Droit international : Partie 2 les conflits de juridiction

DROIT INTERNATIONAL PRIVÉ.

Partie 2 : les conflits de juridiction

Ceci est la deuxième partie du cours de droit international. La première partie est étudiée ici

  • Il y a 2 problèmes essentiels en droit international privé

Le conflit de juridiction se produit lorsqu’une situation juridique présentant un élément d’extranéité soulève la question de savoir quel tribunal est compétent pour connaître du litige. Il est distinct du conflit de lois (étudié sous ce lien), qui détermine la loi applicable.

Notions clés

  • Compétence internationale : Pouvoir d’un État d’exercer sa juridiction sur une situation juridique internationale.
  • Compétence directe : Compétence fondée sur un lien direct entre l’État et la situation juridique (ex : domicile du défendeur, lieu de situation de l’immeuble).
  • Compétence indirecte : Compétence fondée sur un lien indirect, souvent par le biais d’une clause attributive de juridiction.
  • Forum shopping : Pratique consistant à choisir le tribunal le plus favorable à ses intérêts.
  • Litispendance : Situation où plusieurs tribunaux sont saisis d’un même litige.
  • Connexité : Situation où plusieurs litiges sont liés entre eux et devraient être jugés par le même tribunal.

Principes généraux

  • Souveraineté des États : Chaque État est libre de déterminer les règles de compétence internationale de ses tribunaux.
  • Accès à la justice : Principe garantissant à chacun le droit de saisir un tribunal pour faire valoir ses droits.
  • Bonne administration de la justice :

Voici le plan du cours sur LA THÉORIE GÉNÉRALE DES CONFLITS DE JURIDICTION

  • 1. LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE DES JURIDICTIONS FRANCAISES
  • 1.1. LE DROIT COMMUNAUTAIRE, FONDÉ ESSENTIELLEMENT SUR LE RÈGLEMENT COMMUNAUTAIRE N° 44-2001 OU LE RÈGLEMENT DE BRUXELLES
  • A. LE CHAMP D’APPLICATION MATÉRIELLE DU RÈGLEMENT
  • a) La notion de matière civile et commerciale   b) Les matières exclues
  • B. LES RÈGLES DE COMPÉTENCE DU RÈGLEMENT N° 44-2001
  • a) Les compétences exclusives du règlement N° 44-2001
  • 1) Les compétences exclusives objectives de l’article 22 du règlement N° 44-2001
  • 1.1) Les hypothèses
  • 1.2) Le régime juridique de la compétence exclusive
  • 1.2.1) L’application
  • 1.2.2) La description
  • 2) Les compétences exclusives subjectives de l’article 23 du règlement N° 44-2001 ou les clauses attributives de juridiction
  • 2.1) Le régime juridique
  • 2.2) Les conditions
  • 2.2.1) Les conditions de forme
  • 2.2.2) Les conditions de fond
  • 2.3) Les effets de la clause
  • b) Le domicile du défendeur
  • 1) Les compétences protectrices des parties faibles
  • 1.1) La condition d’application
  • 1.2) La définition des « parties faibles »
  • 1.3) Le régime juridique
  • 2) Les articles 2 et suivants du règlement N° 44-2001
  • 2.1) L’article 5-1° du règlement N° 44-2001 : l’option de compétence en matière contractuelle
  • 2.1.1) La détermination de la matière contractuelle
  • 2.1.2) La détermination du tribunal compétent
  • 2.2) L’article 5-3° du règlement N° 44-2001 : l’option de compétence en matière délictuelle
  • 2.2.1) La détermination de la matière délictuelle et quasi-délictuelle
  • 2.2.2) La détermination du lieu du fait dommageable
  • c) Le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État tiers
  • 1.2. LES RÈGLES DE COMPÉTENCES ISSUES DU DROIT COMMUN FRANÇAIS
  • A. LES RÈGLES ORDINAIRES DE COMPÉTENCE
  • a) L’application des règles de compétences territoriales internes : l’application des règles du Code de Procédure Civile
  • b) Les règles de compétence purement internationales
  • c) La prorogation de compétence : les clauses attributives de compétence
  • B. LES RÈGLES DE COMPÉTENCE PRIVILÉGIÉES : LES ARTICLES 14 ET 15 DU CODE CIVIL
  • a) Le champ d’application des articles 14 et 15 du Code civil
  • 1) Le champ d’application ratione materiæ
  •  1.1) Le principe : l’interprétation large
  • 1.2) Les exceptions
  • 2) Le champ d’application ratione personæ
  • b) La renonciation au privilège de juridiction  1) Le caractère d’ordre public des articles 14 et 15 du Code civil ?   2) Les formes de renonciation
  • c) Le tribunal spécialement compétent
  • 2. LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS
  • 2.1. LE DROIT COMMUN FRANÇAIS
  • A. LA CONDITION PRINCIPALE : LA COMPÉTENCE DU JUGE D’ORIGINE
  • a) L’absence d’une compétence exclusive des juridictions françaises
  • b) L’existence d’un rattachement caractérisé
  • c) L’absence de fraude
  • B. LES DEUX AUTRES CONDITIONS ESSENTIELLES
  • a) La compétence de la loi appliquée   b) L’ordre public international
  • 2.2. LE DROIT DE L’UE
  • A. LE RÈGLEMENT N° 44-2001
  • a) Les règles de fond
  • 1) 1ère exclusion : l’inconciabilité des décisions    –   2) 2e exclusion : la compétence du juge d’origine  –  3) 3e exclusion : la reconnaissance manifestement contraire à l’ordre public international
  • b) Les règles de procédure
  • 1) La reconnaissance   2) L’exécution
  • B. LE TITRE EXÉCUTOIRE EUROPÉEN

CHAPITRE 1 : LA THÉORIE GÉNÉRALE DES CONFLITS DE LOI

Le CHAPITRE 1 DU COURS DE DIP est étudié sur ce lien. Il évoque les conflits de loi. Faisons ici un cours résumé : le Droit international privé régit les situations juridiques présentant un élément d’extranéité, c’est-à-dire impliquant plusieurs systèmes juridiques. La théorie générale du conflit de lois est au cœur du DIP, car elle détermine quelle loi nationale s’applique à une situation donnée.

Notions clés

  • Conflit de lois : Situation où plusieurs lois nationales pourraient potentiellement s’appliquer à une même relation juridique.
  • Règle de conflit de lois : Règle abstraite et indirecte qui désigne la loi applicable à une situation donnée en fonction d’un critère de rattachement (ex : nationalité, lieu de résidence, lieu de conclusion du contrat, etc.).
  • Critère de rattachement : Élément objectif permettant de relier une situation juridique à un système juridique déterminé.

Méthodes de résolution des conflits de lois

  • Méthode conflictualiste (ou indirecte) : La règle de conflit de lois désigne la loi applicable sans se prononcer sur le fond du droit. C’est la méthode dominante en DIP.
  • Méthode substantive (ou directe) : La règle de conflit de lois contient elle-même la solution au litige, sans renvoi à un autre système juridique. Cette méthode est plus rare.

CHAPITRE 2 : LA THÉORIE GÉNÉRALE DES CONFLITS DE JURIDICTION

  • Les conflits de juridictions posent 2 problématiques principales
    • 1ère problématique : lorsqu’il y a une situation à caractère international, non seulement faut-il savoir quelle est la loi applicable, mais encore faut-il vérifier en priorité si le juge français est compétent pour connaître de l’affaire
    • 2nde problématique : lorsque le juge français est reconnu compétent, mais qu’il doit tenir compte de décisions étrangères, quels peuvent être les effets de ces décisions en France ?

1. LA COMPÉTENCE INTERNATIONALE DES JURIDICTIONS FANCAISES

  • Il faut faire 3 remarques préliminaires
    • 1ère remarque : la plupart des règles de conflit de juridiction françaises sont d’origine communautaire
    • 2e remarque : chaque État va adopter sa propre réglementation dans la répartition des compétences de juridiction
      • NB : on étudiera seulement les règles de conflit françaises
    • 3e remarque : les règles de conflit de juridiction seront nécessairement unilatérales
      • En effet, le législateur français ne peut jamais conférer une compétence à une juridiction étrangère : en d’autres termes, il ne peut jamais donner d’ordre à un service public étranger
        • Les juges français n’ont pas vocation à régir tous les litiges à caractère international : or, il ne suffit pas d’appliquer simplement la théorie générale des conflits de loi pour vérifier la compétence effective du juge
          • En ce qui concerne la loi applicable, on recherche la loi qui a vocation à régir le litige en fonction de la nature du rapport de droit concerné
          • En ce qui concerne le juge compétent, il faut prendre en compte 2 considérations
            • 1ère considération : la bonne administration de la justice
              • Le souci de bonne administration de la justice est tout aussi présente dans les litiges internationaux que dans les affaires d’ordre interne, où l’on applique les règles de compétence territoriale (articles 42 et suivant Code de Procédure civile) : en effet, la justice est le mieux rendue là où les témoins peuvent être le mieux entendu, là où le défendeur a le plus facilement accès à la justice, etc.
            • 2nde considération : la sérénité de l’ordre public français
              • La justice est un service public français : or, le but de ce service public est de faire régner l’ordre au sein de la société française
                • Par conséquent, il faut que le litige mette en cause l’ordre au sein de la société française pour que le juge français soit compétent : dans le cas contraire, on détournerait en quelque sorte le juge de sa fonction
        • Ex. 2 époux argentins sont domiciliés en France ; l’épouse est entièrement dépendante de son mari économiquement ; le mari décide de quitter son épouse du jour au lendemain, ce qui la met dans une situation financièrement délicate ; l’épouse demande alors le divorce ; la loi applicable est celle commune aux époux, à savoir la loi argentine ; or, il n’est pas pertinent de donner la compétence au juge argentin au vu de la bonne administration de la justice
          • 1ère raison : la paix publique est troublée en France, puisque l’épouse va éventuellement saisir les organismes d’aide sociale français
          • 2e raison : les juridictions françaises sont les plus accessibles aux époux
          • 3e raison : les frais nécessaires pour saisir une juridiction argentine serait trop importants pour l’épouse en l’espèce, ce qui équivaudrait à un déni de justice

1.1. LE DROIT COMMUNAUTAIRE, FONDÉ ESSENTIELLEMENT SUR LE RÈGLEMENT COMMUNAUTAIRE N° 44-2001 OU LE RÈGLEMENT DE BRUXELLES

  • Les institutions communautaires se sont intéressées à la compétence juridictionnelle de manière assez précoce : ainsi, ont-elles adopté la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968
    • Toutefois, elle a été, pour sa plus grande partie, remplacée par le règlement communautaire N° 44-2001 du 22 décembre 2000 : c’est pourquoi on parle également de « règlement de Bruxelles »
      • La volonté présente dans ces 2 textes est d’unifier les règles de compétence entre les différents États-membres de l’Union européenne : en effet, on veut que les solutions aux litiges soient les mêmes, afin d’assurer aux mieux la libre circulation des biens, des services, des personnes et des capitaux
        • Or, cet instrument est souvent assez abstrait, car, comme toute harmonisation, il a dû faire l’objet d’un certain nombre de compromis : par conséquent, le texte soulève un certain nombre de problèmes d’interprétation
          • C’est la CJUE qui a la compétence d’interprétation : elle a eu un rôle fondamental dans l’évolution de la Convention de Bruxelles et du règlement de Bruxelles, voire un rôle précurseur, puisque ses solutions ont parfois été reprises dans certaines réformes
      • 1er mars 2002 : le règlement communautaire N° 44-2001 rentre en vigueur en et s’applique à toutes les actions intervenues postérieurement à cette date
        • Il s’agit d’un véritable texte de référence pour 2 raisons
          • 1ère raison : le champ d’application matérielle du règlement est considérable, puisqu’il recouvre la plupart des litiges civils et commerciaux
          • 2nde raison : il fonde certaines règles de compétence particulières qui ne sont pas connues en France

A. LE CHAMP D’APPLICATION MATÉRIELLE DU RÈGLEMENT

  • L’article 1er §1er du règlement N° 44-2001 précise que le règlement s’applique en matière civile et commerciale
    • Cependant, l’article 1er §2e du règlement N° 44-2001 exclut certaines matières particulières, car on n’a pas réussi à aboutir à un compromis dans celles-ci

a) La notion de matière civile et commerciale

  • Le champ d’application est extrêmement large, puisque l’article 1er §1er du règlement N° 44-2001 précise que le règlement s’applique en matière civile et commerciale
    • Toutefois, l’article 1er §1er du règlement N° 44-2001 indique également que l’on ne se retrouve pas en matière civile et commerciale face à des questions fiscales, douanières ou administratives : or, quelle est-il vraiment utile de distinguer le droit civil et commercial de ces matières, qui paraissent évidemment éloignées ?
      • Pour certains États-membres, où il n’existe pas de droit administratif mais uniquement un droit commun (ex. la Grande-Bretagne), cette précision est tout à fait pertinente
      • Pour les autres États-membres, où la distinction est faite en droit interne (ex. la France), cette précision n’est pas inintéressante, puisque les contours du droit civil et commercial peuvent être assez flous
        • Or, les contours vont être interprétés par l’autorité compétente à apprécier le règlement, à savoir la CJUE
          • 14 octobre 1976 : l’arrêt de principe « LTU CONTRE EUROCONTRÔLE » de la CJUE est le premier arrêt sur la notion de matière civile et commerciale
            • La compagnie aérienne LTU se voit réclamer par EUROCONTRÔLE des redevances d’atterrissage ; LUT ne veut pas payer ; EUROCONTRÔLE obtient néanmoins un jugement de condamnation auprès des juridictions belges ; LUT exerce les voies de recours en Belgique ; il considère que le juge belge, qui s’était fondé sur la Convention de Bruxelles, n’était pas compétent, parce qu’en l’occurrence la Convention de Bruxelles était exclue, étant donné que l’on était pas en matière civile ou commerciale ; les juges belges posent une question préjudicielle à la CJUE
            • La CJUE donne 2 indications essentielles de raisonnement
              • 1ère indication : la notion de matière civile et commerciale est autonome
                • 1ère conséquence : il ne faut, pour interpréter la notion civile et commerciale, jamais se référer à un quelconque droit d’un État-membre
                  • La notion de la Convention de Bruxelles lui est propre : elle forme une sorte de notion communautaire transcendant les droits nationaux des États-membres
                • 2nde conséquence : la notion ressort d’une interprétation systémique (càd, une interprétation relative à un système pris dans son ensemble) qui tient compte de 2 éléments
                  • 1er élément : les objectifs de la Convention de Bruxelles
                  • 2nd élément : les principes généraux qui se dégagent de l’ensemble des droits des États-membres
              • 2nde indication : on ressort de la matière civile et commerciale à chaque fois qu’une autorité publique, exerçant une prérogative de puissance publique, intervient
                • Lorsque 2 conditions cumulatives sont donc réunies, on ne se situe plus en matière civile ou commerciale
                  • 1ère condition : l’intervention d’une autorité publique
                  • 2nde condition : l’exercice d’une prérogative de puissance publique
                • En l’espèce, la question ne relève pas de la matière civile et commerciale, et par conséquent, ne relève pas de la Convention de Bruxelles, puisqu’il y a 2 manifestations de l’intervention d’une autorité publique agissant dans l’exercice de la puissance publique
                  • 1ère manifestation : l’EUROCONTRÔLE fixe unilatéralement les redevances (sans concertation avec les compagnies aériennes)
                  • 2nde manifestation : l’utilisation du service d’EUROCONTRÔLE était obligatoire et exclusive
          • 14 novembre 2002 : l’arrêt de la CJUE confirme cette jurisprudence constante
          • 14 janvier 2004 : l’arrêt de la CJUE confirme que la 1ère condition et 2nde condition sont bien cumulatives
            • Un organisme s’occupant de problèmes sociaux verse une aide à un étudiant pour qu’il puisse poursuivre sa formation professionnelle ; cet organisme est une émanation de la collectivité territoriale allemande, à savoir la Land Bavière ; en l’occurrence, l’étudiant en cause était créancier d’aliments à l’égard d’une autre personne ; or, le débiteur d’aliments ne s’acquittait pas de ses obligations ; par conséquent, la collectivité territoriale intente une action récursoire contre le débiteur d’aliments, car celle-ci a dû verser l’aide précisément en raison de l’inexécution des obligations de ce dernier ; le défendeur considère que l’on n’est pas en matière civile ou commerciale, puisque l’organisme public lui réclame l’argent ; les juges posent une question préjudicielle
            • La CJUE considère que l’on est en matière civile et commerciale, malgré que le demandeur soit une personne publique, car l’action récursoire exercée est fondée sur le droit commun (et non sur une prérogative de puissance publique)

b) Les matières exclues

  • L’article 1er §2e du règlement N° 44-2001 énumère les questions exclues
    • 1ère exclusion : l’état et la capacité des personnes physiques
    • 2e exclusion : les problèmes qui ont trait aux régimes matrimoniaux, testamentaires et de succession
    • 3e exclusion : les faillites, les concordats et toutes les procédures analogues (de faillite)
    • 4e exclusion : les problèmes liés à la sécurité sociale
    • 5e exclusion : les problèmes d’arbitrage
  • Comment justifier l’exclusion de ces différents éléments ?
    • En ce qui concerne la 1ère exclusion et 2e exclusion, on peut relever 3 justifications
      • 1ère justification : les États considéraient, lors de la conclusion de la convention de Bruxelles du 27 septembre 1968, qu’il s’agissait de matières sensibles, dont ils ne voulaient pas perdre leur compétence juridictionnelle
      • 2e justification : les règles pratiquées dans ces matières étant très différentes d’un État à l’autre, aucun compromis n’aurait été possible
      • 3e justification : la construction européenne a été fondée, pendant longtemps, sur des considérations essentiellement économiques (qui ne concernent donc pas ces matières)
    • En ce qui concerne la 3e exclusion, la justification se trouve dans une convention internationale spécifique aux questions de faillite qui était déjà en travaux à l’époque
      • Or, le règlement communautaire N° 1346-2000 relatif à ces questions de faillite n’est adopté qu’en 2000
    • En ce qui concerne la 4e exclusion, la justification se trouve dans la nature trop spécifique de la sécurité sociale : en effet, il s’agit d’un droit hybride que l’on n’arrive pas à classer même en droit interne (que ce soit dans le droit civil ou commercial, ou en dehors de ceux-ci)
    • En ce qui concerne la 5e exclusion, on ne voulait pas rajouter une couche à la Convention de New York du 10 juin 1958 relative aux problèmes d’arbitrage, qui était tout à fait satisfaisante, d’autant plus que tous États-membres de l’époque avaient déjà signé cette convention
  • Comment définir exactement les différents domaines ?
    • En effet, certains domaines sont difficiles à délimiter même en droit interne : ex. le régime matrimonial
      • C’est à nouveau la CJUE qui se charge de préciser les contours
        • 27 mars 1979 : l’arrêt « DE CAVEL » de la CJUE en est une illustration
          • La séparation des époux DE CAVEL s’est très mal passée ; l’épouse avait notamment pris l’initiative de prendre des mesures de sauvegarde préventive de la justice (ex. des mesures de scellées et des saisies sur les biens de l’époux) ; l’époux a contesté la compétence des juridictions qui avaient ordonné les mesures provisoires en cause, car la Convention de Bruxelles n’avait pas vocation à s’appliquer, selon lui, étant donné que l’on était en présence d’un divorce relatif au régime matrimonial et la capacité des personnes ; toutefois, l’épouse considère qu’il faut uniquement tenir compte de la nature des mesures, qui est seulement d’ordre civil ; cependant, le mari considérait que ces mesures étaient seulement accessoires à la procédure de divorce en question ; les juges posent une question préjudicielle
          • La CJUE considère, étant donné que ces mesures ont été prises à l’occasion d’un divorce et sont étroitement liées à la liquidation des rapports patrimoniaux des époux, que l’on se trouve nécessairement en dehors du champ d’application de la Convention de Bruxelles : en effet, la règle générale veut que l’accessoire suive le principal

B. LES RÈGLES DE COMPÉTENCE DU RÈGLEMENT N° 44-2001

  • On se posera uniquement la question de savoir si le juge français peut s’estimer compétent
  • Le domicile du défendeur va être la notion pivot au sein du règlement N° 44-2001 : en effet, il est au centre de 2 règles essentielles
    • 1ère règle : le règlement N° 44-2001 est applicable dès lors que le défendeur a son domicile sur le territoire d’un État-membre
    • 2nde règle (article 2e du règlement N° 44-2001) : les tribunaux dans lequel se trouve le domicile du défendeur sont compétents
      • L’article 42 du Code de Procédure civile pose le même principe en droit interne
  • Cet élément de localisation présente 2 caractères particuliers
    • 1ère caractère : il s’agit d’un critère complètement objectif
    • 2nd caractère : il tient compte de l’intégration, au sens économique du terme, d’une personne dans un État-membre
      • 1ère conséquence : la nationalité des personnes concernées est totalement indifférente
      • 2nde conséquence : les personnes privées ou publiques sont considérées avant tout comme des agents économiques
  • Il existe néanmoins des règles dérogatoires qui sont toujours appliquées prioritairement aux règles du domicile du défendeur : les règles de compétence exclusives sont en réalité doublement dérogatoires
    • 1ère dérogation : elles s’appliquent sans considération du domicile du défendeur
    • 2nde dérogation : la compétence des tribunaux est déterminée sans considération du domicile du défendeur

a) Les compétences exclusives du règlement N° 44-2001

  • Il y a 2 types de règle de compétence exclusive
    • L’article 22 du règlement N° 44-2001 régit les compétences exclusives objectives
    • L’article 23 du règlement N° 44-2001 régit les compétences exclusives subjectives (qui prennent la forme de clauses attributives de juridiction)

1) Les compétences exclusives objectives de l’article 22 du règlement N° 44-2001

1.1) Les hypothèses

  • Il y a 5 matières de compétence exclusive
    • Pour les droits réels immobiliers et les droits réels de baux d’immeubles, la compétence appartient au tribunal de l’État-membre sur le territoire duquel l’immeuble est situé
      • 1ère remarque : cette règle est compréhensible et se justifie facilement, puisque le juge le plus proche de l’immeuble est le mieux à même pour rendre la justice (ex. pour se rendre sur place)
      • 2nde remarque : cette règle est unanimement reconnue dans la quasi-totalité des systèmes juridiques (ex. l’article 44 du Code de Procédure civile prévoit que le TGI est compétent dans le lieu de situation de l’immeuble)
    • Pour la validité, nullité ou dissolution des sociétés ou des personnes morales, ainsi que la validité des décisions rendues par les organes des sociétés ou des personnes morales, la compétence appartient au tribunal de l’État-membre sur le territoire duquel leur siège est situé
      • Cette règle se justifie moins, mais c’est néanmoins la conception anglo-saxonne qui a été retenue
    • Pour la validité des inscriptions sur les registres publiques (ex. les registres de l’état civil), la compétence appartient au tribunal de l’État-membre sur le territoire duquel ces registres sont tenus
    • Pour les inscriptions ou la validité des brevets, marques, dessins, modèles, ou plus généralement, de toute propriété intellectuelle, la compétence appartient au tribunal de l’État-membre sur le territoire duquel le dépôt ou l’enregistrement a été demandé ou effectué
    • Pour l’exécution des décisions, la compétence appartient au tribunal de l’État-membre sur le territoire duquel l’exécution a lieu

1.2) Le régime juridique de la compétence exclusive

1.2.1) L’application

  • Formellement, il faudrait distinguer à chaque fois 2 étapes pour connaître exactement quel tribunal est compétent
    • 1ère étape : la compétence générale est accordée au tribunal d’un État-membre en vertu du règlement N° 44-2001 (voir 1.1) Les hypothèses)
    • 2nde étape : la compétence spéciale est accordée à un tribunal spécifique (ex. le TGI de Strasbourg, le TGI de Marseille, etc.) en vertu des règles de compétence internes (càd, en France, selon le Code de Procédure civile)
  • Dans la plupart des cas, on retient le tribunal du lieu de situation de l’immeuble
  • En toute hypothèse, les compétences exclusives permettent uniquement de donner la compétence à un tribunal d’un État-membre : en aucun cas, ne peuvent-elles désigner la compétence d’un tribunal d’un État tiers
    • Ainsi, lorsque l’on ne se situe pas dans une hypothèse de compétence exclusive, le juge a 2 choix
      • 1ère possibilité : le juge français se déclare incompétent
        • Ex. si l’immeuble se situe en Australie, les juges français ne peuvent pas désigner les tribunaux australiens comme compétents, mais peuvent seulement se déclarer incompétents : il reviendra aux tribunaux australiens de se prononcer sur leur compétence
          • NB : il s’agit d’un problème théorique, car en pratique, on saisit toujours le tribunal du lieu de situation de l’immeuble
      • 2nde possibilité : le juge français applique les autres règles de compétence pour voir s’il est compétent

1.2.2) La description

  • La compétence exclusive signifie qu’aucune autre juridiction ne peut être compétente : cette exclusivité est très protégée
    • 1ère protection : l’exclusivité est une règle impérative
      • Par conséquent, les parties ne peuvent pas se mettre d’accord pour porter atteinte à l’exclusivité (notamment par des clauses attributives de juridictions)
    • 2nde protection : lorsqu’un juge, autre que celui qui est visé par la compétence exclusive, est saisi, il faut distinguer 2 cas
      • En principe, l’article 25 du règlement N° 44-2001 prévoit que « le juge doit se déclarer incompétent, au besoin, d’office »
        • NB : cette règle est très importante, car dans beaucoup de pays de l’Union européenne, le juge n’a pas le pouvoir de relever d’office une règle de droit qui n’a pas été soulevée devant lui par un plaideur
      • En matière de baux d’immeubles conclus en vue d’un usage personnel et temporaire (càd, pour une période maximum de 6 mois consécutifs), l’article 22 §1 (alinéa 2) du règlement N° 44-2001 prévoit que le juge de l’État-membre sur le territoire duquel le défendeur est domicilié est également compétent, sous condition que le locataire soit une personne physique et que le locataire et le propriétaire soient domiciliés dans le même État-membre
        • 15 janvier 1985 : l’arrêt « ROSLER » de la CJUE est à l’origine de cette exception
          • La Convention de Bruxelles prévoyait la compétence exclusive pour les tribunaux du lieu de situation de l’immeuble ; un allemande, M. ROSLER, part en vacances en Italie et loue son chalet en Allemagne ; le locataire est également allemand et domicilié en Allemagne ; or, celui-ci a provoqué des dégâts considérables dans le chalet ; le propriétaire saisit les juridictions allemandes ; celles-ci s’estiment incompétentes, car il y a une compétence exclusive des juridictions italiennes ; le propriétaire fait appel à la décision ; les Cours d’appel vont formuler une question préjudicielle
          • La CJUE déclare que seules les juridictions italiennes sont compétentes, car la Convention de Bruxelles ne prévoit pas d’exception, mais fait aussi remarquer que cette solution est inopportune : cette exception a donc été introduite par la réforme de la Convention de Bruxelles

2) Les compétences exclusives subjectives de l’article 23 du règlement N° 44-2001 ou les clauses attributives de juridiction

2.1) Le régime juridique

  • L’article 23 du règlement N° 44-2001 indique que les clauses attributives de juridictions, par lesquelles les parties au litige ont elles-mêmes convenu de la compétence d’un juge particulier, désignent une compétence exclusive : ainsi, seul le juge désigné par les parties pourra se prononcer sur le litige en cause
    • NB : la Convention de Bruxelles ne prévoyait pas cette règle
  • La clause attributive de juridiction est très importante, car elle permet d’éviter toute discussion quant au juge compétent : cette prévisibilité constitue une sécurité juridique, qui est particulièrement intéressante dans le commerce international
    • Par conséquent, on assouplit le régime de ces clauses, afin de le favoriser
      • 1ère souplesse : du moment où l’une des parties est domiciliée sur le territoire d’un État-membre, qu’il s’agisse du défendeur ou du demandeur, la disposition va jouer
      • 2e souplesse : les parties peuvent prévoir la compétence d’une ou de plusieurs juges
        • Ex. les parties peuvent prévoir tout simplement que « les juridictions françaises seront compétentes »
      • 3e souplesse : les conditions sont très souples (voir ci-dessous)

2.2) Les conditions

  • Il faut nécessairement que la situation en cause soit une situation à caractère international : l’article 23 du règlement N° 44-2001 précise clairement que si tous les éléments du litige sont localisés dans un État-membre, il faut appliquer les règles nationales
    • Pendant longtemps, il y avait une pratique consistant à désigner la compétence d’un tribunal étranger par une clause attributive de juridiction, alors que le litige était purement national : ex. même si les parties au contrat de vente de marchandises étaient français, que les marchandises étaient situées en France et qu’elles devaient être livrées en France, les parties tentaient souvent « d’internationaliser » le litige

2.2.1) Les conditions de forme

  • On veut permettre la plus grande souplesse possible, pour éviter de dissuader l’utilisation de clauses attributives de juridiction, tout en préservant la sécurité juridique
  • La clause attributive de juridiction peut avoir 5 formes
    • Une forme écrite (liste non exhaustive)
      • Une clause écrite inscrite dans un contrat
      • Un contrat en tant que tel
      • Un renvoi à des conditions générales de ventes, dans lesquelles se trouve une clause attributive de juridiction
    • Une convention verbale avec une confirmation écrite : cette « confirmation écrite » ne nécessite pas un accord écrit entre les parties (puisqu’il serait redondant avec la forme écrite), mais il suffit que l’une quelconque des parties confirme cet accord verbal, qu’il envoie la confirmation à l’autre partie et que cette dernière ne la conteste pas
      • 14 décembre 1976 : l’arrêt « SEGOURA » de la CJUE soumet cette forme à 2 conditions
        • L’accord doit être exprès : l’accord verbal doit expressément désigner une juridiction
        • L’accord doit être spécial : l’accord verbal doit uniquement porter sur la prorogation de compétence
    • Une forme conforme aux habitudes que les parties ont établies entre elles : ex. lorsque 2 parties effectuent des accords par fax, télex, internet, voie orale, etc. dans une relation habituelle et continue d’affaire, il est inutile de prévoir la clause attributive de juridiction dans chaque accord
      • L’expression est volontairement vague, afin de donner une dose de souplesse : on crée une notion standard qui doit être interprétée par les juges de chaque État et la CJUE
    • Une forme conforme à un usage dont les parties avaient connaissance ou étaient censées avoir connaissance et qui est largement connues et régulièrement observées dans ce type de commerce par les parties à des contrats de même type dans la branche commercial considéré : les rédacteurs du règlement N° 44-2001 n’édictent pas véritablement de règle ici, mais opèrent un renvoi aux usages du commerce international
      • NB : cette forme est uniquement applicable dans le domaine du commerce international
    • Toute transmission par voie électronique qui consigne durablement la convention : l’article 23 §2 du règlement N° 44-2001 précise qu’une telle transmission est réputée revêtir une forme écrite

2.2.2) Les conditions de fond

  • Il n’y a qu’une seule condition de fond : la clause attributive de juridiction doit être prévue pour un litige ou un contrat précis
    • On veut éviter qu’une partie faible économiquement soit liée par une clause ad vitam eternam (càd, « à vie éternelle »)
  • L’article 23 du règlement N° 44-2001 précise bien que le tribunal choisi n’a pas besoin d’avoir de lien avec le contrat, les parties, voire le litige

2.3) Les effets de la clause

  • Le tribunal qui est choisi est exclusivement compétent : aucun autre tribunal ne pourra se considérer comme compétent
    • Toutefois, est-ce que la clause attributive de juridiction peut quand même produire effet, lorsqu’une partie conteste sa validité (notamment pour raison de violence, erreur, ou dol) ?
      • 3 juillet 1997 : l’arrêt « BENINCASA » de la CJUE pose une solution pragmatique, afin de d’éviter les recours dilatoires, en déclarant que la clause attributive de juridiction produit néanmoins effet tant que sa nullité n’est pas prononcée
  • En principe, une partie au moins doit être domiciliée dans un État-membre, afin que l’on puisse appliquer le règlement N° 44-2001
  • Lorsque aucune des parties est domiciliée dans un État-membre, on ne se trouve plus en principe dans le champ d’application du règlement N° 44-2001 : il faudrait donc appliquer le droit de l’État-membre
    • Toutefois, le règlement N° 44-2001 prévoit ici une exception, en déclarant qu’aucun tribunal d’un autre État-membre peut connaître de la question, tant que le tribunal désigné n’a pas décliné sa compétence : en effet, si l’on renvoyait systématiquement aux règles de droit commun, la clause serait pratiquement toujours annulée

b) Le domicile du défendeur

  • Lorsque aucune compétence exclusive n’est applicable, encore faut-il voir si le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État-membre : si c’est le cas, l’article 3 du règlement N° 44-2001 prévoit que toutes les règles de compétences exorbitantes de droit commun de chaque État-membre sont exclues
    • On accorde ainsi une grande sécurité juridique au défendeur (domicilié dans un État-membre), puisqu’il est certain de pouvoir toujours se fier aux règles figurant dans le règlement N° 44-2001 : or, 2 types de règles de compétence vont s’imposer
      • 1er type : les règles de compétence destinées à protéger les parties faibles à un contrat international
      • 2nd type (articles 2 et suivants du règlement N° 44-2001) : les règles de compétence qui prennent directement en cause le domicile du défendeur

1) Les compétences protectrices des parties faibles

1.1) La condition d’application

  • Le §2 sections 3, 4 et 5 du règlement N° 44-2001 régissent les règles de compétence protectrice des parties faibles
    • En principe, il faut que le défendeur soit domicilié sur le territoire d’un État-membre pour que ces compétences protectrices s’appliquent : à défaut, on applique le droit commun de chaque État-membre
    • Lorsqu’une société, ayant son siège social sur le territoire d’un État tiers, possède néanmoins une succursale ou un établissement sur le territoire d’un État-membre, la jurisprudence « GARES PRINCIPALES » prévoit, par exception, que les règles protectrices d’une partie faible peuvent aussi jouer

1.2) La définition des « parties faibles »

  • Le règlement N° 44-2001 prévoit 3 catégories de parties faibles
    • 1ère catégorie : l’assuré
    • 2e catégorie : le consommateur
    • 3e catégorie (apparue avec le règlement N° 44-2001) : le travailleur
  • Le règlement N° 44-2001 ne définit, toutefois, pas ces parties faibles
    • L’article 15§1er règlement N° 44-2001 n’ébauche q’une vague définition du consommateur : « Une personne qui a contracté pour un usage pouvant être considéré comme étranger à son activité professionnelle. »
      • En revanche, la CJUE a beaucoup précisé la notion de consommateur, car il y a eu beaucoup de contentieux à ce sujet
        • 1ère précision : une personne peut ne pas être un consommateur même s’il n’est pas un spécialiste dans le domaine concerné
          • 19 janvier 1993 : la CJUE considère qu’un boucher, achetant un système d’alarme pour les besoins de son commerce, n’agit pas en tant que consommateur
        • 2e précision : une personne non-commerçante, mais qui conclut un contrat afin de préparer l’ouverture de son commerce, n’est pas un consommateur
          • 3 juillet 1997 : l’arrêt « BENINCASA » de la CJUE fait une interprétation stricte des règles, en déclarant que « le régime protecteur des parties faibles concerne uniquement les contrats conclus indépendamment de toute activité professionnelle »
        • 3e précision : une personne, qui conclut un acte de nature mixte (càd, en partie privée et en partie professionnelle), n’est pas un consommateur
          • 20 janvier 2005 : l’arrêt « JOHAN GRÜBER » la CJUE fait une interprétation stricte des règles, en déclarant que « la nature professionnelle prime toujours, sauf si la nature professionnelle est négligeable »
            • Un agriculteur a acheté des tuiles pour couvrir sa ferme ; le contrat d’achat a une nature mixte, car l’immeuble sert à la fois à son activité professionnelle et à son usage personnel

1.3) Le régime juridique

  • On distingue selon que c’est la partie faible ou la partie forte qui intente une action en justice, puisqu’on considère qu’elles n’ont pas les mêmes moyens (pour les frais de déplacement) : il s’agit du mécanisme de l’inégalité compensatrice permettant de compenser l’inégalité économique entre les parties, en privilégiant la partie faible
    • Si la partie faible au contrat prend l’initiative d’introduire une action en justice, elle va disposer d’une alternative
      • 1ère possibilité : elle plaide devant le tribunal de l’État du domicile du défendeur
      • 2nde possibilité : elle saisit les juridictions de son propre domicile ou de son lieu de travail
    • Si la partie forte au contrat prend l’initiative d’introduire une action en justice, elle ne va pas disposer de la même alternative : elle devra nécessairement plaider devant la juridiction de l’État sur le territoire duquel le défendeur est domicilié
  • Les clauses attributives de juridictions ne sont pas interdites, mais elles sont encadrées : elles ne peuvent qu’ajouter un choix supplémentaire à la 1ère possibilité et 2nde possibilité de la partie faible
    • NB : les clauses attributives de juridiction peuvent être introduites après la naissance du litige, car à la fin d’un contrat de travail, le travailleur n’a plus besoin de craindre les représailles et ne souscrit pas la clause dans le cadre d’un contrat d’adhésion, où la partie forte est dominante

2) Les articles 2 et suivants du règlement N° 44-2001

  • Les articles 2 et suivants du règlement N° 44-2001 sont les règles de référence au sein du règlement
    • L’article 2 du règlement N° 44-2001 pose le principe (repris localement par l’article 42 du Code de Procédure civile) : « Les personnes domiciliées sur le territoire d’un État-membre sont attraites, quelle que soit leur nationalité, devant les juridictions de cet État-membre. »
      • Par conséquent, le demandeur, lorsqu’il exerce une action, devra nécessairement saisir les juridictions de l’État membre sur le territoire duquel est domicilié le défendeur
      • Cet article désigne la compétence générale (càd, un ordre de juridiction dans son intégralité) : l’identification de la compétence spéciale se fait donc en consultant les règles internes (càd, en France, le Code de Procédure civile)
    • L’article 5 du règlement N° 44-2001 représente l’exception principale (parmi beaucoup d’autres) au principe
      • 1ère remarque : l’article est à l’origine de nombreuses controverses en doctrine et en jurisprudence, puisqu’il permet d’échapper à l’emprise de l’article 2 du règlement N° 44-2001 et oblige au défendeur de se déplacer devant une juridiction qui ne se situe pas au lieu de situation de son domicile
      • 2e remarque : l’article à été modifié à de nombreuses reprises, suite à la mise en évidence de ses lacunes par la jurisprudence
      • 3e remarque : l’article contient 7 règles de compétence spéciales permettant de déroger à l’article 2 du règlement N° 44-2001, dont on étudiera les 2 principales
        • L’article 5-1° du règlement N° 44-2001 met en place l’option de compétence en matière contractuelle
        • L’article 5-3° du règlement N° 44-2001 met en place l’option de compétence en matière délictuelle
      • 4e remarque : l’article ne peut jouer que si 2 conditions fondamentales sont remplies
        • 1ère condition : il faut que l’article 2 du règlement N° 44-2001 soit applicable (càd, que le défendeur soit domicilié sur le territoire d’un État-membre)
        • 2nde condition : il faut que le demandeur ait choisi l’option de compétence (puisqu’il ne s’agit, en toute hypothèse, que d’une faculté au demandeur)
          • NB : l’option de compétence existe uniquement pour le demandeur
      • 5e remarque : dans la plupart des cas, l’option de compétence va porter sur un tribunal en particulier (càd, qu’elle va désigner non seulement la compétence générale, mais aussi la compétence spéciale)

2.1) L’article 5-1° du règlement N° 44-2001 : l’option de compétence en matière contractuelle

  • L’article 5-1° du règlement N° 44-2001 très complexe en raison de ses nombreuses modifications et représente la disposition qui a posé le plus de difficulté
    • L’article 5-1° a du règlement N° 44-2001 : « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre peut être attrait, en matière contractuelle, devant le tribunal du lieu où l’obligation qui sert de base à la demande a été ou doit être exécutée. »
    • L’article 5-1° b du règlement N° 44-2001 (rajouté plus tard) : « Aux fins de l’application de la présente disposition et sauf convention contraire, le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande est : pour la vente de marchandises, le lieu d’un État-membre où, en vertu du contrat, les marchandises ont été ou auraient dû être livrées ; pour la fourniture de services, le lieu d’un État-membre où, en vertu du contrat, les services ont été ou auraient dû être fournis. »
  • L’idée sous-jacente de cette disposition, c’est le principe de proximité : on veut donner compétence à un tribunal qui est particulièrement proche du litige, à savoir le tribunal du lieu de l’exécution de l’obligation contractuel, puisque le litige en matière contractuelle est le plus souvent dû à un la mauvaise exécution du contrat
    • Toutefois, la mise en place de ce principe pose 2 problèmes
      • 1er problème : qu’est-ce que la matière contractuelle ?
      • 2nd problème : quel est le tribunal spécialement compétent ?

2.1.1) La détermination de la matière contractuelle

  • Cette question est déjà délicate en droit français : elle est donc a fortiori encore plus délicate en droit communautaire
    • 22 mars 1983 : l’arrêt « PETERS » de la CJUE déclare que « la matière contractuelle est une matière autonome (telle que la matière civile ou la matière commerciale) »
      • Il ne faut donc pas se référer à un droit interne particulier : il faut uniquement retenir la définition communautaire
        • Cependant, la CJUE ne donne pas pour autant une définition abstraite et générale de la matière contractuelle, mais donne simplement des indices, afin d’en esquisser le profil : l’approche de la matière contractuelle se fait donc au cas par cas
          • 17 juin 1992 : l’arrêt « JACOB HANDTE » de la CJUE pose un indice, en déclarant que « l’hypothèse d’une chaîne contractuelle ne répond pas à la qualification de matière contractuelle, car il n’y pas d’engagement librement assumé d’une partie envers l’autre »
            • Un sous-acquéreur intente une action en responsabilité contre le fabriquant d’une machine ; ainsi, se sont les 2 extrêmes de la chaîne d’un contrat qui sont confrontés ; en France, une telle action peut parfois être de nature contractuelle, mais dans d’autres États-membres, ce n’est pas toujours le cas ; une question préjudicielle est donc posée à la CJUE
            • La CJUE considère qu’on n’est pas en matière contractuelle, puisqu les 2 parties extrêmes à la chaîne contractuelle n’ont pas conclu de contrat direct entre elles
          • 4 mars 1982 : l’arrêt « EFFER » de la CJUE pose un autre indice, en déclarant que « l’on se situe en matière contractuelle, même si la formation du contrat est litigieuse »
            • Ainsi, on reste en matière contractuelle, même si une partie invoque la nullité du contrat

2.1.2) La détermination du tribunal compétent

  • 6 octobre 1976 : l’arrêt « DE BLOOS » de la CJUE déclare qu’il faut identifier « l’obligation qui sert de base à la demande » (ce qui n’était pas encore prévu dans la Convention de Bruxelles)
    • On ne s’intéresse donc jamais à l’obligation caractéristique du contrat, mais toujours à l’obligation particulièrement litigieuse : ex. si le litige d’un contrat de vente porte sur le non-paiement du prix, on s’intéressera à l’obligation de payer le prix, même si l’obligation principale est constituée par le transfert de propriété
  • 6 octobre 1976 : l’arrêt « TESSILI » de la CJUE indique, en outre, « qu’il faut déterminer le lieu d’exécution de l’obligation qui sert de base à la demande conformément à la loi qui régit l’obligation litigieuse »
    • Le juge doit donc avoir un raisonnement de conflit de loi
      • Dans un premier temps, il doit vérifier si l’obligation litigieuse est exécutée en France
      • Dans un second temps, il doit vérifier la règle de conflit française
    • La solution n’a pas reçu un accueil bienveillant
      • La doctrine a unanimement critiqué cette approche qu’elle estime trop complexe à mettre en œuvre
      • Les juges du fond critiquent insidieusement ce raisonnement : ils n’opèrent ainsi qu’un raisonnement purement factuel (et non au niveau du droit applicable)
      • La Cour de cassation, seule, applique cette jurisprudence
    • Ces critiques ont ainsi amené les rédacteurs du règlement N° 44-2001 à chercher à simplifier le raisonnement pour les contrats les plus courants (càd, les contrats de vente et de fourniture de services) : d’où la rédaction de l’article 5-1° b du règlement N° 44-2001
      • Or, cet article va poser plus de problèmes qu’il n’en résout
        • 1er problème : comment qualifier les contrats de vente et les contrats de fourniture de services ?
        • 2nd problème : l’expression « en vertu du contrat » est source à 2 interprétations
          • 1ère interprétation : les parties se sont mises d’accord sur le lieu d’exécution
            • Or, dans la plupart des contrats internationaux (qui recherchent la souplesse), il n’y a pas cette précision
          • 2nde interprétation : il faut se référer, par un raisonnement purement factuel, à l’économie générale du contrat
            • Or, dans ce cas, on retombe sur les divergences : chaque juge adoptant sa propre conception, il ne peut y avoir d’unité entre les États-membres
      • En somme, cette prétendue amélioration ne permet pas de mieux interpréter le lieu d’exécution : ainsi, plusieurs auteurs préconisent l’abrogation de l’article 5-1° b du règlement N° 44-2001

2.2) L’article 5-3° du règlement N° 44-2001 : l’option de compétence en matière délictuelle

  • L’article 5-3° b du règlement N° 44-2001 : « Une personne domiciliée sur le territoire d’un État-membre doit être attraite devant les juridictions de cet État-membre, mais en matière délictuelle et quasi-délictuelle, elle peut également être attraite devant les tribunaux du lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. »
    • 1ère remarque : cette option de compétence est aussi justifiée par le principe de proximité, puisque le juge le plus à même de statuer sur un délit et de prendre des mesures d’instruction est celui qui est le plus proche du délit
    • 2nde remarque : cette option est retenue dans la plupart des États-membres (ex. en France, cette option permet de déroger à l’article 42 du Code de Procédure civile)
  • Il y a néanmoins des difficultés dans la mise en œuvre de cette option
    • 1ère difficulté : la détermination de la matière délictuelle et quasi-délictuelle
    • 2nde difficulté : la détermination du lieu du fait dommageable

2.2.1) La détermination de la matière délictuelle et quasi-délictuelle

  • 27 septembre 1988 : l’arrêt « KALFELIS » de la CJUE déclare que « la matière délictuelle doit être interprétée de manière autonome (càd, sans référence aux droits des États-membres) »
    • Dans cette même décision, la CJUE ébauche une définition, composée de 2 conditions cumulatives
      • 1ère condition : la demande doit mettre en jeu la responsabilité du défendeur
      • 2nde condition : la demande ne doit pas se rattacher à la matière contractuelle
        • Ainsi, la CJUE indique que la matière délictuelle est une notion résiduelle : or, le problème, c’est qu’il n’y a pas de définition précise de la matière contractuelle (voir 1er problème : qu’est-ce que la matière contractuelle ?), la matière délictuelle arborant ainsi des contours tout aussi imprécis
          • 17 septembre 2002 : l’arrêt « TACCONI » de la CJUE est une première illustration
            • 2 personnes sont en négociation en vue de conclure un contrat ; elles sont donc dans une phase pré-contractuelle ; or, l’une des parties met brutalement un terme aux négociations, ce qui lèse forcément l’autre partie impliquée, ayant perdu son temps ; cette dernière va donc intenter une action en responsabilité ; elle veut faire jouer l’article 5-3° b du règlement N° 44-2001 pour pouvoir plaider à son propre domicile ; or, est-ce que l’on est véritablement en matière délictuelle ? ; les juridictions saisies posent une question préjudicielle à la CJUE
            • La CJUE vérifie si les conditions cumulatives sont remplies
              • D’un côté, on cherche bien à engager la responsabilité du défendeur
              • De l’autre côté, il n’y avait pas encore, au moment des négociations, d’accord de volonté (càd, d’engagement librement assumé d’une partie envers l’autre) : la CJUE considère donc, en reprenant ce critère bien connu dans la plupart des États-membres, que l’on est bien en matière délictuelle
          • 26 mars 1992 : l’arrêt « REICHERT » de la CJUE est une deuxième illustration
            • L’un des époux souhaite, dans le cadre d’une procédure de divorce, exercer une action paulienne, afin de se voir déclarer inopposable les actes faits par son débiteur : 2 solutions sont donc envisageables
              • La matière est contractuelle, puisque l’époux veut se voir déclarer un contrat inopposable
              • La matière est délictuelle, puisque le créancier qui agit ne fait pas partie du contrat
            • La CJUE écarte aisément le problème, puisque l’action paulienne cherche à faire déclarer inopposable un droit (et non à engager la responsabilité d’une personne) : on n’est donc ni en matière délictuelle, ni en matière contractuelle

2.2.2) La détermination du lieu du fait dommageable

  • Dans la plupart des cas, on ne rencontre pas de problème, car le fait générateur du dommage et le préjudice se situe au même lieu : ex. en cas d’accidents ou de violences, il s’agira du lieu de survenance de ces accidents ou violences
  • Dans certaines situations, il peut y avoir une dissociation entre l’événement causal et le lieu où le dommage est effectivement subi : ex. une catapulte, située en France, détruit un immeuble situé en Allemagne
    • Certains auteurs considéraient que cette hypothèse était purement théorique : or, la CJUE a eu l’occasion de se prononcer sur la question
      • 30 novembre 1976 : l’arrêt « MINES DE POTASSES D’ALSACE » de la CJUE consacre le principe d’ubiquité
        • Les mines jetaient des déchets en masse dans le Rhin ; pendant longtemps, cela n’a gêné personne ; un jour, aux Pays-Bas, un fleuriste a commencé à arroser ses fleurs avec l’eau du Rhin ; or, les fleurs mourraient ; après analyse, il s’est aperçu qu’elles contenaient une quantité très élevée de potasse (càd, du sel) ; il intente donc une action contre les mines ; en l’espèce, il y a une dissociation entre le fait générateur et le dommage
          • Selon le fleuriste, les juridictions hollandaises seraient compétentes en vertu de l’article 5-3° b du règlement N° 44-2001
          • Selon les mines, seules les juridictions françaises seraient donc compétentes, car il faut tenir compte du lieu du fait générateur (sans lequel, il n’y aurait pas de dommage)
        • La CJUE fait une interprétation très libérale de l’expression « lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire », en considérant qu’elle vise à la fois le lieu où le dommage est subi et le lieu du fait générateur : le demandeur a donc une option
          • Cependant, par la suite, la CJUE a limité les ardeurs des demandeurs
            • En ce qui concerne le préjudice par ricochet (ex. le préjudice moral subi par les proches d’une personne décédée dans un accident de voiture), on tient uniquement compte du lieu du préjudice direct
              • 11 janvier 1990 : l’arrêt « DUMEZ FRANCE » de la CJUE
                • Un français, habitant en Allemagne, a un accident de voiture aux Pays-Bas ; le français pourra assigner le défendeur devant les juridictions néerlandaises, puisque le fait générateur et le dommage se situent tous les deux aux Pays-Bas ; or, la famille française, qui a subi un préjudice moral en France (et non aux Pays-Bas), ne pourra pas pour autant plaider en France (mais devra également plaider aux Pays-Bas)
            • En ce qui concerne les délits par voie de presse radio ou télévision, il y a d’une part une compétence intégrale des juridictions du lieu du fait générateur du dommage et d’autre part une compétence spécifique des juridictions du lieu de survenance du préjudice
              • 7 mars 1995 : l’arrêt célèbre « FIONA SHEVILL » de la CJUE
                • Fiona SHEVILL a fait l’objet de publication qui ont eu des conséquences fracassantes sur sa vie ; le journal est édité en Grande-Bretagne, mais publié dans plusieurs autres pays ; l’événement causal se situe donc dans le pays d’édition, tandis que le dommage est subi par la victime dans tous les pays où le journal est diffusé ; SHEVILL souhaite engager la responsabilité délictuelle de l’éditeur et faire appliquer l’article 5-3° b du règlement N° 44-2001 pour pouvoir saisir les juridictions dans les autres pays
                • La CJUE déclare que « les juridictions de chaque pays sont compétentes, mais elles ont une compétence intégrale ou une compétence spécifique selon que l’on se situe au lieu du fait générateur ou au lieu du préjudice »
                  • Les juridictions du lieu du fait générateur du dommage (càd, du lieu d’établissement de l’éditeur) sont compétentes pour connaître de l’intégralité du préjudice
                  • Les juridictions du lieu du préjudice (càd, de chaque pays où la publication a été diffusée) sont compétentes pour connaître que des dommages spécifiques subis dans ce pays : dans ce cas, il y a un éclatement de compétence, qui est peu intéressante pour le demandeur, et dont la CJUE sait que les victimes feront une utilisation assez restreinte
            • En ce qui concerne les préjudices patrimoniaux, il faut seulement tenir compte du lieu du fait générateur
              • 10 juin 2004 : l’arrêt « KRONHOFER » de la CJUE
                • Rudolf KRONHOFER était un autrichien ayant investi toutes ses économies dans une banque allemande ; or, en 2000-2001, les placements spéculatifs faits par la banque au nom et pour le compte de l’autrichien tournent très mal ; au bout d’un moment, il engage la responsabilité des conseillers en placement en raison des placements plus ou moins douteux ; le fait générateur se situe en Allemagne, mais le préjudice patrimonial se situe nécessairement au domicile de celui qui a subi le préjudice ; les juridictions autrichiennes saisissent la CJUE
                • La CJUE répond de manière très ferme, en déclarant que « la localisation du patrimoine n’entre pas en compte dans le raisonnement, mais il faut seulement s’en tenir au fait générateur » : dans le cas contraire, il y aurait pu avoir des dérives trop importantes, vu la fréquence des préjudices patrimoniaux

c) Le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État tiers

  • NB : même lorsque le domicile du défendeur se situe dans un État tiers, les compétences exclusives peuvent jouer
    • En dehors des hypothèses de compétence exclusive, le règlement N° 44-2001 ne devrait pas en principe jouer et on devrait revenir au droit commun : en effet, l’article 4 règlement N° 44-2001 indique que la compétence est réglée par la loi de chaque État membre
      • Toutefois, l’article 4§2 règlement N° 44-2001 précise que tout demandeur, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’il est domicilié sur le territoire d’un État-membre, pourra invoquer toutes les règles de compétence en vigueur dans cet État-membre : ex. un japonais, domicilié en France, peut invoquer toutes les règles de compétence françaises (même si elles sont réservées aux nationaux français) contre un défendeur domicilié sur le territoire d’un État tiers (ex. le Japon)
        • On assimile une personne domiciliée dans un État-membre à un national, car on veut assurer une égalité de traitement entre les personnes en fonction de leur qualité d’opérateur économique (et non en fonction de leur nationalité)
        • Cependant, lorsque le défendeur est domicilié dans un État-membre, les compétences réservées aux nationaux (ex. les articles 14 et 15 du Code civil) sont strictement bannies

1.2. LES RÈGLES DE COMPÉTENCES ISSUES DU DROIT COMMUN FRANÇAIS

  • Au départ, il n’y avait pas de textes, à l’exception des articles 14 et 15 du Code civil
    • L’article 14 du Code civil : « Les tribunaux français sont compétents, lorsque le demandeur est français. »
    • L’article 15 du Code civil : « Les tribunaux français sont compétents, lorsque le défendeur est français. »
  • Très tôt, les juges ont considéré, à partir d’une interprétation a contrario de ces articles (qui visent seulement les litiges où au moins une partie est française) que, lorsque les 2 parties sont étrangères, il y a incompétence des juridictions françaises
    • Or, cette jurisprudence n’est pas très opportune, surtout lorsque les 2 parties de nationalité étrangère sont domiciliées en France : dans ce cas, la logique voudrait que le litige puisse être résolu devant les juridictions françaises
      • 1ère conséquence : la paix publique est nécessairement troublée en France (et non à l’étranger)
      • 2nde conséquence : cette solution pose nécessairement des inconvénients aux 2 parties, qui devront tous les 2 plaider dans leur pays d’origine
  • Pendant longtemps, la Cour de cassation va fermement maintenir le principe, en l’assouplissant seulement légèrement
  • 30 octobre 1962 : l’arrêt « SCHEFFEL » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation renverse totalement le principe, en déclarant que « les juridictions françaises ne sont pas incompétentes du fait de la nationalité étrangère des 2 parties »
    • La Cour de cassation va, pour fonder la compétence française, extrapoler les solutions internes au niveau international : on est donc face à 2 systèmes de compétence
      • Un système fondé sur la nationalité
      • Un système fondé sur les règles de compétence objectives : ex. le lieu d’exécution du contrat, le lieu du délit, etc.
  • Pendant longtemps, il n’y avait pas un système qui l’emportait sur l’autre
  • Au bout d’un moment, on s’est rendu compte que le système fondé sur la nationalité était critiquable, puisque les litiges peuvent n’avoir aucun critère objectif de rattachement à la France : ex. un français, domicilié en Australie, pourrait saisir les juridictions françaises dans un litige contre un australien
    • De plus, si une juridiction française fonde sa compétence sur l’article 14 du Code civil, il y a peu de chance que sa décision soit reconnue dans d’autres systèmes de droit
  • 19 novembre 1985 : l’arrêt « ORLIAC » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation met en place une hiérarchie entre les 2 systèmes, en privilégiant le système objectif de compétence (pour que la règle de compétence ait plus de chance d’être reconnue à l’étranger)

A. LES RÈGLES ORDINAIRES DE COMPÉTENCE

  • La jurisprudence a considéré que le système des articles 14 et 15 du Code civil n’était pas exhaustif
    • Par conséquent, on effectue donc une transposition des articles 42 et suivants du Code de Procédure civile au niveau international : ces règles ont l’avantage d’être bien connues par les juges
      • Toutefois, certaines situations ne peuvent être résolues par une telle transposition : on a donc également mis en place des règles propres à l’ordre international
        • En outre, la jurisprudence a estimé que, dans un litige à caractère international, les clauses attributives de compétence prorogeant la compétence des juridictions étaient possibles

a) L’application des règles de compétences territoriales internes : l’application des règles du Code de Procédure civile

  • La jurisprudence a puisé dans les articles 42 et suivants du Code de Procédure civile pour consacrer les règles objectives de compétence internationale
    • Toutefois, certains auteurs (ex. Étienne BARTIN) ont contesté cette transposition : ils objectent l’opposition fondamentale entre les règles internes et internationales
      • Les règles internes de compétence sont destinées uniquement à classer les tribunaux français : l’enjeu n’est donc pas très important
      • Les règles internationales de compétence sont destinées à régler un problème de souveraineté (et non seulement un problème de répartition) : l’enjeu est beaucoup plus important
        • Or, cette objection n’est pas prise en compte, car il n’existe pas d’autre solution satisfaisante : en effet, on se rabat souvent en droit international privé sur la règle la moins mauvaise
          • 19 octobre 1959 : l’arrêt « PELASSA » de la chambre civile de la Cour de cassation affirme, d’une manière plus ou moins timide, l’extension des règles internes au niveau international
          • 30 octobre 1962 : l’arrêt « SCHEFFEL » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation déclare fermement que « la compétence internationale se détermine par l’extension des règles de compétence territoriale internes (càd, les articles 42 et suivants du Code de Procédure civile) »
            • Ex. l’article 42 du Code de Procédure civile consacre le principe de la compétence du tribunal du domicile du défendeur : la jurisprudence considère, de manière classique, que le domicile au niveau international représente la même notion que celle au niveau national
          • Aujourd’hui, on trouve plus en plus de dispositions, qui sont étendues au niveau international, en dehors des articles 42 et suivants du Code de Procédure civile (liste non exhaustive)
            • L’article 1070 du Code de Procédure civile relatif au divorce
            • Certaines articles du Code de l’assurance
            • L’article R517-1 du Code du travail

b) Les règles de compétence purement internationales

  • Les règles de compétence purement internationales ne peuvent répartir que les compétences entre les États au niveau international
    • Ces règles, au nombre de 4, sont exclusivement fondées par la jurisprudence : il n’y a aucun support textuel
      • Or, il n’existe aucune ligne directrice (qui regrouperait ces règles) : on va donc étudier ces 4 règles, au cas par cas, en essayant des les justifier
        • En matière de succession immobilière, il y a une règle de compétence spécifique à l’ordre international : celle-ci est admise dans la plupart des ordres juridiques
          • En droit interne, l’article 45 du Code de Procédure civile désigne le tribunal du lieu d’ouverture de la succession : or, le lieu de succession est déterminé en fonction du dernier domicile du défunt
          • En droit international, la jurisprudence a considère que, même si le défunt a son dernier domicile à l’étranger, les juridictions françaises sont toujours compétentes pour les immeubles situés en France et inclus dans l’héritage
        • En matière d’actions qui mettent en cause le service public français, les juridictions françaises sont compétentes (alors qu’aucun texte ne permet de le corroborer) : ex. une demande de rectification du registre d’état civil français relève toujours de la compétence des juridictions françaises
        • En matière de mesures conservatoires ou urgentes, les juridictions françaises sont compétentes, afin d’assurer la sauvegarde des personnes ou des biens : ex. les juridictions françaises peuvent désigner un tuteur pour un étranger qui se trouve en France
          • Cette règle est communément admise dans les différents ordres juridiques par un ancien adage : « La nécessité fait loi. »
        • Afin d’éviter le déni de justice, les juridictions françaises sont compétentes de manière résiduelle si aucune autre juridiction ne peut connaître de l’affaire
          • Avant 1962, lorsque l’on connaissait que le système de répartition des compétences fondé sur la nationalité, ce principe était très utilisé, afin que les 2 parties, de nationalité étrangère, mais domiciliées en France puissent saisir les tribunaux français
            • 2 personnes, de nationalité argentine, sont domiciliées en France ; elles sont mariées, mais souhaitent divorcer ; or, ces 2 personnes ne peuvent en principe avoir recours aux tribunaux français ; elles devraient donc saisir les juridictions argentines ; or, les juridictions argentines ne sont pas compétentes, car la règle de compétence argentine prévoit que les juridictions argentines ne sont compétentes que si l’une des parties est domiciliée en Argentine
            • La Cour de cassation a donc considéré que les tribunaux français sont compétents, afin d’éviter le déni de justice
          • Au fil du temps, la jurisprudence a posé 3 conditions pour que le déni de justice soit constitué
            • 1ère condition : le demandeur doit prouver qu’aucune autre juridiction ne peut être saisie, en invoquant des raisons de droit ou de fait
              • L’argument de droit : ex. aucun tribunal étranger ne se reconnaît compétent
              • L’argument de fait : ex. le pays où se situe le tribunal compétent est en guerre civile
            • 2e condition : le litige doit présenter des éléments de rattachement suffisants avec la France
            • 3e condition : le déni de justice suppose nécessairement qu’aucun tribunal n’admet d’entendre les parties (qu’il faut distinguer de la 1ère condition)
              • 10 novembre 1959 : l’arrêt de la Cour d’appel de Paris consacre cette condition
                • L’actrice américaine ADAMS s’est mariée avec le prince italien MASSIMO ; or, la situation se dégrade entre les 2 époux ; l’actrice veut se séparer du prince ; les 2 époux étaient installés à Rome ; les juridictions italiennes acceptent de recevoir la demande de l’actrice, mais celles-ci appliqueront la loi italienne, en vertu de la règle de conflit italienne ; or, le droit italien ne connaît pas le divorce ; c’est pourquoi l’épouse voulait saisir les juridictions françaises
                • La Cour d’appel de Paris déclare que « les juridictions françaises ne sont compétentes que si aucune autre juridiction n’accepte d’entendre les parties » : ainsi, le déni de justice n’est constitué que si la possibilité de soumettre la demande devant un tribunal étranger n’existe pas (et non la possibilité pour le demandeur d’obtenir gain de cause)
          • 1er février 2005 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme la compétence des juridictions françaises en cas de déni de justice
            • L’État d’Israël a passé un contrat, qui a pour objet un accord de participation à des opérations pétrolières, avec une société irakienne ; une clause particulière prévoit qu’en cas de litige une juridiction arbitrale sera compétente ; la clause prévoit des modalités très classiques en droit de comme international ; en effet, chaque partie doit nommer un arbitre, le 3e arbitre étant nommé d’un commun accord par les 2 arbitres précédents ; or, l’État d’Israël refuse de nommer un arbitre ; ainsi, l’ensemble du montage est paralysé ; or, la société iranienne saisit le Tribunal de grande instance de Paris, car la clause d’arbitrage prévoyait aussi que si les 2 arbitres n’arrivaient pas à se mettre d’accord sur le 3e arbitre, le Président de la chambre de la Cour de commerce internationale (se trouvant à Paris) devrait le nommer
            • Le Tribunal de grande instance de Paris décline sa compétence
            • La Cour d’appel de Paris donne tort au TGI de Paris, en considérant que la notion de déni de justice peut intervenir, puisque toutes les conditions sont remplies
              • La 1ère condition  et la 3e condition sont remplies, puisque aucun des autres tribunaux étrangers ne pouvait rendre justice
                • En ce qui concerne les tribunaux d’Israël, aucun ressortissant irakien ne peut les saisir, car l’Irak est un État ennemi de l’Israël
                • En ce qui concerne les tribunaux irakiens, leur saisine est possible, mais leur décision ne pourrait être reconnue par les autorités israélites, puisque l’Irak est un État ennemi de l’Israël
              • La 2e condition  est remplie : il y a un lien de rattachement (ténu) avec la France en raison de la clause d’arbitrage visant le Président de la chambre de la Cour de commerce internationale
            • La Cour de cassation va viser expressément l’article 6 de la CEDH, qui consacre le droit au juge, pour renforcer la solution de la Cour d’appel, en précisant « que la disposition fait partie de l’ordre public international consacré par les principes de l’arbitrage international »

c) La prorogation de compétence : les clauses attributives de compétence

  • Les clauses attributives de compétence permettent à des personnes privées de déterminer le tribunal qui va trancher leur litige, alors qu’autrement il n’aurait pas été compétent : il y a donc une opposition entre les règles internes et la volonté des personnes
    • Or, est-ce que les règles de compétence internes (articles 42 et suivants du Code de Procédure civile) sont impératives ou est-ce que les parties peuvent en disposer librement ?
      • Ces clauses sont très importantes, car elles permettent de renforcer la prévisibilité et la sécurité juridique : ainsi, la jurisprudence française a toujours était favorable à celles-ci
        • Il existe 2 types de clauses
          • 1er type : les clauses qui donnent compétence à un tribunal français qui n’aurait, en temps normal, pas été compétent
          • 2nd type : les clauses qui désignent un tribunal étranger, alors que la juridiction française aurait été, en temps normal, compétente
        • Toutefois, l’article 48 du Code de Procédure civile interdit en principe la prorogation de compétence au niveau interne : « Toute clause attributive de compétence est réputée non-écrite, sauf s’il elle a été conclue entre des personnes qui ont toutes contractées en tant que commerçants. »
          • Or, toutes les règles des articles 42 et suivants du Code de Procédure civile sont étendues à l’ordre international par la jurisprudence « PELASSA » et « SCHEFFEL » : la doctrine a mis en évidence les inconvénients de cette extension, puisqu’on pénalise les parties à un contrat, qui de plus est un contrat international, ce qui va inciter tout simplement les parties à tourner vers d’autres systèmes juridiques plus satisfaisants
            • 17 décembre 1985 : l’arrêt fondamental « COMPAGNIE DES SIGNAUX » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
              • La Cour de cassation renverse l’ancien principe
                • En principe, les clauses attributives de compétence sont licites dans l’ordre international
                • Lorsque la clause fait échec à une compétence territoriale impérative d’une juridiction française, la clause est illicite
              • 3 problèmes demeurent néanmoins
                • 1er problème : la détermination de la notion de compétence territoriale impérative d’une juridiction française (liste non exhaustive)
                  • L’état des personnes
                  • Les règles de compétence protectrice d’une partie faible
                • 2e problème : les parties déterminent directement le droit matériel applicable (sans passer par une règle de conflit)
                • 3e problème : la Cour de cassation considère que l’article 48 du Code de Procédure civile retrouve son empire concernant la forme de la clause
                  • 30 juin 1992 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation reprend l’article 48 du Code de Procédure civile qui précise de manière très claire que « la clause doit avoir été spécifiée de façon très apparente dans l’engagement de la partie à qui elle est opposée »

B. LES RÈGLES DE COMPÉTENCE PRIVILÉGIÉES : LES ARTICLES 14 ET 15 DU CODE CIVIL

  • Auparavant, ces articles avaient une importance considérable en droit international privé, puisqu’ils étaient les seuls à pouvoir fonder la compétence d’un juge français
  • Dès 1962, leur importance a commencé à décliner
  • Aujourd’hui, ils n’ont qu’une utilité résiduelle : en effet, c’est seulement si aucune règle des articles 42 du Code de Procédure civile ne permet de désigner un tribunal, que l’on a recours aux articles 14 et 15 du Code civil
    • Malgré leur caractère résiduel, la doctrine est très hostile envers ces articles : elle considère que le rattachement à la nationalité des parties n’est pas un lien significatif, car il repose sur un lien trop fragile et subjectif
      • L’article 14 du Code civil donne compétence aux tribunaux français lorsqu’un Français est demandeur : « L’étranger, même non résidant en France, pourra être cité devant les tribunaux français, pour l’exécution des obligations par lui contractées en France avec un Français ; il pourra être traduit devant les tribunaux de France, pour les obligations par lui contractées en pays étranger envers des Français. »
        • En théorie, on pourrait se contenter de ce seul lien de nationalité
        • En pratique, il faut nécessairement un autre élément de rattachement : ex. si un Français saisit le tribunal français contre un australien sur le fondement de l’article 14 du Code civil et obtient gain de cause, mais que les biens du défendeur se trouvent en Australie, la décision ne pourra être invoquée qu’en Australie ; or, les tribunaux australiens peuvent rejeter la décision française qui a seulement pris en compte la nationalité pour fonder la compétence du juge
      • L’article 15 du Code civil donne compétence aux tribunaux français lorsqu’un Français est défendeur : « Un Français pourra être traduit devant un tribunal de France, pour des obligations par lui contractées en pays étranger, même avec un étranger. »
        • A priori, cet article semble favorable aux étrangers
        • En réalité, la jurisprudence considère que l’article 15 du Code civil impose la seule compétence des juridictions françaises, lorsque le défendeur est français
          • Dans les années 1970 et 1980, les critiques étaient très vives
          • Aujourd’hui, la doctrine s’est calmée

a) Le champ d’application des articles 14 et 15 du Code civil

1) Le champ d’application ratione materiæ

  • Les articles 14 et 15 du Code civil mentionnent chacun « les obligations » : or, il existe 2 sortes d’obliations
    • L’obligation contractuelle : un contrat se crée par un engagement librement assumé par une partie envers une autre
    • L’obligation délictuelle (ex. l’obligation alimentaire) : un contrat se crée à raison d’un fait

1.1) Le principe : l’interprétation large

  • La jurisprudence constante considère que les articles 14 et 15 du Code civil doivent être interprétés largement quant à leur champ d’application matérielle
    • 27 mai 1970 : l’arrêt « WEISS » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est considérée comme étant à l’origine de cette jurisprudence, en déclarant « les articles 14 et 15 du Code civil ont une portée générale s’étendant à toutes les matières (contractuelle, délictuelle, patrimoniale, extra-patrimoniale, etc.) »
    • 9 décembre 2003 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation s’inscrit le plus récemment à une longue liste d’arrêts confirmatifs

1.2) Les exceptions

  • Il y a 3 domaines où les juridictions françaises ne sont pas compétentes
    • Les voies d’exécution pratiquées à l’étranger : les juridictions étrangères en cause en ont le monopole
    • Les actions réelles immobilières concernant un immeuble situé à l’étranger : seules les juridictions du lieu de situation de l’immeuble sont compétentes, selon un principe unanimement partagé entre les États
    • Les demandes en partage (dans le cadre d’une succession) portant sur des immeubles situés à l’étranger : cette jurisprudence est constante depuis 1933

2) Le champ d’application ratione personæ

  • La seule condition d’application des articles 14 et 15 du Code civil, c’est que l’on soit en présence d’un Français (même domicilié à l’étranger) : on se contente d’un critère purement subjectif (càd, la nationalité), puisque le domicile n’est pas pris en compte
    • 1ère nuance : sachant que les articles 14 et 15 du Code civil peuvent s’appliquer aussi aux personnes morales, la détermination de la nationalité d’une société nécessite la prise en compte de son siège social (càd, son domicile)
      • Le critère de l’établissement est donc pris en compte de manière incidente
    • 2e nuance : dès lors que le défendeur est domicilié sur le territoire d’un État-membre, il faut appliquer les seules règles du règlement N° 44-2001 et de la Convention de Bruxelles
      • Ex. l’article 14 du Code civil ne pourra jamais être appliqué à un défendeur français domicilié en Allemagne
    • 3e nuance : lorsque le défendeur n’est pas domicilié sur le territoire d’un État-membre, l’article 4 du règlement N° 44-2001 prévoit que « toute personne, quelle que soit sa nationalité, dès lors qu’il est domicilié sur le territoire d’un État-membre, pourra invoquer toutes les règles de compétence de cet État-membre »
      • Ainsi, d’après cet article, la qualification d’une personne de Français n’est plus décisive : ce qui compte, c’est qu’elle soit domiciliée en France
  • Un problème peut se poser sur le moment où l’on doit apprécier la nationalité : ex. si un étranger conclut un contrat, mais obtient ensuite la nationalité française, peut-on l’assigner devant un tribunal français en vertu de l’article 15 du Code civil ou faut-il tenir compte de la nationalité du défendeur au moment de la naissance de la situation juridique ?
    • 16 juin 1928 : l’arrêt « BANQUE D’ITALIE » de la Cour d’appel de Paris déclare qu’il faut uniquement se référer à la qualification de la nationalité française au moment de l’assignation
      • La Cour d’appel de Paris indique que les articles 14 et 15 du Code civil sont des lois de procédure : ainsi, par privilège procédural, on ne tient pas compte des droits litigieux en compte, mais seulement de la nationalité au moment de l’introduction de l’instance
    • 21 mars 1966 : l’arrêt « COMPAGNIE LA MÉTROPOLE » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme cette solution, en déclarant que « la compétence des tribunaux français est fondée sur la nationalité des parties (et non sur la nature des droits litigieux) »
      • La compagnie d’assurance LA MÉTROPOLE avait indemnisé une société britannique ayant subi un dommage causé par une autre société britannique dans le cadre d’un contrat de transport ; l’assureur exerce une action en subrogation contre la société à l’origine du dommage ; la société britannique refuse de payer ; la compagnie LA MÉTROPOLE saisit alors les tribunaux français sur le fondement de l’article 14 du Code civil ; la société britannique prétend que la compagnie d’assurance, qui est française, ne peut faire valoir ses propres droits, car il est subrogé dans les droits de la victime du préjudice, qui est britannique
      • La Cour de cassation effectue une interprétation large de l’article 14 du Code civil, en déclarant qu’il « faut uniquement tenir compte de la nationalité du demandeur, peu importe que les droits étaient nés au profit d’une personne de nationalité étrangère »
        • Cette solution est parfaitement transposable à d’autres hypothèses (liste non exhaustive)
          • Même si le défunt est de nationalité étrangère, il suffit que l’un des héritiers soit de nationalité française pour qu’il puisse invoquer les articles 14 et 15 du Code civil
          • Même si le cédant est de nationalité étrangère, il suffit que le cessionnaire soit de nationalité française pour qu’il puisse invoquer les articles 14 et 15 du Code civil
        • Toutefois, la jurisprudence a posé 2 réserves à ce privilège procédural
          • 1ère réserve : la représentation
            • Le représentant est transparent, puisqu’il agit au nom et pour le compte du représenté : ainsi, même si le représentant est français, il ne pourra pas invoquer les articles 14 et 15 du Code civil si le représenté est étranger
              • 22 février 2005 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation réaffirme cette solution
          • 2nde réserve : l’utilisation frauduleuse de l’article 14 du Code civil
            • 24 novembre 1987 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre cette réserve
              • Une société californienne intente une action devant les tribunaux californiens ; elle n’obtient pas gain de cause ; par conséquent, elle va céder la créance litigieuse à sa filiale française et lui ordonner de saisir les juridictions françaises ; la cession est donc fait dans le seul but de bénéficier de l’article 14 du Code civil
              • La Cour de cassation déclare que la cession est frauduleuse : les juridictions françaises ne peuvent donc pas être compétentes dans une telle situation

b) La renonciation au privilège de juridiction

  • La jurisprudence a toujours analysé les articles 14 et 15 du Code civil comme des privilèges auquel on peut renoncer (et non comme des sujétions imposées)
    • 1ère justification : ces articles sont rédigés de manière potestative (ex. « le Français pourra »)
    • 2nde justification : l’impossibilité de renoncer aux articles 14 et 15 du Code civil constituerait un handicap pour le ressortissant français dans le domaine des affaires internationales
  • Le défendeur français peut renoncer au bénéfice de l’article 14 du Code civil, mais aussi à l’article 15 du Code civil
    • Toutefois, dans ce dernier cas, il faut aussi que le demandeur (qu’il soit français ou étranger) renonce également à l’article 15 du Code civil
      • 7 décembre 1971 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre cette nécessité de double renonciation

1) Le caractère d’ordre public des articles 14 et 15 du Code civil ?

  • Étant donné que l’on peut renoncer aux articles 14 et 15 du Code civil, ces dispositions ne peuvent pas être d’ordre public : par conséquent, le juge français ne peut jamais soulever d’office l’applicabilité des articles 14 et 15 du Code civil
    • 21 mai 1963 : la chambre civile de la Cour de cassation consacre le caractère d’ordre public de l’article 14 du Code civil
      • Le demandeur invoque la règle de compétence territoriale interne (du Code de Procédure civile) transposée au droit international, mais les conditions posées par les textes n’étaient pas remplies ; or, la Cour d’appel va appliquer d’office l’article 14 du Code civil
    • 9 octobre 1967 : la chambre commerciale de la Cour de cassation consacre le caractère d’ordre public de l’article 15 du Code civil
      • Le demandeur invoque la règle de compétence territoriale interne (du Code de Procédure civile) transposée au droit international, mais les conditions posées par les textes n’étaient pas remplies ; or, la Cour d’appel va appliquer d’office l’article 15 du Code civil
    • 16 avril 1985 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence, en déclarant que « le juge doit appliquer la règle de droit aux faits allégués, au besoin d’office »
      • Les parties avaient visé l’article 12 du Code de Procédure civile, mais celui-ci n’était pas applicable
    • 26 mai 1999 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation opère à nouveau un revirement de jurisprudence, en déclarant que « le juge ne peut pas appliquer d’office les articles 14 et 15 du Code civil »
    • 22 février 2005 : la 1ère chambre civile de la Cour de cassation semble à nouveau avoir opéré un revirement de jurisprudence, car il semble indiquer que les articles 14 et 15 du Code civil doivent être appliqués d’office

2) Les formes de renonciation

  • La renonciation peut revêtir 2 formes principales
    • 1ère forme : l’action en justice exercée à l’étranger
      • En ce qui concerne l’article 14 du Code civil, la renonciation (du demandeur) est présumée : en revanche, le demandeur français pourra prouver qu’il n’avait pas entendu renoncer à son privilège (liste non exhaustive)
        • 1ère preuve : des raisons d’urgence (notamment pour suspendre la prescription) justifiaient la saisine des juridictions étrangères
        • 2e preuve : le demandeur saisit les juridictions étrangères, car il pensait que son débiteur étranger n’avait aucun bien en France
      • En ce qui concerne l’article 15 du Code civil, la renonciation présente une particularité, puisque 2 droits vont s’opposer : en effet, le droit du demandeur (français ou étranger) est opposé au droit du défendeur français
        • La renonciation du demandeur est tout simplement constituée par la saisine d’un tribunal étranger
        • La renonciation du défendeur va être traduite par l’attitude procédurale du défendeur à l’étranger : si le défendeur se présente à l’étranger, se défend au fond et ne conteste pas la compétence du tribunal étranger, il y aura renonciation
          • 15 novembre 1983 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
          • 28 janvier 2003 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
    • 2e forme : la renonciation contractuelle
      • 1ère possibilité (rare) : une clause précise que la partie française renonce aux articles 14 et 15 du Code civil
      • 2e possibilité : une clause attributive de juridiction désignant une juridiction étrangère
        • 18 octobre 1988 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
      • 3e possibilité : une clause compromissoire désignant un tribunal arbitral
        • 21 juin 1965 : l’arrêt de la chambre commerciale de la Cour de cassation en est une illustration
    • 3e cession : la cession de droit
      • Le cessionnaire français n’est pas impliqué dans le rapport de droit originaire : il n’intervient que de manière subséquente
        • 25 novembre 1986 : l’arrêt le plus significatif de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
          • Un contrat classique est conclu entre 2 personnes de nationalité étrangère ; ce contrat comporte une clause attributive de juridiction désignant un tribunal étranger ; ensuite, un assureur français est subrogé dans les droits de l’une des parties au contrat
            • 1ère interprétation : puisque l’assureur français n’a pas consenti à la clause attributive de juridiction, il n’y a pas de renonciation
            • 2nde interprétation : la clause attributive de juridiction fait partie de l’ensemble contractuel que le l’assureur français doit nécessairement tenir compte lorsqu’il accepte la cession
          • La Cour de cassation opte pour la 2nde interprétation, en déclarant que le l’assureur français doit se soumettre à la clause attributive de juridiction
        • 24 novembre 1987 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation
          • Une cession de créance est opérée au profit d’une personne française, alors qu’une instance relative à la créance est déjà en cours
          • La Cour de cassation considère que dès lors que le titulaire à l’origine de la créance a saisi un tribunal étranger, le cessionnaire ne peut plus se prévaloir de l’article 14 du Code civil
            • NB : la décision était aussi fondée sur la fraude

c) Le tribunal spécialement compétent

  • Jusqu’en 1985, le problème ne s’est pas posé, puisqu’il y avait 2 systèmes de compétence complètement indépendants qui cohabitaient : ainsi, lorsque l’on appliquait les articles 14 et 15 du Code civil, on consultait le droit interne (aux articles 42 et suivants du Code de Procédure civile) pour connaître quel tribunal était spécialement compétent
  • Après 1985, une hiérarchie apparaît entre les 2 systèmes de compétence : en effet, les articles 14 et 15 du Code civil ne peuvent jouer que s’il n’y a pas de rattachement objectif (aux articles 42 et suivants du Code de Procédure civile)
    • Par définition, on ne peut donc plus appliquer les articles 42 et suivants du Code de Procédure civile pour déterminer le tribunal spécialement compétent, puisque même au niveau interne, il faudrait un lien de rattachement objectif : il a donc fallu trouver un nouveau système
      • D’abord, 2 systèmes avaient été préconisés
        • 1ère possibilité (la plus rationnelle) : le demandeur devrait saisir le tribunal de son propre domicile ou de sa propre résidence en France
          • 1er inconvénient : on donne systématiquement compétence au tribunal du demandeur
          • 2nd inconvénient : le demandeur français n’a pas nécessairement de domicile en France
            • 23 avril 1959 : l’arrêt « WEILLER » de la chambre civile de la Cour de cassation déclare que, dans ce cas, « le demandeur doit saisir le tribunal de son choix, sous réserve de ne pas opérer ce choix de manière frauduleuse »
              • Le défendeur est domicilié en Belgique et le demandeur saisit le tribunal de Perpignan
              • La Cour de cassation relève la fraude, en ce que rien ne justifiait le demandeur de saisir un tribunal aussi éloigné du défendeur
        • 2nde possibilité : le demandeur peut saisir le tribunal de son choix, sous condition qu’il soit éclairé par les nécessités d’une bonne administration de la justice
          • 9 février 1960 : l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation consacre cette ce système
            • En matière patrimoniale, le demandeur devra saisir la juridiction dans le ressort dans laquelle se trouvent des biens du défendeur
      • Au fil du temps, le principe de la bonne administration de la justice de la 2nde possibilité s’est généralisé
        • 19 juin 1978 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
      • Le décret du 12 mai 1981 a rajouté un alinéa à l’article 42 (alinéa 3) du Code de Procédure civile : « Si le défendeur n’a ni domicile, ni résidence connus, le demandeur peut saisir la juridiction du lieu où lui-même demeure ou celle de son choix s’il demeure à l’étranger. »
        • Ce texte était prévu à des litiges purement internes, mais une partie de la doctrine avait voulu transposer cette solution à l’ordre international
          • Toutefois, l’article 42 (alinéa 3) du Code de Procédure civile ne mentionne pas la bonne administration de la justice : or, il semble, aujourd’hui, qu’il faut toujours prendre en compte le principe de la bonne administration de la justice
            • De plus, aucun arrêt ne vise expressément l’article 42 (alinéa 3) du Code de Procédure civile

2. LES EFFETS DES JUGEMENTS ÉTRANGERS

  • Lorsqu’une personne invoque une décision qu’elle a obtenue à l’étranger, quelle valeur l’ordre juridique français va donner à cet acte rendu au nom d’un État étranger ?
    • La décision étrangère ne peut jamais immédiatement rendre les mêmes effets qu’un jugement français : il faut d’abord qu’elle soit contrôlée
      • Le droit commun français prévoit des conditions assez strictes pour le contrôle des jugements étrangers
        • Si la partie veut obtenir la force exécutoire pour une décision étrangère, il existe une instance spécifique pour contrôler cette décision, à savoir l’instance d’exequatur : dans ce cas, le Président du TGI statue en juge unique
        • Si la partie veut invoquer une décision étrangère, sans avoir recours à des voies d’exécution, il s’agira seulement d’un problème de reconnaissance de la décision étrangère en France : dans ce cas, il n’y pas d’initiative procédurale
          • Ex. si une partie veut qu’une décision étrangère de divorce soit reconnue en France, afin de pouvoir se remarier (et non pas pour notamment saisir les biens de son époux), il suffit de présenter la décision étrangère devant l’officier d’état civil célébrant le mariage (et non devant le juge)
        • Si un litige, qui a déjà été tranché par un tribunal étranger, est introduit devant les juridictions françaises, le défendeur peut invoquer l’autorité négative de chose jugée en vertu de la décision étrangère : dans ce cas, il n’y a pas d’initiative procédurale, mais il suffit que le tribunal déjà saisi contrôle la décision étrangère
      • Le droit communautaire prévoit des conditions très souples pour le contrôle des jugements étrangers
        • Le règlement N° 44-2001 a pour finalité la libre circulation des jugements : ainsi, tout un volet est consacré à la reconnaissance et l’exécution des décisions rendues par les autres États-membres

2.1. LE DROIT COMMUN FRANÇAIS

  • Il n’y a pas de texte écrit en ce qui concerne les effets des jugements étrangers : tout le système est donc d’origine jurisprudentielle
    • Auparavant, la jurisprudence avait adopté la technique de la révision des jugements étrangers
      • 1ère remarque : elle consiste grosso modo dans la mise en place d’un nouveau procès par le juge français fondés sur les mêmes faits et questions de droit que le jugement étranger
        • 1ère étape : le juge français apprécie les frais
        • 2e étape : il constate les règles de droit applicables
        • 3e étape : il vérifie que le juge étranger a correctement appliqué les règles de droit pertinentes aux faits de l’espèce
      • 2e remarque : le juge français ne peut pas modifier la décision étrangère
        • S’il considère que le juge étranger a bien jugé, il peut reconnaître la décision étrangère
        • S’il considère que le juge étranger n’a pas bien jugé, il peut uniquement repousser la décision étrangère
      • 3e remarque : cette technique est très critiquée dans la doctrine et la jurisprudence
        • 1ère critique : elle marque une défiance envers le juge étranger qui a finalement très peu de poids
        • 2nde critique : la révision fait obstacle au principe de réciprocité
          • Or, beaucoup de pays reconnaissent les jugements étrangers seulement sous réserve de la réciprocité : ex. l’Allemagne accepte les jugements français à condition que les jugements allemands soient reconnus en France
    • 7 janvier 1964 : l’arrêt fondamental « MUNZER » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation résume l’ensemble du système applicable aujourd’hui
      • Il faut que le juge français fasse 5 vérifications fondamentales limitatives avant de pouvoir accorder l’exequatur à une décision étrangère : on étudiera seulement les 3 premières conditions, puisque les 2 dernières ont déjà été traitées auparavant dans le cadre de ce cours
        • 1ère vérification : la compétence du juge d’origine
        • 2e vérification : la régularité de la procédure d’origine
        • 3e vérification : l’application (par le juge d’origine) de la loi désignée par la règle de conflit française
        • 4e vérification : la conformité de la décision étrangère à l’ordre public international français
          • Voir 3.2. L’EXCEPTION D’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL
        • 5e vérification : l’absence de toute fraude à la loi
          • Voir 2.3. LA SITUATION DE LA FRAUDE À LA LOI
    • 4 octobre 1967 : l’arrêt « BACHIR » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation déclare que « la vérification de la régularité de la procédure suivie à l’étranger se limite à la seule vérification de sa conformité à l’ordre public international »
      • En effet, cette vérification n’est pas très pertinente, puisqu’elle amène le juge français à donner des leçons au juge étranger dans l’application de sa propre procédure : la vérification de la procédure va ainsi se faire dans le cadre de la vérification de la conformité de la décision étrangère à l’ordre public international

A. LA CONDITION PRINCIPALE : LA COMPÉTENCE DU JUGE D’ORIGINE

  • On pourrait concevoir plusieurs systèmes, fondés sur 3 catégories de règles, pour vérifier la compétence du juge d’origine
    • 1er système : les règles édictées par le propre système du juge d’origine
      • Cette solution est opportune, puisque aucun véritable contrôle serait nécessaire la plupart du temps : en effet, le juge étranger va la plupart du temps respecter ses propres règles
      • Cette solution est critiquable, puisque le juge français ne pourrait pas contrôler si le juge d’origine avait une compétence exorbitante
    • 2e système : la bilatéralisation des règles de compétence françaises (càd, que l’on applique les critères de compétence français)
      • Or, cette solution est très restrictive : elle revient à considérer que seul les éléments de compétence retenus par le système français sont pertinents
    • 3e système : les règles de compétence indirectes (rattachées ni à l’ordre juridique étranger, ni à l’ordre juridique français)
      • Dans ce cas, il faudrait seulement vérifier la rationalité de la compétence du juge étranger: il faut donc vérifier au cas par cas si le juge étranger présentait un lien suffisant pour se prononcer sur le litige
        • 6 février 1985 : l’arrêt fondamental « SIMITCH » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation reprend ce système consacré par la Cour d’appel de Paris dans les années 1970
          • Une anglaise domiciliée en Angleterre a obtenu le divorce devant les juridictions anglaises ; son mari, de nationalité américaine, est domicilié à Paris ; l’épouse souhaite que cette décision puisse produire effet dans l’ordre juridique français
          • La Cour de cassation consacre les 3 conditions de principes
            • 1ère condition : la règle de conflit française ne donne pas compétence exclusive aux juridictions françaises
            • 2e condition : le litige se rattache d’une manière caractérisée au pays dont le juge a été saisi
            • 3e condition : le choix de cette juridiction n’est pas frauduleux
          • La Cour de cassation considère, qu’en l’espèce, le juge étranger était compétent, puisque les 3 conditions sont remplies : le juge retient 4 éléments pour caractériser le rattachement
            • 1er élément : la nationalité de la demanderesse était anglaise
            • 2e élément : le domicile de la demanderesse se trouvait en Angleterre
            • 3e élément : les époux ont établi leur dernier domicile conjugal en Angleterre
            • 4e élément : le mari possédait encore des biens en Angleterre

a) L’absence d’une compétence exclusive des juridictions françaises

  • Les juges français sont seuls compétents pour un certain nombre de litiges : on étudiera les 4 compétences exclusives les plus importantes
    • 1ère exclusivité : les règles de compétence purement internationales
      • Il s’agit des règles françaises de compétence directe qui ne figurent pas dans le Code de Procédure civile, car elles correspondent à des créations jurisprudentielles propres à l’ordre juridique international : ex. les litiges réels d’ordre successoral sur un bien immobilier situé en France
        • Ces règles rationnelles sont communément admises dans la plupart des ordres juridiques : la preuve, c’est qu’il n’y a jamais eu de jurisprudence sur cette question
    • 2e exclusivité : les voies d’exécution pratiquées en France
      • 18 novembre 1986 : 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre cette compétence exclusive
    • 3e exclusivité : les clauses attributives de juridiction désignent un tribunal français
      • Il s’agit d’une règle rationnelle communément admise dans la plupart des ordres juridiques
    • 4e exclusivité : les articles 14 et 15 du Code civil
      • Cette solution est très contestée, surtout en ce qui concerne le demandeur (article 14 du Code civil)
        • En effet, lorsque ce dernier saisit un tribunal étranger, il renonce en principe à son privilège de compétence : pourtant, la décision étrangère ne pourra pas être invoquée en France en raison de l’exclusivité
          • 27 janvier 1987 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en est une illustration
          • 21 septembre 1995 : l’arrêt de la Cour d’appel de Paris en est une autre illustration
      • Cette solution est catastrophique pour la circulation internationale des jugements : cela nourrit non seulement l’animosité envers les français, mais elle aura parfois un effet pervers, en ce sens que les tribunaux étrangers vont condamner les français plus lourdement, car ils savent que leur compétence ne sera de toute manière pas reconnue
      • La solution est tout aussi contestée par la doctrine en France qu’à l’étranger, mais la Cour de cassation a toujours maintenu sa solution de principe
        • Or, depuis quelques années, sous l’influence doctrinale, certains plaideurs ont allégué que cette compétence exclusive serait contraire à 2 dispositions de la CEDH
          • L’article 6§1er de la CEDH qui fonde le droit à toute personne d’avoir un procès équitable
          • L’article 14 de la CEDH qui interdit toute discrimination en fonction du sexe, de la nationalité, de la religion, des opinions politiques, etc.
        • 30 mars 2004 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est l’une des arrêts répondant à cette nouvelle critique
          • Le mari est américain et l’épouse est franco-américaine ; le mari était diplomate ; il avait intenté une action en divorce devant le TGI de Marseille ; celui-ci rejette sa demande et condamne le mari à payer une contribution aux charges du mariage ; par la suite, le mari intente à nouveau une action en divorce devant les tribunaux de Floride ; le mari obtient gain de cause aux Etats-Unis et cesse immédiatement le versement des contributions en France ; quelques mois plus tard, l’épouse essaye d’obtenir malgré tout le versement de sa contribution par une saisie-attribution des biens de son mari en France ; l’époux forme 2 demandes en France ; il demande la mainlevée de la saisie-attribution et l’exequatur de la décision des tribunaux de Floride ; les juges du fond n’accueillent pas ces demandes, car ils considèrent que les tribunaux de Floride étaient incompétents en raison de la nationalité française de l’épouse (article 15 du Code civil) ; or, le mari se pourvoit en cassation, en invoquant 2 arguments
            • 1er argument : l’épouse avait renoncé à l’article 15 du Code civil, car elle avait plaidé au fond devant les tribunaux de Floride
            • 2nd argument : la compétence exclusive a un caractère exorbitant et discriminatoire en raison du fondement de l’article 15 du Code civil
              • Le pourvoi vise ici expressément les articles 6§1er et 14 de la CEDH
          • La Cour de cassation répond à chaque argument
            • 1er motif : l’épouse n’avait pas renoncé au privilège de l’article 15 du Code civil selon les juges du fond
              • Or, cette question de fait relève de l’appréciation souveraine des juges du fond
            • 2nd motif : la compétence exclusive n’a pas de caractère exorbitant ou discriminatoire, car l’article 15 du Code civil n’est pas plus exorbitant ou discriminatoire que la règle de Floride selon laquelle une personne peut saisir sa juridiction du moment qu’il a un domicile, même temporaire, dans l’État
              • 1ère critique : la résidence temporaire n’était pas le seul lien de rattachement du mari, puisqu’il était de nationalité américaine
              • 2nde critique : quid d’une décision étrangère qui aurait un fondement rationnel auquel on ne peut prétendre rattacher un caractère exorbitant ou discriminatoire ?
                • 10 juillet 2001 : l’arrêt de la chambre sociale de la Cour de cassation est le seul arrêt correspondant à une telle situation, mais il n’a été publié nul part
                  • La Cour de cassation a déclaré grosso modo que « l’article 14 du Code civil n’est pas critiquable, car il n’est pas critiquable »
        • La Cour EDH ne s’est pas encore prononcée sur la question

b) L’existence d’un rattachement caractérisé

  • Le rapport de droit doit se rattacher de manière caractérisée au juge d’origine : le juge d’exequatur français va apprécier ce rattachement caractérisé en tenant compte de tous les éléments de rattachement (et non en vertu d’une règle de compétence directe)
    • 1ère conséquence : l’appréciation se fait au cas par cas
      • Il faut tenir compte notamment du domicile, la résidence, la nationalité, la situation d’un bien, etc.
    • 2nde conséquence : le fait ne de ne pas se référer uniquement aux règles françaises témoigne d’une grande souplesse
      • Ex. en matière de divorce, on peut tenir compte notamment de la résidence des enfants ou du lieu où le mariage a été célébré
      • Or, est-ce que la jurisprudence tient effectivement compte de beaucoup éléments ?
        • 6 février 1985 : l’arrêt fondamental « SIMITCH » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait tenu compte de 4 éléments
          • 1er élément : la nationalité de la demanderesse était anglaise
          • 2e élément : le domicile de la demanderesse se trouvait en Angleterre
          • 3e élément : les époux ont établi leur dernier domicile conjugal en Angleterre
          • 4e élément : le mari possédait encore des biens en Angleterre
        • 15 juin 1994 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation est beaucoup moins exigeant
          • Une décision de divorce entre 2 époux algériens a été rendue en Algérie ; le seul élément de rattachement à l’Algérie est la nationalité des époux ; tous les autres éléments de rattachement (càd, le domicile, les biens, les enfants, etc.) se trouvaient en France
          • La Cour de cassation a considéré que la nationalité suffit en elle-même pour constituer un rattachement caractérisé : cette solution était donc très souple et ouverte aux décisions étrangères
        • 17 février 2004 : l’arrêt de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation semble être revenu à la jurisprudence « SIMITCH »
          • La situation est identique à l’arrêt précédent ; une décision de divorce entre 2 époux algériens a été rendu par le tribunal d’Oran (en Algérie) ; la décision étrangère est invoquée en France par l’un des époux ; les juges du fond appliquent la jurisprudence antérieure, en considérant que les tribunaux algériens étaient compétents par le seul fait que les époux soient algériens
          • La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, en déclarant que la nationalité commune ne suffisait pas à rattacher le litige de manière caractérisée à l’Algérie : elle estime « qu’il faut rechercher le tribunal le plus apte à statuer »
            • Le juge ne peut être compétent s’il n’est pas le juge le plus proche du litige : par conséquent, il ne faut plus rechercher s’il y a un rapport caractérisé entre le rapport de droit et l’État de la décision d’origine, mais voir si la compétence étrangère était prépondérante
              • Il s’agit a priori d’un revirement, mais une partie de la doctrine suggère que cette jurisprudence ne s’appliquerait qu’aux divorces migratoires pour en limiter les effets néfastes à l’un des époux
                • Le divorce migratoire : « Un divorce demandé à l’étranger dans le but unique d’avoir un divorce plus favorable qu’en France (notamment parce que le pays étranger reconnaît la répudiation). »
                  • Le divorce va souvent être demandé rapidement à l’étranger juste avant une demande faite en France par l’autre époux ou au moins avant la prise de décision des tribunaux français

c) L’absence de fraude

  • Cette condition désigne l’absence de fraude à la compétence juridictionnelle (et non à la loi) : en d’autres termes, il ne faut pas que la juridiction étrangère ait été saisie seulement pour obtenir une décision plus favorable qu’en France
    • 1er mars 1988 : 1ère chambre civile de la Cour de cassation est relatif au divorce migratoire et la répudiation
      • En réalité, la Cour de cassation a adopté plusieurs moyens pour lutter contre les divorces migratoires
        • 1er moyen : la fraude
        • 2e moyen : l’absence de rattachement caractérisé
        • 3e moyen : la violation de l’ordre public international

B. LES DEUX AUTRES CONDITIONS ESSENTIELLES

  • Autant la réserve d’ordre public international est largement admise, autant la condition de la compétence de la loi appliquée est contestée

a) La compétence de la loi appliquée

  • L’autorité française doit vérifier que le juge d’origine a appliqué la loi désignée par la règle de conflit française
    • Cette solution est justifiée à 2 égards
      • 1ère justification : cette solution constitue le lien rationnel entre l’ordre juridique français et la situation de fait
        • Si la décision doit être appliquée en France, il est logique que le juge vérifie que le lien rationnel a été respecté
      • 2nde justification : elle permet de lutter contre le forum-shopping
        • Le forum-shopping : « Le demandeur choisit la juridiction qui applique la loi la plus favorable. »
    • Cette solution est constamment contestée
      • 1ère critique : il aurait été manifestement plus logique que le juge étranger applique ses propres règles de conflit
      • 2e critique : cette solution est catastrophique pour la circulation des décisions
        • En effet, même si la juridiction étrangère a choisi un lien de rattachement rationnel, il se peut très bien que sa décision ne remplisse pas cette condition
      • 3e critique : la reconnaissance d’une décision étrangère va dépendre du pur hasard
        • En effet, étant donné que le juge étranger va toujours appliquer ses propres règles de conflit, cette condition ne sera remplie que par coïncidence
  • La jurisprudence a néanmoins apporté 2 tempéraments à cette règle de principe
    • 1er tempérament : la théorie du renvoi
      • Le renvoi a une fonction validante, permettant de sauver la décision étrangère, lorsque la règle de conflit française désigne l’ordre juridique du juge d’origine
        • Le système est intéressant, mais il s’appliquera seulement de manière restreinte, puisqu’il suppose que la règle de conflit française désigne l’ordre juridique du juge d’origine
    • 2nd tempérament : la théorie de l’équivalence
      • 29 juillet 1929 : l’arrêt « DRICHEMONT » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation consacre cette théorie
        • Le juge étranger n’a pas appliqué la bonne loi (càd, la loi désignée par la règle de conflit française) ; la décision devrait donc être rejetée ; or, on va pouvoir appliquer la théorie de l’équivalence si la loi que le juge étranger a effectivement appliquée produit le même résultat que celui résultant de la loi désignée par la règle de conflit française
      • 28 janvier 2003 : 1ère chambre civile de la Cour de cassation confirme cette solution
  • La condition de la compétence de la loi appliquée va en réalité intervenir très rarement : d’une part, il faut d’abord vérifier si le juge d’origine était compétent, et d’autre part, il y a les 2 tempéraments
    • Par conséquent, certains auteurs se sont demandés si cette condition devait encore être appliquée, sachant que la France est l’un des rares pays à appliquer cette condition

b) L’ordre public international

  • L’ordre public international a ici le même effet de soupape que l’on a pu constater dans C. LES EFFETS DE L’EXCEPTION D’ORDRE PUBLIC INTERNATIONAL : il évite l’application de décision étrangère qui aurait un résultat choquant vis-à-vis des conceptions françaises
    • Toutefois, il faut noter 2 particularités en l’occurrence
      • 1ère particularité : le juge français est face à un juge étranger
        • On se situe donc dans le domaine de l’ordre public atténué, puisque la décision étrangère a pu déjà créer des effets : la situation qui en découle ne peut donc pas être complètement évincée
      • 2nde particularité : on tient également compte de l’ordre public procédural
        • 4 octobre 1967 : l’arrêt « BACHIR » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation intègre la régularité de la procédure dans les exceptions d’ordre public
          • Il faut vérifier si la décision étrangère a été rendue dans des conditions convenables (càd, si elle la procédure respecte les grands principes fondamentaux)
            • 22 février 1978 : la chambre civile de la Cour de cassation considère que « l’ordre public international peut être opposé en cas de violation des droits de la défense »
            • 3 décembre 1996 : la chambre civile de la Cour de cassation considère que « l’ordre public international peut être opposé en cas d’impartialité du juge »
            • 11 juin 1961 : l’arrêt de référence de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation déclare que « l’absence de motif dans une décision n’est pas en soi contraire à l’ordre public procédural, mais il faut que la partie, qui souhaite faire reconnaître la décision en France, produise des documents justifiant la décision étrangère (afin de démontrer que toutes les conditions de l’arrêt « MUNZER » ont été appliquées : ex. il faut démontrer que le juge étranger a appliqué la règle de conflit française)
              • NB : la motivation est obligatoire dans la procédure française

2.2. LE DROIT de l’UE

  • Le droit communautaire relatif aux jugements étrangers repose sur 2 règlements essentiels
    • Le règlement N° 44-2001 allège le contrôle des jugements étrangers
    • Le règlement instaurant le titre exécutoire européen est révolutionnaire, car il supprime complètement le contrôle en matière de titres exécutoires étrangers : le juge d’exécution français ne peut donc plus contrôler les décisions étrangères

A. LE RÈGLEMENT N° 44-2001

  • La finalité du règlement N° 44-2001, c’est d’assurer la libre circulation des décisions au sein de l’Union européenne : il faut donc que la reconnaissance et l’exécution d’une décision d’un autre État-membre supposent le moins de formalités et de conditions possibles
    • 1ère remarque : la compétence du juge d’origine (1ère vérification de l’arrêt « MUNZER ») d’un État-membre ne peut plus prêter à discussion à partir du moment où les États-membres acceptent le règlement N° 44-2001
      • NB : cette solution repose sur le principe de la confiance mutuelle des États-membres
    • 2nde remarque : dès lors que l’on se trouve dans le champ d’application matérielle du règlement N° 44-2001, toutes les décisions émanant d’un État-membre sont concernées par ce système de reconnaissance et d’exécution (que l’on étudiera ci-dessous)
      • Par conséquent, le juge n’a pas besoin de fonder sa compétence sur une règle de compétence directe issue du règlement N° 44-2001
        • Ex. un demandeur français et un défendeur américain ont un litige ; le juge français se déclare compétent sur le fondement de l’article 14 du Code civil, en vertu de l’article 4 du règlement N° 44-2001; le juge ne se fonde donc pas sur une règle de compétence directe du règlement N° 44-2001, mais sur une règle de compétence interne tolérée par le règlement N° 44-2001; la décision française, même si elle est exorbitante, va néanmoins bénéficier de la libre circulation assurée par le règlement N° 44-2001

a) Les règles de fond

  • La décision étrangère n’a pas de condition de fond particulière à remplir : il existe seulement des cas de non-reconnaissance qui sont énumérées, de manière exhaustive, par les articles 34 et 35 du règlement N° 44-2001 (dont on étudiera les 3 hypothèses essentielles, dans l’ordre croissant d’intérêt)

1) 1ère exclusion : l’inconciabilité des décisions

  • S’il y a une inconciabilité entre la décision d’un autre État-membre présentée devant le juge français et la décision rendue par les mêmes parties devant un juge français, le juge français doit faire prévaloir la décision du juge français
    • Toutefois, cette situation d’inconciabilité est très rare, puisque le règlement N° 44-2001 écarte en principe toute situation de litispendance ou de connexité
  • S’il y a une inconciabilité entre la décision d’un autre État-membre présentée devant le juge français et la décision étrangère antérieure mais qui remplit les conditions pour produit les effets au sein d’un État-membre, à ne pas apprendre !

2) 2e exclusion : la compétence du juge d’origine

  • En principe, le juge de l’État requis ne peut pas contrôler la compétence du juge d’origine (en vertu de la confiance mutuelle entre les différents États-membres)
  • Par exception, le règlement N° 44-2001 que le juge de l’État requis peut contrôler la compétence du juge d’origine pour certaines catégories de règles particulières : la confiance mutuelle ne va toutefois pas disparaître, mais elle existera simplement ailleurs, à savoir dans la constatation des faits établis par le juge d’origine, qui lient le juge requis (pouvant seulement sanctionner une erreur de droit)
    • 1ère catégorie : les règles des sections 3, 4 et 6 du chapitre 2 du règlement N° 44-2001
      • Ex. si les articles 22 et 23 du règlement N° 44-2001 relatifs aux compétences exclusives sont méconnues, la décision étrangère ne peut pas être reconnue
    • 2nde catégorie : les règles protectrices des assurés et des consommateurs
      • NB : les règles protectrices des parties faibles relatives au contrat de travail ne sont, curieusement, pas visées
        • Certains auteurs prétendent que cette solution incompréhensible serait un simple oubli des rédacteurs du texte : les exceptions étant néanmoins d’une interprétation stricte, les règles protectrices des travailleurs ne peuvent pas être inclues dans cette catégorie

3) 3e exclusion : la reconnaissance manifestement contraire à l’ordre public international

  • L’article 34§1er du règlement N° 44-2001 : « Si la reconnaissance est manifestement contraire à l’ordre public international, le juge requis n’a pas besoin de reconnaître la décision d’un autre État-membre. »
    • Le fait que l’ordre public français puisse jouer contre le règlement N° 44-2001 est légitimé, puisque la reconnaissance doit être « manifestement » contraire
      • Ainsi, l’exception d’ordre public international ne va s’appliquer que dans des cas marginaux/exceptionnels
  • L’article 34§2 du règlement N° 44-2001 apporte une précision : « La reconnaissance d’une décision d’un autre État-membre n’est possible que si l’acte introductif d’instance ait été notifié au défendeur défaillant régulièrement et en temps utiles. »
    • Certains auteurs ont considéré que cet article vise l’ordre public procédural, puisqu’il défend les droits de la défense : à partir de ce postulat, les auteurs en tirent 2 conclusions
      • L’article 34§1er du règlement N° 44-2001 défend toutes les règles d’ordre public de fond (càd, ce que la décision étrangère a tranché)
      • L’article 34§2 du règlement N° 44-2001 défend toutes les règles d’ordre public de forme (càd, les conditions dans lesquelles la décision étrangère a tranché)
        • Or, étant donné que les exceptions devraient être interprétées de manière restrictive, la protection de l’ordre public procédural se limiterait à la seule hypothèse prévue par cet article : ainsi, le juge ne pourrait pas rejeter la reconnaissance d’une décision au nom de l’ordre public procédural dans toute autre hypothèse
    • D’autres auteurs ont considéré que l’article 34§2 du règlement N° 44-2001 permet de défendre à la fois les règles d’ordre public de fond et de procédural
      • 1ère remarque : cette conception s’aligne avec la jurisprudence « BACHIR » (4 octobre 1967)
      • 2nde remarque : étant donné que les différentes législations des États-membres sont très différentes sur le terrain procédural, un certain nombre de procédures peuvent être considérées comme contraire à l’ordre public international
        • Or, selon ces auteurs, la libre circulation des décisions doit nécessairement s’effacer devant la protection des parties (au niveau de la procédure)
    • La jurisprudence a tranché la controverse
      • 16 mars 1999 : l’arrêt célèbre « PORDEA » de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation avait déjà consacré une décision avant la CJUE
        • M. PORDEA est de nationalité française et résident en France ; il décide d’assigner devant la Haute Cour de justice de Londres un journaliste de la société Times News Papers pour la réparation d’un préjudice en raison d’un article prétendument diffamatoire du Sunday Times ; la Haute Cour de justice de Londres considère qu’elle est compétente pour connaître de l’affaire, mais précise que M. PORDEA doit verser une caution judiciaire de 25 000 livres qui serait dû au défendeur si jamais il a été injustement assigné ; M. PORDEA ne peut pas avancer la somme ; ainsi, le tribunal rejette sa demande et condamne M. PORDEA à des frais de procédure de 20 000 livres ; le défendeur invoque la décision en France ; les juges français accordent l’exequatur à la décision anglaise, en vertu de la libre circulation des décisions ; M. PORDEA se pourvoit en cassation
        • La Cour de cassation casse l’arrêt d’appel, en déclarant que « l’importance des frais mis à la charge de M. PORDEA était de nature de faire objectivement obstacle à son accès à la justice »
          • Elle considère que l’ordre public procédural s’oppose à la reconnaissance de la décision anglaise, afin de protéger le droit au libre accès à la justice : l’ordre public intervient donc pour défendre un autre cas que celui prévu à l’article 34§2 du règlement N° 44-2001
      • 28 mars 2000 : l’arrêt célèbre « KROMBACH » de la CJUE confirme l’arrêt de la Cour de cassation
        • La CJUE est saisie d’une question préjudicielle par le tribunal fédéral allemand ; elle concerne une décision d’exequatur relative à une condamnation civile contenue dans une décision pénale française ; M. KROMBACH est un médecin allemand ; il est condamné par une juridiction française à 15 ans de réclusion criminelle pour violence ayant résulté dans la mort sans intention de la donner, ainsi que des dommages-intérêts ; M. KROMBACH a refusé de comparaître ; la procédure de contumace permet de statuer même sans la présence de l’accusé, sachant que son avocat ne peut pas se présenter à sa place ; M. KROMBACH déclare, en Allemagne, qu’il n’a pas pu se défendre effectivement ; les juges allemands interrogent la CJUE, afin de savoir si l’ordre procédural (de l’article 34§2 du règlement N° 44-2001) peut être interprété de manière extensive
        • La CJUE estime que « le juge de l’État requis peut effectuer un contrôle extensif sur l’ordre public procédural, car le refus d’entendre l’avocat de l’accusé constitue une violation manifeste d’un droit fondamental (càd, d’un droit prévu dans la CEDH) » : en effet, la CEDH prévoit l’accès à un juge
          • 1ère remarque : les États-membres ne sont plus tout à fait maître de l’ordre public international, puisque la CJUE effectue désormais un contrôle de celui-ci
          • 2nde remarque : cette solution entraînera la modification de la procédure de contumace
      • 11 mai 2000 : l’arrêt « RENAULT » de la CJUE confirme cette solution, en déclarant que « les États-membres restent compétents pour déterminer le contenu de la réserve de l’ordre public, mais ils incombent à la CJUE de contrôler les limites dans le cadre desquelles le juge d’un État-membre peut avoir recours à cette notion »
        • Les différents aspects du règlement doivent faire l’objet d’une réglementation uniforme, y compris l’ordre public : or, étant donné que la CJUE contrôle la Convention de Bruxelles et le règlement N° 44-2001, il paraît logique qu’elle contrôle également l’ordre public international
          • La CJUE adopte ainsi une position identique à celle pris à l’égard des lois de police : voir 4) L’impact du droit communautaire sur la notion même de loi de police

b) Les règles de procédure

  • Le principe repose sur la rapidité et l’efficacité de la procédure : il faut que la décision rendue par le juge d’un État-membre soit quasiment équivalent à une décision rendue par un juge français
    • Les règles de forme sont reconnues de plein droit : aucune procédure n’est donc nécessaire, sauf en matière d’exécution

1) La reconnaissance

  • NB : la reconnaissance ne fait pas appel à la force exécutoire
  • L’article 33 du règlement N° 44-2001 pose le principe fondamental : aucune procédure n’est nécessaire pour la reconnaissance de la décision, sauf dans 2 cas
    • 1ère exception : la procédure n’est pas obligatoire, mais la partie qui invoque le jugement à l’étranger a la possibilité de demander une reconnaissance formelle de la décision
      • Dans ce cas, le juge appliquera les règles relatives à l’exécution
    • 2nde exception : la reconnaissance invoquée à titre incident au cours d’une procédure déjà entamée (ex. sous forme d’exception d’autorité de chose jugée) relève de la compétence du juge déjà saisi

2) L’exécution

  • Si une partie sollicite l’intervention de la force exécutoire, les conséquences sont plus graves que dans le cas de la reconnaissance : c’est pourquoi les articles 38 et suivants du règlement N° 44-2001 prévoient des règles de procédures pour pouvoir exécuter la décision étrangère
    • Ces règles doivent être adaptées en fonction de chaque État-membre : on étudiera uniquement les règles adaptées en France, qui prévoient 2 phases
      • 1ère phase : le Président de la TGI est compétent pour statuer sur l’exequatur
        • 1ère remarque : le juge est saisi sur requête
          • Par conséquent, il n’y a pas de débat contradictoire : le défendeur n’est pas convoqué devant le juge
        • 2nde remarque : le contrôle est purement formel
          • Le demandeur doit simplement remettre 2 types de documents
            • 1er document : une expédition (càd, une copie) de la décision étrangère
            • 2nd document : des formulaires visés par le règlement N° 44-2001
          • Les objectifs de rapidité et d’efficacité sont tout à fait remplis
      • 2nde phase : un recours se fondant sur les articles 34 et 35 du règlement N° 44-2001 est possible devant la Cour d’appel
        • La procédure devant la Cour d’appel devient contradictoire : le défendeur pourra donc se présenter
          • Toutefois, la procédure reste rapide et expéditive
            • L’article 43 du règlement N° 44-2001 : « L’appel doit être interjeté dans le délai de 1 mois à compter de la signification du jugement. »
            • L’article 45 du règlement N° 44-2001 : « La juridiction d’appel doit statuer à bref délai. »

B. LE TITRE EXÉCUTOIRE EUROPÉEN

  • Le règlement N° 805-2004 du 21 avril 2004 portant création d’un titre exécutoire européen pour les créances incontestées (entrée en vigueur le 1er janvier 2005) est une innovation majeure en droit international privé : il supprime toute procédure d’exequatur au sein de l’État-membre requis
    • Dès que l’on se trouve dans le champ d’application de ce règlement, il ne peut pas y avoir de procédure d’exequatur : la décision étrangère sera donc considérée comme une décision nationale et devra être exécutée dans les mêmes conditions que celle-ci, sachant qu’aucune réserve d’ordre public ne peut être opposée
      • L’article 2 du règlement N° 805-2004 prévoit un champ d’application identique à celui du règlement N° 44-2001 : voir A. LE CHAMP D’APPLICATION MATÉRIELLE DU RÈGLEMENT
        • Cependant, il ne concerne que les créances incontestées : l’article 3 du règlement N° 805-2004 définit cette notion, en posant 3 conditions
          • 1ère condition : on doit être en présence d’une décision, une transaction judiciaire ou un acte authentique portant sur des créances incontestées
          • 2e condition : on doit se trouver dans l’une des 4 hypothèses
            • 1ère hypothèse : le débiteur a expressément reconnu cette créance au cours de la procédure
            • 2e hypothèse : le débiteur n’a jamais manifesté son opposition tout au long de la procédure judiciaire
            • 3e hypothèse : le débiteur n’a pas comparu ou ne s’est pas fait représenter lors d’une audition relative à la créance, alors qu’il a initialement contesté cette créance au cours de la procédure judiciaire
            • 4e hypothèse : le débiteur a expressément reconnu sa dette dans un acte authentique
          • 3e condition (de formalité) : la certification en tant que titre exécutoire européen
            • Les autorités étrangères (généralement les juges) devront certifier que les 3 conditions prévues expressément par l’article 6 du règlement N° 805-2004 ont été respectées dans l’État-membre qui a rendu la décision
              • 1ère condition : la décision doit être exécutoire dans l’État-membre d’origine
              • 2e condition : la décision ne doit pas être incompatible avec les compétences exclusives du règlement N° 44-2001 ou les compétences protectrices de l’assuré
              • 3e condition : la décision doit être rendue dans le respect de règles minimales de procédure
                • 1ère exigence : le respect des règles relatives à la forme de la signification ou la notification de l’acte introductif d’instance au débiteur
                  • Il faut que le débiteur ait été informé régulièrement et en temps utiles de la procédure diligentée contre lui
                • 2nde exigence : le respect des règles relatives au contenu même de la décision (liste exhaustive)
                  • 1ère mention : le nom et l’adresse des parties
                  • 2e mention : le créancier et le débiteur de la créance
                  • 3e mention : le montant de la créance
                  • 4e mention : le taux des intérêts exigés
                  • 5e mention : la cause de la demande
                  • 6e mention : les conditions relatives aux voies de recours dont dispose la personne condamnée
          • 4e condition : si un consommateur est reconnu comme débiteur de la créance incontestée, la décision doit être rendue dans l’État du domicile du consommateur
            • NB : le travailleur n’est à nouveau pas protégé (alors que l’assuré est protégé à la 2e condition)
      • Toutefois, dans la pratique, beaucoup d’auteurs doutent de l’efficacité réelle de cette procédure : en effet, la procédure du règlement N° 44-2001 est tellement souple qu’elle peut même sembler plus simple que celle instaurée par le règlement N° 805-2004 qui nécessite que la décision étrangère fasse l’objet d’une certification