Cours de Libertés fondamentales Crfpa EFB Grand Oral

 PROTECTION DES LIBERTÉS ET DES DROITS FONDAMENTAUX

  Le cours de droit des libertés fondamentales a plusieurs appellations. Le cours de droit des libertés fondamentales peut aussi être appelé cours de libertés publique ou cours de droits de l’homme ou éventuellement cours de Protection des Libertés et des droits fondamentaux. Peu importe le nom du cours, ils ont tous pour point commun d’être la matière du Grand Oral du Crfpa… Autrement dit, la connaissance parfaite de ce cours est la condition pour devenir avocat

Quels sont les droits fondamentaux? Que sont les libertés publiques?

 Il s’agit des libertés et les droits reconnus par la constitution, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la constitution de 1946 (repris par celle de 1958) et les principes fondamentaux auxquels ces textes renvoient. Ils sont à la base de la démocratie et le Conseil constitutionnel a fortement contribué à renforcer leur respect.

On peut distinguer différentes catégories :

  • les droits inhérents à la personne humaine : ils sont pour la plupart établis par la Déclaration de 1789. Il s’agit de l’égalité (article 1), de la liberté, de la propriété, de la sûreté et de la résistance à l’oppression (article 2) ;
  • les droits qui sont des aspects ou des conséquences des précédents : ainsi du principe d’égalité découlent, par exemple, le suffrage universel, l’égalité des sexes, mais aussi l’égalité devant la loi, l’emploi, l’impôt, la justice, l’accès à la culture.

Le principe de liberté induit l’existence de la liberté individuelle, d’opinion, d’expression, de réunion, de culte, de la liberté syndicale et du droit de grève.

Le droit de propriété implique la liberté de disposer de ses biens et d’entreprendre.

Le droit à la sûreté justifie l’interdiction de tout arbitraire, la présomption d’innocence, le respect des droits de la défense, la protection de la liberté individuelle par la justice ;

  • les droits sociaux, c’est-à-dire les prestations à la charge de la collectivité : comme le droit à l’emploi, la protection de la santé, la gratuité de l’enseignement public.

 Selon la Déclaration de 1789, l’exercice de ces droits et libertés fondamentaux n’a de limites « que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits » (article 4).

 

 

INTRODUCTION GENERALE

Les termes «libertés fondamentales« retenus pour intituler ce cours correspondent au dernier en date (arrêté du 30 avril 1997 sur la licence en droit) des avatars terminologiques d’une discipline longtemps connue sous l’appellation de «libertés publiques«.

Cet enseignement est relativement récent dans les Facultés de Droit, si on le compare à celui des matières classiques telles le droit civil ou le droit administratif : il a été introduit en licence en droit par une réforme de mars 1954. Il est vrai que certaines des questions qui y sont habituellement rattachées étaient déjà abordés dans le cadre des enseignements traditionnels : par exemple le droit de propriété en cours de droit civil, la liberté individuelle en cours de droit pénal et de procédure pénale. Mais, peu à peu, avec le développement de l’affirmation et de la garantie d’un certain nombre de droits et libertés, sur le plan national aussi bien qu’international, il est apparu nécessaire de faire des libertés, qu’elles soient dites comme jadis publiques, ou comme aujourd’hui fondamentales une matière autonome. Son enseignement est normalement prévu sur un semestre, mais compte tenu du nombre et de la complexité des questions qu’elle soulève, son programme pourrait sans inconvénient être traité sur un an : on ne manquera d’ailleurs pas d’observer que les nombreux manuels qui lui sont consacrés atteignent souvent un volume identique à ceux traitant de matières annuelles.

 

I – Questions terminologiques

Aujourd’hui encore, les ouvrages relatifs à la discipline tentent souvent d’établir une distinction entre les notions de libertés (publiques ou fondamentales) et de droits de l’homme.

            Les explications reposent souvent sur des nuances assez subtiles et sont parfois peu convaincantes. Elles doivent donc être considérées avec précaution.

Ainsi, les deux notions se distingueraient notamment par leur contenu : la liberté implique un pouvoir de choix au profit de son bénéficiaire, qui joue donc un rôle actif. Corrélativement, elle exige que les tiers s’abstiennent de toute intervention susceptible de la remettre en cause. Par exemple, lorsqu’elle est qualifiée de publique, la liberté concerne les relations du citoyen avec le pouvoir, qui doit laisser les individus libres de choisir leurs croyances, leurs religions, d’exercer leurs cultes, leurs activités économiques, etc.

            Les droits de l’homme, eux, seraient plutôt des sortes de créances des individus sur la société. Leurs titulaires auraient un rôle plus passif, et à l’inverse, ils imposeraient des actions concrètes aux gouvernants. Ainsi en irait-il des droits à la santé, au logement ou au travail, par exemple.

            On pourrait longuement discuter cette différentiation, en réalité beaucoup plus délicate qu’il n’y paraît. Mais faute de temps, et afin de ne pas alourdir encore des débats souvent riches, mais parfois confus, on se bornera à constater qu’actuellement, compte tenu des chevauchements et recoupements des deux expressions, les auteurs d’ouvrages consacrés à notre discipline tendent à les mêler dans leurs intitulés. Ainsi au fil des éditions successives, certains titres de manuels privilégiant initialement les libertés publiques ont-ils accordé une place prépondérante aux droits de l’homme, sans, d’ailleurs, que le contenu de l’ouvrage en soit vraiment affecté (v. par ex. le manuel de MM Robert et Duffar aux éditions Montchrestien, passé de « Libertés publiques « à « Libertés publiques et droits de l’homme «, puis « Droits de l’homme et libertés fondamentales »). Aujourd’hui, sans que l’on puisse préjuger du caractère décisif de cette orientation, il semble d’ailleurs que la tendance soit au dépassement de la distinction entre droit et liberté. Ainsi,  dans le cadre des pouvoirs attribués au juge administratif des référés en matière de libertés fondamentales (article L 521-2 du Code de justice administrative), celui-ci protège aussi bien des libertés que des droits (p. ex. le droit d’asile : CE 12 janv. 2001, Hyacinte, D. 2001 p. 526, ou le droit de propriété : CE 23 mars 2001, Société Lidl, RFDA 2001 p. 765). Nous adopterons une démarche analogue, en englobant indistinctement des droits et des libertés dans le champ du cours.

En revanche, que le substantif employé soit celui de droit ou de liberté, il est actuellement à la mode de le compléter par l’adjectif «fondamental«, terme dont le sens, lui aussi, est susceptible d’engendrer de nombreuses  discussions (v. p. ex. le numéro spécial de l’AJDA sur «Les droits fondamentaux. Une nouvelle conception juridique? « publié en 1998).

 

II – L’approche choisie

            Nous traiterons des droits et libertés des individus lorsqu’ils sont régis par le droit positif : certains impliquent des choix, d’autres sont de simples créances. Mais en toute hypothèse, compte tenu du cadre semestriel du cours, nous opérerons une sélection, en nous limitant à quelques unes des questions semblant soulever, aujourd’hui, les problèmes les plus intéressants. Ce choix, malgré son caractère incontestablement arbitraire, nous a semblé préférable à une approche apparemment exhaustive, qui faute de temps, ne pourrait en réalité être qu’un survol sommaire.

            La démarche suivie sera classique, et conforme à celle adoptée dans la plupart des ouvrages abordant la matière : on traitera succinctement dans une première partie de quelques généralités sur les libertés fondamentales, et dans une seconde partie du régime de certaines des principales libertés en France. Voici le plan du cours :

 

 .

Introduction générale.

 PREMIERE PARTIE :GENERALITES SUR LES DROITS ET LIBERTES

 Titre I La reconnaissance des droits et libertés.

            Chapitre I La proclamation par le droit interne

Section I Les déclarations.

1)      Les origines du procédé..

2)      La vogue française des déclarations des droits.

Section II La proclamation par les constitutions..

Chapitre II L’expression internationale des droits et libertés

Section I Les proclamations universelles

1)      Les  consécrations  à  vocation  générale  :  l’exemple  de  la Déclaration universelle des droits de l’homme

2)      Les proclamations catégorielles

Section II Les proclamations régionales

1)      La  convention  européenne  de  sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

2)      Les autres sources européennes

Chapitre III La reconnaissance prétorienne des droits et libertés

Section I Le rôle créateur du juge

Section II L’importance des principes non écrits

 Titre II La garantie des droits et libertés

Chapitre I Les recours juridictionnels

Section I Les recours devant les juridictions internes

1)      Le recours au juge constitutionnel

2)      Le recours à la justice de droit commun

A – Les conditions de l’efficacité de la protection juridictionnelle

B – Les procédures juridictionnelles

Section II Le recours à la justice internationale

Chapitre II Les moyens de protection non juridictionnelle des droits et libertés

Section I Les autorités spécialisées

1)      Le modèle suédois : l’ombudsman

2)      La vogue de l’ombudsman

3)      Les adaptations françaises

Section II Les réactions spontanées

1)      Les démarches collectives

2)      Les démarches isolées

 Titre III L’aménagement des droits et libertés

Chapitre I La prééminence de l’ordre social

Section I L’organisation des droits et libertés par la loi

1)      Le rôle traditionnel de la loi

2)      Le développement  des possibilités de   contrôle  sur  les  lois  régissant  les libertés

Section II La police administrative

1)      Etendue

2)      Contrôle

Section III Etat de crise et circonstances exceptionnelles

1)      Les sources jurisprudentielles: la théorie des circonstances exceptionnelles

2)      La consécration des circonstances exceptionnelles par les textes

Chapitre II La diversité des régimes applicables aux droits et libertés

         Section I Le régime préventif

1)      Définition habituelle

2)      Techniques mises en œuvre

Section II Le régime répressif

1)      Définition traditionnelle

2)      Ambiguïté

 SECONDE PARTIE  :  LE REGIME JURIDIQUE DE CERTAINS DES PRINCIPAUX DROITS ET LIBERTES EN FRANCE

 Titre I Exister (les droits et libertés se rattachant à la vie)

Introduction : Droit, éthique et déontologie

 Sous-Titre I Le droit à la vie

Chapitre préliminaire Les frontières de la vie

1)      Le commencement de la vie

2)      La fin de la vie

Chapitre I Donner la vie

Section I Le refus de procréer

1)      La prévention2)      L’avortement

Section II La production de la vie

1 ) La légalisation de certains palliatifs de la stérilité

2)    Les réserves  embarrassées  à l’égard des pratiques considérées comme déviantes

Chapitre II Prendre la vie

Section I La mort sanction

Section II La mort délivrance

1)   Le suicide

3)       L’euthanasie

 Sous-Titre II La libre disposition de son corps

Chapitre I La sexualité

Section I La détermination du sexe

 Section II Les pratiques sexuelles

Chapitre II La santé

 Section I Les droits de l’individu sur sa santé

1)      Le droit à la santé

2)      Le droit de négliger sa santé

3)      Le droit à la maîtrise de l’information sur l’état de santé

Section II Les droits de la société sur la santé de l’individu

1)      Les contraintes à finalité préventive

2)      Les contraintes à finalité curative

Chapitre III L’utilisation du corps par la médecine

Section ILes principes juridiques fondamentaux régissant l’utilisation du corps

Section II La recherche biomédicale

1)      La recherche sur les cadavres

2)      La recherche sur les vivants

Section III Les prélèvements

1)  Le corps humain, banque d’éléments réutilisables

2)  Les questions soulevées par les prélèvements

Sous-Titre III Quelques problèmes actuels du droit au secret de la vie privée

Chapitre I La protection des correspondances

Chapitre II La vidéosurveillance

 Titre II Aller et venir

 Sous-Titre I Les déplacements

Chapitre I La possibilité de se déplacer

Section I Les solutions applicables aux nationaux

1)      Les déplacements à l’intérieur du territoire national

2)      La sortie du territoire national

Section II Les solutions applicables aux étrangers

Sous –Section I Quelques données juridiques générales du problème

1)      L’insertion de la France dans « l’espace Schengen

2)      Le principe du droit d’asile

3)      Le droit à une vie familiale normale

4)      La primauté de l’ordre public

Sous-Section II Les principales modalités de la réglementation nationale relative aux étrangers

1)      L’accès des étrangers au territoire

2)      L’éloignement du territoire

3)      La rétention des étrangers

Chapitre II Les moyens du déplacement : l’exemple de la circulation automobile

Section I Le conducteur

1)      Le permis de conduire

2)      Obligations diverses

Section II Le véhicule

Section III La circulation

Section IV Le stationnement

 Sous-Titre II La sûreté

 Chapitre I Le régime de droit commun

Section I La réglementation des atteintes à la sûreté individuelle

1)      Les contrôles d’identité

2)      La vérification d’identité

3)      La garde à vue

4)      La détention provisoire

Section II La sanction des atteintes à la sûreté

1)      Les mesures répressives

2)      Les mesures de réparation

Chapitre II Les régimes spéciaux : l’exemple de l’internement des malades mentaux

Section I Les modalités de l’internement des malades

1)      L’hospitalisation sur demande d’un tiers

2)      L’hospitalisation sur demande de l’administration

Section II Les garanties de l’interné

1)      Les structures

2)      Les contrôles

3)      Les droits de l’interné

4)      La fin de l’internement

Section III Le contentieux de l’hospitalisation sans consentement

 Titre III Croire et témoigner

 Chapitre I Le choix des opinions et croyances

Section I Le principe : la liberté de penser

1)      La liberté d’opinion

2)      La liberté de conscience

Section II Les corollaires de la liberté de pensée

1)      La neutralité des services publics

2)      La laïcité des institutions publiques

Chapitre II L’extériorisation des opinions et croyances

Section I Le principe : la libre expression

1)      Les multiples aménagements des facultés d’expression

2)      La liberté des cultes

Section II Les limites : le respect de l’ordre social et de la liberté d’autrui

1)      Le devoir de réserve des agents publics

2)      Le rempart de l’ordre social

 

PREMIERE PARTIE : GENERALITES SUR LES DROITS ET LIBERTES

Bien que le discours sur la liberté s’y réfère souvent en lui prêtant une essence, il nous semble qu’elle n’est que le produit d’une construction intellectuelle, un concept, et qu’ainsi, prétendre en faire sommairement la théorie générale risque de conduire, sous couvert d’une démarche objective, à des analyses imprégnées de postulats idéologiques. C’est pourquoi, plus modestement, on se bornera dans cette première partie à présenter quelques généralités sur la construction juridique établie autour des notions de libertés et droits de l’homme, après avoir évoqué brièvement en préliminaire trois points utiles à la compréhension de notre matière: les sources culturelles de notre conception des libertés et droits de l’homme, les vagues successives qui les ont consacrés, la détermination de leurs sujets.

            A – Des origines localisées

            On peut considérer que les notions de droits de l’homme et de libertés publiques telles qu’elles sont invoquées aujourd’hui sont essentiellement issues de l’espace socioculturel européen et méditerranéen.

            A la conception du citoyen participant à la vie de la Cité antique, le christianisme apportera deux compléments essentiels: l’importance de la personne humaine, qui présente un caractère sacré, puisqu’elle a été créée par Dieu, et à son image, et la nécessaire limitation de l’emprise du pouvoir politique sur l’homme-citoyen, idée, exprimée dans la fameuse formule de Mathieu l’évangéliste « rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu«.

L’apport décisif à la construction de la théorie des droits de l’homme sera le produit de la « philosophie des Lumières ». On désigne sous cette appellation l’ensemble des idées politiques nées en Europe à partir du milieu du XVIIème siècle, et dont le développement a connu son apogée au XVIIIème  siècle.

            A l’origine de ces courants, on trouve de multiples auteurs, et notamment l’Anglais John Locke (Traité sur le gouvernement civil, 1690), pour qui la société politique est fondée sur un contrat entre les individus, qui la composent. D’un état de nature, où chacun disposerait de droits naturels identiques et illimités, on passerait ainsi à un état de société, où serait abandonnée la totalité des pouvoirs nécessaires à la réalisation des fins sociales.

            L’exercice du pouvoir aurait donc pour seule fin la conservation de la société. Ainsi, il ne pourrait détruire ses sujets, ni même les asservir ou les appauvrir, car  » les obligations de la loi de nature ne s’éteignent pas dans la société, puisque les hommes, en acceptant le contrat, se sont malgré tout réservé une part inaliénable de liberté «. Ils peuvent, d’ailleurs, le rappeler s’il en est besoin aux gouvernants, en résistant à leur oppression.

            Après Locke, Rousseau, reprendra, avec cependant des nuances, les mêmes principes, (Du contrat social, 1762).

            Ce courant exalte l’idée d’une nécessaire organisation du pouvoir en vue de garantir la liberté individuelle, souvent par référence aux institutions anglaises, considérées comme modèles en matière de résistance des gouvernés aux gouvernants. D’où, par exemple la construction établie par Montesquieu (De l’esprit des lois, 1748) : » il faut que par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir «. Ce système, dit des freins et contrepoids (checks and balances), fait de la séparation des pouvoirs la condition de la liberté.

*   *   *

            Compte tenu de ces sources culturellement situées, aujourd’hui encore, certaines sociétés, produits de civilisations différentes, semblent difficilement accessibles à l’idée de droits de l’homme telle qu’elle s’est progressivement dégagée par vagues successives dans le monde occidental.

            B – Une consécration par  vagues successives

            La conception actuelle des droits de l’homme ne s’est pas dégagée brutalement, mais s’est construite selon un rythme qu’il est habituel de schématiser en trois grandes étapes. Ces » vagues « ou générations, correspondraient à des phases différentes de l’évolution des demandes, des gouvernés à l’égard du pouvoir.

 

  1. a) La première vague

            C’est celle qui aboutit à la reconnaissance de droits et libertés appartenant naturellement à l’homme, au XVIIIème siècle, dans la ligne de la « philosophie des lumières ». Ainsi, par exemple, la Déclaration d’Indépendance des 13 colonies anglaises d’Amérique, proclame, en 1776 :

« nous tenons ces vérités pour évidentes par elles-mêmes que tous les hommes naissent égaux, que leur créateur les a dotés de certains droits inaliénables, parmi lesquels la liberté et la recherche du bonheur, que pour garantir ces droits, les hommes instituent des gouvernements dont le juste pouvoir émane du consentement des gouvernés « .

            Les droits reconnus à cette époque (liberté, égalité, propriété) imposent surtout au pouvoir une obligation d’abstention, afin de ne pas entraver leur exercice.

  1. b) La deuxième vague

            Après un temps d’assimilation de la première, elle s’est développée à partir de sa critique, surtout à compter du milieu du XIXème siècle.

            Déjà, immédiatement après la Révolution française, un certain nombre d’auteurs, tels l’Irlandais Edmund Burke (Réflexions sur la Révolution française, 1790), l’Anglais Jeremy Bentham (J. B. to the National Convention of France, 1793) ou le Français Joseph de Maistre (Considérations sur la France, 1795), s’étaient élevés contre le caractère purement métaphysique et abstrait des droits proclamés dans la Déclaration de 1789.

            La contestation la plus virulente proviendra des thèses marxistes, qui insistent sur leur insuffisance en leur reprochant deux défauts.

            D’une part, il s’agirait de droits égoïstes, bourgeois. Ainsi, pour Marx (La Question juive, 1844) : » Nous constatons que les droits dits de l’homme, par opposition aux droits du citoyen, ne sont rien d’autre que les droits du membre de la société bourgeoise, c’est à dire de l’homme égoïste, de l’homme séparé de l’homme et de la collectivité « .

D’autre part, il s’agirait de droits purement virtuels, du fait de la domination d’une classe qui en monopolise l’exercice.

            Sous l’influence conjuguée de ces courants, on s’attachera à conférer aux droits et libertés une fonction plus sociale, plus concrète, en proclamant des droits-créances, exigibles de l’Etat, lui imposant en principe des prestations. En France, la première illustration de cette démarche se trouve dans la constitution du 4 novembre 1848, dont le chapitre II, intitulé » droits des citoyens garantis par la constitution «, contient par exemple un art. 13 :

» la constitution garantit aux citoyens la liberté du travail et de l’industrie. La société favorise et encourage le développement du travail par l’enseignement primaire gratuit, l’éducation professionnelle, l’égalité de rapports entre le patron et l’ouvrier, les institutions de prévoyance et de crédit, les institutions agricoles, les associations volontaires, et l’établissement par l’Etat, les départements et les communes, de travaux publics propres à employer les bras inoccupés ; elle fournit l’assistance aux enfants abandonnés, aux infirmes et aux vieillards sans ressources, que leurs familles ne peuvent secourir « .

            On trouvera un autre exemple de cette inspiration sociale dans le préambule de la constitution de 1946, toujours en vigueur, sur lequel nous aurons l’occasion de revenir souvent par la suite.

  1. c) La troisième vague

            Elle concrétise les tendances actuelles, qui oscillent avec une certaine ambiguïté entre individualisme accentué et appel à la solidarité.

            En effet, nos sociétés démocratiques s’appuient sur le droit de chaque personne à la différence, qui découle de la liberté individuelle. Elles sont donc fondamentalement individualistes. Mais cette première orientation est également tempérée, souvent sous la pression des circonstances, par des appels plus ou moins précis à des ambitions collectives.

            Ainsi, cette troisième vague combine à la fois :

            *des droits individuels

            Certains ont un caractère général (droit à la dignité, droit à la qualité de la vie, droit à la différence, au temps libre, etc.), d’autres sont plus spécialisés (droit au transport, droit au logement, droit d’accéder à l’eau potable, etc.).

            *des droits collectifs

            Compte tenu de leur portée, ils sont souvent consacrés par des normes internationales. Ainsi pour le droit au développement, pour le droit à bénéficier du patrimoine commun de l’humanité, ou encore pour le droit à l’environnement.

            Souvent, l’énonciation de ces droits et libertés de troisième génération donne plutôt l’impression d’une sorte de programme d’orientation de l’action des Etats ou de la Communauté internationale, voire d’un catalogue de bonnes intentions, comme en témoignent par exemple les dispositions de la Charte de l’environnement adoptée par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005 et désormais mentionnée dans le préambule de la constitution du 4 octobre 1958, selon lesquelles « Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »  (article 1er), et « Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. A cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l’environnement, le développement économique et le progrès social » (article 6).

Compte tenu de ce flou, le droit positif, lui, ne s’y réfère qu’avec une certaine prudence et beaucoup de pragmatisme. Ainsi, le Conseil d’Etat semble restreindre la possibilité d’invoquer les articles précités de la Charte de l’environnement aux cas où une loi est intervenue pour assurer leur mise en œuvre (CE 19 juin 2006, Association Eau et rivières de Bretagne, AJDA 2006 p. 1589). De même, si la reconnaissance d’un droit au logement a fait l’objet de nombreuses revendications, le Conseil constitutionnel s’est jusqu’à présent borné à concéder prudemment que « la possibilité pour toute personne de disposer d’un logement décent est un objectif de valeur constitutionnelle « (v. p. ex. décis. du 29 juill. 1998 – loi contre l’exclusion –   AJDA 1998 p.705). Le Conseil d’Etat en a conclu avec réalisme que le droit au logement n’est pas pour autant consacré comme règle à valeur constitutionnelle (CE 3 mai 2002, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres, AJDA 2002 p. 468 : rejet d’une demande d’injonction au préfet de la Haute-Vienne de prendre les mesures nécessaires à la mise en œuvre de ce droit). Toutefois, après que la loi du 5 mars 2007 l’ait proclamé « droit opposable », le Tribunal administratif de Paris, statuant en référé le 20 mai 2008, a pour la première fois, jugé qu’il devait être concrétisé.

C – Des sujets diversifiés.

            Le sens commun semble imposer que le sujet des droits de l’homme soit l’individu personne physique, l’être humain, en somme. Toutefois, le droit positif, construit autour de concepts abstraits, apporte des nuances aboutissant selon le cas à restreindre, ou au contraire à étendre le champ d’application des droits et libertés dont l’existence est affirmée.

En premier lieu, les droits ne bénéficient à l’être humain que pour autant qu’il soit reconnu comme centre d’intérêts juridiquement protégés, c’est-à-dire doté de la personnalité juridique.

            Ainsi, bien qu’humains, les esclaves n’étaient pas sujets de droits dans l’ordonnance de Colbert de 1685, dite «Code Noir«. Il en allait de même pour les « morts civils «, condamnés pénaux privés d’existence juridique – leur succession était ouverte – jusqu’à la loi du 31 mai 1854 qui a supprimé cette sanction.

            A sa mort, l’individu perd également sa qualité de sujet de droit, et ne peut donc plus bénéficier des droits de l’homme, par exemple du droit à la vie privée (v. Cass. Civ. 1ère 14 déc. 1999 SA Editions Plon c/ Mitterrand, JCP 2000 II 10241 concl. Petit, à propos de la publication de la photographie de la dépouille mortelle du Président Mitterrand.), ou du droit de propriété (Crim. 25 oct. 2000, D. 2001. II. p. 1052, note Garé: les fossoyeurs s’appropriant les bijoux et dents en or des personnes inhumées ne portent pas atteinte à la propriété des défunts).

            Il peut cependant exister à la charge des vivants des obligations garantissant à ces entités dépourvues de personnalité juridique une certaine protection, par exemple contre la diffamation envers leur mémoire (article 84 loi 29 juillet 1881 sur la presse). De même, la dignité de la personne humaine peut être invoquée au bénéfice d’un défunt: il ne s’agit pas d’un droit subjectif, mais d’un élément de l’ordre public (v. à propos de la publication « attentatoire à la dignité de la personne humaine » de la photographie du corps, gisant sur la chaussée, du préfet Eyrignac assassiné en Corse : Cass. 1ère Civ. 20 déc. 2000, D. 2001.II. p. 885, note Gridel).

            En second lieu, des droits et libertés peuvent être reconnus à des centres d’intérêts juridiquement protégés ne constituant pas pour autant des personnes physiques. Il en va ainsi pour les entités couramment qualifiées de personnes morales, qu’elles soient soumises au droit public ou au droit privé. Ainsi, le Conseil d’Etat a admis que pour une commune, le principe de libre administration des collectivités territoriales est une liberté fondamentale (CE (S) 18 janv. 2001, Commune de Venelles, RFDA 2001 p. 389 concl. Touvet). De même, dans le cadre de la responsabilité pénale prévue par le Nouveau Code pénal pour les personnes morales, celles-ci peuvent revendiquer le droit à la présomption d’innocence.

La première partie sera divisée en 3 titres :

– la reconnaissance des droits et libertés.

– la garantie des droits et libertés.

– l’aménagement des droits et libertés.

 

TITRE I –  LA   RECONNAISSANCE   DES  DROITS ET LIBERTÉS

            C’est l’opération qui aboutit à reconnaître leur existence en tant que sources de droits et d’obligations juridiques, sans d’ailleurs préjuger de la manière dont elles seront concrètement mises en œuvre.

            Cette opération peut prendre une forme solennelle consistant à affirmer l’existence de la, ou des libertés, dans un texte auquel est conférée la valeur d’une norme supérieure, dont la place dans la hiérarchie assure une large force obligatoire, soit en droit interne (chapitre I), soit en droit international (chapitre II).

            Elle peut aussi prendre une voie plus discrète, qui ne leur confère pas moins une valeur juridique effective, sous forme de création prétorienne (chapitre III).

Chapitre I – La proclamation par le droit interne

            Elle a lieu ou bien par des textes spécifiques, les déclarations des droits, ou bien par les textes constitutionnels classiques.

SECTION I – LES DECLARATIONS

            Le procédé a une origine anglo-saxonne (1). Il a été en vogue en France à certaines époques (2). Sa valeur juridique est contingente (3).

            1 – Les origines anglo-saxonnes du procédé

            Il trouve sa source dans les » pactes « anglais, textes imposés à certains rois par la pression des barons constituant le parlement. Initialement, donc, il s’agit moins de proclamer des droits que d’établir un équilibre entre le pouvoir royal et celui des assemblées en fonction de l’évolution du rapport de leurs forces.

            Trois textes fondamentaux ont ainsi été adoptés, qui témoignent de concessions croissantes de la monarchie en reconnaissant des droits de plus en plus étendus à ses sujets.

            *La Grande Charte (« Magna Charta«), imposée en 1215 au roi Jean sans Terre, la Pétition des droits (« Petition of Rights », imposée en 1628 à Charles 1er Stuart, et le Bill des droits (« Bill of Rights »), imposé en 1689 à Guillaume d’Orange.

            Ces pratiques ont connu des prolongements dans les colonies anglaises d’Amérique, qui, elles aussi, se sont très tôt préoccupées d’affirmer solennellement les droits de leurs habitants face aux autorités de la métropole. Ainsi, dès 1641, le Massachusetts se dotait d’un « Corps des libertés »de 98 articles inspiré des idées puritaines de Nathaniel Ward. En juin 1776, la Virginie adoptait une « Déclaration des droits «, qui allait être suivie de la » Déclaration d’indépendance « (4 juillet 1776), et de déclarations adoptées par chacune des 12 autres colonies révoltées. Finalement, le mouvement prendra fin avec la Constitution des Etats-Unis de 1787, dont les dix premiers amendements, ajoutés en 1791, posent un certain nombre de droits considérés comme essentiels, et constituent de ce fait la Déclaration des droits des Etat-Unis.

            2 – La vogue française des déclarations des droits

            Les auteurs des premières déclarations françaises connaissaient l’ensemble des textes anglais et américains, et s’en sont largement inspirés, comme le démontrent nombre de leurs interventions dans les assemblées constituantes. Mais ils se sont aussi affranchis de leurs modèles, pour adapter leurs textes aux spécificités nationales et l’on doit admettre qu’il existe bien un style, et une originalité indéniable des « déclarations à la française «.

            A – L’enchaînement des textes

            L’essentiel des déclarations a été adopté lors de la période révolutionnaire :

            – Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789, placée ensuite en tête de la constitution du 3 septembre 1791.

            – Déclaration (girondine) de 1793, qui aurait dû précéder une constitution abandonnée par suite de la victoire des Montagnards (elle était fortement inspirée des modèles américains, sous l’influence de Condorcet).

            – Déclaration (montagnarde) placée en tête de la constitution du 24 juin 1793, qui ne fut jamais appliquée, la Convention ayant proclamé que » le gouvernement est révolutionnaire jusqu’à la paix « (elle reprenait les principes de 1789, et l’art. 120 de la constitution établissait le droit d’asile).

            – Déclaration de l’an III, précédant la constitution du 5 fructidor an III. Révélatrice de la « réaction thermidorienne «, elle s’intitulait « déclaration des droits et des devoirs «, en insistant sur le droit de propriété, et en tentant d’inciter au civisme par des formules moralisatrices assez vagues (p.ex. : art. 4 des devoirs : « Nul n’est bon citoyen  s’il n’est bon fils, bon père, bon frère, bon ami, bon époux «).

            Il faudra par la suite attendre 150 ans pour que l’on tente de recourir à nouveau à cette technique, avec la Déclaration placée en tête du projet de constitution du 19 avril 1946, qui réaffirmait solennellement les principes de 1789 en les réactualisant, compte tenu du développement de la démocratie sociale. Après rejet du projet par référendum, on renoncera à cette appellation, et  son contenu, revu, sera repris dans le Préambule d’un second projet qui, adopté, deviendra la Constitution du 27 octobre 1946.

            On sait que de tous ces textes, c’est la Déclaration de 1789 qui, connaîtra la plus grande renommée politique, consacrée d’ailleurs par sa pérennité juridique. C’est pourquoi il convient d’en indiquer succinctement quelques traits distinctifs.

            B – La Déclaration de 1789

            Ses auteurs, imprégnés de l’esprit de l’époque, voulaient proclamer solennellement des droits appartenant naturellement à tous les êtres humains, dès leur naissance, donc inaliénables, et en faire une référence à valeur universelle. Selon Malouet (discours du 1er août 1789), il faut » consacrer toutes les vérités qui servent de fanal, de ralliement et d’asile aux hommes épars sur tout le globe « .

            Malgré sa brièveté, le texte est riche, et, schématiquement, présente trois aspects différents, en énonçant :

            *Les droits de l’individu. Antérieurs à l’organisation de la société politique, ils permettent à l’homme de conserver son autonomie, même dans le cadre du pacte social. C’est ce que l’on appelle parfois la liberté civile : liberté individuelle (article1 et 2), propriété (article 2 et 17), sûreté (article 7, 8,9), liberté d’opinion (article 10), d’expression (article 11)…

            *Les droits du citoyen. Liés à la société, ce sont les libertés politiques : résister à l’oppression (article 2), concourir à la formation de la loi, accéder aux emplois publics (art .6), bénéficier de la protection de la force publique (article 12), consentir à l’impôt (article 14).

            *Les principes d’organisation politique. Ils concernent aussi bien les buts de la société (article 2) que les moyens pour y parvenir : principes de la souveraineté nationale (article 3) de la séparation des pouvoirs (article 16), de l’omnipotence de la loi, expression de la volonté générale (article 6).

Les auteurs de la Déclaration avaient cependant conscience du caractère théorique et abstrait des droits qu’ils proclamaient, et de la nécessité d’adapter leur mise en oeuvre aux circonstances, d’autant plus qu’après avoir proclamé les principes, ils s’apprêtent à réduire leur portée dans la constitution. C’est pourquoi ils ont prévu des possibilités de restriction aux droits proclamés, en donnant à cette fin compétence à la loi. Ainsi, les bornes des droits naturels sont déterminées par la loi (article 4), obligatoire pour tous (article 7), qui peut notamment interdire les actions nuisibles à la société (art .5), prévoir les sanctions pénales (article 6 et 8), établir les règles de l’ordre public (article 10), la contribution à la force publique (article 13), remettre en cause le droit de propriété (article 17).

            Aujourd’hui, le préambule de la constitution du 4 octobre 1958 s’y réfère expressément (« le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils sont définis par la Déclaration de 1789″). De l’ensemble des Déclarations, celle de 1789 est donc la seule à être considérée comme intégrée dans le bloc de la constitutionnalité.

SECTION II – LA PROCLAMATION PAR LES CONSTITUTIONS

            La situation de la constitution au sommet de la hiérarchie des normes juridiques l’adapte bien aux exigences de la protection des droits de l’homme et des libertés publiques. Dans notre tradition constitutionnelle ceux-ci sont cependant assez rarement proclamés dans le corps de la constitution elle-même,  mais sont généralement placés à sa tête, dans des rubriques spécifiques. L’exemple le plus significatif de l’usage de cette technique est celui du Préambule de la Constitution de 1946, qui revêt une importance particulière au moins pour deux raisons.

            *En premier lieu à cause de son contenu. Long, il énumère expressément un certain nombre de » principes particulièrement nécessaires à notre temps «, tels les droit de grève ou d’asile. Il ajoute à cette énumération « les droits et les libertés de l’homme et du citoyen consacrés par la Déclaration des Droits de 1789 «, et une catégorie de règles plus floues, puisque indéterminées : les » principes fondamentaux reconnus par les lois de la République «, qu’il ne précise pas.

            *En second lieu à cause de la référence explicite qu’y fait le bref préambule de notre actuelle constitution du 4 octobre 1958, qui mentionne la Déclaration de 1789, » confirmée et complétée par le préambule de la constitution de 1946 «.

            La question s’est posée, dès 1946, de la portée de ce préambule. La majorité de la doctrine y voyait un texte de valeur purement morale, l’énoncé de vœux, puisqu’il était placé en dehors du texte constitutionnel proprement dit.

            Les solutions du droit positif ne vont toutefois pas en ce sens : le Conseil d’Etat et le Conseil Constitutionnel, qui, depuis 1958, estiment que le préambule a survécu à la disparition de la constitution qu’il accompagnait, s’y réfèrent fréquemment comme source de normes constitutionnelles essentielles.

            Ainsi, le recours commode à la notion de principe fondamental reconnu par les lois de la République leur permet de conférer valeur constitutionnelle à des règles non expressément consacrées dans des textes de valeur supérieure : par exemple pour la liberté d’association (CE (Ass.) 11 juill. 1956 Amicale des Annamites de Paris, Rec. p. 317 ; Cons. Constit. 16 juill. 1971, Rec. p. 29).

            Pour les principes particulièrement nécessaires à notre temps, les solutions semblent varier selon la précision avec laquelle ils sont énoncés et l’autorité devant laquelle ils sont invoqués.

            Par exemple, pour « la solidarité et l’égalité de tous les Français devant les charges qui résultent des calamités nationales «(al. 12) le Conseil d’Etat a jugé que « le principe ainsi posé, en l’absence de toute disposition législative en assurant l’application, ne saurait servir de base à une action contentieuse en indemnité « (CE 10 déc.1962 Sté indochinoise de constructions électriques, Rec. p.676 ; CE 29 mai 1968 Tallagrand, Rec.p.607 : à propos de demandes de réparation émanant de colons expulsés d’Indochine et d’Afrique du Nord).

            De même pour « la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », « notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs », ainsi que « le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence « (al. 11), le Conseil Constitutionnel, bien que les qualifiant d«exigence constitutionnelle » a laissé au législateur  et au gouvernement une grande latitude dans leur mise en oeuvre (Cons. Constit. 14 août 2003 – loi portant réforme des retraites).

            En revanche, le droit d’asile (al. 4) s’impose avec plus de force, puisqu’il « il incombe au législateur d’assurer en toutes circonstances l’ensemble des garanties légales que comporte cette exigence constitutionnelle « (Cons. Constit. 13 août 1993.JCP.1993.III66372).

            De même, bien que » le droit de grève s’exerce dans le cadre des lois qui le réglementent « (al. 7), le Conseil d’Etat a jugé que sa reconnaissance s’impose à l’administration même en l’absence de loi (CE (Ass.) 7 juill. 1950 Dehaene, GAJA).

Chapitre II – L’expression internationale des libertés et droits de l’homme

            Compte tenu du caractère déclaratif et universel de nombre de proclamations relatives aux droits et libertés, il n’est pas étonnant que la société internationale s’y soit intéressée, d’autant plus qu’une reconnaissance à ce niveau constitue une garantie contre les changements et revirements conjoncturels dépendant des contextes nationaux.

            La proclamation des droits peut avoir lieu dans le cadre d’organisations à vocation universelle ou bien régionale.

SECTION I – LES PROCLAMATIONS UNIVERSELLES

            Elles témoignent d’une tendance croissante à aborder les droits d’une manière moins abstraite, en prenant en compte la diversité des sujets et des protections qu’ils exigent. D’où la superposition de consécrations à vocation générale ou catégorielle.

            1 – Les consécrations à vocation générale : l’exemple de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme

            Les questions préalables souvent posées lors des conférences mondiales sur les droits de l’homme organisées dans le cadre de l’ONU peuvent donner à penser que de telles consécrations ne sont pas vraiment envisageables, compte tenu de la différence des cultures. Ainsi, d’aucuns ont observé que l’idée même d’une réglementation des droits de l’homme semblait incompatible avec la pensée politique, philosophique et religieuse chinoise, notamment parce que les traditions du taoïsme et du confucianisme n’attendent pas du droit la résolution des conflits.

De même, lors de la préparation de la Conférence mondiale sur les droits de l’homme tenue à Vienne, en juin 1993, l’Iran, dénonçant la prétendue vocation universaliste des droits de l’homme, entendait y intégrer les principes de la Charia islamique. Ce n’est donc qu’à force de compromis, que la Conférence parviendra à une déclaration commune réaffirmant » l’engagement solennel pris par tous les Etats de s’acquitter de l’obligation de promouvoir le respect universel, l’observation et la protection de l’ensemble des droits de l’homme et des libertés fondamentales », et proclamant que « le caractère universel de ces droits et libertés est incontestable « .

            Cette démarche conciliatrice est devenue habituelle depuis l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’homme, dont nous allons maintenant traiter succinctement.

A – L’élaboration de la Déclaration Universelle

            Préparée par la Commission des droits de l’homme de l’ONU instance créée dans le cadre de la Charte, elle a été votée par l’Assemblée générale le 10 déc. 1948, par 48 pour et 8 abstentions (bloc soviétique, Arabie saoudite et Afrique du Sud).

            B – Le contenu de la Déclaration

            Elle tente de faire une synthèse cohérente des conceptions philosophiques et politiques dominantes, afin d’obtenir le plus large consensus.

            Après un préambule présentant la liberté comme une conquête (inspiration marxiste), mais aussi comme un droit naturel (inspiration occidentale), elle comprend 30 articles mêlant abstraction (tradition française) et pragmatisme (tradition anglo-saxonne). Ainsi, on peut y trouver des formules à caractère très général telles celle de l’art. 1er. « Tous les êtres humains naissent libres et égaux en dignité et en droits «…, ou au contraire très détaillé telles celle de l’art. 25-1 : » Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté  «.

            Faute d’avoir pu trouver un accord sur le droit de grève ou la liberté du commerce et de l’industrie, les rédacteurs du texte ont purement et simplement renoncé à y faire référence. En revanche, ils sont parvenus à un compromis sur la propriété avec l’art. 17-1 selon lequel « Toute personne, aussi bien seule qu’en collectivité, a droit à la propriété «.

            Pour le reste, on y trouve affirmés des droits et libertés classiques :

            *droits et libertés attachés à la personne : à la vie, liberté d’aller et de venir, sûreté, interdiction de l’esclavage et de la torture, inviolabilité du domicile, droit à une nationalité, au mariage, etc.

            *libertés s’exerçant dans la vie sociale : de conscience, d’opinion, d’expression, de réunion, d’association, des élections, égal accès à la fonction publique, droit d’asile.

            *droits économiques et sociaux : sécurité (solidarité) sociale, travail, juste rémunération, repos, loisirs, santé, éducation, culture, droit syndical, etc.

            C – La portée de la Déclaration

            Chacun des 192 Etats membres de l’ONU est censé adhérer à ses principes. Toutefois, en France, elle n’a pas de valeur juridique obligatoire, bien qu’elle ait été publiée au journal officiel. En effet, selon une jurisprudence constante du Conseil d’Etat, ce n’est pas un traité international, puisqu’elle n’a été ni ratifiée, ni approuvée (CE (Ass) 23 nov. 1984 Roujansky et autres, Rec. p. 383).

            C’est une simple résolution, dont les principes doivent être mis en pratique par des actes ultérieurs. Elle a surtout une grande force symbolique, puisqu’elle veut témoigner de l’unité de la société humaine, et d’une possibilité d’accord de l’ensemble des Etats sur un fonds commun de droits de l’homme, au delà des différences d’idéologies.

            Pour concrétiser les principes contenus dans la Déclaration, le 16 décembre 1966, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté 2 pactes internationaux, l’un sur les droits civils et politiques, l’autre sur les droits économiques sociaux et culturels, à ratifier par les Etats membres (la France les a ratifiés le 25 juin 1980). Ces actes sont bien des traités, mais la jurisprudence subtile du Conseil d’Etat sur la hiérarchie entre normes nationales et internationales limite sensiblement leur portée. Ainsi, certaines de leurs dispositions ne produisent pas d’effets à l’égard des particuliers, qui ne peuvent donc les invoquer (CE (Ass.) 5 mars 1999 Rouquette et autres, AJDA 1999 p.462). Quant aux dispositions produisant des effets directs, elles ne s’imposent qu’à condition qu’une norme constitutionnelle ne les contredise pas : pour le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation, en effet, la suprématie des engagements internationaux « ne s’applique pas, dans l’ordre interne, aux dispositions de nature constitutionnelle « (CE (Ass.) 30 oct.1998 Sarran et autres, AJDA 1998 p.1039; Cass. Ass. Plén. 2 juin 2000, Fraisse, D. 2000.II. p. 865 note Mathieu et Verpeaux).

            Un Comité des droits de l’homme de 18 experts indépendants élus pour 4 ans par les Etats peut être saisi à raison des violations des droits de l’homme, en application d’un protocole facultatif entré en vigueur le 23 mars 1976 ratifié par 104 Etats. Cet organe pourrait le cas échéant constituer l’amorce d’une juridiction mondiale des droits de l’homme. Il rend d’ailleurs des décisions importantes, mais seulement sous forme de « constatations » adressées aux Etats, auxquelles ni la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJCE 17 fév. 1998 Grant c/ SW Trains Ltd, D 1998 Som. p.372), ni nos juridictions nationales (CE (Ass.) 15 avril. 1996 Doukouré, RFDA 1996 p.808 concl. Martin; Cass. (Ass. plén.) 2 juin 2000, D. 2000 IR p.180) ne reconnaissent l’autorité de chose jugée.

            2 – Les proclamations catégorielles

Initialement, les droits et libertés étaient reconnus à l’homme conçu abstraitement (à une « essence » d’homme).

            Or, au fur et à mesure de l’évolution des faits et des idées, on a constaté qu’au-delà d’une uniformité de façade, le traitement réservé aux individus varie selon les catégories auxquelles ils appartiennent, et qu’ainsi, pour la définition de ses droits et libertés, l’être humain pourrait être considéré à divers titres par exemple en fonction de ses origines (national ou étranger), de son sexe, de son âge, de son activité, etc.

            Cette différenciation entraînant le plus souvent des discriminations, on pourrait être tenté de rétablir l’équilibre en proclamant des droits spécifiques aux catégories les plus défavorisées.

Toutefois ce n’est pas cette solution qu’a retenue le droit positif. En effet, les textes proclamant les droits et liberté sur le plan  international se bornent avant tout à exiger la soumission de tous aux mêmes règles, c’est à dire l’égalité de traitement. Ainsi, parmi les dizaines de déclarations et conventions anti-discriminatoires adoptées sous le patronage de l’ONU, on peut notamment signaler  une convention du 21 décembre 1965 «sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale« (ratifiée par 165 Etats), et une autre, du 18 décembre 1979, » sur l’élimination de toutes  les formes de discrimination à l’égard des femmes«, (ratifiée par 170 Etats dont l’Afghanistan, le Yemen et l’Arabie Saoudite!). De même, sur le plan européen, de nombreuses dispositions imposent un traitement égal des hommes et des femmes.

            La proclamation de l’égalité de principe entre les individus ne suffisant toutefois pas à effacer l’infériorité de certaines situations, il est parfois prévu des mesures correctrices en faveur des catégories jugées défavorisées, afin de vaincre les pesanteurs sociales en rétablissant l’équilibre à leur profit. Cette politique dite de « discrimination positive » n’est d’ailleurs pas sans susciter des objections, puisque malgré sa finalité unificatrice, elle consacre la division de la société, et conduit à des différences de traitement. 

Ainsi, sous réserve de quelques correctifs à des déséquilibres de fait, sur le plan international, la volonté d’assurer l’égalité des droits des individus majeurs n’a pas conduit à des proclamations concernant des catégories spécifiques.

En revanche, il a été jugé nécessaire de consacrer séparément des droits particuliers au profit des enfants.

            Ainsi, le 20 novembre 1959, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté la Déclaration des droits de l’enfant, texte affirmant 10 principes assez vagues pour la plupart. Dépourvu de valeur contraignante, ce texte se présentait surtout comme un catalogue de bons sentiments, malgré sa forte valeur symbolique.

            Trente ans plus tard, il a été complété par un traité international : la Convention relative aux droits de l’enfant, signée à New York le 26 janvier 1990. Ce texte a été ratifié par 191 Etats, dont la France, mais non par les Etats-Unis où jusqu’en 2004 la peine de mort pouvait être appliquée aux mineurs –  22 exécutions ont eu lieu entre 1990 et 2004 –  alors qu’elle est interdite par la Convention.

            Son inspiration générale est que l’enfant (mineur légal) est une personne humaine, qui à ce titre doit se voir reconnaître les droits et libertés classiques, mais une personne humaine en devenir, qui doit bénéficier en outre de garanties de développement harmonieux.

            Ainsi, les 54 articles du texte énoncent-ils une longue liste de droits, tantôt formulés en termes assez vagues, tantôt au contraire assez précis et contraignants : liberté d’expression, de pensée, de religion, d’association, protection sociale, contre l’exploitation économique et sexuelle, contre les violences physiques ou morales, interdiction d’envoyer à la guerre les mineurs de 15 ans, etc.

            En France, les premières questions relatives à l’application  de la Convention ont porté sur l’art. 12, qui stipule que l’opinion de l’enfant capable de discernement doit être prise en considération, notamment dans le cadre des procédures le concernant.

            Des tribunaux judiciaires ont été saisis d’arguments fondés sur ce texte à l’occasion de contentieux mettant en cause des décisions de placement ou de garde d’enfants. La Cour de Cassation, qui avait d’abord jugé que le traité ne pouvait être directement invoqué par un particulier, et que « ses dispositions ne créent d’obligations qu’à la charge des Etats « (1ère civ. 15 juill.1993.D.1994 p. 191 note Massip), a opéré par la suite un revirement, en jugeant plusieurs articles de la Convention applicables « directement devant les tribunaux français » (v. p. ex. Cass. 1ère Civ. 7 avril 2006, à paraître au Bull., à propos du droit de l’enfant à connaître ses parents prévu à l’art. 7).

Le Conseil d’Etat, lui, a adopté d’emblée une position plus pragmatique, en appréciant le caractère invocable ou non invocable de la convention article par article. Ainsi, par exemple, l’art. 9 (droit de ne pas être séparé des parents) n’est pas directement invocable (CE 2 juill. 1994 Préfet de Seine Maritime c/Abdelmoula, AJDA p .841 concl. Denis Linton), alors que l’article 3-1 – intérêt supérieur de l’enfant toujours primordial dans toutes les décisions le concernant – l’est  (CE 22 sept. 1997 Cinar, RFDA 1998 p. 562 concl. Abraham).

SECTION II – LES PROCLAMATIONS RÉGIONALES

            Si en Asie les diversités politiques et culturelles se sont jusqu’à présent opposées à l’adoption d’une proclamation à portée générale,  les autres continents ont vu dans ce procédé un moyen de marquer l’existence d’une communauté de valeurs, facteur d’unité.

            Ainsi, l’Amérique a eu, 8 mois avant la Déclaration Universelle, sa Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme, signée à Bogota le 30 avril 1948, dans le cadre de l’Organisation des Etats Américains (OEA).

            – En Afrique, la Charte africaine des droits de l’homme et des peuples (Nairobi. 26 juin 1981) témoigne notamment de l’importance attachée par les Etats de l’Organisation de l’Unité Africaine (remplacée en 2002 par l’Union Africaine) à la notion de groupe.

            – En Europe, enfin, plusieurs instances ont superposé leurs interventions, aboutissant à un système assez complexe de proclamations. Certaines de celles-ci ont une vocation spécialisée. Ainsi en est-il de la Charte sociale européenne (Turin, 18 oct. 1961) du Conseil de l’Europe, qui appréhende l’individu sur un plan purement social, sans établir de système de protection juridictionnelle, ou encore de la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux (du Conseil de la CEE du 9 déc. 1989).

            Nous évoquerons simplement les proclamations européennes à vocation générale, en insistant surtout sur la plus importante d’entre elles.

1 – La Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales

            Signée à Rome en 1950 dans le cadre du Conseil de l’Europe, (organisation à ne pas confondre avec l’Union européenne), elle est entrée en vigueur le 3 septembre 1953. Elle a été complétée par 13 protocoles additionnels (la procédure d’entrée en vigueur du 14ème est en cours). Au 1er septembre 2008, la Convention avait été signée par  47 Etats.

            La France ne l’a ratifiée qu’assez tardivement, en 1974 (à la faveur de l’intérim présidentiel par le Président du Sénat, après le décès de M. Pompidou).

A – Le contenu de la convention

            Il est assez classique et reprend largement les formules de la Déclaration Universelle. Ce sont les articles 2 à 14 qui énoncent les principaux droits et libertés garantis : droit à la vie (article 2), interdiction de la torture et des traitements dégradants (article 3), de l’esclavage et du travail forcé (article 4), sûreté (article 5), procès équitable (article 6), légalité des incriminations pénales (article 7), vie privée et familiale (article 8), libertés de pensée et de religion (article 9), d’expression (article 10), de réunion et d’association (article 11) de mariage (article 12), droit au recours effectif (article 13), interdiction des discriminations dans la mise en œuvre des droits garantis par la Convention (article 14).

            Les protocoles ont également une importance capitale. Ainsi, le n° 1 consacre le droit de propriété. Le douzième prévoit dans la jouissance des droits prévus par la loi une clause générale de non discrimination à raison de la race, la couleur, la langue, la religion, le sexe, la fortune, les opinions, etc. en des termes laissant pressentir que son entrée en vigueur sera à l’origine de multiples recours. Les droits économiques et sociaux ne sont pas abordés (il existe une charte spécialisée). Toutefois, certains droits à caractère social bénéficient d’une protection indirecte, notamment par référence aux droits patrimoniaux garantis par le protocole n° 1 (v. CEDH 16 sept. 1996, Gaygusuz c/ Autriche: les droits aux allocations de chômage doivent être reconnus également aux nationaux et aux étrangers).

            A la lecture des articles 2 à 14, on constate qu’avec beaucoup de pragmatisme, leurs rédacteurs, après l’affirmation de principe du droit ou de la liberté, ont prévu, souvent assez précisément, les possibilités de restriction. Ainsi par exemple, le droit à la sûreté (article 5) n’interdit pas les détentions régulières de condamnés, toxicomanes, alcooliques, aliénés, contagieux, vagabonds.

            L’art. 15 prévoit en outre un cas général, constituant un véritable droit de dérogation, en période de guerre, ou « d’autre danger public menaçant la vie de la nation « (par exemple une vague terroriste : CEDH 26 mai 1993 Brannigan et Mac Bride: applicable en Grande Bretagne secouée par une vague d’attentats irlandais).

            Ces restrictions ne doivent pas être interprétées comme remettant en cause les principes initiaux : au contraire, elles les confortent, dans la mesure où toute atteinte non expressément prévue sera illégale.

            B – L’originalité de la Convention

            Son caractère de traité international en fait, compte tenu de notre système moniste (article 55 Constit.), une norme intégrée dans l’ordre juridique national, à la différence de la Déclaration Universelle. Mais son originalité réside surtout dans le dispositif mis en place pour assurer son caractère effectif, qui occupe l’essentiel des 59 articles du texte. Elle institue en effet (article19) une Cour Européenne des droits de l’homme composée de membres en nombre égal à celui des Etats, élus pour 6 ans par l’Assemblée du Conseil de l’Europe.

            Devant cet organe, afin de garantir le respect des droits et libertés proclamés, sont mises en oeuvre des procédures qui seront évoquées ultérieurement.

            2 – Les autres sources européennes

            On mentionnera seulement sommairement l’ordre juridique communautaire.  Bien que celui-ci soit différent de celui du Conseil de l’Europe, en matière de droits de l’homme et libertés fondamentales, les organes de la Communauté se réfèrent surtout à la Convention de 1950. Cette démarche est expressément consacrée par l’article 6-2 du Traité sur l’Union européenne, qui stipule :

« L’Union respecte les droits fondamentaux tels qu’ils sont garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales signée à Rome le 4 nov. 1950 et tels qu’ils résultent des traditions constitutionnelles communes aux Etats membres, en tant que principes généraux du droit communautaire « .

            En outre, l’Union européenne tend depuis quelque temps à développer elle aussi son propre système de protection des droits de l’homme. C’est sans doute pourquoi la Cour de Justice a estimé, dans un arrêt du 28 mars 1996, rendu à la demande du Conseil, « qu’en l’état actuel du droit communautaire, la communauté n’a pas compétence pour adhérer à la Convention « (D. 1996 p. 449 note Renucci). Elle s’est  dotée à cet effet en décembre 2000 d’une Charte des droits fondamentaux, dont les sept chapitres reprennent les droits de la Convention en les complétant par de multiples droits politiques et sociaux. Signe de l’interpénétration des ordres juridiques, la Cour EDH s’y réfère comme source d’inspiration lorsqu’elle doit déterminer le droit applicable à un litige (v. CEDH 11 juillet 2002, Goodwin c/ Royaume-Uni, à propos du mariage des transsexuels).

Toutefois, ce texte devrait constituer la deuxième partie du Traité sur l’Union européenne, et compte tenu des vicissitudes de celui-ci, pour le Conseil d’Etat, « en l’état actuel du droit » n’a pas la force juridique d’un traité et sa violation ne peut être invoquée (CE 5 janvier 2005, Desprez et Baillard, AJDA 2005 p. 845, note Burgorgue-Larsen).

 

Chapitre III – La reconnaissance prétorienne des libertés et droits de l’homme

            Ouvrant les travaux de la 9ème conférence des cours constitutionnelles européennes, en mai 1993, M. Mitterrand avait constaté qu’au fil des ans, « s’élabore sans tumulte, mais, je crois, sans faiblesse, une Europe du droit qui est aussi une Europe du juge «. Bien que probablement de pure circonstance, la formule était révélatrice de l’importance du rôle du juge dans la reconnaissance des droits de l’homme et des libertés publiques. Même si son intervention est parfois discrète, il n’en a pas moins un rôle créateur, qui en fait la source de nombreux principes non écrits.

SECTION I – LE ROLE CREATEUR DU JUGE

            Statuant sur des cas de portée le plus souvent limitée, le juge est contraint de motiver sa décision, pour la justifier, et montrer qu’elle est la seule possible. Ainsi, il est conduit à se fonder sur un raisonnement de type syllogistique, prenant pour prémisse majeure une règle de droit générale, dont il va faire application au cas particulier sur lequel il statue.

            Or, cette règle peut résulter d’un texte apparemment clair et précis, mais peut également n’en être qu’une interprétation ou une extrapolation. Elle peut même aussi résulter d’une création pure et simple, bien que le juge, généralement, s’en défende.

            Le cas n’est pas rare dans le domaine des droits de l’homme et des libertés publiques : face au caractère vague ou incomplet des textes, le juge peut être tenté de se comporter en substitut du législateur national ou international, notamment quand il y est incité par les textes eux-mêmes, et par les parties au litige.

            Ainsi, dès lors que l’on considère que le préambule de la Constitution de 1946 a force obligatoire, l’application de sa disposition consacrant les » principes fondamentaux reconnus par les lois de la République « exige du juge un travail créateur, puisque ces normes ne sont pas énumérées dans le texte.

            D’où les polémiques sur le « gouvernement des juges « périodiquement engagées à l’occasion de certaines décisions sujettes à controverses.

            Le débat oppose habituellement ceux pour qui la création de normes générales ne peut appartenir qu’à des organes bénéficiant d’une délégation directe du peuple souverain, à ceux pour qui le juge doit jouer un rôle de contre-pouvoir susceptible d’aller jusqu’à dégager des principes inspirés, directement ou non, des normes écrites existantes.

            L’énonciation de normes par le juge peut être d’autant plus discutée qu’elle produit un effet rétroactif, puisqu’elle aboutit à appliquer à une situation une règle dont l’existence ne pouvait être connue au moment où celle-ci est née. C’est pourquoi désormais le Conseil d’Etat (CE (Ass.) 11 mai 2004, Association AC et autres, RFDA 2004 p. 454 concl. Devys) et la Cour de cassation (Cass. 2ème civ. 8 juillet 2004, D. 2004 p. 2956) s’efforcent de moduler les effets de leurs décisions, notamment en cas de revirement, afin de respecter le caractère équitable du procès.

            Il n’en reste pas moins que le réalisme impose de tenir compte d’un phénomène ne caractérisant pas seulement le fonctionnement des juridictions françaises. Ainsi, le rédacteur d’un arrêt du 16 décembre 2004 de la Chambre des Lords britannique censurant une loi antiterroriste écrivait (point 42) : « Je n’accepte pas, en particulier, la distinction que l’Attorney général établit entre des institutions démocratiques et les juridictions. Il est vrai que les juges, dans ce pays, ne sont pas élus et ne sont pas responsables devant le Parlement. Il est aussi exact (…) que le Parlement et les cours judiciaires ont différentes fonctions. Cependant, la fonction des juges indépendants chargés d’interpréter et d’appliquer la loi est universellement reconnue comme un critère essentiel de l’Etat démocratique moderne, une pierre angulaire de la règle de droit elle-même. L’Attorney général est pleinement fondé à insister sur les propres limites de l’autorité judiciaire, mais il a tort de stigmatiser les processus judiciaires comme étant d’une certaine manière non démocratiques ».

 

SECTION II – L’IMPORTANCE DES PRINCIPES NON ECRITS

            Les juridictions européennes ont assez largement recours à des normes non écrites, «dégagées « selon des méthodes diverses.

            Ainsi,  la Cour de Justice des Communautés se réfère aux principes généraux du droit communautaire. La Cour européenne, elle aussi, a établi des sortes de  standards  s’imposant aux Etats (pluralisme, tolérance, prééminence du droit, etc.) à partir des termes « société démocratique « mentionnés à plusieurs reprises dans la Convention (article 8, 9, 10…).

            Dans notre droit national, les principes non écrits tiennent une place prépondérante, sous des formes variables :

            *les principes généraux du droit. Dégagés par le Conseil d’Etat, et, accessoirement par la Cour de Cassation et le Conseil constitutionnel. Indépendamment de toute consécration par des textes, ils s’imposent à l’administration (droits de la défense, publicité des débats judiciaires, vie familiale normale, etc.), et aux particuliers.

            *les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République. Dégagés principalement par le Conseil Constitutionnel avec force constitutionnelle à partir de la législation antérieure à 1946 : liberté d’association, liberté individuelle, liberté de conscience, indépendance des professeurs d’université, autorité judiciaire gardienne du droit de propriété, etc.

            *aux principes se rattachant à ces deux catégories classiques (susceptibles de chevauchements) viennent en outre s’en rajouter d’autres, à valeur également constitutionnelle, mais à statut indéfini, résultant de l’extrapolation de certaines dispositions constitutionnelles écrites. Ainsi, de la « liberté «, mentionnée dans les art.1 et 2 de la Déclaration de 1789, le Conseil Constitutionnel a dégagé des composantes plus précises : la liberté d’aller et de venir, la liberté d’entreprendre, ou le respect de la vie privée.

            De même, en se fondant simplement sur le préambule du préambule de la constitution de 1946, qui, dans une formule solennelle, indiquait : « Au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres sur les régimes qui ont tenté d’asservir et de dégrader la personne humaine, le peuple français proclame..« le Conseil a dégagé le « principe de la dignité de la personne humaine contre toute forme d’asservissement et de dégradation « (décis. du 27 juill. 1994 – lois sur la bioéthique – D. 1995 p. 237 note Mathieu).

Le rôle créateur du Conseil Constitutionnel est également patent lorsqu’il se réfère à des «objectifs de valeur constitutionnelle«, ainsi qualifiés parce qu’ils » sont nécessaires à la sauvegarde des principes et droits de valeur constitutionnels « (v. p. ex. décision 16 déc. 1999, JO 22 déc. p. 19041, loi habilitant le gouvernement à adopter la partie législative de certains codes par ordonnances : la codification répond « à l’objectif de valeur constitutionnelle d’accessibilité et d’intelligibilité de la loi «, faute desquelles l’égalité devant la loi et la garantie des droits ne pourraient être effectives). Il en va de même en cas de recours aux « exigences constitutionnelles « (v. p.ex. la décision du 9 nov. 1999 relative à la loi sur le PACS, qui, par l’intermédiaire de l’article 4 de la Déclaration de 1789, selon lequel « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui «, en vient à dégager une exigence constitutionnelle imposant que « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer «. Ainsi est constitutionnalisé l’article 1382 du Code Civil !). 

TITRE II – LA GARANTIE DES DROITS ET LIBERTES

            L’al. 3 du préambule de la Déclaration universelle de 1948 affirme : « il est essentiel que les droits de l’homme soient protégés par un régime de droit pour que l’homme ne soit pas contraint, en suprême recours, à la révolte contre la tyrannie et l’oppression «.

            C’est en effet grâce à la mise en place d’un régime de droit adéquat que ce qui apparaît souvent comme » droit de l’homme « abstrait peut être concrétisé comme « liberté publique ».

            La garantie des libertés ne s’avère réellement efficace que si elle permet de sanctionner effectivement les atteintes qui y sont portées.

            Généralement, deux types de sanctions peuvent être envisagées : par un juge    (chapitre I ) ; par d’autres moyens (chapitre II).

Chapitre I – Les recours juridictionnels

            Longtemps organisés sur la seule base nationale, ils tendent aujourd’hui à se développer également sur le plan supranational.

SECTION I – LES RECOURS DEVANT LES JURIDICTIONS INTERNES

            Ils peuvent avoir lieu devant les juridictions constitutionnelles ou de droit commun.

            1 – Le recours au juge constitutionnel

            Il permet surtout de protéger les libertés contre les atteintes portées par des autorités bénéficiant d’une immunité vis à vis des juridictions ordinaires, c’est à dire essentiellement les organes du pouvoir législatif. La justice constitutionnelle est avant tout une protection contre la loi, mais elle affecte indirectement les autres sources du droit.

            Le recours à la justice constitutionnelle peut être envisagé si l’on admet que le Parlement ne peut lui-même s’auto-contrôler, procéder valablement à un contrôle de la constitutionnalité de la loi qu’il vote (idée dominante sous les Troisième et Quatrième Républiques), et qu’il est donc nécessaire que ce contrôle soit opéré par un organe extérieur.

            Actuellement, les solutions vers lesquelles s’orientent la plupart des démocraties occidentales sont juridictionnelles. On en prendra seulement deux exemples, analysés succinctement.

            A – Le Tribunal Constitutionnel fédéral allemand (Bundesverfassungericht)

            C’est une institution originale, créée par la Constitution (Loi Fondamentale) de 1949, afin, notamment, d’en faire un garde-fou contre un retour du nazisme.

            Il siège à Karlsruhe et comprend 16 membres élus pour 12 ans, moitié par le Bundestag (Diète fédérale), moitié par le Bundesrat (Conseil fédéral).

            Il est seul compétent pour se prononcer sur la conformité des lois à la constitution, dans le cadre de deux procédures distinctes.

            *Par voie d’exception

            L’exception d’inconstitutionnalité contre une loi peut être soulevée par tout justiciable devant tout tribunal, qui surseoira à statuer jusqu’à la résolution de la question préjudicielle par le Tribunal Constitutionnel.

            *Par voie d’action

            La saisine peut d’une part avoir lieu par les principales autorités politiques, contre n’importe quelle loi.

            Elle peut, d’autre part avoir lieu par un particulier, lorsqu’un de ses droits fondamentaux garantis par la constitution est en cause et qu’il ne dispose d’aucune autre voie de droit pour contester la constitutionnalité de la loi violant ce droit.

            Le Tribunal peut être saisi d’une loi déjà entrée en application. Il peut utiliser la procédure du sursis à exécution. La loi déclarée inconstitutionnelle sera annulée, et l’art. 35 du statut du Tribunal, qui le charge de « régler la façon dont le jugement doit être exécuté «, lui donne même une compétence normative exorbitante, celle d’établir une législation transitoire.

            B – Le Conseil Constitutionnel français

            La désignation de ses 9 membres (auxquels peuvent, le cas échéant, s’ajouter les anciens présidents de la République), insusceptible de recours devant le juge administratif (CE (Ass.) 9 avril 1999, Madame Ba, AJDA 1999 p. 461), présente un caractère politique.

            Cependant, il n’est plus contesté, aujourd’hui, que le Conseil constitutionnel, du moins lorsqu’il statue sur des litiges, présente les caractères d’une juridiction (collégialité, procédure contradictoire, solution d’un conflit).

            Conçu initialement par les rédacteurs de la constitution de 1958 comme un instrument de contrôle du Parlement, le Conseila vu son rôle sensiblement évoluer à compter de la révision constitutionnelle de 1974, autorisant sa saisine par 60 députés ou 60 sénateurs avant la promulgation de la loi. Il est alors devenu à titre principal un instrument de recours de la minorité contre la majorité parlementaire.

            Sans doute les conditions de sa saisine demeurent-elles encore restrictives, notamment par rapport au Tribunal Constitutionnel allemand. Toutefois, elles ont été récemment étendues par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République, puisque désormais, à l’occasion d’une instance devant les juridictions de droit commun, le Conseil d’Etat et la Cour de cassation peuvent lui demander si une loi déjà promulguée porte atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution (article61-1 nouveau de la Constitution).

            Avant même cette réforme, le Conseil a développé une jurisprudence remarquée en matière de protection des libertés, notamment contre les vagues législatives parfois radicales issues des changements politiques conjoncturels. En limitant les effets des mouvements de balancier, il s’est ainsi exposé aux critiques alternatives de la droite et de la gauche.

            Nous aurons l’occasion de faire souvent référence aux solutions de fond qu’il a imposées, et qui sont aujourd’hui prises en compte à titre préventif par les parlementaires lors du vote des lois. Bornons-nous à rappeler ici succinctement qu’il a mis en place au moins 4 techniques de contrôle assez originales.

            *La saisine d’office des moyens d’inconstitutionnalité non soulevés par les auteurs du recours. Elle lui permet de procéder à un examen complet de la loi.

            *L’examen des lois déjà promulguées, à l’occasion du contrôle de constitutionnalité de celles qui les modifient ou les complètent. Avant la réforme de juillet 2008, c’était un palliatif à l’impossibilité de saisine directe contre les lois déjà entrées en vigueur.

            *Le contrôle de proportionnalité et d’erreur manifeste d’appréciation, qui devrait lui permettre d’intervenir pour apprécier dans une certaine mesure l’opportunité de la loi (v. décis. du 16 janv. 1982 AJDA 1982, p. 202 note Rivero : l’appréciation de la nécessité des nationalisations n’et pas entachée d’erreur manifeste). Il convient cependant d’observer que l’usage de cette modalité de contrôle s’avère assez largement théorique : on voit mal les 9 « sages « oser qualifier de manifeste une erreur qui n’aurait pas été décelée par la majorité dans les deux assemblées.

            C’est pourquoi, le plus souvent, le Conseil se borne à rappeler qu’il « ne lui appartient pas de substituer sa propre appréciation à celle du législateur « (v. p. ex. la décis. du 27 juin 2001, JCP 2001.II.10 635 note Frank, à propos de la loi relative à l’interruption volontaire de grossesse et à la contraception allongeant de 10 à 12 semaines le délai légal de l’IVG). Dans sa décision du 16 juillet 1996, il a cependant censuré une des dispositions de la loi renforçant les moyens de la police et de la justice contre le terrorisme, qui inscrivait l’aide aux étrangers en situation irrégulière dans le champ des actes de terrorisme : « le législateur a entaché son appréciation d’une disproportion manifeste « (JCP 1996.II.22709 note Nguyen Van Tuong).

            *La déclaration de conformité sous réserve. Elle est destinée à influer sur les conditions d’application de la loi, en indiquant comment celle-ci doit être mise en oeuvre pour demeurer conforme à la constitution.

            L’usage de ce procédé est très courant. Ainsi, par exemple, à propos des contrôles d’identité et, plus spécialement, des circonstances susceptibles de les déclencher, le Conseil a jugé que « s’il est loisible au législateur de prévoir que le contrôle d’identité d’une personne peut ne pas être lié à son comportement il demeure que l’autorité concernée doit justifier, dans tous les cas, des circonstances particulières établissant le risque à l’ordre public qui a motivé le contrôle ; que ce n’est que sous cette réserve d’interprétation que le législateur peut être regardé comme n’ayant pas privé de garanties légales l’exercice de libertés constitutionnelles garanties « (décis. 5 août 1993, AJDA 1993 p. 815).

            2 – Le recours à la justice de droit commun

            En France, il peut, le cas échéant, permettre d’obtenir réparation des dommages causés sans faute par le législateur, dans l’hypothèse, rarissime, de la responsabilité de l’Etat législateur devant le juge administratif (CE 1938 La Fleurette, GAJA : la jurisprudence récente sur l’application du droit communautaire peut ouvrir des perspectives nouvelles à cette solution restée marginale).

            Le plus souvent, cependant, la protection juridictionnelle de droit commun est destinée à garantir la liberté contre l’exécutif (administration) et les particuliers. Son efficacité est subordonnée à certaines conditions (A), et varie selon les techniques mises en oeuvre (B).

            A – Les conditions de l’efficacité de la protection juridictionnelle

       Elles sont multiples, et, de ce fait, difficiles à remplir en totalité. Nous en recenserons rapidement les plus importantes, qui conditionnent ce qu’il est convenu d’appeler le droit à un procès équitable, et qui découlent, pour l’essentiel, de l’article 6 de la Convention EDH, devenu aujourd’hui la norme de référence en la matière.

  1. a) Les facilités d’accès à la justice

            Elles impliquent elles-mêmes la réunion de diverses conditions :

            *La possibilité même de contester. L’art. 6 de la Convention européenne crée, selon les termes de la CEDH, un véritable « droit au tribunal « (CEDH 27 août 1991, Philis c/ Grèce (point59) : la justice doit être accessible, et le droit d’accès concret et effectif, comme le confirme l’art. 13 de la Convention.  Avec la même inspiration, le Conseil Constitutionnel, dans une de ses interprétations extensives de l’article 16 de la Déclaration de 1789 sur la garantie des droits et la séparation des pouvoirs, a jugé « qu’il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction «(décis. 23 juill. 1999, loi sur la couverture maladie universelle, AJDA 1999 p.738).

            L’application de ces principes généraux soulève certaines difficultés. En effet, notre procédure contentieuse traditionnelle tant judiciaire qu’administrative, subordonne la recevabilité de la plupart des recours à de multiples conditions dont l’exigence est aujourd’hui remise en cause au nom du libre accès à la justice.

Ainsi, en matière pénale, la CEDH a déclaré contraire à la Convention la règle de l’article 583 du code de procédure pénale prévoyant la déchéance du pourvoi en cassation lorsque son auteur, condamné à l’emprisonnement, n’a pas déféré au mandat d’arrêt ou ne s’est pas mis en état (CEDH 14 déc. 1999 Kalfaoui c/ France; 25 juill. 2002, Papon c/ France, D 2002 p. 2270).

En matière administrative, bien que la jurisprudence ait admis de plus en plus largement le recours contre les actes de l’administration, celui-ci n’en demeure pas moins encore soumis à certaines conditions de recevabilité susceptibles d’entraver l’action des administrés alors que leur contestation peut sembler légitime.

            Ainsi, en ce qui concerne l’acte attaqué, on sait qu’aujourd’hui encore, l’acte de gouvernement, bien qu’en recul sensible, bénéficie d’une immunité juridictionnelle totale.

            De même, les mesures dites d’ordre intérieur sont insusceptibles de faire l’objet d’un recours en annulation. Toutefois, elles tendent elles aussi à se restreindre : ainsi, désormais, les mesures disciplinaires prises à l’égard des militaires ou des détenus sont considérées comme faisant grief et autorisant le recours pour excès de pouvoir.

            En France, la complexité de certaines règles de la procédure administrative contentieuse peut aboutir à la forclusion des requérants, notamment lorsque le point de départ du délai du recours contentieux s’avère incertain. Ainsi, la Cour européenne a eu l’occasion de dire que les subtilités de la distinction entre acte réglementaire et individuel, et les effets qui en résultaient quant à la computation du délai de recours étaient à l’origine d’une violation de l’art.6-1 de la Convention (CEDH 16 déc.1992 de Geouffre de la Pradelle c/France D.1993 p.561 note Benoit-Rohmer).

*La gratuité

            La loi du 30 déc.1977 a institué la gratuité des actes de justice, en matière civile et administrative. Mais si l’on n’a plus à rémunérer les services rendus par les juges, (comme c’était le cas sous l’Ancien Régime avec les « épices «), les frais annexes sont importants : nombre de recours doivent avoir lieu par ministère d’avocat, la procédure civile, accusatoire, fait intervenir des auxiliaires (tels les huissiers), qui doivent être rémunérés. La procédure pénale implique parfois le versement de consignations d’un montant élevé, p. ex pour une plainte avec constitution de partie civile (article 88 CPP). De plus, l’instruction peut induire des coûts souvent élevés (les dépens), tels les frais d’enquête ou d’expertise: généralement, ces frais sont supportés par la partie perdante.

            Même si aujourd’hui la partie gagnante peut obtenir le remboursement de ses frais, celui-ci n’a lieu au mieux, qu’après coup. Il est donc utile de prévoir un système d’aide à l’accès au droit. Aujourd’hui, celui-ci combine deux techniques:

            L’aide juridictionnelle est destinée à soutenir le justiciable lors des procédures contentieuses ou même des transactions amiables. Elle est, selon les ressources, totale ou partielle.

            L’aide à l’accès au droit, concerne les procédures non juridictionnelles, et consiste en un soutien sous forme d’informations, consultations, assistance lors de certaines démarches ou pour la conclusion et la rédaction d’actes juridiques, etc.

  1. b) L’indépendance des juges

            Selon l’art. 6-1 de la Convention européenne : « toute personne a droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial «

            L’indépendance des juges conditionne leur neutralité. Le Conseil d’Etat a ainsi affirmé « qu’en vertu des principes généraux applicables à la fonction de juger toute personne appelée à siéger dans une juridiction doit se prononcer en toute indépendance et sans recevoir quelque instruction de la part de quelque autorité que ce soit » (CE (Ass.) 6 déc. 2002, Trognon, AJDA 2003 p. 492). Aussi, en règle générale, cette garantie est-elle proclamée solennellement. Ainsi, l’art. 64 de la Constitution de 1958 dispose que « le Président de la République est garant de l’indépendance de l’autorité judiciaire «. Si cette disposition ne mentionne pas les juges de l’ordre administratif, leur indépendance a été consacrée avec valeur constitutionnelle  par le Conseil Constitutionnel sous forme de principe fondamental reconnu par les lois de la République (décis. du 22 juill. 1980 AJDA 1980 p. 602 note Carcassonne).

            De telles affirmations de principe ne peuvent être concrétisées que grâce à des mécanismes plaçant les magistrats à l’abri des pressions de leur hiérarchie.

            Ainsi en est-il pour leur inamovibilité, garantie par l’art. 64 de la Constitution pour les magistrats du siège, par la loi du 6 janv. 1986 pour ceux des tribunaux administratifs et des cours administratives d’appel, et par la tradition pour les membres du Conseil d’Etat (qui ne sont pas des magistrats) : inamovible, le magistrat ne peut recevoir une affectation nouvelle, même en avancement, sans son consentement. On notera que les magistrats du Parquet (avocats généraux, procureurs, substituts) dépendent hiérarchiquement du Ministère de la Justice, et ne bénéficient pas de cette garantie.

            En ce qui concerne le déroulement de leur carrière, les magistrats dépendent d’organes spéciaux, notamment, pour l’ordre judiciaire, du Conseil supérieur de la magistrature.             Au Conseil d’Etat, l’avancement à la seule ancienneté est devenu coutumier, et les préoccupations carriéristes ne peuvent donc, pour la Section du contentieux influer sur le comportement de ses membres (CE 5 octobre 2005, Hoffer, RFDA 2005 p. 942, concl. Seners).

            Sur un plan srictement juridique, ’indépendance des magistrats semble donc garantie dans des conditions globalement satisfaisantes.

 En revanche, il est beaucoup plus difficile de s’assurer de leur indépendance d’esprit, leur impartialité, c’est à dire de leur neutralité vis à vis de chacune des parties.

*D’une part, des facteurs aussi complexes que le poids de la hiérarchie, le souci de la carrière, le conformisme, un engagement politique excessif, etc. peuvent peser lourd sur certaines décisions.

*D’autre part, il apparaît, essentiellement à la lumière de la jurisprudence de la Cour EDH que de nombreux principes de notre organisation juridictionnelle, bien que semblant solidement ancrés dans nos traditions, n’assurent pas totalement l’impartialité des juges, et sont donc progressivement remis en cause. Ainsi, les juridictions professionnelles corporatives comprennent souvent des juges directement intéressés aux litiges sur lesquels ils statuent (v. p. ex. Cass. Civ. 1ère. 5 oct. 1999 (2 arrêts) JCP 1999 II 10203 concl. Sainte Rose : irrégularité de la composition du Conseil de l’ordre des avocats statuant en matière disciplinaire lorsqu’il comporte le bâtonnier visé par les critiques à l’origine des poursuites (1ère espèce), ou des membres cumulant les fonctions de rapporteur et de juge (2nde espèce) ). Et même les magistrats professionnels peuvent être soupçonnés de partialité, lorsqu’ils statuent sur des affaires dont ils ont eu à connaître dans d’autres phases de la procédure.

Ainsi, la Cour EDH, constatant que « la position originale du Conseil d’Etat dans les institutions françaises le rapproche organiquement des pouvoirs publics » a eu l’occasion de juger contraire à l’exigence d’impartialité la composition d’une de ses formations de jugement (CEDH, 9 nov. 2006, Sté Sacilor-Lormines c/ France, RFDA 2007 p. 342, note Autin et Sudre).

On observera, pour conclure sur cette question, donnant lieu actuellement à une jurisprudence abondante impossible à évoquer en sa totalité, que certaines procédures permettent théoriquement de garantir, dans une certaine mesure, les justiciables contre les risques de partialité des juges. Les unes, telle la récusation ou le renvoi pour suspicion légitime sont préventives, les autres, telle la prise à partie, mise en jeu de la responsabilité personnelle du magistrat, sont répressives. En toute hypothèse, elles sont d’une efficacité pratiquement nulle, soit parce qu’elles ne s’appliquent pas aux magistrats des juridictions de droit commun (cas de la prise à partie), soit parce qu’elles donnent surtout lieu à des décisions de rejet (v. p. ex. pour une requêtes en renvoi pour suspicion légitime : CE 16 juin 2004, Marc-Antoine et Lacau, AJDA 2004 p. 1782 : une telle requête ne peut être adressée qu’à la juridiction immédiatement supérieure à celle dont la partialité est suspectée, et ne peut donc mettre en cause le Conseil d’Etat, qui n’a pas de supérieur).

Bien que récurrente, la question de la sanction des manquements des magistrats aux devoirs de leur charge demeure donc encore aujourd’hui largement en suspens. La loi organique du 5 mars 2007 relative au recrutement, à la formation et à la responsabilité des magistrats avait qualifié (article 14)  de faute disciplinaire « la violation grave et délibérée par un magistrat d’une règle de procédure constituant une garantie essentielle des droits des parties, commise dans le cadre d’une instance close par une décision de justice devenue définitive », en permettant au justiciable mécontent de saisir le Médiateur de la République (article 21). Toutefois, le Conseil Constitutionnel a déclaré ces dispositions contraires aux principes constitutionnels de l’indépendance de l’autorité judiciaire et de la séparation des pouvoirs (décision du 1er mars 2007, D. 2007 p. 1401, note Ludet et Martinel).

  1. c) La rapidité

            La justice ne saurait être rendue dans la précipitation, et une instruction sérieuse des affaires, ainsi que le respect du caractère contradictoire de la procédure exigent un minimum de délais.

            Mais un excès de lenteur équivaut bien souvent à un déni de justice, la décision du juge ayant perdu tout son intérêt lorsqu’elle est rendue. C’est pourquoi l’art.6-1 de la Convention européenne exige que justice soit rendue » dans un délai raisonnable «.

            Or, la justice française est souvent excessivement lente. Ce défaut peut, parfois, être encore aggravé par le dualisme de notre système juridictionnel.

            Même lorsque les problèmes de compétence contentieuse ne rallongent pas les délais de décision, l’engorgement des juridictions, aussi bien judiciaires qu’administratives, suffit à entraîner des retards souvent spectaculaires.

            Il n’est donc pas étonnant que des justiciables mécontents aient traduit la France devant la Cour Européenne des droits de l’homme. Celle-ci entend l’obligation de respecter un délai raisonnable avec souplesse et pragmatisme : pour elle,  « le caractère raisonnable de la durée d’une procédure s’apprécie suivant les circonstances de la cause, et eu égard aux critères consacrés par la jurisprudence de la Cour, notamment la complexité de l’affaire, le comportement du requérant, et celui des autorités compétentes « (CEDH 31 mars 1992, X c/ France, JCP 1992 II.21896, note Apostolidis).

            Ainsi, dans l’affaire précitée, pour les juridictions administratives saisies d’une demande d’indemnité par un hémophile contaminé par le virus du SIDA, » une diligence exceptionnelle s’imposait en l’occurrence, nonobstant le nombre des litiges à traiter «, et un délai de plus de 2 ans n’était pas raisonnable (le requérant était d’ailleurs décédé avant le jugement). En revanche,  la  durée de plus de sept ans de la procédure pénale engagée pour abus de confiance et vol contre le président de la fondation Vasarely n’a pas été excessive compte tenu de la complexité de l’affaire et surtout de la multiplication des procédures dilatoires par l’intéressé (CEDH 3 déc. 2002, Debbasch c/ France).

En général, la Cour, lorsqu’elle est saisie, juge les délais excessifs, en incriminant parfois implicitement les effets du dualisme juridictionnel sur l’allongement des procédures.

            Afin d’améliorer le fonctionnement des juridictions, les solutions adoptées combinent généralement plusieurs formules.

On tente d’abord de prévenir le contentieux, par exemple en encourageant les solutions amiables et la médiation. Ainsi, en matière pénale, de nombreuses réformes ont ces dernières années mis en place des procédures à la discrétion des procureurs de la République, telles la composition pénale, ou la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité (dite couramment « plaider coupable » (article 495-7 à 16 du CPP), destinées à accélérer la sanction des infractions les plus banales sans pour autant encombrer les tribunaux. Il faut observer que ces changements amorcent une importante remise en cause des rôles traditionnels des magistrats du siège et du parquet.

On peut aussi réduire l’engorgement de certaines juridictions surchargées en détournant une partie du contentieux vers d’autres : ainsi a été créée par la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice un nouvel ordre de juridiction civile et pénale de première instance dit « juridiction de proximité », composé de juges non professionnels, dont les compétences ont été étendues par la loi du 26 janvier 2005.

            Il est également possible d’aménager les règles de procédure en allégeant celles applicables aux cas les plus simples, notamment en accroissant  le nombre des décisions rendues par une formation restreinte ou un juge unique.

            L’exigence de rapidité peut être aussi satisfaite par la prise de décisions provisoires avant le jugement de l’affaire au fond. Si le juge judiciaire dispose de longue date de compétences étendues pour statuer par voie de référé, le juge administratif, lui, faisait traditionnellement preuve d’une grande timidité pour décider de mesures d’urgence. La loi du 30 juin 2000 relative au référé devant les juridictions administratives a bouleversé les solutions classiques en créant de nouvelles procédures, parmi lesquelles celle dite couramment du « référé-liberté » (appelé « référé-injonction » dans le vocabulaire du Conseil d’Etat : art. L 521-2 CJA) a ouvert d’intéressantes perspectives d’amélioration de l’efficacité du contentieux administratif en matière de protection des libertés fondamentales.

            Enfin, la mesure semblant devoir être la plus efficace consiste à doter de moyens nouveaux les juridictions les plus surchargées. Ainsi ont été créés de nouveaux tribunaux administratifs (Melun, Cergy, Nîmes), et de nouvelles cours administratives d’appel (Marseille, Douai et Versailles). De même, des « assistants de justice «, (justifiant d’au moins 4 ans d’études juridiques supérieures et de compétences particulières) peuvent seconder les magistrats des juridictions administratives et judiciaires.

            Il faut noter que la CEDH,  submergée de recours fondés sur le non-respect de la règle du délai raisonnable affectant la durée de ses propres instances, a transféré aux Etats la charge de sanctionner sa violation (CEDH 26 oct. 2000, Kudla c/ Pologne).

  1. d) Le respect des droits de la défense

            Considérée de longue date comme un principe général du droit par le Conseil d’Etat, puis comme un principe fondamental reconnu par les lois de la République par le Conseil constitutionnel, cette règle est la garantie essentielle d’un procès équitable, et revêt une importance particulière en matière répressive. Elle implique ainsi de nombreux corollaires, tels la présomption d’innocence, liberté fondamentale (CE, ord. réf. 14 mars 2005, Gollnisch, JCP 2005 p. 866), et le respect d’une procédure pleinement contradictoire, publique, dont certaines conditions sont notamment précisées dans l’art.6-3 de la convention européenne.

La Cour EDH en fait une application généralement extensive, en considérant par exemple qu’il « est primordial que, non seulement les accusés, mais également leurs défenseurs, puissent suivre les débats, répondre aux questions et plaider en n’étant pas dans un état de fatigue excessif. De même, il est crucial que les juges et jurés bénéficient de leurs pleines capacités de concentration et d’attention pour suivre les débats et pouvoir rendre un jugement éclairé » (CEDH, 19 octobre 2004, Makhfi c/ France, D. 2005 p. 472, note Roets : violation de l’article 6 notamment parce que l’avocat de l’accusé n’avait pu plaider devant la Cour d’assises qu’à 5 heures du matin après plus de 15 heures d’audience). Ses exigences la conduisent depuis quelques années à censurer souvent des règles de procédure semblant jusque là profondément ancrées dans notre système juridictionnel.

Faute de pouvoir évoquer de manière exhaustive des questions relevant également d’autres disciplines (notamment la procédure pénale), on se bornera ici à donner succinctement quelques exemples.

Ainsi, la Cour consacre le droit de pouvoir contester des témoignages défavorables lors de confrontations avec leurs auteurs (CEDH 20 sept. 1993 Saïdi c/France, JCP 1994 22215 note Chambon : reconnu comme trafiquant de drogue derrière une glace sans tain, et jamais confronté avec ses accusateurs). L’impossibilité de répondre aux conclusions du commissaire du gouvernement devant les juridictions administratives a été elle aussi mise en cause devant la Cour. Celle-ci, un peu contre toute attente, a estimé qu’elle ne porte pas atteinte au principe du contradictoire. En revanche, la Cour a  condamné la présence de ce magistrat au délibéré, au motif qu’il peut, sans possibilité de contradiction, exercer une influence déterminante sur les membres de la formation de jugement en faveur de la cause d’une des parties (CEDH 7 juin 2001, Kress c/ France, AJDA 2001 p. 675 note Rolin; CEDH 12 avril 2006, Martinie c/ France, AJDA 2006 p. 788). Après ces condamnations, le décret du 1er août 2006 a confirmé la possibilité pour le commissaire du gouvernement, sauf opposition expresse de l’une des parties, d’assister au délibéré sans toutefois y prendre part. Saisi d’un recours contre ce décret, le Conseil d’Etat l’a déclaré conforme au droit à un procès équitable dans un arrêt du 25 mai 2007, Courty, AJDA 2007 p. 1424, concl. Keller.

  1. e) L’exécution des décisions juridictionnelles

            Elle semble le prolongement naturel du jugement, c’est pourquoi  la Cour européenne des droits de l’homme consacre le droit à l’exécution des décisions de justice comme composante du droit à un procès équitable (v. CEDH 19 mars 1997 Hornsby c/Grèce, D. 1998 p.75 note Fricero). En cas de mauvaise volonté des intéressés, en principe, le caractère exécutoire des décisions de justice impose aux autorités chargées de la force publique de prêter leur concours à leur exécution.

            Ainsi, pour le Conseil d’Etat, « le justiciable nanti d’une sentence judiciaire dûment revêtue de la formule exécutoire est en droit de compter sur l’appui de la force publique pour assurer l’exécution du titre qui lui a ainsi été délivré « (CE 30 mai 1923 Couitéas, GAJA; CE (Ass.) 2 juin 1938 Sté Cartonnerie Saint-Charles, Rec. p. 521 concl. Dayras).

            Il est cependant des cas où les bénéficiaires d’une décision de justice ne peuvent obtenir satisfaction.

            *D’une part, l’administration peut refuser légalement de prêter le concours de la force publique contre les récalcitrants. En effet, dans les deux arrêts précités, le Conseil d’Etat a jugé que « l’autorité administrative a le devoir d’apprécier les conditions de cette exécution, et le droit de refuser le concours de la force publique tant qu’elle estime qu’il y a danger pour l’ordre et la sécurité «.

            Le préjudice ainsi causé au justiciable, s’il excède une certaine importance, sera considéré comme une charge devant être supportée par la collectivité, dans le cadre d’une responsabilité sans faute.

            *D’autre part, l’administration elle-même peut refuser de se plier à une décision du juge lui donnant tort.

– Le plus souvent, elle procède ainsi lorsque l’annulation d’un acte administratif lui semble entraîner dans l’ordre juridique un bouleversement excessif. Alors, elle recourt au procédé de la validation législative, l’acte annulé étant repris dans une disposition de loi lui assurant une protection contre un nouveau recours en annulation. La solution a été notamment souvent utilisée pour valider les délibérations de jurys de concours ou d’examens annulées plusieurs années après leur adoption, (v. pour un autre exemple de cette pratique la loi du 11 déc. 1996 dont l’article unique valide la concession de la construction du Stade de France après son annulation par le Tribunal administratif de Paris). Puisqu’elle semblait imposée par les circonstances, le Conseil Constitutionnel l’avait admise « en considération de motifs d’intérêt général « (v. p. ex. décis. 13 janv. 1994, JCP 1994 66638 : validation de taux de cotisations de sécurité sociale déclarés illégaux par le Conseil d’Etat).

Toutefois, malgré la dialectique habile développée pour la justifier juridiquement, la validation suscite généralement la réprobation, puisqu’elle revient à remettre en cause une décision de justice. En outre, elle peut porter atteinte à d’autres droits, et notamment aux droits patrimoniaux garantis par le protocole additionnel n° 1 à la Convention européenne. C’est pourquoi la CEDH a  condamné  ce procédé, considéré comme une ingérence des pouvoirs publics dans le fonctionnement de la justice (9 déc. 1994 Raffineries grecques c/ Grèce), en l’admettant cependant lorsque des motifs d’intérêt général impérieux l’imposent (23 oct. 1997 National & provincial Building Society et autres c/ Royaume Uni).

S’alignant apparemment sur la jurisprudence de la Cour, nos juridictions nationales témoignaient cependant d’une telle indulgence à l’égard de cette technique commode, qu’il est arrivé que la France soit condamnée par la Cour EDH pour usage abusif d’une validation législative alors que le Conseil Constitutionnel et la Cour de Cassation avaient auparavant jugé la même opération conforme à la constitution (CEDH 28 oct. 1999 Zielinski et Pradal, RFDA 2000 p.299 note Mathieu). Depuis ce désaveu, nos juridictions nationales ont infléchi leur jurisprudence en posant des exigences plus sévères. Ainsi par exemple, appliquant ces principes, le Conseil Constitutionnel a par exemple fait échec à la tentative de validation de la déclaration d’utilité publique de l’extension du tramway de Strasbourg, annulée par le tribunal administratif (décision du 13 janvier 2005, JO 19 janvier 2005 p. 896).

Puisque la validation législative est désormais appréciée au regard des exigences des droits de l’homme, son usage, jadis courant, sera probablement à l’avenir limité à quelques hypothèses de situations sans issue : ainsi, l’Assemblée plénière de la Cour de Cassation a jugé « qu’obéit à d’impérieux motifs d’intérêt général l’intervention du législateur destinée à aménager les effets d’une jurisprudence nouvelle de nature à compromettre la pérennité du service public de la santé et de la protection sociale » (24 janv. 2003, AJDA 2003 p. 209). La jurisprudence du Conseil d’Etat autorisant désormais le juge administratif à moduler les effets d’une annulation contentieuse en fonction de considérations d’intérêt général (CE (Ass) 11 mai 2004, Association AC!, RFDA 2004 p. 454 concl. Devys) permet d’ailleurs de limiter les cas où une validation est nécessaire.

            – Tous les autres refus d’exécution s’avèrent fautifs. Ils sont le plus souvent le fait de certaines administrations décentralisées, mais les autorités de l’Etat, elles aussi, s’obstinent parfois à refuser d’exécuter les décisions avec lesquelles elles sont en désaccord.

            La sanction de cette mauvaise volonté peut consister en dommages-intérêts compensatoires, ou prendre d’autres formes. Ainsi, stigmatisant l’exécution par l’Etat d’une décision malgré sa suspension ordonnée par référé, le Conseil d’Etat a, à titre de mesure de rétorsion, prononcé un non lieu à statuer sur l’appel du ministre de l’Intérieur (CE 17 janvier 2007, Ministre de l’Intérieur, AJDA 2007 p. 484, concl. Olson: à propos de la tenue du « Teknival » sur l’aérodrome de Vannes réquisitionné par le préfet).

            En outre, toutes les juridictions administratives disposent désormais d’un pouvoir général d’injonction, assorti éventuellement d’astreintes, afin d’assurer l’exécution de leurs décisions.

            Enfin, en désespoir de cause, le justiciable pouvait toujours s’adresser au Médiateur de la République, qui après injonction à l’organisme défaillant de se conformer à la décision de justice, pouvait, en cas de nouveau refus, adresser un rapport spécial au Président de la République, publié au journal officiel (l’unique application de cette procédure a eu lieu en octobre 1994 (JO du 14 oct. 1994) à l’encontre d’un député-maire refusant d’exécuter un jugement de Tribunal administratif condamnant sa commune à payer un fonctionnaire détaché). Le nouveau Défenseur des droits aura-t-il lui aussi cette compétence?

B – Les procédures juridictionnelles

            Elles sont multiples, et certaines d’entre elles, telles les référés, mériteraient à elles seules une étude détaillée. On observera que la dualité des ordres de juridiction rend parfois nécessaire le recours aux procédures de conflit, aboutissant dans certaines matières à un partage peu convaincant du contentieux, dans des conditions déconcertantes pour les justiciables.

            Un bon exemple de cette complexité est fourni par le contentieux de la police. Ainsi, en matière d’interception opérée par les forces de police, on distingue, en fonction de leur but, les activités administratives, à finalité préventive, et les activités judiciaires à finalité répressive. En cas de « bavure «, donc, la victime devra s’adresser au juge administratif si le dommage a eu lieu dans le cadre d’une opération destinée simplement à prévenir les atteintes à l’ordre public (TC 26 mars 1990 Devossel, Rec. p. 392 : automobiliste blessé accidentellement par l’arme de service d’un policier lors d’un contrôle de routine; TC 18 juin 2007, Mme O., AJDA 2007 p. 1271 : suicide d’une personne en état d’ébriété placée en cellule de dégrisement), ou au juge judiciaire, si le dommage a eu lieu à l’occasion de la recherche d’une personne suspecte (TC. 15 janv. 1968 Tayeb, Rec. p. 791 : passant tué par un policier croyant avoir affaire à un délinquant).

            Même si la construction par les juridictions administratives de la théorie du recours pour excès de pouvoir a permis une avancée importante dans la protection des administrés à l’encontre de l’administration et si la réforme du référé a ouvert d’intéressantes perspectives de développement du contentieux administratif de l’urgence, ce sont actuellement les juridictions judiciaires qui sont considérées comme les meilleures garantes des libertés publiques.

             Cette vocation privilégiée résulte d’une longue tradition, amorcée par le Code d’Instruction Criminelle, reprise dans le code de procédure pénale (article 136 : « dans tous les cas d’atteinte à la liberté individuelle, les tribunaux judiciaires sont toujours exclusivement compétents… »), et confirmée par l’art. 66 de la constitution, puis par le Conseil constitutionnel. Les juridictions judiciaires semblent en effet statuer plus efficacement (notamment dans des délais plus courts) et témoigner d’une indulgence moindre à l’égard de l’administration. D’où l’intérêt de pouvoir y recourir dans certains cas où des libertés sont en jeu.

            Parmi les possibilités offertes aux justiciables, trois méritent d’être signalées, dont deux, surtout, sont particulièrement importantes.

  1. a) La théorie de la voie de fait

            Elle permet de confier au juge judiciaire les dossiers dans lesquels il apparaît que l’administration a adopté un comportement aberrant, justifiant qu’elle ne bénéficie plus de la protection que lui confère normalement le principe de séparation des autorités administratives et judiciaires.

            Il en va ainsi « dans la mesure où l’administration soit a procédé à l’exécution forcée, dans des conditions irrégulières, d’une décision, même régulière, portant une atteinte grave au droit de propriété ou à une liberté fondamentale soit a pris une décision ayant l’un ou l’autre de ces effets, à la condition, toutefois, que cette dernière décision soit elle-même manifestement insusceptible d’être rattachée à un pouvoir appartenant à l’autorité administrative » (T.C. 23 oct. 2000, Boussadar, D. 2001 p. 2332 concl. Sainte Rose).

            Cette définition caractérise la voie de fait par deux éléments essentiels:

            *Un acte matériel ou juridique manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration. Il doit s’agir d’une mesure arbitraire, distincte d’une simple illégalité, que ne peut justifier aucune compétence de l’administration, notamment lorsqu’elle procède à son exécution forcée. Ainsi, par exemple, pour la saisie des négatifs d’un photographe amoureux de la cathédrale de Chartres (CE (Ass) 18 nov.1949 Carlier RDP 1950 p.172 concl. Gazier, note Waline),  ou le murage des entrées d’un appartement (CE 11 mars 1998 Min. de l’Intérieur, JCP1998 IV p.1185).

            *Un acte portant atteinte à une liberté fondamentale ou au droit de propriété. Ainsi, sont des voies de fait certaines violations de la liberté de la presse (TC 1935 Action Française. GAJA), de la liberté d’aller et venir (TC 10 déc.1986 Eucat, RFDA 1987, p.53 concl. Latournerie; TC 19 nov. 2001, Melle Mohamed, D. 2002 p. 1446 concl. Bachelier : retrait ou rétention durant une durée excessive de passeports), du secret des correspondances postales (TC 10 déc. 1956 Randon, Rec. p.592) etc.

            En règle générale, les juridictions judiciaires, notamment inférieures, ont tendance à reconnaître assez extensivement l’existence d’une voie de fait. Cette tendance permet au juge judiciaire, lorsqu’il le croit utile, de s’affranchir de la règle de réparation, en retrouvant à l’égard de l’administration la plénitude de sa compétence : il peut constater lui-même l’existence de la voie de fait, indemniser le préjudice subi, et ordonner toutes mesures pour qu’il y soit mis fin, en adressant des injonctions à l’administration.

            La loi du 30 juin 2000, en étendant la possibilité de recourir au référé administratif en cas d’atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale (article L 521-2 CJA), a incontestablement entraîné une certaine  désaffection à l’égard de la voie de fait. Elle n’a cependant pas  abouti à sa disparition, puisque la compétence du juge administratif statuant dans le cadre de ce « référé-liberté » est limitée, selon le texte précité, aux cas d’atteinte portées par l’administration « dans l’exercice d’un de ses pouvoirs ». La mesure ainsi contestée est évidemment illégale, mais demeure un acte administratif (v. CE 12 janv. 2001, Mme Hyacinthe, AJDA 2001 p. 589 note Morri et Slama); en revanche, si l’administration est sortie de ses pouvoirs, elle a commis une voie de fait, qui relève toujours du juge judiciaire (v. p. ex. TC 19 nov. 2001, Melle Mohamed c/ Min. de l’Intérieur, RFDA 2002 p.427 : retrait et rétention sans justification d’un passeport).

  1. b) L’exception d’illégalité

            Cette procédure permet, à l’occasion d’une instance juridictionnelle, de contester la légalité d’un acte juridique susceptible d’en affecter le résultat.

            Elle est ouverte (sous certaines conditions) devant les juridictions administratives à l’encontre d’actes administratifs insusceptibles de recours.

            Elle est également ouverte devant les juridictions judiciaires, dans des conditions initialement prévues par le Tribunal des conflits dans sa jurisprudence Avranches et Demarest (5 juill. 1951, Rec. p. 638), et désormais consacrées par l’art.111.5 du Code pénal qui dispose : » les juridictions pénales sont compétentes pour interpréter les actes administratifs réglementaires ou individuels, et pour en apprécier la légalité lorsque, de cet examen, dépend la solution du procès pénal qui leur est soumis «.

            Le juge civil, lui aussi, s’est parfois reconnu certains pouvoirs d’appréciation de la légalité, notamment à l’occasion de l’examen d’une demande de prolongation de la rétention d’un étranger en instance de reconduite à la frontière, lorsque le contrôle administratif d’identité à l’origine de la procédure est contesté (Civ. 2ème 28 juin 1995 Préfet de la Région Midi Pyrénées c/Bechta, JCP 1995.II 22504 concl. Sainte Rose).

  1. c) Le recours pour faute personnelle

            En principe, l’appareil administratif agit au nom des personnes publiques qu’il représente, et ses agents ne peuvent être personnellement incriminés à raison de ses dysfonctionnements.

            Cette irresponsabilité personnelle peut cependant être source d’abus et d’arbitraire. Pour pallier ce risque, on a admis de longue date qu’il est possible dans certains cas, de mettre en cause les individus assurant le fonctionnement de l’administration, sur le fondement de leur faute personnelle, détachable du service (TC 30 juill. 1873 Pelletier, GAJA).

            La perspective de telles poursuites peut être dissuasive si la définition de la notion de faute personnelle permet d’incriminer les comportements volontairement fautifs. C’est le cas, puisque la jurisprudence considère qu’entrent principalement dans cette catégorie les fautes intentionnelles, malveillantes, commises avec l’intention de nuire (v par ex. Cass. Crim., 16 nov. 2004, D. 2005 p. 171 : un policier frappe un passant au visage avec une matraque dissimulée le long de son bras et lui brise plusieurs dents; Cass. Crim. 14 juin 2005, AJDA 2005 p. 1058, note Deffigier: deux policiers pénètrent dans la cellule d’une personne placée en garde à vue et la frappent;).

            Subsidiairement, peut aussi être considérée comme personnelle la faute commise sans intention de nuire à la victime, mais dépassant en gravité la large marge d’erreur – voire de bêtise – normalement admissible pour un agent moyennement avisé (par ex. CE 1er déc. 1999 Moine, JCP 2001.II. 10 508 note Piastra : lieutenant tuant un appelé du contingent lors d’un tir à balles réelles en dehors de tout exercice organisé par l’autorité supérieure; CE (Ass.) 12 avril 2002, Papon, RFDA 2002 p. 582 concl. Boissard : haut fonctionnaire du régime de Vichy faisant preuve d’un zèle excessif dans la déportation des juifs). Toutefois, généralement, en l’absence d’intention de nuire, les atteintes aux droits et libertés provoquées par ce second type de faute ne sont pas considérées comme fautes personnelles, même si elles sont le résultat d’une illégalité grave (v. TC. 8 avril 1935 Action française, GAJA : la saisie irrégulière d’un journal est une voie de fait, mais pas une faute personnelle).

Section II – Le recours à la justice internationale

            Il est pour l’instant impossible sur le plan mondial, le Comité des droits de l’homme de l’ONU ne constituant, au mieux, qu’une amorce de juridiction.

            En revanche, deux systèmes régionaux le prévoient : l’OEA, d’abord, avec une convention américaine relative aux droits de l’homme (1969), instituant une cour interaméricaine des droits de l’homme, de 7 juges, et surtout l’Europe.

            C’est le système de protection juridictionnelle européen que nous évoquerons, en nous limitant  à quelques indications rapides puisque ce thème sera développé dans un cours spécifique de master.

            – A –  Sur le plan européen, nous avons vu que l’Union européenne (l’Europe des 27) se préoccupe des droits de l’homme, et qu’ainsi, la Cour de Justice (CJCE) a eu l’occasion, à de nombreuses reprises, d’affirmer la soumission des normes communautaires au respect des droits et libertés fondamentales, puisque » le respect des droits fondamentaux fait partie intégrante des principes généraux du droit dont la Cour de justice assure le respect « (CJCE 17 déc. 1970 Internationale Handelsgesellschaft Rec. p.1125). Dans ces principes, sont intégrées les règles contenues dans la Convention européenne des droits de l’homme (CJCE 14 mai 1974 Nold).

            – B – Cependant, la protection des droits de l’homme n’est pas la vocation première du système communautaire et de sa Cour de Justice. Il existe en effet un système spécialisé, celui résultant de la Convention européenne des droits de l’homme, adoptée dans le cadre du Conseil de l’Europe. Il fait intervenir une Cour européenne des droits de l’homme, siégeant à Strasbourg, dont l’organisation et le fonctionnement, profondément modifiés par le protocole additionnel n° 11 à la Convention, entré en vigueur en novembre 1998, devraient être à nouveau réformés par le protocole n° 14 (ouvert à la signature en mai 2004, mais toujours pas entré en vigueur en 2008 par suite du refus de ratification de la Russie), avec pour objectif de mieux faire face à l’afflux des justiciables.

            La Cour comprend un juge par Etat signataire de la Convention, élu pour 6 ans par l’Assemblée du Conseil de l’Europe, qui doit choisir entre les trois candidats proposés par chaque Etat. Lorsque le protocole n° 14 entrera en vigueur, le mandat devrait être de 9 ans, et non renouvelable.

            Les requêtes peuvent être étatiques (très rares) ou individuelles (en progression constante : on est passé d’environ 5 000 par an dans les années 1990 à plus de 40 000 en 2007, et au 1er janvier 2008, plus de 103 850 étaient en instance). Elles doivent présenter un caractère subsidiaire, puisqu’elles ne sont recevables qu’après épuisement de toutes les voies de recours interne possibles (dans le délai de 6 mois suivant la dernière décision). Le protocole n° 14 prévoit notamment l’augmentation des cas d’irrecevabilité et l’allègement de la procédure de jugement des affaires les plus simples.

            Si la Cour est saisie, elle peut ordonner des mesures provisoires. L’affaire sera jugée au fond par une chambre de 7 juges, à moins qu’elle ne soulève une question délicate justifiant l’examen en formation plénière de 17 juges, la Grande Chambre. Le protocole n° 14 prévoit la possibilité de décision par un juge unique pour les cas les plus simples.

            La procédure est à la fois orale et écrite. Elle est également contradictoire et publique.

            La Cour rend des arrêts motivés, assortis, le cas échéant, des opinions dissidentes de certains juges. Les Etats signataires se sont engagés (article46) à s’y conformer. Toutefois, cet engagement n’implique pas une véritable autorité de chose jugée.

Aussi nos juridictions nationales ont-elles longtemps témoigné une certaine désinvolture à l’égard des nombreux (470  entre 1999 et 2008) arrêts de condamnation de la France. Cette attitude présentait de graves inconvénients pour les justiciables, notamment en matière pénale, c’est pourquoi la loi du 15 juin 2000 a ajouté au code de procédure pénale (article 626-1 à 7) un titre sur le « réexamen d’une décision pénale consécutif au prononcé d’un arrêt de la CEDH «.

Il n’existe cependant de possibilité équivalente ni pour le contentieux civil (Cass. Soc. 30 sept. 2005, JCP 2005 p. 2380, note Bonfils), ni pour le contentieux administratif (CE 11 fév. 2004, Mme Chevrol, RFDA 2005 p. 163, note Andriantsimbazovina).

Sur tous les autres plans, progressivement, les juridictions françaises s’alignent sur les interprétations de la Convention par la Cour EDH.

Chapitre II – Les moyens de protection non juridictionnelle des droits et libertés

 

            Ils n’aboutissent pas à la création directe d’une véritable règle de droit destinée à trancher un litige sur une violation des droits ou libertés.

            Certains procédés sont expressément prévus et organisés par les institutions elles-mêmes, d’autres sont mis en œuvre spontanément, quand le besoin s’en fait sentir.

SECTION I – LES AUTORITES SPECIALISEES

            Certaines d’entre elles peuvent intervenir au niveau supranational. Ainsi pour le Comité des droits de l’homme, déjà mentionné, institué par le pacte relatif aux droits civils et politiques dans le cadre de l’ONU. La France, par exemple, comme 101 autres Etats, a accepté par décret du 24 mai 1984, le protocole facultatif de soumission à ce Comité, qui peut être saisi par les particuliers. Mais l’efficacité réelle de la procédure est douteuse, puisqu’elle permet seulement d’adresser des « constatations « à l’Etat intéressé, en faisant des propositions de règlement.

            L’essentiel des moyens de protection réside donc dans le droit interne. Celui-ci est souvent dérivé d’une institution suédoise, l’ombudsman, qui a connu une certaine vogue, et a même inspiré le système français.

            1 – Le modèle suédois : l’ombudsman

            Il a été créé par la constitution de 1809, sous la dénomination de » Justitie ombudsman «. Elu pour 4 ans renouvelables par une Commission du Parlement, il bénéficie d’une totale indépendance.

            Il a pour mission de contrôler le respect des lois et règlements par l’administration et la justice, sur recours ouvert à tout citoyen, par plainte écrite, sans formalisme particulier.

            Si, après une enquête à laquelle les autorités concernées doivent prêter leur total concours, l’ombudsman estime la plainte justifiée, il peut adresser des observations aux fautifs, voire engager des poursuites. Cette dernière solution est rarement mise en œuvre : le plus souvent, les errements et dysfonctionnements sont simplement dénoncés dans un rapport annuel, largement diffusé : l’ombudsman, finalement, joue surtout un rôle de médiation, dont l’efficacité repose principalement sur son autorité personnelle et le soutien dont il bénéficie dans l’opinion publique.

            Compte tenu de son succès, l’institution a été démultipliée : ont été ainsi créés des ombudsmen spécialisés dans certains domaines : militaire (1915), concurrence (1954), presse (1969), consommateurs (1971), égalité homme-femme (1980), protection des homosexuels (1999).

            2 – La vogue de l’ombudsman

            Le modèle suédois est longtemps resté ignoré du reste du monde (sauf de la Finlande, où il a été institué en 1919, lors de l’indépendance). Mais à partir de 1950, il a connu un rayonnement spectaculaire et a été à l’origine de ce que certains auteurs ont qualifié de véritable «ombudsmanie «.

Sans doute ce phénomène d’imitation est-il tempéré de variantes, aussi bien sur la dénomination des institutions (« défenseur du peuple « en Espagne, « Commissaire parlementaire pour l’administration « en Grande Bretagne, ou « médiateur « , puis « défenseur des droits » en France, par exemple), que sur leur saisine, l’objet de leur contrôle ou leurs pouvoirs. Mais malgré leur diversité, elles présentent toutes certains points communs : une grande souplesse de fonctionnement, une certaine proximité, la disponibilité à l’égard des citoyens.

Bien qu’on ait longtemps pensé que ces caractères les adaptaient surtout à des cadres géographiquement restreints, l’Union Européenne les a prises pour modèle pour se doter d’un « médiateur » (article138.E ajouté au Traité de Rome),qui, dans son dernier rapport, indiquait avoir reçu 3760 plaintes et effectué 641 enquêtes en 2007.

            3 – Les adaptations françaises

            Elles s’inspirent plus ou moins directement des solutions étrangères, et confient à des institutions dites « autorités administratives indépendantes « des pouvoirs d’intervention susceptibles d’améliorer la protection des libertés publiques lorsqu’elles sont menacées ou violées. La principale de ces institutions est le Défenseur des droits.

A – Le Défenseur des droits

            Il a été récemment institué dans un titre XI bis ajouté à la constitution par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la République, en remplacement du Médiateur de la République, créé par la loi du 3 janvier 1973. Les détails de son statut et de ses fonctions seront réglés par une loi organique, qui reprendra probablement les grandes lignes des règles régissant l’ancien Médiateur.

            Il est chargé de veiller « au respect des droits et libertés par les administrations de l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, ainsi que par tout organisme investi d’une mission de service public » (article 71-1 nouveau de la Constitution), en se saisissant d’office ou sur demande de toute personne s’estimant lésée.

Il est nommé pour un mandat unique de 6 ans par décret du président de la République pris après avis public de chacune des deux Assemblées.

            Dans l’attente de l’adoption de la loi organique, on peut présumer que la nouvelle institution présentera de grandes similitudes avec le Médiateur, dont la discrétion n’empêchait pas l’efficacité. Celui-ci, saisi annuellement de plusieurs dizaines de milliers de demandes (36 163  en 2007), obtenait assez souvent (dans environ 86 % des cas) le règlement d’affaires pour lesquelles le recours à la justice s’avère vain. Ce rôle d’intermédiaire entre les pouvoirs publics et les citoyens apparaissait clairement à l’analyse des cas significatifs évoqués dans ses Rapports annuels au Président de la République et au Parlement, publiés par les Journaux Officiels.

            B – Les autres autorités administratives indépendantes

            Nombre d’entre elles (telles l’Autorité des marchés financiers, la Commission bancaire, ou le CSA), ont avant tout pour mission de poser les règles régissant leur domaine de compétence, au besoin en recourant à la sanction. Elles interviennent donc comme des autorités classiques, et n’ont pas pour mission principale de protéger les libertés publiques.

            Pourtant, quelques unes d’entre elles méritent d’être mentionnées

La CNIL

            La Commission Nationale de l’Informatique et des libertés, a été le premier exemple de l’utilisation, par le législateur des termes «autorité administrative indépendante «. Elle a été instituée par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux liberté, depuis plusieurs fois modifiée.

La CNIL est composée de 17 membres désignés pour 5 ans par les plus hautes instances de l’Etat. Elle est chargée d’une mission générale de garantie et de contrôle du respect des libertés publiques dans l’utilisation des traitements informatisés contenant des données personnelles, pour laquelle elle dispose du  pouvoir réglementaire, sous le contrôle du Conseil d’Etat (CE (Ass.) 12 mars 1982 CGT, AJDA 1982 p.541 concl. Dondoux).

            Alors que dans sa version initiale, la loi du 6 janvier 1978 lui donnait une compétence d’intervention préalable dans la mise en œuvre de l’ensemble des traitements d’informations nominatives,  leur développement ne lui permettait plus de faire face dans de bonnes conditions à cette mission. Aussi,  la loi du 6 août 2004, tout en maintenant la nécessité de son autorisation pour le fichage de quelques données personnelles considérées comme présentant les risques les plus graves d’atteinte aux libertés (p. ex. celles relatives aux caractéristiques génétiques d’un individu ou à ses infractions et condamnations), lui a donné un simple rôle consultatif à l’égard de la plupart des autres, par exemple celles intéressant « la sûreté de l’Etat, la défense ou la sécurité publique » ou ayant « pour objet la prévention, la recherche, la constatation ou la poursuite des infractions pénales ou l’exécution des condamnations pénales ou des mesures de sûreté » (article 26 nouveau). Ainsi, elle n’a pu qu’émettre un avis réservé sur la création par un décret du 27 juin 2008 du fichier dit EDVIGE centralisant toutes les informations personnelles, même à caractère ethnique ou sexuel, jugées utiles aux services de renseignement gouvernementaux.

            Les autres traitements informatisés comportant des données personnelles doivent seulement être déclarés à la CNIL, sauf si leur responsable a  « désigné un correspondant à la protection des données à caractère personnel chargé d’assurer, d’une manière indépendante, le respect des obligations prévues dans la (…) loi » (article 22 III loi 1978).

            Si la loi du 6 août 2004 a restreint l’intervention a priori de la CNIL, elle a sensiblement accru ses pouvoirs de contrôle a posteriori : ainsi, elle peut non seulement recevoir des réclamations, pétitions, plaintes, lancer des missions de contrôle, ou saisir le Parquet des infractions dont elle a connaissance, mais également prononcer elle-même des sanctions pécuniaires pouvant aller jusqu’à 300 000 €. Compte tenu de ce nouveau pouvoir, le Conseil d’Etat la considère désormais comme un « tribunal » relevant de l’article 6-1 de la Convention (CE, ord. de référé. du 19 février 2008, Société Profil France).

Le Défenseur des enfants, «autorité indépendante« instituée sur le modèle du Médiateur par la loi du 6 mars 2000.

La Commission nationale de déontologie de sécurité (loi du 6 juin 2000), composée de 14 membres,  «autorité administrative indépendante, chargée de veiller au respect de la déontologie par les personnes exerçant des activités de sécurité sur le territoire de la République ». Elle a rendu jusqu’à présent sept intéressants rapports annuels accessibles sur son site internet.

La Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (HALDE) (loi du 30 décembre 2004), elle aussi autorité administrative indépendante, «compétente pour connaître de toutes les discriminations, directes ou indirectes, prohibées par la loi ou par un engagement international auquel la France est partie »(article 1er) sur saisine de toute personne s’en estimant victime.

 

Le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, créé par la loi du 30 octobre 2007, autorité indépendante chargée du contrôle de tous les lieux où des personnes peuvent être retenues contre leur gré.

Au vu des premières années de fonctionnement de ces nouvelles institutions, il apparaît qu’elles peuvent elles aussi jouer un rôle essentiel dans la protection des droits et libertés.

De même, il est possible qu’à l’avenir, s’accroisse l’importance de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, composée de personnalités qualifiées et de représentants de certaines instances de l’Etat, et chargée « en toute indépendance » d’une mission de conseil et de proposition sur toutes les questions de portée générale concernant les droits de l’homme ou l’action humanitaire, dont le rôle, jusque là discret, a été relancé par une loi du 5 mars 2007. 

SECTION II – LES RÉACTIONS SPONTANÉES

            Dans une large mesure, elles témoignent de l’échec, ou au moins de l’insuffisance, des structures mises en place. Elles peuvent parfois s’avérer décisives là où le recours au droit a été sans effet. Le plus souvent, elles se présentent sous une forme collective. Mais elles peuvent aussi, plus rarement, être isolées.

 

            1 – Les démarches collectives

            On en évoquera succinctement trois catégories

            A – Un procédé ambigu : la résistance à l’oppression

            Ce procédé a donné lieu, au Moyen Age et sous l’Ancien Régime, à des controverses entre théologiens et auteurs politiques. Généralement, on s’accordait à le considérer comme légitime pour sanctionner la rupture du contrat social par les gouvernants : ainsi pouvait être justifié le régicide, lorsqu’il était susceptible d’être qualifié de tyrannicide.

            Il a été consacré par le droit révolutionnaire, puisque la Déclaration française de 1789 en fait (article2) un des quatre droits naturels et imprescriptibles de l’homme, avec la liberté, la propriété et la sûreté.

            La Déclaration Universelle de l’ONU de 1948, dans l’al. 3 de son préambule en fait un » ultime recours « contre la tyrannie et l’oppression.

            Mais au delà de ces affirmations solennelles, la mise en œuvre de ce droit théoriquement incontestable soulève de nombreux problèmes d’application concrète, qu’il est possible de regrouper, pour simplifier, en trois séries de questions.

  1. a) La définition de l’oppression

            Il est difficile de déterminer avec précision à partir de quel degré de contrainte il y a oppression. Ainsi, par exemple, pour Rousseau, la dictature démocratique de la majorité ne peut être oppressive, puisque la minorité doit être convaincue qu’elle s’est méprise sur le sens de l’intérêt général. Mais en réalité, l’appréciation est exclusivement subjective : c’est le refus de la domination qui, pour l’opposant, crée le sentiment d’oppression.

            Si bien que le droit de résister à l’oppression a été ou est invoqué avec une conviction identique, à l’appui de causes aussi hétérogènes que celles défendues par la Résistance (contre l’occupant et le régime de Vichy), les terroristes d’«Action Directe« (contre la société capitaliste), les autonomistes corses, les adversaires de l’IVG, les opposants aux OGM, etc.

  1. b) Les moyens de résistance

            La rébellion peut se traduire par l’emploi d’un large éventail de procédés allant de la violence insurrectionnelle ou du terrorisme révolutionnaire à la résistance passive.

            Dans les sociétés démocratiques, elle prend souvent les formes plus classiques de la manifestation, ou de la désobéissance.

* Bien que le Conseil Constitutionnel rattache les manifestations au « droit d’expression collective des idées et des opinions « (décision du 18.1.1995, JCP 1995.II.22525), auquel il reconnaît valeur constitutionnelle, elles ne sont pas totalement libres, puisque soumises à l’exigence d’une déclaration préalable par le décret-loi du 23 oct. 1935. Il convient d’observer qu’en outre, les dernières lois relatives à la sécurité ont prévu des restrictions destinées à éviter que les manifestations ne dégénèrent en insurrection violente, par exemple l’interdiction possible du port de toute arme par destination ou la peine complémentaire d’interdiction de manifester pour certains manifestants déjà condamnés pour violences ou destructions.

            * La désobéissance peut elle-même prendre des formes variées, passives telle celle de la grève de l’impôt par les contribuables mécontents, ou actives telles la destruction de cultures expérimentales par les « faucheurs d’OGM » ou l’invasion des blocs opératoires par les adversaires de l’avortement.

 Toutefois, le caractère protestataire du refus d’exécuter des obligations légales, ou des infractions se réclamant de l’« état de nécessité » n’est généralement pas admis comme cause d’exonération. Ainsi, l’argument, invoqué pour la défense des « commandos anti IVG », a été rejeté par la Cour de cassation (Crim. 31 janvier 1996, X et autres, D.196.IR p. 64). De même, si certaines juridictions inférieures ont relaxé des « faucheurs volontaires » au nom de l’état de nécessité (voir not. le jugement du Tribunal correctionnel d’Orléans du 9 déc. 2005, analysé par M. Feldman au D. 2006 p. 814, la Cour de Cassation a jugé que leur action n’en relève pas (Cass. Crim. 7 février 2007, D. 2007 p. 573, note Darsonville).

La possibilité de désobéir est en revanche abordée avec davantage de nuances lorsqu’elle concerne des agents placés sous le commandement d’autorités leur ordonnant l’exécution d’actes attentatoires aux droits et libertés.

            Les solutions de la jurisprudence et des textes s’accordent en effet pour reconnaître que le devoir d’obéissance des agents de la puissance publique s’efface devant l’ordre manifestement illégal. Ainsi, par exemple, si l’art. 122-4 al 2 du Code pénal prévoit l’excuse absolutoire dite du commandement de l’autorité légitime, il l’exclut expressément pour l’exécution d’un acte « manifestement illégal ». Ces textes s’inspirent d’une construction du droit pénal, connue sous la dénomination imagée de » théorie des baïonnettes intelligentes «, selon laquelle l’agent à qui a été donné l’ordre d’attenter illégalement à une liberté a non seulement le droit mais même le devoir de désobéir, sous peine d’engager sa propre responsabilité.

            Ainsi, l’excuse des ordres donnés et de la pression des autorités d’occupation n’a pas été retenue par la Cour d’assises de la Gironde lorsque le 2 avril 1998 elle a condamné Maurice Papon pour complicité de crime contre l’humanité à raison de sa participation zélée à la déportation des juifs. De même, la Chambre criminelle de la Cour de Cassation a refusé le bénéfice du commandement de l’autorité légitime au colonel de gendarmerie ayant exécuté l’ordre donné par le Préfet de la Corse de détruire la paillotte « Chez Francis » illégalement construite sur le littoral (Cass. crim. 13 oct. 2004, Bull. crim. 2004, n° 203, p. 885).

En revanche, puisque selon l’art. L 124 al. 1 du Code pénal «n’est pas pénalement responsable la personne qui accomplit un acte prescrit ou autorisé par des dispositions législatives ou réglementaires », les agents publics ne peuvent être incriminés à raison de la stricte application de la loi.

Cette immunité n’est pas nouvelle. Déjà sous le régime de Vichy, le Conseil d’Etat, comme d’ailleurs la plupart des tribunaux judiciaires, a pu sans que ses membres soient pour autant inquiétés à la Libération, appliquer avec une diligence imperturbable la législation antisémite, en faisant apparaître en 1942 la rubrique « Juif « au Recueil Lebon, et en procédant sans concession à la qualification juridique des juifs avec la même rigueur intellectuelle que pour les perspectives monumentales ou toutes les autres questions techniques du droit administratif (v. p. ex. CE 24 avril 1942, Bloch Favier. Rec.p.135 ; CE (S) 24 juill.1942 Dame Jonathan Gros, Rec. p. 229).

Corrélativement, puisqu’il ne peut y avoir de responsabilité pénale à exécuter des tâches légales, les agents dont elles heurtent les convictions ne peuvent normalement pas se retrancher derrière le droit de résistance à l’oppression pour refuser de les accomplir, à moins qu’une clause dite de conscience ne leur soit expressément reconnue. Ainsi par exemple un policier commet une faute professionnelle en refusant de participer à l’expulsion d’un étranger dans des conditions qu’il réprouve, alors que le médecin d’un service de gynécologie peut légalement refuser de pratiquer des IVG, puisque le Code de la santé publique le prévoit.

  1. c) L’appréciation de la légalité de l’usage du droit de résistance

            Elle est étroitement liée à la reconnaissance par le droit positif du caractère illégitime de la domination ayant fait l’objet de la contestation. Cette consécration a posteriori dépend de circonstances purement factuelles. Ainsi, après la Libération, l’ordonnance du 9 août 1944 relative au rétablissement de la légalité républicaine a excusé en ces termes les actions de la Résistance: « sont déclarés légitimes tous actes accomplis postérieurement au 10 juin 1940 dans le but de servir la cause de la libération de la France, quand bien même ils auraient constitué des infractions au regard de la législation appliquée à l’époque«.

Puisque la légalité de l’usage du droit de résister à l’oppression fluctue au gré des circonstances, le résultat du mouvement de contestation est donc surtout analysé en fonction de présupposés extra-juridiques. En effet, en cas d’échec, le triomphe du pouvoir en place, s’il est dictatorial, peut ne pas être interprété comme consacrant nécessairement la victoire de la démocratie sur une simple sédition. A l’inverse, le succès d’un mouvement insurrectionnel ne consacre pas pour autant le caractère oppressif du régime précédent: des coups d’Etat réactionnaires peuvent renverser des systèmes jugés démocratiques, comme ce fut le cas, par exemple, au Chili en 1973.

            B – Un procédé classique en déclin : la pétition

            Il témoigne d’un réflexe naturel : le recours au souverain. Largement utilisé au temps des assemblées révolutionnaires, devant lesquelles les délégations se succédaient, il constituait à l’époque un moyen de pression efficace.

            Sous les Chartes, les rapports sur les pétitions déposées devant les Chambres ont été l’occasion d’émettre des votes d’approbation ou de désapprobation de la politique des ministres concernés, et ont contribué à l’établissement du régime parlementaire.

            Aujourd’hui, même si elle est toujours prévue par les règlements des deux assemblées, la technique de la pétition est en déclin, remplacée par des moyens de pression plus efficaces, tels le lobbying. En revanche, elle a connu un regain d’intérêt à des niveaux plus subalternes. Ainsi, souvent, elle est utilisée pour dénoncer certaines situations ou demander certains changements sur le plan local, voire dans des relations purement privées (pétition au Maire pour obtenir un aménagement d’intérêt collectif, pétition contre l’occupant gênant d’un logement, etc.).

            De la pétition peut être rapproché le manifeste, déclaration publique, généralement à caractère protestataire ou revendicatif, faite par des personnes dont la notoriété est susceptible d’exercer une influence (ou du moins qui le pensent).

C – La pression des organisations non gouvernementales

            Le rôle des ONG comme relais des institutions publiques est en développement. Elles ont généralement une vocation internationale, reconnue par les Etats (actuellement, environ 2000  d’entre elles sont accréditées auprès de l’ONU).

            Leur mission est généralement spécialisée, par exemple dans l’action humanitaire (Comité International de la Croix Rouge, Médecins Sans Frontières…), ou dans la défense de certains droits ou libertés (environnement : Greenpeace; libertés politiques : Amnesty International…). En combinant interventions sur le terrain et pressions multiples auprès des instances nationales et internationales (certaines ont parfois un statut consultatif auprès d’organisations internationales), elles obtiennent souvent des résultats appréciables. C’est le cas, en particulier, pour Amnesty International, dont le rapport annuel, largement diffusé, peut contribuer efficacement à la protection, et même à la libération, de nombreux prisonniers politiques.

            Bien que son action soit plus discrète, la Commission internationale des juristes, créée à Berlin en 1952, avec pour mission de faire progresser dans le monde la primauté du droit, peut aussi jouer un rôle efficace, compte tenu notamment de ses relations privilégiées avec les organisations satellites de l’ONU (elle siège à Genève).

            2 – Les démarches isolées

            Elles sont généralement moins efficaces, à moins qu’elles ne soient accompagnées d’une forte publicité médiatique.

            Selon le cas, elles peuvent avoir la portée d’une simple protestation, à valeur symbolique plus ou moins forte (par exemple, le monde a conservé le souvenir de l’étudiant Jan Palach s’immolant par le feu devant les chars du Pacte de Varsovie envahissant la Tchécoslovaquie en 1968), ou d’une sorte de chantage, pour obtenir un avantage considéré comme un droit. C’est pourquoi il est parfois difficile d’apprécier la légitimité de la revendication, le plus habile à communiquer n’étant pas nécessairement le plus digne d’intérêt.

            Il est à noter que certains moyens de protestation individuelle, tels la grève de la faim, soulèvent d’importantes questions se rattachant aux libertés individuelles et collectives : le respect de la volonté d’un individu peut-il aller jusqu’à le laisser se suicider lentement? N’y a-t-il pas un devoir d’intervention du corps médical ? Une société démocratique peut-elle céder à ce genre de pression ? A cet égard, la large publicité faite à certaines actions telles celles des étrangers dits « sans papiers « a pu nourrir de multiples réflexions.

TITRE III – L’AMENAGEMENT DES DROITS ET LIBERTES

Aménager les droits et libertés, c’est prendre les mesures permettant leur exercice, c’est à dire d’une part les protéger contre les dangers qui les menacent, et d’autre part éviter qu’ils n’aboutissent à remettre en cause les fondements du système social.

            En effet, leur proclamation, au-delà de sa valeur symbolique, a surtout pour fonction de leur conférer un statut dans la société.

            Ainsi, quelles qu’elles soient, le conflit entre leur exercice individuel et les nécessités de l’ordre social se résout toujours au profit de celui-ci (chap. I). Mais les conditions dans lesquelles ce conflit est traité varient selon les circonstances, si bien que les solutions adoptées sont assez hétérogènes (chap. II).

Chapitre I – La prééminence de l’ordre social

            Elle apparaît clairement à la lecture de l’art. 4 de la Déclaration de 1789 : « la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui : ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi «.

            De ce texte, se dégagent deux idées essentielles : la liberté n’est pas illimitée, même si elle procède d’un droit naturel, car l’intérêt de tous exige qu’elle soit encadrée ; cet encadrement résulte de la loi.

            L’application de ces principes donne à l’ensemble des pouvoirs publics un rôle essentiel en matière de libertés publiques.

            Ils peuvent considérer que certaines activités doivent demeurer totalement libres, et, donc, échapper à l’emprise du droit. Il leur suffit alors de s’abstenir de toute intervention.

            Le plus souvent, cependant, compte tenu de la multiplication des interactions sociales, ils sont conduits à intervenir, de leur propre initiative ou à la demande de leurs administrés : paradoxalement, l’individualisme croissant engendre souvent une intolérance vis à vis des comportements d’autrui et, donc, l’exigence d’un surcroît de réglementations restrictives.

            La conciliation entre la proclamation générale des libertés et les sujétions qu’implique leur exercice concret revient d’abord au législateur (Sect. I). Mais ce rôle est partagé avec certaines autorités administratives qui disposent d’un pouvoir de police (Sect. II). En toute hypothèse, les situations de crise ou de circonstances exceptionnelles justifient l’application d’un régime exorbitant (Sect. III).

SECTION I – L’ORGANISATION DES DROITS ET LIBERTES PAR LA LOI

            Par tradition, on a longtemps considéré la loi comme la seule norme pouvant intervenir de manière incontestable sur les libertés publiques (1). Désormais celle-ci est remise en question par les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité (2).

            1 –  Le rôle traditionnel de la loi

            Pour les constituants de la Révolution, »la loi est l’expression de la volonté générale » (article 6 de la Déclaration de 1789). Elle bénéficie ainsi d’une présomption irréfragable de légitimité, dont témoigne par exemple l’art. 4 de la Déclaration montagnarde de 1793 selon lequel : « la loi est l’expression libre et solennelle de la volonté générale ; elle est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse ; elle ne peut ordonner que ce qui est juste et utile à la société ; elle ne peut défendre que ce qui lui est nuisible «.

            A l’égard des libertés, la loi se voit assigner une double fonction.

D’une part elle les garantit contre les empiétements de l’exécutif. D’autre part, elle est seule habilitée à protéger l’ordre social contre leurs déviations et leurs abus, comme l’indique l’art. 4 de la Déclaration de 1789.

             Afin de préserver cette vocation privilégiée, la constitution de 1958 intègre les libertés publiques dans les matières réservées à la loi par l’art. 34.

            Il faut toutefois noter qu’en dépit de l’affirmation d’une compétence de principe au profit du législateur, le pouvoir réglementaire s’est progressivement vu reconnaître lui aussi une faculté d’intervention sur les libertés publiques, ou bien de manière autonome (v. CE 1919 Labonne, GAJA, à propos du premier Code de la Route restreignant la liberté de circulation; CE, 19 mars 2007, Mme Le Gac et autres, RFDA 2007 p. 770, concl. Derepas : à propos de l’interdiction de fumer dans les lieux publics), ou bien sur habilitation législative. Actuellement, en matière de libertés publiques, l’art. 34 de la Constitution ne réserve d’ailleurs à la loi que les seules garanties fondamentales.

            La loi n’a donc plus une compétence exclusive. Elle n’a plus, non plus, un caractère incontestable. On peut même constater qu’en matière de libertés publiques, elle fait l’objet d’une surveillance particulière, du moins en théorie.

            2 – Le développement des possibilités de contrôle sur les lois régissant les libertés

Initialement sacralisé parce que présumé légitime, le contenu des lois voté par le législateur peut aujourd’hui être remis en cause par les contrôles de constitutionnalité et de conventionnalité. Nous verrons par la suite que la portée de ce dernier s’est sensiblement accrue ces dernières années en matière de libertés fondamentales compte tenu notamment de la place prise par la Convention EDH dans notre ordre juridique.

Pour l’instant, même si le Conseil d’Etat a récemment accepté de constater l’abrogation implicite d’une loi contraire à une règle constitutionnelle postérieure (CE, Ass., 16 décembre 2005, Ministre du travail, du travail et de la solidarité et syndicat national des huissiers de justice, RFDA 2006 p. 41, concl. Stahl), le contrôle de constitutionnalité reste l’exclusivité du Conseil Constitutionnel. Cette institution manifeste notamment sa tendance à privilégier les libertés publiques par quatre exigences, restreignant les pouvoirs du législateur.

            * Il ne peut, sous prétexte de réglementer l’exercice de la liberté, adopter des mesures aboutissant en réalité à en supprimer l’existence même. En somme, il peut prévoir les modalités de sa mise en œuvre, mais sans la remettre en cause. La décision du 13 août 1993 relative à la loi sur l’immigration (JCP 1993.III 66372) offre plusieurs illustrations de cette démarche : elle a censuré par exemple la loi en ce qu’elle autorisait le procureur de la République à surseoir à la célébration d’un mariage mixte, lorsqu’il existait des soupçons sur la réalité ou la sincérité du consentement ( » mariage blanc «): « en subordonnant la célébration du mariage à de telles conditions préalables, ces dispositions méconnaissent le principe de la liberté du mariage «.

            * Il doit, s’il intervient, adopter des règles suffisantes pour garantir la liberté en question (sinon, il méconnaît sa compétence au regard de l’art. 34 de la constitution). Ainsi, par exemple, le Conseil a censuré la loi relative à la liberté de communication audiovisuelle pour insuffisance des règles relatives au contrôle des concentrations : il pouvait en résulter une atteinte au pluralisme en matière de communication, qui est un principe constitutionnel garant des libertés publiques (décis. 18 sept. 1986, AJDA 1987 p. 102 note Wachsmann).

            * Il doit, s’il abroge une loi établissant des garanties conformes aux exigences constitutionnelles, en prévoir de nouvelles, au moins équivalentes (jurisprudence dite parfois de « l’effet cliquet » (v. p. ex. décis. 20 janv. 1984, AJDA 1984 p. 161 note Boulouis : la loi d’orientation sur l’enseignement supérieur de 1984 abrogeait celle de 1968, mais ne remplaçait pas les garanties qu’elle assurait aux enseignants-chercheurs ; elle a été jugée sur ce point inconstitutionnelle).

            * Pour les libertés considérées comme fondamentales, celles dont l’exercice garantit le respect d’autres droits et libertés (p.ex. la liberté de la presse), la loi ne peut poser n’importe quelle limite, mais doit en réglementer l’exercice « en vue de le rendre plus effectif, ou de le concilier avec celui d’autres règles ou principes de valeur constitutionnelle «.

L’opération de conciliation doit faire prévaloir la protection de la liberté fondamentale sur les autres règles constitutionnelles, qui s’avèrent donc subsidiaires (v. par ex. la décis. 29 juill. 1994 JCP 1994.III 66980 : la loi du 4 août 1994, dite « loi Toubon «, relative à la protection de la langue française réduisait à l’excès la liberté d’expression en tentant de concilier  à la fois l’art. 2 de la constitution, selon lequel » la langue de la République est le Français «, et l’art. 11 de la Déclaration de 1789, sur la libre communication des pensées et des opinions, qui proclame la liberté de parler, écrire et imprimer).

            Désacralisée, la loi fait donc l’objet d’un contrôle s’apparentant à celui effectué sur les actes administratifs.         

SECTION II – LA POLICE ADMINISTRATIVE

Dans les espaces de liberté subsistant encore après les interventions législatives, il est admis de longue date que l’exécutif et l’appareil qui en dépend, l’administration, disposent eux aussi, au titre du pouvoir général d’exécution des lois, de la mission de maintenir l’ordre public, dans le cadre d’une activité appelée police administrative. Pour le Tribunal des Conflits, par exemple, « la mission des services de police, au titre de leur activité de police administrative, consiste à assurer la sécurité des personnes et des biens et la préservation de l’ordre public » (TC 12 déc. 2005, Préfet de la région Champagne-Ardennes, AJDA 2006 p. 60).     

Il ne s’agit pas d’une simple faculté, mais d’une obligation. Y manquer est donc illégal (v. p. ex. CE (S) 1er juillet 2005, Abgrall et autres, RFDA 2006 p. 332, concl. de Silva: illégalité de l’homologation d’un circuit de vitesse automobile prenant seulement en compte l’impératif de sécurité, mais non celui de la tranquillité publique), et engage la responsabilité de l’administration lorsque sa carence cause un préjudice (CE 20 déc. 2000, Compagnie d’assurances Zurich International, Rec. p. 632: insuffisance des mesures prises par un maire pour réglementer la circulation et le stationnement des nomades dans sa commune).

Toutefois, pour le Conseil d’Etat « si l’autorité administrative a pour obligation d’assurer la sécurité publique, la méconnaissance de cette obligation ne constitue pas par elle-même une atteinte grave à une liberté fondamentale » justifiant le recours au référé-liberté (CE (ord.) 20 juill. 2001, Commune de Mandelieu-la-Napoule, RFDA 2001 p. 1138).

            1 – Etendue

            Les pouvoirs de l’administration en vue du maintien de l’ordre public, dits pouvoirs de police, générale ou spéciale, autorisent la recherche d’objectifs variés, en fonction de la compétence de l’autorité en cause, par exemple :

tranquillité : v. p.ex. Crim.14 janv.1968 Zaegel, D.1968 p.549 : légalité d’un arrêté prescrivant aux propriétaires     de chiens de limiter les nuisances causées par leurs aboiements.

            agrément de la circulation des piétons : v. p. ex. CE (S) 8 déc.1972 Ville de Dieppe, Rec. p.794 : légalité de l’interdiction de la circulation automobile dans une rue commerçante.

            moralité. v. p.ex. CE 30 sept.1960 Jauffret, RDP 1961 p.828 note Waline : légalité de la fermeture d’une « maison meublée «  devenue en réalité un lieu de débauche.

            sécurité. v. p.ex. CE 22 janv.1982 Association Auto Défense, D.1982 p.494 note Pacteau : légalité de l’arrêté prescrivant le port obligatoire de la ceinture de sécurité dans les véhicules automobiles.

            – santé. v. p. ex. CE, 19 mars 2007, Mme le Gac et autres, précité :l’interdiction de fumer dans les lieux publics est justifiée « par les nécessités de l’ordre public, au nombre desquelles figure l’impératif de santé publique ».

            Le Conseil d’Etat a même dégagé une nouvelle composante de l’ordre public à propos de l’affaire des interdictions du « lancer de nains «, en décidant « que le respect de la dignité de la personne humaine est une des composantes de l’ordre public« (CE (Ass.) 27 octobre 1995, Commune de Morsang-sur-Orge, JCP 1996.II 22630 note Hamon : confirmation de la légalité des interdictions).

            2 – Contrôle

            Les interventions du pouvoir de police ne seront légales que sous deux conditions : s’il y a réellement matière à intervention, c’est-à-dire si elle est nécessaire d’une part, et si elle est adaptée aux risques de troubles qu’elle est destinée à éviter d’autre part.

            * Nécessité de la mesure : sa légalité est subordonnée à l’existence de risques suffisants d’atteinte à l’ordre public. Le juge, lorsqu’il est saisi, doit donc, après l’administration, procéder à la qualification juridique des faits pour vérifier s’ils justifiaient ou non une restriction  (v .p. ex. CE 1909 Abbé Olivier GAJA : à Sens, à l’époque, aucune nécessité d’ordre public ne justifiait l’interdiction faite au clergé d’accompagner les convois funéraires; CE ord. réf. 19 août 2002, Front National, AJDA 2002 p. 665: la tenue de l‘université d’été du Front National à Annecy ne créait pas de risque de troubles justifiant son interdiction).

            *Adaptation de la mesure : c’est une condition de sa légalité frisant l’opportunité : elle doit être adaptée aux troubles qu’elle est destinée à éviter, en vertu du principe selon lequel la liberté est la règle, alors que la mesure de police n’est que l’exception.

            Ainsi, le juge administratif témoigne d’une hostilité de principe à l’égard de toutes les interdictions à caractère général et absolu, qu’il considère souvent comme des solutions de facilité face à des risques de troubles pouvant être évités grâce à des mesures moins restrictives (v. p.ex. CE 12 nov. 1997 Ministre de l’Intérieur, RFDA 1998 p.191 : illégalité de l’interdiction de toute manifestation de la communauté tibétaine lors de la visite en France du président chinois ).

            Cette sévérité n’exclut cependant pas totalement les interdictions, même générales, lorsque l’administration réussit à démontrer que les circonstances l’exigent (v. CE 13 mars 1968 Epoux Leroy, Rec.p.178 : l’interdiction générale des photographes filmeurs sur la digue d’accès au Mont Saint Michel est légale, compte tenu des difficultés de circulation, auxquelles il n’était pas «possible de remédier par une mesure moins contraignante«).

            Il importe de noter qu’en règle générale, la sévérité du contrôle du juge varie selon l’intérêt de l’activité en cause, et le degré de protection dont il semble opportun de la faire bénéficier. Les restrictions à une activité considérée comme particulièrement digne de protection parce qu’elle constitue une liberté fondamentale seront appréciées de manière critique, le juge recherchant s’il n’y avait vraiment pas moyen de prendre une mesure moins restrictive (v. p. ex. CE 1933 Benjamin, GAJA : illégalité de l’interdiction d’une réunion publique destinée à éviter des risques de troubles).

            En revanche, les restrictions à des activités certes autorisées, mais moins privilégiées, sont contrôlées avec plus d’indulgence. C’est le cas, en particulier, comme on le verra dans la seconde partie, pour la réglementation du stationnement et de la circulation des véhicules automobiles, qui ne sont pas des libertés publiques, et ne s’exercent qu’en vertu d’une simple tolérance.

            Aux limites imposées à la police par le droit interne, tendent à s’ajouter, à un rythme s’accélérant ces derniers temps, celles résultant de l’application de la Convention EDH par la Cour. Ainsi, celle-ci a-t-elle considéré que le régime de police spéciale établissant un contrôle renforcé sur les publications étrangères, prévu par l’art. 14 de la loi du 29 juill. 1881 sur la presse, était contraire à l’art. 10 de la Convention, car non « nécessaire dans une société démocratique »(CEDH 17 juill. 2001, Assoc. Ekin : à propos de l’interdiction d’un ouvrage sur l’autonomisme basque).

SECTION III – ETAT DE CRISE ET CIRCONSTANCES EXCEPTIONNELLES

 

            L’expérience a montré que dans un contexte de crise, les droits et libertés s’effacent toujours devant la pression des faits, jusqu’au retour à une situation normale.

            Généralement, cet effacement bénéficie aux autorités de l’exécutif, présentées comme les plus aptes à prendre les mesures permettant de faire face à la situation. Les sources de ces pouvoirs spéciaux découlent, selon le cas, de la jurisprudence ou des textes.

            1 – Les sources  jurisprudentielle: la théorie des circonstances exceptionnelles

            A l’occasion de son contrôle sur l’administration, la juridiction administrative a admis empiriquement la possibilité d’une sorte de légalité de crise fondée sur l’existence de circonstances exceptionnelles.

            La définition des circonstances exceptionnelles est floue : il s’agit d’événements, d’origine naturelle ou non, plaçant l’administration dans un contexte particulier qui l’oblige à agir en marge des règles normales de la légalité, pour assurer ou bien l’ordre public et la sécurité (CE 1919 Dames Dol et Laurent, GAJA), ou bien la continuité des services publics (CE 1918 Heyries, GAJA)).

            Lorsqu’elles sont reconnues, les circonstances exceptionnelles augmentent la tolérance dont bénéficie l’administration lors du contrôle du juge, en réduisant généralement ce contrôle d’un degré. Il en découle, schématiquement, deux types de conséquences :

            *L’acte administratif normalement illégal ne l’est plus. Ainsi, en période de guerre, pour la suspension de la communication du dossier des fonctionnaires (CE Heyries précité), ou de la liberté d’aller et de venir (CE Dames Dol et Laurent précité). Il convient de remarquer que le juge apprécie le degré d’illégalité tolérable en fonction de la gravité des circonstances et de l’intérêt des mesures. Des périodes particulièrement difficiles peuvent donc justifier de graves illégalités, notamment des atteintes aux libertés fondamentales (v. les 2 arrêts précités, v. ég. CE 18 mai 1983 Rodes, Rec.p.199 : atteinte à la propriété et à la liberté de circuler justifiée par le risque d’explosion d’un volcan à la Guadeloupe).

            En revanche, des périodes simplement agitées, ou inhabituelles, ne peuvent permettre que des illégalités mineures. Ainsi, les « événements  de mai 1968″ pouvaient autoriser le ministre de l’Education à aménager les épreuves d’examen, mais ne justifiaient pas qu’il en dispense purement et simplement certains étudiants (CE (Ass) 12 juill.1969, chambre de commerce de Saint Etienne Rec.p.379).

            *Des actes qui, normalement, ne devraient pas être rattachés à l’action administrative habituelle peuvent l’être, du fait des circonstances exceptionnelles.

            – Il en va ainsi, d’une part, de la voie de fait, dont on sait qu’elle est en principe » manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration «, mais qui, ici, est reclassée en simple acte administratif illégal, avec compétence des juridictions administratives pour en connaître (v. TC 1952 dame de la Murette, Rec. p. 626, à propos des sévices et de l’emprisonnement subis par une femme à la Libération).

            – Il en va également ainsi, d’autre part, des actes pris par des personnes étrangères à l’administration, qui, normalement, devraient être inexistants, car entachés d’usurpation de pouvoir (v. not. CE (S) 5 mars 1948 Marion, Rec.p.113, à propos de mesures d’urgence prises par de simples citoyens de certaines communes, l’exode de 1940 ayant provoqué la fuite des autorités municipales légales).

            2 – La consécration des circonstances exceptionnelles par les textes

            Elle peut résulter de la constitution, ou bien de lois ordinaires

            A – Les cas régis par la constitution

            Il y en a deux : l’état de siège, et les pouvoirs de l’art.16

  1. a) L’état de siège

            Il est prévu par l’art.36 de la constitution, et son régime est désormais organisé par les articles L 2121-1 à 8 du Code de la Défense.

             Décrété en Conseil des ministres, à l’initiative de l’exécutif donc, il ne peut être prolongé au delà de 12 jours qu’avec l’accord du Parlement.

            Il n’est applicable que lorsque l’ordre public est troublé par la violence armée, résultant soit d’une guerre étrangère, soit d’une insurrection intérieure (article L 2121-1 du Code).

            Il en résulte le transfert de toutes les compétences en matière de police et de maintien de l’ordre des autorités civiles aux autorités militaires. Celles-ci disposent de pouvoirs exorbitants (perquisition de jour comme de nuit, interdiction des réunions et publications sources de désordre, jugement des contrevenants par les juridictions militaires).

            Décrété en 1914 et 1939, l’état de siège n’a plus été utilisé depuis la Libération.

  1. b) Les pouvoirs spéciaux de l’art.16

            Ils ont été inspirés aux rédacteurs de la constitution de 1958 par le général de Gaulle, désireux d’éviter que des circonstances telles celles de 1940 ne conduisent le pays à s’en remettre dans la précipitation à un homme providentiel incapable d’y faire face.

            *Les conditions impliquées par la formulation de l’article 16 sont doubles : l’existence d’une menace grave et imminente sur les institutions, et l’interruption du fonctionnement régulier des pouvoirs publics.

            *Les effets de la mise en œuvre de l’art.16 entraînent l’établissement d’un ordre constitutionnel particulier, après consultation du Conseil constitutionnel et des Présidents des deux Assemblées : le Président de la République est doté des pleins pouvoirs, et agit seul en vue du rétablissement d’une situation normale dans les meilleurs délais, observé par le Parlement, qui se réunit de plein droit et ne peut être dissous.

            L’usage unique fait de cet article, lors de l’épisode dit du «putsch « des généraux en Algérie le 22 avril 1961 a révélé que malgré les intentions des auteurs de la Constitution, la constitutionnalisation des pleins pouvoirs du Président de la république laissait subsister pas mal d’incertitudes et d’ambiguïtés. Celles-ci se sont notamment manifestées sur trois plans révélateurs des faiblesses de l’article 16.

            *L’appréciation des conditions de mise en œuvre : si l’on pouvait admettre l’existence d’une menace suffisante sur les institutions, il était plus douteux que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu. En effet, la rébellion n’avait pas touché le territoire métropolitain, et les services de l’Etat fonctionnaient normalement. Le Conseil constitutionnel avait cependant donné un avis favorable au déclenchement de l’art.16, en atténuant, la portée de la condition posée par le texte.

            Le Conseil d’Etat, saisi d’un argument relatif à l’illégalité de la décision de mise en oeuvre, a refusé de se prononcer, en la qualifiant d’acte de gouvernement (CE 1962 Rubin de Servens, GAJA).

            *Les compétences données au Président

            Le Président de la République dispose des pleins pouvoirs. Le Conseil d’Etat lui a reconnu la possibilité de prendre, dans le domaine de la loi (article 34), des mesures insusceptibles de recours (1962, Rubin de Servens précité). Pour les mesures prises dans le domaine réglementaire, elles relèvent du contrôle des juridictions administratives, mais l’application de la théorie jurisprudentielle des circonstances exceptionnelles leur permet de bénéficier d’une indulgence accrue (v. CE (Ass) 15 juill.1965 Gauthier, Rec.p.436 : épuration expéditive de militaires et de fonctionnaires jugés insuffisants).

            Le Parlement, lui, bien que réuni de plein droit, s’est vu refuser, lors de sa session extraordinaire, le pouvoir de légiférer et de contrôler le gouvernement en le censurant.

            *La durée d’application

            La rébellion s’est effondrée en quatre jours, mais l’art.16 est demeuré en vigueur 5 mois. Le Conseil d’Etat, dans l’arrêt Rubin de Servens précité a jugé qu’il ne lui appartenait pas d’en connaître la durée d’application. Il s’est donc avéré qu’il n’existait pas de moyen juridique commode permettant de limiter le Président dans l’usage de ce procédé, une fois celui-ci déclenché.

            Les inconvénients apparus à l’usage ont conduit d’aucuns à réclamer la suppression de l’art.16, disposition qui a longtemps cristallisé les oppositions et entretenu les fantasmes de dictature potentielle. La révision opérée par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 déjà évoquée s’est bornée à prévoir, après 30 jours, la possibilité pour les présidents des deux Chambres ou 60 députés ou sénateurs de saisir le Conseil Constitutionnel afin qu’il vérifie si les conditions de mise en œuvre des pouvoirs spéciaux demeurent réunies. 

            B – Les cas prévus par la loi

            Il y en a deux, l’état d’urgence et les mesures de défense.

  1. a) L’état d’urgence

            C’est un régime dont l’origine est étroitement liée au contexte de la guerre d’Algérie, qui a entraîné sa création par une loi du 3 avril 1955, et sa mise en application immédiate dans cette colonie, et même son extension à la métropole après le 13 mai 1958.

            Il peut être proclamé par décret en Conseil des ministres, et sa prorogation au delà de 12 jours doit être confirmée par le Parlement, qui fixe sa durée définitive.

            Les circonstances qui le justifient sont plus larges que celles de l’état de siège : ce peut être le « cas de péril imminent résultant d’atteintes graves à l’ordre public «, ou le « cas d’événements présentant, par leur nature et leur gravité, le caractère de calamité publique «.

            S’appliquant sur tout ou partie du territoire, il donne des pouvoirs exorbitants aux autorités civiles (préfets, ministre de l’intérieur), tels la possibilité de fixer un couvre-feu, d’assigner à résidence, d’interdire de séjour, etc. Eventuellement, les militaires eux aussi peuvent être dotés de pouvoirs identiques.

            Il a été mis en œuvre en 1985 en Nouvelle Calédonie pour lutter contre l’agitation indépendantiste, et le gouvernement a jugé opportun d’y recourir en novembre 2005 sur le territoire métropolitain, en vue de faire face aux troubles survenus dans certaines zones urbaines sensibles. Il a été proclamé par deux décrets du 8 novembre 2005, et prorogé pour 3 mois par la loi du 18 novembre 2005. Saisi de nombreux recours en référé et en excès de pouvoir contre ces mesures, le Conseil d’Etat les a validées(CE ord. réf. 14 novembre 2005, Rolin, AJDA 2005 p. 2148; CE ord. réf. 21 nov. 2005, Boisvert, RFDA 2006 p. 48). (CE 9 décembre 2005, Mme Allouache et autres (CE (Ass.) 24 mars 2006, Rolin et Boisvert, AJDA 2006 p. 1037).

  1. b) Les mesures de défense

            On désigne généralement sous ce vocable assez flou l’éventail des mesures prises par le pouvoir exécutif en application de l’art. L 1111 du Code de la Défense afin d’assurer : »  en tout temps, en toutes circonstances, et contre toutes les formes d’agression, la sécurité et l’intégrité du territoire, ainsi que la vie de la population «.

            Il convient de noter que compte tenu de l’évolution du contexte international, l’optique actuelle en matière de défense tend à accorder la priorité à deux missions : la prévention des actes de terrorisme  et la répression des éventuels troubles dans les secteurs difficiles du territoire national (banlieues déshéritées, outre-mer). Or, si l’arsenal juridique des mesures susceptibles d’être mises en œuvre en période de crise est impressionnant, l’expérience montre que celles-ci s’avèrent assez inadaptées à ces préoccupations. Elles sont donc doublées par des dispositifs parallèles plus souples. Ainsi, dans le cadre de la prévention du terrorisme, le plan dit « vigipirate », qui permet de mobiliser l’ensemble des services chargés des problèmes de sécurité, et dont les grandes lignes ont été établies dans les années 1970, a été mis en œuvre à compter de 1991 au moment de la « guerre du Golfe », et est demeuré en vigueur par la suite, sous une forme allégée ou renforcée selon les circonstances.     

Chapitre II – La diversité des régimes applicables aux droits et  libertés

            Les notions de droit ou de liberté ne sont unitaires qu’en apparence. En effet, la jurisprudence en a opéré un véritable classement hiérarchisé, en leur conférant une protection variable selon l’intérêt qu’ils présentent, puisque certains d’entre eux sont considérés comme ordinaires, alors que d’autres, plus importants, sont considérés comme fondamentaux.

            Cette distinction entraîne des conséquences juridiques concrètes.

            Ainsi, de longue date, comme on l’a vu, l’atteinte manifestement insusceptible de se rattacher à un pouvoir de l’administration est considérée comme voie de fait relevant du juge judiciaire lorsqu’elle porte sur une liberté fondamentale. Compte tenu des pouvoirs désormais donnés au juge administratif des référés par l’art. L 521-2 du Code de justice administrative, qui lui permettent d’ordonner toutes mesures, même non provisoires (CE 1er juin 2007, Syndicat CFDT Interco 28, AJDA 2007 p. 1240), justifiées par l’urgence, en cas d’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale par les personnes publiques ou les personnes privées chargées d’un service public, la notion a connu un important regain d’intérêt. Sa définition n’y a pas gagné en précision, mais on dispose maintenant d’une liste de droits et libertés qui y sont rangés, ou au contraire en sont exclus. Par exemple ont été ainsi qualifiés le droit d’asile (CE 12 janv. 2001, Mme Hyacinthe, AJDA 2001 p. 589), la liberté de réunion (CE ord. réf. 19 août 2002, Front National, précité), la libre administration des collectivités territoriales (CE (S),18 janv. 2001, Commune de Venelles, RFDA 2001 p. 389 concl. Touvet), le libre exercice de leur mandat par les élus locaux (CE, ord. réf. 11 avril 2006, Hirohiti Tefaarere), la présomption d’innocence (CE, ord. 14 mars 2005, M. Gollnisch, AJDA 2005 p. 1633, note Burgorgue-Larsen), le droit au respect de la vie privée (CE, ord. réf. 25 oct. 2007, Mme Y, AJDA 2007 p. 2063), et même, depuis l’adossement de la Charte de l’environnement à la Constitution, le droit à l’environnement (TA Châlons-en-Champagne, ord. 29 avril 2005, Conservatoire du patrimoine naturel et autres, AJDA 2005 p. 1357).

En revanche, les droits au travail (CE (S) 28 fév. 2001, Casanovas, AJDA 2001 p. 971), à la sécurité (CE, ord. 20 juill. 2001, Commune de Mandelieu-la-Napoule, RFDA 2001 p. 1138), à la santé (CE ord. réf. 8 sept. 2005, Garde des Sceaux, AJDA 2005 p. 1709), pas plus que « la liberté de se vêtir à sa guise au temps et au lieu du travail » (Cass. soc. 28 mai 2003, JCP 2003.II.10 128, à propos d’un salarié s’obstinant   à venir travailler en bermuda), ne sont des libertés fondamentales.

            Selon la hiérarchie établie, le régime applicable variera. On en distingue traditionnellement deux grandes catégories : le régime préventif, et le régime répressif.

SECTION I – LE REGIME PREVENTIF

            1 – Définition habituelle

            Il est réputé le plus restrictif, puisque le citoyen n’est pas libre d’exercer immédiatement sa liberté. Il devra en effet s’astreindre à l’accomplissement de formalités préalables, destinées à permettre aux pouvoirs publics, le cas échéant, d’intervenir pour prévenir les inconvénients de l’exercice de la liberté (d’où la dénomination retenue).

            2 – Techniques mises en oeuvre

  1. a) La déclaration préalable

            Obligation est faite aux personnes désirant exercer certaines activités de s’adresser au préalable à la puissance publique grâce à une déclaration précisant l’objet et les modalités de leur projet. Cette formalité permettra d’informer les autorités administratives, qui pourront ainsi prendre toute mesure adéquate (contrôle, information des tiers, voire interdiction).

            Le procédé s’applique couramment pour certaines activités constituant des modalités d’exercice de la liberté du commerce et de l’industrie, lorsqu’elles sont susceptibles d’avoir un impact sur l’ordre public (débits de boissons, brocanteurs, exploitation de certains réseaux de télécommunication…). Il est aussi utilisé plus exceptionnellement, pour encadrer certains aspects de l’exercice de libertés constitutionnellement garanties, telles la liberté de la presse (pour les publications périodiques : art. 7 loi du 29 juill. 1881) ou le droit de grève (obligation d’un préavis de 5 jours pour la grève dans les services publics. A plus forte raison peut-il être aussi utilisé pour des activités telles les manifestations à caractère revendicatif ou festif, qui sont susceptibles de nuire à l’ordre public et à l’utilisation normale du domaine public ou de dégrader les propriétés privées. Ainsi, la loi du 15 novembre 2001 sur la sécurité quotidienne a soumis les « rave parties » à déclaration préalable au préfet.

  1. b) L’autorisation préalable

            Elle consacre un régime d’interdiction de principe, puisque l’exercice spontané de la liberté est illégal : il est en effet subordonné à certaines conditions, dont l’existence est vérifiée par les pouvoirs publics, sur demande déposée par les intéressés.

            Une telle exigence porte atteinte aux garanties fondamentales des libertés relevant de l’art.34 de la constitution. Elle ne peut donc être prévue que par la loi (CE 1954 Daudignac, GAJA).

Aujourd’hui, ce régime s’applique à des droits et libertés dont certaines modalités d’exercice sont jugées susceptibles d’entraîner des conséquences trop importantes sur la collectivité pour ne pas justifier des restrictions. Ainsi, la liberté d’expression cinématographique est subordonnée à la délivrance d’un visa de censure préalable à l’exploitation des films. De même, l’usage du droit de propriété est limité par l’exigence d’autorisations préalables dans le domaine de la construction et de l’urbanisme. Il en va ainsi également pour la liberté de circulation s’exerçant par le moyen de la plupart des véhicules, etc.

Il faut noter, cependant, que certaines libertés sont considérées comme d’une importance telle que même la loi ne peut les soumettre à autorisation préalable. C’est le cas, aujourd’hui, pour la liberté d’association (Cons. Const. 16 juill. 1971 AJDA 1971 p.537 note Rivero), et la liberté de la presse (Cons. Const.10-11 oct. 1984 AJDA 1984 p.688, note Bienvenu).

SECTION II – LE REGIME REPRESSIF

            Malgré sa dénomination prêtant à équivoque, c’est en principe le plus favorable. Mais il n’en présente pas moins certaines ambiguïtés.

            1 – Définition traditionnelle

            Il permet l’exercice immédiat de la liberté, sans formalités préalables, sous réserve de ne pas dépasser certaines limites expressément fixées. Ainsi, la liberté est la règle, la restriction l’exception, puisque les citoyens doivent simplement, dans l’exercice de l’activité soumise à un tel régime, s’abstenir de commettre les infractions définies par la loi (crimes ou délits) ou par le règlement (contraventions) (d’où son qualificatif de répressif).

            Ainsi, par exemple, la liberté d’aller et de venir s’exerce sans aucune contrainte préalable sur le territoire national. Mais elle peut être restreinte par la réglementation de l’accès à certains lieux, de l’utilisation de certains moyens de déplacement, etc. De même, la liberté de la presse (non périodique), elle aussi, peut s’exercer de manière immédiate, sous réserve de ne pas commettre les crimes et délits prévus par la loi du 29 juill.1881.

            2 – Ambiguïté

            En réalité, la portée de ce régime considéré comme le plus libéral dépendra du contenu des réglementations qui enserrent la liberté et de la sévérité avec laquelle leur violation est sanctionnée, d’autant plus que même lorsque des libertés sont garanties par la loi, les autorités de police administrative générale, peuvent, au nom de l’ordre public, les limiter.

            Ainsi, des régimes présentant l’apparence de démocraties modèles peuvent virer au totalitarisme s’ils proclament une liberté de principe, mais en l’assortissant d’une multitude de restrictions, dont la violation fait l’objet d’une répression systématique. Le risque se réalise notamment lorsque le législateur, confronté à certains phénomènes de société difficiles à contenir, s’attache plus à encadrer leurs manifestations qu’à intervenir efficacement sur leurs causes. Il en résulte généralement l’enchaînement à un rythme accéléré de réglementations toujours plus restrictives des libertés.

On trouve une illustration significative de cette démarche dans le domaine de la protection de la sécurité et de la lutte contre la délinquance, qui a successivement donné lieu, ces dernières années, aux lois des 21 janv. 1995, (« d’orientation et de programmation relative à la sécurité »), 15 novembre 2001 (« relative à la sécurité quotidienne »), 29 août 2002 (« d’orientation et de programmation pour la sécurité intérieure »), 18 mars 2003 (« pour la sécurité intérieure »),  23 janvier 2006 « relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers«, et 5 mars 2007 « relative à la prévention de la délinquance ».

Consacrant la sécurité comme « droit fondamental » (article 1er de la loi du 18 mars 2003), ces textes, inspirés d’une idéologie parfois qualifiée de « sécuritaire « combinent des mesures à finalité préventive et répressive multipliant les possibilités de restriction et de contrôle des activités des particuliers.

 

SECONDE PARTIE : LE REGIME JURIDIQUE DE CERTAINS DES PRINCIPAUX DROITS ET LIBERTES EN FRANCE

            Les droits et libertés reconnus en France sont nombreux, et il ne saurait être question de les recenser tous, d’autant plus que la matière se situe à un carrefour de plusieurs disciplines traditionnelles de l’enseignement du droit, qui, elles-mêmes, leur réservent une place parfois non négligeable (par exemple, le droit de grève est évoqué en droit du travail, la sûreté en procédure pénale, la propriété en droit civil, la liberté d’entreprendre en droit des affaires, etc.).

            Nous effectuerons un choix assez arbitraire, écartant notamment nombre de libertés d’exercice collectif, même essentielles, comme les libertés de réunion et d’association pour insister plutôt sur certains droits et libertés d’exercice individuel.

            Ce parti pris est motivé principalement par trois raisons. D’abord le cadre limité dans lequel doit s’inscrire le cours impose, sous peine de n’effectuer qu’un rapide survol sans intérêt, d’opérer un choix dans le  programme. Ensuite on observe aujourd’hui une tendance assez sensible à l’épanouissement de la conception individualiste des libertés. Enfin les questions soulevées par les libertés purement individuelles sont cruciales et actuelles.

            Nous étudierons donc dans 3 titres : I – Exister ; II – Aller et venir ; III – Croire et témoigner.

 

TITRE I – EXISTER (LES DROITS ET LIBERTES SE RATTACHANT A LA VIE)

Introduction : Droit, éthique et déontologie

            Les questions sur la vie soulèvent des problèmes complexes, dont la solution semble étroitement dépendante des conceptions philosophiques ou religieuses de chacun. Faute de certitudes, et soucieux d’éviter de heurter directement les consciences des citoyens, les pouvoirs publics, hésitant souvent à légiférer, tendent à se retrancher derrière les opinions émises par des organes chargés non pas d’émettre des règles de droit, mais de porter des jugements de valeur sur certaines pratiques : celles-ci sont saisies par la morale avant de l’être, le cas échéant, par le droit.

            Pour désigner cet ensemble de principes non juridiques ainsi progressivement dégagés, on utilise un terme devenu à la mode depuis quelques années : l’éthique (qui se distingue peu de la morale, si ce n’est par ses sources, qui seraient d’origine humaine, et non transcendantale comme celles de la morale).

            Puisqu’il apparaît aujourd’hui que les sciences de la vie ouvrent des perspectives dont les limites reculent sans cesse, c’est d’abord vers l’éthique que l’on s’est tourné pour savoir s’il est opportun qu’elles agissent en toute liberté, si, aux nouvelles possibilités, doivent correspondre de nouveaux droits, ou s’il n’est pas nécessaire de poser des restrictions, et lesquelles. Pour désigner la nouvelle discipline ainsi dégagée, on a créé le concept de bioéthique.

            La France, à cet égard, a adopté une démarche novatrice. Dès 1983, un décret du 23 février a créé un Comité consultatif national d’éthique  pour les sciences de la vie et de la santé (dit « Comité d’éthique «), comprenant 1 président nommé par le Président de la République, et 39 membres reflétant l’ensemble des familles de pensées et des secteurs de la recherche. Cette « autorité indépendante »(article L 1412-2 du Code de la santé publique) a pour mission  (article L 1412-1)« de donner des avis sur les problèmes éthiques et les questions de société soulevés par les progrès de la connaissance dans les domaines de la biologie, de la médecine et de la santé «. En août 2008, elle avait publié 104 avis.

            La plupart des Etats occidentaux et l’Unesco se sont aujourd’hui dotés d’organes analogues.

            Cette démarche prudente ne témoigne pas d’une renonciation définitive à faire intervenir des réglementations juridiques. Elle présente plutôt un caractère pragmatique : l’expérience prouve en effet que dans les domaines se rattachant à la vie, compte tenu de la progression de la science, le droit est souvent à la remorque des faits. Ainsi, avant toute réglementation, une réflexion poussée peut éviter une inadaptation trop rapide.

Dans le domaine de la vie, l’éthique devient donc un élément normatif essentiel, non comme substitut du droit, mais comme préalable, bien qu’il soit en réalité difficile de distinguer clairement les deux concepts. D’où sa place récente et croissante dans la littérature juridique.

            Cela dit, la phase de la réflexion éthique est conçue comme transitoire, jusqu’au passage au droit. On trouve un bon exemple de cette manière de procéder dans le processus d’adoption des règles régissant la bioéthique en France : un rapport de la Section du Rapport et des études du Conseil d’Etat, du 21 janv.1988, intitulé « Sciences de la vie, de l’éthique au droit « a été à l’origine de la lente gestation de deux lois du 29 juill.1994 constituant  un premier aboutissement juridique de la réflexion éthique dans le domaine des sciences de la vie. Afin d’adapter leur contenu  à l’évolution de la science et de la société, une nouvelle loi, du 6 août 2004, « relative à la bioéthique », les a complétées et rectifiées en s’efforçant de prendre acte des avancées de la recherche. Déjà dépassé sur un certain nombre de points par l’évolution des sciences de la vie, ce texte devrait, après évaluation, faire l’objet d’une nouvelle mise à jour par le Parlement en 2010. 

            Il n’existe pas pour autant une identité totale entre les règles de droit et les principes éthiques: ainsi, aujourd’hui, le droit rend obligatoire dans les services hospitaliers l’organisation des interruptions volontaires de grossesse, mais les médecins peuvent refuser d’accomplir ces opérations si leur éthique personnelle les réprouve.

                        Aux principes juridiques et éthiques viennent s’ajouter, pour certaines catégories de professionnels, les règles imposées par la déontologie. Celle-ci est généralement considérée comme une morale professionnelle, élaborée par la profession, et acceptée, le cas échéant par les autorités administratives. Elle énoncerait une sorte de règlement intérieur, qui, selon certaines analyses, ne créerait pas de véritables règles de droit.

            Mais en réalité, s’il est vrai que leur caractère flou rattache certains préceptes déontologiques plutôt à l’éthique qu’au droit, le dispositif mis en place pour formuler les règles de déontologie et en assurer l’application aboutit à donner à la plupart d’entre elles une valeur juridique. Ainsi, par exemple, l’actuel Code de déontologie des médecins est-il intégré dans le Code de la santé publique (article R 4127-1 à 112). Et l’organisation corporatiste de la profession, prévoyant une justice interne chargée d’exercer le pouvoir disciplinaire, aboutit à imposer concrètement, sous peine de sanctions, le respect des obligations posées dans le Code, dont la violation peut constituer une faute civile (Cass. com. 29 avril 1997, D. 1997 p. 459 note Serra).

            L’intervention du Conseil d’Etat, qui par voie de cassation, peut connaître en dernier ressort du contentieux disciplinaire consacre bien la valeur juridique des règles déontologiques. Il faut d’ailleurs observer que la Haute Juridiction, en ce domaine comme dans les autres secteurs du droit administratif, n’hésite pas à participer au processus de création normative, en dégageant, par extrapolation de diverses sources, des principes non écrits s’imposant à leurs  destinataires. Ainsi, estimant que le Code de déontologie des médecins ne s’applique qu’à leurs relations avec les patients vivants, il a, sur le modèle des principes généraux du droit, fait appel à des principes déontologiques fondamentaux relayant le Code après la mort (CE (Ass.) 2 juillet 1993, Milhaud, RFDA 1993, p.1002 concl. Legal).

            En somme, la jurisprudence tant judiciaire qu’administrative, confirme désormais la place de la déontologie comme source normative : le droit, même s’il est parfois pris de court par le développement des techniques médicales, ne renonce pas malgré tout à les encadrer.

            Les principales questions abordées à la fois sous l’angle de l’éthique, du droit et de la déontologie, concernent l’usage et la mise en œuvre du droit à la vie, et la liberté d’utilisation du corps humain. Nous les étudierons dans deux premiers sous-titres. S’y ajoutera – de manière il est vrai quelque peu artificielle – un troisième sous-titre ne se rattachant qu’indirectement aux aspects biologiques de la vie, mais concernant surtout certains de ses aspects sociaux .

            S/Titre I – Le droit à la vie;  S/Titre II – La libre disposition de son corps;      S/Titre III – Quelques problèmes actuels du droit au secret de la vie privée

 

Sous-titre I – Le droit à la vie

            Il fait l’objet de multiples consécrations solennelles tant sur le plan international que national.

            Ainsi, pour la Déclaration Universelle de 1948 (article5) » tout individu a droit à la vie… «. La Convention européenne de 1950, elle, stipule : » le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi« (article2). En France, l’art.16 du Code civil dispose: « la loi (…) garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie «.

            La portée de ces formules ne peut être mesurée qu’après une définition préalable de la notion de vie, ou, plus précisément puisque le cycle du vivant connaît un début et une fin, après une délimitation des frontières de la vie.

Chapitre préliminaire : les frontières de la vie

            1 – Le commencement de la vie

            Les progrès de l’exploration prénatale ont montré depuis longtemps que la vie commence bien avant la naissance. Mais doit-on pour autant considérer que la vie intra-utérine est bien celle à laquelle se réfère le législateur lorsqu’il pose son droit à la protection ?

            * On pourrait en effet considérer que la vie humaine protégée doit être assimilée entièrement à celle de l’individu physiquement autonome, et qu’elle ne commence donc qu’à la naissance.

            * On pourrait, au contraire, estimer que la vie commence avec la fécondation, et que dès ce stade initial, existe un être vivant sujet de droits.

            * On pourrait encore, en adoptant une solution médiane, considérer que la seule vie méritant protection est celle de l’être ayant atteint un certain niveau de développement. Ainsi, pour certains, les 14 premiers jours après la fécondation sont le stade du « pré-embryon «, qui ne peut être considéré véritablement comme un être vivant, puisque la nidification et l’ébauche d’un système neural (apparition de la » gouttière primitive «) ne surviennent qu’au delà du 15ème  jour ; pour d’autres, la vie à protéger commencerait lors du passage de l’embryon au foetus, soit, selon l’opinion dominante en France, à partir du deuxième mois.

            Le droit, en réalité, n’a jusqu’à présent pas opéré un choix tranché entre les diverses solutions envisageables.

            * En principe, jusqu’à sa naissance, l’enfant n’est pas une individualité distincte, il est partie intégrante du système biologique de sa mère.

            * Mais, à titre dérogatoire, le droit lui reconnaît aussi une certaine capacité juridique, dès avant sa naissance, afin de garantir ses intérêts après celle-ci, notamment sur le plan successoral (selon l’adage « infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur «).

            Ainsi, le Code civil (article 906) prévoit que «pour être capable de recevoir une donation entre vifs, il suffit d’être conçu au moment de la donation «, et « pour recevoir par testament, il suffit d’être conçu à l’époque du décès du testateur «, une présomption situant la conception entre le 180ème  et le 300ème jour précédant la naissance.

            * Mais ces solutions prenant en compte le stade prénatal ne semblent pas pour autant consacrer l’existence d’une personne juridique vivante dès la conception : elles ne s’appliquent en effet qu’à titre rétroactif, après une naissance viable.

            Si bien que lorsqu’un évènement, fortuit ou non, aboutit à empêcher la naissance d’un être vivant, les solutions retenues semblent exclure qu’ait existé une vie autonome à un quelconque moment, comme en témoignent clairement les précautions sémantiques prises pour régler, sur le plan de l’état civil, la situation des enfants dits «mort-nés « : L’art. 79.1 du Code Civil prévoit la rédaction d’un acte dit « d’enfant sans vie », « qui ne préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non « : l’enfant est sans vie, mais on évite soigneusement de dire qu’il est mort, ce qui impliquerait qu’il ait eu une vie intra-utérine!         

Les services de l’état-civil avaient pris l’habitude de refuser de délivrer l’acte lorsque le foetus n’avait pas atteint le seuil dit de viabilité, fixé selon les normes de l’OMS à une durée de grossesse de 22 semaines ou un poids de 500 grammes. Toutefois, cette pratique a été censurée par la Cour de cassation (Cass. 1ère Civ. 6 février 2008, époux X et autres),  puisque le Code ne prévoit pas de telles conditions. Après cet arrêt, un décret du 20 août 2008 a même prévu la possibilité d’inscrire un prénom sur les actes d’état civil des enfants sans vie.

            Le Code de la santé publique prévoit également (article R 1112-75 et s.) qu’ils peuvent être réclamés en vue de leur inhumation par les parents, ou à défaut doivent être inhumés ou incinérés à ses frais par l’établissement de santé.

D’aucuns ont voulu voir dans ces aménagements la reconnaissance de la vie dès la conception, mais en réalité, jusqu’à présent, la législation française n’a pas entendu  prendre parti ouvertement sur l’épineuse question de la vie avant la naissance. On peut d’ailleurs remarquer que la Déclaration des Droits précédant le projet de constitution rejeté par référendum en 1946 prévoyait expressément (article 23) « le droit à la protection de la santé dès la conception «, alors que le préambule, toujours en vigueur, du texte devenu la Constitution de 1946 se borne à garantir la protection de la santé à l’enfant.

            Cette réticence à se prononcer sur la reconnaissance de la vie avant la naissance ne se retrouve pas dans tous les systèmes de droit européens :        ainsi, l’art. 40 de la Constitution irlandaise (fruit d’un référendum de 1983) consacre le droit à la vie à partir de la conception.

            Le flou des solutions retenues en France a jusqu’à présent permis d’éluder les problèmes juridiques et éthiques posés par les possibilités, désormais multiples, de manipulation sur l’embryon et le fœtus, et, en premier lieu, l’avortement. C’est la mère, (ainsi que les médecins, en cas d’avortement thérapeutique) qui décide librement, dans les limites fixées par la loi, indépendamment de toute prise en compte de l’existence d’un être vivant distinct d’elle-même.

            Le sort réservé aux embryons ou foetus éliminés par interruption volontaire de grossesse se situe dans la logique de cette analyse : puisqu’ils ne sont pas des êtres vivants autonomes les guides technique sur l’élimination des déchets hospitaliers les classent dans la catégorie des petits déchets anatomiques devant être incinérés.

            Alors que les lois de bioéthique de 1994 et 2004 auraient pu en être l’occasion, le législateur s’est refusé à y introduire un statut des embryons, en se bornant à prévoir dans le Livre V du Code pénal une section III intitulée « de la protection de l’embryon humain » réprimant certaines pratiques considérées comme contraires à l’éthique biomédicale.

            Ainsi, les embryons demeurant en surnombre après une fécondation in vitro peuvent, sous certaines conditions, être détruits (pudiquement, le législateur dit qu’il est « mis fin à leur conservation « (article L 2141-4 CSP). Ils peuvent également (v. infra) faire l’objet de recherches.

            Le Conseil constitutionnel, saisi d’arguments relatifs au sort de ces embryons, a bien confirmé l’existence du principe constitutionnel du droit à la vie, mais a refusé de se prononcer sur la détermination de son champ d’application.

            Il a en effet constaté que pour les embryons, le législateur « a estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie ne leur était pas applicable « et donc qu’il ne lui appartient pas, puisqu’il «ne détient pas un pouvoir d’appréciation et de décision identique à celui  du Parlement, de remettre en cause, au regard de l’état des connaissances et des techniques, les dispositions ainsi prises par le législateur » (décis. du 27 juillet 1994. D. 1995  p. 237 note Mahieu).

            Certaines cours d’appel avaient adopté une conception extensive de l’être vivant en retenant la qualification d’homicide par imprudence pour l’atteinte involontaire à la vie d’un foetus, mais la Cour de Cassation, se retranchant derrière une interprétation stricte de la loi pénale, a censuré cette analyse, en jugeant que les faits incriminés n’entraient pas dans le champ du code pénal. Pour elle, en effet, l’incrimination d’homicide involontaire ne s’applique pas « au cas de l’enfant qui n’est pas né vivant » (Cass. Crim, 25 juin 2002, C., JCP 2002 p. 1281). En revanche, elle est retenue lorsque l’accident a provoqué un accouchement prématuré à la suite duquel l’enfant n’a vécu que  quelques instants du fait des lésions vitales irréversibles qu’il avait subies (Cass. Crim 2 déc. 2003 D. 2004 p. 449 note Pradel).

Contestée devant la Cour EDH, cette conception restrictive n’a pas été jugée contraire à l’art. 2 de la Convention, la Cour estimant que « que le point de départ du droit à la vie relève de la marge d’appréciation des Etats dont la Cour tend à considérer qu’elle doit leur être reconnue dans ce domaine » (CEDH 8 juillet 2004, Madame Vo c/ France, JCP 2004.II. 10 158 note Levinet).

            2) La fin de la vie

            C’est la mort. Longtemps, sa constatation a semblé relever de l’évidence. On se fondait sur des observations élémentaires effectuées sur le corps : interruption durable de la circulation sanguine et de la respiration (état qualifié de mort clinique). C’est pourquoi l’art. 77 du Code civil prévoyait que la délivrance du permis d’inhumer pouvait avoir lieu par un agent de l’administration, officier d’état civil, lorsque le cadavre était « inerte et froid «.

            Les erreurs résultant parfois du caractère rudimentaire des techniques de constatation de la mort ont conduit à exiger l’intervention d’un médecin. Toutefois, cette modification n’a pas pour autant permis de résoudre totalement le problème de la définition de la mort.

            En effet, le développement des techniques de réanimation a provoqué de nouvelles interrogations puisqu’il est aujourd’hui possible de maintenir en état végétatif durant de très longues périodes des personnes placées dans un coma irréversible. On peut alors se demander si cet état correspond encore à la vie.

            La réponse à cette question n’a pas semblé faire de doute pour les cas dits » d’état végétatif chronique «, dans lesquels, malgré son absence apparente de conscience, l’individu peut subsister en assurant lui même ses fonctions vitales (circulatoire et respiratoire) : pour les juges, l’être vivant demeure, et avec tous ses droits.

            Ainsi, pour la Cour de Cassation, » l’état végétatif d’une personne humaine  n’excluant aucun chef d’indemnisation, son préjudice doit être réparé dans tous ses élément» (Civ. 2ème. 22 février 1995. D. 1996 p. 69 note Chartier). Le Conseil d’Etat, d’abord réticent, a fini par s’aligner sur cette solution (CE 24 nov. 2004, Maridet, AJDA 2005 p. 336, concl. Olson).  

            Il n’en va pas de même dans la situation dite de « coma dépassé «, lorsque les fonctions vitales ne sont plus assurées de façon autonome, mais dépendent exclusivement de dispositifs sophistiqués. Après d’assez longues hésitations, le droit, aujourd’hui, considère qu’au delà de la conservation végétative artificielle du corps, il y a mort dès lors que les fonctions cérébrales sont irrémédiablement détruites.

            Cette solution, amorcée dans des circulaires, a été consacrée par le Conseil d’Etat dans un arrêt relatif aux expériences sur les individus en état de  mort cérébrale (CE (Ass.) 2 juillet 1993 Milhaud, RFDA 1993 p. 1016 concl. Kessler). Elle a été reprise dans les art. R 1232-1 et s. du Code de la santé publique : la mort cérébrale doit être  vérifiée, comme le proposait l’Académie nationale de médecine, par deux électro-encéphalogrammes aréactifs (« plats »), pratiqués avec un intervalle d’au moins quatre heures.

 

            C’est à la lumière de ces définitions de la vie et de la mort que pourront être tranchées certaines des questions se rattachant aux droits et libertés en rapport avec la vie :

            – le droit et la liberté de donner la vie (chap. I)

            – le droit et la liberté de prendre la vie (chap. II).

Chapitre I : Donner la vie

            Longtemps ce comportement humain a signifié exclusivement procréer, c’est-à-dire engendrer des enfants. Bien que l’acte semble au premier abord relever avant tout du libre arbitre de chacun, le droit ne pouvait négliger son impact social. En outre, depuis quelques années, les progrès des techniques artificielles de création de la vie  (« in vitro ») ont conduit à des pratiques que d’aucuns jugent susceptibles de remettre en cause l’avenir même de l’espèce humaine. C’est dire qu’aujourd’hui des réglementations encadrent étroitement aussi bien le refus de procréer que les opérations destinées à créer la vie.

SECTION I : LE REFUS DE PROCRÉER

            Il n’existe pas d’obligation, ou d’interdiction de procréer. Les comportements, en ce domaine, sont plus soumis à des incitations, variables suivant la politique nataliste ou malthusienne des pouvoirs publics.

            Il n’existe pas non plus véritablement une liberté juridique de refuser la procréation. Tout juste est-il possible, dans certaines circonstances, de l’éviter légalement par des moyens préventifs ou curatifs.

            1) La prévention

A – Elle peut être envisagée à titre définitif,

c’est-à-dire irréversible, ou quasiment irréversible en l’état actuel des techniques, par stérilisation.

            Cette pratique est admise dans certains Etats, pour certaines catégories d’individus, dans un souci de protection de l’ordre public ou d’eugénisme. Ainsi, en Allemagne, après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, une loi de 1933 instituait la stérilisation obligatoire de certains individus frappés de tares héréditaires. Une réglementation analogue a conduit, en Suède, à la stérilisation d’environ 63 000 personnes entre 1935 et 1976. Des dispositions identiques existent encore de nos jours, notamment en Chine (loi de 1994 destinée à améliorer la qualité de la population des nouveaux-nés), en Afrique du Sud, (loi de 1975), ou aux Etats-Unis (environ 100 000 malades mentaux y sont stérilisés chaque année).

            En France, sauf raisons médicales (invocables pour les seules femmes), la stérilisation, considérée comme une mutilation réprimée par le Code Pénal, a été longtemps interdite, même avec le consentement de l’intéressé. Cela dit, elle semblait assez couramment pratiquée en milieu hospitalier, souvent pour des motifs plus sociaux que médicaux.

            Finalement, en. 2001, on a introduit dans le Code de la santé publique un article L 2123 légalisant la stérilisation volontaire des majeurs (L 2123-1) et prévoyant (L 2123-2) pour les personnes souffrant d’altération de leurs facultés mentales constituant un handicap et placées sous tutelle ou curatelle un dispositif spécifique, au demeurant assez ambigu, mais jugé compatible avec la Convention EDH par le Conseil d’Etat (CE 26 sept. 2005, Association Collectif contre l’handiphobie, AJDA 2005 p. 1874).

            B – La contraception

            Elle est longtemps demeurée illégale, et interdite, en application d’une loi du 23 juillet 1920 réprimant à la fois l’avortement  et la » propagande des moyens malthusiens et anticonceptionnels «, considérés, après l’hécatombe de la 1ère guerre mondiale, comme de graves dangers nationaux.

            Il a fallu une longue lutte contre de nombreuses réticences, notamment celles de l’Ordre des Médecins, pour que la loi du 28 décembre 1967 (dite « loi Neuwirth ») légalise la contraception.

Cette pratique demeurant condamnée par l’Eglise catholique lorsqu’elle a lieu par des moyens artificiels, certains pharmaciens se retranchaient derrière leurs convictions religieuses et invoquaient une «clause de conscience« pour refuser de délivrer les produits contraceptifs. La Cour de Cassation y a vu un refus de vente, sanctionné par le Code de la Consommation (Cass. Crim. 21 oct. 1998, JCP 1999 II 10163 note Freund).

            2) L’avortement

            Aujourd’hui encore, il est interdit dans certains pays, notamment en Amérique latine, sous l’influence de l’Eglise catholique (l’encyclique Evangelium vitae de 1995 le qualifie de « meurtre délibéré d’un être humain innocent «), et dans le monde musulman (selon l’association Family Care International, environ 19 millions d’avortements clandestins auraient lieu chaque année dans le monde).

            En Irlande, l’art. 40 de la Constitution affirme le droit à la vie de l’enfant à naître. Cependant, en 1992, les 13ème  et 14ème  amendements ont admis la légalité d’une information des femmes en détresse sur les possibilités d’avortement à l’étranger, en les autorisant à effectuer le voyage à cette fin.

            L’Espagne, depuis 1985, ne l’autorise que dans 3 cas : danger pour la mère, risque de malformation du foetus, ou viol, et le Congrès, en septembre 1998, a refusé toute nouvelle libéralisation.

            Aux Etats-Unis, après une bataille juridique acharnée, la Cour Suprême, dans un arrêt du 22 janvier 1973, Roe c/ Wade, a affirmé que le droit à l’avortement fait partie du droit à la vie privée, une des libertés garanties par la Constitution. Cette consécration ne semble pas pour autant assurée définitivement, car les adversaires de l’avortement espèrent encore que les changements dans la composition  de la Cour permettront un jour un revirement.

            En France, la loi du 23 juillet 1920 en faisait un crime, tout en prévoyant une exception pour les avortements thérapeutiques, destinés à sauver la vie de la femme (solution condamnée par l’Eglise). La loi du 27 mars 1923 l’a correctionnalisé, pour en accroître la répression en évitant les réactions souvent trop émotionnelles des jurys d’assises.

Cette interdiction avait abouti à une situation difficilement admissible : on estimait dans les années 1970 le nombre des avortements clandestins à environ 300 000 par an, alors que seuls quelques uns de ceux-ci (4 à 500) étaient sanctionnés pénalement, et souvent de manière symbolique, les juges répugnant manifestement à punir une aussi infime minorité de contrevenantes malchanceuses.

            La jurisprudence, comme c’est souvent le cas, annonçait l’évolution législative : entre la répression accrue prônée par certains, et l’entérinement des faits, comme le souhaitaient d’autres, c’est la seconde solution qui a prévalu. La loi du 17 janvier 1975 (dite loi Veil), à titre expérimental, a légalisé sous condition l’avortement. Déclarée conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel (décis. du 15 janvier 1975 – GDCC), elle a été confirmée par les lois des 31 décembre 1979 et 4 juillet 2001.

            Ces textes créent une limitation de la portée du principe du « respect de tout être humain dès le commencement de la vie «, affirmé solennellement dans l’art. 1er de la loi de 1975. C’est pourquoi ils présentent un caractère restrictif, et n’admettent la possibilité de l’avortement que dans deux types de cas.

            A – L’interruption volontaire de grossesse à finalité sociale

            Elle apparaît un peu comme un palliatif à l’absence ou à l’insuffisance du contrôle des naissances : c’est pourquoi le législateur l’a soumise à 4 conditions :

            * condition de délai : Initialement, l’IVG ne pouvait avoir lieu que dans les 10 premières semaines suivant la fécondation : ce délai était bref rapporté aux 26 semaines de la Grande-Bretagne ou aux 24 semaines des Etats. Aussi n’était-il pas étonnant qu’environ 5000 Françaises ayant dépassé les délais légaux se rendent chaque année à l’étranger pour y avorter. La loi du 4 juillet 2001 a porté à 12 semaines de grossesse le délai légal.

 Pour les mineures, la prise en charge est anonyme et gratuite. L’accord des parents ou du représentant légal, jadis nécessaire, est désormais facultatif : l’intéressée doit juste être accompagnée d’un majeur de son choix.

            * condition de motif : elle est souple et d’ordre général : la femme doit être en situation de détresse, cette appréciation relevant d’elle seule (ainsi, le père ne doit pas nécessairement être consulté).

            * condition de procédure : les démarches sont assez lourdes et complexes, et comprennent trois phases d’entretiens et de consultations obligatoires, dont la finalité est manifestement dissuasive :

            – une phase médicale, avec consultation d’un médecin qui remettra à l’intéressée un dossier-guide et l’informera sur les risques possibles de l’opération, et sur les aides versées si la grossesse est menée à terme,

            – une phase sociale, avec consultation dans un centre agréé de conseil ou de planning familial (destinée, notamment, à sensibiliser, pour l’avenir, à l’utilisation des méthodes contraceptives).

            – une phase de confirmation de l’intention initiale, par envoi d’une lettre au médecin.

            * condition de lieu : Jusqu’à ces dernières années, l’IVG imposait une intervention matérielle (par aspiration) particulièrement traumatisante. Elle devait donc avoir lieu dans un établissement d’hospitalisation public ou privé agréé, l’intervention étant réalisée par un médecin. Dans les hôpitaux publics, un service doit nécessairement être organisé pour pratiquer les IVG. Mais les personnels peuvent refuser d’y participer si leur éthique s’y oppose.

L’invention d’une technique purement pharmaceutique par administration de substances  anti-hormonales a notablement amélioré le confort des patientes, et désormais l’opération peut également être réalisée par un médecin hors du  milieu hospitalier, dans le cadre d’une convention passée avec un établissement de santé.

            Le coût de l’opération est désormais pris en charge par la Sécurité sociale.

            Réalisé hors de ce cadre, l’avortement est illégal. Toutefois, le nouveau code pénal atténue sa répression (article 223-10), notamment en n’incriminant plus la femme qui s’avorte elle-même.

            B – L’IVG pour motif médical

            C’est l’avortement couramment dit thérapeutique. Il peut être pratiqué à tout moment, sur attestation de deux médecins membres d’une équipe pluridisciplinaire, dans 2 cas prévus par l’art. L 2213-1 du Code de la santé publique:

            *cas de mise en péril grave de la santé de la femme.

            *cas de forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic

            C’est cette seconde possibilité qui, avec l’évolution des techniques de diagnostic prénatal, a été considérée comme la plus susceptible de dérives.

            En effet, aujourd’hui, l’exploration par échographie, longtemps considérée comme un progrès décisif apparaît comme dépassée avec le développement de la médecine génétique, qui permet de déceler sur l’embryon ou le fœtus nombre de malformations ou maladies n’apparaissant jusque là qu’à la naissance, voire même plusieurs années après. C’est le cas, par exemple, pour la trisomie 21 (mongolisme), les myopathies, la mucoviscidose, certains cancers, la forme la plus courante de nanisme (achondroplasie), ou le retard mental (oligophrénie).

            On a donc vu dans l’avortement thérapeutique un risque de dérive eugénique (l’eugénisme est une politique de sélection par élimination en vue de l’amélioration de la race) : l’abus des diagnostics prénataux, outre les risques qu’il présente pour le fœtus, pourrait aboutir à une évolution inadmissible de la médecine, celle-ci se bornant à éliminer plutôt qu’à chercher à traiter et guérir.

 Pour tenter de conjurer les risques d’abus, on a introduit dans le Code Civil en 1994 un art.16-4 al.2 disposant : « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite «. La violation de cette interdiction est punie de 30 ans de réclusion criminelle et de 7 500 000 € d’amende (article 214-1 du Code pénal ).

            Le Code de la santé publique quant à lui (article L 2131-1 à 5) réglemente étroitement le diagnostic prénatal : il doit être précédé d’une consultation médicale adaptée à l’affection recherchée. Pratiqué hors du cadre légal, il est puni de 2 ans de prison et 30 000€ d’amende (article 511. 20 NCP).

            Les erreurs commises à l’occasion de sa réalisation peuvent susciter de graves questions juridiques et éthiques. Ainsi, la Cour de Cassation a-t-elle admis le droit à réparation d’un handicapé dont la mère aurait demandé à bénéficier d’un avortement thérapeutique si, à la suite d’une faute, les examens prénataux n’avaient révélé aucune anomalie (Ass. plén. 17 novembre 2000, Perruche, JCP 2000.II.10 438, rapport Sargos, concl. Sainte-Rose; v. ég. Cass. Ass. Plén. 13 juill. 2001, D. 2001 p. 2325 note Jourdain). Cette solution reposant sur une interprétation extensive du lien de causalité entre l’origine du dommage (l’erreur de diagnostic) et le préjudice subi (la difficulté des conditions de vie) a été abondamment commentée et majoritairement contestée.  Aussi, sous la pression conjointe des médecins et d’associations apparemment plus soucieuses de défendre les droits moraux des handicapés que leurs intérêts matériels, le législateur est-il intervenu dans la loi du 4 mars 2002 (article 1er) pour prévoir que « nul ne peut se prévaloir d’un préjudice du seul fait de sa naissance », en renvoyant sans autres précisions à la solidarité nationale la prise en charge des besoins des handicapés.

En pratique, les progrès de la médecine pourraient  limiter  progressivement le recours à l’avortement médical, auquel les fécondation «in vitro » (hors du corps de la mère) suivies de diagnostics préimplantatoires offrent désormais une alternative pour les couples présentant des risques particuliers de maladies génétiques (v. infra). En outre,  la chirurgie pré et post-natale sait traiter aujourd’hui nombre d’affections et de malformations jadis irréversibles.

* * * *

            En définitive, la réglementation de l’avortement constitue un bon exemple de tentative d’encadrement d’un phénomène unanimement considéré comme profondément déplorable, résultat d’une série d’échecs individuels, sociaux, ou scientifiques, dont il ne constitue qu’un palliatif  peu satisfaisant laissant généralement subsister des traumatismes psychologiques durables (en France, actuellement, env. 200 000 IVG sont pratiquées chaque année, ce qui représente un avortement pour 4 naissances viables).

            Si la légalisation de cette pratique a été contestée dès l’origine par certains courants, souvent au nom de convictions religieuses, la montée des intégrismes a provoqué leur radicalisation croissante ces derniers temps.

Faute d’avoir pu, malgré plusieurs tentatives au Parlement, obtenir une remise en cause de la loi, ses adversaires se sont donc aussi engagés dans une contestation extralégale, qui peut, sur le modèle des Etats-Unis, revêtir des formes violentes, avec l’intervention de véritables « commandos anti-IVG « empêchant le fonctionnement des services hospitaliers. Pour contrer ces actions, l’art. L 2223-2 du Code de la santé publique punit le délit d’entrave à l’IVG de 2 ans de prison, et de 30 000 € d’amende.  La Cour de Cassation a confirmé les sanctions prononcées contre les perturbateurs, malgré leurs arguments invoquant notamment l’état de nécessité (Crim. 31 janv. 1996, X et autres, D.196.IR p. 64).

 

SECTION II – LA PRODUCTION DE LA VIE

            Longtemps, la production de la vie a été considérée comme résultant de processus physiologiques trop complexes pour pouvoir être maîtrisée par les techniques médicales (ce qui n’excluait pas les pratiques paramédicales, voire magiques).

            Avec les progrès rapides de la biologie et de la médecine, les procédés dits de « procréation médicalement assistée « ont connu des développements spectaculaires, et une sophistication croissante, offrant une gamme de techniques permettant de corriger largement les stérilités masculines et féminines. A l’insémination artificielle (avec ou sans donneurs extérieurs), se sont ajoutées les fécondations in vitro (hors du corps), selon des procédés variables, à l’origine de ce que le langage commun a appelé les » bébés-éprouvettes «.

            Ces pratiques ont permis d’apporter une assistance efficace à des couples qui, à raison de difficultés diverses, étaient dans l’incapacité de procréer dans des conditions normales.        A la fin des années 1990, la mise au point sur les animaux de la technique du clonage permettant de reproduire un individu exclusivement à partir de ses propres cellules, a ouvert de nouvelles perspectives.

            Le développement de ces procédés laisse subsister, pour l’instant du moins, certaines interrogations proprement scientifiques, notamment quant à leurs séquelles ultérieures sur les êtres ainsi créés. Il a également fait découvrir des questions éthiques et juridiques complexes, puisque les manipulations opérées sur le processus de création de la vie et les perspectives ouvertes par les recherches sur l’embryon ont détaché la conception d’un être vivant de l’acte de procréation tel qu’il était jusque là compris. Ainsi, considérant cette évolution comme signe d’« un grave effondrement moral », l’Eglise catholique a déclaré  les techniques de procréation artificielle « moralement inacceptables parce qu’elles séparent la procréation du contexte intégralement humain de l’acte conjugal  (et) ouvrent la porte à de nouveau attentats contre la vie » (Encyclique  Evangelium vitae de 1995). Malgré cette condamnation,  elles sont aujourd’hui admises lorsqu’elles sont de simples substituts à la procréation normale, permettant de remédier à la stérilité. En revanche, elles suscitent davantage de réserves lorsqu’elles sont utilisées à d’autres fins.

 

            1 – La légalisation des palliatifs de la stérilité

            Jusqu’en 1994, en l’absence de loi, ce sont seulement l’administration et les juges qui ont posé les cadres généraux des pratiques de procréation médicalement assistée.

            Ainsi, le décret du 8 avril 1988 les a-t-il soumises à autorisation préalable. Pour le reste, ce sont les tribunaux qui ont rendu les décisions de principe sur certains procédés, dits de maternité de substitution, notamment celui dit des « mères porteuses «, ou « prêt d’utérus «, consistant à implanter dans le corps d’une femme un embryon qu’elle n’a pas contribué à produire et qu’elle portera jusqu’à la naissance, pour remettre ensuite l’enfant à un couple stérile.

            Tour à tour le Conseil d’Etat et la Cour de Cassation ont déclaré illicite ce procédé, jugé contraire aussi bien au principe de l’indisponibilité du corps humain qu’à celui de l’indisponibilité de l’état des personnes. (v. CE (Ass) 22 janv.1988 Assoc. Les cigognes, AJDA 1988 p.163 chr. p.151; Cass.1ère Civ.13 déc.1989, D.1990 p.273 rapport Massip; Cass .Ass.plén. 31 mai 1991, D.1991 p.417 rapport Chartier, note Thouvenin

            Finalement, le législateur est intervenu en 1994, en posant une interdiction de principe confirmant la jurisprudence précitée : selon le nouvel article 16-7 du Code civil créé par la loi 94-953, «toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle «.

Il reste que puisque la pratique est légale dans nombre d’Etats, notamment aux Etats-Unis, des Français s’y rendent fréquemment pour y recourir. Les tribunaux ont d’abord considéré comme contraire à l’ordre public cette pratique tournant la loi nationale. Toutefois un total revirement a été amorcé par un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 25 octobre 2007 (D. 2007, p. 2953), qui a jugé que les actes de naissance californiens d’enfants nés d’une mère porteuse reconnaissant la paternité du couple donneur de gamètes doivent être transcrits sur les registres nationaux de l’état civil. En juin 2008, un groupe de travail du Sénat sur la maternité pour autrui s’est prononcé en faveur de la légalisation encadrée du procédé.

            Si la technique des mères porteuses est encore illicite, les activités d’assistance médicale à la procréation ont été encadrées par les lois de juillet 1994 et août 2004, intégrées dans le Code de la santé publique (article L 2141-1 à 11) qui les autorisent dans des établissements et par des médecins agréés par l’Agence de la biomédecine.

            Il est prévu que doivent être privilégiées les tentatives de fécondation au sein du couple, et, donc, que le recours à des tiers donneurs de gamètes (spermatozoïdes ou ovocyte) n’est qu’une ultime indication, qui impose que les futurs parents donnent expressément leur consentement devant un notaire, « qui les informe des conséquences de leur acte au regard de la filiation  » (nouvel art. 311-20 du Code civil). Ainsi, aucun lien de filiation ne peut être établi entre l’enfant et l’auteur du don (article311-19 Code civil). A l’inverse les parents ne peuvent intenter aucune action en désaveu. L’enfant, lui-même, n’a aucun droit à connaître ses origines, car la loi du 22 janvier 2002 organisant ce droit pour les enfants adoptés ne semble pas pouvoir s’appliquer à ceux nés d’une procréation médicalement assistée.

Pour remédier à certaines formes de stérilité et permettre l’utilisation des embryons dits «surnuméraires«, la loi a prévu leur accueil par des couples tiers.

                        2 – Les réserves embarrassées à l’égard des pratiques considérées comme déviantes

            Aujourd’hui encore, pour le législateur, l’assistance à la procréation doit être avant tout le remède à l’infertilité pathologique d’un couple correspondant aux normes socialement dominantes c’est-à-dire marié ou menant une vie commune depuis plus de deux ans, et désirant un enfant au moment même où l’opération est réalisée. C’est pourquoi bien que l’évolution de la société et les progrès des sciences de la vie multiplient les occasions de concevoir des vies humaines hors du cadre de ce projet parental classique,  sont proscrites les procréations artificielles considérées comme socialement inopportunes, et aussi les opérations de fécondation jugées attentatoires à l’espèce humaine.

A – Les procréations artificielles jugées socialement inopportunes.

  Ce sont celles  demandées par les célibataires, veuves, couples d’homosexuelles. Ainsi sont interdits:

            * L’insémination d’une femme seule, célibataire ou veuve. Cela dit, l’opération peut avoir lieu dans les Etats où la loi ne l’interdit pas, par exemple en Belgique, et est au demeurant techniquement possible hors du cadre médical.

            * L’implantation d’embryons à une femme seule.

            Les fécondations in vitro sont précédées de stimulations ovariennes aboutissant à des fécondations multiples, et, donc à la production de plusieurs embryons, conservés par congélation, et réimplantés, le cas échéant, en fonction des résultats (le taux de réussite des FIV est d’environ 14%). La mère ne peut invoquer le droit à la vie privée garanti par l’art. 8 de la Convention EDH pour revendiquer l’implantation si le père s’y oppose (CEDH, 10 avril 2007, Evans c/ Royaume-Uni, D. 2007 p. 1202). En cas de rupture du couple ou de décès d’un de ses membres, les embryons sont selon le cas détruits ou, avec l’accord des deux parents ou du survivant,   accueillis par un autre couple (articleL.2141-4 al.2 CSP).

            * Le don d’embryons à un couple ne justifiant pas d’un besoin, c’est à dire d’une infertilité médicalement diagnostiquée.

B – Les  fécondations artificielles et manipulations jugées attentatoires à l’espèce humaine

Les progrès rapides des biotechnologies ont révélé d’infinies possibilités de manipulation sur les embryons, et, donc, les enjeux de leur production « in vitro » à des fins multiples. 

Généralement pris de court, les pouvoirs publics nationaux prennent acte de cette évolution en s’efforçant de concilier l’intérêt de la  recherche scientifique avec la préservation de valeurs considérées comme inhérentes à l’espèce humaine. D’où des solutions posant souvent avec ambiguïté  des principes généraux assortis de nombreux cas de dérogation.

Significative de ces hésitations est la démarche adoptée à l’égard du clonage. Après sa mise au point sur l’animal, son extension à l’homme a d’abord suscité une vertueuse et unanime réprobation. Cependant, les perspectives thérapeutiques ouvertes par sa combinaison avec les procédés de procréation médicalement assistée ont conduit certaines autorités médicales et politiques à nuancer leurs points de vue à son égard, en distinguant selon ses finalités. Le clonage dit reproductif est en général solennellement condamné. Ainsi, en France la  loi du 6 août 2004 a introduit dans le Code civil un article 16-4 selon lequel « est interdite toute intervention ayant pour but de faire naître un enfant génétiquement identique à une autre personne vivante ou décédée » et prévu de lourdes sanctions pénales en cas d’infraction à cette interdiction, qualifiée de « crime contre l’espèce humaine » (article 214-2 du Code pénal : 30 ans de réclusion et 7 500 000€ d’amende).

Pour le  clonage thérapeutique les solutions sont plus nuancées. Autorisé en Grande Bretagne par le Parlement depuis le 20 décembre 2000, il est certes interdit en France par la loi du 6 août 2004 (article L 2151-4 CSP : « est également interdite toute constitution par clonage d’un embryon humain à des fins thérapeutiques »), mais sanctionné toutefois moins sévèrement (7 ans de prison et 300 000€ d’amende) que le clonage reproductif. Il est vrai qu’il a fait l’objet d’un avis favorable du 18 janvier 2001 du Comité national d’éthique, et on peut présumer que compte tenu de ses perspectives prometteuses dans le traitement de certaines affections et de la pression des chercheurs et médecins, il finira par bénéficier d’un régime d’autorisation sous contrôle sur le modèle anglais.

Une fois l’embryon conçu, il peut subir in vitro des manipulations à fins multiples.

Celles-ci peuvent consister en un diagnostic préimplantatoire de maladies génétiques, voire même de simples prédispositions, dans le cadre d’un projet parental classique, mais pour lequel la fécondation in vitro a été choisie de préférence aux procédés normaux. Le diagnostic avant l’implantation dans l’utérus et l’élimination des embryons non sains s’avèrent en effet plus commodes que le diagnostic prénatal suivi d’un avortement thérapeutique, et le nouvel article L 2131-4 du CSP résultant de la loi du 6 août 2004 autorise désormais ce procédé « à titre exceptionnel ».

De même, après un avis très nuancé rendu en 2002 par le Comité  national d’éthique, la loi autorise la pratique dite des « bébés-médicaments », en développement rapide ces derniers temps, consistant à concevoir in vitro en le sélectionnant grâce aux diagnostics génétiques préimplantatoires adéquats, un enfant dont les cellules permettront de traiter un frère ou une sœur malade (nouvel art. L 2131-4-1 du CSP).

            Enfin, hors cette fois de tout projet parental, les embryons peuvent être utilisés à des fins de recherche : il s’avère en effet aujourd’hui  qu’ils constituent un extraordinaire gisement biologique, puisqu’ils comprennent des cellules dites «cellules souches »capables de participer à la formation de tout l’organisme, et sources d’espoir pour le traitement de nombreuses affections. Sous la pression des chercheurs majoritairement favorables à une utilisation des cellules embryonnaires à des fins médicales, la loi du 6 août 2004, avec beaucoup d’hypocrisie, crée  dans le Livre I du Code de la santé publique un titre V intitulé « recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires » qui, tout en réaffirmant solennellement que « la recherche sur l’embryon humain est interdite » (article L 2151-5), autorise sous conditions « à titre exceptionnel » et « par dérogation » pour cinq ans les recherches scientifiques sur les embryons qui ne font plus l’objet d’un projet parental. L’importation de cellules souches provenant d’Etats où la législation est moins contraignante est également possible, sur autorisation de l’Agence de la biomédecine.

 

Chapitre II – Prendre la vie

            C’est donner la mort. Celle-ci est un phénomène naturel, mais elle soulève des problèmes se rattachant aux droits et libertés lorsqu’elle est provoquée, soit comme sanction, soit comme délivrance.

 

SECTION I – LA MORT SANCTION

            Le débat a été longtemps ouvert sur la compatibilité entre un régime proclamant les droits de l’homme et l’existence de la peine de mort.

La Convention, le 4 brumaire an IV, l’a abolie, mais seulement à compter du retour de la paix. Le Code Pénal de 1810 l’avait rétablie, et il faudra attendre la victoire de la gauche en 1981 pour que la France, après la plupart des pays de l’Europe occidentale, par la loi du 9 octobre 1981, l’abolisse. Lors des débats parlementaires, M. Badinter, Garde des Sceaux, avait déclaré : « Cette justice d’élimination, cette justice d’angoisse et de mort, décidée avec sa marge de hasard, nous la refusons. Nous la refusons parce qu’elle est pour nous l’antijustice, parce qu’elle est la passion et la peur triomphant de la raison et de l’humanité « .

Après que la Cour EDH, ait refusé de qualifier la peine de mort de traitement inhumain et dégradant (CEDH 7 juill. 1989 Soering c/ Royaume Uni) elle a opéré un revirement dans un arrêt du 12 mars 2003, Ocalan c/ Turquie (confirmé en Grande Chambre le 12 mai 2005) (entre-temps la peine de mort avait été abolie dans cet Etat par une loi du 3 août 2002).

Le Protocole additionnel n° 13 à la Convention européenne des droits de l’homme, entré en vigueur le 1er juillet 2003, a prévu l’abolition de la peine de mort en toutes circonstances.

Sur le plan mondial, l’Assemblée générale de l’ONU a adopté dans une résolution du 15 décembre 1989 un «deuxième protocole facultatif se rapportant au pacte international sur les droits civils et politiques, visant à abolir la peine de mort«. Celui-ci n’a pour l’instant été ratifié que par 49 des 191 membres de l’Organisation. Il est vrai que malgré l’action des mouvements abolitionnistes, actuellement, environ 60 Etats maintiennent encore la peine capitale, dont 5 pour les mineurs, et en 2007, 24 l’ont appliquée au total à 1 252 condamnés (la Chine représentant à elle seule environ 70% des exécutions).

L’exemple des Etats-Unis où, après qu’elle ait failli être abolie pour inconstitutionnalité en 1972, et ait fait l’objet d’un moratoire de fait entre 1967 et 1976, le nombre des Etats la prévoyant est passé en 3 ans de 20 à 38, dont 24 l’autorisant pour les mineurs, est révélateur de la discordance entre ce type de châtiment et un régime se réclamant de la protection des droits de l’homme. En 2007, 42 exécutions y ont eu lieu, et  environ 3 200 condamnés attendent actuellement dans les couloirs de la mort, alors que l’on a pu souvent constater que les conditions dans lesquelles elle est prononcée et appliquée témoignent de graves risques d’erreur judiciaire et d’incohérences manifestes.

La Cour suprême a cependant rendu ces derniers temps d’importantes décisions annonciatrices d’une évolution vers un encadrement plus strict de cette sanction. Ainsi, en juin 2002 elle a interdit l’exécution des handicapés mentaux d’une part, et imposé que la peine ne soit pas prononcée par un juge unique (comme c’est le cas pour environ 800 des condamnés actuels), mais par un jury. Puis, elle a jugé dans un arrêt du 1er mars 2005 (Simmons c/ Missouri) que lorsque le crime a été commis par un mineur, la condamnation de celui-ci à la peine capitale est contraire à la constitution, et notamment au 8ème amendement, qui interdit les sanctions cruelles ou exagérées. Elle a également amorcé un contrôle sur la proportionnalité entre la gravité du crime commis et celle de la sanction en la déclarant inconstitutionnelle pour les viols d’enfants (25 juin 2008 Kennedy v/ Louisiana). En revanche, le 16 avril 2008, elle a jugé que les injections létales, qui aujourd’hui constituent la méthode d’exécution la plus  courante, ne constituent pas un châtiment « cruel » au sens de la constitution.

Malgré les réactions émotionnelles provoquées périodiquement par certains actes criminels, un retour en arrière serait difficilement envisageable en France, puisque afin de pérenniser l’évolution, la révision constitutionnelle du 19 février 2007 a introduit l’interdiction de la peine de mort dans la Constitution (article 66-1 : » Nul ne peut être condamné à la peine de mort «).

 

SECTION II : LA MORT DÉLIVRANCE

            On la considère alors comme une libération, la fin d’un état impossible à supporter. Donnée par soi-même, c’est le suicide, donnée par un tiers, c’est l’euthanasie.

 

            1) Le suicide

            Les options philosophiques ou religieuses de chacun le conduisent à porter sur le suicide des appréciations variables. Est-ce une ultime manifestation de la liberté ? N’est ce qu’une renonciation devant des difficultés jugées sans issue ? Le droit ne saurait apporter de réponse à ces interrogations.

            Du moins confirme-t-il, par ses solutions, le caractère exclusif du droit reconnu à l’être humain sur sa vie : l’homme est le seul à pouvoir légalement mettre fin volontairement à    celle-ci : le suicide n’est pas répréhensible, et donc, la tentative de suicide ne l’est pas non plus, même si le nombre croissant des personnes choisissant de se donner la mort (plus de    12 000 et environ 120 000 tentatives par an en France) fait du suicide un grave problème de société.

            Il n’en va pas de même pour l’aide ou l’incitation au suicide, depuis une affaire qui souleva des controverses dans les années 1980, celle de l’ouvrage « Suicide mode d’emploi« , qui contenait des « recettes » pour réussir son suicide (et même des conseils «pour éviter les risques de réanimation«).

Une enquête parlementaire avait révélé qu’il pouvait avoir été directement à l’origine d’environ 75 suicides. Aussi le législateur est-il intervenu et désormais, l’article 223-13 du Code Pénal punit sévèrement (jusqu’à 5 ans de prison et 75 000euros d’amende) « le fait de provoquer au suicide d’autrui ». L’art. 223-14 punit également la propagande en faveur de produits, d’objets ou de méthodes permettant le suicide (v. pour une application: Cass. Crim. 13 nov. 2001, JCP 2002.IV.p. 105: condamnation d’une revue publiant une information sur un « guide du suicide »).

            En ce qui concerne les médecins, lorsqu’ils ont affaire à un patient dont le comportement (refus de soins, grève de la faim) peut être considéré comme suicidaire, ils doivent respecter sa volonté (article 36 (R 4127-36 CSP) du code de déontologie médicale) à condition de ne pas lui fournir une aide. Toutefois, l’art. D 364 du Code de procédure pénale prévoit que les détenus faisant la grève de la faim peuvent être alimentés de force lorsque leur état de santé s’altère gravement.

 

            2) L’euthanasie

            Ethymologiquement, elle consiste à donner une mort douce et sans souffrance pour abréger la fin inéluctable d’un malade.

Aucun texte applicable à notre ordre juridique ne garantit pour l’instant le droit d’y recourir. La CEDH avait été invitée, entre autres arguments, à en faire un corollaire négatif du droit à la vie consacré par l’art. 2 de la Convention, à l’occasion du recours, largement relaté par les médias, d’une Anglaise atteinte d’une maladie incurable la conduisant inéluctablement à une mort douloureuse, demandant que son mari ne soit pas poursuivi s’il abrégeait ses souffrances. Toutefois, elle a refusé l’interprétation suggérée, en considérant que « l’article 2 ne saurait, sans distorsion de langage, être interprété comme conférant un droit diamétralement opposé, à savoir un droit à mourir ; il ne saurait davantage créer un droit à l’autodétermination en ce sens qu’il donnerait à tout individu le droit de choisir la mort plutôt que la vie » (CEDH 29 avril 2002, Pretty c/ Royaume-Uni, JCP 2003 II 10 062 note Girault.).

            En réalité, il est difficile d’encadrer cette pratique par des règles juridiques précises. On constate en effet en premier lieu qu’elle peut prendre des formes multiples : geste provoquant la mort (euthanasie dite active), renonciation à soigner ou à prolonger l’acharnement thérapeutique (euthanasie passive), fourniture des moyens de la mort (aide au suicide).

            En second lieu, les motivations de l’euthanasie peuvent elles mêmes être multiples : il est difficile, parfois, pour expliquer un acte se réclamant d’une réaction de pitié, de faire la part entre le geste purement altruiste, et le refus égoïste de supporter la souffrance d’autrui. Au demeurant, l’humanisme peut être parfois invoqué pour dissimuler des motivations moins avouables, notamment d’ordre économique (réduire les dépenses dues à des traitements coûteux) ou médical (utiliser le cadavre à des fins diverses).

De plus, le caractère insupportable de la souffrance, lui aussi, est susceptible d’appréciations variables : il est possible de prendre en compte la douleur résultant de la dégradation physique du corps, mais on peu également considérer que certaines souffrances purement psychologiques sont insupportables, si elles sont vécues comme telles.

            Malgré la difficulté d’établir une réglementation de telles pratiques, certains Etats ont tenté de les encadrer en admettant, généralement, une sorte de » suicide médicalement assisté «.

            Ainsi, aux Pays-Bas, l’euthanasie pratiquée par les médecins, d’abord simplement dépénalisée en 1993, est désormais autorisée sous certaines conditions par une loi du 12 avril 2001.

            Aux Etats-Unis, l’Etat de l’Oregon a adopté le 8 novembre 1994, sous forme d’initiative populaire, une loi » mourir dignement  (Death with dignity Act)«, avec 51% de voix favorables. Ce texte institutionnalise l’aide au suicide, par fourniture de produits létaux, en l’entourant d’un luxe de précautions destinées à éviter les dérives (en 2006, 65 demandes ont été acceptées, et 46 décès ont eu lieu dans le cadre de la loi). Bien que la Cour Suprême fédérale ait auparavant jugé le 26 juin 1997 (Washington v. Glucksberg et autres) que si l’individu a le droit de mourir dans la dignité, la Constitution ne garantit pas un droit général à « l’assistance au suicide «, elle a validé ce dispositif dans un arrêt du 17 janvier 2006, en considérant, sans se prononcer au fond, que la question relève de la compétence des Etats fédérés.

            En Grande-Bretagne, en l’absence de loi, la Haute Cour de Justice et la Chambre des Lords se sont fondées sur le droit à l’autodétermination du malade pour ouvrir la voie à l’euthanasie passive par interruption de traitement sur demande du patient dans des arrêt des 4 février 1993 (Airedale NHS Trust v. Bland) et 22 mars 2002 (Ms B v. an NHS Hospital). Elle a cependant entendu également éviter les risques de dérive en jugeant le 29 novembre 2001, dans l’affaire Diane Pretty évoquée plus haut, que le mari de l’intéressée serait pénalement répréhensible s’il l’aidait à se suicider. L’euthanasie active reste donc interdite.

En France, on a longtemps considéré que le développement des unités de soins dits palliatifs permettrait de mieux concilier le respect de la vie et l’accompagnement médical des mourants. C’est pourquoi l’euthanasie reste interdite, notamment aux médecins (article 38 du code de déontologie médicale (article R4127-38 du code de la santé publique). C’est une faute disciplinaire, et sur le plan pénal un homicide ou une complicité d’homicide.

            En réalité, malgré cette interdiction, l’euthanasie passive ou active est, semble-t-il, aussi couramment pratiquée en France qu’ailleurs, mais généralement dans la discrétion. C’est sans doute pourquoi, par réalisme, un avis controversé n° 063 du 27 janvier 2000 du Comité national d’Ethique avait suggéré que sa pratique limitée soit tolérée, avec le consentement de l’intéressé, lorsqu’elle est le dernier moyen de faire face à l’inéluctable, en admettant une sorte d’«exception d’euthanasie« dépénalisant le geste létal.

Après que le retentissement de la mort de Vincent Imbert, donnée sur sa demande par sa mère et son médecin en 2003, ait ravivé le débat, a finalement été adoptée la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie (dite loi Léonetti), modifiant notamment l’article L1110-5 du Code de la santé publique. Sans pour autant légaliser l’euthanasie active, ce texte encadre la décision de mettre fin aux traitements médicaux, auxquels doivent être substitués des soins palliatifs. Il n’est cependant pas sûr qu’il règle définitivement cette question douloureuse, relancée en mars  et en août 2008 et par la mort dans des conditions controversées de deux malades  atteints d’affections incurables. 

             

S/Titre II : La libre disposition de son corps

            L’être humain dispose en principe librement et exclusivement de son corps.

            Toutefois, l’exercice de cette liberté doit être compatible avec les contraintes de l’ordre public. Aussi un individu ne peut, même s’il est consentant, et même s’il en tire ses moyens de subsistance, prêter son corps pour une attraction dégradante, portant atteinte à la dignité humaine, «qui est une des composantes de l’ordre public« (CE (S) 27 octobre 1995 ville d’Aix en Provence, RFDA 1995 p. 1204 concl. Frydman : l’autorité de police peut interdire le «lancer de nains«).

            Les principales restrictions posées par la loi et la jurisprudence concernent la sexualité (Chapitre I), le bon état de fonctionnement du corps lui-même, c’est-à-dire la santé (chapitre II), et l’usage du corps à des fins médicales (chapitre III).

 

Chapitre I : La sexualité

            Dans ses relations avec les libertés, cette question est généralement abordée sur deux plans : d’une part celui de la détermination du sexe d’un individu (section I), d’autre part celui de ses pratiques sexuelles (section II).

 

SECTION I : LA DÉTERMINATION DU SEXE

            La loi ne donne pas de définition du sexe, mais impose que dès sa naissance chaque individu soit rattaché, par le service de l’état-civil, à l’un des deux sexes juridiquement reconnus, masculin ou féminin. Cette qualification est obligatoire, quelles que soient les anomalies organiques, et doit être mentionnée dans l’acte de naissance. Elle conditionne par la suite la situation de l’individu, et ses droits et obligations (longtemps, par exemple vis-à-vis du service national).

            Or, de longue date, on a pu constater que certaines personnes s’accommodaient mal du sexe qui leur avait été officiellement attribué, pour lequel elles éprouvaient parfois un véritable sentiment de rejet.

            Les progrès de la médecine ont, dans ce domaine aussi, entraîné de véritables bouleversements. Aux substituts rudimentaires auxquels pouvaient recourir les travestis ont succédé les techniques sophistiquées des traitements hormonaux et de la chirurgie, qui permettent des mutations spectaculaires, le plus souvent pour passer du sexe masculin au sexe féminin.

            Le droit a alors dû affronter le phénomène du transsexualisme, qui concerne des personnes «qui, tout en appartenant physiquement à un sexe, ont le sentiment d’appartenir à l’autre (et) essayent souvent d’accéder à une identité plus cohérente et moins équivoque en se soumettant à des soins médicaux et à des interventions chirurgicales, afin d’adapter leurs caractères physiques à leur psychisme« (selon la définition donnée par la CEDH dans un arrêt du 17 octobre 1986 Rees c/ Royaume Uni).

            A la différence d’Etats qui, comme la Suède en 1972, ont réglé la question par la loi, la France a, jusqu’à présent, laissé aux seules autorités judiciaires le soin de se prononcer cas par cas.

            La Cour de cassation, se fondant sur une conception traditionnelle de l’ordre public impliquant une séparation tranchée entre hommes et femmes, a d’abord opposé un refus systématique de remise en cause du classement initial,  qu’elle considérait comme définitif par référence à l’indisponibilité de l’état des personnes. Seul était donc possible le changement éventuel du prénom, autorisé à l’époque par l’art. 57 du Code civil «en cas d’intérêt légitime«, le sexe de l’état-civil ne pouvant, lui, être modifié.

            Le transsexuel pouvait donc, dans sa vie quotidienne, notamment professionnelle, subir les inconvénients du décalage entre son apparence et son état-civil officiel. Saisie, la CEDH a estimé qu’il en résultait une situation portant atteinte au respect de la vie privée garanti par l’art. 8.1 de la Convention et a condamné la France (CEDH 25 mars 1992, B c/ France, D. 1993 p. 101 note Marguenaud).

Quelques mois plus tard, la Cour de Cassation, prenant acte de cette condamnation, opérait un revirement, faisant prévaloir, cette fois, le principe du respect de la vie privée sur celui de l’indisponibilité de l’état des personnes et reconnaissant la possibilité d’un changement d’état-civil, sans toutefois consacrer pour autant le changement de sexe. (Ass. Plén. 11 décembre 1992. René X et Marc Y, JCP 1993 II 21991 concl. Jeol, note Méneteau).

Il est vrai que la solution adoptée sous la pression de la CEDH est riche de difficultés virtuelles, sur lesquelles celle-ci ainsi que les juridictions nationales sont progressivement conduites à statuer. Ainsi, on peut s’interroger par exemple sur les effets du changement d’état-civil sur les liens du  mariage (antérieur ou projeté) (v. TGI Caen 28 mai 2001, D. 2002 p. 124 note Mauger-Vielpeaux: divorce prononcé aux torts de l’époux transsexuel devenu femme; CEDH 11 juill. 2002, Christine Goodwin c/ Royaume Uni : le droit national qui interdit à un transsexuel de se marier avec une personne de son sexe d’origine porte atteinte à la substance même du droit de se marier). Le changement peut aussi susciter des interrogations en matière de filiation (v. p. ex. CEDH 22 avril 1997 X. et autres c/ Royaume Uni, D.1997 p.583 note Grateloup : le service de l’état civil peut refuser d’enregistrer comme père un transsexuel dont l’épouse a bénéficié d’une insémination artificielle avec donneur).

La reconnaissance des droits économiques et sociaux semble en revanche susciter moins de réserves, notamment dans l’ordre juridique communautaire. Ainsi, pour la CJCE (7 janv. 2004, K B c/ National Health Service Pensions Agency D. 2004 p. 979 note Icard), un couple comprenant un transsexuel doit bénéficier des mêmes conditions de rémunération qu’un autre. De même le changement de sexe doit être pris en compte pour l’âge de la retraite (CJCE 27 avril 2006, Richards c/ Secretary of State for Work and Pensions, aff. C-423/04, D. 2006 IR p. 1248).

           

SECTION II : LES PRATIQUES SEXUELLES

            Bien qu’aucun texte ne garantisse expressément leur liberté,  celle-ci est consacrée par le droit positif, même pour les comportements considérés comme déviants par la morale sociale dominante. La Cour EDH en fait en effet une modalité du droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention (CEDH 22 octobre 1981, Dudgeon c/ Royaume Uni). Son statut constitue un bon exemple d’application du régime dit répressif évoqué en première partie du cours: elle s’exerce sous la seule réserve de ne pas porter atteinte à la liberté d’autrui ou à l’ordre public. A cet égard, on doit constater que notre droit pose encore pas mal de limites à la revendication de la liberté sexuelle.

            Ainsi, par exemple, sont répréhensibles les relations sexuelles des majeurs avec des mineurs de 15 ans (article 227-25 CP et loi du 17 juin 1998), le viol entre époux (Cass. crim 11 juin 1992, D. 1993 p. 75, note Rassat, le harcèlement sexuel (article 222-23 CP et art. 122-46 et s. du code du travail), les pratiques, même consenties, entraînant des dommages corporels (CEDH 19 février 1997, Laskey et autres c/ Royaume-Uni : pratiques sado-masochistes de trois homosexuels enregistrées sur cassettes; CEDH 17 février 2005 K.A et A.D. c/ Belgique : pratiques sadiques dans la société bourgeoise belge), etc. De même, est réprimée l’exhibition sexuelle en public (article 222-32 CP). Sur le plan pénal, les auteurs d’infractions sexuelles sont soumis à un régime particulier, puisque depuis la loi du 9 mars 2004 (dite loi Perben 2), ils sont répertoriés dans un fichier national judiciaire automatisé.

            Pour le reste, l’individu est libre d’utiliser son corps comme il l’entend. Ainsi, la prostitution est admise en France, alors qu’au même titre que le lancer de nains, elle pourrait être considéré comme contraire à la dignité humaine, et qu’en Suède ses clients sont passibles de 6 mois de prison,. Avec beaucoup d’équivoque, la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure a cependant fait du racolage public une infraction (article 225-10-1 du Code pénal), que les tribunaux semblent pour le moins réticents à sanctionner.

Le même régime libéral s’applique aux relations sexuelles hors mariage : l’adultère, jadis puni plus sévèrement chez la femme, a été dépénalisé par la loi du 11 juill.1975, bien que l’art. 212 du Code Civil consacre toujours le devoir de fidélité des époux. Il ne constitue pas non plus une faute civile (Cass. 2ème Civ. 5 juill. 2001, D. 2001 IR p. 2363). Commis par un militaire, il ne porte pas gravement à la dignité et au renom de l’armée (CE 15 juin 2005, B…, AJDA 2005 p. 1689, concl. Casas). Quant à son produit éventuel, l’enfant adultérin, son traitement traditionnellement défavorable par le droit français des successions a été jugé contraire à l’article 14 de la Convention (CEDH 1er fév. 2000, X, D. 2000 II p. 332 note Thierry).

La question de l’homosexualité soulève d’avantage de difficultés. En effet,  bien que depuis la Révolution elle ne soit plus interdite en France, alors qu’elle a longtemps fait l’objet d’une répression pénale dans de nombreux Etats, notamment en Grande Bretagne, et demeure encore condamnée par une minorité d’entre eux (Irlande, Chypre, Roumanie…), l’essentiel des débats porte aujourd’hui sur les droits qui peuvent être reconnus aux homosexuels. Ainsi, par exemple, alors que certains Etats tels les Pays-Bas, la Suède, le Canada,  l’Espagne ou la Grande Bretagne admettent désormais leur mariage, les autorités françaises interprètent le Code civil comme le réservant aux couples de sexe différent (v. la confirmation de l’annulation du mariage prononcé entre deux hommes par la Cour de cassation le 13 mars 2007 (D. 2007 p. 1394, rapport Pluyette, note Agostini).

En outre, les couples d’homosexuels formés hors mariage éprouvent, à la différence des concubins hétérosexuels, des difficultés à constituer une famille. Ainsi, les juridictions des deux ordres s’avèrent généralement hostiles à leur accès à l’adoption.

La procédure exigeant dans certains cas l’agrément des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, le Conseil d’Etat a jugé légal le refus opposé au motif que le candidat à l’adoption ne présente pas, du fait de son homosexualité, des garanties suffisantes sur les plans familial, éducatif et psychologique pour accueillir un enfant (v. not. CE 5 juin 2002, Melle B. AJDA 2002 p. 615 concl. Fombeur). Toutefois la CEDH, dans un arrêt du 22 janvier 2008, B. c/ France, a déclaré ce motif contraire aux articles 8 (droit à la vie privée) et 14 (principe de non discrimination) de la Convention.

Outre les difficultés résultant de la procédure administrative d’agrément, les candidats homosexuels à l’adoption doivent affronter celles résultant de la réticence des juridictions judiciaires. Ainsi, la Cour de Cassation a jugé que puisque l’adoption simple confère l’autorité parentale au seul adoptant, la compagne d’une homosexuelle ne peut l’obtenir à l’égard de l’enfant de celle-ci. Il en résulterait en effet une perte de ses droits par la mère biologique (Cass. 1ère civ. 20 février 2007, D. 2007 p. 891 note Chauvin).

Du moins, statuant  à propos d’un enfant né à la suite d’une insémination artificielle pratiquée en Belgique sur sa mère vivant une relation homosexuelle, la Cour  a-t-elle malgré tout amorcé une évolution déterminante en considérant que le code civil ne s’oppose pas au partage de l’autorité parentale au sein du couple (1ère Civ. 24 février 2006, D. 2006 IR p. 670). On peut cependant se demander si cette solution, bien que parfois saluée comme consacrant la reconnaissance générale de la famille homoparentale ne demeurera pas surtout cantonnée à l’homosexualité féminine.

A défaut de la reconnaissance des mêmes droits matrimoniaux que les hétérosexuels, la communauté homosexuelle a malgré tout obtenu une protection spécifique par la loi du 30 décembre 2004, qui sanctionne comme délits de presse les propos discriminatoires à caractère sexiste ou homophobe.

 

Chapitre II – La santé

            C’est en premier lieu une préoccupation purement individuelle, que le droit assortit d’un certain nombre de garanties (section I). Mais la santé de l’individu peut aussi avoir des incidences sociales, c’est pourquoi elle peut justifier certaines contraintes (section II).

 

SECTION I – LES DROITS DE  L’ INDIVIDU SUR SA SANTE

            C’est tout à la fois le droit à la protection de sa santé, le droit, ou la liberté, de négliger sa santé, et le droit à la maîtrise de l’information sur son état de santé.

            1 – Le droit à la santé

            (v. J. Moreau : Le droit à la santé. AJDA 1998, n° spécial sur les droits fondamentaux, p.185).           

Il fait l’objet d’affirmations solennelles auxquelles leur caractère vague confère surtout la valeur de voeux. Ainsi, sur le plan international, le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels, de 1966, énonce que « les Etats parties au présent pacte reconnaissent le droit qu’a toute personne de jouir du meilleur état de santé physique et mentale qu’elle soit capable d’atteindre « .

            La Convention EDH ne s’y réfère pas expressément, mais la Cour en fait par une interprétation extensive, une modalité du droit à la vie privée et familiale de l’article 8 (v. p. ex. CEDH 19 fév. 1998 Guerra et autres c/ Italie : risques sanitaires créés par la proximité d’une usine de produits chimiques.

            En France, le préambule de 1946 proclame que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé «.

            De toute évidence cette disposition ne crée pas un « droit créance « à la bonne santé au profit de ses bénéficiaires, et le Conseil d’Etat a jugé qu’il n’en résulte pas que le droit à la santé soit une liberté fondamentale relevant du référé-liberté (CE ord. réf. 8 sept. 2005, Garde des Sceaux, AJDA 2006 p. 377, note Laudijois).

Du moins pourrait-on considérer que chacun bénéficie d’un accès aux soins dans des conditions égalitaires. Or, dans les Etats économiquement et socialement développés qui ont, dans ce domaine, longtemps fait figure de modèles, depuis quelques années, le souci de maîtriser l’explosion des dépenses dites de santé prises en charge par la collectivité a provoqué des restrictions susceptibles de remettre en cause la réalisation des objectifs proclamés. En France, les réformes successives de l’assurance maladie ont été considérées par d’aucuns comme l’amorce d’un rationnement des soins, mais ont été jugées compatibles avec le droit à la santé par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 12 août 2004 (Rec. p. 153).

            Plus que comme source d’obligations à caractère médical, le droit à la santé est invoqué pour fonder des mesures à caractère préventif. Ainsi, sa valeur constitutionnelle permet de justifier la limitation de certaines libertés, elles mêmes constitutionnelles, notamment la liberté d’entreprendre (v. à propos du contrôle sur la loi du 10 janvier 1991, dite loi Evin, limitant la publicité en faveur du tabac et de l’alcool, jugée conforme aux « exigences de la protection de la santé publique, qui ont valeur constitutionnelle « : Cons. Constit. 8 janv.1991, AJDA 1991, p. 382 note Wachsmann).

            2 – Le droit de négliger sa santé

            Il est reconnu à l’individu lorsqu’il semble que son choix n’affecte que lui-même, et, donc, peut relever exclusivement de son libre arbitre. Cette faculté peut se traduire par deux types de comportements.

            – D’une part l’intéressé peut se livrer à des pratiques susceptibles de mettre sa santé en danger, par exemple la consommation d’alcool, ou de tabac, considérée comme non répréhensible tant qu’elle n’affecte pas l’ordre public ou les tiers (divers textes répriment l’ivresse publique, ou le tabagisme).

            – D’autre part, l’intéressé peut refuser les soins exigés par son état de santé. Cette liberté est notamment consacrée par l’art. 16-3 du Code Civil et par le Code de déontologie médicale (D. 6 sept. 1995), dont l’art. 36 dispose que « le consentement de la personne examinée ou soignée doit être recherché dans tous les cas ».

            Il reste que si le refus des soins témoigne parfois d’un choix mûrement réfléchi (par exemple contre l’acharnement thérapeutique), il peut aussi être opposé dans des conditions plus discutables : ainsi, il peut être simplement lié à la marginalisation sociale, qui conduit souvent à un véritable oubli du corps, ou à l’adhésion à des croyances religieuses imposant certains préceptes sanitaires rigoureux, tels ceux des Témoins de Jéhovah, prohibant la transfusion sanguine. L’intervention des médecins  contre le gré de l’intéressé est alors regardée avec une certaine indulgence (v. sur le rejet d’actions en responsabilité à raison de transfusions effectuées contre leur gré sur les adeptes de ce culte : CE (Ass.) 26 oct. 2001, Mme X., RFDA 2002 p. 146 concl. Chauvaux).

            A plus forte raison le refus des soins peut-il être contesté lorsqu’il est opposé par les parents en tant que représentants légaux de leur enfant mineur. Alors, il appartient au corps médical de passer outre : l’art. 43 (R 4127-43 CSP) du Code de déontologie médicale prévoit que «le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage ».

            3 – Le droit à la maîtrise de l’information sur l’état de santé

            Il s’exerce sur deux plans en combinant des obligations d’information de l’intéressé et de discrétion vis à vis des tiers.

A – Le droit à l’information résulte notamment de l’article 22 du code de déontologie qui met à la charge du médecin une obligation d’information loyale et claire du malade.

En réaction contre des pratiques faisant souvent prévaloir le secret, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé a introduit dans le Code de la santé publique un article L 1111-7 organisant le droit d’accès des patients à l’ensemble des informations concernant leur santé détenues par les professionnels et établissements de santé. En outre, la jurisprudence considère comme fautive l’abstention d’un médecin d’informer son patient des risques graves inhérents à une investigation ou à des soins, même s’ils sont de réalisation exceptionnelle (Cass 1ère Civ. 7 oct. 1998 Mme C., JCP 1998 II 10179 concl. Sainte Rose, note Sargos ; CE (Ass.) 5 janv. 2000, Telle, RFDA 2000 p. 641 concl. Chauvaux, note Bon).

B – Le droit à la discrétion: Il s’impose d’abord vis à vis des tiers, comme conséquence d’un droit à contenu plus large, le droit au secret de la vie privée. C’est pourquoi divers textes le garantissent, notamment le Code de déontologie médicale, qui (article 4) pose le principe du secret professionnel, dans les conditions établies par la loi (ce qui implique la possibilité de le lever dans certains cas).

            On peut aussi considérer que l’intéressé lui-même, lorsque les circonstances l’exigent, a un droit à être ménagé en étant tenu dans l’ignorance de son état de santé : ainsi, avec beaucoup de souplesse, le Code de déontologie, dans son art. 22 prévoit à l’obligation d’information loyale et claire une possibilité de dérogation « dans l’intérêt du malade et pour des raisons légitimes que le praticien apprécie en conscience «.

Cela dit, le droit d’un individu à la discrétion sur son état de santé ne va pas jusqu’à interdire de prendre celui-ci en compte lorsque l’application d’autres règles de même valeur le justifie. La Cour EDH admet ainsi que le secret médical peut être aménagé, notamment dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice ou du bien-être économique du pays (27 août 1997 M.S. c/ Suède, D. 2000.II.  p. 521 note Laurent-Merle). De même, le Conseil Constitutionnel a validé la loi du 13 août 2004 relative à l’assurance maladie créant le dossier médical personnel au motif qu’« il appartient (…) au législateur de concilier, d’une part, le droit au respect de la vie privée et, d’autre part, les exigences de valeur constitutionnelle qui s’attachent tant à la protection de la santé, qui implique la coordination des soins et la prévention des prescriptions inutiles ou dangereuses, qu’à l’équilibre financier de la sécurité sociale » (décision du 12 août 2004 précitée).

 Il existe donc de nombreux cas dans lesquels les médecins, tenus normalement au secret professionnel, sont déliés de cette obligation, et où les informations sur la santé d’un individu conditionnent l’attribution de certains avantages (par exemple l’accès à la nationalité française : CE 18 janv. 1993 Min. de la solidarité, Rec. p. 14 : prise en compte de la cécité parmi les éléments justifiant le refus de la demande) ou la validité de certains actes juridiques, tels les contrats d’assurance (v. Cass. Civ. 1ère 7 oct. 1998 Melle X c/ SA Generali France, D. 1998 IR p. 247 : annulation du contrat, l’assuré ayant caché à l’assureur sa séropositivité).

En somme, les médecins sont souvent écartelés entre des impératifs contradictoires. En témoigne par exemple l’arrêt du Conseil d’Etat confirmant la condamnation du médecin du Président Mitterrand pour une double faute déontologique consistant d’une part à avoir aliéné son indépendance professionnelle en publiant des bulletins de santé le déclarant en bonne santé et d’autre part à avoir ultérieurement manqué au secret professionnel dans un ouvrage relatant l’évolution de sa maladie (C.E. 29 déc. 2000, Gubler, D. 2001 IR p. 595).

 

SECTION II – LES DROITS DE LA SOCIETE SUR LA SANTE DE L’INDIVIDU

            La santé d’un individu peut affecter l’ordre social sur divers plans (salubrité publique, bon ordre…). La liberté s’efface alors devant les contraintes, elles-mêmes multiples (sanitaires, financières…) de l’intérêt collectif, avec des finalités tantôt préventives, tantôt curatives.

 

            1 – Les contraintes à finalité préventive

            Inspirées par des préoccupations variables, elles présentent une grande diversité. On en évoquera succinctement quatre.

            A – L’interdiction de certains comportements jugés nuisibles.

 Il s’agit souvent de protéger à la fois la santé des intéressés, mais aussi l’ordre public, voire les finances de la collectivité. Ainsi sont prohibés l’usage des stupéfiants (article 222-37 NCP), malgré le débat, déjà ancien, sur l’opportunité d’une dépénalisation de certaines pratiques, ou le recours aux produits dopants dans les compétitions sportives (lois 28 juin 1989 et 23 mars 1999). De même est sanctionné le défaut de bouclage de la ceinture de sécurité dans les véhicules automobiles (article R 53-1 Code de la Route).

            On ne peut manquer d’observer que le choix des comportements interdits parait assez arbitraire, car ses justifications sont plus pragmatiques que rationnelles : ainsi, alcool et tabac, enjeux d’importantes questions d’ordre économique, semblent, bien qu’autorisés, des fléaux au moins aussi importants que certaines drogues interdites.

           

B – Les vaccinations obligatoires

            Imposées par la loi en fonction des progrès de la médecine (1902: variole ; 1914: typhoïde; 1938 diphtérie, 1940 : tétanos, 1950 : tuberculose; 1964: poliomyélite…), elles ont abouti à l’éradication de certains fléaux, bien que parfois contestées sur des fondements divers (religieux, scientifiques). Les manquements sont pénalement sanctionnés, l’intérêt de la société l’emportant sur la liberté de l’individu. En contrepartie, les dommages causés par les accidents de vaccination obligatoire, possibles bien qu’assez rares, sont indemnisés sans faute (régime de responsabilité établi par l’art. L 3111-9 du Code de la santé publique).

           

C – Les dépistages sanitaires obligatoires

            Longtemps, ils ont pris surtout les formes classiques de l’examen prénuptial (article63 Code Civil), ou de la « médecine préventive «, scolaire, universitaire, ou du travail. Ils étaient destinés à permettre la détection de certaines maladies considérées comme des fléaux (tuberculose, maladies vénériennes).

            Aujourd’hui, l’évolution rapide des techniques, grâce aux avancées de la génétique moléculaire, soulève de nouvelles questions, puisqu’elle permet le développement d’une médecine à caractère prédictif : il est désormais possible de diagnostiquer, à partir de la carte génétique d’un individu, certaines affections (en nombre croissant), avant même qu’elles ne se déclarent (p.ex. certains cancers, ou certaines maladies dégénératives du système nerveux).

            On distingue à cet égard les tests prédictifs de susceptibilité (identifiant des sujets à risques qui, tous, ne développeront pas l’affection) et les tests prédictifs de certitude (identifiant les sujets qui, à coup sûr, si la durée de leur vie leur en laisse le temps, développeront l’affection).

            Si l’intérêt médical de telles vérifications est incontestable lorsqu’elles permettent la mise en oeuvre d’une stratégie préventive, elles n’en posent pas moins de nombreuses questions d’ordre éthique : la communication de leurs résultats peut affecter gravement et irrémédiablement l’intéressé ou ses proches.  Ainsi le Comité d’éthique a-t-il recommandé dans un avis du 26 avril 2007 que le dépistage du gène de la mucoviscidose, désormais effectué sur tous les nouveaux-nés, ne donne pas lieu à révélation systématique à ses porteurs, ceux-ci demeurant le plus souvent sains.

En outre, les informations recueillies peuvent être exploitées par des tiers à des fins autres que thérapeutiques (recrutement professionnel, souscription de contrats d’assurance…), alors même que le code pénal réprime (article 225-2-4°) le fait de subordonner la fourniture d’un bien ou d’un service à une condition fondée sur l’état de santé ou sur les caractéristiques génétiques. Aussi le Code civil contient-il désormais (rédaction de la loi du 6 août 2004) un art. 16-10 n’autorisant l‘examen des caractéristiques génétiques d’une personne qu’à des fins médicales ou de recherche scientifique, et avec son consentement écrit. Le Code de la santé publique interdit notamment leur utilisation par les assureurs (article L. 1141-1).

Il n’en reste pas moins que les risques de dérive demeurent : le nombre des diagnostics génétiques est en croissance spectaculaire. Aussi la loi du 6 août 2004 a-t-elle sensiblement étoffé l’art. L 1131 du Code de la santé publique qui les encadre, en prévoyant notamment qu’en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave sur une personne, celle-ci  doit être incitée à en informer les membres de sa famille potentiellement concernés si des mesures de prévention ou de soins sont possibles. Se rangeant à l’avis du 24 avril 2003 du Comité national d’éthique, le législateur à toutefois précisé que le refus de l’intéressé n’engage pas sa responsabilité

D – Les déclarations obligatoires.

Elles ont généralement pour finalité la mise en œuvre d’un dispositif préventif. Ainsi, par exemple, les art. R 3113-1 à 5 et D 3113-6 et 7 du CSP obligent les médecins à transmettre les données individuelles relatives à une vingtaine de maladies, dont notamment le charbon, l’hépatite B, la légionellose, la rage, les encéphalopathies spongiformes et la contamination par le VIH, en fournissant l’identité et l’adresse des patients. Contestés devant le Conseil d’Etat, ces textes ont été déclarés légaux, (CE (Ass) 30 juin 2000, Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen, AJDA 2000 p. 831 concl. Fombeur).

            2 – Les contraintes à finalité curative

            Certaines affections sont considérées comme mettant en péril non seulement les personnes qui les subissent, mais aussi la société. C’est pourquoi elles sont parfois régies par des règles particulières, dérogeant au principe du libre choix du malade, en lui imposant une obligation de traitement (« injonction thérapeutique «).

            Il en allait ainsi pour les personnes atteintes de maladies vénériennes et pour les alcooliques dangereux. Le nouveau Code de la santé publique, supprimant les régimes applicables à ces catégories (avec toutefois des dispositions spécifiques pour les collectivités d’outre-mer), a laissé subsister ceux concernant les malades mentaux, susceptibles d’hospitalisation d’office (article L 3213), et les toxicomanes (article L 3423-1). 

Longtemps, à la différence d’autres Etats (p.ex. les Etats Unis), la France n’a pas prévu le traitement obligatoire des délinquants sexuels, alors qu’existent des substances hormonales dites « inhibitrices de libido «. Toutefois, l’émoi suscité dans l’opinion publique par certaines affaires criminelles a conduit à l’adoption d’une loi du 18 juin 1998 prévoyant un suivi socio-judiciaire des auteurs d’infractions sexuelles, avec possibilité d’injonction de soins par un médecin traitant sous le contrôle d’un médecin coordonnateur (article 131-36 du Code pénal). La loi du 9 mars 2004 en a sensiblement étendu le champ d’application et la force contraignante.

 

            Chapitre III – L’utilisation du corps par la médecine

 

            Les progrès des sciences de la vie, des biotechnologies, ont multiplié les problèmes juridiques résultant d’interventions médicales tendant à utiliser le corps humain comme matériel (ou matériau).

            Longtemps ce sont les professionnels qui ont été chargés de régler les conditions dans lesquelles pouvait avoir lieu cette utilisation. Ce n’est qu’exceptionnellement que certains textes précurseurs admettaient, restrictivement, quelques possibilités d’exploitation du corps humain.

            Aujourd’hui, le caractère crucial des problèmes posés, et les risques de dérives de solutions exclusivement d’origine professionnelle, ont fait évoluer la réglementation. Celle-ci, s’inspirant de quelques principes fondamentaux régissant l’utilisation du corps (Sect. I), s’emploie à régler notamment la recherche biomédicale (Sect. II) et les prélèvements sur le corps (Sect. III).

 

SECTION I – LES PRINCIPES JURIDIQUES FONDAMENTAUX REGISSANT L’UTILISATION DU CORPS

            Ils sont souvent présentés comme découlant d’un principe général directeur : l’indisponibilité du corps humain, consacré expressément par le Code civil, dont, depuis la loi du 29 juill. 1994, les art. 16-1 et 16-5 disposent respectivement « chacun a droit au respect de son corps. Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits, ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial » et « les conventions ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain, à ses éléments ou à ses produits sont nulles «.

            En réalité, ce principe, issu de croyances socioculturelles profondément ancrées dans notre civilisation judéo-chrétienne en vertu desquelles la personne et son corps ont un caractère sacré, semble surtout ne devoir s’appliquer pleinement qu’à la personne vivante. Ainsi, la convention par laquelle une jeune fille accepte d’être tatouée puis de subir l’exérèse du lambeau de peau ainsi décoré, dans le cadre d’une séquence d’un film racoleur, a une « cause immorale et contraire à l’ordre public «, puisqu’un être vivant ne peut mettre dans le commerce un élément de son corps (TGI Paris 3 juin 1969 Delle X c/Sté Ulysse Production, D.1970 p. 136 note JP).

            Après sa mort, on le sait (v. introduction de la première partie), l’être humain n’est plus une personne juridique, et, de ce fait, ne bénéficie plus de droits propres. Le  concept d’indisponibilité, qui implique, même négativement, une faculté de choix, ne semble donc pas totalement adéquat pour rendre compte de la protection reconnue à sa dépouille mortelle. Il existe plutôt, à la charge des vivants, des obligations quant à la manière de traiter les cadavres. Celles-ci se rattachent à la préservation de l’ordre public, et trouvent leur source selon le cas dans la loi, le règlement, ou la jurisprudence, puisque pour le juge, les « principes fondamentaux relatifs au respect de la personne humaine, (…) ne cessent pas de s’appliquer avec le décès des individus » (CAA Douai, 30 nov. 2006, Ministre de l’écologie et du développement durable et Sté Valnor, RFDA 2007 p. 166).

On en peut mentionner succinctement quelques exemples :

            – L’obligation d’assurer une sépulture décente, même aux indigents (l’obligation de faire face aux obsèques se rattache à l’obligation alimentaire des enfants, même s’ils refusent la succession). Ainsi, dans l’arrêt précité, la Cour administrative d’appel de Douai a jugé qu’il devait être procédé à l’enlèvement et à l’inhumation des innombrables dépouilles de soldats encore présentes sur un champ de bataille de la 1ère guerre mondiale avant sa transformation en centre de stockage de déchets ménagers.

            – L’obligation de respecter la sépulture : l’exhumation des personnes inhumées sans raison grave est interdite, et cette violation du « respect dû aux sépultures « constitue une voie de fait (TC 23   nov. 1963 Cne de St Just Chaleyssin, Rec. p. 793 concl. Chardeau). De même, prenant acte du développement des crémations, le décret du 12 mars 2007 a introduit dans le CGCT des dispositions relatives à « la protection des cendres funéraires ».

– La sanction pénale de » toute atteinte à l’intégrité du cadavre, par quelque moyen que ce soit « (article 225-17 NPC), intégré dans une section « des atteintes au respect dû aux morts « (v. pour l’application de cet article à l’auteur d’un viol sur la   dépouille d’une jeune fille mineure fraîchement inhumée: Trib. Correct. Arras, 28 oct. 1998, D. 1999 p. 511 note Labbée).

            L’accumulation des mesures protectrices ponctuelles ne permet pas pour autant  de considérer qu’existe à la charge des tiers une obligation générale de protection des cadavres: ceux-ci ne sont pas totalement « indisponibles ».

 Ainsi, parfois, la paix des morts est troublée par le juge lui-même (v. p.ex. CA Paris 6 nov. 1997, D. 1998 p. 122 note critique Malaurie et CA Paris 17 déc. 1998, D. 1998 p. 476 note critique Beignier : une action en recherche de paternité justifie l’exhumation du corps d’Yves Montand en vue de prélèvements génétiques) ou par leurs proches ( CA Paris 27 mars 1998, D. 1998 p. 383 note critique Malaurie : les cendres d’un défunt ayant mené une double vie doivent être réparties entre les deux familles se les disputant).

Le plus souvent, cependant, la protection due au corps humain s’efface devant l’intérêt de la médecine. De tous temps, en effet, il a été admis que seule l’utilisation du corps humain pouvait permettre sa progression, notamment en favorisant l’entraînement des praticiens, et l’expérimentation de nouveaux moyens de diagnostic et de thérapeutique.

            Le corps humain paraît pour l’instant irremplaçable pour la recherche biomédicale (Sect. II) et également comme source de prélèvements divers (Sect. III).

 

SECTION II – LA RECHERCHE BIOMEDICALE

            Elle est encadrée différemment selon qu’elle porte sur des êtres vivants ou des cadavres.

            1 – La recherche sur des cadavres

            Bien que l’art. 2 al. 2 du Code de déontologie médicale de 1995 précise que « le respect dû à la personne ne cesse pas de s’imposer après la mort «, les règles qu’il pose à l’égard de la profession semblent ne s’appliquer qu’au profit des patients vivants. Mais on sait que le Conseil d’Etat, dans l’arrêt Milhaud, de 1993, a jugé qu’après le décès, le code de déontologie est relayé par des « principes déontologiques fondamentaux « qui, en matière d’expérimentation, imposent le respect de 3 conditions cumulatives : la constatation du décès dans les formes prescrites, une nécessité scientifique reconnue des expériences, et le consentement de l’intéressé de son vivant ou, à défaut, de ses proches. Dans l’affaire en question, si, malgré sa vie végétative, la personne pouvait être considérée comme décédée, l’une au moins des deux autres conditions manquait.

            Un régime spécifique est prévu pour les recherches dites autopsies médicales, destinées à établir un diagnostic sur les causes du décès, ou celles de l’échec d’une thérapeutique. Alors que le Conseil d’Etat avait jugé qu’elles pouvaient avoir lieu sans le consentement des proches (CE 17 févr. 1988 Camara, Rec. p. 72), la loi du 6 août 2004 a posé le principe contraire, tout en prévoyant cependant des exceptions « en cas de nécessité impérieuse pour la santé publique » (nouvel art .L. 1211-2 CSP).

            2 – La recherche sur les vivants

            Elle prend essentiellement la forme d’expérimentations à caractère biomédical, longtemps régies par les seules règles de la déontologie, qui, semble-t-il, n’ont pas suffi à éviter certaines dérives, des patients se trouvant transformés en véritables cobayes humains.

            Finalement, leur cadre a été fixé par la loi du 20 déc. 1988, dite » loi Huriet «, désormais intégrée au Code de la santé publique, qui pose un principe fondamental, celui du consentement obligatoire de l’intéressé : « libre, éclairé, exprès « sous peine de sanctions pénales (article L. 1122-1).

            Selon leur finalité, 2 types de recherches peuvent être distinguées :

  • celles ayant une finalité thérapeutique directe pour le sujet (celui-ci peut en attendre une éventuelle amélioration).
  • celles dépourvues de finalité thérapeutique directe pour le sujet (pour celui-ci, il s’agit d’un acte gratuit).

            Ce sont les expériences de la seconde catégorie qui sont les plus encadrées. Ainsi, elles sont en principe interdites sur les personnes supposées psychologiquement dépendantes (détenus, mineurs, majeurs sous tutelle). « En compensation des contraintes subies » (article L 1124-2 CSP), elles peuvent donner lieu au versement d’indemnités, qui toutefois ne doivent pas dépasser un montant annuel maximum (fixé à 3 800 Euros par an), afin d’éviter la professionnalisation de l’activité de cobaye humain.

            Dans tous les cas, les expérimentations sont réalisées sous la direction et la surveillance d’un médecin justifiant des compétences appropriées. Elles doivent être autorisées par des comités de protection des personnes de 14 membres, et garanties par de fortes assurances permettant l’indemnisation des victimes au cas où elles s’avéreraient dommageables.

 

SECTION III – LES PRELEVEMENTS

            Ils peuvent prendre des formes classiques sur lesquelles on ne s’arrêtera pas, bien qu’ils soulèvent souvent de délicates questions de principe en relation avec les libertés :

  • prélèvements dans l’intérêt de la justice (p.ex. recherche d’alcool et de stupéfiants dans le sang (article L 234-4, L 235-1 du Code de la route), recherche des circonstances de certaines morts suspectes, tests génétiques, etc. Ainsi, après la création par le décret du 18 mai 2000 d’un fichier national des traces et empreintes génétiques des condamnés pour certaines infractions sexuelles, des lois successives en ont étendu le champ à de nombreuses autres infractions, commises ou seulement soupçonnées, tels les atteintes volontaires à la vie, les actes de torture et de barbarie, le terrorisme, les vols avec violence, dégradations de biens, etc.(article 706-47-1, 706-54 et s. du Code de procédure pénale). Le Conseil Constitutionnel a chaque fois validé ces extensions.
  • indépendamment de toute infraction, la loi du 20 novembre 2007 relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, elle aussi validée par le Conseil constitutionnel (décision du 15 novembre 2007), a également prévu sous certaines conditions les prélèvements génétiques en vue de l’identification des étrangers demandeurs de visas.
  • prélèvements dans l’intérêt du sujet prélevé, avec but de diagnostic ou de thérapie (analyses, ablations, amputations, autotransfusion…)

            Ils peuvent aussi avoir une finalité thérapeutique extérieure à la personne prélevée, l’élément de son corps étant destiné à une réutilisation au profit d’un ou de plusieurs tiers, ou bien après transformation (p.ex. sang), ou bien tel quel (greffes d’organes ou de tissus). C’est sur ce type de prélèvements que l’on insistera plus longuement, compte tenu de leur développement, et de l’acuité des problèmes éthiques et juridiques qu’ils soulèvent.

1        Le corps humain banque d’éléments réutilisables

Longtemps, dans ce domaine, le droit est resté très discret, en se bornant à n’encadrer que les pratiques pour lesquelles les problèmes techniques semblaient maîtrisés. Ainsi, puisque les greffes de cornée sont pratiquées d’assez longue date, une loi  du 7 juill. 1949 a réglementé le prélèvement, sur les cadavres, des globes oculaires, au profit d’une banque française des yeux. De même, pour le sang, la loi du 21 juill. 1952 organisait le système des collectes et du traitement sous la responsabilité de l’Etat, en prévoyant l’intervention de structures publiques ou privées disposant d’un monopole départemental, coiffées par un Centre national.

            Pour le reste, on s’en rapportait à la déontologie. L’intervention du législateur semblait d’autant moins nécessaire que pour les organes, l’échec des tentatives de greffes dû à l’impossibilité de maîtriser les phénomènes de rejet, limitait sensiblement l’intérêt des prélèvements : seules pouvaient éventuellement avoir lieu des greffes entre donneurs compatibles, appartenant à une même famille.

            La mise au point de substances anti-rejet permettant d’inhiber efficacement les réactions de défense immunitaire de l’organisme a ouvert des espoirs nouveaux, notamment dans le domaine thérapeutique, puisque la greffe est devenue l’ultime recours pour les malades atteints d’affections dégénératives graves.

            Ces progrès ont également ouvert d’immenses perspectives d’ordre économique : l’importance des besoins crée un marché susceptible d’engendrer des profits d’autant plus substantiels que l’offre demeure très largement inférieure à la demande : on a vu rapidement proliférer, dans nombre de secteurs de la médecine, des banques d’éléments du corps humain et des officines intervenant comme intermédiaires, procurant souvent un appoint financier non négligeable au revenu de certains médecins.

            Finalement, puisque aujourd’hui l’essentiel ne réside plus dans la compatibilité entre donneur et receveur, mais dans la seule existence du donneur, on constate que la plupart des » éléments du corps humain « (dénomination consacrée par la loi 654 du 29-7-94) sont réutilisables, qu’il s’agisse des organes (cœur, poumons, reins, foie, pancréas), des tissus (os, peau, méninges, veines, tympans, cornées, valves cardiaques), ou de produits divers (glandes, sang, placentas, cellules, moelle…).

            2 – Les questions soulevées par les prélèvements

Elles sont nombreuses, et nous évoquerons ici les deux plus importantes: celle de leurs risques sanitaires, et celle de leur compatibilité avec la liberté des individus.

            A – Les risques sanitaires

A l’expérience, on a constaté que l’utilisation des éléments du corps humain pouvait aller à l’encontre de la santé publique, d’autant plus que l’importance des besoins et la recherche du profit ont amené à développer les collectes dans des conditions douteuses (sang dans certains milieux à risques tels les prisons, placentas dans les pays du tiers monde, éléments divers dans les services hospitaliers soignant des maladies infectieuses, etc.). Ainsi, par exemple, outre la fameuse affaire dite du » sang contaminé «, a-t-on découvert que l’hormone de croissance fabriquée à partir d’hypophyses prélevées sur les cadavres était le vecteur d’une maladie dégénérative mortelle du système nerveux, la maladie de Kreutzfeld-Jacob (proche de celle dite « de la vache folle «).

            C’est pourquoi désormais, c’est l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé qui est chargée de contrôler les activités de transformation, conservation et distribution des tissus du corps humain et de leurs dérivés, qui doivent être  accompagnés de documents de traçabilité.

            Il reste que malgré les précautions, les risques de contamination ne peuvent être totalement écartés: la Cour administrative d’appel de Lyon, s’alignant sur la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière de sang contaminé (CE (Ass.) 26 mai 1995 Nguyen et autres, JCP. 1995 II. 22468 note Moreau), a choisi d’appliquer un régime de responsabilité sans faute, pour risque, à l’implantation sur un receveur d’un cœur dont le donneur était porteur du virus de l’hépatite B (CAA Lyon 20 déc. 2007, Mme Poussardin, AJDA 2008, p. 826, note Marginan-Faure).

            B – Le conflit entre libertés de l’individu et intérêts collectifs

 Le développement des prélèvements a également soulevé d’importantes questions d’ordre moral et juridique relatives aux libertés et aux droits de l’individu sur son corps. En effet, puisque le corps de chacun devient utilisable, il peut en résulter des conflits d’intérêts que les juristes tentent d’arbitrer.

            Ainsi, dans une optique purement individualiste, on pourrait considérer que chacun demeure libre de disposer de son corps comme il l’entend, au besoin en en faisant commerce ou, au contraire en en gardant l’exclusivité, même au-delà de la mort.

            A l’inverse, dans une optique collectiviste, on pourrait considérer que le corps humain peut être utilisé dans l’intérêt de la société, et notamment que le cadavre est un bien collectif dont il appartient à la société de tirer parti au maximum.

            Pour tenter de concilier ces logiques, l’inspiration générale des solutions adoptées a été formulée dans l’art. 16-3 al 1 du Code Civil (rédaction de la loi de 2004), qui dispose :« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité médicale pour la personne ou à titre exceptionnel dans l’intérêt thérapeutique d’autrui ».

            La réglementation repose sur la distinction entre deux catégories de prélèvements, régis par un principe commun : la gratuité (article L 1211-4 du CSP), car le corps humain ne peut toujours pas être un objet de commerce (au moins pour l’individu lui-même ou sa famille).

            *Pour les prélèvements sur l’être vivant, la règle est le volontariat : le consentement exprès de l’intéressé est obligatoire et révocable à tout moment. En outre, les prélèvements d’organes (sauf la moelle osseuse, classée organe par la loi) ne sont possibles que dans l’intérêt thérapeutique direct d’un receveur, et si celui-ci fait partie de la famille du donneur, après accord exprimé devant le président du TGI.

            *Pour les prélèvements sur le cadavre, la loi de 1976 exigeait également le consentement de l’intéressé de son vivant, mais créait aussi une présomption de consentement, en l’absence de refus exprès de celui-ci. Cette solution avait été critiquée par d’aucuns, qui y voyaient à la fois une atteinte à une des croyances les plus enracinées dans nos sociétés, où le culte des morts impliquerait la préservation de leur intégrité physique. et l’amorce d’une « socialisation des cadavres « (J. Rivero). Aussi, le décret d’application de la loi a-t-il opéré un retour en arrière, en prévoyant que le refus de l’intéressé peut s’exprimer par tous moyens, y compris par le témoignage de la famille et des proches. Ceux-ci peuvent donc, en fait, s’opposer aux prélèvements au nom d’une volonté présumée du défunt.

            Les lois de 1994 et 2004 n’ont pas vraiment remis en cause cette solution. En effet, elles disposent bien que l’individu peut faire connaître de son vivant son refus d’autoriser les prélèvements sur son cadavre, notamment en s’inscrivant sur un registre national automatisé des refus (celui-ci, ouvert à compter de juillet 1998 aux personnes de plus de 13 ans, avait enregistré 63 037 refus fin 2006), ce qui peut créer une sorte de présomption d’acceptation dans le cas contraire. Mais elle ont également prévu que si le médecin n’a pas connaissance de la volonté de l’intéressé, » il doit s’efforcer de recueillir auprès des proches l’opposition au don d’organes éventuellement exprimée de son vivant par le défunt, par tout moyen » (article L 1232-1 CSP).

            En réalité, l’expérience montre que si la majorité de la population s’exprime, lors des sondages, en faveur des dons, en pratique, les circonstances de la mort d’un proche sont généralement défavorables à l’acceptation de la demande de prélèvement.

            La conjonction des refus familiaux (28% en 2007) et de l’augmentation du nombre des donneurs potentiels inutilisables (compte tenu du développement des dépistages de précaution) ont abouti à une baisse du nombre de greffes à partir du début des année 1990, et à une surexploitation des cadavres disponibles, par prélèvements multi-organes.

            Aujourd’hui, il apparaît clairement que la réglementation des prélèvements et des transfusions ne peut être qu’internationale, puisque le marché des produits du corps humain tend à s’internationaliser, les populations les plus vulnérables des pays démunis devenant fournisseurs potentiels des pays riches.

 

Sous-titre III : Quelques problèmes actuels du droit au secret de la vie privée

            Le secret de la vie privée est le rempart derrière lequel se retranche le citoyen lorsqu’il souhaite échapper au contrôle et aux pressions de ses semblables, et, surtout du pouvoir.

            Le droit au respect de la vie privée est  garanti par diverses normes à caractère international, tel l’art. 8-1 de la Convention européenne (« toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance «) ou national, tel l’art. 9 du Code civil, issu de la loi du 17 juill. 1970 : » chacun a droit au respect de sa vie privée. Les juges peuvent, sans préjudice de la réparation du dommage subi, prescrire toutes mesures, telles que séquestres, saisies et autres, propres à empêcher ou faire cesser une atteinte à l’intimité de la vie privée ; ces mesures peuvent, s’il y a urgence, être ordonnées en référé «.

            Pour le Conseil Constitutionnel, sa valeur constitutionnelle découle de l’art. 2 de la Déclaration de 1789, car «la liberté proclamée par cet article implique le respect de la vie privée« (décis. des 9 nov. 1999 – loi sur le PACS – précitée, et 23 juill. 1999 – loi sur la couverture maladie universelle –, AJDA 1999 p. 738).

En réalité, ce droit formulé en termes généraux implique plusieurs composantes, qui en sont les corollaires et sont souvent garanties elles-mêmes par des normes particulières, textuelles ou jurisprudentielles, nationales ou transnationales. Ainsi, s’y rattachent habituellement l’inviolabilité du domicile et des correspondances, le droit à une vie familiale, sentimentale, sexuelle, la liberté du mariage, le droit au secret des aspects purement personnels de la vie, le choix du mode de sépulture dans les limites autorisées par la réglementation, et plus généralement le droit de choisir son mode de vie (CEDH 18 janv. 2001, Chapman c/ Royaume-Uni, D. 2002 p. 2758 note Fiorina : droit pour un tzigane de vivre en caravane).

            Ces droits sont opposables à tous les tiers, notamment aux employeurs : pour la Cour de cassation, des articles 8 de la Convention EDH, 9 du Code civil, 9 du nouveau code de procédure civile et L 120-2 du Code du travail, découle un droit au secret de la vie personnelle dans le cadre des activités professionnelles. Ainsi, un employeur ne peut sanctionner un salarié à raison du contenu d’une correspondance personnelle reçue sur son lieu de travail (v. à propos d’une revue échangiste : Cass. (chambres mixtes), 18 mai 2007, D. 2007 p. 2137, note Mouly). Le droit à la vie privée est également opposable aux journalistes et corrélativement à leurs lecteurs (v. p. ex. CA Paris. 1ère Ch. B. 30 mars 1995 Sté V.S.D. c/Mme Adjani, JCP 1995 I 3874 chr. Teyssié : l’inventaire des poubelles d’une actrice au lendemain des fêtes de Noël et du Nouvel An, est une atteinte à la vie privée que le droit à l’information ne justifie pas; CEDH 24 juin 2004, Caroline von Hanover c/ Allemagne : le public n’a pas un intérêt légitime à savoir où se trouve la princesse Caroline de Monaco et comment elle se comporte d’une manière générale dans sa vie privée, et ce malgré sa notoriété).

Le droit à l’intimité peut cependant être remis en cause au nom d’autres principes. Par exemple, la Cour de Cassation admet la preuve de l’adultère d’une femme par la production de son journal intime, même s’il a été subtilisé par son époux (Cass. 2ème Civ. 6 mai 1999, D. 2000.II. p. 557 note Caron). De même, les traitements informatiques peuvent sous certaines conditions comporter des indications relatives à la vie privée des individus : ainsi, la création du fichier judiciaire national automatisé des auteurs d’infractions sexuelles (FIJAIS) par la loi du 9 mars 2004 assure « entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée» (Cons. constit. 2 mars 2004 – loi portant adaptation de la justice aux évolutions de la criminalité) .

            Il serait intéressant d’aborder l’ensemble de ces questions mais, faute de temps, on s’en tiendra à deux d’entre elles, compte tenu de leur caractère actuel, notamment parce qu’elles ont été à l’origine d’affaires assez largement répercutées par les médias.

Chapitre I : La protection des correspondances: l’exemple de l’interception des communications électroniques

            La protection des correspondances  est juridiquement garantie de longue date pour le courrier sur papier. Déjà, un arrêté du 5 déc. 1789 (pris à l’initiative de Mirabeau) disposait que « le secret des lettres doit être constamment respecté «. Le Code Pénal l’a confirmé ( art. 226-15 et 432-9.

            Le Tribunal des conflits  a vu dans la sécurité des correspondances postales une « liberté essentielle «, dont  la violation constitue une voie de fait (T.C. 10 déc. 1956 Randon, Rec. p. 592 concl. Guionin). Le Conseil d’Etat en fait une des libertés fondamentales dont la protection relève du référé-liberté (CE 9 avril 2004, Vast, RFDA 2004 p. 778 concl. Boissard: à propos de l’ouverture systématique par l’administration municipale de tous les courriers adressés aux élus de la commune de Drancy).

            Jusqu’à ces dernières années, les difficultés les plus sérieuses s’étaient sont fait jour à propos des correspondances téléphoniques, susceptibles de faire l’objet d’écoutes grâce à des moyens d’une sophistication variable selon ceux qui les pratiquent.

            A – Le désordre initial

            Longtemps, seules les écoutes réalisées par les particuliers ont été interdites.

            En revanche, les plus couramment pratiquées, celles effectuées à l’initiative de la justice, ou de certains services administratifs ne faisaient l’objet d’aucune réglementation précise.

            Ce flou juridique avait donné lieu à diverses difficultés, apparues à l’occasion d’affaires souvent largement médiatisées.

            *Sur le plan des écoutes judiciaires, décidées par un juge d’instruction dans le cadre du traitement d’un dossier pénal, la France, par deux arrêts de la Cour Européenne des droits de l’homme du 24 avril 1990, Kruslinet Huvig, D. 1990 p. 253, note Pradel, avait été condamnée pour violation de l’art. 8 de la Convention.

            *Sur le plan des écoutes administratives,  le vide juridique était encore plus sensible: il existait des interceptions, dites «de sécurité «, décidées par certaines autorités dans des conditions non définies, en principe en vue de prévenir les atteintes à la sûreté de l’Etat. On a pu ainsi découvrir qu’elles pouvaient aussi bien concerner la rédaction du « Canard enchaîné «, un huissier du Conseil supérieur de la Magistrature, et, surtout, entre 1985 et 1986, à l’initiative de la » cellule antiterroriste de l’Elysée «, une multitude de personnes considérées comme susceptibles d’être d’utiles sources de renseignements (journalistes du journal « le Monde «, avocats, célébrités diverses, telles Carole Bouquet ou Alain Krivine).

            B – La tentative de réglementation

            Afin de donner un cadre juridique à de telles pratiques, la loi du 10 juillet 1991 sur le secret des correspondances émises par la voie des communications électroniques, a réglementé les écoutes téléphoniques, aussi bien administratives que judiciaires.

            *En ce qui concerne les écoutes administratives

            Elles ne sont possibles que lorsqu’elles remplissent 4 conditions cumulatives :

            – Une condition de fond : elles doivent avoir pour objet « de rechercher des renseignements intéressant la sécurité nationale, la sauvegarde des éléments essentiels du potentiel scientifique et économique de la France ou la prévention du terrorisme, de la criminalité et de la délinquance organisées, et de la reconstitution ou du maintien de groupements dissous en application de la loi du 1er janvier 1936 sur les groupes de combat et les milices privées «. Cette condition est formulée en termes très larges, et peut, en réalité, être invoquée pour justifier pratiquement n’importe quelle écoute. C’est pourquoi des conditions de procédure sont destinées à en limiter le champ d’application.

           

            L’ordre de procéder aux écoutes doit être donné par le Premier ministre, ou l’une des deux personnes déléguées par lui, par décision écrite et motivée, sur proposition également écrite et motivée des ministre de la Défense, de l’Intérieur, ou de celui chargé des douanes. L’ordre de branchement sur écoute doit être donné par le ministre des télécommunications, ou la personne spécialement déléguée par lui (il s’agit d’éviter les écoutes « sauvages «).

            – Les relevés de conversations téléphoniques doivent être détruits dans les 10 jours, seuls pouvant être conservés ceux en relation avec l’objet de la loi (ces derniers doivent eux-mêmes être détruits dès que leur conservation n’est plus indispensable).

– Enfin, l’ensemble des interceptions de sécurité est placé sous le contrôle d’une autorité administrative indépendante, la Commission Nationale de contrôle des interceptions de sécurité, comprenant 3 personnes : un président nommé pour 6 ans par le Président de la République, un député désigné pour la durée de la législature par le président de l’Assemblée Nationale et un sénateur désigné après chaque renouvellement partiel du Sénat, par son Président.

            Cet organe, qui doit être informé dans les 48 h. des autorisations délivrées, peut adresser au Premier Ministre une « recommandation « demandant l’interruption d’une écoute, et dispose d’un pouvoir de contrôle, de sa propre initiative, ou sur plainte de toute personne intéressée. Le contentieux de ses décisions relève du Conseil d’Etat (C.E. 28 juill. 2000, Dakar, Rec. p. 331).

            Il peut saisir le Procureur de la République des infractions constatées, et rend chaque année un rapport public au Premier ministre : le 15ème, relatif à l’année 2007, faisait état de 6000 interceptions, et 68 avis négatifs, dont 65 ont été suivis par le Premier ministre. Les interceptions liées à défense de la sécurité nationale, à la lutte contre le terrorisme et la criminalité organisée représentaient l’essentiel (98% ) des demandes.

            *En ce qui concerne les écoutes judiciaires

            La loi du 10 juillet 1991 en a intégré la réglementation dans le code de Procédure pénale (article 100 à 100-7).

            Elles doivent être ordonnées par le juge d’instruction ou, depuis 2004, par le juge des libertés et de la détention à la demande du procureur de la République, par décision écrite et motivée qui en fixe la durée (quatre mois maximum, renouvelable). Elles ne sont possibles qu’en matière criminelle ou correctionnelle pour les infractions dont la sanction est au moins égale à 2 ans de prison. En 2007, on en a dénombré environ 20 000.

            Cette réglementation aurait pu ne s’appliquer qu’aux écoutes réalisées à l’insu des interlocuteurs. Mais la Cour de cassation l’a étendue à celles acceptées, voire même demandées par l’un d’eux, qui renonce volontairement au secret, souvent avec l’intention de confondre son correspondant : elles sont nulles si elles n’ont pas été ordonnées par un juge d’instruction (v. not. Crim. 27 fév. 1996, JCP 1996 II. 22 629, note Rassat).

            On observera qu’hormis l’interception des télécommunications, il n’existait pas dans notre Code de procédure pénale de dispositions spécifiques régissant la pose de micros et l’enregistrement des propos tenus par des personnes suspectées. Les juridictions nationales avaient admis l’usage de cette technique, mais la Cour EDH, estimant que » le droit français n’indique pas avec assez de clarté » ses limites, avait conclu à la violation de l’article 8 de la Convention (CEDH 31 mai 2005, Vetter c/ France: condamné pour meurtre à la suite d’enregistrements effectués dans un appartement où il était hébergé; CEDH 20 déc. 2005, Wisse c/ France, D. 2006 p. 764, note Roets: condamnation de deux frères pour attaque à main armée à la suite de l’enregistrement de leurs propos au parloir de la maison d’arrêt lors de leur détention provisoire). La loi du 9 mars 2004 a donc introduit dans le Code de procédure pénale (article 706-96 à 102) une section autorisant expressément l’installation dans certains lieux ou véhicules de dispositifs d’enregistrement visuel et sonore. 

            C- Les difficultés liées aux nouvelles techniques de télécommunication

Compte tenu de l’explosion du marché des télécommunications, la questions  des interceptions s’est présentée sous un jour nouveau soulevant des difficultés techniques et juridiques complexes.

Les premiers balbutiements des nouvelles techniques de communication à distance telles les messageries de poche ou le « minitel » avaient déjà suscité une certaine perplexité.

             Avec l’essor rapide d’Internet, la question des interceptions a pris un caractère encore plus crucial.

Ainsi, compte tenu de la banalisation de l’utilisation par les salariés des réseaux de courrier électronique de leurs entreprises à des fins privées, on s’est interrogé sur la possibilité pour un employeur  de prendre connaissance des messages personnels de ses salariés figurant sur leur ordinateur professionnel. La Chambre sociale de la Cour de Cassation, au nom du respect de l’intimité de la vie privée posé par référence aux art. 8 de la Convention EDH et 9 du Code civil, le leur a interdit «sauf risque ou événement particulier » (Cass. Soc. 2 oct. 2001, Société Nikon c/ Onof, D. 2001 p. 3148 note Gautier, et, pour une extension à l’ensemble des fichiers personnels : Cass. Soc. 17 mai 2005). Toutefois, afin de concilier respect de la vie privée et protection des réseaux informatiques, finalement assez vulnérables, la CA de Paris, statuant au pénal, a jugé que les administrateurs de réseaux ne violent pas le secret des correspondances lorsqu’ils en prennent connaissance pour adopter les mesures de sécurité adéquates, à condition qu’ils n’en divulguent pas le contenu (CA Paris, 17 déc. 2001, JCP 2002.II. 10 087 note Devèze et Vivant). 

            De même, les opérateurs doivent conserver durant un an les données concernant les utilisateurs des services et les caractéristiques techniques des messages échangés, et la loi du 23 janvier 2006 relative à la lutte contre le terrorisme et portant dispositions diverses relatives à la sécurité et aux contrôles frontaliers a autorisé la réquisition administrative des données de trafic auprès des opérateurs de communications électroniques, des fournisseurs d’accès et d’hébergement et des cybercafés, sur accord préalable d’une personnalité désignée par la CNIS.

Chapitre II : La vidéosurveillance

            « Big brother « du « 1984 « de George Orwell est aujourd’hui parmi nous : des gestes devenus anodins, machinaux et quotidiens peuvent être enregistrés, analysés, interprétés, et utilisés contre le citoyen, qui évolue, sans toujours en être conscient, dans une société de surveillance. Ainsi, des instruments devenus aujourd’hui banals, tels la carte bancaire, ou les badges de circulation permettent assez aisément la reconstitution des activités de leur titulaire.

            Parmi les questions les plus controversées ces dernières années, celle de la vidéosurveillance a soulevé la perplexité des juristes. C’est elle que nous examinerons succinctement ici.

            L’ampleur du problème a été découverte par étapes. A partir des années 1980, la floraison des caméras de télévision placées dans les établissements privés, notamment commerciaux, n’a, semble-t-il, pas suscité de véritables réserves chez leurs clients, sans doute compte tenu de l’acceptation tacite d’un droit du propriétaire à sauvegarder ses intérêts par les moyens les plus adéquats.

            En revanche, elle est aussi susceptible de porter atteinte aux intérêts du personnel, qui, de fait, fait aussi l’objet de la surveillance. C’est pourquoi la loi Aubry du 31 déc. 1992 sur l’emploi, a prévu que » le Comité d’entreprise est informé et consulté, préalablement à la décision de mise en oeuvre dans l’entreprise, sur les moyens ou les techniques permettant un contrôle de l’activité des salariés «.

            Les réactions ont été plus vives lorsque les collectivités publiques elles aussi, dans le double souci d’économiser les dépenses de personnel de surveillance sur le terrain, et d’améliorer la sécurité de leurs installations, se sont lancées dans la télésurveillance à l’aide d’équipements vidéo.

            La démarche n’a pas paru porter une atteinte excessive au droit au respect de la vie privée lorsqu’elle concernait des installations closes où les problèmes de sécurité semblaient le justifier : par exemple la surveillance des stations de métro ou des gares. On pouvait d’ailleurs estimer qu’en utilisant le service, l’usager devait, comme pour les établissements privés, être présumé avoir accepté tacitement de faire l’objet d’une surveillance, même invisible, dans son propre intérêt.

            En revanche, on s’est davantage interrogé sur la légitimité d’une vidéosurveillance des espaces publics ouverts à tous, tels les voies ou places publiques, notamment lorsqu’elle est organisée en un maillage serré permettant de couvrir pratiquement la totalité des lieux publics. Un réseau de ce type relève de la compétence des communes, dans le cadre des pouvoirs de gestion du domaine public communal, et des pouvoirs de police générale donnés au maire.

            Dans ce domaine, certaines villes ont été des précurseurs (Avignon, Roubaix). Mais c’est Levallois-Perret qui  par l’ampleur, inhabituelle à l’époque, des moyens mis en place, a suscité les plus vives discussions. Les remous soulevés par le développement de ces techniques ont conduit à l’adoption d’une loi, destinée, surtout, à les valider, et subsidiairement à les encadrer.

            A donc été inséré dans la loi du 21 janv. 1995, d’orientation et de programmation relative à la sécurité, sous le titre « dispositions relatives à la prévention de l’insécurité «, un article 10 de 7 paragraphes autorisant et réglementant la vidéosurveillance dans les lieux publics.

            Les nouvelles installations doivent être autorisées (pour cinq ans renouvelables) par les préfets ou préfets de police, après avis d’une commission départementale présidée par un magistrat. En novembre 2007, environ 20000 caméras avaient été installées sur les voies publiques, et il était prévu de tripler leur nombre en deux ans.

Sur la voie publique, la vidéosurveillance ne doit pas permettre de visualiser l’intérieur des habitations, ni «de façon spécifique« – c’est-à-dire à cette seule fin – leur entrée. Le public doit être informé « de manière claire et permanente « de l’existence du système de vidéosurveillance et de l’autorité responsable (on espère de cet avertissement un effet  dissuasif à l’égard des malfaiteurs éventuels, mais il permet aussi aux personnes souhaitant préserver l’intimité de leur vie privée d’être averties des risques qu’elles encourent).

            Les personnes enregistrées ont un droit d’accès à ceux-ci, afin, notamment, de vérifier qu’ils sont détruits dans le délai (maximum d’un mois) prévu par l’autorisation. Elles peuvent saisir la Commission départementale et les tribunaux compétents.

            Au nom de la lutte contre le terrorisme, la loi du 23 janvier 2006 précitée a ajouté aux dispositions initiales de la loi de 1995 de nouvelles possibilités d’extension des dispositifs de vidéosurveillance et d’assouplissement de leur contrôle. Ainsi par exemple la police, la gendarmerie et les douanes peuvent « mettre en oeuvre des dispositifs fixes ou mobiles de contrôle automatisé des données signalétiques des véhicules prenant la photographie de leurs occupants, en tous points appropriés du territoire » (nouvel article 26 de la loi du 18 mars 2003 pour la sécurité intérieure). Le Conseil constitutionnel (décision du 19 janvier 2006 précitée) a jugé que le législateur avait ainsi opéré «entre le respect de la vie privée et la sauvegarde de l’ordre public, une conciliation qui n’est pas manifestement déséquilibrée ».

            Un décret du 15 mai 2007 a créé auprès du ministre de l’Intérieur une Commission nationale de la vidéosurveillance de 20 membres avec rôle purement consultatif. Toutefois, la technique initiale des enregistrements analogiques tendant à disparaître au profit de la numérisation, la CNIL a estimé que la vidéosurveillance constitue désormais un traitement automatisé relevant de sa compétence. Elle a donc suggéré que la matière soit placée sous son contrôle exclusif, dans une note du 8 avril 2008 au ministre de l’Intérieur.

 

 

TITRE II – ALLER ET VENIR

 

            Les termes seront entendus dans leur sens le plus large : ils impliquent, certes, le déplacement d’un point à un autre, mais aussi, plus fondamentalement, la faculté de se déplacer, c’est à dire la garantie de ne pas être retenu, ou détenu. A ces deux sens correspondront deux sous-titre :  I – La liberté des déplacements   II – La sûreté

 

S/Titre I – La liberté des déplacements

 

            C’est la liberté des déplacements que certains auteurs qualifient de liberté d’aller et venir.

            On peut aborder l’analyse de cette liberté sous deux angles : la possibilité même des déplacements (chap.1), et les moyens utilisés pour le déplacement (chap.2).

Chapitre I – La possibilité de se déplacer

            Elle est soumise à des règles différentes, selon qu’elle concerne les nationaux ou les étrangers.

SECTION I – Les solutions applicables aux nationaux

            Elles sont régies par une règle à valeur constitutionnelle, le principe de la liberté d’aller et de venir, consacré notamment par la décision du Cons.Constit. du 12 juill.1979 sur les ponts à péage (AJDA sept.1979 p.46). Toutefois, ce principe s’applique différemment selon que les déplacements ont lieu à l’intérieur ou à l’extérieur des frontières.

            1 – Les déplacements à l’intérieur du territoire national

            Alors qu’ils ont longtemps été soumis à restriction pour l’ensemble des citoyens, ils sont aujourd’hui libres, en application notamment de l’art.2-1 du Protocole n°4 additionnel à la Convention européenne, selon lequel «quiconque se trouve régulièrement sur le territoire d’un Etat a le droit d’y circuler librement «.

            La liberté de circulation connaît toutefois des limitations. Certaines sont d’origine judiciaire: ainsi, des personnes non incarcérées peuvent demeurer placées sous le contrôle de la justice répressive, soit durant la phase d’instruction d’une affaire (régime de la mise sous contrôle judiciaire, alternative à la détention provisoire), soit après l’exécution d’une condamnation (ainsi de l’interdiction de séjour ou de la mise à l’épreuve, pouvant emporter obligation de « s’abstenir de paraître en tout lieu spécialement désigné «, de « ne pas fréquenter les débits de boisson «(article 132-45 NCP). D’autres restrictions relèvent d’initiatives administratives: ainsi, depuis 2006, les spectateurs dont le comportement constitue une menace pour l’ordre public peuvent être interdits de stades par les préfets et convoqués dans un service de police lors des manifestations sportives.

            2 – La sortie du territoire national

            Elle est, elle aussi, en principe libre, comme le confirment en termes identiques le protocole n°4 et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 : « toute personne est libre de quitter n’importe quel pays, y compris le sien «.

            Cette liberté a été consacrée par les juridictions françaises qui, dans un certain nombre d’arrêts de principe, ont affirmé que « la liberté fondamentale d’aller et de venir n’est pas limitée au territoire national, mais comporte également le droit de le quitter » (TC 9 juin 1986 Eucat, RFDA 1987 p.53 concl. Latournerie).

            Cela dit, si la liberté existe, son exercice, c’est à dire le déplacement à l’étranger, peut être réglementé. Le protocole n°4 à la Convention prévoit ainsi (article2-3) la possibilité de restrictions « qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au maintien de l’ordre public, à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui «.

            En France, c’est un vieux texte, le décret du 7 déc.1792 qui est considéré comme ayant le caractère d’une loi au sens des stipulations du Protocole. Adopté par la Convention Girondine, il subordonnait la sortie du territoire à la délivrance de passeports par les directoires de départements.

La délivrance et le retrait des passeports ont été par la suite confiés aux préfets, qui, longtemps, ont eu un pouvoir entièrement discrétionnaire dans l’exercice de cette compétence, le Conseil d’Etat estimant « qu’aucune disposition de loi ou de règlement ne crée de droit à l’obtention ou à la conservation d’un passeport « (CE 18 nov.1921 Salzmann, Rec. p.947). Puis, peu à peu, comme dans les autres domaines de l’action administrative, le contrôle juridictionnel s’est développé, pour aboutir à un contrôle normal (CE (Ass) 8 avril 1987, Min. de l’int. c/Peltier, rec.p.128 concl. Massot).

            Il est probable que le Conseil d’Etat a été sensible à la jurisprudence de la Cour de Cassation et du Tribunal des Conflits qui, peu de temps avant l’arrêt Peltier, et à plusieurs reprises, n’avaient pas hésité à qualifier de voies de fait insusceptibles de se rattacher à un pouvoir de l’administration les décisions prises pour des motifs autres que de sécurité publique (Civ.1ère 28 nov.1984, TC 9 juin 1986 précités : retrait de passeport à des contribuables redevables de lourds arriérés d’impôts). Il convient cependant d’observer qu’aujourd’hui la présentation d’un passeport n’est plus une condition nécessaire à la sortie du territoire, mais qu’elle est en revanche encore nécessaire à l’entrée sur le territoire de certains Etats.

 

SECTION II – LES SOLUTIONS APPLICABLES AUX ETRANGERS

            Elles sont réglées par un système de droit complexe et mouvant dont les vicissitudes sont étroitement liées aux changements de la conjoncture politique nationale. La question, en effet, suscite depuis environ une trentaine d’années des réactions passionnées, voire passionnelles, liées au développement de l’immigration, accusée par d’aucuns d’être, dans un contexte économique de crise, une source de troubles à l’ordre public.

            Si l’on examine sommairement quelques données chiffrées (nécessairement approximatives compte tenu de la difficulté de tenir des statistiques précises), on constate qu’en 1830, le nombre des étrangers séjournant en France était estimé à 200 000 (dont 30 000 Allemands), alors qu’aujourd’hui, il est probable qu’il se situe aux alentours de 4,5 à 5 millions.

            Cet afflux, dont les causes sont multiples (attrait de l’image historique de la France, réputée terre d’hospitalité et de liberté, liens privilégiés avec les anciennes colonies…) a longtemps été absorbé dans des conditions somme toute satisfaisantes, des institutions telles l’école, la presse, les Eglises, les organisations socioculturelles, participant activement et efficacement à l’assimilation des nouveaux venus, d’une manière généralement considérée comme modèle. L’intégration était consacrée, souvent, par l’acquisition de la nationalité française, en application d’un système assez ouvert (à la différence de celui de pays voisins tels l’Allemagne). De ce fait, actuellement, environ 1/3 des nationaux sont de souche étrangère, et ce sont annuellement plus de 100 000 personnes qui acquièrent la nationalité française.

            Depuis quelques dizaines d’années, cependant, la condition faite aux étrangers s’est sensiblement dégradée, et la France n’apparaît plus capable d’assurer, comme elle l’a fait jusqu’à présent, leur intégration correcte. En outre, tend à se développer dans une part croissante de la population, étroitement lié au sentiment d’insécurité, un phénomène de rejet xénophobe que ne parviennent à atténuer qu’imparfaitement les témoignages de sympathie suscités par quelques affaires largement relatées par les médias.

            Les questions relatives aux étrangers sont donc aujourd’hui prises en compte comme problèmes politiques majeurs, enjeux, notamment, des consultations électorales. Au delà des modifications conjoncturelles et des nuances du discours politique, on peut observer qu’en général, les solutions actuellement adoptées sont révélatrices de deux orientations opposées : l’une bienveillante à l’égard des étrangers en provenance de pays économiquement et socialement favorisés, l’autre pour le moins réservée, voire hostile, à l’égard de l’immigration en provenance du tiers-monde.

            Ces deux tendances transparaissent à l’analyse de quelques données juridiques générales du problème (sous section I), et des principales modalités de la réglementation des étrangers (sous section II).

 Sous-Section I – Quelques données juridiques générales du problème

            D’un point de vue purement moral, l’universalisme des droits de l’homme, auquel aspiraient déjà les auteurs de la Déclaration de 1789, semble s’opposer à toute discrimination entre la situation faite aux nationaux et celle des étrangers.

            Mais en réalité, la question de la situation faite aux étrangers est toujours abordée abstraction faite des considérations théoriques sur l’égalité des droits, et d’une manière essentiellement pragmatique, en fonction du contexte propre à chaque époque et à chaque Etat.

            Ainsi, sans entrer dans le détail de questions méritant des développements longs et nuancés, peut-on noter schématiquement qu’à certains moments, tels les phases de croissance économique nécessitant la mise en valeur de richesses multiples, l’apport d’étrangers est jugé bienvenu, et, donc, favorisé (ce fut le cas, par exemple, pour les pays dits « neufs « -Etats-Unis, Canada, Australie…- mais également pour la France jusque dans les années 1960 ou l’Allemagne dans les années 1980).

            A l’inverse, dans d’autres circonstances, l’apport d’étrangers peut être considéré comme nuisible, à des titres divers. Ainsi, socialement, il peut aboutir à remettre en cause la situation acquise par les salariés nationaux, en augmentant la concurrence sur le marché du travail. Et politiquement, il peut, en cas de concentration excessive, conduire à la déstabilisation, voire à la désagrégation d’Etats à l’unité précaire : dans l’ex-Yougoslavie, par exemple, l’immigration continue des Albanais du Kosovo jusqu’à atteindre 80% de la population de cette région, a conduit à des troubles graves, précurseurs de l’éclatement de l’Etat fédéral.

Le droit applicable aux étrangers est fortement marqué par ces considérations : il est essentiellement évolutif, et même particulièrement instable. En tous cas, il est toujours spécifique en ce qu’il déroge au droit commun, celui réglant le sort des nationaux. Cette inégalité de traitement a été jugée légitime et conforme à la constitution par le Conseil Constitutionnel, qui, à plusieurs reprises, a eu l’occasion de juger que » le législateur peut prendre à l’égard des étrangers des dispositions spécifiques « (décis. 22 janv.1990, RFDA 1990 p.406), notamment pour «mettre en œuvre les objectifs d’intérêt général qu’il s’assigne«, car «dans ce cadre juridique, les étrangers se trouvent placés dans une situation différente de celle des nationaux« (décis. du 13 août 1993, RFDA 1993, p.871 note Genevois).          Il reste que si étrangers et nationaux peuvent être traités différemment en ce qui concerne l’entrée et le séjour en France, les droits dont ils y disposent tendent à s’unifier, notamment sous l’influence de l’interprétation  extensive donnée par la Cour  EDH de l’art. 14, qui établit une clause de non-discrimination pour les droits reconnus par la Convention (v. p. ex. 16 sept. 1996 Gaygusuz c/ Autriche, D. 1998 p.438 note Marguenaud et Mouly : les droits sociaux, bien que non garantis par la Convention, sont des droits patrimoniaux au sens du protocole n° 1, et doivent donc être reconnus également aux nationaux et aux étrangers).

Ouvert à la signature depuis le 4 novembre 2000, le protocole additionnel n° 12 à la Convention EDH devrait accroître encore l’unification des droits entre les étrangers et les nationaux, puisqu’il étend la non discrimination aux  droits garantis par les lois nationales, mais faute d’un nombre suffisant de ratifications (la France, notamment ne l’a toujours pas ratifié), il n’est entré en vigueur qu’après le protocole n° 13, le 1er avril 2005.

En ce qui concerne l’entrée et le séjour des étrangers en France la réglementation est depuis 2004 contenue pour l’essentiel dans Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, déjà plusieurs fois modifié, notamment par les lois du 24 juillet 2006 « relative à l’immigration et à l’intégration » et du 20 novembre 2007 « relative à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile ».

Cette inflation législative est révélatrice du désarroi des pouvoirs publics qui, submergés par l’ampleur du problème, s’efforcent surtout aujourd’hui de le régler de manière empirique par des ajustements de détail dont l’addition et la superposition à un rythme s’accélérant sans cesse font de la législation sur les étrangers un maquis inextricable, au demeurant d’une efficacité douteuse.

Si le déplacement des étrangers est difficilement contrôlable en fait, il peut cependant en droit être appréhendé par référence à quelques grands principes généraux. Ce sont eux qui vont être succinctement évoqués maintenant.

            1 – L’insertion de la France dans « l’espace Schengen «

            Cet » espace « résulte d’accords signés le 14 juin 1985 au Luxembourg par 5 Etats (France, Pays Bas, Belgique, Luxembourg, Allemagne) rejoints progressivement par les  autres Etats de l’Union européenne, sauf le Royaume Uni et l’Irlande, qui ont cependant demandé en 2000 à participer «à certaines dispositions de l’acquis de Schengen«. S’y sont adjoints également ultérieurement d’autres Etats non membres de l’Union, tels l’Islande et la Norvège.

            Les accords prévoient la suppression graduelle des contrôles aux frontières intérieures, en vue d’assurer la libre circulation des personnes.    Leur application est conditionnée par le bon fonctionnement d’un dispositif informatisé de contrôle installé à Strasbourg, le Système d’information Schengen (SIS). C’est pourquoi les nouveaux Etats entrés en 2004 et 2007 sont soumis à un régime transitoire au demeurant assez flou.

            Le principe posé dans ces accords est simple : dans l’espace regroupant les Etats signataires, les contrôles aux frontières ont lieu seulement à l’égard des personnes en provenance ou à destination de l’extérieur. En revanche, la circulation interne est libre, chacun étant cependant tenu d’être en mesure de présenter une pièce d’identité.

            La réalité est toutefois plus complexe, la liberté subissant au moins deux types d’atténuations, l’une quant à ses bénéficiaires, l’autre quant à son étendue.

            * La liberté s’applique différemment selon l’origine des étrangers : seuls les ressortissants des Etats de l’Union européenne et ceux en provenance de pays non soumis à l’obligation d’un visa (pays le plus souvent économiquement développés) peuvent circuler librement. Les autres sont soumis à un « visa uniforme «, valable pour tous les pays de la zone, et doivent, chaque fois qu’ils franchissent une frontière intérieure, souscrire, dans les 3 jours, une « déclaration d’entrée sur le territoire « (en France, cette déclaration doit être immédiate, au premier poste de police ou de gendarmerie), sous peine d’amende et d’emprisonnement.

            Pour les non ressortissants de l’Union européenne, la consultation du Système d’Information Schengen permet aux autorités chargées de la délivrance des titres d’entrée ou de séjour de vérifier si leur admission n’a pas déjà été refusée dans un autre Etat membre, et, alors, d’opposer automatiquement un nouveau refus.

            *La liberté n’exclut pas les contrôles. La frontière n’est plus le point fixe où ceux-ci sont effectués, mais policiers, gendarmes et douaniers peuvent (article 78-2 du Code de procédure pénale) procéder à des contrôles d’identité sans conditions à l’intérieur d’une zone de 20 Km au delà de la frontière terrestre, étendue pour les autoroutes au premier péage situé au-delà de cette limite, ainsi que dans les ports, aéroports et gares ouverts au trafic international. Ils peuvent aussi (article L 611-8 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile) y effectuer une « visite sommaire « des véhicules, sauf les voitures particulières.

            2 – Le principe du droit d’asile

            Le préambule de la constitution de 1946 proclame (al.4) que « tout homme persécuté en raison de son action en faveur de la liberté a droit d’asile sur les territoires de la République «.

            Les termes de ce texte ont longtemps été compris exclusivement à la lumière de la définition du réfugié donnée, dans son art.1er A.2, par la Convention de Genève relative au statut des réfugiés, du 28 juillet 1951, qui qualifie ainsi « toute personne qui, craignant avec raison d’être persécutée du fait de ses opinions politiques, se trouve hors du pays dont elle a la nationalité, et qui ne peut, ou du fait de cette crainte, ne veut, se réclamer de la protection de ce pays «. En effet, bien que ne coïncidant pas totalement, la notion constitutionnelle de bénéficiaire du droit d’asile (dit parfois « combattant de la liberté »), et celle, conventionnelle, de réfugié, étaient assimilées par le Conseil d’Etat, qui soumettait les demandes, quel que soit leur fondement, à un régime de contrôle contentieux unique.

Après de nombreuses péripéties législatives, le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, qui régit désormais la matière, distingue clairement les deux fondements possibles, conventionnel ou constitutionnel, de ce droit, tout en laissant subsister un régime unique applicable à ses bénéficiaires : celui de « réfugié » (article L 711-1). On sait (v. première partie, Titre III) que le Conseil d’Etat considère le droit d’asile comme une liberté fondamentale (CE (Ass. 12 janv. 2001, Mme Hyacinthe, précité).

            La procédure d’instruction des demandes d’asile est désormais organisée dans le Livre VII du Code précité. L’autorité compétente est un établissement public administratif, l’Office français pour la protection des réfugiés et apatrides (OFPRA), avec appel possible devant une Cour Nationale du Droit d’Asile, qui, depuis la loi du 20 novembre 2007, s’est substituée à la Commission des recours des réfugiés, et recours en cassation devant le Conseil d’Etat.

Ce dispositif  complété, à l’occasion, par des procédures parallèles d’admission globale de ressortissants de certains pays (Cambodge, Vietnam), a longtemps été utilisé par un nombre relativement peu élevé d’étrangers, dont les demandes étaient alors très majoritairement acceptées. Puis, avec le développement des dictatures et des guerres civiles, l’accroissement de l’écart entre pays riches et pauvres, l’essor du transport international, la France, comme nombre de ses voisins, notamment l’Allemagne, a dû faire face à un afflux de demandes. Le statut de réfugié a été souvent revendiqué pour des raisons autres que politiques notamment la détresse économique.

            Les organes compétents, bien que dotés de moyens nouveaux, ont été totalement débordés (ainsi en 2004, la Commission des Recours des Réfugiés, qui comprenait 140 formations de jugement, a-t-elle enregistré 51707 recours et rendu seulement 39160 décisions). S’en tenant à une définition stricte du réfugié, ils ont multiplié les décisions de rejet (85% en 2003), en jouant sur les divers critères cumulatifs contenus dans la Convention de 1951.

            Ainsi, le Conseil d’Etat distingue les persécutions à raison des opinions politiques, justifiant l’asile, et les poursuites à raison d’une infraction de droit commun à mobile politique, l’excluant. Il en résulte que les « combattants de la liberté » n’ont droit à l’asile politique que si leur action a emprunté les voies légales (CE (Ass) 18 avril 1980 Mac Nair, Rec. p.189: ce n’est pas le cas pour les auteurs d’un détournement d’avion souhaitant attirer l’attention sur la condition faite à la population noire aux Etats-Unis; CE 9 nov. 2005, Riza A…, AJDA 2006 p. 269, concl. Donnat: les actes terroristes du Parti ouvrier du Kurdistan ne sont pas une action en faveur de la liberté).

            La subtilité des nuances jurisprudentielles peut aussi s’exercer sur la qualification des craintes du demandeur, qui doivent être fondées (« craignant avec raison «, dit la Convention, qui prévoit expressément dans son art. 1er C 5° qu’elle ne s’applique pas lorsque les circonstances à l’origine des persécutions ont disparu). Ainsi, il est possible de refuser la demande, après, toutefois, examen individuel du dossier, lorsque le candidat à l’asile vient «d’un pays considéré comme un pays d’origine sûr« , étant précisé qu’ « un pays est considéré comme tel s’il veille au respect des principes de la liberté, de la démocratie et de l’état de droit, ainsi que des droits de l’homme et des libertés fondamentales » (article L 741-4 2° du Code). C’est au Conseil d’administration de l’OFPRA d’établir la liste des Etats remplissant ces conditions (17 pays au 30 juin 2006). Ce dispositif restrictif a été validé par le Conseil d’Etat (CE 5 avril 2006, GISTI et autres, à paraître au Rec.), qui a cependant considéré comme injustifiée l’inscription de l’Albanie et du Niger sur la liste (CE,13 février 2008, Association Forum des réfugiés,RFDA 2008 p. 539) .

 Les tendances restrictives de la jurisprudence dans l’interprétation de la définition du réfugié se sont aussi manifestées quant à l’origine des persécutions, qui, pour le Conseil d’Etat, devaient être le fait des seules autorités légales du pays, et non de forces incontrôlées. Ainsi, les personnes menacées par des groupes terroristes ne pouvaient bénéficier de l’asile, puisqu’elles étaient censées devoir d’abord revendiquer la protection de leurs propres institutions, quel que soit le degré de désordre dans lequel se trouvait leur pays.

Pour pallier les effets de cette jurisprudence, on a organisé une procédure parallèle d’admission d’abord dite d’«asile territorial«, sur décision non motivée du ministre de l’Intérieur, puis de « protection subsidiaire », dont la mise en œuvre est désormais confiée elle aussi à l’OFPRA. En toute hypothèse, à la différence des deux autres cas traités par l’OFPRA, la protection subsidiaire, comme l’ancien asile territorial, n’aboutit pas à la reconnaissance de la qualité de réfugié : ses bénéficiaires obtiennent seulement une carte de séjour temporaire d’un an renouvelable (article L 712-3 du Code), avec possibilité d’exercer une activité professionnelle.

            Pendant quelques années, on a aussi tenté de limiter le nombre des demandeurs d’asile en ne les admettant pas sur le territoire, et en les conservant en zone d’attente extraterritoriale.

            Mais dans 2 arrêts d’Assemblée du 13 déc.1991 Préfet de l’Hérault c/Dakoury, et Alfonso N’kodia, RFDA 1992 p.102 concl. Abraham, le Conseil d’Etat a décidé que la Convention de Genève sur les réfugiés et la loi du 25 juill.1952 imposent » que l’étranger qui sollicite la reconnaissance de la qualité de réfugié soit en principe autorisé à demeurer provisoirement sur le territoire jusqu’à ce qu’il ait été statué sur sa demande « , à moins que celle-ci ne soit manifestement infondée. L’administration invoquant ce type d’irrecevabilité dans la majorité des cas (92,3% en 2004), la Cour EDH a jugé que les intéressés doivent pouvoir disposer d’un recours de plein droit suspensif contre sa décision de rejet, et que le référé-liberté qui leur est ouvert ne remplit pas cette condition (CEDH 26 avril 2007, Gebremedhin c/France, D. 2007 p. 2780, note Marguénaud arrêt très intéressant car illustrant bien les multiples difficultés soulevées par la mise en œuvre du droit d’asile). Suite à cette condamnation, la loi du 20 novembre 2007 a organisé au profit du demandeur d’asile auquel l’entrée sur le territoire a été refusée une procédure de contestation dans les 48 heures devant le tribunal administratif statuant à juge unique. Après une audience pouvant grâce à des moyens audiovisuels être dissociée entre les locaux du Tribunal où siège le magistrat et la zone d’attente où est retenu l’étranger, la décision doit être rendue dans les 72 heures.

Une fois leur demande définitivement rejetée, nombre de déboutés du droit d’asile ne quittent pas le territoire pour autant : environ 2 ou 300 000 d’entre eux séjournent actuellement dans la clandestinité.

Afin d’éviter les demandes multiples; la Convention de Dublin du 15 juin 1990, relative à la détermination de l’Etat responsable de l’examen d’une demande d’asile, prévoit en principe la compétence exclusive d’un seul des pays signataires (généralement le premier dans lequel le demandeur a pénétré).

            Depuis quelques années, dans le cadre des compétences données à la Communauté, les conditions de mise en œuvre du droit d’asile tendent  progressivement  à relever de règles communes définies par la Commission et le Conseil.

            3 – Le droit à une vie familiale normale

            Schématiquement, on peut le définir comme le droit de fonder une famille et de vivre avec elle.

            A – Ses sources

            Ce droit a plusieurs sources, internes et européennes.

Sur le plan interne, il trouve son origine dans l’al.10 du préambule de 1946, selon lequel « la Nation assure à l’individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement « .

            Ce texte, compte tenu du caractère vague de sa formulation, peut difficilement être considéré comme créateur de « droits-créances « au profit des citoyens. C’est pourquoi il n’a que rarement  été invoqué en faveur des nationaux. En revanche, le Conseil d’Etat y a vu une des sources d’un principe général du droit applicable aux étrangers, le droit à une vie familiale normale (CE (Ass) 8 déc.1978, GISTI, GAJA), qui constitue une liberté fondamentale et relève donc de la protection du référé-liberté CE (S) 30 oct. 2001, Min. de l’Intérieur c/ Mme Tliba, RFDA 2002 p. 324 concl. de Silva).

            Par la suite, le Conseil Constitutionnel, toujours par référence à la même disposition du préambule, a donné à la règle une valeur constitutionnelle : « les étrangers dont la résidence en France est stable et régulière ont, comme les nationaux, le droit de mener une vie familiale normale » en précisant que ce droit » comporte en particulier la faculté pour ces étrangers de faire venir auprès d’eux leurs conjoints et leurs enfants mineurs « (décis. du 13 août 1993, RFDA 1993 p.871 note Genevois).. Cette faculté, appelée « regroupement familial », est strictement encadrée par la loi, puisque le Conseil, dans la même décision, a également jugé qu’elle s’exerce « sous réserve de restrictions tenant à la sauvegarde de l’ordre public et à la protection de la santé publique lesquelles revêtent le caractère d’objectifs à valeur constitutionnelle «. Ainsi, le Code prévoit-il notamment (article L 411-1 et s.) qu’il ne peut être invoqué qu’après un séjour d’au moins 18 mois en France, si l’intéressé dispose d’un logement  et de ressources suffisants, et si le candidat à l’entrée en France présente des garanties « d’intégration républicaine dans la société française » (nouvel art. L 411-8 résultant de la loi du 20 novembre 2007).

Le regroupement est exclu dans le cadre de mariages polygames (article L 411-7), restriction admise par le Conseil constitutionnel (décis. précitée) au motif que «les conditions d’une vie familiale normale sont celles qui prévalent en France, pays d’accueil, lesquelles excluent la polygamie ».

            Sur le plan européen, le droit à une vie familiale normale est d’abord organisé par une multitude de textes particuliers relatifs aux ressortissants de l’Union Européenne.

            Pour les autres cas, sources des difficultés les plus nombreuses, la règle générale applicable découle de l’art. 8-1 de la Convention européenne, selon lequel « toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance«.

            Se référant à ces dispositions, la Cour européenne a jugé que «les mesures individuelles ne peuvent porter au droit à la vie familiale d’un étranger une atteinte disproportionnée au but légitime poursuivi« : ainsi, le refus de renouveler l’autorisation de séjour d’un Marocain résidant depuis 3 ans aux Pays-Bas, après son divorce d’avec son épouse néerlandaise dont il avait eu un enfant a-t-il été jugé contraire à l’art. 8-1 (CEDH 21 juin 1988 Benehab c/Pays-Bas). En outre, elle a procédé à une sensible extension du champ d’application de l’art. 8 en considérant qu’il englobe même les étrangers célibataires et sans enfants lorsque du fait de la stabilité et de la durée de leur séjour, ils n’ont plus d’attaches avec leur Etat d’origine: au droit à la vie familiale se substitue  alors le droit à la vie privée (CEDH 13 fév. 2001, Ezzoudi c/ France, à propos d’un « immigré de la deuxième génération »).

            B – Sa mise en œuvre

            En France, le Conseil d’Etat, bien qu’ayant consacré en 1978, comme on l’a vu, le droit à une vie familiale normale pour les étrangers, a longtemps refusé de s’y référer pour contrôler les mesures d’éviction du territoire. Il a cependant fini par opérer un revirement dans une affaire Beldjoudi, du 18 janvier 1991 (Rec. p. 19) : saisi d’un recours contre l’expulsion d’un Algérien alléguant de la violation de son droit à une vie familiale normale, il a, pour la première fois, accepté de contrôler l’application de l’art. 8.

            A partir de l’arrêt du Conseil d’Etat, l’art. 8 sera assez systématiquement invoqué par les étrangers menacés d’éviction du territoire national et pouvant alléguer d’attaches familiales sur celui-ci. L’argument, utilisé à l’encontre des expulsions, permettra d’étendre sensiblement la portée du contrôle du juge, limité initialement à la recherche de l’erreur manifeste dans l’appréciation de la menace à l’ordre public créée par l’intéressé. De minimum, le contrôle deviendra ainsi normal, portant sur la proportionnalité entre l’intérêt public et l’atteinte au droit de l’individu. Ainsi, dans un arrêt d’Assemblée du 19 avril 1991, Belgacem (Rec. p. 152 concl, Abraham), le Conseil d’Etat, statuant sur l’expulsion d’un Algérien né en France et y résidant depuis toujours avec ses 12 frères et soeurs, dont il avait la charge depuis le décès de leur père, a jugé que la mesure excédait les nécessités de la défense de l’ordre public, eu égard à la gravité de l’atteinte à la vie familiale de l’intéressé.

            Le Conseil d’Etat acceptera même d’étendre le contrôle de l’application de l’art. 8 aux mesures relatives à l’accès au territoire, en recherchant si le refus de l’autoriser est susceptible de nuire à la vie familiale de l’intéressé (v. p. ex. C.E. 20 déc. 2000, Mme El Abd et Mme Briouel, RFDA 2001 p. 267: le refus de visa empêchant des Marocaines de rencontrer leurs enfants et petits enfants habitant en France est contraire à l’art. 8).

C – Les réserves à l’égard de certains liens familiaux

            Compte tenu de l’importance prise par le droit à une vie familiale normale comme garantie de stabilité de la situation des étrangers, on a parfois redouté que les modes habituels de constitution des liens familiaux ne soient détournés de leur finalité usuelle en se transformant en procédures de complaisance favorisant l’immigration incontrôlée. Ainsi, le Conseil d’Etat a eu l’occasion d’exprimer sa méfiance à l’égard de certaines adoptions (v. CE 20 mai 1998 Melle Oufkir-Gonthier, JCP 1998 II 10182 note Monéger).

            C’est surtout le mariage des étrangers qui a suscité un grand nombre de réticences, puisque lorsqu’il est conclu avec un citoyen français, il officialise une vie familiale, et peut préserver d’éventuelles expulsions ou reconduites à la frontière, d’autant plus qu’il entraînait jadis l’attribution automatique d’une carte de résident valable dix ans..

Bien qu’en réalité seul un petit nombre d’entre eux soit source de déconvenue pour des conjoints abusés, ou de profits pour ceux ayant monnayé leur consentement, les mariages mixtes font donc l’objet d’une suspicion générale des autorités, qui les supposent souvent dépourvus du consentement exigé par l’art. 146 du Code civil, et, donc, de pure complaisance.

            Pour ôter leur intérêt à ces mariages, le Conseil d’Etat  a d’abord décidé que s’ils apparaissent conclus dans un but frauduleux, le préfet peut légalement refuser l’attribution de la carte de résident (CE (S) avis du 9 oct. 1992 Abihilali, RFDA 1993 p. 183 concl. Abraham : épouse française « achetée « 20 000F), voire même la retirer, s’il l’a déjà délivrée (C.E. 13 nov. 1992 Riaz, D. 1993 p. 298 note Haim). Le législateur, a complété le dispositif, en prévoyant en 1993 qu’à condition que la communauté de vie n’ait pas cessé, la carte de résident n’est accordée qu’après un an de mariage, délai porté à deux ans par la loi du 26 novembre 2003, puis à 3 par celle du 24 juillet 2006, (article L 314-9 3° du Code). Dans l’attente de ce titre, il est toutefois possible d’obtenir une carte de séjour temporaire d’un an.

En toute hypothèse, le Procureur de la République, en cas de doute de l’officier d’état-civil sur la réalité du consentement, peut surseoir au mariage pour un mois maximum, avec possibilité de recours dans les 10 jours devant le T.G.I., puis la Cour d’Appel. Le texte initial de la loi du 26 novembre 2003 prévoyait même que le caractère irrégulier du séjour du futur conjoint faisait présumer l’absence de consentement, mais le Conseil Constitutionnel a censuré cette disposition. Pour les juges, en effet, la liberté du mariage est une « composante de la liberté personnelle protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration de 1789 », et « s’oppose à ce que le caractère irrégulier du séjour d’un étranger fasse obstacle, par lui-même, au mariage de l’intéressé » (décision du 20 novembre 2003 – loi relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité – AJDA 2004 p. 599).

            Avec l’institution en 1999 du pacte civil de solidarité (PACS), de nouvelles perspectives de recours au droit à une vie familiale normale ont été ouvertes. Pour le Conseil d’Etat en effet, la conclusion d’un PACS constitue un élément d’appréciation de la situation personnelle de l’intéressé dont l’administration « doit tenir compte pour apprécier si un refus de délivrance de la carte de séjour sollicitée par le demandeur, compte tenu de l’ancienneté de la vie commune avec son partenaire, n’entraînerait pas une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée »(CE 29 juin 2001, Préfet de la Haute-Garonne, RFDA 2001 p. 970).

            La vogue des tests génétiques ne pouvait manquer de s’étendre au droit des étrangers: lors des débats sur la loi du 20 novembre 2007, on a préconisé cette technique pour vérifier la réalité des liens de filiation invoqués. Les controverses passionnées suscitées par cette proposition ont finalement abouti à un dispositif facultatif lourd et complexe, validé par le Conseil Constitutionnel dans sa décision du 15 novembre 2007, mais dont l’application restera probablement exceptionnelle.

4 – La primauté de l’ordre public

            La réglementation relative aux étrangers se rattache aux activités dites de police, puisque ses objectifs sont la préservation, et, le cas échéant, le rétablissement de l’ordre public.

            Aussi, le Code se réfère constamment à cette notion floue comme facteur potentiellement réducteur des droits des étrangers, qu’ils soient originaires de l’Union européenne, ou de tout autre Etat, par exemple comme justificatif du refus d’une carte de séjour temporaire, d’une carte de résident, du regroupement familial, du retrait d’un titre de séjour et de la possibilité de régularisation. Statuant sur ces décisions, le juge administratif,  après n’avoir opéré sur l’appréciation de l’administration qu’un contrôle minimum, procède désormais à un contrôle normal  (CE (S) 17 oc. 2003, Bouhsane, AJDA 2003 p. 2025 ).

            C’est aussi au nom de la protection de l’ordre public qu’est sanctionnée pénalement l’aide apportée aux étrangers en situation irrégulière : les art. L 622-1 à 9 du Code prévoient actuellement des peines pouvant aller jusqu’à 10 ans d’emprisonnement et 750 000€ d’amende (pour les bandes organisées). On sait qu’en juillet 1996, seule la censure du Conseil constitutionnel par sa décision du 17 juill. 1996 a empêché que cette infraction soit qualifiée d’acte de terrorisme (v. supra). La répression semblant toutefois difficilement justifiable à l’égard des proches parents, ceux-ci bénéficient d’une immunité, étendue aux concubins (article L 622-4 du Code).

S/Section II – Les principales modalités de la réglementation nationale relative aux étrangers

            Elles concernent l’entrée et le séjour des étrangers, leur éloignement du territoire, ainsi, le cas échéant, que leur rétention.

            1 – L’accès des étrangers au territoire

            Il est limité. Le Conseil constitutionnel a confirmé en effet (décis. du 13 août 1993 précitée) qu’« aucun principe non plus qu’aucune règle constitutionnelle n’assure aux étrangers des droits de caractère général et absolu d’accès et de séjour sur le territoire national «. Cependant, les ressortissants de l’Union européenne et des Etats signataires de l’accord sur l’espace économique européen bénéficient de la libre circulation des personnes.

            A – L’entrée

            Elle est subordonnée à la présentation des titres adéquats. Ceux-ci sont variables selon les Etats de provenance : carte d’identité (not. pour les ressortissants de l’Union européenne), passeport, visa, justification de moyens d’existence, d’assurances médicales  et de garantie de rapatriement, attestation d’accueil en cas de visite privée, etc.

            Ces exigences comportent deux exceptions. La première, traditionnelle, bénéficie aux demandeurs d’asile, qui sont présumés avoir quitté leur pays d’origine dans des conditions précipitées : leur admission ne peut être refusée au motif qu’ils sont démunis des documents normalement nécessaires. La seconde a été créée par loi du 24 juillet 2006 (article L 313-14 du Code): elle permet d’admettre un étranger dépourvu de visa pour des motifs exceptionnels, notamment humanitaires, sur avis éventuel d’une Commission nationale de l’admission exceptionnelle au séjour.

Les refus de visas ne doivent pas être motivés, sauf exceptions énumérées par l’art. L 211-2 du Code. Ils ne peuvent faire l’objet d’un recours contentieux qu’après saisine préalable d’une commission de cinq membres instituée auprès du ministre des Affaires étrangères. La décision relève du pouvoir discrétionnaire  de l’administration, et les refus ne sont donc censurés qu’en cas d’erreur manifeste (CE 20 déc. 2000, Mme Briouel précité).

            B – Le séjour

            Sa durée dépend du visa accordé (lorsque celui-ci est exigé) (transit sans arrêt : 3 jours, avec arrêt : 15 jours, court séjour : 3 mois max., long séjour : plus de 3 mois).

            Au-delà de 3 mois de séjour, le document d’entrée ne suffit plus, et doit être complété par un titre de séjour. Avec l’espoir de faciliter l’assimilation des étrangers souhaitant s’établir durablement, la loi du 24 juillet 2006 a institué une procédure de préparation à l« ‘intégration républicaine dans la société française »  leur imposant de suivre un certain nombre de formations dans le cadre d’un « contrat d’accueil et d’intégration » (article L 311-9 du Code).

Les titres de séjour peuvent prendre cinq grandes formes :

la carte de séjour de ressortissant d’un Etat membre de la CEE, valable 10 ans, puis permanente après le premier renouvellement. Depuis une directive communautaire du 29 avril 2004, ce titre n’est toutefois plus obligatoire.

la carte de séjour temporaire (pour les ressortissants des Etats hors CEE), valable un an, renouvelable, mentionnant un des 8 titres justifiant sa délivrance (p. ex.  : « visiteur« , « salarié »,  « étudiant », etc.).

la carte de séjour « compétences et talents », création de la loi du 24 juillet 2006, valable 3 ans, délivrée à l’étranger susceptible de contribuer « de façon significative et durable au développement économique ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et du pays dont il a la nationalité » (article L 315-1 nouveau du Code).

 – la carte de résident, valable dix ans, renouvelable de plein droit, et depuis la loi du 20 novembre 2007, transformable le cas échéant en carte de résident permanent de durée indéterminée. Les dernières réformes ont sensiblement réduit le nombre des cas dans lesquels elle est accordée de plein droit (par exemple aux réfugiés). Elle peut être accordée à des catégories d’étrangers présumés déjà bien intégrés (mariés avec un conjoint français depuis au moins trois ans, installés régulièrement en France depuis plus de cinq ans, sauf à titre d’étudiants, parents d’un enfant français séjournant légalement en France depuis au moins trois ans, etc.).

Depuis la loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, sa délivrance peut être subordonnée « à l’intégration républicaine de l’étranger dans la société française» (article L 314-2 du Code), appréciée en particulier au regard de sa connaissance suffisante de la langue française et des principes régissant la République.

la carte de retraité, délivrée aux anciens résidents ayant acquis des droits à pension en France mais établis à l’étranger, valable 10 ans pour des séjours n’excédant pas un an (article L 315-1 du Code).

Il appartient aux forces de police de vérifier que les étrangers séjournant en France sont bien en possession des titres adéquats, puisque l’art. L 611-1 du Code leur donne une compétence très large, en prévoyant qu’«en dehors de tout contrôle d’identité, les personnes de nationalité étrangère doivent être en mesure de présenter les pièces et documents sous le couvert desquels elles sont autorisées à circuler ou à séjourner en France à toute réquisition des officiers de police judiciaire… « . Le Code de procédure pénale pose les mêmes principes.

            En revanche, les administrations non habilitées par la loi, par exemple celle de l’Education nationale, ne peuvent légalement contrôler la régularité du séjour.

            La violation des règles relatives aux conditions d’entrée et de séjour est sanctionnée pénalement (article L 621-1 et 2 du Code) de peines de prison (1 an) et d’amende (3 750 €), ainsi, éventuellement, que d’une interdiction du territoire pouvant aller jusqu’à 3 ans. Toutefois, puisque le nombre des clandestins est estimé à plusieurs centaines de milliers, l’art. L 313-11 du Code prévoit quelques cas de régularisation, auxquels viennent de temps à autres s’ajouter ceux résultant de procédures globales exceptionnelles, généralement organisées par des circulaires du ministre de l’Intérieur. Ainsi, dans le cadre défini par la circulaire du 13 juin 2006 (dite Sarkozy) environ 7000 étrangers en situation illégale ont été régularisés et 23000 demandes rejetées.

 

2 – L’éloignement du territoire

            Il peut être volontaire ou involontaire.

            A – La sortie volontaire

            Elle est libre. Mais puisque certains étrangers peuvent utiliser cette liberté à des fins contraires à l’intérêt national (contacts avec terroristes, trafics divers), pendant quelque temps, un visa de sortie avait été institué pour les ressortissants de 13 Etats jugés suspects. Il a  finalement été supprimé en 1997.

            B – L’éloignement de l’étranger contre son gré

            Il prend quatre formes principales.

  1. a) Le refoulement

            Il consiste à interdire à une personne l’accès au territoire national lorsqu’elle se présente à un poste frontière. Matériellement possible sans difficultés particulières pour les postes frontières routiers (lorsqu’un contrôle y subsiste), il est en revanche impossible immédiatement aux postes frontières aériens ou maritimes voire ferroviaires, tant qu’un embarquement ne peut être trouvé pour l’intéressé. D’où un délai de rétention en zone extra-territoriale, que le législateur a entendu réduire en imposant aux transporteurs, à leurs frais, (article L 213-4 à 8 du Code) une obligation de reconduite immédiate de l’intéressé à son point de départ.

            La question s’est posée de l’appréciation du comportement de l’administration lorsqu’elle refuse à des passagers clandestins d’un navire l’autorisation de débarquer, en imposant au capitaine de les conserver à bord jusqu’à son appareillage, alors que normalement ils devraient être admis sur le territoire et placés en zone d’attente. Le Tribunal des Conflits, dans un arrêt controversé, rendu après partage et sous la présidence du Garde des Sceaux, a refusé de qualifier de voie de fait ce comportement (TC 12 mai 1997 Préfet de police de Paris c/TGI de Paris, JCP 1997 II.22861, rapport Sargos), qui n’en demeure pas moins illégal (CE 29 juill. 1998 ministre de l’Intérieur, AJDA 1998 p.936 concl. Abraham).

            A titre dissuasif, il est également prévu (article L 625-1 à 6 du Code.), pour les transporteurs aériens, maritimes ou routiers, une amende de 5 000 € maximum par passager démuni de document de voyage.

  1. b) la reconduite à la frontière

            Régie principalement par les articles L 511-1-II et s. du Code, elle s’applique, à la différence du refoulement, aux  étrangers (sauf s’il sont mineurs) déjà présents sur le territoire, et est prise par arrêté préfectoral, essentiellement à l’égard des personnes dépourvues de titre de séjour valable, ou bien parce que la durée de validité de leurs documents de voyage ou de séjour est expirée, ou bien parce qu’elles n’en ont jamais possédé.

Toutefois certaines catégories d’étrangers énumérées à l’art. L 511-4 du Code ne peuvent faire l’objet de cette mesure (il s’agit en général de ceux pouvant prétendre à la délivrance d’un titre de séjour).

            L’arrêté de reconduite peut faire l’objet d’un recours en annulation dans les 48 h suivant sa notification devant le Tribunal administratif statuant à juge unique et sans conclusions de commissaire du gouvernement dans les 72 h. L’appel est possible dans le délai d’un mois.

            Le Conseil d’Etat a refusé de lier la légalité de la mesure de reconduite à la frontière à la validité du contrôle d’identité permettant de constater la situation irrégulière de l’étranger (CE 23 fév. 1990 Sioui, RFDA 1990 p. 528 concl. Abraham). Mais il a malgré tout développé un contrôle assez étendu sur la décision elle-même, notamment par référence à l’art. 8 de la Convention EDH garantissant le droit à la vie familiale, en vérifiant que la reconduite à la frontière ne porte pas à ce droit une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels elle a été prise (CE(Ass.) 19 avril 1991 Mme Babas, RFDA 1991 p. 509 concl. Abraham). Ainsi, est illégale une telle mesure prise à l’égard d’un Algérien débouté d’une demande d’asile territorial mais récemment marié à une Française dont il attend un enfant (CE 28 sept. 2001, Préfet du Cher c/ Chelli, AJDA 2002 p. 522 concl. Seban).

            Les conséquences de l’annulation de la reconduite à la frontière sont déterminées avec certaines hésitations par le Conseil d’Etat. Il a en effet d’abord décidé que lorsque l’illégalité censurée consiste en une atteinte au droit à la vie familiale, le respect de la chose jugée impose au préfet de délivrer une carte de séjour temporaire même s’il a fait appel (CE 29 janv. 2001, Attia, RFDA 2001 p. 528). Toutefois, il a par la suite refusé de lier l’annulation de l’arrêté et la délivrance d’un titre de séjour en adressant une injonction à cet effet à l’administration, et s’est borné à prescrire au préfet de se prononcer sur la situation de l’intéressé dans le délai d’un mois (CE (S) 22 fév. 2002, Dieng, AJDA 2002 p. 418).

En toute hypothèse, tant qu’il n’a pas été statué sur le recours (à condition que celui-ci ait été déposé dans les délais), l’exécution  forcée de la mesure (embarquement) constitue une voie de fait (TC 16 janv. 1995, Préfet de la Gironde, RFDA 1996 p. 147).

  1. c) L’obligation de quitter le territoire

            C’est un mode d’éloignement des étrangers introduit dans le Code par la loi du 24 juillet 2006 comme alternative simplifiée à la reconduite à la frontière. Il consiste à assortir directement un refus ou un retrait de titre de séjour d’une obligation de quitter le territoire dans le délai d’un mois, en déterminant le pays de renvoi en cas d’inexécution. A l’expiration du délai prescrit, la mesure peut être exécutée d’office, au besoin après placement préalable de l’étranger en rétention. Le souci de simplification s’est également traduit par la mise en place d’un régime contentieux expéditif : la mesure, qui n’a pas à être motivée (article L 511-1 du Code), doit être déférée dans le mois de sa notification au tribunal administratif qui dispose de trois mois pour en apprécier la légalité en formation collégiale. Le recours suspend l’obligation de quitter le territoire mais n’interdit pas pour autant à l’administration de placer l’intéressé en rétention. Dans cette hypothèse, le tribunal doit statuer à juge unique et dans les 72 heures, comme pour les reconduites à la frontière.

Bien qu’elle ait été créée à des fins simplificatrices, cette nouvelle modalité d’éloignement a semble-t-il au contraire suscité de nombreuses difficultés, notamment parce qu’elle se distingue mal de la reconduite à la frontière. Elle a donc entraîné un alourdissement du contentieux administratif des étrangers.

*  *  *  * 

La mise en oeuvre concrète des décisions d’éloignement est très révélatrice des limites d’une réglementation restrictive de l’immigration : si les chiffres des arrêtés de reconduite prononcés ont augmenté de manière spectaculaire de 1989 à nos jours (18 200 en 1990,        61 695 en 2005), leur taux d’exécution reste, malgré tous les efforts des pouvoirs publics, assez bas (moins de 30%, selon le troisième rapport sur la politique de l’immigration remis au Parlement début 2007) sous l’effet conjugué des annulations contentieuses (qui, malgré la progression spectaculaire des recours, restent marginales), de la résistance des intéressés (passage dans la clandestinité, refus d’embarquer, refus d’indiquer sa nationalité, etc.), et de l’impossibilité de trouver des pays de réadmission.

 

  1. d) L’expulsion

            Elle est réglée par les articles L 521-1 à L 524-4 du Code. C’est une mesure de police prise par le préfet à l’encontre d’un étranger (le bannissement d’un national est exclu en France), même séjournant légalement sur le territoire, lorsque sa présence crée un danger ou un trouble. Elle s’oppose à son retour tant qu’elle n’a pas été abrogée ou retirée, c’est pourquoi l’art. L 524-2 prévoit que ses motifs doivent en principe être réétudiés tous les cinq ans.

 

1 – Conditions de fond.  

Elle est aujourd’hui subordonnée à la menace grave à l’ordre public créée par la présence de l’étranger   (article L 521-1 du Code).

            C’est en définitive surtout la jurisprudence administrative qui délimite le cadre d’utilisation de l’expulsion, à l’occasion du contrôle sur les mesures qui la prononcent. Le recours au référé-liberté est possible, mais seulement lorsque la mesure, conformément à la condition posée à l’art. L 521-2 du CJA,  est entachée d’une illégalité manifeste (CE 30 oct. 2001, Min. de l’Int. c/ Mme Tliba: l’expulsion d’une Tunisienne mère de cinq enfants français, en France depuis 1969, et dépourvue de famille dans son pays d’origine, impliquée dans le recel de biens provenant de délits et de trafic de stupéfiants,  n’est pas entaché d’une illégalité manifeste). A défaut, la procédure moins expéditive du réfé-suspension est utilisable.

            En ce qui concerne l’appréciation portée sur l’existence de la menace créée par l’étranger, le juge administratif applique des solutions différentes selon l’origine de l’intéressé. Si celui-ci est citoyen de l’Union européenne, il bénéficie d’un véritable droit au séjour, qui implique un contrôle normal sur la décision aboutissant à l’exclure du territoire (CE 19 nov.1990 Raso, AJDA 1991 p.325 note Julien Lafferrière). En revanche, s’il provient d’un Etat tiers, le contrôle est seulement minimum, et ne censure que l’erreur manifeste d’appréciation, par exemple lorsque l’administration a estimé que l’absence de ressources de l’intéressé ne pouvait que créer une menace pour l’ordre public (CE (Ass) 3 fév.1975 Min. de l’Intérieur c/Pardov, AJDA 1975 p.143).

            Dans le cadre de ce contrôle, on s’est interrogé sur la prise en compte des infractions et condamnations pénales comme justificatifs de la menace créée par l’intéressé pour l’ordre public, d’aucuns y voyant l’application d’une «double peine«.  La réponse est donnée cas par cas par le juge, qui considère qu’il ne doit pas exister de lien automatique entre l’expulsion et une unique condamnation (CE (Ass) 21 janv.1977 Min. de l’Intérieur c/Dridi, GP 1977, 1, p.340, concl.Genevois), ou la commission d’une infraction isolée (CE 17 janv.1979 Min. de l’Intérieur c/Ben Abdesselam, RDP 1979 p.1766 -vol d’un autoradio-), mais qu’au delà d’un