De Gaulle et la création de la Vème République

LA NAISSANCE DE LA Vème REPUBLIQUE et le Général de Gaulle : 2 éléments indissociables

La Constitution de la Vème République date du 4 octobre 1958. Elle est liée au Général de Gaulle qui a voulu lui donner un nouvel état d’esprit —> nouveauté dans son élaboration. C’est en rupture avec la IIIème et IVème République que s’élabore la Vème République même si le législateur reste dans la lignée du régime parlementaire rationalisé.

De Gaulle est aidé par de nombreuses personnes, par Michel Debré, le Premier Ministre, qui a été à la source de la rédaction du texte et, quelques années plus tard, il dira qu’ « il s’agit d’un régime mixte qui n’entre dans aucune des catégories juridiques exposées par les professeurs de droit, c’est une construction originale». Cette originalité consiste à « faire un système essentiellement fondé sur la responsabilité éminente du chef de l’Etat». En effet, cette Vème République valorise le pouvoir exécutif et survalorise le rôle du Président de la République.

C’est une construction constitutionnelle qui a un particularisme incontestable par rapport aux République précédentes même si l’on est dans une certaine filiation. Puis des usages, des pratiques constitutionnelles se développent pour accentuer l’originalité de la Constitution.

Cette Constitution n’est pas un texte figé et a été plusieurs fois remaniée de manière significative pour ce qui est du volet «construction européenne» :

  • – le droit interne est dépendant du droit européen, primaire et dérivé, pour permettre le transfert de souveraineté vers l’Union Européenne (en 1992, lors du traité de Maastricht) ;
  • – puis il y a eu la question de la décentralisation, où la Constitution doit prendre en compte les différentes collectivités et leurs spécificités (ex : Nouvelle Calédonie) ;
  • – enfin, la révision du 23 juillet 2008 qui a cherché à rééquilibrer les pouvoirs, « relative à la modernisation des institutions». Elle donne plus de compétences au Parlement.

La Vème République intervient à cause notamment de la crise algérienne.

Quelle est l’intention, le but des constituants ? Avoir un Etat efficace capable de prendre des décisions sur, à l’époque, la décolonisation et l’avenir des départements éloignés.

La naissance de la Vème République veut s’inscrire dans un régime parlementaire en tirant des leçons des faits passés —> elle veut éviter cette répétition dans l’histoire.

Section 1 : le retour de de Gaulle en 1958 et l’apparition de la Vème République

La Vème République apparaît dans le contexte perturbé de la Guerre d’Algérie, appelée par les historiens «le détonateur algérien» qui va provoquer donc la fin de la IVème République.

  1. une naissance dans le contexte mouvementé de la Guerre d’Algérie

Paragraphe 1 : Le détonateur algérien et l’effondrement de la 4ème République

La IVème République (mise en place en 1946) est morte à cause de la crise algérienne —> révélateur de la faiblesse du système constitutionnel de la IVème République, incapable de faire face à de tels défis.

Le 13 mai 1958 —> journée insurrectionnelle à Alger qui oppose les pro-indépendantistes des anti-indépendantistes et elle jouera ce rôle de détonateur algérien. C’est dans ce département français mais hors métropole que la constitution française évoluera.

Cette crise algérienne aura des répercutions importantes sur le plan politique et institutionnel en France parce que c’est le retour du Général de Gaulle sur la scène politique alors qu’il s’était retiré de celle-ci depuis 1946, déçu par la nouvelle Constitution —> phase de la «traversée du désert».

A cette époque d’une quasi-guerre civile en France, la priorité du Général de Gaulle reste de rédiger une nouvelle Constitution —> la crise algérienne devrait donc se résoudre grâce à une nouvelle Constitution. Cela permettra à l’exécutif de pouvoir prendre des décisions pour trancher les questions concernant le conflit algérien.

Cette crise du 13 mai 1958 est donc le moyen, mais aussi un prétexte, pour le Général de Gaulle de revenir au pouvoir. Il est une figure héroïque, l’homme du 18 juin 1940 qui revient, mais aussi avec l’aval du Président de la République René Coty —> il est favorable à son retour pour faire la jonction entre la IVème République et la Vème République.

DE GAULLE va apparaitre comme « l’homme providentiel » : c’est l’homme du 18 Juin 1940 et fait ainsi une nouvelle apparition lors d’un contexte de quasi guerre civile en France. René COTY (Président sous 4ème) fera appel au « plus illustre des français ». DE GAULLE revient donc sur la scène politique, dans le cadre de la légalité républicaine : c’est dans le cadre des institutions de la 4ème que le Général sera accompagné de l’appui des institutions 1958. Contexte particulièrement perturbé dans lequel DE GAULLE arrive.

Il veut également revenir avec l’accord des institutions en place —> le Parlement. Il se présente devant l’Assemblée nationale pour avoir l’investiture.

  1. la crise du 13 mai 1958 : l’insurrection d’Alger

C’est la révolte des Français d’Algérie avec la Métropole après 4 années d’attentats du FLN. Ce contexte conflictuel entre les pro et les anti entraîne une militarisation du régime politique en Algérie —> c’est le pouvoir militaire qui détient l’essentiel du pouvoir, et le pouvoir civil parisien le laisse intervenir sur place. Pour établir l’ordre public, la sécurité du territoire, les militaires disposent de pouvoirs spéciaux votés par le Parlement français —> le pouvoir militaire vote des textes d’exceptions qui limitent les libertés en Algérie et augmente les capacités d’intervention des militaire.

Mais il y a des manquements aux Droits de l’Homme : tortures, interventions contre le FLN avec des débordements (ex : en 1956, le pouvoir militaire peut arraisonner un avion qui amène à Tunis les 5 chefs du FLN ; en 58 : l’aviation militaire est lancée contre des bases algériennes).

La France n’est donc pas dans une situation favorable vis à vis des autres Etats.

C’est alors que se produit la crise du 13 mai 1958 —> manifestation à Alger des partisans de l’Algérie française pour rendre hommage à 3 soldats français tués par le FLN, qui va dégénérer. Les Français d’Algérie investissent les locaux de la représentation française en Algérie —> contre le pouvoir politique français.

À la même date à Paris, c’est le jour où les parlementaires doivent investir leur confiance à un nouveau président du Conseil, un nouveau chef du gouvernement —> Pierre Pflimlin, qui est ouvert à l’idée d’une indépendance accordée à l’Algérie.

Cette journée se déroule donc à la fois à Alger et à Paris, les 2 événements étant en connexion : le mouvement a servi à faire pression pour élire un Chef du Gouvernement qui n’était pas ouvert à l’indépendance.

A Alger, les particuliers qui sont favorables à l’Algérie française cherchent à influencer le pouvoir politique parisien, mais la manifestation tourne à l’émeute, et même à une situation insurrectionnelle —> dans le prolongement de la manifestation, il y a en Algérie la formation de Comités de salut public —> volonté de rupture du pouvoir militaire contre les pouvoirs publics civils parisiens —> mouvement récupéré par les militaires. Ces comités sont présidés par le Général Massu.

Cette situation est un quasi-putsch militaire : c’est le contexte des lois d’exceptions qui a favorisé cette situation au profit des militaires. Le pouvoir militaire veut donc influencer le pouvoir politique pour qu’à Paris soit menée une politique favorable à l’Algérie française.

Des télégrammes avaient été adressés le 9 mai au Président de la République Coty par des généraux qui préviennent que «l’armée sur place n’est pas prête à abandonner l’Algérie ». —> l’armée avait été traumatisée par la guerre d’Indochine —> sentiment d’abandon, déchirement vis-à-vis d’un territoire et d’une population que l’armée de ne veut pas revivre —> risque d’un désespoir dangereux.

La rupture est consommée quand dans la nuit du 13 au 14 mai, le Parlement donne son investiture à Pflimlin —> 2 pouvoirs s’opposent : le pouvoir de Paris et le pouvoir militaire d’Alger.

Général de Gaulle apparaît comme celui capable de concilier ces 2 pouvoirs.

  1. le rôle de de Gaulle, un rempart contre une guerre civile

Pour les Français d’Algérie, le choix de de Gaulle comme éventuel chef du Gouvernement, c’est s’assurer que l’Algérie française ne sera pas totalement abandonnée —> solution d’espoir. Lors d’un vaste forum à Alger, un des Généraux, le Général Salan, lance à la foule une formule marquante : «vive le Général de Gaulle !» reprise par la foule. Jacques Soustelle et Georges Bidault sont des personnalités favorables au retour de de Gaulle qui influencent le général et la foule.

A Paris, de Gaulle semble être également la personnalité qui, par son statut et son passé, peut composer avec les militaires en Algérie, et peut éviter le débarquement de parachutistes en Corse où émeutes se sont développés dans des casernes.

Le 15 mai : le Général de Gaulle « se déclare près à assumer les pouvoirs de la République », mais sa position sur le devenir de l’Algérie reste incertaine.

Le 19 mai : il tient une conférence de presse qui clarifie sa position : « croit-on qu’à 67 ans je vais commencer une carrière de dictateur ? ».

Il veut donc revenir au pouvoir selon les voies constitutionnelles prévues par le régime de la IVème République. Il se veut être l’homme de l’unité nationale, pour faire la jonction entre la Métropole et l’Algérie.

Les 27 et 28 mai : de Gaulle aurait été informé d’un coup de force imminent de la part des parachutistes en corse («Opération résurrection»). En réponse, il devient à l’égard des militaires français en Algérie, l’autorité de fait à laquelle ils vont se soumettre —> il adresse un message aux militaires pour les recadrer et empêcher la situation de guerre civile « j’attends des forces terrestres, navales et aériennes présentes en Algérie qu’elle demeurent exemplaires sous les ordres de leurs chefs. A ces chefs j’exprime ma confiance et mon intention de prendre incessamment contact avec eux ». Pierre Pflimlin démissionne cette nuit-là.

Le 28 mai : manifestations à Paris, des forces de gauche, qui protestent contre le danger bonapartiste que présente de Gaulle.

C’est dans ce contexte difficile que de Gaulle est investi de la confiance des parlementaires grâce au Président de la République Coty qui adresse de façon solennelle un message au Parlement, le 29 mai, où il annonce qu’il fait appel au Général de Gaulle comme Président du Conseil et qu’il démissionnera de ses fonctions si l’Assemblée refuse son investiture.

De Gaulle obtient alors l’investiture par le Parlement.

  1. l’investiture du gouvernement de Gaulle

Le Général de Gaulle profite du soutien du Président de la République, mais il prend aussi contact avec les grands partis politiques dans l’Etat, en donnant des garanties —> il obtient le soutien de la SFIO (parti socialiste de l’époque). Il donne aussi des garanties dans la Constitution du futur gouvernement —> il s’engage à faire figurer comme ministres d’Etat les représentants des grands partis (Pierre Pflimlin —> membre du PRP, Guy Mollet —> SFIO). Il accepte de se présenter physiquement devant l’Assemblée pour l’investiture, ce qu’il refusait auparavant.

Mais de Gaulle se présente de façon effacée devant le débat d’investiture du 1er juin —> il lit une déclaration brève et part, laissant Guy Mollet soutenir la discussion. Le gouvernement de Gaulle, éclectique dans sa composition, obtient la majorité.

Le Général de Gaulle soumet alors immédiatement au Parlement 3 projets de lois qui seront promulguées le 3 juin. Ces lois portent sur 3 thèmes :

– les pouvoirs spéciaux en Algérie : elle se borne à reconduire les pouvoirs spéciaux qui étaient accordés aux autorités françaises en Algérie pour garantir l’ordre public. Ces lois de pouvoirs spéciaux existaient depuis 1951 et étaient votées régulièrement ;

– les plein-pouvoirs : cette loi permet au gouvernement nouvellement investi de prendre, pendant 6 mois, toutes les dispositions nécessaires par ordonnancespour le redressement de l’Etat français —> le gouvernement cumule donc pendant 6 mois tous les pouvoirs ;

– loi qui porte dérogation transitoire aux dispositions de l’article 90 de la Constitution de

1946 : c’est une loi de plein-pouvoir constituant —> permet de réviser la procédure de révision de l’article 90 de la Constitution de 46. Cette loi prévoit que le pouvoir constituant est remis au gouvernement du Général de Gaulle sous réserve de respecter des conditions de fond et de forme —> l’intérêt de cette nouvelle procédure est de passer à une nouvelle Constitution : c’est une procédure de révision abrogation.

Il y a des garanties qui sont données, des garanties de fond pour éviter que ce nouveau pouvoir investi choisisse un régime autoritaire dictatorial.

Parmi les garanties de fond, il y a :

– l’obligation de respecter le suffrage universel ;

– la séparation des pouvoirs ;

– la responsabilité du gouvernement devant le Parlement (base de tout régime parlementaire)

l’indépendance de la justice pour qu’elle puisse assurer le respect des droits et des libertés fondamentales telles que définis dans la DDHC de 1789 et dans le préambule de la Constitution de 1946 ;

organisation des rapports de la République avec les peuples qui lui sont associés —> mécanisme qui maintient des liens. A la base, la communauté française avait été organisée dans la Constitution.

Il y a également des conditions de forme qui lui sont posées :

– le projet constitutionnel devra être soumis à l’avis d’un Comité consultatif constitutionnel, composé pour 2/3 de parlementaires ;

– le projet, après avis du comité, sera soumis au Conseil d’Etat —> second avis consultatif ;

– le projet doit être arrêté en conseil des ministres ;

– la soumission du projet à référendum —> des garanties démocratiques sont donc imposées.

Cette procédure de révision abrogation laisse perplexe puisque le Parlement abandonne ses compétences à un gouvernement. Cette situation en 1958 a été jugée par certains comme relativement proche de la situation qui s’est produite en 1940, quand le Parlement a été convoqué pour donner les plein-pouvoirs au Maréchal Pétain.

III. La révision abrogation de 1958 : une répétition de l’histoire ?

Ce sont les résultats de l’histoire qui permettent de montrer si les Parlementaires ont eu raison ou non de donner leur confiance à de Gaulle ainsi qu’à Pétain. Georges Burdeau a dit : « c’est bien d’avantage par le bon usage qu’il fait de la puissance que dans la manière dont il s’est imposé que le pouvoir rallie l’adhésion au groupe ».

Si dans la phase de la France de Vichy il y a eu un mauvais usage du pouvoir, la pratique de 1958 n’a pas présentée d’atteinte intolérable aux DDH.

Les liens entre les lois constitutionnelles du 3 juin 1958 et du 10 juillet 1940 :

– le caractère légal de la prise de pouvoir —> en 40 et en 58, les gouvernements investis tiennent leur pouvoir d’une décision de l’institution parlementaire. Les 2 gouvernements tiennent leur pouvoir de cette décision de la représentation nationale ;

– le contexte est également proche —> situations de conflits ;

dégénérescence des institutions parlementaires —> il y a une forte instabilité politique et des alliances politiques se nouent pour voter contre les projets de lois et aucune majorité ne se dessine pour une politique constructive ;

– l’idée d’homme providentiel : le Maréchal Pétain et le Général de Gaulle ont une légitimité liée à leur histoire (le vainqueur de Verdun et le résistant). En 1940, le Président du Conseil dira que « le président remercie le Maréchal Pétain […] qui manifeste une fois de plus son dévouement à la patrie ». Puis c’est René Coty qui soutiendra de Gaulle ;

délégation du pouvoir constituant —> les parlementaires ont transféré le pouvoir de révision au profit du seul gouvernement or ils savaient que les gouvernements, une fois investis, modifieraient voire abrogeraient l’ancien ordre constitutionnel ;

– un même vote sous la pression des événements. Y avait-il vraiment une liberté de vote au sein des institutions parlementaires ? C’est un contexte de peur et d’instabilité qui demeurait —> les parlementaires sont contraints de voter dans ce sens —> protestations de nombreux parlementaires.

Mais il est clair qu’il y a des différences fondamentales entre ces 2 grandes lois constitutionnelles :

– les textes sont différents dans la forme —> aucune forme n’était exigée dans la loi de 1940 ;

– et sont différents sur le fond —> autant les lois de 58 se caractérisent par la longueur et la précision des conditions, qui donnent des garanties démocratiques libérales, autant la loi de 40 s’avère brève et incertaine quant aux conditions de fond.

De Gaulle vient donc au pouvoir par le biais régulier de l’investiture parlementaire. Ce même Parlement lui donne le pouvoir constituant qui servira en juin à établir une nouvelle Constitution.

Section 2 : la pensée politique gaullienne et l’élaboration de la Constitution

  1. l’élaboration concrète de la Constitution

La Constitution va être rapidement élaborée puisque le Général de Gaulle veut présenter le nouveau projet constitutionnel au peuple à une date symbolique : le 4 septembre 1958. Car c’est le 4 septembre 1870 qu’a été présentée, à la suite de la monarchie, la République.

Cette rapidité sera réussie, grâce aux modalités d’élaboration de la Constitution qui se fait sous l’autorité d’un comité d’experts dirigé par Michel Debré. Ce comité agit avec efficacité et dès qu’un groupe d’articles est terminé, il le transmet à un comité interministériel (qui regroupe les membres du gouvernement comme René Cassin) pour validation —> navette entre les 2 comités qui fonctionne tellement bien qu’à la fin du mois de juillet un premier projet est proposé.

Ce projet est soumis pour avis au Comité consultatif constitutionnel (2/3 —> parlementaires, 1/3 —> personnalités désignées par le gouvernement) qui dispose de 15 jours. A l’unanimité moins 4 abstentions, le comité émet un avis qui retient le projet en posant toutefois quelques modifications —> adhésion d’ensemble.

Le comité ministériel modifie le projet pour tenir compte de l’avis du comité consultatif constitutionnel. Le second projet est soumis au Conseil d’Etat, chargé de faire une expertise technique. Sous réserve de quelques modifications et amendements, ce projet est retenu. Le 3 septembre, en conseil des ministres présidé par le Président de la République René Coty, est adopté un décret qui arrête le texte définitif de la future Vème République.

Il est présenté par de Gaulle sur la place de la République le 4 septembre et le 28 septembre est organisé un référendum —> la Constitution est promulguée le 4 octobre 1958 au JO.

Cette Constitution est, sur le fond, dépendante de la pensée politique gaullienne. Des idées constitutionnelles du Général de Gaulle se trouvent en effet inscrites noir sur blanc, dans une optique nouvelle.