HISTOIRE DU DROIT AU MOYEN-AGE
L’histoire du droit est une discipline ayant pour objet l’étude du droit et de son évolution au fil du temps. S’il existe plusieurs sources de droit, celles-ci existaient déjà très tôt comme au Moyen Âge et sous l’Antiquité mais l’importance de chacune étaient très différentes de l’importance quelles ont de nos jours. Voici le plan du cours :
- Chapitre 1 : La Seigneurie
- Section 1 : la justice dans la seigneurie
- I) Justice et Pouvoir
- A) De la justice publique carolingienne aux justices seigneuriales
- B) Les catégories de justice
- 1) La justice de sang, haute justice
- 2) La basse justice
- C) Le jugement des vassaux et le jugement des sujets
- 1) Le jugement des vassaux
- 2) Le jugement des roturiers
- A) Le déroulement du procès (XIIème – XIIIème)
- B) Les modes de preuve
- C) Les procédés de contestation des décisions de justice
- Section 2 : La Guerre et la Paix dans la société seigneuriale
- I) La guerre dans la société seigneuriale
- A) Les catégories de belligérants
- 1) Les parents
- 2) Les vassaux
- 3) Les sujets du seigneur (les roturiers)
- 4) Les mercenaires
- B) Le déroulement des guerres
- II) Les actions de l’Eglise contre les guerres
- A) La doctrine de la guerre juste
- B) Les mesures concrètes : le mouvement de paix au XIème siècle
- III) Les actions de la force laïque
- A) Les réactions populaires
- B) Les coutumes et les pratiques du monde seigneurial
- IV) L’action du Roi de France
- A) Les lettres de sauvegarde
- B) L’interdiction des guerres privées
- Section 3 : L’organisation des Seigneuries
- I) La gestion économique de la seigneurie
- A) Banalités et police économique
- B) Les droits seigneuriaux
- C) Les taxes indirectes
- D) Les profits de justice
- E) Le droit de battre monnaie
- II) Administration de la seigneurie
- Chapitre 1 : La vassalité
- Section 1 : L’hommage rite créateur du lien vassalique
- I) Rite de l’hommage
- II) L’investiture
- Section 2 : Les Rapports seigneur-vassal
- I) Les obligations du seigneur
- II) Les obligations du vassal
- A) L’aide militaire
- B) L’aide financière
- C) Le consilium, service de conseil et de cour
- III) Sanctions des obligations réciproques
- A) Les sanctions contre le seigneur
- B) Sanctions contre le vassal
- 1) La commise
- 2) La saisie
- Chapitre 2 : Le statut des terres et hiérarchie des tenures
- Section 1 : Le fief
- I) Définitions
- II) Intégration du fief dans le patrimoine du vassal
- A) Reconnaissance de l’hérédité des fiefs
- B) Aliénabilité du fief
- III) La dévolution successorale du fief
- A) L’ainesse
- B) Privilège de masculinité
- Section 2 : Les tenures roturières
- I) Définition de la censive
- II) La patrimonialité des censives
- A) L’hérédité
- B) L’aliénabilité
- III) Les obligations des parties
- A) Les autres redevances
- B) Sanctions des obligations
- Section 3 : Les tenures serviles
- Section 4 : L’alleu
- I) Le système féodal et les alleux
- A) Les coutumes excluant l’alleu
- B) Les coutumes défavorables aux alleux
- C) Les coutumes favorables à l’alleu
- II) Le statut personnel des alleutiers
- III) Les alleux et la royauté
- Chapitre 3 : Condition des personnes dans la société féodale
- Section 1 : Les nobles
- I) Formation historique (Xème – XIIIème)
- A) Situation de fait
- B) La noblesse devient une condition héréditaire
- C) Les liens entre noblesse et chevalerie
- II) L’accès à la noblesse à partir du XIIIème
- A) La naissance
- B) L’entrée en chevalerie
- C) L’acquisition de fiefs
- III) La condition des nobles (l’état de noblesse)
- A) Le droit particulier des nobles
- 1) Privilèges militaires
- 2) Privilèges fiscaux
- 3) Les privilèges judiciaires
- 4) Privilèges de droit privé
- B) Le comportement noble
- Section 2 : Les serfs, une formation historique
- I) De l’esclavage antique au servage médiéval
- II) L’entrée dans la condition servile
- A) La naissance
- B) Le mariage
- C) La soumission d’un homme libre au servage
- D) La résidence en « lieux serfs »
- E) La tenure servile
- III) Les droits sur la personne du serf
- IV) Les corvées
- A) Droits du seigneur sur le patrimoine du serf
- B) La taille servile
- C) L’incapacité servile
- V) Affranchissements et déclin du servage
- A) Modes d’affranchissement
- B) Mouvement de libération des serfs
- Titre 3 : Villes et institutions urbaines
- Chapitre 1 : Les villes dans la société médiévale
- Section 1 : le renouveau urbain
- I) Le repeuplement des anciennes citées
- II) La création d’agglomérations nouvelles
- I) L’importance de l’urbanisation
- Section 2 : La vie urbaine dans la civilisation médiévale
- II) Les catégories sociales dans les villes
- Chapitre 2 : L’administration des villes
- Section 1 : Les villes de commune
- I) Le phénomène d’émancipation des communes
- A) Mouvement Communal
- B) L’attitude des seigneurs
- C) Les rois de France et les communes
- II) L’organisation des villes et communes
- A) Notion de ville et commune
- B) Les pouvoirs de la commune
- C) L’organisation interne
- 1) Le corps de bourgeoisie
- 2) Le corps municipal ou corps de ville ou magistrat
- 3) Le maire
- 4) Le système électoral
- Section 2 : Le consulat
- I) Etablissement des consulats
- A) Rythme de création des consulats
- B) Modalités d’établissement
- II) La structure des consulats
- A) Les pouvoirs de consulat
- B) L’organisation interne du consulat
- Section 3 : Les villes de simple franchise, émancipation limitée
- I) Géographie des villes de franchise
- II) Privilèges des franchises
- III) L’administration
- Section 4 : Le destin commun des villes
- I) Les privilèges des villes
- II) Les pariages
- III) Le développement de l’autorité royale sur les villes
- Chapitre 2 : Les métiers de police économique
- Section 1 : Evolution des structures professionnelles
- I) Autorités publiques et vie professionnelle
- Section 2 : Le système d’organisation professionnelle
- I) Les différents types de métiers
- A) Les métiers libres
- B) Métiers soumis à la règlementation
- II) L’organisation collective du métier
- III) Les catégories de travailleur
- A) Les maîtres
- B) Les compagnons
- Section 3 : les métiers dans la société médiévale
- I) Les conditions de vie
- A) Rythmes de travail
- B) Salaire et niveau de vie
- II) Les métiers et les structures de la société
- A) Finalités du travail
Chapitre 1 : La Seigneurie
Le terme seigneurie est une dénomination récente. Les documents médiévaux n’expriment pas l’existence d’une catégorie abstraite mais un rapport, on est seigneur de quelqu’un ou de quelque chose.
La situation du seigneur correspond à une relation concrète d’autorité sur les hommes et sur les terres. Les documents de cette époque qualifient un puissant de « dominus » ou de « senior ». Ces documents énumèrent les prérogatives du seigneur sur ses hommes. Ils utilisent également le terme de « justicia ».
Section 1 : la justice dans la seigneurie
Cette justice ne constitue pas un service public mais plutôt le pouvoir par excellence ainsi qu’un devoir pour ceux qui détiennent l’autorité. L’étendue du pouvoir de justice traduit l’étendue du pouvoir de justice du seigneur sur ses hommes. La justice est source de profit.
I) Justice et Pouvoir
Entre le 10ème et le 12ème s, les droits de justice publique passent progressivement entre les mains de l’aristocratie foncière. Ce mouvement résulte de la vacance de l’autorité souveraine ce qui permet aux grands d’étendre leurs prérogatives. Ce mouvement correspond aussi aux transformations de l’organisation domaniale. Le morcellement du domaine est compensé par l’attribution des droits de justice.
A) De la justice publique carolingienne aux justices seigneuriales
L’organisation judiciaire seigneurio-féodale s’est établie sur les ruines du système carolingien. Au 10ème siècle, l’appareil judiciaire carolingien se dégrade. Les formes et les termes traditionnels subsistent mais les principes qui les inspiraient sont petit à petit perdus de vue.
L’idée d’une justice s’imposant à tous en tant que souveraine régresse et disparaît même dans certains fiefs. Les assemblées judiciaires, les plaids ne jouent qu’un rôle d’arbitrage. Lorsqu’un individu lésé s’adresse à la justice, le recours n’est pas très efficace. Les Comtes et les ducs paraissent avoir perdu l’idée d’une justice qui condamne.
Les seigneurs puissants se comportent comme des médiateurs qui offrent leurs bons offices aux individus en conflit. Le résultat est que les actes passés devant ces assemblées judiciaires sont des accords ou des abandons et non pas des jugements. Cette situation introduit un des caractères de la justice féodale, elle est un service du seigneur à ses vassaux, une garantie plutôt que la manifestation de la souveraineté. A quelques rares exceptions, l’impuissance de la justice est à son comble.
Puis petit à petit les institutions judiciaires vont reprendre un peu plus de netteté et d’efficacité. A mesure que les hiérarchies féodales vont se préciser, les plus puissants seigneurs vinrent être en mesure de faire respecter plus souvent leur décision. Le roi de France ose de nouveau au 12ème s faire comparaître devant leur cour le défendeur.
Au cours du 12ème siècle l’organisation des justices seigneuriales se consolident avec la redécouverte du caractère obligatoire de la justice. Le pouvoir du seigneur justicier se réduit au droit de ban qui appartenait autrefois au roi et par délégation au Comte.
Le droit de ban fonde le pouvoir de justice répressive et permet aussi au seigneur justicier d’imposer des règles dans les territoires qu’il contrôle. C’est lui qui va fixer les prestations auxquelles sont tenus les paysans.
Ce n’est qu’à la fin du 12ème uniquement dans les seigneuries très importantes que le seigneur commence à utiliser son pouvoir pour établir de véritables règles de droit avec le « conseil des intéressés ».
B) Les catégories de justice
Le pouvoir du seigneur justicier se relie avec l’utilisation du droit du « ban » (bannum) qui appartenait au roi à l’époque carolingienne et par délégation aux comtes. Ce droit de ban fonde le pouvoir de justice répressive.
1) La justice de sang, haute justice
Cette haute justice comprend en matière pénale les crimes capitaux punis de mort ou de mutilation. En matière civile, tous les litiges qui peuvent donner lieu à la preuve par duel judiciaire (questions relatives au statut des biens et des personnes). Cette haute justice dérive de la justice du comte carolingien réservé aux « majores causae ». Aux 10ème et 11ème siècles cette haute justice n’appartient qu’aux descendants des comtes francs.
Mais le démembrement de la puissance publique s’étant poursuivi beaucoup de seigneurs de moyenne importance vont se comporter en haut justicier soit par concession soit par usurpation. Les hauts justiciers seront beaucoup plus nombreux que les comtes carolingiens et notamment dans les régions où la désagrégation de la puissance publique a été la plus complète.
2) La basse justice
Elle est compétente pour les affaires ne relevant pas de la haute justice. En matière pénale, ce sont tous les petits délits (délits ruraux, injures, coups…) toutes les affaires pour lesquelles l’amende encourue est inférieure à 60 sous. En matière civile, toutes les affaires qui mettent en jeu le statut des personnes (contrats…) mais qui ne peuvent donner lieu à la preuve du duel judiciaire.
Cette basse justice est moins prestigieuse et moins profitable que la haute justice. Cependant celui qui exerce cette justice est souverain dans la limite de ses compétences. L’attrait pour les droits de justice est si grand que les plus petits seigneurs se sont efforcés d’acquérir la justice sur leurs terres. De plus la justice devient un élément du patrimoine, la justice peut alors être aliénée, divisée en parts nombreuses après les générations successives.
C) Le jugement des vassaux et le jugement des sujets
Dans la seigneurie l’autorité judiciaire du seigneur s’exerce sur les vassaux qui relèvent du seigneur parce qu’ils lui ont prêté hommage. La justice s’exerce également sur les roturiers qui sont « couchants et levants dans le détroit de la seigneurie ».
1) Le jugement des vassaux
Rendre justice au vassal est un devoir du seigneur, de plus le vassal a le droit d’être jugé par ses pairs sous la présidence su seigneur.
Ce jugement prolonge le principe franc selon lequel l’homme libre ne peut être jugé que par la collectivité des hommes libres (mallum). Ce système résulte aussi de considération particulière de dignité sociale. En effet le vassal ne peut être jugé que par des hommes qui ont le même statut que lui, les chevaliers.
Techniquement tous les vassaux du seigneur doivent être convoqués mais il suffira qu’ils soient présents au nombre de 4 au moins pour pouvoir juger. En réalité, devant la cour féodale le poids de la sentence dépendra en fait du nombre et de la dignité de ceux qui ont rendu la décision.
Ce sont les vassaux eux-mêmes qui sont juges et engagent leur responsabilité personnelle.
Le seigneur pour sa part convoque les juges et les partis au procès. Il préside les débats, recueille les avis, prononce la sentence et la fait exécuter. Le seigneur perçoit les amendes et les biens confisqués.
2) Le jugement des roturiers
Le système franc du jugement par l’assemblée des hommes libres a reculé progressivement. Aux 10ème et 11ème s, les roturiers bénéficient encore du droit d’être jugés par leurs pairs. La justice est encore rendue dans des plaids judiciaires.
Au 13ème siècle, ce système existe encore dans certaines régions du Nord. Malgré tout, en dehors de ces régions le système franc a complètement disparu et c’est le seigneur lui-même qui juge pour qui délègue cette fonction à l’un de ses agents : « le prévôt ». Ce sera un roturier pour juger un roturier. Il est très fréquent qu’ils prennent l’avis des « assesseurs ».
II – La procédure devant les juridictions seigneuriales
Elle résulte de l’adaptation de la procédure Franque aux conditions de la société féodale. C’est-à-dire une société rude portée sur un système où les armes dominent plutôt qu’un système recherché qu’elle est capable d’utiliser. C’est une société où l’on croit à l’intervention permanente de Dieu dans la vie des hommes. La fonction judiciaire se distingue assez mal d’un arbitrage, elle s’élève difficilement jusqu’à la fonction de la collectivité publique.
A) Le déroulement du procès (XIIème – XIIIème)
1er caractère, la procédure est accusatoire. Le résultat est que c’est à celui qui se plaint d’engager la procédure à ses risques et périls. Sauf exception le juge ne se saisit pas d’office, il n’y a pas de ministère public.
D’autre part, cette procédure apparaît comme un ensemble de rites par lesquels s’explique la rivalité des adversaires. La procédure civile et la procédure criminelle possède les mêmes états.
Si la victime d’une agression n’a pas survécu seuls ses parents peuvent et doivent engager l’action en vertu de la solidarité. Il va s’agir de l’exercice de la vengeance par l’intermédiaire d’une instance judiciaire.
Le droit coutumier protège les droits des mineurs à engager la procédure jusqu’à l’âge où ils seront arrivés à l’âge de se porter accusateur, où ils pourront soutenir un duel judiciaire. C’est la dormition des actions. Les différentes étapes de la procédure sont orales et formalistes. Le plaignant exprime en personne sa plainte au seigneur justicier.
Le seigneur requis de dire le droit et doit alors faire porter la « semonce » à l’adversaire, c’est l’ordre de comparaitre tel jour à tel endroit pour répondre à telle accusation. C’est uniquement après trois convocations infructueuses du défendeur que le procès peut continuer contre le défendeur qui fait défaut.
En matière criminelle l’accusé qui est trois fois défaillant encourt le bannissement et la mise à mort s’il y retourne. Une fois les deux plaideurs en présence, l’affaire va être liée par les paroles au procès et les plaideurs doivent les prononcer en personne mais ils peuvent se faire assister de praticiens du droit qui indiquent les formules adéquats.
B) Les modes de preuve
La charge de la preuve incombe au demandeur. C’est le mode de preuve habituel préféré aux actes écrits, « témoins passent lettres ». Deux témoignages concordants entrainent la preuve des faits, « un témoin, pas de témoin ».
Les témoins en question déposent en public après avoir prêté serment de dire la vérité. Le témoin engage sa responsabilité personnelle car l’adversaire peut le déclarer « faux et menteur » et le provoquer en duel judiciaire. Cela a pour conséquence que nul ne peut être contraint de témoigner, les témoins sont généralement des vassaux ou des parents.
Ne peuvent être témoins ceux qui ne peuvent soutenir les duels judiciaires, les mineurs, les femmes, les ecclésiastiques et les personnes indignes.
Le serment est personnel, en effet le système des cojureurs a été suspendu. Il faut que les juges et l’adversaire fassent très attention à la formule du serment pour éviter les supercheries et les restrictions mentales. (Tristan et Iseult)
La preuve par écrit possède pleine force probante si elle dispose du sceau du roi sauf si le défendeur n’offre de « fausser le sceau par duel judiciaire ». Les actes privés sont validés uniquement par la mention des témoins présents à l’acte.
Ces actes n’ont de force probante que si les témoins viennent confirmer la teneur de l’écrit. Une évolution, à partir du 12ème s dans le midi où réapparaissent les actes authentiques grâce à la réapparition du notaire. Dans le nord on prend l’habitude de faire authentifier les actes sous seing privé par le seigneur.
Le jugement de Dieu, les ordalies reculent entre le 11ème et le 13ème siècle puis finissent par disparaître mais le duel continue à être utilisé comme preuve ultime dans les affaires de la haute justice. Ce duel peut également intervenir comme incident de procédure. La procédure du duel est désormais méticuleusement ordonnée.
Les plaideurs sont ajournés à comparaitre et doivent remettre des gages de comparution aux jours fixés, des gages de bataille. Il est d’usage de remettre un gant.
Chaque adversaire doit fournir une caution c’est-à-dire des hommes de bonne réputation qui garantiront la bonne comparution des adversaires. Ils doivent également tenir prison. Les partis doivent combattre en personne, sauf si c’est une femme, si c’est un vieillard, un ecclésiastique ou un établissement ecclésiastique on désigne un champion.
A l’origine le duel judiciaire est ouvert à tous les hommes libres mais progressivement ce système recule et finalement il ne sera plus utilisé à la fin du moyen âge que par les gentilshommes. Jusqu’à la fin du 13ème siècle, la prison n’est pas une peine. A l’issue du duel judiciaire, les armes et le cheval du vaincu sont confisqués au profit du seigneur.
C) Les procédés de contestation des décisions de justice
La procédure féodale connaît uniquement des techniques permettant de mettre en cause le seigneur qui a rendu la décision.
– La « défaute de droit » est ouverte au vassal lorsque son seigneur refuse de rendre justice soit en rejetant la plainte soit en refusant d’organiser l’instance soit en refusant de rendre la sentence. Le vassal s’adresse alors au seigneur supérieur, le « suzerain », pour se plaindre du « déni de justice ».
Si la plainte est fondée le seigneur fautif perd son vassal mais ce dernier conserve son fief. Le vassal devient désormais vassal immédiat du seigneur supérieur. Dans le cas contraire le vassal perd son fief car il a gravement à ses devoirs.
– Le « faussement de juge », il intervient lorsqu’un des plaideurs prétend que le juge lui a volontairement fait perdre le procès. Le plaideur va offrir de prouver ce qu’il avance par duel judiciaire « de son corps contre le seigneur ».
Cette procédure va être portée devant le suzerain.
Si le plaideur l’emporte, le juge ne peut plus juger, il doit verser une amende et réparer les dommages causés. Si le plaideur perd, il paie un amende, perd son fief si c’est un roturier il est pendu.
Toute l’organisation de la procédure féodale traduit l’idéal de dignité et de responsabilité personnelle du noble mais assure au meilleur combattant l’impunité probable. Elle ne favorise pas la protection des faibles et l’établissement de l’ordre.
Progressivement elle va se transformer à partir du milieu du 13ème en raison du développement du pouvoir royal et de l’influence du droit canonique et du droit romain. Le résultat est le développement d’une structure d’appel devant le roi.
Section 2 : La Guerre et la Paix dans la société seigneuriale
I) La guerre dans la société seigneuriale
Cette société est caractérisée par la guerre. En effet par son mode de vie et par l’exercice du pouvoir, le monde seigneurial constitue une aristocratie militaire.
La désagrégation de l’Empire carolingien a laissé la place à un état de violence endémique faute d’un niveau suprême. La vengeance privée qui avait été endiguée par les Carolingiens se développe de nouveau entre les hommes de toutes conditions.
A mesure que la classe des chevaliers prend conscience de sa spécificité, le recours à la guerre privée va avoir tendance à devenir un privilège de l’aristocratie militaire. De plus, le morcellement des justices est une cause de multiplication des guerres.
En effet faire la guerre est un droit pour le seigneur car ce seigneur assume la fonction de justice et peut donc prendre les armes pour assurer la réalisation contrainte de la justice.
A) Les catégories de belligérants
La guerre féodale est une lutte entre deux clans, derrière le chef de clan qui décide de la guerre les solidarités sociales entrainent d’autres hommes.
1) Les parents
Le chef de clan entraine avec lui les hommes de son lignage. Cette obligation qui correspond à la solidarité familiale dans la poursuite de la vengeance privée, cette obligation est très fortement ressentie jusqu’au 13ème siècle.
Le lien de parenté qui entraine l’obligation de soutien militaire existe aussi loin qu’est interdit le mariage entre parents à l’origine jusqu’au 7ème degré puis 4ème degré. Sont exemptées les femmes, ecclésiastiques, les mineurs, les pèlerins.
2) Les vassaux
Au début de l’époque féodale ils ont une obligation militaire durant toute la belle saison. Puis les coutumes féodales finissent par préciser l’obligation :
– Le service d’ost de 40 jours
– Le service de chevauché qui ne permet que de rapides incursions dans le territoire ennemi.
– Le service de garde ou d’estage le vassal doit participer à la garde des fortifications seigneuriales.
3) Les sujets du seigneur (les roturiers)
Dans le nord de la France il existe encore au 13ème siècle des roturiers qui prennent les armes pour défendre un clan. De plus, dans les villes il existe une très forte solidarité qui implique l’assistance armée.
Chaque ville qui obtient une autonomie de gestion assure sa propre défense grâce à une milice composée des hommes valides de la ville. De plus la société féodale n’a pas complètement perdu de vue le vieux principe franc obligeant tous les hommes libres à prendre part. Le roi va exiger l’aide militaire de ses sujets roturiers si le royaume de France est en danger.
En ce qui concerne la défense de la seigneurie par les roturiers il faut distinguer selon les époques et selon les circonstances.
– Aux 11ème et 12ème siècles, les roturiers peuvent être convoqués pour la garde des fortifications.
Dans les villes la participation des habitants à la défense du seigneur se fait par mobilisation de la milice.
– Au 13ème siècle, le rôle des roturiers se réduit puisque les guerres seigneuriales deviennent un privilège des nobles cependant les milices peuvent être convoquées lorsque les circonstances l’exigent (1214 bataille de Muret).
4) Les mercenaires
Le nombre des combattants provenant de la mobilisation des vassaux parait insuffisant aux grands seigneurs. Les milices parfois importantes ne sont que d’une efficacité médiocre.
Dès le 12ème siècle, le roi et les princes complètent leurs effectifs à l’aide de combattants rétribués recrutés pour les besoins d’une expédition et licenciés sur place à la fin de l’expédition. Ils sont redoutables pour les régions dans lesquelles ils sévissent, on les appelle les routiers, les écorcheurs.
B) Le déroulement des guerres
Les effectifs sont très faibles, les très grands seigneurs disposent de quelques centaines de chevaliers. Pour les seigneurs moins importants, c’est au mieux quelques dizaines. L’essentiel des actions sont des raids dans le territoire ennemi. On essaie de faire des prisonniers contre rançons.
La prise ou la destruction d’un château est une entreprise très longue car les effectifs ne permettent pas d’encercler la forteresse. Les batailles décisives consistent en choc de cavalerie. Ces guerres très fréquentes causent surtout du tort aux campagnes ravagées.
Les soucis de paix a été aussi constant que l’état de guerre, en dehors du monde des guerriers. Diverses autorités vont intervenir dans ce sens non pas pour interdire la guerre mais pour la limiter. C’est d’abord l’Eglise qui intervient dès le 10ème siècle, puis des laïcs et enfin le roi de France au 13ème siècle.
II) Les actions de l’Eglise contre les guerres
A) La doctrine de la guerre juste
La guerre ne peut jamais être considérée comme un bien en soi par le chrétien. Elle ne peut être entreprise par vengeance ni par cupidité ou désir de gloire ou encore par impérialisme. Malgré tout le retour à la guerre est décidé et mise en œuvre par l’autorité publique (Roi, seigneur…), elle peut être indispensable et donc juste pour assurer la défense du droit.
Par exemple pour défendre ses parents, vassaux, sujets contre une agression injuste, pour faire régner la justice en châtiant les perturbateurs de la paix, pour défendre les droits de l’Eglise et de Dieu ce qui est à l’origine des croisades. Cette doctrine a été posée dès le début du 5ème siècle développée plus tard au 12ème siècle.
B) Les mesures concrètes : le mouvement de paix au XIème siècle
– « La Paix de Dieu » :
Elle est destinée à protéger les individus pacifiques (ecclésiastiques, femmes, enfants, voyageurs donc les marchands, les pèlerins…) Elle protège ensuite différents biens : les biens de l’Eglise, des paysans.
Dans la mesure où cette Paix de Dieu était respectée elle avait une portée considérable car réduisait les guerres aux seuls combattants et à ses biens. Cette institution apparait dans le midi, région ravagée par les guerres et va être établie en 989 par le Synode Provincial de Charroux.
Elle va être généralisée par le Concile de Clermont en 1095 répétée au Concile de Latran en 1139. De cette paix de Dieu il faut rapprocher la multiplication des Sauvetés, c’est un territoire appartenant à un établissement ecclésiastique délimité par des croix les individus qui vivent à l’intérieur de cette zone ne doivent pas être attaqués.
Dans l’Est de la France des évêques vont faire réaliser dans leur diocèse des formules de serment de paix qu’ils vont s’efforcer de faire signer et respecter.
– « La trêve de Dieu » :
Elle pour but de limiter la guerre dans le temps, le concile d’Elne établit qu’aucun acte de guerre ne doit intervenir le dimanche. Les guerres seront déclarés illicites du mercredi soir au lundi matin également illicites pendant les grandes fêtes religieuses. Ces règles vont être généralisées au premier concile de Latran en 1069 et au concile de Clermont.
– Le second concile de Latran en 1139 :
Il cherche à imposer des limites au potentiel de guerre et interdit le recours aux armes trop meurtrières : l’arc, l’arbalète. Ces interdictions n’ont guère été respectées car il n’y a eu aucun moyen de contrainte physique par l’Eglise. En effet elle n’a à sa disposition que « l’excommunication ». Tant qu’ils sont en bonne santé, les seigneurs attaquent gaiement.
La paix de Dieu tombe en désuétude à la fin du 12ème siècle. Cependant l’Eglise va continuer à exercer son influence en inspirant les différentes actions menées par les forces laïques.
III) Les actions de la force laïque
A) Les réactions populaires
Certaines de ces réactions ont été suscitées par l’Eglise qui a favorisé la création de ligues de défense. La confrérie des « Encapuchonnés du Velay » va se rendre utile et détruire les troupes de routier. Cependant, cette confrérie va prendre une allure contestatrice de l’ordre établi (Dieu) par l’époque en s’en prenant aux seigneurs locaux.
B) Les coutumes et les pratiques du monde seigneurial
Du point de vue juridique dans la majorité des coutumes le droit de déclencher la guerre est considéré comme un déclenchement du pouvoir de justice, seul le seigneur justicier (haut justicier) peut engager la guerre pour la sauvegarde du droit.
Les armements deviennent perfectionnés, au 13ème s la guerre privée n’est plus accessible aux petits seigneurs.
Les seigneurs eux même ont éprouvé le désir de paix et en l’absence d’Etat de droit supérieur ils vont être incités à conclure des accords entre eux (pacte de non-agression, accords d’alliance…) dans le Rouergue un grand nombre de seigneurs signent un texte et mettent en place des institutions de paix, certains vont être payés pour être les gardiens de la paix.
Un tribunal est créé pour juger les perturbateurs de la paix avec un impôt spécial (la pésade). Les habitudes du monde seigneurial conduisent à l’établissement progressif d’une règlementation de la guerre au moins au 13ème s.
La guerre doit être engagée ouvertement, il doit y avoir échange de menaces publiques et caractérisées : un défi. A la fin du moyen âge dans la pratique princière, le défi constitue une cérémonie indispensable.
Les titulaires de grands fiefs vont prendre l’habitude de proposer leur arbitrage en cas de litige entre leurs vassaux, certains cherchent même à interdire les guerres privées Guillaume le conquérant crée la paix du duc et oblige les paysans à laisser leur charrue dans les champs.
IV) L’action du Roi de France
– Le roi reconstitue sa souveraineté par « l’asseurement » c’est utilisation par la pratique des pactes de non-agression. Le roi charge ses représentants d’inviter les seigneurs à conclure entre eux des accords de paix surtout lorsqu’une guerre menace (13ème s).
Cette injonction royale est accompagnée de la menace de saisir les biens et la personne des seigneurs qui refuseraient de conclure ces pactes. Ce procédé va contribuer au recul des guerres privées.
– La « quarantaine ». Le Roi est interdit d’attaquer les parents de l’adversaire pendant les quarante premiers jours de la guerre pour éviter qu’ils ne soient attaqués par surprise. Ce délai permet à toute la parenté d’être informé de l’état de guerre et de se mettre en état de défense.
A) Les lettres de sauvegarde
Elles découlent du pouvoir de protection du roi. Le roi peut délivrer aux personnes qui le demandent et qui ont des raisons sérieuses de les obtenir des lettres par lesquelles elles sont prises sous la protection personnelle du roi avec une conséquence importante : toute agression contre ces personnes est considérée comme agression contre le roi.
B) L’interdiction des guerres privées
Louis IX croît possible de couronner sa politique pacificatrice en interdisant les guerres privées et les duels judiciaires sous l’influence de l’Eglise.
Problèmes : cette interdiction ne concerne que le domaine royal, cette interdiction heurte les sentiments de la noblesse. Ainsi l’interdiction sera mal respectée du vivant de Louis IX et plus du tout après sa mort.
Dans la pratique les guerres privées n’auront tendance à disparaître qu’après la fin de la guerre de 100 ans lorsque le pouvoir royal s’affermit. L’ordonnance de 1439 établit que les vassaux ne doivent le service d’ost qu’au roi seul. Il y aura par la suite la création d’une armée payée par l’Etat.
Les guerres seigneuriales disparaissent progressivement mais sont relayées par les guerres dynastiques
Section 3 : L’organisation des Seigneuries
La seigneurie est un ensemble de pouvoirs sur les hommes et un ensemble de redevances au seigneur en application de ses pouvoirs.
I) La gestion économique de la seigneurie
Les droits du seigneur résultent de ses pouvoirs de justice et de ban. Il prélève certaines catégories de droit et impose aux paysans toutes les règles qui organisent la vie dans la seigneurie.
A) Banalités et police économique
Le terme « banalité » désigne une des caractéristiques les plus durables du seigneur sur ses paysans (ou ses citadins). Les seigneurs qui ont acquis le « droit de ban », ont le pouvoir de fixer les règles de travail dans la seigneurie. Le seigneur a le pouvoir de fixer la date du début des vendanges, c’est le ban des vendanges. Il fixe aussi la date à partir de laquelle les paysans peuvent vendre leur vin, le banvin.
Dans un sens plus étroit le terme de banalité désigne un système d’utilisation du matériel agricole fixé par autorité du seigneur ;
– Le moulin banal : le seigneur fait construire un moulin et établi un monopole au profit de son moulin désormais les paysans doivent utiliser ce moulin contre une redevance.
Dans la plupart de coutumes le seigneur impose le moulin banal vivant dans le périmètre d’une lieue autour du moulin. (Idem pour le four.)
En cas d’infraction les paysans doivent une amende au seigneur qui confisque la marchandise. Le seigneur est responsable de la défense des intérêts commun.
Les chemins ou les routes doivent être entretenues par lui (corvée ou redevance).
C’est lui seul qui peut créer des foires ou des marchés, décide de leur emplacement et de leur règlement.
De même le seigneur prend toutes les mesures relatives aux hommes qui vivent dans la seigneurie, il fixe par exemple les conditions d’utilisation des forêts, des landes, des marais c’est-à-dire de toutes les terres « vagues ». C’est lui qui règlemente l’exercice des professions, autoriser la création de boutiques…
B) Les droits seigneuriaux
– « La taille » est une taxe due au seigneur justicier par les roturiers qui sont couchants et levants dans la seigneurie. A l’origine c’est un prélèvement en nature sur les récoltes des paysans, elle sera ensuite remplacée par une taxe en monnaie. Comme la contrepartie de la protection du seigneur sur ses habitants, l’Avenagium (avoine), Fromentagium (froment).
Cette taille est un impôt direct le plus souvent payable par « feu », par ménage ayant une habitation séparée. Cette taxe est particulièrement lourde pour les paysans au 10ème et 11ème siècle. Ensuite elle va s’alléger car elle va être fixé à un nombre déterminé et immuable de pièces de monnaie et aussi en raison de l’augmentation continue du coût de la vie.
De plus, les habitants de la seigneurie vont obtenir progressivement l’abonnement à la taille c’est-à-dire elle va être fixée dans sa périodicité et dans son montant alors qu’à l’origine le seigneur peut la prélever en fonction de ses besoins. A la fin du 13ème s, elle n’est plus très lourde pour les paysans et moins profitable pour le seigneur. Les seigneurs se sont approprié la dîme autrefois perçue au profit de l’Eglise.
C) Les taxes indirectes
– Les droits de péage sur la circulation des marchandises
Les un proviennent de l’époque franque, d’autres ont été établis à l’époque féodale et ils se multiplient entre le 9ème et le 11ème siècle.
En effet il est très facile d’établir un péage en exigeant une redevance de ceux qui veulent utiliser une voie de communication.
– Les taxes sur les transactions
Le seigneur a le droit d’autoriser la création de marchés publics, de boutiques et à cette occasion il exige des droits sur les marchandises qui sont portées ou vendues dans ces lieux (les leudes). On utilise plus souvent des termes plus concrets comme « tabernagium », « salagium » (sel), « carnagium » (viande)…
– Les droits sur les poids. Le seigneur contrôle les mesures utilisées sur les marchés publics.
D) Les profits de justice
– Les amendes perçues par le seigneur en cas de violation du ban : confiscation des armes du vaincu du duel judiciaire, confiscation de tous les biens des condamnés à mort. A partir du 13ème lorsque le recours aux actes écrits devient habituel le seigneur justicier perçoit un droit de sceau lorsqu’il délivre un acte ou une pièce de procédure portant son sceau.
– Les biens sans légitime propriétaire ; tout ce qui n’a pas de légitime propriétaire revient au seigneur : les trésors, les mines, les successions vacantes, successions d’individus pas rattachés à une famille légitime.
A partir du 12ème siècle sous l’influence de l’Eglise dans le droit médiéval, le « bâtard » n’est pas rattaché à sa famille et ses biens reviennent au seigneur s’il meurt sans descendant légitime.
Le seigneur recueille la succession de « l’aubin » qui est l’étranger à la seigneurie venu s’installer dans la seigneurie mais en dehors du droit local, il ne s’est pas encore déclaré « l’homme du seigneur ».
– Les biens abandonnés : Le droit de naufrage, dans les seigneuries riveraines de la mer, tout ce qui s’échoue sur la plage appartient au seigneur. A l’origine ce droit est conçu de manière très rigoureuse si bien qu’il s’applique même s’il y a des naufragés.
C’est seulement à partir du 12ème qu’on admet que les rescapés peuvent revendiquer la marchandise (un an et un jour). Le droit du seigneur s’exerce sur tous les biens immobiliers sans titulaire déterminé (landes, bois…).
E) Le droit de battre monnaie
Ce droit a été accaparé d’abord par les Comtes et ensuite par d’autres puissants seigneurs.
En France, des dizaines de seigneurs frappent une monnaie pour leur propre profit. Le profit est représenté par la différence entre coût de fabrication de pièce et le pouvoir libératoire assigné à cette pièce.
II) Administration de la seigneurie
A la tête de chaque communauté paysanne, il y a un « maire ». Il mène les hommes aux corvées et perçoit des redevances.
Les fonctions administratives sont le plus souvent attribuées par les seigneurs par un système de fermage au plus offrant. Les agents sont souvent pressés d’accroitre leurs gains et pressent les populations. Ils détournent certains profits seigneuriaux à leur propre profit.
Les grands seigneurs établissent un embryon de gouvernement avec chambrier, sénéchal, connétable. Dans ces grandes seigneuries l’organisation évolue dans le sens d’une plus grande efficacité.
Ce mouvement va être prolongé par l’amélioration de l’administration royale, il est lié à la concentration du pouvoir et de la richesse qui se manifeste à partir du 12ème siècle. A partir de ce moment les seigneurs établissent de véritables textes de loi : les établissements.
L’organisation de la seigneurie n’est pas restée figée tel qu’elle l’était au 11ème et 12ème siècle.
A l’origine, cette seigneurie apparaît comme un ensemble de prestations au profit du seigneur. Du fait du morcellement des réserves, se produit une réduction des revenus provenant de la terre et des corvées.
Les seigneurs veulent de plus en plus avoir des ressources en monnaie car entre le 11ème et le 13ème siècle la vie devient de plus en plus coûteuse.
Les paysans souhaitent que les prestations en travail soient remplacées par des redevances en monnaie, signifiant une plus grande liberté et plus de temps.
Au 14ème siècle, les corvées sont devenues plus légères et sont remplacées par le « fermage » et le « métayage ». Souvent les structures seigneuriales se dégradent. Beaucoup de petits seigneurs endettés vendent leur seigneurie au bourgeois. Il y a une influence de l’individualisme de plus en plus marquée, provoquant une multiplication des partages et de seigneuries minuscules vidées de leurs puissances.
Les phénomènes de ventes s’accroissent, provoquant un mouvement de concentration des terres au profit des seigneurs les plus puissants.
Les grands seigneurs accroissent leur pouvoir et leur fortune au détriment des petits seigneurs. Cela annonce le développement de l’autorité du Roi, donc de sa suzeraineté, puis de sa souveraineté.
Les hiérarchies des pouvoirs et des hommes
L’organisation hiérarchique repose dans le monde des combattants professionnels, des nobles. L’hommage (ex recommandation) résulte de la vassalité et est accompagné d’un fief (ex bénéfice).
Chapitre 1 : La vassalité
Section 1 : L’hommage rite créateur du lien vassalique
Acte solennel par lequel un homme libre se place volontairement dans la situation de vassal d’un chef. Cet hommage dérive de la commendatio franque (recommandation) il va être la clé de voute des rapports de personne et de pouvoir dans le monde de ceux qui commandent.
I) Rite de l’hommage
C’est un acte public et solennel qui crée un engagement personnel, permanent, inégal entre deux hommes libres. La conséquence, les deux contractants doivent être là personnellement. Le futur vassal se présente devant son futur seigneur tête nue sans arme (sans épée ni éperon).
Il s’agenouille devant le seigneur ce qui souligne l’inégalité, place ses mains jointes dans les mains du seigneur traduit la dépendance, le vassal demande au seigneur de le recevoir « comme son homme ». Il prononce une brève formule par laquelle il se reconnait vassal. Le seigneur déclare l’accepter et le relève, tous les deux s’embrassent en signe d’amitié (hommage de main et de bouche).
Cette cérémonie laïque dérive des vieilles pratiques Franques mais elle va ensuite être complétée par la « foi ». Au départ simple engagement d’honneur puis un rite religieux. Le nouveau vassal jure sur des reliques ou sur les évangiles d’être fidèle à son seigneur. Dans le système français on prête « foi et hommage ».
II) L’investiture
Il s’agit de la remise symbolique du fief du seigneur à son vassal : remise d’une motte de terre ou d’une épée. Cette remise est parfois suivie de la « montrée ». A partir du 13ème s, on va dresser un écrit de la cérémonie et même acte notarié dans le midi qui servira de preuve et qui décrira le fief concédé.
(Le « dénombrement »)
A l’origine l’investiture est une conséquence de l’hommage mais progressivement il va y a avoir renversement, en effet au bout de quelques générations les vassaux dont les fiefs deviennent héréditaires perdent de vue la concession primitive et considèrent que le fief fait partie de leur patrimoine.
A partir du 15ème s, la signification primitive de l’hommage s’est transformée, désormais on considère l’hommage comme une simple charge pesant sur le fief. Désormais on dit que l’on possède un fief « à charge de porter hommage ».
Section 2 : Les Rapports seigneur-vassal
L’hommage crée entre les deux hommes des rapports de confiance loyale et d’appui mutuel. A l’origine l’hommage a une valeur absolue c’est-à-dire qu’il crée un lien de subordination et de solidarité si fort que chaque vassal ne peut avoir qu’un seul seigneur.
Cependant avec la généralisation du système seigneurial, les seigneurs vont chercher à multiplier leur nombre de vassaux, un vassal va pouvoir être amené à prêter plusieurs hommages car ils recevront des fiefs de seigneurs différents, au 12ème siècle la situation devient très complexe. Il peut arriver qu’un chevalier soit vassal de deux seigneurs en guerre et ne sache pas quelle attitude adopter.
Pour résoudre ce problème et pour que chaque seigneur sache sur quel vassal il peut compter, le droit va créer un nouveau type d’hommage au-dessus de l’hommage ordinaire ou hommage plan apparait un hommage plus fort : « l’hommage lige ». Cet hommage lige l’emporte sur tous les autres hommages sans distinction de dates.
L’homme lige s’engage à aider son seigneur contre toute autre personne au monde, celui qui a prêté hommage lige ne peut prêter un autre hommage que sou réserve expresse de cet hommage lige. Le roi de France va exiger systématiquement l’hommage lige.
I) Les obligations du seigneur
Il a un pouvoir de fidèle protection de son vassal ce qui implique l’obligation de lui rendre justice, de le défendre par les armes lui et ses biens. Cela implique l’interdiction de causer du tort au vassal (dans sa personne, sa famille, et ses biens).
II) Les obligations du vassal
« L’auxilium » revêt deux aspects :
A) L’aide militaire
– Le service d’ost, pendant 40 jours d’affilée par an au frais du vassal avec son équipement complet, ce service noble par excellence va pouvoir être racheté par le vassal de deux façons soit par le versement d’une somme d’argent ou par la fourniture d’un cheval de guerre.
– Le service de garde est l’obligation pour le vassal de tenir garnison pour une durée variable selon les régions.
– Le service de chevauchée, expédition rapide dans les environs immédiats : razzia sur les terres du voisin. Dans la pratique l’étendue de cette aide varie selon les coutumes locales et selon l’importance du fief concédé.
En Normandie on appelle « fief de Haubert » celui dont le titulaire doit venir à l’ost armé du haubert, de l’épée et de la lance. Il doit venir avec un écuyer et un page plus deux ou trois sergents qui sont eux même des combattants à cheval équipés légèrement. L’aide militaire tombe en désuétude dans le midi dès le 13ème siècle. Du fait du recul des guerres privées, le service personnel sera plus rarement exigé.
B) L’aide financière
Le « fief » qui est une tenure noble, se distingue de la « tenure roturière » (paysanne) car il n’y a pas versement économique régulier. Mais dans des circonstances exceptionnelles le vassal va aider son seigneur financièrement, manifestation concrète du devoir de secours, de l’amitié qu’il doit à son seigneur.
Dans la plupart des coutumes le vassal doit « l’aide aux quatre cas » :
– Contribution à la rançon si seigneur prisonnier
– Aux frais d’expédition quand le seigneur part en croisade
– Quand le fils aîné du seigneur est armé chevalier
– Pour constitution de la dot de la fille aînée du seigneur.
C) Le consilium, service de conseil et de cour
Le vassal doit se rendre auprès du seigneur et notamment pour participer aux assemblées judiciaires. Procédure lente, confuse, dont l’avantage est d’associer les vassaux aux décisions qu’ils auront à exécuter et de faire bénéficier le seigneur d’avis. Ce service de cour aussi fonction d’apparat.
La puissance d’un grand seigneur se mesure au nombre de vassaux qui l’accompagnent lors de cérémonies importantes. Dans le midi cette fonction est tellement importante qu’il existe des fiefs « honorés ». Le titulaire de ce fief a pour fonction unique d’accompagner son seigneur dans les cérémonies superbement habillés.
III) Sanctions des obligations réciproques
A) Les sanctions contre le seigneur
Si le seigneur manque gravement à ses devoirs, le vassal va l’accuser devant la cour du seigneur suzerain.
Le vassal est délié de ses engagements mais conserve le fief. Les causes sont le déni de justice, la violence ou guerre contre le vassal, la trahison, l’enlèvement.
B) Sanctions contre le vassal
1) La commise
Reprise définitive du fief, le droit féodal a limité cette sanction à 3 cas :
• Le désaveu, refus formel de se reconnaître vassal et de prêter l’hommage.
• La félonie (rébellion armée, trahison).
• Le suicide.
Cette reprise apparait comme normale durant la première période féodale puisque le fief constitue la contrepartie des services du vassal. Plus tard lorsque les fiefs sont devenus héréditaires la commise est apparue comme très sévère ainsi dans le midi elle disparait au 14ème s.
2) La saisie
Confiscation temporaire et le seigneur perçoit les revenus du fief jusqu’à ce que le vassal accomplisse ses obligations.
Ex : Retard dans renouvellement de l’hommage (saisi « faute d’homme »), absence à l’ost ou à la cour du seigneur.
A l’origine la saisie se transforme en commise au bout de 1 an et un jour mais petit à petit cette règle se perd et désormais le vassal pourra mettre fin à la saisie à n’importe quel moment en remplissant ses obligations.
Chapitre 2 : Le statut des terres et hiérarchie des tenures
Dans la société féodale la propriété recule puis disparait presque totalement au 11ème s au profit du système de la tenure. Dans ce régime des tenures les pouvoirs sur la terre sont divisés entre 2 ou plusieurs personnes qui « tiennent la terre ». En effet il y a une hiérarchie des possessions qui est qualifiée par le droit féodal à partir de la fin du 13ème siècle.
On distingue le « domaine éminent » du seigneur et le « domaine utile » du vassal pour une tenure noble pour un fief. La même terre va relever de plusieurs personnes qui auront des droits permanents sur cette terre mais PAS DE PROPRIETE. La principale distinction oppose la tenure noble ou fief à la tenure roturière ou la « censive ».
Section 1 : Le fief
I) Définitions
Le fief remplace au 11ème siècle le « bénéfice ». Ce terme désigne la terre concédée par le seigneur par opposition à la terre dont on est propriétaire, un « alleu ».
Les fiefs proviennent souvent du démembrement du domaine rural effectué par le seigneur pour rétribuer ses vassaux. Cependant beaucoup de fiefs ne résultent pas d’une véritable confession.
Au 10ème et 11ème siècle, beaucoup de propriétaires d’ « alleux » vont se placer sous la protection d’un seigneur, ils vont lui prêter hommage, lui remettre leur terre et le seigneur leur rétrocède cette terre à titre de fief en exigeant les services vassaliques : des « fiefs de reprise ».
Normalement le statut de fief concerne une terre plus ou moins vaste mais cette technique juridique peut aussi s’appliquer à des maisons, à des droits de justice. Peuvent être concédés en fiefs tous les biens permanents sauf les biens meubles, il existe également des fiefs offices sont des fonctions concédées en fiefs et qui deviennent héréditaires.
Les « fiefs rentes » sont constitués par l’attribution d’une rente permanente. Il va être facile de sanctionner le vassal qui ne respecte pas ses engagements avec les versements de somme d’argent.
II) Intégration du fief dans le patrimoine du vassal
L’hommage crée entre les deux hommes des liens personnels qui les engagent pour toute leur vie, la mort de l’un des deux met fin à l’engagement de l’autre. Quand le seigneur meurt l’héritier de ce seigneur qui renouvelle la concession de fief crée un nouveau lien. Dès la fin de l’époque carolingienne les vassaux se sont appliqués à rendre leurs droits permanents. Cette « patrimonialité » des fiefs s’est réalisée en deux étapes.
A) Reconnaissance de l’hérédité des fiefs
A l’origine le fief n’est transmis à l’héritier que du consentement du seigneur, l’hommage crée un lien strictement personnel qui prend fin avec la mort du vassal. Cependant entre le 10ème et le 11ème s, les coutumes se fixent dans le sens de la transmission automatique du fief au fils du vassal.
A chaque changement de personne il doit y avoir renouvellement de l’hommage et de l’investiture. Résultat : l’héritier du vassal ne devient légitime possesseur du fief qu’à condition de porter foi et hommage dans un délai de 40 jours sinon le fief est saisi faut d’homme.
Lors du renouvellement le seigneur se fait payer un droit de mutation : « relief » ou « rachat ». Le montant du rachat a été débattu entre les intéressés puis le droit finit par fixer le montant à un an de revenu du fief. Cependant, dans la majorité des coutumes les descendants en ligne directe n’ont pas à payer ce droit qui ne sera exigé que des collatéraux. En Normandie même les héritiers en ligne directe paient.
B) Aliénabilité du fief
Le droit d’aliénabilité arrive plus tardivement, l’aliénation n’est pas compatible avec le premier âge féodal. En effet il paraît contraire aux principes de la vassalité que le vassal puisse transmettre son fief à un acquéreur car cela aboutit à la possibilité pour le vassal de choisir un remplaçant pour les services personnels notamment les services armés.
Au 13ème siècle, la tendance à « l’inaliénabilité » finit par l’emporter car beaucoup de seigneurs cherchent à vendre en même temps, beaucoup de bourgeois enrichis par le commerce veulent acheter des fiefs. Les ventes deviennent fréquentes.
Le vassal restitue le fief à son seigneur en lui demandant d’accepter l’hommage de l’acquéreur qu’il lui présente.
Le seigneur a une option :
– soit il reprend le fief pour lui en remboursant l’acquéreur (« retrait féodal »),
– soit il est tenu d’accepter l’hommage de l’acquéreur et à ce moment en contrepartie de son acceptation il perçoit au moment de la mise en possession un droit de mutation égal au 1/5ème de la valeur du fief « quint denier ». Le vassal n’a pas le droit sans accord du seigneur de procéder à un « abrègement de fief » ; aliénation partielle qui diminuerait la valeur du fief.
III) La dévolution successorale du fief
Elle se fait selon des règles particulières fixées par les coutumes et toutes les règles vont avoir pour but d’assurer la stabilité du fief dans le patrimoine de la famille du vassal. Ce droit particulier des fiefs va devenir le droit particulier des nobles. Ce droit des nobles va à son tour assure jusqu’à la révolution la cohésion et la force de la noblesse.
A) L’ainesse
Cela évite le déclin du patrimoine et déclin de la famille.
Des règles se fixent aux 12ème et 13ème siècles: l’aîné des fils reçoit la meilleure part et si c’est un « fief de dignité » (comtés, vicomtés) il reçoit tout car ces fiefs sont jugés impartageables en raison de leur importance politique. Il doit subvenir au besoin de ses cadets soit en les faisant vivre auprès de lui soit en leur attribuant un apanage.
– Si la succession comporte plusieurs fiefs ordinaires : l’aîné choisit en premier et les cadets après lui.
– Si la succession ne comporte qu’un seul fief ordinaire ; l’aîné bénéficie de 2 avantages :
* Avant tout partage il prend « le principal manoir » c’est-à-dire la maison familiale plus l’enclos qui entoure château en question, le reste est ensuite partagé mais de façon inégale. En effet l’aîné prend les deux tiers ou quatre cinquièmes c’est « la part avantageuse ».
* Le reste est ensuite partagé entre les cadets qui deviendront souvent les vassaux des aînés. Ce droit d’ainesse n’existe que dans certaines familles qui ont ressenti la nécessité de l’unité politique. En règle générale la noblesse pratique le système romain d’où multiplication des coseigneuries. C’est seulement début 14ème s que l’usage du testament va permettre de répandre le droit d’ainesse dans le midi.
B) Privilège de masculinité
Les coutumes successorales n’accordent à la femme qu’une situation inférieure pour éviter autant que possible que le fief ne passe entre les mains d’un autre lignage du fait du mariage de la fille.
En Normandie, la prépondérance masculine s’exprime avec une extrême rigueur et donc les femmes sont exclues de la succession tant qu’il existe un parent mâle même de rang plus éloigné.
Cependant dans la majorité des coutumes, la femme est écartée de la succession uniquement par un parent mâle de même degré. Si elle est la plus proche héritière, elle hérite du fief. Malgré l’ainesse et la masculinité il arrive qu’un fief soit dévolu à une femme ou à un enfant, dans ce cas les coutumes déterminent comment seront assurés les services du fief: si la femme est mariée, son mari doit prêter l’hommage et don assurer les services du fief on dit qu’il « tient le fief pour …… »
– Si l’héritière est célibataire ou veuve les coutumes lui doivent de se marier rapidement avec le consentement du seigneur.
– Si l’héritier est trop jeune pour assurer lui-même le service c’est le plus proche parent mâle qui prend sa place jusqu’à la majorité, il prête l’hommage, perçoit les revenus et assure les services. C’est la garde noble.
A défaut de garde noble le seigneur reprend possession du fief jusqu’à ce que l’héritier arrive à l’âge où il pourra rendre service c’est la garde seigneuriale.
Section 2 : Les tenures roturières
Leur statut juridique ressemble à celui des fiefs mais elles correspondent à une fonction économique c’est-à-dire mise en valeur de la terre et versement au seigneur de revenus réguliers. Le mode de tenure le plus répandu c’est la tenure à cens ou « censive ».
I) Définition de la censive
Définition : C’est un bien immobilier, souvent une terre, concédé au tenancier pour qu’il en jouisse et l’exploite à perpétuité à charge d’assurer diverses prestations économiques. Quelle que soit la qualité personnelle du concédant (noble ou roturier) il devient « seigneur censier ».
La situation diffère d’une simple location perpétuelle car le seigneur censier dispose sur le tenancier d’un certain droit de justice au moins pour l’exécution des prestations. La concession en censive peut porter sur toute espèce de bien immobilier (exploitation de parcelles le plus souvent). Dans les villes sont concédées des maisons, appartements, fonds de commerce… On peut également concéder des biens banaux (moulin banal, four banal…).
Beaucoup de concessions à « cens » prolongent les tenures et manses des grands domaines de l’époque Franque. D’autres « censives » sont apparues lors de la généralisation des structures féodales. Pour être protégés, les petits propriétaires libres vont reconnaître à un seigneur à titre de censive la terre dont-ils étaient propriétaires (alleu). D’autres censives sont apparues entre le 11ème et 14ème siècle.
Le « bail à cens » crée une obligation réelle, il n’y a donc pas de création d’un lien personnel donc pas d’hommage. « L’investiture » résulte de la mise en possession par le seigneur censier soit symbolique soit par la remise d’un acte écrit de concession.
II) La patrimonialité des censives
Comme pour les fiefs les censives ont été intégrées dans le « patrimoine » du tenancier, l’évolution est plus rapide et plus complète que pour les fiefs. En effet la personne du tenancier n’a pas grande importance pourvu que les redevances soient payées.
A) L’hérédité
Elle devient la règle au cours de l’époque Franque. Lorsque des paysans libres se sont placés sous l’autorité du seigneur et qu’ils ont reconnu posséder en tenures des terres dont-ils étaient propriétaires, ils n’ont pas manqué de faire préciser que la tenure était concédée pour eux et pour tous leurs descendants. Idem en cas de concession de terres à défricher.
Jusqu’au 13ème siècle, l’héritier n’ente en possession de la censive de ses parents qu’avec le consentement du seigneur censier.
A partir du 13ème s, l’héritier entre de plein droit en possession sans avoir besoin de demander une concession nouvelle et sans avoir besoin de payer de droit de relief « le mort saisit le vif » le défunt transmet la tenure à son héritier sans passer par l’intermédiaire du seigneur.
Les censives ne suivent pas de règle particulière en matière de dévolution successorale, pas d’ainesse, de masculinité la censive est transmise au plus proche parent et s’il y a plusieurs enfants il y a partage.
B) L’aliénabilité
Le tenancier va pouvoir vendre la censive mais certaines règles protègent les intérêts du seigneur censier.
La vente ou la donation d’une censive (aliénation entre vifs) ne produit d’effet qu’avec l’intervention du seigneur lorsque le vendeur et l’acquéreur se sont mis d’accord, le vendeur se dessaisit de la tenure entre les mains du seigneur censier et lui demande d’en investir l’acquéreur.
Dans de nombreuses coutumes le seigneur censier peut effectuer le « retrait censuel » sinon il peut effectuer la « mise en saisine » de l’acquéreur et perçoit un droit de « lods et vente ».
Les seigneurs introduisent une clause interdisant l’aliénation des tenures au profit de nobles, ecclésiastiques ou établissement ecclésiastique. En effet les seigneurs censiers redoutent d’avoir comme tenanciers des nobles ou ecclésiastiques qui pourraient faire valoir des privilèges de juridiction. Et donc ils pourraient ne pas se soumettre à son autorité.
Pour les établissements l’interdiction s’explique par le fait que ce sont des personnes morales permanentes ne mourant jamais et n’aliénant pas. Le seigneur censier perdrait l’espoir de récupérer un jour la tenure, de percevoir les droits de lots et vente.
III) Les obligations des parties
Pour le seigneur censier il y a une seule obligation de garantir au tenancier la jouissance paisible du bien concédé faute de quoi le tenancier sera délié de ses obligations. Les obligations du tenancier consistent dans des redevances permanentes qui sont portables au domicile du seigneur ce qui souligne sa supériorité et ce qui peut accroître la charge du tenancier du fait du temps perdu en déplacement.
– 1ère redevance, le « cens » qui est la redevance principale par le paiement de laquelle le tenancier reconnait qu’il tient la terre du seigneur. Il peut être stipulé en monnaie ou en nature, il est imprescriptible: il ne disparait pas même s’il a cessé d’être payé pendant très longtemps. La dépendance de la terre est perpétuelle.
Le montant est fixé à des sommes toujours identiques (2, 4 ou 6 deniers) ce qui fait qu’au 13ème s la redevance est devenue faible. Malgré tout lorsqu’il s’agit d’un nouveau preneur la redevance sera plus lourde et donc plus proche du revenu réel de la terre. Le seigneur ajoute à l’ancien cens un deuxième plus élevé.
A) Les autres redevances
– Les contrats énumèrent différentes prestations destinées à la consommation du seigneur censier et de sa famille portables lors des différentes fêtes de l’année. Ces prestations ne disparaitront qu’en 1945 dans les contrats de fermage et de métayage. De plus le tenancier doit accomplir des journées de corvée au profit du seigneur, ces corvées sont allégées, abolies ou remplacées par une redevance monétaire.
B) Sanctions des obligations
Le seigneur censier les applique de sa propre autorité, le « droit de justice foncière ». A l’origine, le refus par le tenancier de payer les redevances entraine la confiscation de la censive mais dès le 12ème siècle, elle sera souvent écartée, exceptionnelle.
Désormais la sanction habituelle en cas de retard ou de défaut de paiement est une amende. Puis, si le tenancier persiste dans son refus il y a une saisie temporaire. Si tenancier continue ne pas payer ou s’il disparait le seigneur peut reprendre définitivement le bien ou la tenure.
Etant donné que les obligations résultant du contrat pèsent sur la tenure et non pas sur le tenancier, le seigneur censier ne peut exercer de contrainte personnelle sur le tenancier.
Il ne peut pas se saisir de la personne du tenancier.
Le tenancier peut se libérer des charges pesant sur la censive en « déguerpissant »: il avertit le seigneur, il paie l’arriéré et s’en va. La redevance principale consiste dans la livraison au seigneur d’une partie de la récolte, redevance beaucoup plus lourde que le cens.
– Redevance à Champart : En Ile de France, le montant varie d’une gerbe de blé sur 9 à une gerbe sur 14. Dans le bordelais pour les vignobles réputés, 1/5ème et dans certains cas 1/4.
Ce système a été utilisé par les seigneurs comme un moyen de défense contre l’érosion monétaire qui touchait le revenu produit par les « censives ».
Le développement de ce système correspond à l’état de la société en occident aux 13ème et 14ème siècles où la densité de peuplement est devenue très importante si bien que les terres sont désormais très recherchées.
Section 3 : Les tenures serviles
Ce sont des tenures exploitées généralement par les serfs. Ce sont des hommes qui n’ont pas la liberté, elles dérivent des manses serviles de l’époque franque caractérisées par la lourdeur des charges.
Entre le 10ème et 13ème s, dans certaines régions elles sont la forme la plus courante de la possession des sols.
Section 4 : L’alleu
Ce terme désigne à l’époque franque des biens venus des parents par opposition aux acquêts, biens acquis par l’individu.
A partir de 9ème s, « l’alleu » désigne la terre dont on est pleinement propriétaire par opposition aux terres concédées par le seigneur. L’alleu peut consister en terre d’importance très variable, une seigneurie toute entière. Les établissements ecclésiastiques possèdent beaucoup de terres en alleu à la suite de donations faites par des propriétaires.
Les alleux ont longtemps été la condition habituelle des terres, au 10ème ils sont encore plus nombreux que les tenures (fiefs) mais la généralisation du système féodal aboutit à un renversement de la situation et passé le 10ème s, ils sont devenus très rares dans bassin parisien Est et Ouest mais restent nombreux dans le sud (midi) et l’Est.
Ces alleux qui sont une trace du système romain de la propriété sont incompatibles avec les principes de la féodalité dont-ils vont subir l’influence.
I) Le système féodal et les alleux
A) Les coutumes excluant l’alleu
Dans de nombreuses régions s’appliquent le principe du « nulle terre sans seigneur » toute terre est considérée soit comme un fief soit comme une censive et relève donc du seigneur dans le territoire duquel elle se trouve.
B) Les coutumes défavorables aux alleux
« Nul alleu sans titre », s’il y a contestation sur statut d’une terre celui qui prétend que c’est un alleu doit en apporter la preuve en fournissant le titre primitif d’affranchissement ou un titre dans lequel est expressément reconnue la liberté de la terre. Cette règle est illogique, l’alleu est une terre libre par son origine il est donc difficile de posséder un document prouvant la liberté.
C) Les coutumes favorables à l’alleu
« Nul seigneur sans titre », en cas de contestation toute terre est présumée être un alleu et c’est à celui qui prétend le contraire d’en fournir la preuve. Le régime féodal s’est établi imparfaitement et de plus le souvenir de la liberté primitive des terres s’est conservée. A partir du 13ème s, la renaissance du droit romain consolidera les résistances contre la progression féodale, idée que la propriété privée doit primer.
II) Le statut personnel des alleutiers
Au 13ème s, lorsque le groupe des nobles a pris conscience de son statut particulier et de ses privilèges un problème s’est posé: les alleutiers sont-ils nobles ou pas?
En effet les alleutiers, hommes libre propriétaires de leur terre. Ces alleutiers se plaisaient à assimiler leur terre à celle des nobles. En 1315 une ordonnance royale pose le principe d’une distinction entre « alleu noble » et « alleu roturier ». Sont désormais considérés comme alleux nobles les propriétaires d’alleux justiciers ils devront au roi le service des armes.
III) Les alleux et la royauté
A partir de la fin du moyen âge les alleux perdent petit à petit leur autonomie en raison du développement de la souveraineté royale.
En application du principe selon lequel « toute justice est tenue du roi » les seigneurs justiciers propriétaires d’alleux doivent reconnaitre que leur justice relève du roi comme souverain. De plus alleutiers nobles doivent service militaire au roi, ce statut se réduit à la « liberté de la terre » et donc à la liberté de l’aliéner sans payer de droit de mutation.
Pour des raisons fiscales les agents royaux vont s’efforcer de supprimer cette liberté de la terre en faisant reconnaitre que toutes les terres relèvent du roi comme souverain et comme seigneur féodal ce qui implique que les alleutiers doivent être soumis au paiement de droits féodaux. Les régions allodiales vont défendre leur liberté jusqu’à la révolution.
Chapitre 3 : Condition des personnes dans la société féodale
Section 1 : Les nobles
I) Formation historique (Xème – XIIIème)
La noblesse apparait à l’origine comme une situation de fait résultant d’un ensemble de supériorités personnelles, par la suite elle va prendre un caractère héréditaire et l’aspect d’une condition juridique précise.
A) Situation de fait
A la fin du 10ème s certains hommes libres sont qualifiés de nobles. Il existe des individus qui sont reconnus comme l’emportant sur les autres en dignité ou en pouvoir. Cette situation de supériorité et le qualificatif de noble qui en découle résulte d’éléments variables selon les régions: le fait de posséder un grand domaine, de descendre d’une famille de comte ou vicomte…
Tous ces vénérables ont le même genre de vie : ils sont chefs et seigneurs parmi les hommes libres. De plus ils ont les capacités matérielles de mener un genre de vie consacrée à la guerre et au commandement.
Il faut posséder le prestige, c’est-à-dire mener la vie du combattant professionnel. Ils sont séparés des hommes libres par excellence, ceux qui demeurent libres parce qu’ils commandent.
Durant la formation, la qualité de noble est très instable.
En effet elle est liée au prestige personnel d’un individu et peut disparaitre avec lui. Aux 10ème et 11ème, dans la société mouvante du monde seigneurial beaucoup d’individus audacieux réussissent des ascensions sociales.
B) La noblesse devient une condition héréditaire
On peut observer 2 facteurs convergeant: dans la société du premier âge féodal caractérisé par la solidarité familiale, la noblesse va être considérée comme une dignité appartenant virtuellement à la famille.
Les bases matérielles de puissance matérielle des nobles passent à leurs descendants et donc l’hérédité de la noblesse accompagne l’hérédité de la vassalité et du fief. Le noble fait élever ses fils pour qu’ils deviennent des guerriers. Par leur formation et leurs aptitudes les fils du noble vont être intégrés au groupe des nobles.
En France c’est au cours du 11ème s que la qualité de noblesse en vient à s’appliquer à toute une famille. On voit apparaitre ce processus d’hérédité dans la façon dont on se nomme. A la fin du 11ème s la majorité des notables portent un nom de famille, symbole de la séparation entre «ceux qui sont nés» et les autres.
C) Les liens entre noblesse et chevalerie
Le terme « miles » désigne à l’origine le soldat sans distinction et progressivement il va désigner le chevalier. Le résultat est que les termes chevalier et noble sont quasi synonymes au 11ème. Durant la première période féodale le monde des chevaliers est relativement ouvert car les situations sont encore instables et chaque seigneur cherche à recruter des hommes d’arme. Un chevalier peut donc armer chevalier (adouber) quel que soit sa condition (roturier ou serf) s’il est bon combattant.
Progressivement cette situation va se modifier à mesure que la chevalerie va avoir tendance à se fermer et devenir un ordre. Cet ordre va à terme former l’élite de la société à laquelle on accède après une éducation et un rite. Le futur chevalier effectue quelques années d’apprentissage à la cour d’un seigneur.
A la fin de son apprentissage et qu’il atteint âge adulte il va être intégré dans l’ordre par le « rite de l’adoubement ». La Colée est un geste symbolique pour éprouver la force du jeune. Le jeune fait une démonstration de ses aptitudes militaires par des simulacres de combat à cheval.
A ces rites l’Eglise va ajouter des éléments religieux : une veillée de prière, messe, bénédiction de l’épée, serment du jeune chevalier de protéger Eglise et les faibles.
Il y a volonté de l’Eglise de sacraliser la classe des combattants en lui inspirant un idéal de protection en vue de l’intérêt général.
La qualité de chevalier constitue une dignité personnelle. A l’origine les descendants d’un chevalier peuvent retomber parmi les roturiers.
Cependant au cours du 12ème s l’évolution vers l’hérédité des conditions va faire que les fils de chevalier vont conserver l’aptitude à être eux-mêmes adoubés même si cet adoubement est retardé. Tout chevalier est noble mais tout noble n’est pas chevalier.
A la fin du 12ème s les fils et petits-fils de chevaliers sont réputés nobles même si pas adoubés. En définitive les chevaliers apparaitront comme une élite au sein de la noblesse. L’entrée dans la chevalerie va être réservée aux nobles.
II) L’accès à la noblesse à partir du XIIIème
A) La naissance
La noblesse devient un ordre héréditaire, ses conditions d’accès vont se préciser et les coutumes vont traduire l’effort des nobles pour rendre l’accès à ce groupe plus difficile à ceux qui ne sont pas issus d’un lignage noble.
Le vocabulaire va réserver aux nobles de race l’appellation gentilhomme. On prouve la noblesse par celle de ses parents.
– 1ère hypothèse, seul le père est noble, le fils légitime est noble. Dans la plupart des coutumes « le bâtard avoué » reconnu d’un père noble est également noble.
– 2ème hypothèse, seule la mère est noble alors en général l’enfant n’est pas noble. Exceptions en Champagne.
B) L’entrée en chevalerie
La noblesse a tendance à se fermer aux hommes nouveaux. La chevalerie sera réservée d’abord en faits puis en droit aux fils de gentilshommes.
A la fin du 13ème adouber un roturier va être réservé aux plus grands seigneurs puis au roi seul. Désormais il y aura interdiction d’adouber un roturier (« vilain ») sans autorisation du roi. Pour la femme seulement si elle épouse un noble devient noble.
C) L’acquisition de fiefs
A l’origine être accepté comme vassal par un seigneur c’est être intégré automatiquement au groupe des nobles en raison des qualités militaires que suppose le statut de vassal.
Jusqu’à la fin du 12ème, les roturiers peuvent recevoir des fiefs si le seigneur accepte leur hommage.
A partir du 13ème l’achat de fiefs par des roturiers enrichis devient de plus en plus courant. Les lignages de gentilshommes redoutent l’irruption massive de roturiers dans leur groupe. Le service militaire lourd, le nombre des roturiers désireux d’acheter des fiefs a été limité.
Au 13ème le poids du service militaire s’atténue fortement et cet obstacle à l’achat devient beaucoup moins attrayant. On arrive à une solution qui dissocie noblesse et achat de fiefs.
– 1268 : arrêt de la cour royale refuse la qualité de noble à deux rustres qui ont acheté des fiefs.
– 1275 : ordonnance royale généralise ce principe et désormais les acquisitions de fiefs par les roturiers restent possible sous réserve du paiement au roi d’un droit de « franc fief ».
Les roturiers possédant un fief ne seront plus nobles. Cette ordonnance marque le déclin des principes fondamentaux de la féodalité. En effet aux yeux du roi le service militaire des vassaux à moins d’importance que la taxe payée par les roturiers.
De plus par cette ordonnance le roi en se réservant le droit de franc fief enlève aux seigneurs la possibilité de contrôler eux-mêmes les voies d’accès à la noblesse. De toute façon à partir de cette ordonnance l’accès des roturiers à la noblesse (anoblissement) n’aura plus lieu en principe que par concession personnelle du roi ou à partir du 14ème par l’attribution de fonctions anoblissantes.
III) La condition des nobles (l’état de noblesse)
A) Le droit particulier des nobles
1) Privilèges militaires
Seuls les nobles peuvent participer à la guerre privée. Ils peuvent porter les armes en tout temps et en tout lieu. Le droit aux armoiries va être minutieusement codifié et seuls les nobles pourront porter des armoiries timbrées.
2) Privilèges fiscaux
Le noble expose sa vie pour défendre la communauté, c’est sa fonction. On dit qu’il paye l’impôt « du sang » et ne paie pas les autres impôts aux seigneurs et au roi. Il est donc dispensé de la taille. De même les nobles, sa famille et ses domestiques sont exemptés des taxes indirectes et des droits de péage.
3) Les privilèges judiciaires
Le noble est jugé par ses pairs. Devant les tribunaux royaux le noble se présente directement devant les juges supérieurs du roi (baillis et sénéchaux) et qui s’entourent d’assesseurs nobles.
– Privilèges de procédure : fixe le jour où on doit se présenter devant la justice par deux nobles. Le noble a en plus un délai de 15 jours pour comparaître alors que le roturier peut être convoqué le matin pour l’après-midi. L’exécution de la peine de mort s’effectue à partir du moyen âge de manière moins humiliant que pour les roturiers. En revanche les amendes que paient les nobles sont plus fortes que celles que paient les roturiers pour une même infraction.
4) Privilèges de droit privé
Un véritable droit privé des nobles s’est constitué au 13ème siècle à partir des règles destinées à assurer la permanence du patrimoine et donc la dignité des familles. La majorité des nobles est fixée à 20 ans révolus pour les hommes et au mariage pour les filles.
Pour les roturiers, la majorité est fixée à 15 ans et 12 ans pour les filles. Le noble peut lorsqu’il a été adoubé avoir un sceau grâce auquel il donne une valeur authentique aux actes.
B) Le comportement noble
Le noble doit vivre noblement, se comporter à tout moment selon des principes.
Il doit se consacrer à des occupations nobles : métier des armes, armées du roi, il commande et gouverne sa seigneurie…
Honneur, loyauté, courage (mépris de la mort), fidélité, obéissance au seigneur, protection des faibles, élégance du comportement : éducation raffinée.
L’idéal courtois va avoir tendance à dégénérer vers des formes exagérées avec le goût pour des actions d’éclat inutiles.
L’argent ne doit pas être un but mais un moyen de soutenir sa dignité et de secourir son prochain. Dans ce comportement se rejoignent trois éléments ; d’abord l’idéal chrétien d’indifférence aux biens de ce monde, l’attitude du guerrier professionnel qui cueille le jour présent, et la vanité d’affirmer sa supériorité par la dépense.
Dans la mentalité de la noblesse française il existera un élément constant: l’idée que gagner sa vie par son travail est réservé aux non nobles. La noblesse française répugnera à s’occuper d’opérations commerciales. Celui qui accomplit un acte indigne de sa qualité déroge à son statut particulier, ses successeurs ne seront pas nobles.
Section 2 : Les serfs, une formation historique
I) De l’esclavage antique au servage médiéval
Servus: « esclave » en latin.
Il existe des liens entre esclavage de l’antiquité qui survivait à l’époque franque et le servage médiéval. Il est vraisemblable que des descendants de servi des 8ème et 9ème siècles se retrouvent encore au 11ème et 12ème sur le même domaine.
Le problème est que la condition juridique des servi s’est lentement améliorée sous l’influence de l’Eglise et en raison de l’évolution des conditions de travail. En effet le servus du droit romain n’était qu’une chose dans le patrimoine de son maître alors que le servus du 12ème possède le statut d’une personne humaine : famille légitime, droits et patrimoine.
Le glissement de l’esclavage au servage est donc loin de rendre compte de l’importance de la population servile dans les campagnes aux 11ème et 12ème siècles. Dans la région parisienne il existe des villages où tous les habitants sont serfs alors que dans les mêmes villages il n’y avait au 9ème que quelques servi parmi une majorité d’hommes libres.
Comment explique que la majorité des paysans encore libres à l’époque franque soient tombés dans le servage entre le 12ème et le 13ème ?
L’extension de la condition servile est due à plusieurs facteurs convergents :
A la fin de l’époque franque se produit un mouvement de convergence des diverses catégories de paysans dépendants (les colons, les affranchis) qui se confondent avec les servi.
En définitive toutes les catégories vont s’amalgamer en une condition unique, celle des serfs à laquelle vont venir s’ajouter les descendants.
Les coutumes locales qui se constituent durant cette période ont tendance à définir le statut des personnes d’après la condition la plus habituelle dans la région. Là où les hommes libres étaient minoritaires, le statut de serf va s’étendre à toute la région.
La constitution du régime seigneurial va contribuer à la généralisation du statut servile. Il est fréquent que le seigneur impose à tous les habitants de la seigneurie des charges nouvelles qualifiées de servitudes. A la longue les charges en question s’étant multipliées et les concessions héréditaires des tenures ayant fixé au sol les habitants ont fini par considérer que tous les paysans soumis à ces charges sont dans une condition servile.
Aux 12ème et 13ème s, il existe un statut des serfs dans les coutumes et donc la distinction entre serfs et roturiers libres est devenue très nette (aussi nette que la distinction dans l’antiquité entre esclaves/hommes libres).
Le phénomène d’extension du servage s’est poursuivi jusqu’à son terme logique de telle sorte qu’au cours du 12ème s tous les paysans sont devenus serfs à moins d’obtenir du seigneur un terme de liberté.
Dans la région parisienne et le centre les serfs et hommes libres coexistent. Dans les pays de l’Ouest c’est moins difficile, l’amélioration de la condition rurale est plus précoce. En Normandie le servage disparait dès le début du 12ème sans s’être complètement constitué.
Dans le sud-ouest l’évolution vers le servage est plus tardive mais l’expansion se poursuit plus longtemps. Malgré tout il reculera assez vite.
En définitive dès début ou milieu 12ème le servage est en régression dans l’ensemble de la France. Sa progression s’est heurtée à de nouvelles évolutions favorables à la liberté. Le besoin de mains d’œuvre pour défricher les terres. La croissance des villes peuplées d’anciens serfs. Développement de l’activité économique dans les villes qui offrent des occasions de quitter les tenures.
II) L’entrée dans la condition servile
A) La naissance
Dans cette société où les structures permanentes sont la règle, le servage est avant tout héréditaire. Résultat, les serfs de naissance car statut héréditaire du même seigneur que leur parent.
Si un seul des parents est serf la solution la plus fréquente attribue à l’enfant la condition de la mère. Dans d’autres coutumes « le pire emporte le bon » : la condition la plus mauvaise l’emporte sur la condition la meilleure. Quand les parents sont deux serfs relevant de deux seigneurs différents la situation est réglée par des coutumes ou des accords entre seigneurs. Parfois les enfants mâles seront sous l’autorité d’un seigneur et les filles d’u autre. Parfois l’un des deux seigneurs exercera ses droits sur des enfants de rang impair.
B) Le mariage
En cas de mariage mixte dans de nombreuses coutumes jusqu’au 13ème l’époux libre devient serf du seigneur de son conjoint. A partir du 13ème ce principe ne sera maintenu qu’à l’encontre de la femme libre épousant un serf
C) La soumission d’un homme libre au servage
Certaines coutumes maintiennent la réduction à l’état servile comme sanction du service militaire par un roturier. Un homme libre peut être réduit au servage pour non-paiement des règles anciennes. Elle peut résulter d’actes volontaires qui ont contribué très sensiblement au développement de la condition servile.
Un individu offre sa personne, ses biens et ses descendants à un établissement ecclésiastique (acte de piété). Ces oblations tombent en désuétude au 13ème, en île de France par contre elles survivent jusqu’au 16ème. L’entrée volontaire en servage peut être constatée par un simple aveu devant témoin. Mais elle peut aussi donner lieu à une véritable cérémonie formaliste (corde de la cloche de l’Eglise autour du cou)
D) La résidence en « lieux serfs »
Il y a des régions où le statut de serf est si habituel que celui qui s’installe dans cette région «lieu serf» devient serf. Le plus souvent il faut y résider 1 ans et 1 jour.
Au 13ème l’homme libre qui s’établit au milieu des serfs peut écarter cette conséquence en s’avouant dès son arrivée sujet libre du seigneur.
E) La tenure servile
Certaines tenures sont considérées comme serviles car toujours cédées à esclaves et serfs chargés d’obligations très lourdes. Les individus libres entrent alors en servage, malgré tout ils perdront le statut de serf lorsqu’ils quitteront cette tenure : serfs d’héritage
III) Les droits sur la personne du serf
Le serf est l’homme de corps du seigneur. Il est soumis personnellement à l’autorité de son maître, il n’est justiciable que de son maître aussi bien en matière civile que criminelle.
Si le serf se sauve le seigneur peut le réclamer ou le reprendre.
En règle générale le serf n’a pas de recours contre la sentence de son seigneur. « Entre mon serf et moi il n’y a de juge que Dieu ». Exception pour les affaires religieuses: le serf relève des tribunaux ecclésiastiques.
Le serf de corps est attaché à la seigneurie par le serf d’héritage selon le droit commun le serf de corps est tenu de demeurer dans une seigneurie déterminée. Les droits du seigneur sur les serfs constituent l’un des éléments du fief. On donne ou on vend un fief avec les droits sur les serfs, droit de poursuite.
Le formariage est le mariage en dehors de la seigneurie. Le seigneur craint le mariage du serf en dehors de la seigneurie car il risque de perdre ses droits sur le serf et toute partie des enfants. La condition du serf formarié a longtemps été incertaine, le droit laïc est hostile à ce type de mariage en revanche le droit canonique y est favorable.
Le droit canonique ancien défend au seigneur de rompre le mariage lorsque le seigneur a donné son accord en même temps le droit canonique ne reconnait ce mariage que si il est autorisé par le seigneur. Au milieu du 12ème la papauté va dégager une solution : les êtres humains doivent accéder librement aux sacrements. Le formariage est valable même sans accord du seigneur, le seigneur ne doit pas dissoudre ce mariage ni même le juge ecclésiastique.
Le seigneur ne peut plus obtenir l’annulation, au 13ème le seigneur exige du serf un droit de formariage, il accorde à ses serfs une exemption totale de formariage ou alors il conclut des accords avec ses voisins permettant à leurs serfs de se marier.
Les corvées ne sont pas absolument caractéristiques du servage, tous les paysans doivent des corvées sur la réserve. Les serfs doivent cependant des corvées beaucoup plus lourdes, jusqu’à 3 jours par semaine habituellement les coutumes fixent les charges de travail ou bien les remplacent par des redevances monétaires.
IV) Les corvées
A) Droits du seigneur sur le patrimoine du serf
La dépendance entraine assouvissement à différents types de prestations, chaque serf doit verser chaque année une somme assez faible : reconnaissance publique du statut servile. Lorsque les serfs d’un village obtiennent l’allègement de leurs charges sans être affranchis le seigneur maintient expressément le chevage.
B) La taille servile
Comme tous les hommes libres de la seigneurie les serfs sont eux aussi soumis à la taille, à l’origine les serfs sont taillables à merci. Cette règle a pour origine le droit romain dans lequel le maître pouvait reprendre les biens de ses esclaves en cas de besoin. En général dans leur propre intérêt les seigneurs vont être conduits à limiter leurs exigences.
Beaucoup de coutumes vont finalement fixer le montant de la taille et les périodes auxquelles elle pourra être exigée. Le statut des serfs se rapproche de celui des paysans libres qui ont obtenu plus tôt l’abonnement à la taille.
La « main morte » traduit le fait que le serf n’avait pas originairement le droit de transmettre après sa mort. A l’origine le seigneur a le droit de reprendre à la mort du serf ses biens et notamment la tenure. En pratique la tenure sera transmise aux descendants en ligne directe du serf contre paiement d’un rachat.
A partir du 13ème, ce droit de main morte est plus exigé, dans les régions où statu de serf est la condition générale se développe une pratique qui supprime l’usage de la main morte. Les parents et les enfants vivent en commun sur la même tenure. Lorsqu’un membre de cette communauté familiale.
Les biens sont des biens communs, il n’y a pas ouverture de succession et donc pas de droit de main morte. Dans d’autres régions le seigneur intervient à l’ouverture de la succession de chaque serf mais il réinvestit immédiatement les plus proches parents de la tenure et ne garde pour lui qu’une part des meubles : droit de meilleur catel. Malgré l’atténuation du droit de main morte ce droit continue à entrainer l’interdiction pour un serf de faire un testament.
Exception, possibilité de faire un legs pieux par le serf dans la limite de 5 sous. Dans le midi les serfs vont pouvoir à partir du 13ème faire un testament.
C) L’incapacité servile
En matière judiciaire, sauf privilège particulier le serf ne peut témoigner contre un homme libre, témoignage valable que contre un autre serf. A partir du 13ème il ne peut pas témoigner dans un procès où son maître se trouve engagé ni pour lui ni contre lui.
– Incapacité d’entrer dans les ordres, il ne peut devenir ecclésiastique.
Au temps de l’Empire romain l’Eglise avait considéré que les esclaves ne pouvaient recevoir les ordres sacrés tant qu’ils n’étaient pas affranchis. En effet la dignité et l’indépendance du clerc étaient incompatibles avec la soumission personnelle à un maître.
A l’époque féodale l’incapacité est étendue au serf, en pratique l’incapacité est souvent méconnue et il est difficile de connaitre le statut d’un individu. Le droit établit une solution de compromis, le seigneur a le droit de reprendre le serf si ce dernier n’a reçu que les ordres mineurs (ex: portier, exorciste) s’il a reçu les ordres majeurs (sous diacre, diacre et prêtre) simple indemnité.
De plus la pratique a imaginé une forme particulière d’affranchissement en vue de la tonsure cléricale. Le serf reçoit la pleine liberté pendant sa vie mais à sa mort le seigneur exerce un droit de main morte sur le patrimoine.
Pour pouvoir être armé chevalier le serf doit être affranchi.
V) Affranchissements et déclin du servage
A) Modes d’affranchissement
– Affranchissement par charte, il suffit de la volonté du seigneur constatée par un document écrit.
L’affranchissement fait disparaitre les caractéristiques du servage, mais affranchi il paye la redevance des paysans libres. Ces actes d’affranchissement évoquent toujours des motifs de piété cependant très fréquent que le seigneur remplace les anciennes obligations serviles par versement d’une taxe régulière. Le seigneur se fait payer un capital important.
L’abandon de la tenure servile pour serfs d’héritage uniquement. Subsiste la règle selon laquelle un serf retrouve sa liberté en reniant solennellement sa dépendance devant le seigneur. Il doit alors abandonner sa tenure et la totalité de son patrimoine.
– Résidence en lieu de liberté, l’affranchissement intervient alors contre la volonté du seigneur. En effet dans beaucoup de villes la coutume accorde la liberté à celui qui s’établit à l’intérieur du territoire de la ville ou à l’intérieur des murs de la ville. Le but est de peupler une agglomération. Parfois affranchissement intervient après résidence paisible (sans contradiction) pendant un an et un jour. L’air rend libre.
B) Mouvement de libération des serfs
Les affranchissements peu nombreux et individuels au 11ème s.
A partir fin du 12ème s, ils sont plus fréquents et concerne des groupes.
Durant la 2nd moitié du 13ème s, des villages entiers en bénéficient.
Ce mouvement constitue un des aspects principaux de l’évolution des structures sociales. Les fondations de villes nouvelles et le mouvement de défrichement des terres incitent des serfs à chercher une condition plus favorable loin de leur seigneurie d’origine. De leur côté les seigneurs appauvris acceptent souvent de concéder la liberté moyennant finance. Le développement de l’économie monétaire, l’amélioration des campagnes permettent au serf de réaliser des économies qui vont permettre aux communautés d’acheter leur liberté.
Dans la 2nd moitié du 13ème la multiplication des affranchissements provoque un recul général du servage en France. Philippe Le bel accorde la liberté à tous les serfs de la sénéchaussée idem en 1303 pour le Rouergue et l’agenais.
Malgré tout il existe variations géographiques. Au début 14ème s, le servage a disparu du Languedoc, du Sud-est et de l’Ile de France. A la fin du moyen âge la géographie du servage est stabilisée jusqu’ à la révolution. Juste quelques groupes de serfs dans sud-ouest et Bourgogne, Champagne…
Variations chronologiques particulières, les serfs royaux avaient connu des conditions particulièrement rudes et ont été les premiers affranchis parce qu’ils ont cherché à obtenir leur liberté. En revanche serfs des établissements ecclésiastiques n’ont pas revendiqué la liberté. De plus droit canonique rend difficile toute aliénation.
Le servage va subsister plus longtemps qu’ailleurs mais sous des formes très atténuées.
Titre 3 : Villes et institutions urbaines
Chapitre 1 : Les villes dans la société médiévale
Les anciennes cités qui avaient constituées les centres de la vie économique, culturelle, administrative et politiques dans le monde méditerranéen s’étaient petit à petit dépeuplées après le 4ème siècle.
D’autres ont survécu en tant que petites « bourgades » de quelques centaines d’habitants.
Section 1 : le renouveau urbain
I) Le repeuplement des anciennes citées
La civilisation des 9ème, 10ème et 11ème siècles ont constitués les structures féodaux-seigneuriales.
En occident se produit un renouveau des activités urbaines, petit à petit les villes reprennent leur rôle de centre de production et d’échange. En se redéveloppant elles vont revendiquer des libertés adaptées à leur situation particulière et vont conquérir leurs institutions spécifiques.
Les anciennes villes de l’antiquité qui avaient été réduites à la situation de « bourgades » dépeuplées passé le 4ème s, recommencent à se développer avec le repeuplement. Faubourgs peuplés d’artisans, commerçants…
L’amalgame entre la cité (vieille ville) et le faubourg (quartier des artisans, plus dynamique) va laisser subsister des différences.
Dans certaines villes les habitants vont conserver les statuts et une organisation différente.
II) La création d’agglomérations nouvelles
Des villes nouvelles se créent parfois spontanément dans un lieu favorable (auprès d’un château) ou dans un lieu stratégique. Dans d’autre cas, c’est le seigneur qui va créer une agglomération nouvelle.
Ex : création des « sauvetés » au 11ème et 12ème (zone où la guerre est interdite).
Les grands seigneurs laïques eux-mêmes prennent conscience de l’utilité de créer des centres de peuplement dans un but militaire ou économique. Ex : Création de la ville de Montauban en 1144.
Au 13ème siècle la politique d’urbanisation devient systématique et les grands seigneurs du midi multiplient les bastides qui sont caractérisées par un plan rationnel.
Le nom de ces villes évoque l’origine des villes (ex : Labastide), leur franchise (ex : Villefranche).
La création de ces bastides correspond à plusieurs motifs :
– Le regroupement des populations, un rôle militaire…
Parmi ces créations, la plupart resteront de simples bourgs ruraux mais elle révèle que les rois et les seigneurs ont eu pleinement conscience de l’importance du mouvement urbain.
Section 2 : La vie urbaine dans la civilisation médiévale
I) L’importance de l’urbanisation
Les zones d’activité économique les plus intenses sont celles où le développement urbain est le plus précoce et le plus complet. Il y a 2 zones d’activité économique très importante : l’Italie et la Flandre.
Pour la France médiévale, il y a 3 zones principales :
– Les villes de l’ancienne Gaule Narbonnaise.
– Les villes qui jalonnent la grande voie de communication qui relie la méditerranée au Nord par le Rhône, La Saône, et la Seine.
– Les grandes villes de Picardie et de Flandre (zone des Pays-Bas).
Ce renouveau urbain débute en France au 11ème et 12ème et va se poursuivre jusqu’au 14ème siècle.
Vers 1100, aucune ville n’atteint 10 000 habitants. A la fin du 13ème, les villes les plus importantes sont Paris (50 000 habs), Toulouse (35 000 habs), Lyon, Bordeaux, Marseille.
Florence, Venise, Milan ont au moins 100 000 habs. Ce développement se poursuit jusqu’à la fin du 13ème puis après les ravages de la guerre de 100 ans, les villes ne retrouveront leur niveau de peuplement qu’au début du 16ème.
Par la suite, la croissance sera stoppée jusqu’à la nouvelle poussée du 18ème s. Ce renouveau urbain s’accomplit dans le cadre juridique de la seigneurie. En effet, peu à peu dans toute la France va se développer un mouvement d’émancipation des villes et aboutit à l’établissement de structures de gestion qui expriment des degrés d’autonomie différents vis-à-vis du seigneur.
II) Les catégories sociales dans les villes
Il y a des similitudes de genre de vie et de comportements entre les habitants des villes (sens de l’activité et responsabilité individuelle). Les citadins ont une vivacité d’esprit entretenue par les contacts humains, l’école et la prédication.
Il y a des différences plus profondes entre les catégories de citadins. Les clivages deviennent plus nets à mesure que le ville neuve devient peuplée et se sépare des « bourgades ».
Cela tient aux conditions de répartition du sol dans un espace rare, recherché, et couteux.
Une partie du sol appartient aux puissances d’Eglise (ex : évêques, ordres religieux).
En plus de l’édification des lieux de culte et de leurs logements, ces puissances ecclésiastiques concèdent des terrains ou des boutiques.
Il y a aussi une noblesse urbaine. Ils conservent les privilèges et les habitudes de la noblesse et jouent un rôle important dans les villes. Ils possèdent des « maisons fortes », des tenures urbaines et représentent une force militaire.
Cependant, c’est un groupe menacé dès le 13ème s par l’ascension de la bourgeoisie qui développe sa puissance par le biais du commerce, et devient à son tour propriétaire du sol.
A côté des propriétaires aisés, il y a une multitude de tenanciers.
L’augmentation de la population des villes provoque la hausse du prix des terrains à bâtir et de loyers.
Le montant des loyers entre le début et la fin du 13ème a été multiplié par 5.
Le patrimoine immobilier est figé car il y a une stabilité des tenanciers.
Le « négoce » devient l’activité la plus rémunératrice.
Dans les villes de moyenne importance il s’agit d’un commerce de redistribution régional ou local qui porte sur les biens de consommation courante.
Les opérations financières sont effectuées par les négociants et changeurs. Ce sont des opérations très complexes portant sur des sommes très élevées lorsqu’il s’agit d’opérations de prêt réalisées par des compagnies financières Italiennes au profit du roi.
Cependant, ces opérations sont plus simples et plus réduites lorsqu’il s’agit d’opération mettant en rapport les citadins de ville comme Toulouse.
Les multiples opérations de prêt, d’association, enrichissent les uns et appauvrissent les autres.
A la fin du 13ème, les nobles, les établissements ecclésiastiques, et le petit peuple sont parmi les endettés alors que se consolide une oligarchie d’individus enrichis par le négoce et les opérations financières.
Cette bourgeoisie prend le contrôle des municipalités et a tendance à se fermer (mariages, privilèges)
En France, cette bourgeoisie engage un mouvement d’accès vers la noblesse et le service du roi.
Il y a un mouvement de renouvellement des élites. Des catégories nouvelles apparaissent à partir de la fin du 13ème siècle avec le renouveau de l’administration royale et du droit romain.
– Le gros de la population des villes est composé d’artisans et de commerçants (« les gens du métier »). En dessous et en dehors du cadre protecteur de la corporation, il existe une main d’œuvre non qualifiée (« brassier ») qui sont des nouveaux venus.
On trouve aussi une frange de mendiants et de vagabonds qui constituent un monde à part.
Chapitre 2 : L’administration des villes
Dans toute la France se développe un mouvement d’émancipation urbaine qui aboutit à la création de structures originales de gestion qui vont traduire des degrés différents d’autonomie.
Section 1 : Les villes de commune
I) Le phénomène d’émancipation des communes
L’esprit de solidarité typique des comportements médiévaux s’est exprimé dans les villes par la constitution d’associations qui ont pour but la défense des intérêts communs d’où le nom de commune.
Elles ont pour base le serment réciproque des membres de s’entraider. Ces associations vont prendre facilement le rôle de ligue de défense contre l’arbitraire seigneurial. Elles deviennent des groupes secrets qui vouent une véritables haine à l’ennemi.
Il s’agit d’unions entre bourgeois ayant un très vif sentiment de solidarité et excluant les ecclésiastiques, les nobles, les représentants du seigneur et du Roi.
A) Mouvement Communal
Dans le Nord et Nord-est, les agglomérations importantes vont obtenir de leur seigneur de gré ou de force une large autonomie à la fin du 11ème, ce mouvement se poursuit au 12ème et 13ème s.
1077: apparition commune de Cambrai, 1080: Saint Quentin, 1111: Commune de Laon.
Le but est d’obtenir du seigneur une charte reconnaissant aux habitants des libertés personnelles et le droit de se gouverner eux-mêmes. La charte énumère les droits auxquels le seigneur renonce, qui conservent la taille, le service militaire.
Elle reconnaît l’existence des habitants en tant que corps collectif, et pouvoir judiciaire.
La charte est jurée solennellement par les parties et rétablit l’ordre légitime rompu par le soulèvement. Elle porte en général une « amnistie » pour les troubles commis.
Juridiquement vis-à-vis de l’organisation féodale la ville est désormais une seigneurie collective. Le problème est que pour le droit féodal la concession d’une commune diminue les droits du seigneur et donc constitue un abrègement de fief qui doit être confirmé par seigneurs supérieurs pour être définitivement valable. Les bourgeois vont la faire confirmer par le roi.
B) L’attitude des seigneurs
Leur attitudes sont très variable, les seigneurs ecclésiastiques sont le plus souvent hostiles pour 2 raisons fondamentales.
– Etant devenu seigneur de beaucoup de villes du Nord et du Nord-Est ils sont particulièrement menacés.
– Le droit canonique leur impose de conserver intégralement les droits de l’Eglise.
Parmi les seigneurs laïcs certains résistent avec des succès variables mais beaucoup d’autres acceptent de satisfaire les revendications.
Les uns estiment que la fidélité des sujets sera consolidée par les libertés qu’ils accordent.
D’autres estiment que l’enrichissement des habitants tournera à l’avantage des seigneurs. Du fait de difficultés financières les seigneurs échangent autonomie contre indemnités.
Lorsqu’un seigneur créé une ville, il ne manque pas de lui attribuer un statut favorable pour assurer son peuplement et sa réussite.
C) Les rois de France et les communes
Ils ont un intérêt politique. Dans leurs propres domaines les Capétiens se sont toujours opposés à l’établissement de communes (Paris Orléans jamais autonomes) sur les terres de leurs grands vassaux, parfois inspirés par l’intérêt financier immédiat, parfois par solidarité de leurs vassaux.
Au cours du 12ème s, le roi de France prend 4 fois partie en faveur de la commune et 4 fois en faveur du seigneur. Philippe Auguste adopte une politique plus nette, il favorise le mouvement communal sur les terres de ses vassaux car ce mouvement affaiblit la féodalité.
La monarchie capétienne contracte en même temps une sorte d’alliance tacite avec les villes. Il accueille les plaintes contre seigneurs, intervenant dans les affaires de la ville et les amène les villes à s’adresser à elle et non pas au seigneur immédiat.
A la fin du 12ème s, le roi prétend que c’est le seul à vouloir la création de commune.
II) L’organisation des villes et communes
A) Notion de ville et commune
Le terme de « commune » est réservé à des villes possédant un caractère bien précis.
Aux 11ème et 12ème s, le terme « commune » désigne l’association jurée des habitants, par extension la « ville de commune » est celle qui a obtenu une charte reconnaissant l’existence de cette association qui est véritablement le fondement de l’organisation de la ville.
Au cours du 13ème la notion de « commune » se transforme en raison de la renaissance du droit romain. Les juristes de la cour du roi vont définir cette notion de commune en fonction de la notion de communauté.
Ils la définissent à partir des prérogatives attestant que la ville est une collectivité de droit public distincte des personnes qui la composent.
– Il faut que la commune soit en mesure d’affirmer la charte de fondation ou qu’elle soit en mesure de prouver qu’elle a acquis légalement ses prérogatives. La cour royale va enlever le titre et les prérogatives des communes aux villes qui ne pourront pas fournir les preuves adéquats ou bien à titre de sanction.
B) Les pouvoirs de la commune
L’effort de libération des citadins leur a permis d’obtenir un gouvernement autonome. Le résultat est que la ville de commune va se comporter comme une sorte de seigneurie collective. Elle prête l’hommage au seigneur ou au roi.
En pratique le degré réel d’indépendance dépend de multiples circonstances mais les communes les plus riches et les plus peuplées vont se comporter comme de véritables petites « Républiques ». Certaines vont se comporter comme des « Cités-Etat ».
La ville possède une maison commune où siègent les magistrats municipaux, cette maison commune est le centre de la vie politique de la Cité.
Les communes puissantes mettent un point d’honneur à construire des hôtels de ville splendides parce qu’ils vont être le symbole de la liberté et de la richesse de la ville.
Dans les villes du Nord la maison commune est surmontée d’un beffroi, généralement aussi haut que les cloches des Eglises. Face à celui de l’Eglise et des Comtes.
La ville possède des biens communaux, une caisse commune où sont déposées les recettes et les archives communales (charte), un sceau qui sert à authentifier les actes de l’autorité municipale et qui symbolisent le pouvoir de commander et de juger, elle possède également une cloche qui sert à convoquer l’assemblée des bourgeois pour délibérer sur les affaires de la ville.
L’autorité communale s’étend à la ville close et à ses alentours, elle possède également des pouvoirs de justice dont l’étendue donne la mesure de l’autonomie de la ville.
La ville possède la haute et basse justice, plein pouvoir en matière judiciaire mais le seigneur se réserve les crimes contre ses hommes, procès relatif aux tenures qui relèvent de lui.
En application de ce pouvoir de justice les magistrats municipaux peuvent édicter des ordonnances applicables sur le territoire de la commune. Les villes de commune possèdent ainsi un véritable pouvoir législatif et vont élaborer leur propre coutume par des statuts et par des jugements aussi.
La municipalité administre la ville, gère les biens, dirige un personnel subalterne et peut conclure toutes espèces de contrats. Chaque commune possède le pouvoir de lever des contributions sur les habitants pour faire face aux dépenses communes.
Ces impôts sont organisés et répartis par la municipalité. La ville de commune possède une milice composée de bourgeois et commandée par les magistrats municipaux.
Cette milice assure la police intérieure mais elle doit aussi être mise au service du seigneur ou du roi selon les conditions fixées dans la charte.
La ville peut utiliser la milice pour son propre compte car elle a le droit de faire la guerre. Les communes les plus peuplées bien fortifiées et possédant une milice nombreuse lutteront avec acharnement et parfois succès contre les comtes de Flandres, contre le roi de France, contre les Empereurs du St Empire germanique.
C) L’organisation interne
Cette ville de commune se gouverne par des hommes qu’elle choisit relativement librement. On retrouve partout 3 éléments identiques.
1) Le corps de bourgeoisie
Il désigne l’ensemble des hommes qui bénéficient du statut de commune et qui perpétuent l’association jure initiale. Ce corps comprend en premier les descendants des conjurés, lorsqu’ils arrivent à l’âge adulte ils deviennent bourgeois de la ville en prêtant à leur tour le serment de commune ou le serment de bourgeoisie.
Seuls ceux qui ont prêté ce serment vont pouvoir se prévaloir des privilèges de la ville et pourront participer à la vie municipale.
Les nouveaux habitants ne seront admis à prêter le serment que lorsqu’ils rempliront certaines conditions (être domicilié dans la ville depuis un délai suffisant et posséder dans la ville un immeuble car cela garantit la solidarité et la responsabilité).
– Sont exclus les nouveaux venus, les ecclésiastiques, les nobles, les officiers seigneuriaux et les agents royaux, les pauvres. Les manants (nouveaux) subissent l’autorité sans y participer. Cette conception stricte consolide la solidarité.
2) Le corps municipal ou corps de ville ou magistrat
C’est le collège des administrateurs municipaux. Ils portent des noms variables : échevins, les pairs ou jurés. A ce corps municipal qui administre la ville s’ajoute un ou plusieurs conseils composés de bourgeois de la ville qui surveillent le corps de ville.
Ce ou ces conseils donnent leur avis, ils constituent un pouvoir permanent. A Rouen il y a le corps municipal avec 12 échevins assistés et contrôlés par 12 conseillers et un collège de 100 pairs.
3) Le maire
Il préside le corps municipal, il exécute les décisions du conseil municipal, représente la commune et commande la milice.
4) Le système électoral
Le maire et le membre du conseil municipal sont élus pour un très bref mandant (2 voire un an) l’élection au SD est rare, le système électoral est généralement très compliqué il y a parfois élection à plusieurs degrés mais le plus souvent il y a « cooptation »: les sortants choisissent leurs successeurs.
Ces divers procédés aboutissent dès le 13ème siècle à l’accaparement des fonctions municipales et donc de véritables dynasties qui s’efforcent de se maintenir et donc de se réserver le prestige et les avantages du pouvoir municipal. Ces tendances au monopole vont être source de tensions ou de résistance, rivalités entre familles, entre corps de métier.
On voit s’opposer les plus anciennes bourgeoisies possédant de grandes fortunes stables et les chefs des associations professionnelles qui aspirent à remplacer ces bourgeois riches.
A la fin du 13ème s, des conflits violents opposent les patriciens et la majorité des artisans pauvres.
Il y a une différence entre « peuple gras et peuple maigre »; Le peuple maigre ne sait comment se débarrasser du peuple gras sinon par la violence.
Section 2 : Le consulat
Villes de consulat
Cela vient du titre de consul donné aux magistrats municipaux. Ces villes ont leurs zones de prédilection en Provence, Languedoc et toulousain (ancienne Gaule narbonnaise qui avait reçu l’empreinte plus profonde de l’influence romaine et conservé une certaine habitude de liberté).
Cependant il est difficile d’affirmer qu’il y a une filiation directe entre municipalités romaines et consulats des 12ème s.
I) Etablissement des consulats
Il est plus difficile de dater la création des consulats que celle des communes car le plus souvent pas de charte de création, en effet le consulat résulte de la transformation progressive du régime antérieur plus que d’une rupture totale du passé.
A) Rythme de création des consulats
Ce système s’est répandu en 3 vagues successives, il apparait d’abord dans le bas Languedoc. L’existence d’un consulat attesté à Avignon en 1129, Béziers 1131, Narbonne 1132, Montpellier 1131, Arles 1142. Cette apparition précoce est à mettre en relation avec les influences italiennes, en effet l’Italie du Nord possède le système des consulats dès la fin du XIème.
La diffusion du système de consulat constitue avec la diffusion du droit romain ou la diffusion de l’institution des notaires constitue un des aspects de l’influence italienne dans le domaine des institutions juridiques. Cette institution doit être mise en relation avec le développement de relations économiques et diplomatiques entre Italiens et comte de Toulouse.
Dès le temps de la première croisade les comtes de Toulouse font adopter un pacte d’alliance avec la République de Gênes. Dans la seconde moitié du XIIème à la fois vers l’Ouest et vers l’Est; Toulouse 1152, Marseille 1178, Agen 1179.
Au cours du XIIIème cette institution de répand dans des zones de Montagne, la haute Provence, les Cévennes, la haute Auvergne… Ce système est adopté dans des bourgades rurales, 1271 166 villes de la sénéchaussée de Toulouse qui ont le statut de consulat.
Le Mouvement se poursuit au XIVème si bien que dès le moyen âge la majorité des communes rurales actuelles possèdent l’autonomie des villes de consulat.
B) Modalités d’établissement
Le consulat résulte souvent d’une transformation successive du pouvoir seigneurial. Au début du 12ème le seigneur qui possède une ou des villes la fait gouverner par un officier. Ce « Bayle » s’entoure de conseillers qui portent souvent un nom, des Prud’hommes conseillers choisis par le seigneur parmi les notables de la ville.
Petit à petit ces notables vont acquérir une autorité propre et vont finir par se comporter en représentant de leurs citoyens lesquels finissent par obtenir le droit de choisir eux-mêmes ces prud’hommes.
Il existe des cas de conflits armés, très généralement il arrive que ce soit le seigneur qui soit à l’origine du consulat, les Comtes de Toulouse créent le consulat de Nîmes en 1144 et multiplie les libertés au profit des toulousains.
La petite noblesse participe au mouvement d’émancipation et donc les chevaliers peuvent être consuls et dans certaines villes un certain nombre de sièges leur est réservé. A Arles sur 12 consuls, 4 chevaliers.
La petite noblesse méridionale se distingue peu par son mode de vie. Les villes de consulat se caractérisent par des distinctions sociales moins marquées par les communes, elles se distinguent des villes du nord par une vie urbaine plus paisible.
II) La structure des consulats
Toute ville de consulat est administrée par un collège de consul habituellement égal et chacun préside à son tour.
A) Les pouvoirs de consulat
La ville se gouverne elle-même sous réserve de la fidélité due au seigneur, ces villes possèdent tous les attributs de la collectivité publique (l’universitas) elle a une maison commune, un patrimoine, une caisse commune… Les consuls assurent la gestion des intérêts communaux, lèvent les impôts et par le biais de la milice organisent de maintien de l’ordre.
B) L’organisation interne du consulat
Aux origines tous les habitants de la ville bénéficient en général de la participation au consulat. Pour désigner les habitants on utilise plutôt un vieux terme romain, civis plutôt que le terme « bourgeois ».
Initialement dans les consulats l’AG des habitants doit être consultée sur les affaires essentielles cependant l’importance politique de cette AG décline progressivement. A Toulouse elle n’est plus convoquée que pour les principales solennités.
Les consuls sont chargés de la gestion de la ville, élus habituellement pour 1 an en nombre variable mais toujours pair. Conseillers que les consuls doivent consulter pour les affaires graves (12 consuls et 12 conseillers à Albi). Le recrutement des consuls et des conseillers se fait selon des procédés très variables, parfois SUD (très rare mais existe) le plus souvent cooptation.
Le seigneur ne conserve que le droit de veiller à la régularité des élections, droit de recevoir serment de fidélité des nouveaux consuls. Les consuls appartiennent toujours aux familles de notables. Aux 12ème et début 13ème la majorité des consuls appartient aux familles de petite noblesse et de citadins propriétaires ruraux aisés.
Dès le milieu du 13ème, la petite noblesse est définitivement écartée. Les chefs des corporations s’introduisent dans certains consulats, à Narbonne en 1272 5 consuls : un noble, 2 bourgeois et 2 artisans. 2 villes de consulat caractérisées par la correspondance entre la profession et la place dans le conseil municipal. Montpellier : 6 consuls, le premier et deuxième consul pris parmi les changeurs (celui qui fait du change = banquier) 3ème et 4 ème marchands drapiers, 5 et 6ème laboureurs.
Dans la pratique, le mouvement ira vers fermeture progressive vers l’oligarchie municipale. Sans que la vie des consulats soit aussi agitée que celle des communes en raison de la plus grande souplesse des institutions.
Section 3 : Les villes de simple franchise, émancipation limitée
Les habitants n’obtiennent que des libertés personnelles mais pas le droit de s’administrer aux mêmes.
I) Géographie des villes de franchise
On les rencontre dans des régions caractérisées par la domination de princes puissants. Exemple : Duc de Bourgogne, roi de France. Dans le Bassin Parisien, le type le plus habituel est la « ville de prévôté » qui va devenir systématique pour les villes du domaine royal (Paris, Orléans…).
II) Privilèges des franchises
Ils sont accordés aux habitants mais la ville ne constitue pas une seigneurie collective.
– Privilèges personnels de liberté, la charte de franchise accorde au minimum la liberté personnelle aux citadins ils peuvent désormais se marier librement, choisir leur domicile, disposer de leurs biens…
– Privilèges judiciaires; les habitants obtiennent la garantie d’une justice plus équitable, l’officier seigneurial sera assisté d’assesseurs pris parmi les notables de la ville, le montant des amendes est désormais fixé.
Les citadins reçoivent souvent le maintien en liberté conditionnelle, ils bénéficient de privilèges financiers et différentes exemptions : le service militaire des citadins est restreint en ce qui concerne le nombre de convocation annuelle des seigneurs, la durée de chaque service.
Par ces concessions les Capétiens ont su endiguer le mouvement d’émancipation urbaine en donnant aux habitants des villes de franchise un statut supérieur à celui des paysans.
III) L’administration
Il n’y a pas d’administration autonome, les villes sont gouvernées par un « prévôt » qui représente un seigneur ou le roi. L’organisation de la ville de paris est très originale. De plus le roi possède une autorité prédominante en effet en face de lui il n’y a pas de corps représentant la collectivité des habitants, uniquement des corps de métier et des seigneurs possessionnés dans la ville.
En ce qui concerne les corps professionnels le plus important est la « hanse des marchands de l’eau ». Elle assure transport marchandise sur la seine.
En l’absence de corps municipal cette hanse va petit à petit jouer le rôle de représentant des habitants. A la fin du 13ème siècle, l’administration économique de la ville et certaines prérogatives de justice sont divisées entre le prévôt de Paris et le prévôt des marchands assisté de 4 échevins, représentant les corps de métier ils siègent au « parloir au marchand » (quasi municipalité).
Section 4 : Le destin commun des villes
I) Les privilèges des villes
Les villes entendent garder leur statut privilégié, à la fois par respect pour tout ce qui est ancien et par sentiment que tout changement interviendrait en leur défaveur.
Les citadins défendent très âprement leurs privilèges à l’occasion de très nombreux procès.
Ces citadins n’oublient jamais de solliciter du roi et de ses agents le serment de respecter les privilèges de la ville lors de la prise de possession de la ville ou l’entrée solennelle du roi dans la ville.
Les hommes de cette époque ont conscience que ces libertés constituent un patrimoine commun dont on a hérité. Chaque ville a obtenu ses libertés par un processus qui lui est propre mais certaines chartes ont un tel succès qu’elles vont être adoptées par de très nombreuses localités voisines avec ou sans modification.
La « charte de Beaumont » en Argonne adoptée par 300 agglomérations de champagne sans aucune modification. Lorsqu’une ville avait adopté la charte d’une autre ville et qu’il y avait une disposition obscure ou insuffisante, on consultait les magistrats municipaux de la ville qui avait servi de modèles pour savoir comment cette ville résolvait la difficulté. Certains éléments d’uniformité vont regrouper les villes en quelques catégories principales.
II) Les pariages
Les villes peuvent relever de l’autorité de plusieurs seigneurs. Les « coseigneurs » établissent alors des traités de pariages (pairs) pour organiser la gestion commune de la ville.
Au 12ème s, ces traités sont en général conclus entre un seigneur ecclésiastique et un seigneur laïc, soit pour consolider leur entente soit pour mettre fin à un conflit.
En effet, très souvent le seigneur laïc a commencé par contester les droits d’un établissement ecclésiastique.
Les comtes de Foix ont largement pratiqué cette politique.
Ex : pariage de Pamiers en 1111, En 1278 pariage entre le comte de Foix et l’évêque d’Urgel à propos des vallées d’Andorre.
Cette politique de pariage inaugurée par les seigneurs va être continuée et amplifiée par les rois de France dans le but de développer partout leur autorité. L’entrée en pariage avec les évêques ou les abbayes du midi va être pour les capétiens une des formes les plus efficaces d’alliance avec le Clergé.
Les Capétiens s’introduisent dans des villes dans lesquelles ils n’avaient aucun droit (Auch, Narbonne, Cahors, Limoges…) Ces pariages vont aussi créer des villes nouvelles. Dans le pariage les 2 parties sont en principe sur un pied d’égalité, en effet elles reçoivent en commun le serment de fidélité des habitants, elles exercent en commun leurs droits grâce à un agent nommé d’un commun accord.
Le plus puissant des associés va réduire l’autre à un rôle secondaire. Le pariage en définitive va permettre au roi de France d’imposer aux établissements ecclésiastiques une protection qui devient une véritable tutelle. Donc cela lui permet à ce roi d’étendre son influence politique.
III) Le développement de l’autorité royale sur les villes
Les villes du royaume ont atteint leur plus haut niveau d’autonomie au 13ème siècle. Dans la 2nd moitié du 13ème s, l’autorité royale s’affermit.
Le roi se considère désormais comme le protecteur de la ville en question et comme le juge des conflits, ce qui provoque une réduction de la liberté politique des villes car la justice des villes va relever en appel de la justice du roi.
Si la ville se révolte, il y a une amende et une perte du statut privilégié. Les occasions d’intervention sont très nombreuses : fraude électorale, malversations financières, multiplication de dépenses inconsidérées.
Les villes vont être analysées par les juristes royaux, les « légistes ». Il y a un développement de la tutelle administrative, et il appartient au roi protecteur d’intervenir en cas de mauvaise gestion et d’exercer une bonne tutelle sur la ville afin qu’une administration saine et juste soit établie.
Dès la fin du 13ème s et au début du 14ème les villes du royaume sont toutes subordonnées à l’autorité royale et sont donc intégrées dans l’appareil administratif monarchique.
Chapitre 2 : Les métiers de police économique
Section 1 : Evolution des structures professionnelles
Le repeuplement des villes s’accompagne de la multiplication des artisans. Les commerçants se réunissent dans le lieu « protégé » que constitue la ville et travaillent pour un nombre croissant de consommateurs de la localité, de la ville elle-même, voire même de contrées lointaines.
L’organisation du travail dans les villes se présente sous forme de petites unités de production de dimension familiale. On peut dire que ces structures vont se maintenir pendant plusieurs siècles.
* Origine des Corps de métier : certains auteurs font remonter les origines aux collèges d’artisans de l’empire romain. Cependant l’activité humaine s’est tellement réduite au cours du haut moyen âge qu’il est difficile de croire à une continuité.
De plus les premières formes de groupement apparaissent dans le nord et non pas dans le midi pourtant plus profondément romanisé. L’action des pouvoirs publics et notamment des autorités municipales a parfois été prépondérante.
– Autre élément : la solidarité spontanée entre professionnels d’un même métier qui ont les mêmes intérêts. A l’origine dans le nord il existe de simples associations, les ghildes associations de défense qui vont ensuite évoluer vers la forme d’un véritable groupement professionnel. Parfois l’origine est une confrérie religieuse et charitable.
Dans le midi plus individualiste beaucoup de métiers vont rester dépourvus d’associations communautaires mais par la suite entre le 13ème et 17ème s l’évolution va se faire dans le sens de la structuration.
I) Autorités publiques et vie professionnelle
L’action de ces autorités s’est manifestée rapidement dans le but de contrôler le niveau des prix, la qualité du travail. Le but étant de protéger les consommateurs et d’assurer le bien commun.
Pour Toulouse les 1er documents témoignant de l’action de la municipalité sont des documents de police économique : 1152 fixation du bénéfice des meuniers et des boulangers, 1181 idem pour bouchers.
En même temps les autorités publiques vont intervenir pour reconnaitre l’existence d’un corps de métier qui ne peut s’organiser sans leur accord. La hanse des marchands de l’eau reçoit le monopole de transport sur la Seine.
Ces autorités publiques peuvent également autoriser les corps de métier ou bien elles peuvent prendre elles-mêmes les initiatives de fixer un métier. Ex : St Louis qui fait rédiger en 1260 par le prévôt de Paris (Etienne Boileau) un corps complet des statuts des métiers parisiens.
A la fin du 13ème, l’autorité royale s’affirme dans domaines économiques, au début du 14ème s, le roi va se réserver le droit de créer de nouveaux corps de métier. Les juges royaux deviennent le juge ordinaire des litiges concernant les activités professionnelles. Les corps de métier sont intégrés dans l’administration du royaume.
Section 2 : Le système d’organisation professionnelle
I) Les différents types de métiers
A) Les métiers libres
– Dans les métiers inorganisés, les travailleurs exercent la profession qui veulent, il n’y a pas de lien juridique entre ceux qui exercent la profession. Les travailleurs sont uniquement tenus de respecter les principes généraux du roi ainsi que la coutume de la ville.
Ces professions libres deviennent rares dans la moitié nord de la France dès le XIIIème siècle. Malgré tout, demeure en général métier libre le commerce en gros et la banque en raison du caractère international des activités en question et de la liberté nécessaire.
Sont libres toute une série de petits métiers qui échappent à toute règlementation en raison de leur médiocrité.
B) Métiers soumis à la règlementation
Les personnes qui exercent la profession sont soumises à des règlements ou à des statuts qui leur sont propres. Malgré tout l’accès à la profession reste libre et celui qui veut l’exercer est simplement tenu de respecter les statuts. Ce système se répand dans les villes du midi, au 15ème on voit la multiplication des règles professionnelles.
La jurande ou métier juré possède le monopole d’exercice de la profession, personne ne peut exercer la profession sans être accepté dans la jurande. Le nouveau maître prête serment de respecter les statuts et d’obéir aux « chefs du métier ».
Le nombre des membres du métier est fixé par les statuts et c’est uniquement quand se produit une vacance qu’un nouveau membre peut demander son admission. Ce type de métier est habituel à Paris dès la fin du 13ème et dans de nombreuses villes du nord. Il va ensuite se répandre dans les villes du midi.
II) L’organisation collective du métier
– Le métier possède une caisse commune alimentée par des droits d’entrée et par des cotisations, il possède également un sceau.
Les membres du métier se réunissent en assemblée et règlent les affaires en interne. Chaque métier est organisé par un certain nombre de maîtres 2, 4 ou 6. Ils sont nommés par les autres maîtres parmi ou bien par l’autorité publique. Ils sont en général en fonction pour 1 an. Ils représentent leur métier et représente leurs intérêts. Ils assurent une fonction de police économique.
Résultat : ils ont un pouvoir de contrôle et de coercition. Ex : ils vérifient si le travail est réalisé selon les normes imposées par les statuts et pour cela ils ont un pouvoir de perquisition, d’infliger des amendes, de saisir les marchandises fabriquées irrégulièrement.
Ce sont eux qui fixent les conditions d’apprentissage, très souvent à une profession correspond une confrérie qui regroupe les membres du métier en vue d’exercice de piété et en vue d’activités d’entraide. Chaque confrérie et chaque métier est voué à un saint patron.
III) Les catégories de travailleur
A) Les maîtres
C’est celui qui tient atelier en étant établi à son compte et donc il travaille chez lui sur commande d’un client ou d’un maître d’une autre profession. Chaque maître travaille de ses mains et avec l’aide d’un ou plusieurs compagnons et apprentis selon les limites fixées par les statuts.
Pour devenir maître, il y a différentes conditions. Il faut notamment subir un examen professionnel qui garantit la compétence, le chef d’œuvre. Le thème et les traditions de réalisation sont fixés par les chefs du métier. Il faut payer des taxes d’entrée et offrir un banquet à la communauté.
Dès la fin du moyen âge tendance à la fermeture de la maîtrise aux nouveaux venus à partir d’obligations de plus en plus sélectives. Seuls les maîtres jouent un rôle actif dans la vie de la profession.
B) Les compagnons
Le contrat doit respecter les statuts du métier. Lorsqu’ils sont célibataires ils sont logés chez le maître et mangent à sa table. Ces compagnons peuvent s’établir comme maîtres lorsqu’ils disposent des capitaux et qu’ils réalisent le chef d’œuvre.
L’apprentissage est obligatoire et très minutieusement règlementé. Le contrat est conclu entre les parents et le maître. Il débute vers 10-12 ans et ce sont les parents qui paient le maître. Celui-ci doit loger, nourrir, habiller l’apprenti et lui apprendre le métier.
L’apprentissage peut être long ou moins long. Une fois celui-ci terminé celui qui ne peut s’établir maître devient compagnon et inversement celui qui peut espérer devenir maître entreprend la confession du chef d’œuvre après un délai imposé par les statuts pour lui permettre de parfaire sa technique.
Section 3 : les métiers dans la société médiévale
I) Les conditions de vie
A) Rythmes de travail
Ils dépendent à la fois du rythme naturel des saisons et des temps religieux. La journée commence « au point du jour » et s’arrête selon les saisons à la fin du jour. La journée varie de 6 à 7 h en hiver à 13-14h en été.
Le volume de la production connait des variations saisonnières importantes. Le travail de nuit est interdit pour raisons de sécurité et car on considère que le travail serait mal fait. Le dimanche est un jour chômé depuis le bas-empire.
De plus l’Eglise recommande de commencer ce repos dès le samedi et ce pour que les hommes puissent élever leur âme vers Dieu.
En plus du dimanche et de samedi après-midi les fêtes religieuses chômées sont nombreuses, au total 80 à 90 jours de repos complet plus 50 à 60 jours partiellement chômés.
B) Salaire et niveau de vie
Le maître est rétribué par son bénéfice mais sa marge de liberté est restreinte par les statuts et la concurrence.
En pratique seuls les marchands en gros et les banquiers peuvent réaliser de forts bénéfices. En général on ne peut réaliser rapidement de gros bénéfices. Une ascension sociale par l’argent suppose l’effort de plusieurs générations.
A l’intérieur d’une même association le niveau de fortune varie assez peu. Il existe quand même une hiérarchie implicite entre professions selon les profits habituels.
Les professions les plus appréciées sont les changeurs, les marchands drapiers, les bouchers…
A l’inverse les tanneurs, les foulons sont insalubres.
Pour les salaires, la hausse du cout de la vie est plus forte que celle des salaires à partir de la fin du13ème début 14ème. Un compagnon maçon à Paris, salaire journalier est de 3 sols et 7 deniers en 1440 soit une paire de chaussure 6 sols, un chapon entre 7 et 8 sols. Situation des compagnons assez précaire mais plus favorable que les simples manœuvres.
II) Les métiers et les structures de la société
Pour l’alimentation par exemple : boulanger, pâtissier, meunier, marchand de grains, boucher, charcutier…
A) Finalités du travail
Le principe est l’égalité des chances pour tous. Toute règlementation destinée à empêcher que les plus adroits ne prospèrent de manière exagérée au détriment des autres. Les dimensions de chaque entreprise sont limitées.
La concentration n’est pas possible, le maître doit travailler en personne dans son atelier et n’a pas le droit d’en posséder plusieurs. Personne ne peut être maître dans plusieurs professions.
Le nombre des compagnons et apprentis fixé par les statuts. Les conditions de publicité sont strictement règlementées. Il est interdit de racoler, d’essayer de faire entrer le client dans le magasin.
Dans beaucoup de villes, les matières premières doivent être achetées en commun au marché public. Les statuts précisent les opérations techniques à réaliser ce qui gêne tout effort d’innovation.
L’idéal est orienté vers la paix sociale, stabilité économique, « le travail loyal ».
Le travail est un état c’est-à-dire moyen de vivre normalement avec sa famille et de gagner le ciel plutôt qu’un moyen de s’enrichir.
En effet la dureté du travail est une conséquence du péché originel. « A la sueur de ton front tu gagneras ton pain », l’argent et le progrès économique compte moins que l’homme et son salut éternel. L’Eglise interdit le prêt d’argent.
La mentalité économique est soucieuse de modération plutôt que de croissance. De plus, le travail bien fait par rapport à la conscience professionnelle et à l’habileté de l’artisan. On a donc une économie plus de subsistance que de progrès, plutôt qualité de productivité.
Cette mentalité correspond à plusieurs impératifs tirés de la religion catholique soucieuse de lutter contre l’esprit de lucre et du respect de l’intérêt de l’acheteur mais aussi du producteur qui recherche l’égalité plutôt que la concurrence. Il y a une tendance des pouvoirs publics à règlementer au nom de l’intérêt général…
Dans les régions dynamiques on voit apparaitre des formes d’entreprises précapitalistes.
Ex : Les marchands drapiers : ils créent des ateliers dans les villages à la campagne, fournissent matière première, paysans tissent, rachat marchandise et échappent aux règles des corporations.
La production est libre, ils concurrencent très fortement produits fabriqués en ville. En Italie ils réussissent à établir leur contrôle sur les différents corps de métier intervenant dans ce secteur. Progrès d’innovation, etc. se réaliseront dans ce secteur-là.