COURS DE SCIENCE POLITIQUE

 La science politique est une discipline scientifique dont le but est de comprendre le fonctionnement politique des sociétés. Elle appartient aux sciences sociales et s’intéresse au fait politique.

La politique (définition de Hannah Arendt) : « La politique organise d’emblée des êtres absolument différents en considérant leur égalité relative et en faisant abstraction de leur diversité relative » (Journal de pensée, I, Cahier 1)


Définition : La science politique est une science qui étudie l’ensemble des phénomènes politiques. Elle comprend l’étude de : la théorie politique, la sociologie politique, la science administrative et les relations internationales. Il n’y a cependant pas unanimité sur l’ensemble du champ d’actions que recouvre cette science.

 

Le seul objectif de la science politique est d’expliquer les phénomènes politiques. 

  1. Science politique et droit

La science politique est issue du droit. Ceci implique une sorte de méfiance entre les deux disciplines.

En quoi la science politique se distingue t- elle du droit (du droit constitutionnel) ?

La science politique s’en distingue car elle s’intéresse moins aux règles formelles qu’aux pratiques concrètes. La science s’intéresse moins aux règles du jeu que la façon dont fonctionne le jeu lui-même. Le politique s’intéresse à tout ce qui peut se passer en dehors des règles.

            Ex : le Parlement dans une société démocratique contemporaine.

La simple lecture de la constitution ne suffit pas à comprendre le rôle que joue le parlement dans nos sociétés. Quelqu’un qui connaît le système politique que par la lecture de la constitution aurait une idée totalement fausse

  1. Science politique et science sociale

La plupart des politistes considère que la science politique est une activité sociale (pas séparable du reste) et qu’elle traite donc les faits politiques comme les faits sociaux. Cela conduit à utiliser les mêmes instruments, méthodes que les sociologues. Il n’y a pas que des explications politiques aux comportements politiques.

Ex : les électeurs s’abstiennent aux élections car ils sont mécontents de la politique actuelle : ils sanctionnent le gouvernement par leur abstention (explication politique)

  1. Définitions de la politique

Il existe plusieurs définitions de la politique, c’est un terme polysémique.

Politique : ce qui se rapporte au gouvernement d’une société dans son ensemble. La politique c’est le gouvernement des sociétés, c’est-à-dire la capacité qu’ont certains groupes ou individus (gouvernants) de diriger la vie en société, d’orienter les comportements de l’ensemble des membres de cette société, la capacité de promulguer des règles qui s’appliquent à tous et de pouvoir les faire respecter. Voici le plan du cours :de science politique :

 

  • Chapitre I – La construction de l’ordre politique contemporaine
  • Section 1 – La formation de l’Etat occidental
  • a)    Comparaisons anthropologiques
  • 1)     La spécialisation des gouvernants
  • 2)     La centralisation de la coercition
  • 3)     L’institutionnalisation de la puissance publique
  • b)    Etudes sociologiques du processus d’étatisation en occident
  • 1)     Les sociologues classiques (Marx, Weber, Durkheim)
  • Karl Marx (1818-1883)
  • Emile Durkheim (1858 – 1917)
  • Max Weber (1864 – 1920)
  • 2)     L’actuelle sociologie historique
  • Section 2 – Le développement de l’Etat Providence (XIXe et XXe siècle)
  • a)    analyse des facteurs de croissance de l’Etat
  • 1)     Le passage d’Etat gendarme à Etat providence
  • 2)     facteurs généraux de croissance de l’Etat providence
  • b)    La spécialisation de l’appareil administratif
  • c)    L’Etat providence en crise ?
  • 1)     L’approche économique
  • 2)     L’approche sociologique
  • Section 3 – Le renforcement du pouvoir exécutif
  • a)    Le déclin du parlement
  • b)    Renforcement de l’exécutif
  • Chapitre 2 : la pluralité des acteurs politiques
  • Section 1 – Les partis politiques
  • a)    Définition des partis politiques (La Palombara/Wiener, Weber)
  • b)    Genèse et types des partis politiques
  • 1 – Les partis distingués selon leurs origines et leur personnel [Duverger]
  • 2 – Une typologie historique des partis politiques [Sartori]
  • 3 – Une évolution récente, les partis « attrape-tout »
  • c)    Fonction des partis politiques
  • 1 – Merton
  • 2 – Lavau
  • 3 – Un rôle déclinant ?
  • Section 2 – L’administration publique entre le politique et le social
  • a)    L’administration face au pouvoir politique
  • 1 – La conception instrumentale
  • 2 – La conception dynamique
  • b)    L’administration et la société civile
  • 1 – La logique bureaucratique des rapports administration-administrés
  • 2 – L’ouverture de l’administration
  • Section 3 – Les groupes de pression et leur encadrement politique
  • a)    Définition des groupes de pression
  • b)    Typologie des groupes de pression (Braud ; Mény)
  • c) L’insertion des groupes de pression dans le système politique
  • Chapitre 3 – La participation politique
  • Le processus de socialisation politique
  • a)La culture politique : l’enquête de G. Almond et S. Verba
  • b) Agents et milieux de socialisation politique
  • CHAPITRE4. OPINIONS ET ELECTIONS
  • I. Analyse du vote : diversité des approches
  • 1. Les élections et le droit
  • 2. La sociologie historique des pratiques électorales
  • 3. Les modèles économiques : l’analyse du vote en termes stratégiques.
  • a. La théorie de l’électeur rationnel
  • b. Ses limites
  • 4. Les analyses écologiques du vote (ou analyses environnementales du vote)
  • A. « L’électorat du granit » et « l’électorat du calcaire » sous la troisième république (thèse de Siegfried)
  • B. Des banlieues rouges aux « quartiers » : les votes ouvriers
  • C. L’explication du vote par les variables démographiques.
  • D. Les variables socioéconomiques
  • E. Les variables socioculturelles
  • II. L’opinion publique et les sondages
  • 1. L’opinion publique et la légitime démocratique.
  • 2. La sociologie critique des sondages
  • Chapitre 5. LES REGIMES POLITIQUES CONTEMPORAINS
  • Introduction : qu’est-ce qu’un régime politique ?
  • I. Les régimes autoritaires
  • 1. Les caractéristiques des régimes autoritaires
  • a. Monolithisme politique
  • b. Polycentrisme des pouvoirs et (relatif) pluralisme culturel
  • c. La question de la violence physique
  • 2. La diversité des régimes autoritaires
  • II. Le totalitarisme
  • 1. Les usages politiques d’un concept
  • 2. La domination totalitaire
  • a. La production d’un homme nouveau.
  • b. L’encadrement et la mobilisation de la population
  • 3. Le dispositif totalitaire
  • a. Les organisations du mouvement
  • b. Le culte (exacerbé) du chef
  • c. Le monopole idéologique
  • d. Le dispositif policier et concentrationnaire

 

Chapitre I – La construction de l’ordre politique contemporain

L’ordre politique ne découle pas uniquement d’une constitution ; le politiste s’intéresse plus à l’histoire, la vie en société pour comprendre la mise en place de l’organisation politique

Il cherchera à trouver les choses qui ne changent pas dans l’ordre politique occidental dans les différents états.

 

Section 1 – La formation de l’Etat occidental

L’étatisation du pouvoir en Europe débouche sur l’Etat providence

L’Etat est un type spécifique d’organisation qui apparaît à l’ère moderne en Europe et qui s’impose comme le mode légitime en occident

Il y’a différentes définition de l’Etat, pour Max Weber : « L’Etat est une entreprise politique de caractère institutionnel dont la direction administrative revendique avec succès (dans l’application des règlements) le monopole de la contrainte physique légitime.»

— L’Etat n’est pas une chose naturelle, il est apparu en Europe à la suite d’un processus ayant duré plusieurs siècles.

Il y a deux types d’approches : celle des anthropologues et celle des sociologues.

 

  1. a)    Comparaisons anthropologiques

— Les anthropologues ont l’habitude de comparer les sociétés occidentales avec des sociétés extra occidentales.

Il y’a 3 caractéristiques : la spécialisation des gouvernants, la centralisation de la coercition et l’institutionnalisation de la puissance publique.

 

1)     La spécialisation des gouvernants

— Beaucoup de sociétés primitives ou archaïques ne connaissent pas la spécialisation des individus dans l’exercice du pouvoir politique ;

— certaines sociétés non occidentales ont connu des formes de spécialisation [Amérique Centrale]

— Depuis la période médiévale en occident il y’a une double spécialisation : à Les gouvernants décideurs représentants [Roi] à et l’administration chargée d’exécuter des décisions royales

XIXe à professionnalisation du politique : des représentants élus apparaissent qui exercent à plein temps des métiers politiques et qui sont rémunérés pour ça ; il y’a également professionnalisation des fonctionnaires avec l’apparition de concours de recrutement

 

2)     La centralisation de la coercition

Avant les centres décisionnels étaient multiples et non unifiés, un individu pouvait appartenir à plusieurs centres de décision [seigneuries…]

 

— Quand le Roi commence à s’imposer, la force politique se centralise et s’unifie ; un centre décisionnel légitime qui impose ses décisions au territoire est définit.

 

3)     L’institutionnalisation de la puissance publique

Dans les premières monarchies, le pouvoir politique est une prérogative personnelle du Roi, il n’y a pas de nette distinction entre patrimoine du gouvernant et patrimoine de l’Etat

Ainsi à la mort des rois francs, le royaume était divisé entre les fils comme un héritage.

L’institutionnalisation va se manifester avec la séparation entre la personne du gouvernant et la puissance publique ; cette distinction va apparaître pendant la période médiévale avec d’un côté le Roi et de l’autre la couronne. « Le Roi est mort, vive le Roi »

–Depuis cette distinction on a une continuité de l’Etat.

 

—  Cette institutionnalisation s’exerce à un deuxième niveau : le développement des règles juridiques qui forment l’Etat de droit ; la définition de règles précises pour le gouvernant et les gouvernés. Max Weber qualifie cela de pouvoir légal rationnel.

 

  1. b)    Etudes sociologiques du processus d’étatisation en occident

 

1)     Les sociologues classiques (Marx, Weber, Durkheim)

— Ils s’intéressent aux similitudes entre les pays européens, chacun d’eux propose une explication

 

Karl Marx (1818-1883)

— L’Etat moderne est un instrument au service des intérêts de la bourgeoisie, sa genèse historique est liée à l’apparition de la bourgeoisie

— Pour lui le pouvoir politique est le pouvoir organisé d’une classe pour oppresser une autre classe ; l’Etat est le comité qui gère les affaires communes de la bourgeoisie.

— Il considérait que l’état était une superstructure [incluant l’idéologie, la philosophie et les principes qui fondent l’organisation] qui était déterminée par l’infrastructure [rapport économiques entre classes concurrentes]

— Les classes sociales apparaissent à la société avec l’industrialisation : les bourgeois sont propriétaires des moyens de productions, ils construisent l’Etat et le mettent à leur service.

— En tant que sociologue il observe les différentes trajectoires que peut prendre l’Etat occidental, il insiste sur le rôle des luttes des rois pour s’imposer.

Dans son pays, la Prusse, il remarque que sa thèse n’est pas confirmée car l’Etat ne semble pas être au service de la bourgeoisie ; il est autonome avec sa bureaucratie, on peut considérer que c’est le premier Etat providence qui gère la société.

Marx, qui est militant mais également sociologue, va développer une sociologie de la bureaucratie : le fonctionnement de l’Etat est caractérisé par une bureaucratie qui le structure et qui tient les citoyens à l’écart ; l’Etat est éloigné de la société et fonctionne en autonomie par rapport à elle.

 

Emile Durkheim (1858 – 1917)

Il a une vision plus positive de l’Etat ; il établit une relation entre l’apparition de l’Etat et la complexification de la société.

En se développant, la société devient de plus en plus complexe car le travail et les rôles sociaux se divisent et se diversifient

L’Etat est un organe nécessaire pour garder une cohérence entre ses éléments et pour établir de la solidarité en prenant en charge l’éducation, en gérant les services communs de la société

—  La société a besoin de l’Etat pour rester unie.

Mais pour Durkheim, l’Etat est le groupe social du fonctionnaire chargé de représenter l’autorité de la société politique et de satisfaire les besoins fondamentaux de la société ; il va prendre en charge de plus en plus de choses

C’est le moment où l’Etat providence prend forme.

 

Max Weber (1864 – 1920)

Pour lui l’Etat moderne se définit comme un ordre, une forme de domination légitime. La naissance de l’Etat moderne en Europe vient d’un processus qui a conduit d’une domination traditionnelle à une situation de domination légale rationnelle.

Il met en avant deux caractéristiques de l’Etat moderne :

— L’Etat moderne se caractérise par l’exercice de la domination légale, l’imposition d’un droit abstrait et décidé selon des principes généraux déterminés [proche de l’Etat de droit] ; le pouvoir politique s’appuie sur le droit

—  La bureaucratisation : dans une situation de domination légale il y’a une organisation bureaucratique. Il s’agit d’une approche évolutionniste car il souligne que l’Etat occidental évolue vers plus de bureaucratisation, le développement de l’Etat moderne est basé sur des règles précises

 

Ce phénomène d’imposition de l’Etat occidental passe par l’appropriation par les bureaucrates du pouvoir au détriment des hommes politiques [le pouvoir politique joue un rôle de moins en moins important]

 

Ils se rejoignent sur trois éléments :

–       L’Etat est un fait majeur de transformation dans les pays occidentaux

–       L’Etat est le produit d’un processus de différenciation des fonctions politiques et administratives

–       L’Etat se bureaucratise et occupe une place de plus en plus importante dans la régularisation de la société et il s’isole de la société civile.

 

2)     L’actuelle sociologie historique

Son but est de montrer les différences de processus entre états occidentaux.

Les sociologues ont confirmé les analyses de la sociologie classique

Question : pourquoi l’Etat devient une organisation politique aussi différente de toutes les autres ?

— Il y’a la question des rivalités guerrières entre seigneurs, comment après l’effondrement de l’Empire carolingien le pouvoir se centralise entre vainqueurs ; des oligopoles de pouvoir deviennent des monopoles unifiés au nom d’un roi.

Les prélèvements fiscaux sont à l’origine d’une 1ère administration (le besoin d’une armée pour garantir la paix entraîne un besoin d’argent)

— D’autres insistent sur des éléments qui font paraître l’isolation du pouvoir politique par rapport au gouvernés ; il y’a éloignement par rapport à la société ; donc l’administration se renforce pour répondre au besoin de lien entre pouvoir politique et société

— Distinction entre pouvoir politique et religieux : l’église proclame l’autonomie du spirituel par rapport au temporel. L’Etat laïcisé se développe indépendamment de l’organisation ecclésiastique.    

 

Section 2 – Le développement de l’Etat Providence (XIXe et XXe siècle)

L’Etat providence est la forme la plus récente de l’Etat occidental ; il commence vers la fin du XIXe

L’Etat providence donne une place importante aux fonctionnaires, à l’administration publique et aux technocrates.

Définition : L’Etat providence est un Etat qui oriente et contrôle l’activité économique et sociale pour des interventions diverses en vue de garantir la prospérité et le progrès social.

Formes d’intervention :

— La nationalisation d’entreprises

— L’adoption de réglementations sociales

— Les subventions publiques

L’Etat providence consiste en une intervention réelle et symbolique de l’Etat qui vise — assurer le développement économique et la protection sociale.

— Etat interventionniste [en opposition à l’Etat gendarme]

 

  1. a)    analyse des facteurs de croissance de l’Etat

 

1)     Le passage d’Etat gendarme à Etat providence

L’Etat gendarme répond à une conception traditionnelle de l’Etat dont le rôle principal est le maintien de l’ordre.

Rôle qu’il exerce à travers : la police, la justice, les camps militaires

6 ministères constituent l’administration du roi :

— Le ministère de la justice

— Le ministère de la marine

— Le ministère de la guerre [protège le territoire]

— Le ministère des contributions [finances]

— Le ministère des affaires étrangères [diplomatie]

— Ministère de l’intérieur [s’occupe de tout le reste]

L’Etat providence et L’Etat gendarme sont des idéaux types

Au XVIIe siècle s’organisent des services aux pauvres

En Grande Bretagne apparaissent les lois des pauvres (1601)

Prémisses de l’Etat providence.

Création durant le XVIIIe siècle de la police des grains [chargée du stockage et du transport de grain]

Le passage d’Etat gendarme à Etat providence est également dû à un changement de mentalité

Plusieurs facteurs :

— Fin XVIIIe les guerres sont moins fréquentes, le maintien de l’ordre est plus facile et la principale justification de l’imposition ne fonctionne plus.

— Le citoyen commence à demander des services spécifiques à l’Etat.

— Une nouvelle catégorie de penseurs et d’intellectuels émergent ; ils voient l’Etat comme un agent actif qui doit promouvoir le progrès

— L’Etat a de plus en plus de compétences, son budget augmente ainsi que le nombre de fonctionnaires

— Utilisation de la statistique : utilisée au départ pour connaître les finances de l’Etat, elle sert également à donner aux dirigeants une idée de la santé du pays. La perception de la statistique change ;  on cherche à connaître ma santé de la société, une approche plus humaniste qui vise à aider les populations en difficulté ; la présence au sein de l’Etat d’un corps d’experts, le corps de médecins hygiénistes n’est pas étrangère à cette évolution.

Fin XVIIIe, la conception de l’Etat change ; Pierre Rosanvallon qualifie l’Etat d’institution du social ; l’Etat commence à se soucier de l’unité de la nation et de l’égalité des citoyens. Or à l’époque il n’y a pas d’administration unifiée, et il existait un système de droit de péage sur  le territoire.

Une politique de réorganisation administrative se met en place, les corporations sont abolies [afin que l’individu en difficulté se tourne vers l’Etat]

Les politiques d’éducation sont développées, l’Etat intervient directement au sein du social]

Il n’y a pas de date précise quant au début de l’Etat providence ; certains proposent la fin du XIXe siècle ; les spécialistes allemands parlent de l’époque bismarckienne (vers 1890)

La naissance de l’Etat providence se situerait en 1897 [loi sur les accidents du travail

A la fin du XIXe de nombreux travaux législatifs visent à reconnaître des droits sociaux.

L’Etat providence a  connu un essor considérable après la seconde guerre mondiale ; il y’a une généralisation de l’intervention de l’Etat

— Cela est dû en partie à la reconstruction ; 50% du PIB est prélevé pour la reconstruction en Europe ; plus de fonctionnaires sont recrutés ; des nationalisations massives ont lieu et l’Etat devient le plus grand employeur de France

— La planification fait son apparition [1947] L’Etat programme l’évolution économique du pays.

 

2)     facteurs généraux de croissance de l’Etat providence

Il s’agit donc d’un phénomène long et complexe.

Les facteurs de développement de l’Etat providence sont culturels et idéologiques.

— Facteurs économiques : Pendant des périodes de calme ; les dépenses publiques augmentent [les citoyens acceptent plus facilement des hausses d’impôts] ; à la fin de ces périodes, des pratiques nouvelles font que les dépenses ne baissent plus.

— Facteurs sociaux et politiques : apparition du suffrage universel, rôle de plus en plus important des syndicats, rôle des administrations publiques. A travers ces systèmes d’élection les élus ont des comptes à rendre aux électeurs, ils doivent satisfaire certaines promesses. Les syndicats réclament en permanence l’amélioration des conditions de vies des travailleurs. La bureaucratie à également joué un rôle : les administrations défendent leur budget et poussent vers plus d’administration. En matière d’idéologie il faut souligner le rôle important des théories keynésiennes.

 

  1. b)    La spécialisation de l’appareil administratif

Les ministères se diversifient, ils sont de plus en plus nombreux et spécialisés.

Ainsi en 1881 apparaît le ministère de l’agriculture

En 1879 le ministère des postes et télégraphes

En 1906 le ministère du travail

En 1920 le ministère de l’hygiène, de l’assistance, de la prévoyance sociale.

Le même phénomène se produit en Europe.

De nos jours, cette spécialisation est encore en cours.

  • IVe République à Il existait 15 à 20 ministères [+ le même nombre de secrétariats d’Etat]
  • Ve République à 14 à 26 ministères [+ le même nombre de secrétariats d’Etat]
  • Le maximum a été de 49 ministères et secrétariats d’Etat.

La spécialisation est courante car souvent réussie, alors que le regroupement est bien souvent un échec.

Ainsi le seul regroupement réussi et celui du ministère des armées

A l’intérieur même des structures, on a à faire à une diversification des structures.

 

  1. c)    L’Etat providence en crise ?

Il y’a une approche économique et une approche sociologique.

 

1)     L’approche économique

La crise de l’Etat providence serait essentiellement liée à la stagnation des recettes de l’Etat et donc à la crise économique.

Les autres facteurs mis en avant sont le vieillissement de la population et l’augmentation des dépenses de santé.

La crise économique aurait rompu la compatibilité qui existait entre développement économique et progrès social. [Cette compatibilité s’expliquait par le fait qu’en période de croissance, l’Etat était riche, il pouvait donc développer de nouveaux secteurs [l’environnement par exemple]

Mais en période de crise, l’Etat a du mal à assumer ses fonctions.

Et une fois la compatibilité rompue, la crise est plus profonde.

 

2)     L’approche sociologique

Trois facteurs selon Rosanvallon :

— Mise en cause des finalités poursuivies traditionnellement par cette forme d’Etat.

— Apparition des limites dans la capacité de l’Etat à produire de la solidarité.

— Mise en cause du modèle théorique sur lequel repose le développement de l’Etat providence. (Keynésianisme)

 

— La mise en cause des finalités

L’intervention vise à libérer les citoyens du besoin et du risque ; pour protéger la société l’Etat développe une politique redistributive, des mécanismes permettant de « prendre aux riches et donner aux pauvres » ; l’Etat limite donc les inégalités sociales avec la redistribution.

La société ne croit plus à l’avenir et à la capacité de l’Etat à s’améliorer ; la crise économique se double d’une crise de confiance en l’Etat.

La société devient de plus en plus conservatrice envers ses acquis sociaux ; il n’y a plus de grands projets étatiques.

L’individualisme augmente et la finalité de l’égalité n’est plus une valeur recherchée dans la société.

Les citoyens demandent un Etat protecteur contre l’insécurité sociale et économique.

Autre raison, le mécanisme de redistribution et d’assistance ne constitue plus une demande sociale ; la société ne demande pas que le système de redistribution perdure.

 

L’intervention de l’Etat à moins de légitimité.

— L’Etat est dans un phénomène d’inertie ; il continue à garantir un rôle alors qu’il n’y a pas de demande pour ce rôle.

La finalité de l’égalité ne constitue plus une valeur à cause de la fragmentation caractéristique des sociétés actuelles.

L’Etat ne peut plus trouver de compromis avec l’individualisation et il ne peut pas trouver un compromis pour chacun.

Il a de plus en plus recours à des pratiques de négociations corporatistes qui ne sont que des arrangements partiels, l’Etat est donc incapable de gérer la société dans sa globalité.

 

— Epuisement du modèle Keynésien.

Il a fortement contribué au développement de l’Etat providence durant le XXe siècle. La théorie Keynésienne prônait un Etat socialement actif.

Rosanvallon montre que le modèle Keynésien est devenu caduc, l’économie et le social sont devenus contradictoires.

La crise tend à produire du libéralisme avec des politiques de déréglementation et de privatisations.

On parle d’un tournant néo libéral en Europe.

 

Quelle solution à la crise ?

Il pense qu’il y’a un mode intermédiaire, le modèle post-social-démocrate à il s’agit d’une nouvelle forme d’Etat Providence moins rigide et plus sociétale.

L’évolution récente et l’avènement de la crise peuvent être divisés en 4 phases :

— Années 50 – 60 : 30 glorieuses, Etat providence de plus en plus présent et écrasant, la société est de plus en plus dépendante.

— Années 70 : la crise apparaît avec les révoltes de 68 et l’apparition des nouveaux mouvements sociaux, la société se sent étouffée par l’Etat

— Crise économique des années 80 : libéralisation et individualisation de la société, la crise devient plus profonde.

 

Modèle post-social-démocrate à donner à la société l’envie de se prendre en charge, mais dynamiser la société est difficile.

  

Section 3 – Le renforcement du pouvoir exécutif

Dans les pays Européens, l’exécutif tend à se renforcer alors que le législatif décline.

Pourquoi est-ce lié au développement de l’Etat providence ?

Car il a accru la machine administrative qui a pris  en charge de plus en plus de problèmes sociaux.

Le parlement ne peut plus jouer son rôle de contrôle car l’exécutif peut prendre des décisions de manière autonome.

Rationalisation du parlementarisme, une des raisons du déclin.

 

  1. a)    Le déclin du parlement

Causes : Emergence et développement de la technocratie, liée au développement de l’Etat providence.

La création de structures de plus en plus spécialisées regroupées autour d’un pôle relativise le pouvoir du parlement (il n’a pas les moyens administratifs et les moyens d’expertise)

Alors que le gouvernement a de plus en plus d’experts.

Les parlementaires n’ont que des connaissances très vagues, ils ne peuvent pas suivre tout ce que propose le gouvernement dans des domaines techniques.

Les parlementaires doivent donc confirmer les propositions des institutions gouvernementales.

 

Développement des mass media à en défaveur du parlement.

En effet, la médiatisation de la vie politique telle quelle est actuellement favorise l’exécutif avec la personnalisation du pouvoir : on parle du président, des ministres, mais pas des parlementaires ; ceux-ci sont fondus dans un organe politique et n’intéressent pas les mass media.

 

Rationalisation du parlementarisme

Recherche d’une majorité stable qui fait qu’on assure des règles en faveur du gouvernement pour lui assurer une certaine pérennité ; fondée sur l’idée de parti politique rigide ; les parlementaires votent selon les lignes du parti

— majorité au service de l’exécutif.

— ses fonctions d’investiture et de désaveu du gouvernement ne sont pas exercée, il y’a peu de risques de voir une motion de censure adoptée.

Fonction d’orientation de la politique nationale : le parlement est le représentant du peuple, il doit donc décider de l’orientation de la politique nationale.

Concrètement, le parlement a perdu cette compétence ; en France, le gouvernement détermine et conduit la politique.

Le centre décisionnel de l’Etat est l’exécutif.

Depuis la Ve République, 70-80% des textes de lois viennent de l’exécutif ; beaucoup du reste des textes est aussi de l’initiative de l’exécutif en passant par des parlementaires afin de masquer cette provenance gouvernementale.

Les projets de lois sont élaborés le plus souvent sans que les parlementaires soient impliqués avant la discussion à l’assemblée.

Le parlement devient une chambre d’enregistrement des textes.

 

Fonction de représentation politique du peuple, cette représentation politique n’est pas le monopole du parlement.

— Ce sont plus les présidents et le 1er ministre qui représente les citoyens que le parlement, ce sont eux que les médias mettent en avant.

Par exemple, au court de la crise du CPE (sous le gouvernement DE VILLEPIN), on a demandé la démission du gouvernement et non des parlementaires, alors qu’ils avaient voté la loi. On attribue donc la responsabilité de ce qui est fait au gouvernement.

De plus les parlementaires sont concurrencés par les sondages d’opinion ; en effet, ils présentent ou disent présenter la volonté du peuple.

 

Autre fonction : la fonction de contrôle, la plus présente pour le moment.

Il y’a trois types de contrôles parlementaires :

— Celui de l’opposition par le biais de critiques ou de questions/réponses

— Le contrôle exercé par la majorité quant à la censure du gouvernement (rare)

— le plus efficace : le contrôle exercé par certains parlementaires quand ils font des investigations précises sur certaines décisions au parlement [commissions et rapports parlementaires]

Il s’agit du plus efficace mais il est beaucoup mieux utilisé aux USA où les parlementaires sont moins liés au gouvernement par leurs partis.

 

  1. b)    Renforcement de l’exécutif

La constitution en parlant du gouvernement se réfère au président, au premier ministre ainsi qu’aux ministres ;

Mais dans une approche moins juridique et plus sociologique, le gouvernement renvoie à l’exécutif, sens plus large incluant les cabinets ministériels, les hauts fonctionnaires…

Ils jouent tous un rôle dans la définition des politiques publiques.

 

Observations :

— Le gouvernement et son appareil administratif ont connu une croissance depuis plus d’un siècle [+ de fonctionnaires, plus des responsables gouvernementaux, croissance des taches] : l’exécutif dispose de moyen sans équivalent. 1880 : 5 postes de fonctionnaires pour 1000 habitants ; en 1970 : 25 pour 1000 ; leur effectif au sein des ministères à fortement augmenté.

— La répartition des pouvoir n’existe plus ; avec l’évolution qu’on a connu des moyens d’action du législatif, le pouvoir politique se concentre autour de l’exécutif.

— Les gouvernants non élus (conseillers, experts, hauts fonctionnaires) sont de plus en plus autonomes et indépendants. Sondages commandés : la façon de poser la question oriente fortement la réponse à permet de légitimer les actions du gouvernement. Autre moyen : le développement des procédures participatives [institutionnalisation des processus de négociation ouvert à différents partenaires ; aujourd’hui institutionnalisés à ex : discussion avec les syndicats… ou encore conférence de citoyens à forme de concertation avec la société civile.

— Les politiques publiques sont déterminée et conduites par un certains nombre d’acteur [nombreux, divers et interdépendants] réunis autour du pouvoir exécutif ; conseillers des ministres, ministres, experts, comités des « sages », groupes de pression, journalistes, mouvements sociaux…     Ce sont tous des acteurs qui prennent au final les décisions et élaborent les politiques publiques.   On parle du « milieu décisionnel central » il s’agit de la réalité des structures effectives du gouvernement, le pouvoir de gouverner n’appartient pas qu’aux dirigeant officiels ; 3 catégories d’acteurs : 1-la sphère politique stricto sensu    2-la sphère de l’administration publique    3-la sphère des partenaires extérieurs   ; il y’a de nombreuses relations et interaction entre eux.

Il est à noter que les parlementaires ne font partie d’aucune de ces sphères.

 

1 – la sphère politique stricto sensu est constituée du président, des ministres, des secrétaires d’Etat, du conseil constitutionnel, du secrétaire général de la présidence… il s’agit du sommet de l’exécutif.

2 – La sphère administrative [officiellement un organe d’exécution] ; en pratique l’administration participe non seulement à l’exécution mais aussi à la conception et l’élaboration du travail politique [il faut distinguer les sommets et la base de l’administration, ce sont les hauts fonctionnaires qui font partie du centre décisionnel, ils occupent différentes fonctions au sommet de chaque direction administrative] Pantouflage à Les hauts fonctionnaires en fin de carrière utilisent leur carnet d’adresse pour avoir un emploi dans le privé.

3 – Partenaires externes : ils participent aux décisions par concertation. Il s’agit de représentants des métiers, des entreprises, des syndicats, des consommateurs, groupes de pression.

On peut y ajouter le monde du journalisme.

 

Chapitre II – La pluralité des acteurs politiques

Acteurs politiques au sens larges : tout acteur qui, d’une manière ou d’une autre participer au gouvernement de la société.

Trois catégories :

— partis politiques

— administration publique

–groupes de pression

 

Section 1 – Les partis politiques

  1. a)    Définition des partis politiques (La Palombara/Wiener, Weber)

Définition : 2 difficultés :

— pas de frontière étanche entre partis politiques et autres types d’organisation politique [club de réflexion…]

 Le terme lui-même change dans le temps.

 

  1. Définition

Un parti politique est une organisation qui participe directement à la compétition pour les postes et les positions de pouvoir politique. Les spécialistes reprennent cette définition.

Dans les systèmes démocratiques, les partis politiques sont avant tout des entreprises de conquête des suffrages. Les partis produisent des biens politiques (exemple : programme électoral, promesse, symbole, aide publique, sigle partisan…) en échange de soutien (c’est-à-dire de vote).

— Références historiques :

— Au moyen-âge ; le terme parti a une connotation militaire [détachement d’homme armés]

— Au XVIe siècle cela correspond à un clan, un groupe de personnes par opposition à un autre groupe.

— Au XVIIe siècle il s’agit d’un courant de pensé ayant une idéologie propre [parti monarchiste, républicain…]

— A la fin du XIXe début du XXe il prend son sens actuel à une organisation politique…

Il y a un lien entre la généralisation du suffrage universel et le développement des partis politiques.

Avec le suffrage universel et les ressources, les méthodes des notables (on élisait sur la capacité à avoir des légions d’honneurs, des relations sociales, des richesses…) ne sont plus suffisantes pour s’imposer dans la compétition électorale. Il faut utiliser de nouvelles techniques de conquêtes des suffrages, il faut inventer des biens proprement politique, il faut dépenser toujours plus d’argent pour se faire connaître et élire

Si bien que ce sont de grandes entreprises collectives vont s’imposer progressivement au détriment des notables. Il n’est pas indifférent que les 1er partis à avoir fait leur apparitions dans l’espace public sont des partis ouvriers (fin du XIXe siècle) qui prétendent représenter les ouvriers et qui se sont dotés d’appareils très structurés destinés à mobiliser les électeurs. Dans ce cadre-là, l’organisation collective permettait de compenser l’absence de ressources personnelles des candidats qui dirigeaient ces organisations. L’organisation collective par rapport à l’isolement permet de toucher un nombre de personnes plus grand, les candidats peuvent venir puiser dans les ressources collectives (période d’invention de la politique moderne).

Dans ce cas, le capital collectif du groupe permet de compenser l’absence de capitaux individuels des leaders dans la compétition avec les notables. Les notables finiront eux aussi par qu’organiser (cela prendra du temps).

— Définition restrictive [La Palambara] : un parti politique est une organisation bien établie et apparemment durable qui entretient des rapports réguliers a l’échelon national ; se caractérise par la volonté délibérée de ses dirigeant nationaux et locaux de prendre et d’exercer le pouvoir seul ou avec d’autres et non pas seulement de l’influencer. Il se caractérise enfin par le souci de recherche d’un soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière.

— Dans cette définition, il y’a 4 critères qui permettent de préciser et différencier un parti politique :

— Organisation durable à espérance de vie supérieure à celle de ses dirigeants

— Une organisation ramifiée : elle s’étend sur le territoire avec une organisation complète [du centre à la périphérie] ; il faut différencier les partis politiques des groupes parlementaires, mais certains groupes parlementaires sont devenus des partis.

— Une organisation qui cherche à exercer le pouvoir, pas seulement à l’influencer à vocation à conquérir le pouvoir, contrairement aux groupes de pression par exemple.

— Une organisation qui vise à obtenir le soutien populaire à travers les élections ou de toute autre manière à distingue les partis des clubs de réflexion [ex : club pour soutenir Giscard, « perspectives et réalité » ; Rocard, « Forum »] Le club est au sein des partis mais n’en est pas un.

— Limites de cette définition :

— Elle laisse certains cas dans l’ombre, tous les partis ont pour but de prendre le pouvoir ? Certains petits partis savent qu’ils ne prendront pas le pouvoir mais s’organise comme des partis politiques ; cas des partis locaux, le parti national corse par exemple n’agit qu’au niveau local et n’a pas de ramifications.

— Partis présentés sous l’unique angle de la machine électorale alors qu’ils peuvent avoir d’autres usages.

— Définition de Weber : Un parti est une association reposant sur un engagement formellement libre ayant pour but de procurer à son chef le pouvoir et à ses militants actifs des chances de poursuivre certains objectifs, d’obtenir des avantages personnels, ou de réaliser les deux ensemble

— Inconvénient : il donne une définition large des partis qui rend difficile sa distinction d’autres types de mouvement.

— avantages :

— Weber nous dit qu’un parti est un groupement de personnes ; il insiste sur le fait qu’ils forment une structure particulière de relations sociales ; ils ne sont la propriété de personne, ils ne représentent pas une position bien unifiée, il y’a des positions différentes au sein d’un parti.

— Fonctionne d’abord au profit de ses dirigeants : rompt avec une vision un peu naïve selon laquelle il ne s’agirait que de l’intérêt général, des idées et non d’ambition personnelle. Or c’est avant tout une lutte pour la conquête de postes.

— Weber permet de voir que la crise du parti moderne est liée à la volonté des responsables du parti d’accéder à des postes importants.

— Le parti a aussi pour but de donner aux militants des chances de poursuivre des objectifs à certains cherchent le prestige ; le sentiment d’appartenance à un groupe ; obtenir un bon poste politique.

 

  1. Les critères d’identification des partis

Deux politistes américains ont élaboré 4 critères permettant d’identifier les partis politiques et de les distinguer des autres types d’organisation intervenant dans le champ politique : Joseph La Balombara et Myron Weiner.

Ces quatre critères sont les suivants :

– Les partis politiques sont dotés d’une organisation durable, une organisation dont l’espérance de vie est supérieure à celle de ses dirigeants.

Ex: le parti gaulliste a largement survécu au général de Gaulle (sous des sigles différents).

– Repose sur une organisation bien implantée localement et dont les échelons locaux entretiennent des rapports réguliers avec les échelons nationaux. Cette idée de nationalisation du parti implique la constitution d’unités de base (fédération, section…) sur le territoire. Cela distingue les partis des deux principales formes d’organisation politique du XIXe siècle :

            – les simples groupes sans ramification territoriale

– les comités de notable autour desquels s’organisent la vie politique mais qui n’avaient eux qu’une existence locale.

– La volonté explicite de prendre et exercer le pouvoir (se traduit en démocratie par la présentation de candidats aux élections)

Ceci distingue le parti politique du lobby qui  intervient dans le champ politique mais avec juste la volonté d’entrer en contact avec des élus pour satisfaire des intérêts, influencer les dirigeants politiques mais qui ne se présentent pas aux élections.

Bémol : dans l’histoire parfois, des groupes d’intérêts se sont transformés en partis politiques.

Ex : l’union de défense des commerçants et artisans (constituée par P. Poujade, c’est le mouvement poujadiste en 1956). Cette union s’est rapidement transformée en parti politique et a présenté des candidats aux différentes élections. C’est dans ce cadre que Jean-Marie Le Pen a été pour la première fois candidat à la députation.

De la même façon, on peut considérer que les verts (en Allemagne ou en France) avant de se constituer en parti politique étaient autre chose.

– La volonté délibérée de rechercher un soutien populaire. Les partis sont des entreprises qui cherchent à susciter des adhésions que ce soit sous la forme de l’engagement militant ou du soutien électoral. Cela les distingue des clubs de pensée qui ne recherchent pas la légitimité électorale (ex : la fondation Copernic, C6R…)

Comme dans le cas précédent, on a vu des clubs de pensée se transformer en parti politique (ce fut le cas sous la IVe république avec la « Convention des institutions républicaines » avec Mitterrand. Ceci a servi de base au renouvellement des partis politiques).

 

On reconnaît un parti politique au fait que c’est une organisation durable implantée sur tout le territoire dans le but d’accéder au pouvoir politique grâce à un soutien populaire.

 

  1. b)    Genèse et types des partis politiques

Ils sont le résultat de processus historiques

1 – Les partis distingués selon leurs origines et leur personnel [Duverger]

Il se distingue les partis de deux façons :

— Selon leur origine [électorale ou parlementaire, extra parlementaire…]

— Selon leurs membres : partis de cadre, partis de masse

 

Selon leur origine [électorale ou parlementaire, extra parlementaire…]

— Partis d’origine électorale et parlementaire.

Correspond aux partis qu’on rencontre le plus souvent. Ils apparaissent en liaison avec le développement des institutions et l’élargissement progressif du suffrage universel ; plus le parlement s’affirme, plus leurs membres cherchent à se regrouper par affinités pour agir de manière concertée. Plus le droit de vote s’étend, plus il devient nécessaire aux candidats de disposer d’un réseau national pour se faire connaître et attirer les électeurs. Cela a permis la constitution de groupes parlementaires, puis de comités locaux pour donner enfin naissance au parti politique.

Ex : partis conservateur et libéral britannique : issus de deux groupes parlementaires qui ont évolué.

 

— Parti d’origine extra  parlementaire ; organisations pré existantes qui n’ont pas initialement une activité politique électorale mais qui évoluent vers des partis politiques. Ex : syndicats

 

2e distinction : sur la base des membres et des militants d’un parti

  1. partis de cadre: les plus anciens, rassemblent des notables disposant de ressources financières, symboliques et relationnelles. Pour attirer l’appui des électeurs, des partis se constituent autour des notables.

Caractéristiques : à faible idéologie

— très décentralisés

— Faible discipline de vote car il n’y a pas d’idéologie forte.

— Ils s’appuient essentiellement sur les finances des dirigeants

Ex : parti radical au début du XXe ; crée à partir de comités locaux de notables.

  1. Partis de masse :apparaissent avec le suffrage universel et l’élargissement de la base électorale ; les premiers partis de masse sont issus du mouvement ouvrier.

Caractéristiques :

— Les militants assurent le financement du parti

— parti hiérarchisé et structuré

Ex : parti travailliste britannique ; parti social démocrate allemand.

 

2 – Une typologie historique des partis politiques [Sartori]

Autre typologie plus connotée historiquement : Confirme les analyses de Duverger et les affine

— Partis d’opinion et de clientèle ; constituent une forme primitive des partis ; réseau de relation autour de quelques notables.

Evoluent durant le XIXe siècle vers des partis parlementaires qui sont proches des partis d’opinion ; ils s’organisent essentiellement autour du jeu parlementaire et commence à construire des stratégies, établir des programmes, former des majorités. Ex : partis italiens d’avant la première guerre mondiale.

— Partis parlementaires électoralistes

Structuration plus importante ; suffrages plus importants, besoin d’une organisation pour obtenir des voix

— partis organisateurs de masses : Origine extérieure ; ex : SFIO

 

3 – Une évolution récente, les partis « attrape-tout »

Ils sont liés aux évolutions sociales, économiques et culturelles des sociétés d’aujourd’hui.

On remarque une double évolution 

— les partis des cadres ont tendance à se structurer de plus en plus, ils s’ouvrent vers un public plus large

— Les partis de masse s’adaptent aussi et deviennent plus pragmatique en limitant leur coloration idéologique.

Convergence qui conduit aux partis attrape tout [catch all] ; ils sont peu exclusifs, ils cherchent une grande variété de groupes sociaux, ils ont un discours souple et adaptable.

Le rôle des adhérents est de plus en plus marginal, ils recrutent leurs élites à l’extérieur du parti.

Les programmes sont plus centristes.

Impact de cette évolution : le jeu politique est moins coloré politiquement ; peu d’accent mis sur des doctrines ou des programmes.

2e effet à alternance politique qui change peu la politique

L’évolution semble concerner tous les partis, mais certains pays sont moins marqués par cette évolution. En France, la présence des extrêmes a pour effet de « tirer » vers des positions de gauche et de droite

Evolution surtout marquée dans les pays les plus bipartites.

 

Il s’agit de la typologie de Maurice Duverger. Pour se repérer dans la diversité des partis politiques, Duverger a fondé une typologie devenue célèbre dans le cadre d’un livre Les partis politiques (1951) et qui reste tout de même une référence incontournable dans la discipline de la science politique.

Duverger distingue 2 types de partis : les partis de cadre et les partis de masse.

 

– Les partis de cadre sont des organisations composées essentiellement de notables que le passage du suffrage restreint au suffrage universel a contraint de se réunir.

Ces partis ont une activité essentiellement tournée vers l’élection. Ils attirent des membres des élites sociales dont la fortune ou la notoriété constitue d’importantes ressources électorales. Ces partis de cadre ont peu développé et peu structuré leur appareil, leur organisation. Ils sont en général faiblement centralisés et s’articulent sur des réseaux nobiliaires implantés localement et relativement indépendants les uns des autres.

Ex d’un parti de cadre : le PRG (parti radical de gauche) : pendant le référendum sur le statut de la Corse 2 leaders du PRG soutenaient des opinions différentes. Ceci est la preuve d’un parti peu discipliné, où les membres doivent beaucoup plus à leurs ressources propres qu’à celles du parti.

Le parti de cadre est un parti peu discipliné et peu hiérarchisé qui compte très peu de militants.

Ex : UDF ?

 

– Les partis de cadre s’opposent aux partis de masse qui se caractérisent par la recherche du plus grand nombre d’adhérent. Ce type de parti n’existe plus aujourd’hui.

Les adhérents sont l’une des principales ressources de l’organisation. Ce sont d’ailleurs leurs cotisations qui permettent pour une large part de financer les activités du parti et notamment une partie des campagnes électorales. Ils fournissent de la ressource humaine : militants et permanents font vivre et fonctionner l’appareil partisan et accomplissent des tâches prosélytes (vente de journaux, collage d’affiche, distribution de tracts, organisation des meetings…) Tout repose sur la bonne volonté des militants.

Ces partis de masse naissent avec la génération du suffrage universel (avec les candidats qui n’avaient pas de ressources personnelles suffisantes pour se présenter. Avec le label partisan, c’est désormais possible).

Les partis ouvriers sont le meilleur exemple de parti de masse. Les partis ouvriers naissent à la fin du IXe siècle en Europe.

Ex : SPD en Allemagne (Parti Social Démocrate), les partis communistes au XXe (PCI en Italie avec 3 millions d’adhérents).

 

Par le biais de cette typologie, Duverger cherchait à rendre compte de la situation politique telle qu’elle paraissait se dessiner dans les années 1950.

A cette époque on pouvait croire que les partis de masse représentaient l’avenir. Cette idée était dominante à gauche dans les grandes démocraties européennes (ex : parti travailliste en Angleterre, le PCI, SPD, le parti communiste français avec dans les années 1950 1 million d’adhérents) mais également à droite. D’où l’idée d’avenir politique.

Ex : CDU en Allemagne, le parti démocrate chrétien italien, les partis conservateurs britanniques (avec 3 millions d’adhérents à un moment donné).

Tout cela conduit Duverger à prophétiser la disparition progressive des partis de cadre au bénéfice des partis de masse dont l’avenir paraissait radieux. Cette prophétie s’est avérée erronée. Si on a bien assisté à la disparition progressive des partis de notables, on a en revanche assisté également au déclin des grands partis de masse. Déclin particulièrement percevable dans la chute contemporaine des effectifs militants. Cela se traduit pas le déclin du parti communiste français, la disparition du parti communiste italien…

 

  1. c)    Fonction des partis politiques

Deux auteurs : Merton et Lavau

Ils mettent l’accent sur des fonctions différentes mais complémentaires.

 

1 – Merton

Merton : distinction entre fonctions manifestes et latentes à concourent à la stabilité du système politique

Manifeste : à celles qui sont comprises et consciemment assumées par les partis :

— Programmatique à définition de positions politiques, formation de l’opinion

— Fonction de sélection ; le parti assure le recrutement du personnel politique ou d’une partie

— Fonction d’encadrement : le parti coordonne et contrôle l’action des élus notamment pour les partis ayant une discipline de vote.

Latentes à qui restent implicites, pas des finalités volontaires :

— Fonction de socialisation politique, apportent des connaissances sur la vie politique, du débat, l’appartenance, l’action politique

— Dans certains contextes sociaux les partis peuvent exercer une fonction d’intégration sociale d’individu en permettant à différents individus de s’intégrer à un ensemble social particulier.

 

2 – Lavau

Propose une autre analyse. Trois fonctions :

– légitimation –stabilisation

– relais politique

– tribunitienne

— Légitimation stabilisation : ils légitiment et stabilisent le régime politique en place, ce sont surtout les partis majeurs qui exercent cette fonction car ils trouvent plus leur place dans ce système ; les partis périphériques ont une discours beaucoup plus critique du régime et veulent le changer

— Fonction de relais politique ; rend possible les alternances, en exprimant des critiques et proposant des programmes les partis offrent des alternatives

— Fonction tribunitienne ; surtout par les partis minoritaires, extrémistes qui en s’opposant au système agissent. Ils permettent de se faire entendre. Ex : PCF a pris en charge les revendications de certaines catégories en assurant leur représentation. Les exclu ont donc pu s’intégrer au système.

 

3 – Un rôle déclinant ?

Le Rôle des partis politiques est de moins en moins central

Cela est lié à l’affaiblissement du parlement, déclin des partis politiques d’aujourd’hui.

Six éléments :

— Quelle place des partis par rapport à l’organisation de la compétition électorale ?  Rôle reconnu par la constitution ; le nombre important d’abstentionnistes montre que les partis n’arrivent plus à mobiliser.

— Les partis sont censés produire des idées, mais aujourd’hui ils semblent perdre du terrain. Les débats d’idées se font plutôt au sein des clubs de réflexion ou des groupes de pression.

— Rôle des partis dans l’activité des gouvernements : ils sont censés participer à la direction des politiques publiques, mais les dirigeants ne sont plus vraiment du parti ; c’est la technocratie dirigeante qui domine.

— Le parti politique doit permettre de se positionner par rapport à certains enjeux ; socialisation politique. Or le parti est devenu un lien assez marginal pour cette socialisation.

— Fonction tribunicienne : pendant longtemps le privilège des partis de gauche et d’extrême gauche mais maintenant fonction de moins en moins présente à délégitimassions.

 

Section 2 – L’administration publique entre le politique et le social

 

  1. a)    L’administration face au pouvoir politique

Jacques Chevallier à « Science administrative »

L’administration ne devrait pas être considéré comme un acteur politique juridiquement parlant car elle devrait n’avoir qu’un rôle d’exécutant. Elle est censée appliquer les décisions du pouvoir politique de manière neutre vis-à-vis de tous les assujettis, elle ne devrait pas intervenir dans la sphère politique.

Position de l’administration : 2 postulats :

— l’administration est un organe séparé du politique et subordonné à ce dernier.

— Toute intervention des administrés  dans le fonctionnement de l’administration est exclue ; ils doivent s’en remettre à la sagesse de l’administration.

Rapports entre administration et pouvoir politique :

Une conception instrumentale [subordination au pouvoir politique] ; et une conception dynamique [remet en cause la conception instrumentale]

 

1 – La conception instrumentale

Double subordination : juridique et politique

— Subordination juridique :

Découle du principe de l’Etat de droit ; l’administration est soumise à un ensemble de règles qui lui sont supérieures et extérieures ; fondements et limites de l’action de l’administration.

Ces règles sont législatives et constitutionnelles. Elles définissent les objectifs, les compétences et les moyens utilisables de l’administration. L’administration est tenue d’y obéir. Il y’a un contrôle juridictionnel qui contrôle le principe de légalité.

 

Limites de la subordination juridique :

  • Les règles constituent un frein mais aussi un moyen d’action pour l’administration, ces normes supérieures l’habilitent à agir.
  • Interventionnisme étatique a renforcé la position de l’administration ; ainsi l’administration prend en charge des domaines qui échappent aux élus, exemple les lois cadres qui sont des textes assez vagues devant être précisés par l’administration.  Par ailleurs l’exécution du contrôle juridictionnel devient difficile à cause de l’imprécision des lois.
  • Dans la constitution de la Ve République en France, un pouvoir autonome règlementaire est dévolu à l’administration dans certains domaines.

–Subordination politique

Signifie que l’administration est tenue à une stricte obéissance vis-à-vis des élus ; principes démocratiques, administration dépourvue de légitimité.

Cette subordination est double :

– Placée sous l’autorité du pouvoir exécutif [ministre, le ministre détermine le mode de fonctionnement de son administration]

– Contrôle permanent du parlement qui peut exercer un contrôle par le biais des questions au gouvernement.

Qu’en est-il de cette subordination ?

Elle est de plus en plus faible, surtout quand on monte dans la hiérarchie administrative, les ministres et les hauts fonctionnaires agissent ensemble, il y’a des interactions entre monde politique et monde administratif, des relations d’interdépendance ou de partenariat.

 

2 – La conception dynamique

Permet de se rendre compte de l’imbrication entre le politique et l’administratif ; permet de comprendre que l’administration est un acteur situé au centre de l’espace politique et qu’il exerce une partie de l’action politique.

Deux phénomènes montrent ce processus de politisation de l’administration : le développement d’une emprise des fonctionnaires sur le processus politique, et l’investissement progressif du champ politique par les fonctionnaires.

 

— Emprise des fonctionnaires sur le processus politique

Résulte de la détention par l’administration de ressources spécifique qui lui donnent une capacité d’influence [officieuse mais réelle]

Le degré d’influence des fonctionnaires dépend de leur proximité avec l’exécutif ; dotés de ressources politiques importantes.

Double capacité d’influence ; négative ou positive.

— Négative : permet de bloquer l’application de certaines mesures, trier les informations qu’ils donnent aux élus.

— Positive : ils peuvent proposer voire imposer certaines mesures.

La capacité d’influence dépend du contexte politique ; dans d’autres pays, les fonctionnaires ont un pouvoir moins visible.

 

— L’investissement du champ politique par des  fonctionnaires

Contredit Weber qui disait que l’évolution des démocraties modernes séparerait de plus en plus le pouvoir politique et le pouvoir administratif ; alors que cette séparation est de moins en moins présente.

En effet, il y’a souvent reconversion de hauts fonctionnaires en élus du peuple. Cette colonisation du politique par les fonctionnaires entraîne un cumul des fonctions électives et administratives, cette situation modifie fortement les rapports entre administration et politique.

  • Ex : La composition des cabinets ministériels : avant la Ve on y trouvait 50% de fonctionnaires ; après 80%.
  • Ex 2 : Composition de l’exécutif, durant la Ve 4 présidents sur 5 sont hauts fonctionnaires ; 14 1er ministres sur 16 sont hauts fonctionnaires ; ainsi que 50% des ministres.
  • Ex 3 : Assemblée nationale : en 1958, 19% de la fonction publique ; en 81, 50%  [léger recul depuis]
  • Ex 4 : Fonctionnaires très présents dans la plupart des partis [excepté PCF]

Certains auteurs parlent d’un quasi monopole des fonctionnaires dans les affaires publiques ; crainte de la mise en place d’une classe politique homogène ayant la même conception, les même normes et valeurs… ; ce serait une élite fermée d’où le risque d’une coupure avec la société.

Autre critique : l’engagement politique des fonctionnaires diminuerait l’apolitisme qu’est censée avoir l’administration.

 

  1. b)    L’administration et la société civile

Règles différentes de la pratique, l’administration est censée être un organe neutre, la seule communication entre l’administration et la société civile et rigide et unilatérale : l’administration doit envoyer ses instructions à la société.

 

Or il y’a porosité des frontière entre société et administration, liaison entre administration et société ; la règle dit que la logique de fonctionnement de l’administration implique un éloignement des administrés et qu’il faut une mise en amont de l’autorité administrative.

 

1 – La logique bureaucratique des rapports administration-administrés

Processus de mise à distance des administrés : se fait par la mise en place de processus censés rendre l’administration inaccessible aux citoyens :

— opacité de l’administration : l’inaccessibilité de l’administration s’établit d’abord par le mode de contact entre elle et les citoyens ; le citoyen est invité à fournir les éléments permettant de statuer sur son cas ; symbole des guichets, séparation du domaine privé et du domaine public.

— S’établit aussi dans les conditions de la prise de décision ; la logique implique que ce soit un office exclusif des professionnels des affaires publiques

— Références à la règle de droit et à la hiérarchie face aux demandes de l’administré.

— L’opacité : moyen de tenir l’administré à distance

 

Autorité administrative : style de commandement autoritaire avec des références continues à la règle.

Et pouvoir de contrainte : l’administration est assujettie aux règles

C’est la façon dont les choses sont censées se passer mais les rapports entre administration et individus sont différents des rapports entre administration et groupes sociaux.

 

2 – L’ouverture de l’administration

Par exemple avec les syndicats, il y’a ouverture de l’administration et porosité des frontières. Relations bilatérales.

Un système ne peut pas vivre isolé, il a forcément des rapports avec son environnement

Thèse de l’osmose : échanges entre administration et groupes sociaux. L’administration cherche à créer certains circuits de communication qui ont pour fonction de faire remonter les informations. Il y’a des services spécialisés chargés de recueillir et traiter l’information. Cette faille permet un échange plus quotidien qui aboutit à l’osmose.

L’administration cherche également une certaine transparence pour faire comprendre ses politiques. Il s’agit de politiques d’informations en direction du public en vue d’expliquer. Ex campagnes SNCF contre la fraude.

Echanges entre administration et groupes sociaux concernés par son action : des liens se tissent et brisent l’idée d’un rapport unilatéral.

 

  1. Chevallier définit cette interaction (osmose) : les différents segments administratifs nouent avec leurs milieux d’intervention des rapports d’échange étroits et réversibles ; s’appuyant sur eux pour renforcer leur position au sein de la sphère publique ils se montrent en contrepartie réceptifs à leurs sollicitations et prennent en charge la défense de leurs intérêts. 

– Au lieu de parler d’assujettis, on parle de clientèle de l’administration. A travers cette interaction, les deux milieux y gagnent : la clientèle fait passer ses demandes et l’administration se renforce par rapport à la société civile.

 

Plus l’administration à un milieu d’intervention puissant à plus elle a de contacts avec des groupes sociaux importants à plus sa place au sein de l’appareil d’Etat est renforcée.

Chevallier remarque que la relation produit une transformation de la mission qu’est censée remplir l’administration : elle devrait réguler l’espace social, faire en sorte qu’il fonctionne ; alors qu’elle intériorise valeurs et intérêts de son milieu d’intervention et au lieu de le réguler elle le représente au sein de l’Etat.

L’interaction des fonctionnaires au sein de l’espace politique vise le plus souvent à défendre les groupes sociaux plutôt que l’intérêt général.  

 Toute politique publique est donc le résultat d’un compromis.

 

Section 3 – Les groupes de pression et leur encadrement politique

[Les citoyens en tant qu’individus seuls peuvent être considérés comme des acteurs politiques avec le droit de vote, mais ce rôle reste minime]

Lorsque les citoyens s’organisent en groupe, ils acquièrent une capacité d’influence importante dans la prise de décision.

 

  1. a)    Définition des groupes de pression

3 critères :

— Un groupe de pression défend les intérêts particuliers de ses membres

— Un groupe de pression dispose d’une structure stable dans le temps

— Un groupe de pression agit principalement en vue d’exercer une pression sur l’activité gouvernementale [ce qui le distingue du parti politique qui à pour objectif de prendre le pouvoir]

Nuance avec les groupes d’intérêt : tout groupe de pression est un groupe d’intérêt, mais tous les groupes d’intérêt ne cherchent pas à influencer la politique [ex : un groupe de joueurs de bridge]

 

  1. b)    Typologie des groupes de pression (Braud ; Mény)

Braud distingue deux types de groupes de pression : les groupes à caractère identitaire, et les groupes support d’une cause.

— caractère identitaire : vocation très large et d’expression d’intérêt d’une catégorie sociale. Critères :

— Socio professionnels [ex : syndicats]

— Socio culturels [ex : groupes religieux ; ethniques]

— Expérience historique commune [ex : anciens combattants ou anciens déportés]

— Référence à une formation commune [ex : syndicats étudiants, anciens élèves de l’ENA…]

— Les groupes support d’une cause : groupe dont la vocation est très spécialisée autour d’une idée, d’une valeur, ou d’une cause. Catégories sociales diverses ; moins de contraintes de dissensus internes [ex : Amnesty International ; la ligue des droits de l’homme]

 

  1. Mény propose une autre typologie : groupes institutionnels et groupes associatifs. Deux catégories de groupes :

— Institutionnels : type de groupe souvent absent des typologies car ils proviennent des structures pas prévues pour défendre des intérêts mais pour servir la collectivité [ex : syndicats d’associations de police ; syndicats de l’éducation nationale…]

Ils cherchent à réfléchir sur la meilleure façon de gérer la société. Différenciation des autres groupes socio pro : leur but est de servir la collectivité. Ils ont toutefois des intérêts propres.

Les membres peuvent intervenir directement au cœur des centres décisionnels [car ils font partie de l’Etat] ex : associations des grands corps administratifs de l’Etat ; corps des mines, corps diplomatique

Ces groupes sont toutefois plus puissants dans les Etats fédérés.

— Groupes associatifs : très divers ; avec des finalités très différentes, ils sont de plus en plus nombreux.

Cette prolifération s’explique par trois éléments :

— Tiens à la nécessité d’une organisation minimale pour défendre des intérêts spécifiques ; les intérêts diffus ou non organisés n’arrivent pas à se faire entendre [ex : les consommateurs ou les chômeurs il y’a quelques années]

— Expansion de l’interventionnisme étatique ; en effet, l’Etat prend en charge de nombreux aspects de la vie sociétale ; en réaction la société civile s’organise pour se défendre.

— Opportunités offertes par la réglementation ; associer le public à la prise de décision, subvention pour pouvoir fonctionner aux côtés de l’Etat.

 

  1. c) L’insertion des groupes de pression dans le système politique

— tous les groupes de pression ne sont pas égaux, les groupes institutionnels sont parmi les plus puissants ; les organisations patronales sont plus puissantes.

— leur intervention dans le système politique :

Il faut d’abord analyser la légitimité de leur intervention [selon les pays]

Ensuite les pouvoirs publics ne se soumettent pas aux pressions sans se défendre.

 

Légitimité des groupes d’intérêt. Un auteur propose une analyse selon laquelle les groupes de pression son mieux intégrés dans les systèmes politiques peu sensibles — la représentation démocratique car le peuple dans son ensemble a la légitimité ultime.

Il utilise deux extrêmes ; France et Etats-Unis

— France : hostilité depuis la révolution aux corporations ; l’affirmation de l’assemblée nationale a été favorisée et ancrée culturellement dans l’organisation politique. Défiance à l’égard des groupes de pression, car l’idée de souveraineté nationale rejette toute influence de ce qui ne représente pas le peuple lui-même ; il y’a un culte de l’intérêt général en France.

— Etats-Unis : pas de surestimation de la représentativité nationale ; les groupes de pression sont très présents dans l’espace politique.

Selon Tocqueville : « Les américains de tous les âges ; de toutes les conditions ; de tous les esprits  s’unissent sans cesse. Non seulement ils ont des associations commerciales et industrielles auxquelles ils prennent part ; mais ils en ont encore 1000 autres espèces : religieuse, morale, générales et particulières, d’immense et de fort petite. » « S’agit il enfin de mettre en lumière une vérité : les américains s’associent »

Les Etats-Unis croient de manière très relative à la représentation nationale [abstention souvent aux alentours de 50%] ; pas de discipline de vote dans les partis. Présence des groupes dans le système politique considéré comme bénéfique ; permet d’informer les décideurs, d’améliorer la pratique de la législation.

 

Quel encadrement institutionnel pour ces groupes ?

Le pouvoir politique ne reste pas inerte ; il cherche parfois à les interdire ; mais le plus souvent il cherche à les encadrer, il y’a deux démarches :

 

— Démarche de l’encadrement réglementaire : les laisse plus libres, fixe les « règle du jeu » ; comment agissent les groupes de pression. Besoin de cadrer leur activité pour éviter les problèmes même aux Etats-Unis ; réglementation spécifique pour rendre leurs activités moins opaques, éviter la corruption.

Ordre imposé dès le début du XXe et est confirmé plus tard avec un acte législatif en 1946 de réorganisation ; impose 4 obligations aux groupes de pression : une comptabilité précise ; transmettre les informations financières à l’administration de la chambre de représentants ; obligation des personnes ayant des activités de lobbying de se faire connaître et enregistrer à l’administration du Sénat ou de la chambre des représentants ; obligation de publier ces informations dans un journal parlementaire trimestriel.

Mais la législation est assez imparfaite et souvent critiquée. La jurisprudence de la Cour Suprême ne pose ses obligations essentiellement pour les organisations qui veulent influencer la prise de décision et une personne exerçant une influence directe ; Or certaines organisations puissantes y échappent car les lois sont approximatives.

Deuxième critique : cette législation concerne les groupes en contact avec le congrès et pas l’organisation de la maison blanche et les pouvoir fédéraux, or ils ont un rôle important.

Etats-Unis : 15000 lobbyistes professionnels.

On trouve un système similaire en Allemagne, les lobbyistes peuvent après leur recensement être en contact avec les parlementaires.

 

— Solution de l’intégration institutionnelle. Soucis d’intégrer ces groupes pour mieux les contrôler [méfiance] ; peut aller jusqu’à l’octroie de prérogatives aux groupes de pression.

Italie : concertation entre fonctionnaires, élus et groupes de pression.

France : pays de parlementarisme rationalisé ; l’action des groupes de pression s’exerce en direction de l’administration et non des élus.

Le plus souvent, les groupes d’utilité publique reconnus par l’Etat reçoivent alors des subventions pour pouvoir fonctionner ; mais il y’a des contraintes pour pouvoir être reconnu : pour qu’un groupe de pression obtienne ce label, il doit perdre de son dynamisme et entrer dans la logique de l’Etat, devenir un partenaire docile. L’administration réussit à marginaliser les groupes contestataires qui concurrencent les actions officielles [ex : 1981, pas de dialogue avec les syndicats paysans minoritaires]

Groupes non reconnus exclus et doivent protester de manière brutale pour se faire connaître du public et des autorités.

Certains groupes se voient donc reconnaître des prérogatives de droit public ; gestion du système de sécurité sociale par exemple, caractérisé par le paritarisme liant syndicats, patronat et administration. Chambre de commerce et de l’industrie qui est un ensemble de lobbies jouant un rôle institutionnel, de gestion de certains enjeux avec l’Etat.

 

Chapitre III – La participation politique

Question de la socialisation politique, comment on socialise les jeunes…

Les politistes s’intéressent à la question de l’obéissance des gouvernés aux gouvernants. Il y’a différentes réponses.

 

a)Les deux hypothèses dominantes

Il y’a deux hypothèses dominantes : 

  • celle de Weber qui dit que le pouvoir de l’Etat repose sur le monopole de la coercition légitime ; or si l’Etat devait toujours faire usage de la force il ne tiendrait pas longtemps.
  • Autre hypothèse d’un penseur Italien : ce qu’acceptent les gouvernés c’est moins un état de fait qu’une certaine présentation et justification de cette présentation intériorisée par les gouvernés. Dans la plupart des systèmes politiques, l’acceptation de l’Homme politique repose sur certaines croyances qui justifient l’organisation politique. Ces éléments représentent la « culture politique »

Culture politique : ensemble de perceptions, de croyances, et de valeurs qui permettent aux individus de donner sens à leurs expériences routinières des rapports aux pouvoirs politiques.

 

  1. b) La culture politique : l’enquête de G. Almond et S. Verba

Enquêtes par sondages de 4 ou 5 ans simultanées dans 5 pays ; leur objectifs était d’identifier les fondements culturels de la démocratie ; cherchent à comprendre pourquoi certains systèmes ont mieux résisté que d’autres [au fascisme notamment]

 

Deux définitions de la culture politique :

— Ensemble de savoirs, de perceptions, d’évaluations et d’attitudes qui permettent aux citoyens d’ordonner et d’interpréter les institutions et les processus politiques ainsi que leur propre relation avec ces institutions et processus. Ils vont trouver 3 composantes :

— Une composante cognitive [connaissance, ce que les citoyens croient savoir des institutions politique, leur fonctionnement et leurs dirigeants]

— Une composante affective, le sentiment d’attirance et de répulsion à l’égard des Hommes politiques, des organisations, des partis.

— Une composante évaluative qui renvoie à des valeurs et idéologies qui nous permettent de juger certains évènements et comportements politiques

 

A travers cette étude, 3 types de cultures différentes ressortent :

— La culture politique paroissiale qui est celle d’un individu peu sensible au système politique de son pays et que l’on rencontre le plus souvent dans des systèmes politiques fragmentés.

— La culture de subordination, les citoyens semblent avoir une connaissance du système politique mais associée à une certaine passivité vis-à-vis du système [car c’est quelque chose d’imposé]

— La  culture politique de participation, individus qui ont une certaine connaissance et adhésion au système ; citoyens actifs qui participent.

 

  • Dans les systèmes politiques décentralisés, on trouve une dominance de la culture politique paroissiale
  • Dans les systèmes politiques centralisés, c’est la culture politique de subordination qui domine
  • Dans les systèmes politiques fédéraux il y’a une forte culture politique de participation.

 

  1. c) Agents et milieux de socialisation politique

Question qui se pose : comment les citoyens arrivent à intérioriser une certaine culture politique ?

Les spécialistes disent : on apprend à être citoyen dès la naissance.

Comment se socialise-t-on politiquement ? Il y’a des agents qui nous socialisent, la période de l’enfance est la plus importante.

Réflexion autour de la socialisation politique de l’enfant : étude américaine des années 50. Comment se structurent les attitudes politiques à l’égard du vote de ces partis ?

Importance de ces apprentissages politiques pré adultes.

— rôle de la famille de déterminer partiellement les opinions, car la famille ne peut préparer les jeunes aux évènements politiques. Mais la famille transmet aux jeunes des préférences partisanes fortes et durables

— Liens entre familles et partis ; ils sont les relais des partis politiques car en influençant les jeunes, on prépare un futur partisan

Pour la famille, les partis sont un lien de référence, structure les discours politique en directions des jeunes membres.

 

CHAPITRE 4. OPINIONS ET ELECTIONS

Le vote constitue la pratique politique la plus répandue et la seule qui dans les grandes démocraties réunisse encore la majorité de citoyens.

A chaque scrutin présidentiel, il y a 80 % de participation parmi les inscrits.

 

  1. Analyse du vote : diversité des approches

Aux Etats-Unis, le taux de participation est calculé par rapport aux personnes capables de voter : les Américains en âge et en droit de voter car dans le Dakota du Nord, il n’y a pas d’inscription aux élections, on ne peut donc pas faire comme en France (les Etats sont maîtres de leurs règles électorales). (Il faudra donc être vigilant sur les comparaisons entre les taux de participation entre la France et les Etats-Unis, si on veut comparer, il faut prendre en compte qu’en France, on considère qu’il y a environ 10 % de non inscrit).

Ex : 50 % de votants aux Etats-Unis correspondent environ à 70 % de votants en France.

En théorie, le vote assure l’expression de la volonté populaire et permet aux citoyens de choisir les gouvernants. Dans les faits, le choix est limité aux candidats soutenus par les grands partis politiques.

Le sociologue Mosca (début du siècle) a écrit « les représentants ne sont pas élus, ils se font élire ». Pourquoi ? Car dans nos sociétés, la désignation par le vote est la seule qui confère une vraie légitimité politique au candidat. C’est d’ailleurs la fonction principale du vote. Il s’agit de faciliter l’exercice du pouvoir au gouvernant. Le vote est tant devenu le seul mode de légitimation du pouvoir politique que même les dictateurs l’utilisent. La plupart des dictateurs contemporains se font élire. Le plus souvent il n’y a qu’un candidat et ce n’est pas pour cela qu’il n’y a pas d’enjeu : se faire plébisciter, c’est afficher sa légitimité et cela même quand les électeurs sont contraints physiquement de se rendre aux urnes.

Réussir à contraindre les gens à voter, c’est affiché sa force, son autorité, renforcer son pouvoir.

Exemple l’exemple d’URSS :

– dans l’URSS post Stalinien, le système électoral soviétique est entre la logique censitaire (traditionnellement censitaire signifie que l’élection est fondée sur le critère économique : seuls les riches votent, mais dans l’URSS censitaire signifie la séparation entre le peuple et les membres du parti unique qui sont les éclaireurs du peuple) et une logique démocratique.

Le but du cens : donner le droit de vote aux populations qui risquent le moins de renverser l’ordre politique existant.

Dans l’URSS post stalinien, le parti unique s’autoproclame avant-garde du peuple. Il dispose d’une compétence particulière pour guider le peuple.

Ainsi les membres du parti choisissent les candidats aux élections : il existe une compétition interne au parti. Pour augmenter la légitimité du futur gouvernant, il faut que la population valide le choix effectué dans l’ordre interne. Le candidat doit être démocratiquement approuvé par le corps électoral. La population valide le choix du parti ou s’abstient, il n’y a pas d’autre alternative. Mais l’abstention est quasiment nulle car la police politique est très présente. En général les candidats élus obtiennent 100 % des voix.

            – Il y eut une évolution politique lente sous Gorbatchev, le parti unique ne disparu pas. Jusqu’en 1989, le même système politique reste en place avec la répression policière en moins. On assiste à une libéralisation politique. Il n’y a plus d’appareil policier mais cela ne retire pas la nécessité du soutien de la population. Gorbatchev a besoin que la population continue de voter. C’est pourquoi il substitue à la répression policière des fêtes, des banquets pour ceux qui se déplacent pour voter (achat des voix électorales). Le soutien de la population est essentiel car il montre que le peuple suit Gorbatchev.

            – Au début des années 1990, le parti unique est abandonné et apparaît une véritable concurrence électorale (pour être candidat il faut obtenir un certain nombre de signatures).

Des campagnes électorales se mettent en place : affiches, porte-à-porte… Recours à des experts en communication, le sondage…

Ex : si l’expert constate qu’il faut viser telle population dans sa campagne (ex : les ouvriers), le candidat va axer ses propos sur cette population (ex : écrire une biographie en évoquant son grand-père qui était ouvrier). Cela permet l’identification de la population au représentant.

Ex : Torez  écrit « Fils du peuple ».

Il n’y a plus d’appareil policier, ni de fêtes : on est proche du système occidental.

Le taux d’abstention s’est élevé dès les premières élections libres (40 % d’abstentions).

La démocratisation d’un régime a donc des effets sur les méthodes de mobilisation de l’Etat (police, le banquet…) mais la fonction du vote reste la même : la légitimation.

 

  1. Les élections et le droit

Il y a de nombreuses manières de traiter la question du vote. Sur le terrain du droit, on sera attentif aux règles officielles du jeu démocratique (ex : on prêtera attention au mode de scrutin, aux conditions d’éligibilité du candidat, des lois en matière de dépenses électorales…). Connaître ces règles est essentiel car elles ont des conséquences importantes sur le jeu politique.

  • Ex: limiter ou non les dépenses électorales ou encore autoriser ou non la publicité politique dans les médias aura des conséquences sur la compétition électorale.
  • Ex: aux Etats-Unis, les règles en la matière sont très libres. Les élections se font grâce aux spots publicitaires à la télé sans limite de dépenses ni de contenu. Cela favorise les candidats riches dans un pays où il n’y a pas de structure partisane forte. Cela conduit à un recrutement ploutocratique du gouvernement.

Les modes de scrutin peuvent avoir des conséquences donc il faut les connaître. Leurs effets ne sont pas forcément affichés par le législateur.

Ex : la dernière modification des modes de scrutin avant les élections régionales de 2004. Avant cette date, le mode de scrutin était proportionnel mais cela pouvait mener au problème de gouvernance des régions, des majorités fluctuantes, des hommes politiques qui ont du mal à faire voter leurs idées aux élections régionales…

Le côté positif du scrutin proportionnel : c’est un système démocratique, tout le monde est représenté.

Concernant le scrutin majoritaire, il présente l’avantage d’une majorité stable mais l’inconvénient de ne pas être démocratique.

– En 2004, on envisage un scrutin mixte (déjà en vigueur pour les élections municipales pour les communes de plus de 3500 habitants). Dans ce mode de scrutin, on distribue les sièges proportionnellement aux suffrages obtenus par les candidats mais on donne une prime à la liste arrivée en tête (ex : aux élections régionales la prime correspond à 25 % des sièges (à l’élection municipales la prime correspond à 50% des sièges), le reste est distribué proportionnellement aux autres candidats).

            – En 2004, on introduit un seuil de 10 % des suffrages exprimés au premier tour pour avoir le droit de se présenter au second tour. Cette mesure correspond à l’atténuation d’une mesure beaucoup plus radicale : il existait un seuil de 10% des inscrits. Cette mesure fut censurée par le conseil constitutionnel. Pourquoi ? En gros, seul l’UMP et le PS pouvaient aller au second tour (que les grands partis). Les alliances sont possibles entre les petits partis pour atteindre le second tour.

            – Le nombre de conseillers régionaux par département qui sont membre d’une région ne dépend pas de la population respective de chaque département mais du nombre de votants effectifs à chaque élection. Ainsi on ne peut pas connaître à l’avance le nombre de conseillers régionaux venant de chaque département.

Ex : un département comporte 10 000 habitants et un second comporte 20 000 habitants: il serait logique que le second département ait plus de représentants régionaux mais avec le scrutin régional, on est plus représenté dans les départements où on vote le plus. Les départements où l’on vote le moins sont les départements les plus populaires du fait du chômage, du niveau bas des diplômes…

Ce choix de répartition favorise les départements les plus favorisés (ils ont plus de conseillers régionaux).

Il n’est pas certain que cette mesure cache une volonté politique favorable à cet effet.

Les règles ne suffisent pas à rendre compte du fonctionnement de la compétition électorale, il faut aussi poser d’autres questions : pourquoi y a-t-il des élections ? Comment les électeurs font-ils leur choix ? Pourquoi les gens se déplacent-ils pour voter ? …

La science politique cherche à répondre à toutes ces questions.

 

  1. La sociologie historique des pratiques électorales

La science politique peut adopter une démarche historique et chercher à établir l’origine des pratiques électorales. Ce qui permettra de rappeler que voter pour désigner des représentants n’a rien d’évident, de naturel (même en démocratie). On peut par exemple désigner les représentants du peuple par tirage au sort. C’était le cas dans l’Athènes Antique.

Un tel système n’aurait d’ailleurs aujourd’hui pas que des inconvénients. En effet si on considère que la représentation politique doit être sociologiquement représentative de la population alors il faut être favorable au tirage au sort.

L’idée que la représentation nationale doit correspondre à la composition sociale de la population est implicitement à l’œuvre dans les textes et débats récents. Par exemple dans la loi sur la parité qui a été adoptée le 6 juin 2000. Cette loi part du principe qu’il doit y avoir proportionnellement le même nombre de femmes parmi les élus que dans la population. Ceci a suscité de multiples débats en particulier car une telle conception rompt avec une certaine tradition républicaine (universalisme républicain) qui veut que le peuple soit entièrement souverain est donc complètement libre dans le choix de ses élus et qui veut aussi que les élus soient les représentants de l’ensemble de la nation au service de l’intérêt général et non pas au service d’intérêts ou de catégories particulières. Or, l’idée avancée par les détracteurs de cette loi c’est que les femmes élues vont être les représentants non de la nation mais des autres femmes.

Les défenseurs de la loi dénonçaient l’hypocrisie de cet universalisme républicain qui dissimule en réalité une domination masculine.

Cette loi de 2000 a produit ses effets. Elle a deux volets différents :

            – une parité obligatoire pour toutes les élections qui se déroulent au scrutin de liste sauf pour les élections municipales dans les communes de moins de moins de 3500 habitants. Les listes doivent comporter 50 % de candidature féminine sous peine de nullité de l’élection.

De plus, la liste doit comporter une alternance stricte des noms des candidats hommes et femmes. Cette condition concerne les élections européennes et les dernières élections régionales.

            – la loi propose une parité facultative (ou incitative) pour le scrutin uninominal des législatives. Il n’est pas illégal pour un parti candidat aux élections législatives de ne pas présenter de 50 % de femmes. Si la liste ne comporte pas les 50 % de candidats femmes, il existe une sanction financière. Mais l’expérience montre que les partis préfèrent payer (recevoir moins d’argent pour leur campagne) et conserver plus de candidats masculins plutôt que de présenter les 50 % de femmes.

Pourquoi ? Car traditionnellement dans la vie politique il existe une prime au sortant (le député déjà en place a plus de chances d’être élu qu’un nouveau). Cela rassure l’électorat et comme les sortants sont majoritairement des hommes, les partis ont préféré maintenir les candidats sortants.

Ceux qui ont présenté le plus de femmes et qui ont le plus joué le jeu sont les petits partis donc il a peu de chances que les femmes soient élues.

Ex : UMP en 2002 représentent 20 % de femmes mais celle 10 % sont élues

       PS           ‘’              ‘’              36%                  ‘’                 16%          ‘’

De plus, on donne aux femmes les circonscriptions que le parti était sûr de perdre.

La loi qui fait de la parité quelque chose de d’obligatoire et la seul qui ait eue des effets réels.

Autre problème : les cantonales sont totalement exclues de la loi sur la parité alors que ce sont des élections importantes (car c’est lors de ces élections que le candidat forge le début de sa carrière politique).

Aux élections municipales de 2001, le nombre de femmes a été multiplié par deux (40 % de femmes en 2001 contre 21 % avant 2001). Il y a eu une augmentation notable des femmes en tant que conseiller municipal (sauf dans les villes de moins de 3500 habitants qui ne sont pas concernés par la loi sur la parité).

Concernant le poste de maire seul 10% des femmes ont été élues (contre 7 % en 1995). Cela montre que plus on monte dans la hiérarchie des postes, moins il y a de femme.

La féminisation des postes nécessite le départ d’hommes. Parfois l’application de cette loi est injuste (ex : des hommes se font évincé au profit des petites amies des hommes supérieurs dans la hiérarchie).

La question de la représentation des Français d’origine étrangère pose également problème : est-il légitime d’introduire dans l’assemblée politique des représentants qui du fait de leur origine peuvent représenter une partie de la population française ? Cette question est difficile à résoudre car il n’est pas facile d’établir objectivement l’inégalité entre les populations d’origine étrangère et les Français. On ne peut mesurer objectivement l’ampleur de cette discrimination.

En France, on applique le principe de l’universalisme républicain : nous sommes des citoyens « raison » donc on est censé raisonner au nom de la collectivité entière et pas au nom d’une catégorie particulière de la population.

Aux Etats-Unis et en Angleterre, on applique le principe du différencialisme : il est légitime de représenter et défendre les intérêts particuliers.

Cela explique que dans ces pays on effectue des statistiques ethniques (en France cela ne serait pas possible car on n’a pas d’outil pour mesurer la situation des personnes selon leur ethnie).

Le risque de ce genre de statistiques est que le résultat de l’étude se retourne contre la population concernée : la statistique mais l’accent sur des discriminations. Cela solidifie les frontières entre les groupes : c’est la fin de l’universalisme républicain.

Quand on regarde du côté de la sociologie historique en politique, on s’aperçoit que la manière dont on vote est le résultat d’une histoire. On n’a pas toujours voté en France de cette façon.

Au début de la III émet République, il était fréquent de voter dans le domicile du maire (une soupière servait d’urne).

Or, les conditions matérielles de vote ont des effets sur le vote.

D’autres pratiques possibles ont été écartées. Il a par exemple été question que le vote se fasse sur le lieu de travail. Il existait une pression, une influence car on votait sous l’œil du patron, des syndicats.

Avant, les bulletins n’étaient pas imprimés ce qui favorisait une discrimination par rapport à ceux qui ne savaient pas écrire.

L’exemple de l’isoloir :

La mise en place d’isoloir est révélateur des luttes des conflits d’intérêts dont sont issues nos pratiques politiques.

C’est une loi du 29 juillet 1913 qui l’a rendu obligatoire en France (c’est cette même loi qui impose l’enveloppe lors du vote).

Mais depuis 1865, des propositions avaient été faites au parlement. Les partisans de la réforme (ceux qui sont pour l’isoloir) mettaient en avant la nécessité de moraliser les élections c’est-à-dire de lutter contre la fraude et les pressions exercées sur les électeurs.

Mais les débats parlementaires de l’époque montrent que les opposants à la réforme ne considéraient pas ces pratiques de pression comme des formes de corruption. Ils trouvaient cela légitime : les plus instruits votent et conseillent ceux qui n’ont pas suffisamment de connaissances pour voter.

Pour les opposants à l’isoloir, l’influence directe que subissent les électeurs n’a rien d’illégitime. Ils dénoncent au contraire isoloir comme un lieu inutile. Ils refusent les présupposés égalitaristes.

Derrière tous ces débats qui se jouent dans une telle réforme est en conflit entre deux types d’acteurs politiques que séparent deux modes concurrents de conquête des suffrages.

D’un côté, les notables de naissance qui sont élus grâce à leur position sociale, grâce à la dépendance sociale des électeurs à leur égard, des notables qui échangent leurs ressources contre des voix (relations clientélistes avec les électeurs). Ces notables n’ont aucun intérêt à la modernisation des pratiques électorales. Ces nouvelles pratiques signent à terme la fin des notables en politique

D’un autre côté, il existe un nouveau type de personnel politique qui ne dispose pas des ressources individuelles des notables. Ce nouveau personnel politique doit compenser par l’organisation collective. Pour recueillir des voix on se regroupe en parti politique.

Ce nouveau personnel politique a tout intérêt à ce que la politique devienne une activité spécifique nettement distincte des autres activités sociales. Une élection politique est une élection au cours de laquelle des biens échangés sont de nature politique et ne peuvent être obtenus dans d’autres sphères de la vie sociale.

Ceux qui se battent pour l’isoloir viennent de couches sociales moins favorisées, ils veulent des échanges de voix contre un programme politique : échange de la sphère politique à la sphère politique (contrairement à avant la première guerre mondiale).

L’isoloir permet aux moins favorisés d’avoir la possibilité d’exercer le pouvoir politique eux aussi (la politique n’est pas réservée qu’aux notables).

Les isoloirs affirment l’anonymat du vote.  Ils symbolisent le vote politisé et la mise à l’écart de la vie sociale.

Conclusion sur l’isoloir:

Ce qui s’est joué dans la réforme de l’isoloir ce n’est pas seulement des principes démocratiques abstraits mais ce sont deux modes concurrents de conquête des suffrages :

– celui traditionnel des notables reposant sur le clientélisme

– celui des nouveaux entrepreneurs politiques (c’étaient surtout des républicains) qui commençaient à s’organiser. La conquête des suffrages repose sur des modes de communication plus moderne que le clientélisme : on échange des voix contre un programme, un projet, une idéologie.

L’avantage de l’approche historique, c’est qu’elle dénaturalise les phénomènes, et en l’occurrence ici le comportement électoral.

 

  1. Les modèles économiques : l’analyse du vote en termes stratégiques.

L’économie fournit des instruments, des modèles théoriques pour analyser le phénomène les phénomènes électoraux.

Certains économistes se sont ainsi employés à transposer leurs outils et leurs modèles explicatifs à la vie politique. Cela s’est fait à partir des années 1950 aux Etats-Unis.

Depuis, l’analyse économique de la vie politique a rencontré un très grand succès surtout dans le domaine des analyses électorales.

On estime aujourd’hui que dans les grandes revues de sciences politiques américaines concernant les élections, la moitié des articles repose sur ces mouvances de l’analyse du vote.

C’est donc une interprétation dominante. Cette étude est relayée par les médias, c’est donc une source d’influence importante pour les électeurs.

L’usage de ces modèles économiques inspire plus particulièrement l’une des deux grandes tendances qui domine actuellement l’étude électorale : celle qui analyse de vote en termes stratégiques.

 

  1. La théorie de l’électeur rationnel

Tout un courant de la sociologie considère que l’électeur doit être considéré comme un stratège se comportant donc de façon rationnelle quand il vote.

Pour les tenants de l’analyse économique, le vote doit être considéré comme une transaction sur un marché. Ce marché électoral est pour eux un marché comme les autres.

D’un côté, on a les candidats qui sont en situation de concurrence et qui produisent une offre électorale. Pour se faire élire, ils promettent de produire des biens collectifs. Ces biens pourront être consommés par un certain nombre de citoyens qui en échange leur apporteront leurs suffrages.

            De l’autre côté, il y a les électeurs qui font leur choix en fonction des avantages et des bénéfices économiques qu’ils peuvent retirer de l’élection. Ce sont donc des électeurs qui calculent les bénéfices économiques qu’ils peuvent espérer d’un programme. Ils calculent les coûts fiscaux liés au programme. C’est le résultat de ce calcul (différence entre le coût et les bénéfices attendus d’un programme) qui serait selon cette théorie déterminant dans le choix des électeurs.

Cette théorie appréhende donc l’électeur comme un consommateur qui le jour du vote va faire son marché politique. Ces théories envisagent qu’un consommateur peut être influencé par ses habitudes d’achat (renvoi au passé électoral de l’électeur).

Le jour de l’élection, ce qui remporte la mise, c’est la volonté d’obtenir le maximum au moindre coût.

Cette théorie marginale il y a 30 ans, est aujourd’hui dominante. Pourquoi ? Car cette théorie s’inscrit bien dans l’air du temps :

Elle paraît presque évidente car dans notre société le calcul économique est considéré comme la forme suprême de nationalité.

Cette théorie bénéficie de la fascination dans notre société pour l’économie surtout quand elle adopte une forme mathématique. Or, l’analyse économique des phénomènes électoraux se présente souvent sous la forme d’équations mathématiques.

Ex : l’abstention n’est pas un comportement qui s’avoue facilement. L’abstention va varier en fonction des conjonctures. Par exemple, le 21 avril 2002, quand Le Pen passe au 2nd tour, les gens étaient réticents à avouer leur abstention. Ainsi, les études mathématiques (sondage) ne permettent pas de connaître à l’avance le vrai taux d’abstention.

Ex : en Espagne, on déclare trois fois moins abstention qu’il n’y en a en réalité : les résultats par sondage n’ont aucun intérêt concernant l’abstention. Il faudrait laisser le sondage et aller sur le terrain.

Pourquoi une telle fascination pour l’économie ? Car ce type d’étude parait plus solide : c’est mathématique, donc rationnel. Cela augmente la force de persuasion alors qu’en réalité il s’agit le plus souvent de chiffres bricolés.

Les défenseurs de la théorie de l’électeur rationnel prétendent qu’elle est la plus efficace pour expliquer les nouveaux comportements électoraux. En particulier pour expliquer la « volatilité électorale » c’est-à-dire, les déplacements de voix que l’on observe d’une élection à l’autre. Cette volatilité apparaît déterminante pour les résultats des élections puisque ce sont ces déplacements de voies de voix de la gauche vers la droite (et inversement) qui provoquerait l’alternance au pouvoir et donc les changements politiques.

Exemple d’électorat volatil : le FN.

Patrick Lehingue (fac d’Amiens) estime que 5 % des suffrages du FN est permanent et que depuis 1984, 1 électeur français sur 4 aurait déjà voté pour le FN. Il existe une circulation très forte des voix, une certaine volatilité car l’électorat du FN dispose de peu de diplômes (cela joue beaucoup sur la volatilité). Ce sont ces électeurs qui changent souvent de vote qui font le vote. C’est pour cette raison que les hommes politiques, les médias… y sont très attentifs. Cela permet de prévoir les élections.

Cette théorie de l’électeur rationnel serait la plus adaptée aux sociétés modernes car ce sont des sociétés où les électeurs (surtout les jeunes, donc les plus instruits) ne seraient plus comme leurs ancêtres fidèles à un comportement politique. Ils seraient au contraire moins disciplinés, moins prêts à suivre les consignes partisanes. Ils seraient moins dans l’identification aux partis que les générations précédentes. Ils seraient donc plus volatiles. Ils se déterminent plus qu’avant en fonction du bilan des gouvernements et des programmes électoraux.

 

  1. Ses limites

La théorie prétend mieux rendre compte de la volatilité électorale. Or le problème c’est qu’aujourd’hui, ce qui caractérise l’électorat, c’est sa forte stabilité.

Ex : 70 % des électeurs français votent dans le même parti d’une élection à l’autre.

C’est sans doute d’abord la stabilité qu’il faut expliquer avant la volatilité. La stabilité est plus importante si on regarde les camps (gauche droite) plutôt que les partis (PS, verts…).

En fonction d’où l’on se place, la volatilité sera plus ou moins importante.

La théorie pointe donc du doigt un comportement qui ne représente pas la majorité des comportements électoraux.

Autre limite plus problématique : les électeurs qui changent de préférence le plus facilement à chaque élection sont les électeurs issus des couches les plus défavorisés, ce sont ceux qui sont les moins instruits et ceux qui s’intéressent le moins à la politique. Ce sont ceux qui sont les moins bien informés sur la campagne électorale.

Or cette description de l’électeur va à l’encontre de la définition de l’électeur relationnel qui doit être informé et connaître toute l’offre politique.

Ces électeurs volatiles vont voter un peu au hasard.

Ex : Bayrou en 2002 gifle un jeune dans une cité. Pour certains cette gifle a été déterminante dans le choix du candidat.

Un sociologue américain a écrit Bowling Alone il y montre que le fait d’avoir fait des études, ne va pas forcément de pair avec le fait de s’intéresser à la campagne. Ce n’est pas prédictif d’un comportement électoral ou politique.

La théorie de l’électeur rationnel n’explique que difficilement le fait que la volatilité soit mise en œuvre par ceux qui sont le moins aptes à faire des choix.

La théorie de l’électeur rationnel semble en partie invalidée par ce que l’on observe dans la réalité.

Dans les milieux très politisés, favorisés, on suit la campagne électorale. Mais seuls cinq à 10 % des électeurs sont issus de ces milieux.

Ces électeurs éclairés, instruits, bien formés sur la campagne concernent une minorité des électeurs volatils.

Ex : Bayrou touche ceux qui sont très diplômés, intéressés par la campagne

Le problème, c’est que la majorité des électeurs volatils vienne des milieux défavorisés, peu instruits.

La théorie de l’électeur rationnel semble rendre compte du comportement général des électeurs, or, ce n’est pas le cas. Il faudra se servir d’autres modèles pour rendre compte de la réalité

Si les électeurs se comportaient vraiment comme le prétend la théorie de l’électeur rationnel (uniquement dictés par les enjeux économiques) alors ils ne devraient pas voter.

Pour voter selon un calcul coût/ bénéfice il faut connaître parfaitement les programmes des candidats et être capable de les traduire en termes d’avantages personnels, ce qui est impossible. Pourquoi ? Car l’offre politique est souvent contradictoire et qu’un même parti pour augmenter ses chances de succès peut à la fois promettre de baisser l’impôt et  d’augmenter les dépenses publiques (ex : en matière de santé, éducation…).

De plus, il est très difficile d’anticiper les effets d’une politique économique. Les économistes eux-mêmes ne sont jamais d’accord sur ce sujet.

Comment un électeur lambda pourrait prévoir les effets d’une politique économique alors que les économistes eux-mêmes n’y parviennent pas ?

Il est quasiment impossible de connaître à l’avance les effets d’une politique économique sur sa propre existence.

Ex : en matière de fiscalité, comment connaître ses intérêts ? Est-ce rationnel de raisonner à l’échelle individuelle ?

Ex : Faut-il voter pour un candidat qui veut réduire les impôts ? À premier abord, cela semble être dans notre intérêt. Mais à long terme est-ce dans notre intérêt que les hôpitaux ferment, qu’il y ait moins d’enseignants, que le service public se détériore ?

On peut critiquer cette théorie car elle part du postulat de départ qu’il est facile de connaître ses intérêts.

L’électeur rationnel, s’il votait vraiment rationnellement, devrait ne pas voter car il ne dispose pas des informations nécessaires pour faire son choix.

De plus, en bon calculateur, il devrait voir que sa voix ne sert à rien, le poids de son vote est dérisoire. C’est le « paradoxe du votant ».

Ex : dans une circonscription électorale de 80 000 inscrits : chaque voix pèse 0,00 12 % du résultat global. Pour qu’une voie serve à départager les candidats il faudrait donc :

– soit que tous les autres électeurs s’abstiennent

– soit que le nombre de bulletins reçus par les deux candidats soit le même

Mais en réalité, cela n’arrive jamais.

Celui qui se conduirait en calculateur rationnel ne devrait pas voter, d’autant plus que voter à un coût (coût de l’information, du temps, coût physique). Le coût physique correspond au phénomène de la mal inscription : des électeurs sont parfois inscrits loin de leur nouveau domicile. Ceci explique une bonne partie de l’abstention dans notre pays. Cependant quand il y a une mobilisation très forte, les électeurs font l’effort de se déplacer (ex : deuxième tour de l’élection de 2002).

L’électeur rationnel devrait s’abstenir, or ce n’est pas le cas. La théorie de l’électeur rationnel est très éloignée de la réalité  car si tous les électeurs se comportaient conformément à la théorie il y aurait très de 100 % d’abstention.

Il existe un décalage entre la théorie et la pratique. D’autant plus qu’il est prouvé que l’abstention n’est pas le résultat d’un calcul politique. C’est juste une marque d’indifférence (mais toujours minorée des très politisés qui s’abstiennent délibérément).

Ex : le 21 avril 2002, le taux d’abstention atteignait 28 % : ce n’était pas le fait un calcul stratégique, c’était juste dû à un désintérêt pour la campagne. Les électeurs qui étaient favorables à un changement politique ne savaient pas pour qui voter en 2002 car Jospin et Chirac était déjà au pouvoir (donc pas de changement).

En réalité, les pratiques électorales sont souvent en contradiction avec le modèle élaboré par les économistes du vote.

L’approche purement économique des choses n’est pas capable de rendre compte de des comportements politiques.

L’approche économique pêche en politique là où l’intérêt politique est dû à une passion pour la politique et non à un intérêt économique (ex : militantisme : on imagine mal les militants militer par intérêt).

Ces théories ne négligent l’identité politique comme facteur. S’il y a de moins en moins de gens qui votent, c’est parce qu’ils ne se retrouvent plus dans une identité politique.

Pour que ceux qui sont indifférents à la politique, il existe des formes de pressions : amis, famille, travaille … C’est un vote intermittent car la pression est plus ou moins constante contrairement à l’identité politique qui est stable.

 

  1. Les analyses écologiques du vote (ou analyses environnementales du vote)

Ces analyses mettent en relation les choix des électeurs avec les caractéristiques de leur environnement. On entend par environnement, l’environnement quotidien : famille, travail, amis…

Ces environnements peuvent aller dans le même sens ou bien se contredire.

Ex : Si 2 parents votent à droite, il y a de fortes chances pour que leur enfant vote aussi à droite (sauf pendant la crise d’ado). Il existe une forte transmission.

Ex: Si les 2 parents ont des convictions différentes : la transmission sera plus compliquée.

Il faut tenir compte du milieu dans lequel vivent les électeurs pour comprendre le comportement électoral. Il ne faut pas considérer les lecteurs comme de simples raisons. C’est le contraire de la théorie de l’électeur rationnel.

Le comportement électoral est le prolongement dans la politique des comportements observables dans le domaine social.

 

  1. « L’électorat du granit » et « l’électorat du calcaire » sous la troisième république (thèse d’A. Siegfried)

Dans son ouvrage intitulé Tableau politique de la France de l’Ouest  publié en 1913, Siegfried s’intéresse à la relation entre la géographie et le vote. Il cherche à comprendre pourquoi dans certaines zones rurales de l’ouest de la France les électeurs votaient majoritairement à droite et d’autres majoritairement à gauche.

Il a observé que les comportements politiques étaient à son époque largement conditionnée par le contrôle (ou l’absence de contrôle) exercé par le clergé et les notables (grands propriétaires terriens). Or, ce contrôle est lui-même dépendant pour une large part d’une forme d’habitat qui est elle-même dépendante de la nature géologique. Siegfried établit une corrélation entre la nature géologique des sols et le comportement de ces populations rurales. Il parvient à distinguer un « électorat du granit » et un « électorat du calcaire ».

L’électorat du granit vote largement à droite tandis que l’électorat du calcaire vote majoritairement à gauche.

Pourquoi ? Car la nature géologique du sol détermine les formes d’habitat et le type d’exploitation agricole. Le granit retient l’eau bien que dans les zones granitiques il y a beaucoup de puits et donc l’habitat est dispersé autour de ces nombreux puits. Dans ces zones, la structure agraire est également dominée par la grande propriété foncière.

Le calcaire est perméable si bien que dans les plaines calcaires, l’habitat est rare et donc regroupé autour de ces points d’eau. Ces zones sont marquées par une petite et moyenne exploitation agricole.

Or, les formes de l’habitat, de la propriété, déterminent les modes de vie, la mentalité des populations et leur comportement électoral.

Dans les zones granitiques, le morcellement de l’habitat et la structure de la propriété favorisent le contrôle social des grands propriétaires et du clergé sur les fermiers (ou métayers) qui habitent ces zones.

Pourquoi ? Car dans ces zones, l’église est un lieu de rencontre, de sociabilité essentielle.

Ce processus explique l’importance des votes conservateurs dans les zones granitiques.

Au contraire, dans les zones calcaires, les petits propriétaires sont regroupés en village et ont l’habitude de se rencontrer. Ils sont plus attachés aux valeurs égalitaires. Cela explique qu’ils votent largement à gauche.

Siegfried fut le premier à réaliser ce type d’études. Il établit un lien entre les caractéristiques de l’environnement et la couleur politique du vote.

On n’utilise pas un recours à une explication du choix en terme idéologique.

Une autre étude fut menée par Noëlle Burgi de façon beaucoup plus politique : la grande grève des mineurs anglais. Cette analyse a montré une corrélation entre l’habitat des mineurs et leur participation à la grève.

La grève des mineurs a été massivement suivie dans les zones d’habitat collectif alors que le taux de participation était beaucoup moins important dans les zones pavillonnaires.

Attention : la relation n’est pas directe: ce n’est pas directement le type d’habitat qui participe au comportement électoral mais l’habitat favorise des formes de sociabilité qui elles-mêmes favorisent plus ou moins la participation à des mouvements collectifs.

 

  1. Des banlieues rouges aux « quartiers » : les votes ouvriers

C’est une manière de montrer que les quartiers des grands ensembles aient été pendant une époque (à partir de la guerre) marqués par un très fort réseau de militants pris en charge par les communistes (souvent, ce sont des anciens résistants, ils ne sont pas vraiment choisis pour leur étiquette partisane).

Après la guerre, les banlieues rouges étaient habitées par le gratin du milieu ouvrier (population assez mixte avec de bonnes conditions d’habitat). Dans ces zones existait des « cellules » communistes, c’est-à-dire des habitats dans lesquels on faisait des réunions. Il s’agissait d’un point de concentration de sociabilité. Ces cellules influençaient l’environnement au-delà de ceux qui se rendaient aux réunions.

La présence militante même si elle n’est pas très d’idéologique contribue à maintenir une ambiance favorable à la participation politique.

Les militants des cellules participaient à une forme de sociabilité locale (ex: distribuer l’humanité le dimanche).

La sociabilité entretenue par les militants dans les banlieues rouges renvoyait aux milieux populaires une image dont ils pouvaient être fiers, une image valorisante d’eux-mêmes. Ceci permettait de renforcer l’identité ouvrière et donc de favoriser une participation politique.

Ex : une mythologie locale avec des héros assimilés aux ouvriers.

Ces ressources que fournissaient les militants des banlieues rouges étaient doublées dans le monde du travail.

A l’époque, les unités de travail étaient grandes et favorisaient la politisation (si on est beaucoup, c’est plus facile de faire des revendications).

De plus, ces grandes unités de travail étaient favorables à la prolifération des syndicats.

Quand dans son travail, on a le sentiment d’appartenir à un groupe, ce sentiment d’appartenance continue en dehors du travail, dans son quartier.

Jusqu’au début des années 1980 en France, le milieu populaire a eu le plus fort taux de participation politique (90 % de taux de participation aux élections). Cela s’explique par le cumul de l’influence des militants, du monde du travail, du quartier… Aujourd’hui, c’est le contraire.

Aujourd’hui, les quartiers sont des zones dans lesquelles les environnements décrits précédemment ont été déstructurés.

Aujourd’hui, il n’y a plus militants communistes dans les grands ensembles (sauf exceptions). Ainsi, l’entraînement vers les urnes est réduit.

Aujourd’hui, il existe des réunions de quartier avec des conseils municipaux mais on n’y parle jamais de politique. Or, ce n’était pas envisageable il y a 30 ans.

Il y a de moins en moins de syndicats (sauf pour les fonctionnaires qui ont d’ailleurs un taux de participation plus élevé) car il y a de moins en moins de grosses unités de production.

Dans les ZUS (zones urbaines sensibles) le taux de chômage est de 25 % (alors que le taux de chômage au niveau national est de 9/10 %). Or, quand on est au chômage, on est dans la situation la moins propice à la politisation. On échappe à l’entraînement vers les urnes.

De même, le travail en intérim n’est pas une forme de travail propice à la participation politique car il faut se sentir appartenir à un groupe or avec l’intérim ce n’est pas possible. Il n’existe pas d’intégration ni de solidarité au travail. De plus, la situation des intérimaires n’est pas prise en compte par les syndicats car les intérimaires ne participent pas aux élections des syndicats.

Aujourd’hui, il n’y a plus de militants ni de politisation dans le cadre du travail.

Aujourd’hui, comme seul entraînement vers les urnes, il reste la famille. Mais la famille a évolué depuis 30 ans (exemple : familles éclatées). Or, le couple  était un facteur d’entraînement vers les urnes et notamment un facteur d’entraînement des femmes vers les urnes. Mais la déstructuration des familles, surtout concernant les femmes isolées a pour effet que le mari ou concubin ne soit plus un facteur d’entraînement vers les urnes pour les femmes. Bien souvent après une séparation, les femmes ne votent plus.

Ce facteur se superpose aux deux autres (fin du militantisme et du travail) pour expliquer les taux de participation dans les milieux populaires.

On dit qu’il n’y a plus de vote ouvrier, que les ouvriers ne votent plus à gauche. Mais cela est en fait un effet d’optique : la déstructuration du milieu populaire favorise le taux d’abstention.

Si on avait des instruments d’analyse plus fins on verrait un lien entre l’appartenance socioprofessionnelle et le vote.

 

  1. L’explication du vote par les variables démographiques.

Les analyses environnementales du vote prennent en compte trois types de variables : sociodémographique, socioéconomique, socioculturelle.

Exemple de variable de sociodémographique: le genre et l’âge.

Pendant longtemps on a constaté qu’en France les femmes votaient plus à droite que les hommes.

Ex : lors des 1ères élections du président de la république eu Suffrage Universel Direct (1965) 39% des femmes votent à droite contre 30% des hommes. Donc, la droite gaullienne à gagner grâce aux femmes.

Ces différences ont presque disparu aujourd’hui, ces différences sont de moins en moins importantes depuis 20 ans.

Exemple : lors des élections présidentielles de 1988 (second tour) 55 % des femmes ont voté en faveur de Mitterrand.

Depuis 1995, on n’a jamais noté d’écarts significatifs entre les genres. En 2002, 16 % des femmes et 16 % des hommes ont voté en faveur de Lionel Jospin au premier tour et 17 % des hommes et 22 % des femmes ont voté en faveur de Chirac. Il n’y a donc plus de détermination sexuée des comportements politiques.

La barrière de l’âge a cessé d’être significative en matière de comportement électoral. Pendant longtemps, il existait une corrélation entre l’âge et le choix du parti.

Exemple : plus on est vieux, plus on vote à droite.

En 1988 Chirac était majoritaire chez les plus de 65 ans. Alors que 70 % des 18-24 ans avaient voté Mitterrand et 63 % des 25-34 ans avaient voté pour Mitterrand.

Aujourd’hui il existe une atténuation de ce phénomène. Il y a notamment un balancier dans le comportement électoral des jeunes. Aujourd’hui, les jeunes ne votent pas plus à gauche que les autres catégories d’âge. Dans les années 1970/1980 les jeunes votaient majoritairement à gauche. Dans les années 1990 : il y eut un retournement : les jeunes votent plus à droite que la moyenne nationale. Depuis 2000 : ils votent plus à gauche voire à l’extrême gauche. Du fait de ce mouvement de balancier, il est difficile de parler « d’un vote jeune » (contrairement à avant).

 

  1. Les variables socioéconomiques

 

En France, l’un des clivages majeurs sur le plan électoral réside entre les travailleurs indépendants et les salariés.

Les travailleurs indépendants ont toujours majoritairement voté à droite ou au centre tandis que les salariés (surtout dans le domaine public) votent majoritairement à gauche.

De plus, la détention d’un patrimoine est un facteur prédictif du choix politique. Les propriétaires sont plutôt de droite, ceux qui n’ont rien sont de gauche. Le pourcentage de vote à droite augmente avec le nombre de propriétés détenues.

 

  1. Les variables socioculturelles

Elles prennent en compte le niveau d’instruction et l’appartenance religieuse.

– L’intérêt pour la politique et la propension à voter augmente avec le niveau d’études.

En revanche, il n’y a pas de lien entre le niveau de diplôme et la détermination politique du vote.

Moins les scrutins sont mobilisateurs, plus on trouve parmi les électeurs des gens qui ont fait des études.

Pour les élections cantonales, on a peu de gens qui votent mais il y a un noyau dur qui se compose majoritairement des gens qui ont fait des études. Ceux qui ont fait des études votent régulièrement aux présidentielles comme aux cantonales. Mais ils sont moins bien représentés aux élections présidentielles (car plus de gens votent).

Aujourd’hui, de plus en plus de personnes accèdent aux études supérieures. Cela devrait augmenter la participation aux élections.

– La variable la plus prédictive du vote est la pratique religieuse même si cela semble être paradoxal.

Ceux qui pratiquent une religion vont plus voter que les non pratiquants.

Cette variable a été évaluée à partir de la religion catholique. Or il existe beaucoup d’autres religions. Il existe quelques études sur la religion musulmane (il en résulte qu’il n’y a pas de vote musulman), des études sur le vote juif…

Les études électorales permettent d’établir d’importantes corrélations entre le vote (ou l’abstention ou les choix politiques) et de multiples variables sociologiques.

Cette corrélation montre bien que les comportements politiques sont conditionnés par de multiples facteurs sociaux contrairement à ce que postule la théorie de l’électeur rationnel. Mais ces observations ne sont que des constats et en rien des explications.

Ceci amène encore plus de questions. Se pose d’abord le problème du sens de la corrélation. Est-ce que le catholique pratiquant vote ? S’il vote, est-ce à droite ? Vote-il à droite parce qu’il va à la messe (modèle de Siegfried avec l’influence de l’église) ?

Beaucoup de variables énoncées précédemment se recoupent les unes les autres. Dans les années 1980, dire que les non diplômés, les ouvriers, les sans patrimoine votent à gauche, cela revient à dire 3 fois la même chose.

Ces variables ne sont pas en elle-même explicatives. Elles ne répondent pas à la question essentielle c’est-à-dire celle de savoir pourquoi les ouvriers votaient majoritairement à gauche. Il existe l’explication de l’entraînement des militants politiques dans les quartiers, mais il existe d’autres explications comme la famille ou le travail.

Jusqu’à une date récente, les partis politiques de gauche s’adressaient assez directement aux ouvriers, et avaient un programme destiné aux ouvriers.

Longtemps, la gauche a présenté des candidats auxquels les ouvriers pouvaient s’identifier (souvent le cas du parti communiste). Quand on est ouvrier, on est sensible au fait qu’un candidat vienne du milieu ouvrier.

Concernant l’identification, ce n’est pas tant les caractères objectifs qui comptent mais les caractères subjectifs. Ce qui compte c’est le sentiment d’appartenance à un groupe social.

Exemple : Bayrou joue sur ses origines rurales, cela donne l’image de quelqu’un qui fait les choses concrètement.

Exemple : Torez a écrit Fils du peuple

Le fait que des ouvriers ne se perçoivent pas comme des ouvriers explique que moins d’ouvriers votent à gauche.

Pour qu’il y ait un sentiment d’appartenance, il faut qu’il y ait des structures qui contribuent à le faire exister. En politique, ces structures sont les partis politiques.

Exemple : aux Etats-Unis, il n’y a pas moins d’ouvriers qu’en France et pourtant il n’y a jamais eu d’identification au groupe ouvrier car il n’y a jamais vraiment eu un parti représentant ce groupe là. L’origine ethnique prévaut sur le fait d’appartenir au groupe ouvrier.

En Europe, les structures ont longtemps favorisé le groupe ouvrier.

Ce qui compte ce ne sont pas les caractéristiques sociales objectives (niveau d’instruction, salaires, qualification professionnelle, patrimoine possédé) mais le sentiment subjectif d’appartenance à la classe ouvrière.

En effet, les enquêtes montrent que les ouvriers qui se sentent ouvriers ne votent absolument pas comme les ouvriers qu’ils ne se sentent pas ouvriers. Les ouvriers qui s’identifient votent surtout à gauche (encore aujourd’hui) alors que des ouvriers qui se sentent extérieurs à cette classe et qui pense appartenir à la classe moyenne votent plutôt à droite, voire à l’extrême droite.

Le sentiment subjectif d’appartenance à un groupe est plus important que les indicateurs d’appartenance objective à un groupe.

Ex : Le vote frontiste serait autant féminisé que masculinisé contrairement à ce que l’on dit car les femmes sont plus réticentes à avouer qu’elles votent front national (pas de déclarations ouvertes).

Si les femmes ont longtemps voté à droite, ce n’est pas du fait de leur sexe mais c’est sans doute car elles ne travaillaient pas et que leur statut de femme au foyer les prédisposait plus que des hommes à voter en faveur de partis politiques qui valorisaient la femme au foyer, la bonne mère de famille. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail explique le fait que le vote des femmes est devenu identique à celui des hommes.

La sociologie électorale doit non seulement rechercher à établir statistiquement les variables explicatives du vote mais elle doit aussi chercher à en donner l’explication (ce qui est plus compliqué). Les sondages permettent rarement de donner des explications. Pourquoi ? Car les sondages reposent sur du déclaratif. Or les électeurs ne disposent pas des clés de compréhension de leurs comportements électoraux (il faudrait constamment être en auto analyse de son comportement électoral).

De plus, dans les sondages, les réponses n’ont pas la même valeur. Certains prennent les sondages au sérieux, d’autres non.

 

Autre type d’approche sur le vote : l’approche anthropologique c’est-à-dire que le vote correspond à un rituel.

Les élections n’ont pas pour seule fonction de faire élire des candidats. Elle constitue une sorte de rite : le même jour, plein de gens vont faire le même geste (voter). C’est un immense rite à l’échelle de la nation. C’est un rite qui n’est pas sans produire des effets. Le premier effet est de produire un sentiment d’appartenance à la communauté nationale. C’est à la fois être reconnu comme un membre de la collectivité par les autres participants et une manière d’affirmer son appartenance à cette collectivité en participant. Cela contribue à faire exister la nation. Les élections constituent un épisode important dans le sentiment d’appartenance nationale.

Cela explique également une part de l’abstention, de la désertion des urnes (notamment de l’abstention de la jeunesse des quartiers populaires). Pourquoi ? Dans les quartiers populaires les jeunes sont souvent des Français d’origine étrangère et subissent des discriminations. Ils ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone.

Le fait de ne pas être un citoyen à part entière est un facteur explicatif de l’éloignement du comportement électoral.

Les jeunes peuvent adopter 2 réactions :

– une étude a montré que les jeunes Français d’origine étrangère tendent à voter autant (sinon plus) que la moyenne électorale (pour certaines élections). Il sur agissent, ils montrent qu’ils votent. C’est le « zèle électoral ».

– puisqu’on n’est pas accepté dans la communauté nationale, on se tient à l’écart des rites nationaux. On parle de « retournement de stigmate » c’est-à-dire le fait de dire que ce n’est pas la nation ou les politiques qui ne veulent pas d’eux mais c’est le contraire.

Stéphane Beaud dans Pays de malheur retranscrit une conversation qu’il a eue avec un homme d’origine étrangère. Celui-ci explique qu’au service militaire on regarde qui chante la marseillaise et qui fait semblant. Cela permet de faire un contrôle social.

Le cumul des explications permet de cerner un comportement électoral. Il faut donc éviter les explications simplistes.

 

  1. L’opinion publique et les sondages
  2. L’opinion publique et la légitime démocratique.

La démocratie est en théorie le gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple (Lincoln). L’opinion publique joue donc un rôle essentiel dans le jeu démocratique. En effet, le peuple est la source de légitimité de tout pouvoir. Son opinion doit être respectée et guider l’action publique. Une politique démocratique est donc une politique qui correspond à la volonté populaire. Elle est donc conforme à l’opinion publique c’est-à-dire à l’opinion du peuple souverain.

En démocratie, c’est l’opinion publique qui constitue le principe de légitimation par excellence. Une politique répondant aux attentes de l’opinion publique étant une politique légitime et inversement : une politique condamnée par l’opinion publique risque fortement d’apparaître comme illégitime.

Contenu de l’enjeu de l’opinion publique, de nombreuses questions se posent. L’opinion publique existe-t-elle vraiment ? Est-elle une construction artificielle ou un artefact social ?

Un artefact est le produit de la méthode d’enquête. C’est quelque chose qu’on croit être le réel mais qui est en fait une réaction liée à l’enquête.

L’artefact est le risque majeur de toutes les études de science sociale.

Ex : Quand on suit un candidat de très prés, il y a beaucoup de chances pour que le comportement de ce candidat soit différent du fait de notre présence. L’attitude du candidat est liée à notre présence.

Comment fait-on pour connaître l’opinion publique si elle existe ? Comment sait-on ce que veut l’opinion ? Qui est habilité à traduire cette volonté, donc de dire l’opinion ? Qui a le pouvoir de faire parler l’opinion ?

Pendant longtemps, ce sont les élus de la nation (les parlementaires) qui détenaient le monopole de l’expression de l’opinion publique. Seuls les députés (car ils sont élues au suffrage universel par le peuple) pouvaient prétendre parler au nom du peuple.

La presse à chercher à concurrencer les parlementaires, à se faire le porte-parole de l’opinion publique.

Les journaux ont cherché à se faire reconnaître comme des acteurs légitimes dans la compétition pour l’expression de l’opinion publique.

La manifestation de rue (naissance dans le milieu du XIXe siècle) est un répertoire politique organisé, conventionnel (contrairement aux émeutes).

Enfin, certaines organisations et partis politiques incarnent l’opinion publique à travers certaines manifestations qu’ils encadrent.

On peut dire que jusqu’au début des années 1960, il n’y avait pas en France une définition et un mode d’expression universellement reconnu de l’opinion publique mais un ensemble de définitions et de vastes expressions concurrentielles.

A la fin des années 1960, tout change car les instituts de sondage qui jouaient avant un rôle marginal s’imposent comme les seuls habilités à dire ce qu’est l’opinion publique. Une nouvelle croyance collective s’impose dans les années 1970: les sondages seraient une technique scientifique qui permettrait de faire parler le peuple, sans intermédiaire, sans passer par la presse, les élus, ou les partis politiques.

La technique des sondages n’a pas été inventée à cette époque. Elle fut inventée aux USA en 1935 par George Horace Gallup. Il parvient à démontrer l’efficacité de cette technique lors de la réélection du président Roosevelt en 1936. En effet une revue américaine célèbre annonçait la défaite de Roosevelt sur la base d’une consultation organisée auprès de citoyens américains (environ 2 500 000 citoyens). Gallup, sur la base d’un échantillon de 5000 citoyens seulement prévoit la réélection de Roosevelt. C’est à ce moment que commence la fascination pour les sondages.

En France, il faudra attendre 30 ans pour que les sondages s’instaurent dans la vie politique. Le premier institut de sondage l’IFOP créée en 1938 reste dans l’ombre pendant longtemps. Après la deuxième guerre mondiale, c’est le début de la reconnaissance des sondages notamment parce que l’on parvient grâce aux sondages à pronostiquer le résultat du référendum pour la création d’une assemblée constituante. Dès le début de leur reconnaissance, les sondages restent pourtant dans des secteurs marginaux. Ce n’est que 20 ans plus tard que les sondages s’imposeront véritablement dans le monde politique.

Ex : René Pleben commande secrètement dans les années 1950 un sondage sur la CED (communauté européenne de défense). Le secret est rompu et un scandale éclate dans la vie publique car la politique doit se faire qu’au Parlement. On retire au peuple la capacité de se prononcer sur les questions politiques. Sous toute la 4ème République les sondages sont tenus à l’écart. Les parlementaires ont le monopole de l’expression de l’opinion publique.

Le général de Gaulle est favorable à la diffusion des sondages qui lui donne une connaissance directe de l’opinion publique.

A partir de 1965 : les sondages connaissent un engouement dans la vie politique française. Lors de la première élection du président de république au suffrage universel direct, on assiste à une multiplication des sondages, qui sont commentés dans la presse.

France Soir, la veille de l’élection prévoit 43% des suffrages. Ce sera à peu près le résultat obtenu par le Général de Gaulle qui se retrouve en ballottage politique.

Au cours de cette période sont institués les différents instituts de sondage : SOFRES 1962, BVA 1970, IPSOS 1975, L. Harris 1977, CSA 1983.

C’est donc sur leur capacité à prévoir les élections que les instituts de sondage ont établi leur légitimité car c’est le seul moyen dont on dispose pour vérifier la validité des sondages. Cela explique pourquoi les instituts accordent une telle importance aux élections. Les sondages sur les élections permettent de légitimer les autres sondages (et inversement).

Exemple : pour les élections de 2002, tous les instituts (presque) se sont trompés. Même si globalement, ils ne se trompent pas trop.

Une certaine volatilité électorale se développe depuis 2002 ce qui rend le travail des sondeurs de plus en plus compliqué. De plus, beaucoup d’électeurs décident le jour même des élections pour qui ils vont voter.

Quelle est la force les sondages ?

  • prédire l’avenir
  • recourir à des techniques en apparence scientifique. Les sondages sont en quelque sorte l’alliance de la science et de la démocratie. On peut même dire que c’est la science qui est au service de la démocratie car le recours aux techniques scientifiques permettrait de connaître directement l’opinion publique.

Si l’on croit que les sondages permettent d’établir ce que pense et veut l’opinion alors il est assez logique de voir dans les sondages un facteur de renforcement de notre démocratie.

Ces sondages permettent de réaliser le vieux rêve de la démocratie directe : celui où la volonté des citoyens peut être connue à tout moment et donc peut être pris en compte à tout moment par le gouvernement.

C’est cette conception que défendent les partisans des sondages (dans les milieux de l’analyse électorale).

Exemple : Jérôme Jaffré…

Tous les journalistes croient en la capacité des sondages à prédire la vie politique. Cette croyance arrange les journalistes car grâce aux sondages ils ont acquis une place importante dans la vie politique.

Selon la plupart des politistes, sondeurs, journalistes, les sondages constituent des éléments de démocratisation de la société. Les sondages mettent au centre du jeu politique l’opinion et la volonté des citoyens. Les sondages permettraient aux citoyens d’intervenir dans la sélection des gouvernant, dans le contrôle du pouvoir, à imposer le respect de l’opposition.

 

– La sélection des gouvernants :

Les candidats aux élections sont désormais et toujours plus choisis en fonction de leur côte de popularité qui est établie par les sondages. Ce ne sont plus seulement les partis qui choisissent les futurs gouvernants mais ce sont les électeurs qui par leur préférence contribuent à exclure certains candidats de la vie politique.

Ex : la candidature de Ségolène Royal : sa candidature a été portée par les sondages. En effet, elle n’était pas soutenue sur le plan interne ce qui a conduit à l’ouverture du parti socialiste et de nouveaux citoyens sont venus la soutenir.

Si on considère que les sondages exprimés étaient vraiment l’opinion des Français alors la candidature sera plus légitime. Les sondages sont alors un élément de démocratisation.

Les sondages sont un moyen pour les Français d’imposer leur opinion, les partis politiques n’ont plus le monopole du choix du candidat. Cette évolution reste récente.

De la même façon, en éclairant les électeurs sur les rapports de forces entre les différents candidats, les sondages permettraient de mieux mesurer les effets de leur choix et donc de voter de façon plus utile et efficace.

Ex : la candidature de Bayrou fut le produit des sondages.

Les instituts de sondage ont refusé les pressions exercées par les deux grands partis sur la question du second tour. C’est dans ce contexte que les sondages ont introduit Bayrou. Il apparaissait comme le gagnant du second tour dans tous les cas alors qu’avant la question sur le second tour on disait qu’il ne gagnerait pas au premier tour. Les gens veulent voter pour Bayrou pour écarter Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy. Ils votent utile.

La connaissance de l’opinion publique et les cotes de popularité des candidats permettent voire autorisent les électeurs à voter utile.

Depuis le 19 mars dernier, les candidats ont le même temps d’antenne à la télévision. Ce qui est favorable aux petits candidats. C’est un risque pour les trois grands candidats de dispersion des voix.

 

– Le contrôle des gouvernants :

Les sondages permettent de faire connaître à tout moment les attentes et les réactions des citoyens (surtout en dehors des périodes électorales).

Les sondages permettent en quelque sorte d’organiser en permanence de multiples référendums sur de nombreuses questions (pour ou contre l’euro, pour ou contre l’ouverture des frontières…).

Cela oblige les gouvernants à prendre en compte la volonté populaire car ils peuvent difficilement mener des politiques majoritairement contraires à l’opinion publique.

Ainsi, les sondages permettent en quelque sorte un contrôle démocratique du pouvoir.

 

– Le respect de l’opposition :

Les sondages rappelleraient en permanence à la majorité qu’il existe une opposition, que l’ensemble des citoyens n’est pas d’accord avec les décisions adoptées.

Le sondage est comme un contre-pouvoir.

Dans cette perspective, les sondages sont bien un instrument efficace pour la réalisation d’une véritable démocratie d’opinion c’est-à-dire une démocratie dans laquelle l’opinion publique est au centre car elle inspire les politiques qui sont menées.

 

  1. La sociologie critique des sondages

La conception exposée précédemment n’est valable que si les sondages sont enregistrés fidèlement à l’opinion publique. Or, c’est ce que conteste la sociologie critique des sondages et pas seulement pour des raisons techniques (exemple : problèmes d’échantillonnage) ni même parce que la formulation des questions serait subjective.

(Problème de l’échantillonnage : des catégories socioprofessionnelles sont difficiles à atteindre par exemple il sera difficile d’avoir les 10 % de chômeurs dans l’échantillon alors qu’il sera très facile d’avoir les hauts fonctionnaires. Pourquoi ? Car beaucoup de chômeurs vont refuser de répondre aux sondages, et ceux qui répondront ne seront pas représentatifs).

 

La sociologie critique les sondages pour une raison plus fondamentale et radicale : l’opinion publique n’existe pas

Pierre Bourdieu au début des années 1970 et plus particulièrement dans sa conférence de 1972 intitulée « L’opinion publique n’existe pas » (retranscrite dans son livre Question de sociologie). L’opinion publique n’existe pas, et pour être plus précis elle est une création de ceux qui prétendent simplement l’enregistrer. Ce sont les instituts de sondage qui construisent une opinion qu’ils parviennent à imposer ensuite comme étant l’opinion publique. Ils font cela en toute bonne foi, ce qui les rend encore plus convaincant et efficace.

Ce que la sociologie critique cherche à montrer (dans le prolongement de l’article pionniers de Pierre Bourdieu) c’est que l’opinion publique est un artefact, une construction sociale artificielle produite par les instituts de sondage et diffusée dans l’opinion par les médias.

Patrick Champagne dans Faire l’opinion, le nouveau jeu politique

Loïc Blondiot Histoire sociale des sondages

Ces deux livre montrent que la démocratie participative a pour effet de renforcer l’autorité du pouvoir exécutif, renforcement du pouvoir d’un seul.

Bourdieu montre que les réunions qui donnent lieu à la démocratie participative, au bout de deux ou trois réunions il y a une baisse de la participation, il ne reste plus que les grands spécialistes.

 

Pourquoi l’opinion publique n’existe pas ? Car les enquêtes d’opinion construisent l’opinion publique de toutes pièces, elles créent l’opinion publique qu’elles prétendent enregistrer et cela dès la phase de la formulation des questions.

Les réponses aux questions dépendent pour une large part de la manière dont elles sont formulées.

 

Exemple : « Pensez-vous qu’aujourd’hui l’État s’oriente réellement vers un changement de politique concernant les économies d’énergie ? »

Si les réponses possibles sont OUI ou NON, on obtient 23 % de OUI.

Si les réponses sont OUI très sérieusement

                                     OUI mais prudemment

                                      OUI mais de façon ponctuelle

                                      OUI mais de façon incohérente

                                      NON

Dans ce cas, il y aura 66% de OUI.

Si on enlève le mot « réellement » dans la question et que les propositions sont OUI ou NON, on obtiendra 60 % de OUI au lieu de 23% : ont produit de l’artefact.

A partir de la même question, on peut dire que moins du ¼ des Français s’oriente vers un changement de politique concernant les économies d’énergie.

Soit que plus des 2/3 des Français pensent que l’État s’oriente vers un changement de politique concernant les économies d’énergie.

Des écarts aussi considérables suffisent à relever tout ce que l’opinion publique construite par les instituts de sondage peut avoir d’artificiel. Ce qu’on enregistre, ce sont des réactions à l’enquête et non pas les opinions qui existeraient en dehors de l’enquête et ce d’autant plus que les questions posées par les instituts de sondage ne sont pas celles que se posent les sondés car les sondés n’ont pas les mêmes préoccupations, ne se pose pas les mêmes questions. En réalité, ce sont les questions que se posent les politologues qui travaillent dans les instituts de sondage ou bien les questions que se posent les clients des sondeurs ou bien les questions que l’on se pose dans les champs politico médiatiques.

Les questions que l’on pose aux sondés sont des questions qui intéressent des gens intéressés par la politique. Or, par une curieuse inversion de la réalité, on dit « les Français veulent que… » « Les jeunes pensent que… ».

Ex : en janvier 2005, Chirac avait commandé un sondage. Résultat : « les Français veulent » un référendum pour la ratification constitutionnelle pour l’Europe.

Ce qui est curieux, c’est que les questions enregistrées sont censées représenter les questions de « monsieur tout le monde » alors qu’elles représentent les préoccupations des sondeurs et de leurs clients. Ceux-ci imposent leurs propres préoccupations, imposent les questions qu’ils jugent intéressantes en les présentant comme les préoccupations de la population.

Le fait de poser des questions aux individus qui ne se les posent pas, sur lesquelles ils n’ont pas d’avis, sur des questions qu’ils ne comprennent pas toujours, ou encore qu’ils comprennent de façon différente les uns des autres, pose un sérieux problème.

 

Exemple : « Faut-il réformer le régime des retraites ? » :

– Est-ce que ça a un sens de mélanger les réponses des jeunes de 18 ans (pas au courant du régime des retraites) et les réponses des personnes âgées (plus au courants car directement concernés) ?

– Est-ce que ça a un sens de mélanger les réponses de ceux que vivent des minima sociaux et de ceux qui touchent une bonne retraite ?

– Est-ce que ça a un sens de mélanger les réponses de ceux qui ont un avis précis sur la question et de ceux qui n’y ont jamais réfléchi et qui ont toutes les chances de répondre au hasard ?

– Est-ce que ça a un sens de mélanger les réponses de ceux qui pensent que réformer le régime des retraites signifie augmenter le montant des retraites et ceux qui pensent que réformer le régime des retraites signifie réduire le montant des retraites ?

– Est-ce que ça a un sens de mélanger les réponses de ceux qui pensent qu’il faut réformer le régime des retraites pour éviter l’introduction des fonds de pension en France et les réponses de ceux qui pensent qu’il faut faire une réforme pour favoriser l’introduction des fonds de pension ?

Ce mélange (cette agrémentation statistique) c’est précisément ce que font les enquêtes par sondage. Elles mettent dans les OUI des individus qui ont une opinion sur la question et ceux qui répondent au hasard, les individus concernés et d’autres non, des individus qui ont une interprétation opposée de la question etc… On créé alors l’illusion d’un consensus sur la question alors que les citoyens sont en fait divisés sur le contenu même de la réforme.

Ce qu’enregistrent les instituts de sondage, ce n’est pas l’opinion des sondés (ce serait beaucoup trop coûteux et compliqué, en effet, le seul moyen d’enregistrer les vraies opinions des Français passerait par l’utilisation de la question ouverte (pas de proposition de réponse)) mais ce sont les réponses que les sondés veulent bien donner aux questions que leur posent les enquêteurs. Questions auxquelles ils ne donnent peut-être pas le même sens que celui qui la pose et qu’ils ne comprennent pas forcément mais auxquelles ils répondent tout de même peut-être pour ne pas révéler l’ignorance ou leur désintérêt face à l’enquêteur. Les réponses sont en général, nombreuses y compris pour des réponses à des questions surprenantes voire aberrantes.

 

Exemple : dans un sondage la SOFRES posait la question « Croyez-vous que dans les prochaines années le nombre des incendies de forêt ira en augmentant ou en diminuant ? ». Seuls 13 % des personnes sondées étaient sans opinions.

S’il y a en général tant de réponses y compris à des questions absurdes ou incompréhensives c’est parce que les réponses qui sont demandés se limitent à la désignation de réponse pré codées (OUI, NON, sans opinion).

Si les sondeurs font tout pour rédiger leurs questions de manière à ce que n’importe qui puisse répondre quelque chose et donc ne pose que « des questions fermées » (questions dont les réponses sont formulées par l’enquêteur) de manière à réduire fortement le taux de non-réponse c’est parce que la valeur d’un sondage dépend du taux de réponses recueillies.

Mais cette technique précisément parce qu’elle permet aux sondés de répondre à des questions sur lesquelles ils n’ont pas d’opinion, qu’ils ne se posent pas, qu’ils ne comprennent peut-être pas, n’est sans doute pas la meilleure technique pour enregistrer l’opinion publique.

Exemple : dans un sondage, la SOFRES montre que 95 % des personnes interrogées lors d’une enquête ont une opinion sur le fait de savoir s’il faut alléger ou renforcer la réglementation concernant la protection de l’environnement. Or, dans ce même sondage, seulement 23 % de ces mêmes personnes déclarent connaître cette réglementation.

L’opinion publique des instituts de sondage apparaît d’autant plus comme une construction artificielle que les réponses font ensuite l’objet d’une interprétation par les politologues, experts, journalistes.

(Ce ne sont pas ceux qui réalisent les enquêtes commentent les résultats).

L’interprétation des résultats laisse une marge de manœuvre importante aux commentateurs et permet de conclure dans le sens désiré par eux et donc d’imposer leur propre définition des aspirations de l’opinion publique sous couvert d’une méthode apparemment objective et scientifique de faire prendre leur désir pour ceux de l’opinion publique. Souvent on peut faire dire des choses différentes voire contradictoires aux résultats d’un sondage d’opinion.

Exemple : un sondage réalisé par la SOFRES commenté par un journaliste du journal le monde est présenté sous le titre « l’inquiétude des Français s’accroît face à la construction de l’Europe ».

Le même jour, le journal libération commente le même sondage sous le titre « 2 Français sur 3 voient l’Europe en rose ».

Dans le journal Ouest-France, le lendemain le sondage est commenté sous le titre « Les Français : entre craintes et espoirs ».

Cet exemple montre que la phase du commentaire est donc importante.

Ce que montre la sociologie critique des sondages c’est que l’opinion publique que prétend enregistrer les sondeurs n’existe pas et n’est qu’une construction artificielle produite par les instituts de sondage.

Mais il faut également constater qu’à partir du moment où les instituts de sondage sont parvenu à faire croire (ils y croient eux même, il n’y a pas de manipulation) en la valeur scientifique de leur sondage. Ils font croire que c’est bien l’opinion publique qu’ils enregistrent. À partir de là dans une certaine mesure, cette opinion publique existe ( l’opinion publique est le produit de l’enquête, elle n’existait pas avant) car elle est devenue une réalité sociale dont il faut tenir compte car elle produit parfois des effets importants sur les opinions et les comportements, à commencer sur les opinions et comportements des hommes politiques puisque ceux-ci sont toujours plus obsédés par les sondages et que leur influence sur la campagne électorale n’a fait que s’accentuer au cours du temps. Ainsi, les côtes de popularité classent les candidats par ordre d’importance ce qui produit des effets en chaîne. Ainsi les sondages ouvrent les portes des plateaux télévisés, permettent aux candidats d’obtenir des prêts bancaires, les sondages cassent également des carrières politiques si un candidat n’est pas populaire dans les sondages…

De même, les termes de la campagne, du programme sont définis en fonction de la supposée opinion des Français avec un effet de renversement circulaire.

Si les sondages ont contribué à transformer les pratiques et le jeu politique on peut aussi se demander si la publication des intentions de vote modifie le comportement des électeurs.

Cette question a fait l’objet de multiples débats : juridique, politique, scientifique.

Une loi du 19 juillet 1977 interdisait la publication des sondages une semaine avant le vote. Cette interdiction était portée par l’idée que le sondage influençait les électeurs. Cette interdiction a contribué au prestige des sondages car cela revenait à prendre l’étude des sondages très au sérieux, à les instituer en mode quasi officiel de l’expression publique. La loi attribue aux sondages la capacité  d’influencer de façon déterminante le choix des électeurs.

De nouvelles dispositions sont prises en 2002 qui autorisent la publication des sondages électoraux jusqu’au vendredi soir qui précède l’élection. Pourquoi ? Car de plus en plus de gens modifient leur vote jusqu’au dernier moment. Plus du quart des citoyens décident dans l’isoloir.

Le sondage influe-il sur le vote ? On ne peut pas répondre à cette question de façon certaine. On a prêté aux sondages deux effets (en partie) contradictoires :

– celui de valoriser le candidat le mieux placé et donc de décourager l’électorat de ses adversaires

– ou au contraire celui de mobiliser l’électorat du candidat le moins bien placé et de démobiliser ceux qui paraissent assurés la victoire.

Les hommes politiques craignent donc les bons comme les mauvais sondages.

En réalité on ne sait pas vraiment quel effet a la publication des intentions de vote sur le comportement et le choix des électeurs.

 

Conclusion :

Il y a inévitablement un lien étroit entre la conception scientifique et politique que l’on peut avoir des sondages. Si on considère les sondages comme un instrument efficace permettant d’appréhender scientifiquement l’opinion publique alors on peut aussi les considérer comme un instrument efficace au service d’une démocratisation de la société (sorte de démocratie d’opinion qui permet des formes de démocratie indirecte).

Si au contraire on considère que les instituts de sondage construisent artificiellement ce qu’ils définissent comme l’opinion publique alors il y a tout lieu de se défier de cette production qui bien loin de renforcer la démocratie contribue à déposséder les hommes de leur véritable opinion ou absence d’opinion au profit d’une soi-disant opinion dont il est probable qu’elle s’inscrira pleinement dans l’idéologie dominante.

 

Chapitre 3. LES REGIMES POLITIQUES CONTEMPORAINS

La notion de régime politique recouvre essentiellement la sphère des institutions et des acteurs politiques donc le pouvoir législatif, exécutif et judiciaire mais aussi l’administration, les partis politiques, voire les groupes de pressions en les appréhendant tant dans leurs relations réciproques que dans leurs relations avec les gouvernés.

 

Introduction : qu’est-ce qu’un régime politique ?

Sous cette notion de régime politique, on désigne le mode de gouvernement d’une société c’est-à-dire en général les principes de légitimité sur lesquelles reposent le pouvoir politique, les modalités de la relation gouvernant/gouverné, la structure des institutions politiques, le système des partis etc…

Cette notion de régime politique permet aussi de situer les uns par rapport aux autres les modes de gouvernement étatique qui diffèrent entre eux tant du point de vue de leurs règles constitutionnelles que du point de vue de leur fonctionnement pratique, effectif. Ce second critère (pratique du régime) est d’ailleurs le plus important pour les politistes car un régime peut très bien avoir une forme constitutionnelle démocratique et dans les faits fonctionner comme un régime de dictature totalitaire (exemple : dans l’URSS de Staline, la constitution était formellement démocratique mais le régime était en pratique d’un des exemples les plus achevés la dictature totalitaire).

Si de nombreux types d’organisation politique ont existé au cours de l’histoire, les régimes politiques contemporains peuvent être ramenés à trois :

– le régime démocratique

– le régime totalitaire

– le régime autoritaire

Le critère qui permet de distinguer ces trois régimes est celui du degré de conscience s’exigé des gouvernés.

– les démocraties pluralistes légitiment les désaccords, les disensus

– les régimes autoritaires, eux, prohibent l’expression publique des désaccords

– les régimes totalitaires exigent de tous une adhésion enthousiaste à une idéologie unique.

 

  1. Les régimes autoritaires

En simplifiant, on peut dire qu’un régime autoritaire se reconnaît à deux éléments :

– les gouvernants ne soumettent pas réellement leur pouvoir au risque d’une compétition politique ouverte lors d’élections pluralistes.

– les régimes totalitaires ne tolèrent pas en général l’expression publique des désaccords.

Plusieurs éléments distinguent fondamentalement les régimes autoritaires de cette autre forme de régime politique : le régime totalitaire.

  • Le régime totalitaire opère une totale subversion des structures politiques et institutionnelles (voir économiques et sociales). Ce sont des régimes révolutionnaires.
  • Les régimes autoritaires, sont des régimes d’ordre qui laissent en place les appareils traditionnels à commencer par l’administration de l’Etat, de la police, de l’armée. Ce sont des régimes qui s’appuient sur les élites traditionnelles de l’État : les militaires, les hauts fonctionnaires…

A la différence des régimes totalitaires, les régimes autoritaires sont des dictatures politiques reposant en premier lieu sur l’appareil d’État traditionnel.

De même, alors que les régimes totalitaires exigent une adhésion sans faille et publiquement exhibée à leur idéologie, les régimes autoritaires, eux, se contentent d’une adhésion de façade, voire de l’indifférence généralisée de la population. Ceci est totalement impensable dans le régime totalitaire où ce genre d’attitude peut être considéré comme un délit.

 

  1. Les caractéristiques des régimes autoritaires
  2. Monolithisme politique

Le verrouillage des institutions est la première caractéristique de tout régime autoritaire.

 

– Une première manière d’opérer consiste à interdire purement et simplement toutes les activités politiques organisées : celle des partis politiques mais également celles d’autres organisations éventuelles (syndicats, associations de civiques, comités d’intellectuels). La conséquence d’une telle situation est bien entendu l’absence de toute consultation électorale. Pour être efficace cependant, une telle politique suppose l’inexistence dans la culture de la société concernée d’une forte tradition politique de participation.

Dans le cas contraire (dans les pays qui ont une tradition politique de participation) cela implique un climat de violence étatique susceptible d’intimider les opposants au régime. Ce genre de régime ne dure pas longtemps la plupart du temps, il n’existe aucune légitimité populaire.

Exemple : la Grèce des colonels (1967-1974)

 

– Une seconde manière d’opérer consiste à laisser subsister une vie politique mais à la contrôler étroitement par le biais par exemple d’un pseudo pluripartisme (élections avec de faux concurrents). Le pluripartisme est rependu dans les pays d’Amérique latine et dans certains pays d’Afrique.

Dans ce cadre-là, les élections ont lieu mais elles ne concernent pas le chef effectif du régime qu’il soit un monarque héréditaire (ex : le roi du Maroc) ou un chef investi d’un mandat à vie (ex : chef tunisien).

Si des élections ont effectivement pour objet le renouvellement du mandat des dirigeants, elles sont si étroitement contrôlées, voire truquées que l’issue du scrutin ne fait de doute pour personne. (Ex : les pays d’Afrique noire)

Pour assurer le maintien d’un régime autoritaire, il ne suffit pas d’interdire de manipuler les élections, il faut également contrôler entièrement l’appareil d’État en particulier l’armée et la police (pilier du pouvoir dans ce type de régime politique).

 

  1. Polycentrisme des pouvoirs et (relatif) pluralisme culturel

Polycentrisme : refus du pluralisme politique, de la concurrence

Si les régimes autoritaires sont monolithiques sur le terrain politique, ils s’accommodent d’un relatif pluralisme idéologique au sein de la société tant que ce pluralisme ne se déplace pas sur un terrain directement politique.

Cette différence est essentielle avec le régime totalitaire.

Le polycentrisme des pouvoirs se manifeste par exemple dans le fait que les régimes autoritaires d’Asie, Afrique ou Amérique latine laissent toute l’autonomie d’action dans les milieux financiers et industriels avec lesquels ils sont souvent liés par un pacte de soutien réciproque plus ou moins explicite.

Les régimes autoritaires contrôlent étroitement les informations et la communication en muselant la presse, la radio, la télé mais ils tolèrent un relatif pluralisme idéologique en faisant survivre une relative liberté d’expression, un certain pluralisme culturel dans des domaines qui n’entretiennent pas de rapport direct avec la politique (culture, religion…).

A la différence du totalitarisme, les régimes autoritaires n’ont pas une idéologie très élaborée à prétention révolutionnaire, ils n’ont pas l’ambition de transformer les croyances profondes mais seulement de maintenir l’ordre et en général (mais pas toujours) la tradition. En bref, ces régimes s’accommodent fort bien de l’apathie des masses et de l’indifférence bienveillante des élites, à l’opposé des régimes totalitaires qui reposent sur une mobilisation ultra encadrée des masses et qui exigent une adhésion « explicite et enthousiaste » au régime, à son idéologie révolutionnaire. Dans un tel cadre, toute forme de disensus est criminelle.

 

  1. La question de la violence physique

Les régimes autoritaires peuvent être très violents. Leur légitimité est souvent précaire et pour imposer leur pouvoir et pour faire face à l’émergence d’une opposition, les dirigeants ont souvent recours aux services d’une police politique (souvent choisie). Police politique dont l’action est complétée par une justice à un solde du régime. Les procès sont importants dans ce type de régime car ils découragent l’opposition

Exemple : Pinochet.

 

  1. La diversité des régimes autoritaires

Au-delà de ces aspects communs, les régimes autoritaires présentent une assez grande diversité dans l’espace et le temps.

Ainsi on trouve dans cette catégorie des sociétés dans lesquelles l’État n’est que faiblement institutionnalisé et où la distinction entre les ressources privées du détenteur du pouvoir et les ressources publiques n’est pas clairement établie. C’est le cas par exemple d’un certain nombre de monarchies du Golf où le prince concentre les pouvoirs institutionnels et n’est soumis à aucun contre pouvoir institutionnel. Il décide seul pour le pays et distribue de façon discrétionnaire des avantages (promotion) pour stimuler le loyalisme des fidèles.

Dans ce type de régime, les princes s’enrichissent de façon parfois considérable du seul fait que ce qui relève du budget de l’Etat est un peu confondu avec le porte monnaie des dirigeants.

A l’inverse, on met dans la catégorie des régimes autoritaires, des dictatures reposant sur de puissantes bureaucraties et donc sur des appareils étatiques très développés voire hypertrophiés.

Ex : dans l’URSS poste stalinienne,  ou la démocratie populaire de l’Allemagne de l’Est

Dans ces pays, un parti unique contrôlait l’ensemble des activités politiques officielles ainsi que l’attribution des charges et des emplois dans l’appareil d’État. Toutefois le dispositif de contrôle de la population au fil du temps s’est bureaucratisé et routinisé. On favorise un développement à la marge de certaines libertés individuelles et il s’est accompagné d’accommodements à l’égard de certaines forces sociales indépendantes comme les églises, un certain nombre d’intellectuels…

Cela a débouché en fin de régime sur l’émergence d’un certain pluralisme qu’on tolérait compte tenu de la compatibilité avec le régime.

Le pluralisme limité et le relâchement du dispositif de contrôle sur la société se différenciaient ces sociétés du fonctionnement du régime soviétique à l’époque stalinienne.

 

  1. Le totalitarisme

 

  1. Les usages politiques d’un concept

La notion de totalitarisme est née dans l’entre-deux-guerres mais c’est plus tard qu’elle s’est imposée comme catégorie d’analyse lors de la guerre froide sous l’influence d’intellectuels comme Hannah Arendt ou Raymond Aron.

La notion elle-même et sa définition ont été au cœur d’enjeux idéologiques importants. Cela s’explique par le fait que cette notion réunie dans un même ensemble le nazisme et le régime soviétique. On voit bien tous les usages qu’un tel rapprochement a pu permettre. Dans la période de la guerre froide en effet, cette notion permettait de dénoncer l’Union soviétique en insistant sur sa parenté avec le pire des régimes de l’histoire contemporaine : le nazisme. Ce rapprochement constituait une arme idéologique. Il était d’autant plus efficace que la gauche communiste en Europe avait combattu le fascisme et avait construit une grande part de sa popularité, de sa légitimité dans ce combat contre le fascisme.

Dans ce contexte, ce que la notion de totalitarisme permet de faire c’était de remettre en cause cette légitimité antifasciste des communistes en faisant des communistes une sorte de frère ennemi du nazisme.

De façon plus globale, cette notion permettait d’associer dans une même condamnation les adversaires de tout bord de la démocratie occidentale et du capitalisme libéral.

Cette notion de totalitarisme dans le prolongement de la guerre froide fait encore aujourd’hui l’objet d’usage politique et idéologique (même s’ils sont moins évidents qu’à l’époque). Ainsi certains auteurs affirment que tout projet révolutionnaire est porteur de totalitarisme, ce que confirmerait l’exemple de la révolution française avec l’épisode de la terreur.

Dans cette perspective certains historiens utilisent cette notion de totalitarisme pour délégitimer par avance toute remise en cause, tout fondement de notre société libérale, capitaliste. Débarrassée de ses usages politiques, la notion de totalitarisme et très utile car elle permet d’attirer l’attention sur un mode de fonctionnement politique commun à des sociétés qui peuvent sembler à première vue très différente car leur idéologie les oppose. C’est le cas par exemple du nazisme et du communisme.

 

  1. La domination totalitaire

Les régimes autoritaires se satisfont d’une certaine passivité de la population, accordent une certaine autonomie à ses acteurs notamment dans des domaines économiques et accordent un certain pluralisme (cf. précédemment).

Les régimes totalitaires en revanche n’ont pas pour seule ambition d’instaurer un monolithisme purement extérieur et une adhésion qui puisse être de façade.

L’ambition proclamée des régimes totalitaires est d’obtenir l’adhésion active et sans réserve de toute la population à leurs projets idéologiques. Ces régimes veulent produire un homme nouveau.

 

  1. La production d’un homme nouveau.

Dans ce but, les régimes totalitaires cherchent à imposer leur idéologie dans toute la société. Cette idéologie devient le principe de légitimation ultime de toutes les pratiques sociales qu’elles soient publiques ou privées. Plus aucun domaine d’activité n’est légitime en lui-même. Tout doit pouvoir être traduit et justifié dans les nouvelles normes idéologiques en vigueur. Il faut donner des preuves d’une adhésion enthousiaste à cette nouvelle idéologie. Toute forme de désaccord est criminalisée. C’est une permanente chasse aux ennemis supposés du régime. Dans un tel régime, il ne suffit pas de se taire, le dissentiment même passif est insupportable et doit être châtié.

Dans une telle société tout le monde est un coupable potentiel car tout le monde peut être accusé de ne pas être assez enthousiaste ou accusé de feindre l’enthousiasme.

Ce qui caractérise cette société c’est une peur diffuse, omniprésente. Ceci explique que dans ce régime toute forme de résistance est impossible, toute forme d’opposition même mineure est difficilement éprouvable.

 

  1. L’encadrement et la mobilisation de la population

Pour organiser un tel contrôle politique de la population, les techniques propres aux régimes autoritaires ne sont pas suffisantes. Pour assurer le contrôle et la diffusion idéologique, il faut une participation active de la population. Pour que le contrôle de la conformité politique soit total, l’œil du pouvoir doit se trouver dans tous les lieux de la vie et activités : travail, famille…. Il n’y a plus de distinction entre l’espace public et privé.

Cette situation se trouve réalisée car la domination totalitaire repose sur une mobilisation et une participation active et très encadrée d’une grande partie de la population elle-même : se sont des milliers d’adhérents au parti unique, des syndicats (soumis au pouvoir politique) et des organisations collatérale.

Cette domination est totale car elle s’appuie sur une population largement acquise au régime et activement engagée dans le triomphe de son idéologie.

C’est le « paradoxe totalitaire » : la population elle-même contribue à la mise en place du plus puissant système dictatorial qui puisse exister.

En effet, si aucune critique ou désaccord n’est possible et si on se sent obligé de donner des gages de fidélité au régime c’est parce que partout où il y a des représentants du pouvoir, des partisans du régime (lieu de travail, famille…).

Les régimes totalitaires sont également friands des organisations de jeunesse.

Ce type de régime encourage la délation politique (démasquer les ennemis).

Exemple : dans l’URSS de Staline, l’incitation à la délation est particulièrement puissante puisque lorsqu’une personne est était arrêtée pour ses opinions politiques, tout ceux qui l’avaient côtoyé et qui ne l’avaient pas dénoncé devenaient des complices et étaient poursuivis par le régime.

La dénonciation politique est payante pour sauver sa peau. Il vaut mieux dénoncer sans raison véritable plutôt que de risquer sa vie.

Le système totalitaire se caractérise donc par une participation active de la population. La domination ne devenant véritablement totalitaire que lorsque des individus évoluent sous la menace constante d’être dénoncés par leurs voisins, collègues, proches, parents comme opposants ou indifférents aux préceptes du régime.

 

  1. Le dispositif totalitaire

La domination totalitaire est le résultat d’un régime politique singulier qui permet cet encadrement et cette mobilisation de la population.

Plusieurs éléments essentiels caractérisent ce régime :

 

  1. Les organisations du mouvement

Les organisations de mouvement : ce sont dans les régimes totalitaires le parti unique mais aussi les syndicats, les organisations de loisirs, de jeunesse, les associations qui rassemblent des milliers d’individus. Ce sont des organisations satellites.

Elles constituent l’élément clé de tout dispositif totalitaire. Leurs fonctions sont essentielles : elles encadrent la population. Elles assurent l’éducation des masses qui célèbrent le culte du chef. Grâce à leurs ramifications sur l’ensemble du territoire et dans tous les lieux d’activité, ces organisations exercent un contrôle diffus sur l’ensemble de la population. Ces organisations ont une véritable capacité d’action. Elles se voient attribuer toutes sortes de prérogatives officielles y compris des prérogatives spécifiquement étatiques (ou régaliennes) (ex : rendre la justice) et également des taches policières. Cela fait référence aux organisations armées du parti qui sont des sortes de milices du régime.

On observe dans les régimes totalitaires une sorte de dédoublement entre les administrations étatiques traditionnelles et les instances partisanes. Cela provoque souvent une certaine confusion des organisations fonctionnelles qui autorisent l’exercice arbitraire du pouvoir.

Ces organisations jouent un rôle essentiel : elles imposent un contrôle de tous les instants de la population, ce sont elles, avec la police politique qui contribuent à imposer un climat de terrorisme idéologique politique et policier propres à ce régime.

 

  1. Le culte (exacerbé) du chef

Le chef totalitaire est plus qu’un simple dictateur, c’est le guide suprême, le fondateur, le visionnaire. Il incarne à lui seul l’État totalitaire, lui seul sait (il a quelque chose de l’ordre du divin), il ne se trompe jamais.

Comment une telle figure infaillible se constitue-t-elle ?

C’est le résultat d’une certaine configuration politique et technique de l’exercice du pouvoir :

Tout d’abord, une telle situation n’est possible que parce que toute critique, tout pluralisme a été supprimé.

Ex : des affiches disaient « Mussolini a toujours raison » : aucune voix ne peut mettre en doute l’affirmation.

A l’inverse, tous ceux qui sont autorisés à parler dans de telles sociétés sont contraints à répéter que « Mussolini a en effet toujours raison ».

Dans les sociétés totalitaires en effet, les discours publics débutent et se terminent toujours par une déclaration de foi dans le chef infaillible (déclaration de soumission). Ainsi se met en place un culte de la personnalité qui est orchestrée par le parti et les personnalités politiques. Ce culte prend souvent des proportions délirantes.

Il faut également remarquer que le pouvoir du chef totalitaire suppose que ne se constitue aucun autre centre de pouvoir politique autonome (sinon fin du caractère absolu du pouvoir). Pour parvenir à une telle situation, le chef totalitaire doit éliminer tous ses concurrents (réels ou présumés) et ne laisser dans les postes de responsabilité que des agents qui lui soient entièrement dévoués et fidèles. C’est pourquoi il existe souvent des éliminations assez violentes entre les concurrents.

Pour asseoir son autorité absolue sur l’administration (état major politico administratif) le chef totalitaire nomme dans les plus hautes charges des fidèles dont il attend qu’ils témoignent en permanence de leur fidélité, de leur adoration, de leur soumission. Il choisit des individus dépourvus de notoriété. Ceci présente un double avantage :

– aucune autonomie personnelle de ces hommes (pas de connaissances antérieures dans l’administration)

– ils sont d’autant plus reconnaissant au chef à qui ils doivent toute leur carrière et les charges qu’ils occupent. En échange ils attribuent au chef infaillible tous les mérites et notamment les mérites de leurs propres activités.

Par exemple, le président d’une entreprise publique qui vient de réaliser de gros bénéfices déclarera à la presse qu’il n’a fait que mettre en pratique les conseils du chef (exemple : Mussolini).

Deux conditions de sociologie essentielles permettent de comprendre la soumission complète de l’état-major politico administratif à l’égard du chef totalitaire :

Les membres de l’état-major n’ont aucun moyen de s’organiser face au chef tout-puissant. Ils ne peuvent pas se concerter, se réunir entre eux. Ils sont toujours seuls face au chef qui concentre tous les pouvoirs (le chef privilégie toujours le face-à-face).

Le chef les fait étroitement surveiller par la police politique qui est confiée au plus fidèle des fidèles du dictateur. Celui-ci prépare des dossiers sur les membres de l’État major. Les membres de l’état-major sont démunis face au chef (ils n’ont pas de ressources collectives) et ne tiennent leur légitimité à exercer du pouvoir que de l’appel du chef qui ne se trompe jamais. Dès lors, ils sont eux aussi entièrement dépendant du crédit de légitimité symbolique dont dispose le chef au sein de la population.

Dans une telle configuration, le chef totalitaire concentre donc au fur et à mesure toujours plus de pouvoirs : tous les postes clés sont attribués directement par lui à des hommes de confiance qui lui doivent tout et dont le destin est directement lié au sien. Destin que ces hommes et le parti orchestrent par le culte du chef infaillible qu’aucune voix ne peut critiquer.

Tout cela (toutes ces techniques politiques de pouvoir) ne signifie pas qu’il n’y ait pas un réel amour pour le chef parmi les fidèles mais également dans le pan entier de la population (l’histoire en a donné plusieurs preuves).

Cet amour se manifeste dans les scènes d’hystérie collective (exemple : dans les stades sportifs avec Hitler).

Pour comprendre la figure du chef totalitaire il faut faire intervenir des éléments de psychologie sociale. Par exemple, des phénomènes de transfert : le chef incarne dans cette optique le bon père infaillible (celui en qui croient les enfants).

Exemple : Staline était « le Petit père des peuples ».

Il faut faire appel à des éléments comme la satisfaction narcissique (c’est valorisant d’être dirigé par un surhomme, c’est également rassurant), identification, assimilation.

 

  1. Le monopole idéologique

Dans tous les systèmes totalitaires triomphe une conception unique de la vérité qui ne tolère ni les doutes ni les discussions et qui considère toutes les autres doctrines comme fausses, dangereuses, à éradiquer.

Cette cohérence formelle des idéologies totalitaires permet d’exiger l’obéissance absolue de tous et entamer la destruction des institutions socioculturelles, les religions, les philosophies au nom de leur fausseté.

 

  1. Le dispositif policier et concentrationnaire

Le flou des incriminations pénales en régime totalitaire est renforcé par cette catégorie spécifique aux régimes totalitaires : celle des ennemis ou coupables objectifs.

La terreur permanente est également une caractéristique de ce régime.

Tous ces éléments constituent les principaux leviers de la domination totale : de la base jusqu’au sommet personne n’est à l’abri d’une dénonciation pour sabotage objectif de l’entreprise révolutionnaire.

La catégorie des suspects se définit à travers la construction idéologique (exemple : les nazis font référence au complot judéo-maçonique).

Mais ces catégories sont floues et dans les régimes totalitaires, c’est la population entière qui tend à entrer dans la catégorie des suspects potentiels.

Tout le monde est susceptible de devenir un ennemi si bien que tous les observateurs ont remarqué qu’en période de paroxysme (défiance généralisée) l’hypertrophie (développement) de l’appareil policier tend à faire de chacun le délateur virtuel de son voisin.

L’institution typique du système totalitaire est le camp de concentration qui permet de faire disparaître en masse des individus suspects et de créer ainsi une pression permanente sur l’ensemble de la population. Ces camps ont été définis comme une sorte de laboratoire du totalitarisme (le plus exacerbé) qui crée les conditions d’une déshumanisation absolue des victimes et constitue la société la plus totalitaire jamais réalisée.

 

Isa Germain

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