul à avoir une volonté.

Avez-vous déjà déjeuné avec une personne morale ?

De ce fait, si le droit reconnaît à des groupements la personnalité juridique, c’est par l’effet d’une fiction. Cette théorie conduit à subordonner la personnalité morale des groupements à des autorisations. Elle a justifié le refus de consécration des syndicats et associations au XIXe siècle.

Selon certains, lorsque plusieurs personnes sont groupées dans un but commun, ce groupe exprime un intérêt collectif distinct de l’intérêt individuel des membres du groupement, intérêt qui peut être manifesté extérieurement par les organes du groupe : c’est la théorie de la réalité. Cette théorie conduit à reconnaître la personnalité morale dès lors que se manifeste cet intérêt, indépendamment de toute autorisation administrative ou judiciaire.

Pour d’autres auteurs, la personne morale est certes une fiction, mais une fiction qui doit être supprimée.

Par exemple, Planiol a jugé qu’il n’y a pas de création d’un sujet de droit nouveau, mais institution d’un patrimoine collectif : les associés sont propriétaires des biens, mais ne peuvent en disposer que conformément à l’intérêt commun.

On a aussi fait appel aux idées de patrimoine et d’institution.

Sous-section 2 – Les solutions actuelles

Lorsque le législateur légifère, il est clair qu’il opte pour la théorie de la fiction : à chaque fois, l’octroi de la personnalité morale, lorsqu’elle est affirmée, est subordonné au respect de certaines formalités.

II arrive que le législateur crée un groupement, sans préciser si celui-ci a ou non la personnalité juridique.

La jurisprudence se rattache alors à la théorie de la réalité. Elle a notamment adopté cette position dans un arrêt du 28 janvier 1954 à propos des comités d’entreprises : « la personnalité civile n’est pas une création de loi ; elle appartient, en principe, à tout groupement pourvu d’une possibilité d’expression collective, pour la défense d’intérêts licites, dignes par suite d’être juridiquement reconnus et protégés ».

La doctrine moderne tend à analyser le droit positif comme le fruit d’un équilibre entre les conceptions de la réalité et de la fiction. Tout groupement exprimant un intérêt collectif, doté d’une certaine stabilité, doit se voir reconnaître la personnalité morale.

Mais il existe des groupements momentanés, ou dont le caractère extensible est douteux. Il appartient alors à la règle de droit de régir la situation juridique1.

Section 2 – Les groupements dotés de la personnalité moraleSous-section 1 – Les personnes morales de droit public

Sont des personnes morales de droit public l’Etat, la région, les départements, les communes. Ont aussi la personnalité, les groupements interdépartementaux ou intercommunaux2. En revanche, le canton et l’arrondissement n’ont pas la personnalité morale. Chaque personne morale a ses assemblées délibérantes et ses organes d’exécution.

Les personnes morales de droit public sont régies par le droit administratif.

Sous-section 2 – Les personnes morales mixtes

Les personnes morales publiques soumises au droit privé se rencontrent lorsqu’une collectivité locale, la région, le département ou la commune veut exercer une activité individuelle ou commerciale. Cette personne morale peut alors revêtir diverses formes : régie autonome, établissement public, société nationale, etc. Ces personnes morales échappent aux règles de la comptabilité publique mais conservent des prérogatives de droit public3.

Les personnes morales de droit privé relevant du droit public sont celles qui se sont vues confier des prérogatives de puissance publique, et qui, de ce fait, relèvent de certains aspects du droit public. Ainsi, en est-il des conseils de l’ordre.

Sous-section 3 – Les personnes morales de droit privé

  • 1 – Les groupements de personnes

I – Les sociétés

Selon l’article 1832, la société résulte d’un contrat par lequel deux ou plusieurs personnes mettent en commun des biens ou leur travail, en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l’économie qui peut en résulter. A l’état implicite, cette définition du contrat de société exige l’affectio societatis, c’est-à-dire une volonté d’union et de collaboration égalitaire.

1 il en est de même de manière générale de toute situation juridique dans laquelle des hésitations sont permises

2 ex. : le district

3 impossibilité d’être mise en redressement judiciaire ou liquidation des biens…

Chaque associé fait un apport soit de biens1, soit d’argent2, soit de travail3. Il s’engage à contribuer aux pertes, à proportion de ses apports, et dans la limite de ceux-ci s’il s’agit d’une société de capital et non de personnes.

On remarquera que, depuis la loi du 11 juillet 1985, la société à responsabilité limitée peut être instituée par une seule personne : c’est ce que l’on appelle la société unipersonnelle. Son intérêt majeur est de permettre à une personne physique d’affecter une partie de son patrimoine à la réalisation d’une activité professionnelle. Cette personne sera l’associé unique.

La société commerciale a pour objet une activité commerciale4 ou bien, même si elle ne fait pas d’actes de commerce, elle est constituée sous la forme d’une société commerciale. Il existe plusieurs formes possibles. Les plus importantes sont la société anonyme (SA) et la société à responsabilité limitée (SARL). Ces sociétés sont aujourd’hui régies par le livre II du Code de commerce5, issu de la codification par l’ordonnance du 18 septembre 2000 de la loi du 24 juillet 1966 plusieurs fois modifiée.

La société civile est une société qui est créée entre plusieurs associés pour exercer une activité civile6.

Les sociétés civiles sont régies par le droit commun des sociétés qui figure au Code civil7. Ainsi en est-il de la SCP, de la SCI.

Mais plusieurs d’entre elles sont soumises à des dispositions spéciales.

II – Les associations

Après une période de défaveur pour les groupements désintéressés, dans un contexte anticlérical, fut consacré au début du XXe siècle la liberté associative. Aux termes de la loi du 1er juillet 1901, l’association est une convention par laquelle deux ou plusieurs personnes mettent en commun d’une façon permanente leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices.

1 apport en nature

2 apport en numéraire

3 apport en industrie

4 elle accomplit de façon habituelle des actes de commerce par nature 5 art. L. 210-1 et s.

6 ex. : une société professionnelle entre médecins ; une société créée pour l’exploitation d’un domaine agricole…

7 art. 1832 et s.

La liberté d’association est un principe de valeur constitutionnelle et reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme.

Contrairement à une opinion largement répandue dans le public, une association peut parfaitement faire des bénéfices : ce qui est exclu, c’est que le groupement recherche des bénéfices à titre principal, et que les membres de l’association se partagent ces bénéfices. Il existe donc des associations sans but lucratif, et d’autres à but lucratif1. Cette dernière catégorie peut être soumise à l’impôt sur les sociétés.

La loi de 1901 régit les associations, sous réserve de dispositions spéciales2.

On distingue traditionnellement trois catégories d’associations.

  • Les associations non déclarées : elles n’ont pas la personnalité morale.

  • Les associations déclarées : elles ont été déclarées à la préfecture ou à la sous-préfecture, et ont fait l’objet d’une publication au Journal officiel. Elles ont la personnalité morale. Mais leur capacité est restreinte : elles ne peuvent acquérir à titre gratuit, ce qui les contraint à vivre essentiellement des cotisations de leurs membres et des bénéfices tirés de leurs activités ou manifestations. La loi du 23 juillet 1987 relative au mécénat a atténué la portée de cette règle : les associations peuvent recevoir des dons manuels3, et lorsqu’il s’agit d’associations ayant pour but exclusif l’assistance, la bienfaisance, la recherche scientifique ou médicale, elles peuvent recevoir des libéralités entre vifs ou testamentaires dans des conditions fixées par décret.

  • Les associations reconnues d’utilité publique : elles le sont par décret en Conseil d’État à l’issue d’une période au moins égale à trois ans. Elles peuvent acquérir à titre gratuit, sans limitation ; leur capacité reste néanmoins restreinte par le fait qu’elles ne peuvent acquérir ou posséder d’autres immeubles que ceux nécessaires au but qu’elles se proposent. En principe, ces associations font l’objet d’un certain contrôle de l’Etat, de façon à éviter les détournements d’actifs. Certaines associations font l’objet d’une réglementation spéciale.

1 ce qui est assez fréquent dans le domaine du tourisme et de la santé 2 ex. : pour les partis politiques, les associations de consommateurs etc. 3 parmi ceux-ci : le chèque

Pour des raisons historiques, les congrégations religieuses sont soumises à un régime spécifique, plus strict qu’en droit commun : elles sont notamment tenues à un contrôle renforcé de leurs comptes.

Les syndicats professionnels ont pour objet l’étude et la défense des droits ainsi que des intérêts matériels et moraux des personnes visées dans leurs statuts. Ils sont régis par le Code du travail1. Tous les salariés et tous les employeurs bénéficient de la liberté syndicale. Il est possible de créer plusieurs syndicats pour la même profession. Ils ont la personnalité juridique dès leur déclaration à la mairie ; leur capacité n’est pas limitée. L’objectif de la réglementation est d’assurer la liberté syndicale et l’autonomie des groupements.

III – Les groupements d’intérêt économique

Le groupement d’intérêt économique est un groupement destiné à favoriser les unions entre entreprises en vue de réaliser un objectif commun ; l’existence de la personnalité morale permet de faciliter la coopération entre les entreprises2. Ce groupement a été créé par la loi du 23 septembre 1967. Il est aujourd’hui régi par les articles L. 251-1 et suivants du Code de commerce.

Afin de développer les activités économiques dans l’Union européenne, a été créé en 1985 le groupement européen d’intérêt économique3. Il présente l’avantage d’avoir un régime juridique souple.

  • 2 – Les groupements de biens

I – Les fondations

La fondation est un groupement, doté de la personnalité, à physionomie particulière : elle résulte d’un acte, émanant d’une ou de plusieurs personnes physiques ou morales, qui décident l’affectation irrévocable de biens, droits ou ressources à la réalisation d’une œuvre d’intérêt général et à but non lucratif. La loi du 23 juillet 1987 sur le mécénat a institué une réglementation propre à favoriser la création de cette catégorie de personne morale.

1 art. 410-1 s.

2 ex. : en matière de recherche

3 C. com. art. L. 252-1 s.

Lorsque l’acte de fondation a pour but la création de la personne morale, la fondation ne jouit de la capacité juridique qu’à compter de la date d’entrée en vigueur du décret en Conseil d’Etat accordant la reconnaissance d’utilité publique.

Cette règle est intéressante : le legs fait à une personne morale qui n’existe pas encore devrait être annulé, selon le droit commun. La loi de 1987 écarte cette solution. Le legs est donc fait au profit d’une fondation qui n’existe pas au jour du décès du fondateur, mais il est fait sous la condition de l’obtention de la reconnaissance d’utilité publique.

Le fondateur pourrait aussi adopter une autre modalité : il lègue tous ses biens à un légataire, à charge pour ce dernier de créer la fondation en obtenant la reconnaissance d’utilité publique, et en remettant les biens légués à la personne morale ainsi créée.

Une personne peut aussi créer une fondation de son vivant : elle propose de faire un don à une fondation à créer. La libéralité prendra effet après l’autorisation par le décret de reconnaissance d’utilité publique. Dans l’attente, les biens peuvent être gérés par une association déclarée, ou par le fondateur lui-même.

Il est souvent inutile de recourir à une fondation lorsque l’on veut faire acte de générosité ou de mécénat : des groupements, associations, établissements, etc. existent déjà, à qui il surfit de faire la libéralité ou le legs, avec charge d’affecter les biens donnés ou légués à l’œuvre projetée.

II – La personne morale unipersonnelle

La loi du 11 juillet 1985 a créé l’entreprise unipersonnelle à responsabilité limitée (EURL) et l’entreprise agricole à responsabilité limitée (EARL). Une loi du 12 juillet 1999 a ouvert la possibilité pour une personne physique de constituer, toute seule, une société par action simplifiée unipersonnelle (SASU). La personne physique affecte des biens à l’entreprise qu’elle veut exploiter. Grâce à l’écran de la personnalité morale, les créanciers de la société ne peuvent saisir les biens personnels de l’entrepreneur. Toutefois, la limitation de responsabilité est souvent réduite, du fait que les créanciers de la société exigent souvent que l’entrepreneur s’engage sur ses biens personnels, par une sûreté réelle ou personnelle.

CHAPITRE II LE STATUT DES PERSONNES MORALES

Etant donné la diversité des personnes morales et de leurs règles de fonctionnement, les caractéristiques communes susceptibles d’être dégagées sont réduites.

Section 1 – Le début et la fin de la personnalité juridique

Hormis les groupements unipersonnels, la personne morale est créée par un acte de volonté des membres du groupement : la personne morale suppose au départ que plusieurs personnes manifestent la volonté de conclure un contrat par lequel elles créent le groupement. Parfois, la personnalité morale naît au moment même de la création du groupement1.

Mais le plus souvent, la personnalité est octroyée après accomplissement d’une formalité2. La création résulte alors de deux éléments : la manifestation de volonté et l’accomplissement des formalités de publicité.

La disparition de la personne morale peut être d’origine volontaire3, d’origine statutaire4. Mais elle peut aussi être imposée par l’autorité judiciaire5 lorsque la loi le prévoit, voire par l’autorité administrative6.

La personnalité morale ne disparaît pas aussitôt : elle est maintenue pour les besoins de la liquidation. L’actif subsistant après paiement des dettes est dévolu conformément aux statuts et à l’objet social. Par exemple, pour une société, les biens sont dévolus aux associés, pour une association à un groupement poursuivant un but analogue.

Section 2 – Les éléments d’identification

Une personne morale possède un nom, un domicile, une nationalité, et même certains droits de la personnalité7.

1 ex. : le syndicat de copropriétaires

2 ex. : une société commerciale a la personnalité morale après immatriculation au registre du commerce et des sociétés, un syndicat après dépôt des statuts à la mairie…

3 par décision des représentants qualifiés de la personne morale 4 expiration du temps pour lequel la personne morale a été créée

5 ex. : dissolution d’une société à la demande d’un associé pour justes motifs

6 ex. : pour une fondation, à la suite d’un retrait de la reconnaissance d’utilité publique 7 ex : droit à l’honneur

La personne morale a un nom : c’est une appellation choisie par les représentants de la personne morale1. Ce nom est, comme pour les personnes physiques un élément d’individualisation. Il est librement choisi, sous réserve d’éviter les confusions. Il peut être modifié.

La personne morale peut le faire protéger et interdire qu’un autre groupement porte le même nom s’il existe un risque de confusion.

La personne morale a une nationalité, déterminée en principe par le lieu de son siège social. Cette nationalité détermine à quelle loi ce groupement sera soumis, indépendamment de la nationalité des associés ou actionnaires.

Le domicile correspond au lieu du principal établissement. C’est celui du siège social.

Le cocontractant d’une personne morale doit assigner celle-ci au lieu où celle-ci est établie2. On entend par là tout établissement principal ou établissement secondaire. On peut assigner une entreprise devant une juridiction dans le ressort de laquelle se trouve une succursale ayant des services administratifs. Cette règle, autrefois jurisprudentielle, dite des gares principales, a pour objet d’éviter l’encombrement des tribunaux de Paris et des grandes villes, où la plupart des sociétés importantes3 ont leur siège social.

Section 3 – Le fonctionnement de la personne morale

L’avantage essentiel de la personnalité morale est que le groupement a un patrimoine.

Les biens de la personne morale lui appartiennent en propre. Les créanciers de la personne morale auront donc un droit de gage exclusif sur ce patrimoine : les créanciers de l’un des membres de la personne morale ne peuvent pas saisir les biens de celle-ci. Inversement, les créanciers de la personne morale ne peuvent saisir les biens appartenant en propre à un membre du groupement. Le patrimoine personnel des associés n’est engagé par les dettes sociales que lorsqu’il s’agit d’une société en nom collectif ou d’une société civile.

La personne morale administre ses biens, passe des contrats, a le droit d’agir en justice pour la défense de ses intérêts. Pour pouvoir agir sur la scène juridique, elle est dotée d’organes de représentation, dont l’étendue des pouvoirs varie suivant le type de personne morale.

1 appelée « raison sociale » dans les sociétés, titre dans les associations 2 art. 43 Nouveau Code de procédure civile

3 banques, assurances, etc.

Par exemple, le gérant d’une SARL a tous pouvoirs pour agir en toutes circonstances au nom de la société, alors que le président d’une association ne peut agir au nom de celle-ci que si les statuts le prévoient, et dans la limite fixée par ces statuts ou par les organes délibérants.

Toute personne morale peut agir en justice pour la défense de ses intérêts. Il lui suffit d’indiquer sa dénomination et l’organe qui la représente.

Alors que toute personne physique a la pleine capacité de jouissance, les personnes morales ont, quant à elles, une capacité limitée dans le champ d’activité donné par la loi et les statuts. C’est ce que l’on appelle le principe de spécialité des personnes morales. Par exemple, une association doit avoir comme activité celle qui est définie dans ses statuts ; elle ne peut posséder que les immeubles nécessaires à son activité ; un syndicat doit avoir comme objet la défense des intérêts professionnels de ses adhérents, etc.

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