LA RESTAURATION ET LA MONARCHIE PARLEMENTAIRE

La période de la Restauration et de la monarchie parlementaire illustre les tentatives de concilier autorité monarchique et libertés constitutionnelles. Si la monarchie limitée de 1814-1830 amorce des réformes, elle reste marquée par des tensions entre conservatisme et aspirations libérales. Avec la monarchie de Juillet, un véritable parlementarisme commence à émerger, mais l’absence de suffrage universel et les inégalités sociales précipitent la fin de la monarchie en 1848, ouvrant la voie à une nouvelle ère républicaine.

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties : Le Consulat et l’Empire Le Directoire (1795 – 1799)   La convention de 1793 et son échec constitutionnel    De la Révolution à l’échec de la Constitution de 1791   De la Restauration à la Monarchie parlementaire (1814)   Le Second Empire   Le régime de la Troisième République     Le régime politique de la IVème république et son héritage

On commence par un résumé de la période puis par une description des différentes périodes :

Résumé de la période de 1814 à 1838

La période de la Restauration (1814-1830) est marquée par une tentative de concilier l’autorité monarchique et les aspirations libérales issues de la Révolution française. Elle se divise en deux phases principales : la monarchie limitée sous les Bourbons, de 1814 à 1830, et la monarchie parlementaire instaurée après la Révolution de Juillet 1830 sous Louis-Philippe Ier.

1. La Restauration (1814-1830) : un retour hésitant à la monarchie

a) Le contexte de 1814 : la chute de Napoléon et la restauration des Bourbons

En avril 1814, après la défaite de Napoléon et son abdication, les puissances alliées imposent le retour des Bourbons. Le Sénat conservateur, composé des dignitaires napoléoniens et dirigé par des figures comme Talleyrand, joue un rôle clé dans cette transition. Le Sénat, cherchant à préserver ses privilèges, promeut une monarchie qui combine :

  • Autorité monarchique, pour rassurer les alliés.
  • Libertés constitutionnelles, pour intégrer les acquis révolutionnaires.

L’adresse du 4 avril 1814, émise par le gouvernement provisoire, insiste sur cette double nécessité. Pour légitimer ce retour, le Sénat tente de donner l’impression que le peuple appelle volontairement Louis XVIII au trône, une stratégie destinée à ménager les différentes sensibilités politiques.

b) La Charte constitutionnelle du 4 juin 1814 : une monarchie limitée

La Charte de 1814, octroyée par Louis XVIII, rétablit la monarchie tout en reconnaissant certains principes libéraux :

  1. Un roi aux pouvoirs prépondérants :

    • Le roi détient l’initiative des lois, le droit de veto et le pouvoir exécutif.
    • Il nomme les ministres, qui sont responsables uniquement devant lui.
  2. Un système représentatif censitaire :

    • Deux chambres sont instituées :
      • La Chambre des pairs, dont les membres sont nommés par le roi.
      • La Chambre des députés, élue au suffrage censitaire très restrictif (100 000 électeurs sur 9 millions d’hommes adultes).
    • Cette structure vise à limiter l’influence populaire et à garantir un pouvoir conservateur.
  3. Des libertés garanties :

    • La Charte reconnaît la liberté de conscience, l’égalité devant la loi et la protection de la propriété.

Bien que dominée par l’autorité royale, cette Charte introduit des mécanismes institutionnels susceptibles de faire évoluer la monarchie vers un régime plus parlementaire.

2. La monarchie limitée sous les Bourbons (1815-1830)

a) Les tensions politiques et sociales

La Restauration est marquée par des affrontements constants entre différentes factions :

  1. Les ultras, partisans d’un retour complet à l’Ancien Régime, dominent souvent les Chambres, comme en 1815 avec la Chambre introuvable.
  2. Les libéraux, qui cherchent à préserver les acquis de la Révolution et à limiter l’autorité royale.
  3. Le roi, oscillant entre ces deux forces, tente de maintenir un équilibre fragile.

Ces tensions s’accentuent sous le règne de Charles X (1824-1830), plus autoritaire que son frère Louis XVIII, et favorable aux ultras.

b) Les prémisses d’un parlementarisme

Malgré l’absence formelle de responsabilité politique des ministres devant les Chambres, des pratiques pré-parlementaires se développent :

  • Les adresses des députés au roi permettent d’exprimer des critiques ou des soutiens.
  • Les gouvernements commencent à démissionner après des mises en minorité importantes, comme le second ministère Richelieu en 1821.
  • Le droit de dissolution, fréquemment utilisé par le roi, contribue à réguler les conflits entre le roi et les députés, mais exacerbe parfois les tensions.

c) La crise de 1830 et la chute des Bourbons

Les tensions atteignent leur paroxysme sous Charles X. En juillet 1830, il publie les ordonnances du 25 juillet, qui :

  • Restreignent la liberté de la presse.
  • Modifient le système électoral pour renforcer le pouvoir royal.
  • Dissolvent la Chambre des députés, pourtant récemment élue avec une majorité modérée.

Ces mesures provoquent les Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830), une insurrection à Paris. Charles X abdique le 2 août et s’exile. Le pouvoir passe à Louis-Philippe, duc d’Orléans, chef de la branche cadette des Bourbons.

3. La monarchie parlementaire de 1830 : la monarchie de Juillet

a) Une charte révisée et négociée

La Charte de 1814 est modifiée en 1830 pour renforcer les institutions parlementaires :

  • Le roi devient roi des Français, une légitimité fondée sur la volonté nationale plutôt que sur le droit divin.
  • La Charte n’est plus octroyée, mais négociée entre le roi et les Chambres.
  • Les prérogatives royales sont limitées :
    • Le roi ne peut plus suspendre les lois.
    • La Chambre des députés élit désormais son président.

b) Vers un parlementarisme dualiste

La monarchie de Juillet amorce une transition vers un régime parlementaire :

  1. Double confiance :

    • Les ministres doivent avoir la confiance à la fois du roi et de la Chambre des députés.
    • Cette double exigence entraîne une instabilité ministérielle (15 gouvernements entre 1830 et 1840).
  2. Droit de dissolution :

    • Le roi conserve le droit de dissoudre la Chambre, utilisé dans une logique proche du parlementarisme britannique.
  3. Un suffrage élargi, mais censitaire :

    • La loi électorale de 1831 abaisse le cens à 200 francs, doublant le corps électoral (de 166 000 électeurs en 1830 à 240 000 en 1848).
    • Cependant, le suffrage reste réservé à une élite bourgeoise.

4. L’échec de la monarchie parlementaire : la révolution de 1848

Malgré ses avancées institutionnelles, la monarchie de Juillet échoue à répondre aux attentes populaires :

  • La corruption et l’immobilisme social suscitent un mécontentement croissant, notamment face aux débuts de la révolution industrielle.
  • L’absence de suffrage universel devient un point de contestation majeur, illustré par la campagne des banquets en 1847.

En février 1848, l’interdiction d’un banquet à Paris déclenche des émeutes, conduisant à l’abdication de Louis-Philippe et à la proclamation de la Deuxième République.

I. Les hésitations de la période 1814-1815 : entre monarchie restaurée et tentatives libérales

La période 1814-1815 est marquée par de profondes incertitudes politiques en France, entre le rétablissement de la monarchie des Bourbons, la tentative de restauration impériale de Napoléon, et les premières expérimentations d’une monarchie limitée. Cette transition met en lumière des débats fondamentaux sur la légitimité politique et l’équilibre entre autorité royale et aspirations libérales issues de la Révolution française.

A) La première Restauration (avril 1814 – mars 1815)

La déchéance de Napoléon et l’appel à Louis XVIII

En avril 1814, le Sénat conservateur, sous la pression des puissances étrangères, proclame la déchéance de Napoléon Bonaparte et invite Louis XVIII, frère de Louis XVI, à monter sur le trône. Ce retour des Bourbons repose sur l’idée de réconcilier autorité monarchique et libertés issues de la Révolution, dans un contexte où la France aspire à la stabilité après les guerres napoléoniennes.

Louis XVIII, bien qu’attaché à la monarchie traditionnelle, comprend qu’il ne peut ignorer les acquis révolutionnaires. Il rejette cependant la Constitution sénatoriale du 6 avril 1814, proposée par le Sénat, car elle prévoyait un roi dont le pouvoir aurait été limité par des chambres législatives influentes. Louis XVIII affirme que sa légitimité vient de Dieu et non du peuple : il ne peut accepter une souveraineté populaire qui réduirait son autorité.

La Charte du 4 juin 1814 : une monarchie limitée

Pour apaiser les tensions, Louis XVIII accorde la Charte constitutionnelle du 4 juin 1814, rédigée par une commission qu’il nomme lui-même. Ce texte, souvent considéré comme un compromis, réaffirme l’autorité royale tout en intégrant certains principes libéraux.

Les caractéristiques de la Charte
  1. Une souveraineté partagée en apparence, mais dominée par le roi :

    • Le roi détient l’essentiel du pouvoir exécutif : il nomme les ministres, dispose de l’initiative des lois, et peut exercer un droit de veto.
    • Le législatif est bicaméral, avec :
      • Une Chambre des pairs, composée de nobles nommés à vie par le roi.
      • Une Chambre des députés, élue au suffrage censitaire, où seuls 100 000 électeurs, parmi les plus riches, participent au vote.
  2. Une représentation élitiste :

    • Pour être éligible, il faut payer 1000 francs de cens, ce qui exclut la quasi-totalité de la population.
    • La Chambre des députés est renouvelée par cinquième tous les ans, limitant la stabilité parlementaire.
  3. Une absence de responsabilité politique :

    • Les ministres ne sont pas responsables devant les Chambres, mais uniquement devant le roi, ce qui empêche toute évolution vers un régime parlementaire.
  4. Des libertés garanties :

    • La Charte reconnaît des principes issus de la Révolution, comme l’égalité devant la loi, la liberté religieuse et la protection de la propriété.

Bien que dominée par l’autorité royale, la Charte introduit des structures susceptibles d’évoluer vers une monarchie plus libérale. Cependant, la restauration des Bourbons reste fragile, et dès mars 1815, Napoléon revient pour tenter de reprendre le pouvoir.

B) Les Cent-Jours : Napoléon et l’Acte additionnel de 1815

Le retour triomphal de Napoléon

En mars 1815, Napoléon débarque à Golfe-Juan et, dans une marche triomphale, regagne Paris sans rencontrer de véritable résistance. Louis XVIII s’exile à nouveau, tandis que Napoléon réinstalle son gouvernement. Cependant, conscient que son retour ne peut s’appuyer uniquement sur une autorité militaire, il cherche à moderniser son régime en le rapprochant des idéaux libéraux.

L’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire (22 avril 1815)

Pour séduire les libéraux et les modérés, Napoléon accepte de promulguer un texte rédigé par Benjamin Constant, l’Acte additionnel aux constitutions de l’Empire.

  • Ce texte modifie les structures impériales pour intégrer des éléments pré-parlementaires inspirés de la Charte de 1814 :
    • Une Chambre des pairs nommée.
    • Une Chambre des représentants élue, bien que toujours au suffrage censitaire.
    • Une reconnaissance des libertés fondamentales.
  • Toutefois, Napoléon conserve un rôle central en tant qu’Empereur, montrant que l’autorité reste concentrée entre ses mains.

Malgré cette tentative de modernisation, le régime napoléonien est rapidement confronté aux coalitions européennes. Après sa défaite à Waterloo le 18 juin 1815, Napoléon abdique le 22 juin en faveur de son fils. Cette abdication est ignorée par les puissances étrangères, qui imposent le retour des Bourbons.

C) La seconde Restauration : le retour de Louis XVIII

Le rétablissement des Bourbons

Le 6 juillet 1815, Louis XVIII fait son retour à Paris, sous la protection des armées étrangères. Il rétablit immédiatement la Charte du 4 juin 1814, suspendue pendant les Cent-Jours. Ce texte, désormais consolidé, devient la base du régime pour les 16 années suivantes, inaugurant une période de monarchie limitée.

Une monarchie en tension

La seconde Restauration se caractérise par des conflits récurrents entre les différentes factions politiques :

  1. Les ultras : Partisans d’une restauration intégrale de l’Ancien Régime, ils dominent la « Chambre introuvable » élue en 1815, que Louis XVIII dissout rapidement pour éviter une radicalisation.
  2. Les libéraux et les constitutionnels : Favorables à une application équilibrée de la Charte, ils cherchent à limiter le pouvoir royal tout en préservant les acquis révolutionnaires.
  3. Le roi lui-même : Louis XVIII tente de maintenir un équilibre entre ces deux forces, tout en affirmant son autorité traditionnelle.

D) Bilan de la période 1814-1815

Les hésitations de cette période illustrent les tensions entre plusieurs légitimités :

  • La légitimité divine, défendue par Louis XVIII, qui cherche à restaurer l’autorité royale tout en intégrant des institutions modernes.
  • La légitimité populaire, incarnée par les aspirations libérales issues de la Révolution, et que Napoléon tente de récupérer pendant les Cent-Jours.

Si la Charte de 1814 amorce une transition vers une monarchie limitée, elle reste profondément conservatrice, ce qui génère des tensions sociales et politiques. Ces hésitations entre autorité et liberté marquent les débuts de la monarchie constitutionnelle en France et préfigurent les évolutions vers une monarchie parlementaire, qui se consolideront sous la monarchie de Juillet.

 

II. La monarchie limitée de la Charte de 1814 modifiée en 1830

La monarchie limitée instaurée par la Charte de 1814, puis modifiée en 1830, constitue une tentative de concilier le pouvoir monarchique traditionnel avec les aspirations libérales issues de la Révolution française. Bien qu’elle s’éloigne du régime parlementaire à proprement parler, cette monarchie amorce une évolution vers un système où le pouvoir royal doit composer avec des institutions représentatives. Ce compromis, fragile et souvent contesté, débouche sur des tensions politiques qui culminent avec la Révolution de 1830.

A) La Charte de 1814 : une monarchie restaurée et limitée

Le contexte de la Restauration

La Charte de 1814 est instaurée après la chute de Napoléon et le retour des Bourbons sur le trône de France. Louis XVIII, frère de Louis XVI, monte sur le trône et tente d’instaurer un équilibre entre l’autorité monarchique et les acquis révolutionnaires :

  • La Charte est présentée comme un acte octroyé par le roi, ce qui maintient l’apparence de la souveraineté monarchique.
  • Cependant, elle introduit des institutions représentatives, marquant une rupture avec l’absolutisme.

Les principales dispositions de la Charte

  1. Un roi aux pouvoirs importants :

    • Le roi conserve l’initiative des lois et le pouvoir de sanctionner ou non celles votées par les Chambres.
    • Il nomme les ministres, qui sont responsables uniquement devant lui, et dispose du droit de dissolution de la Chambre des députés.
  2. Deux chambres législatives :

    • La Chambre des pairs, composée de membres nommés par le roi, incarne une aristocratie fidèle à la monarchie.
    • La Chambre des députés, élue au suffrage censitaire, représente une élite restreinte. Le cens pour être électeur est fixé à 300 francs, et il faut payer 1000 francs pour être éligible, ce qui limite le corps électoral à environ 100 000 personnes sur 9 millions d’hommes adultes.
  3. Une reconnaissance des droits individuels :

    • La Charte garantit les libertés fondamentales, comme l’égalité devant la loi, la liberté de religion et la protection de la propriété.

B) Une monarchie conservatrice et ses tensions

La domination des ultras et la réaction politique

Les premières années de la Restauration sont marquées par la domination des ultras, partisans de l’Ancien Régime, dans les institutions :

  • La « Chambre introuvable » de 1815, élue après Waterloo, est composée presque exclusivement d’ultras. Favorables à une restauration totale des privilèges aristocratiques, ils s’opposent aux libéraux et aux anciens partisans de l’Empire.
  • Face à leur intransigeance, Louis XVIII dissout cette Chambre en septembre 1816 pour éviter une radicalisation.

Le suffrage censitaire renforcé

La loi électorale de 1820, instituant le double vote, renforce le pouvoir des élites les plus riches :

  • Les grands propriétaires bénéficient d’un second vote, accentuant leur influence dans les élections.
  • Ce système aggrave le caractère conservateur et aristocratique des institutions, éloignant encore davantage la monarchie des aspirations démocratiques.

C) L’évolution vers un début de régime parlementaire

Une vie parlementaire en gestation

Bien que la responsabilité des ministres devant les Chambres ne soit pas prévue par la Charte, des pratiques émergent, amorçant une évolution vers un régime parlementaire :

  • Les députés adoptent des adresses au roi pour exprimer leurs critiques ou leur soutien, initiant un dialogue institutionnel.
  • Les ministères, bien que responsables uniquement devant le roi, commencent à démissionner après des mises en minorité importantes à l’Assemblée. Par exemple, le gouvernement Richelieu démissionne en 1821 après plusieurs votes défavorables.

Le rôle des dissolutions

Le roi utilise fréquemment son droit de dissolution pour surmonter les blocages parlementaires :

  • En 1816, la dissolution de la Chambre introuvable permet d’élire une assemblée plus modérée.
  • En revanche, sous Charles X, les dissolutions répétées exacerbent les tensions. La dissolution de 1830, suivie des ordonnances du 25 juillet, marque une rupture définitive avec les principes constitutionnels.

D) La révolution de 1830 et la monarchie de Juillet

Les ordonnances de 1830 : un point de non-retour

En juillet 1830, Charles X émet des ordonnances restreignant la liberté de la presse, modifiant le droit électoral et dissolvant à nouveau la Chambre des députés. Ces mesures, perçues comme un coup de force contre la Charte, déclenchent une insurrection à Paris :

  • Les Trois Glorieuses (27, 28, 29 juillet) aboutissent à l’abdication de Charles X, qui s’exile.
  • Un gouvernement provisoire confie la lieutenance générale du royaume au duc d’Orléans, Louis-Philippe, chef de la branche cadette des Bourbons.

La Charte de 1830 : une monarchie davantage parlementaire

La Charte de 1814 est révisée pour renforcer le rôle des institutions représentatives :

  • Elle est présentée comme négociée entre Louis-Philippe et la Chambre des députés, marquant une reconnaissance de la double légitimité (royale et populaire).
  • Le roi devient roi des Français, et non roi de France, soulignant sa légitimité issue de la volonté nationale.

Le régime évolue vers un parlementarisme dualiste, où le gouvernement doit bénéficier de la confiance à la fois du roi et des Chambres. Cependant, Louis-Philippe conserve une influence importante, freinant l’évolution vers un régime pleinement parlementaire.

E) Bilan de la monarchie limitée

La monarchie limitée de la Restauration et de la monarchie de Juillet reflète une tentative d’équilibre entre le pouvoir royal et les aspirations libérales. Cependant, elle souffre de contradictions internes :

  • Le suffrage censitaire et le poids de l’aristocratie éloignent le régime des aspirations démocratiques.
  • La concentration du pouvoir entre les mains du roi provoque des tensions récurrentes avec les Chambres, notamment sous Charles X.

L’échec de ces tentatives monarchiques, culminant avec la Révolution de 1830, marque une rupture décisive. Avec l’instauration de la Deuxième République en 1848, la France amorce une trajectoire politique où la monarchie perd définitivement sa place centrale au profit de régimes républicains et parlementaires.

 

III. La monarchie parlementaire : l’expérience orléaniste (1830 – 1848)

La monarchie de Juillet, ou monarchie orléaniste, occupe une place particulière dans l’histoire de France. Qualifiée de monarchie bourgeoise, elle représente une tentative de compromis entre deux légitimités : celle du roi, symbole d’autorité traditionnelle, et celle de la nation, incarnée par le Parlement. Cette période témoigne d’un effort pour concilier monarchie et régime parlementaire, mais elle reste marquée par des tensions structurelles qui mèneront à sa chute en février 1848.

A) Les caractéristiques fondamentales de la monarchie de Juillet

Une charte modifiée et négociée

La monarchie de Juillet naît après les Trois Glorieuses (27-29 juillet 1830), insurrection contre les excès absolutistes de Charles X. Contrairement à la Charte de 1814, octroyée par Louis XVIII, celle de 1830 est présentée comme un compromis :

  • Elle est négociée entre le roi et les représentants de la nation, marquant une rupture avec le principe d’octroi.
  • La charte reste similaire à celle de 1814, mais limite davantage le pouvoir royal.

Le texte de 1830 établit un équilibre où le roi règne mais partage son pouvoir avec une assemblée élue. Louis-Philippe Ier, issu de la branche cadette des Bourbons, devient roi des Français et non roi de France, soulignant une légitimité nationale plutôt que dynastique.

B) Un équilibre fragile entre roi et Parlement

La séparation des pouvoirs et les avancées parlementaires

La monarchie orléaniste s’inspire des principes de Montesquieu, avec une stricte séparation des pouvoirs :

  • Le roi conserve des prérogatives exécutives importantes : chef des armées, pouvoir de nommer les ministres, droit de dissolution de la Chambre des députés.
  • Les chambres (Chambre des députés et Chambre des pairs) disposent de nouveaux droits :
    • Droit d’initiative législative et d’amendement.
    • Élection du président de la Chambre des députés, autrefois nommé par le roi.
    • Contrôle croissant sur le gouvernement par l’interpellation et la question de confiance.

Bien que la responsabilité politique du gouvernement devant les chambres ne soit pas explicitement consacrée, elle commence à se pratiquer. Les ministres qui perdent la confiance de la majorité parlementaire démissionnent souvent, amorçant une évolution vers un parlementarisme dualiste, où le ministère doit bénéficier de la double confiance du roi et de la chambre.

Le suffrage censitaire : un progrès limité

La loi électorale du 19 avril 1831 modifie le système censitaire en abaissant le montant du cens :

  • Pour être électeur, il faut payer 200 francs d’impôts (contre 300 sous la Restauration).
  • Pour être éligible, il faut payer 500 francs (contre 1000).

Ces réformes doublent le corps électoral, passant de 166 000 électeurs en 1830 à 240 000 en 1848. Cependant, ce suffrage reste très restreint, excluant la majorité de la population et renforçant le caractère bourgeois du régime.

C) Les tensions politiques : roi et Parlement en concurrence

Une opposition entre deux visions du pouvoir royal

La monarchie de Juillet est marquée par un affrontement récurrent entre le roi et la Chambre des députés.

  • Louis-Philippe Ier, influencé par le modèle monarchique traditionnel, entend rester un acteur central dans le choix des ministres et la direction du gouvernement.
  • Une partie des députés, notamment les libéraux comme Thiers, revendique un rôle prépondérant pour le Parlement.

Ces visions opposées se résument dans deux formules célèbres :

  • Thiers (libéral) : « Le roi règne et ne gouverne pas. »
  • Guizot (conservateur) : « Le trône n’est pas un fauteuil vide. »

Une instabilité ministérielle chronique

Les tensions entre le roi et les chambres entraînent une forte instabilité gouvernementale. Entre 1830 et 1840, pas moins de 15 ministères se succèdent. Cette instabilité reflète à la fois l’absence de majorité parlementaire solide et la volonté de Louis-Philippe d’imposer des ministres qui lui sont fidèles.

Cependant, l’instabilité diminue à partir de 1840, avec l’arrivée au pouvoir de François Guizot, principal ministre qui bénéficie de la double confiance du roi et de la majorité conservatrice à la Chambre des députés.

D) Les mécanismes du régime parlementaire en gestation

Le droit de dissolution

Le roi dispose du droit de dissolution, qu’il utilise six fois pendant la monarchie de Juillet. Contrairement à Charles X, qui dissolvait les chambres pour tenter de changer la majorité, Louis-Philippe s’en sert dans une logique plus proche du parlementarisme britannique, cherchant à renouveler ou consolider la majorité existante.

Le rôle du ministère comme pivot

Le ministère, constitué des ministres nommés par le roi, joue un rôle de médiateur entre le roi et les chambres. Il doit bénéficier de la double confiance pour maintenir la stabilité du régime. Cette double exigence, caractéristique du parlementarisme dualiste, reflète un équilibre entre le pouvoir royal et le pouvoir parlementaire.

E) Les causes de la chute de la monarchie de Juillet

Une opposition croissante dans le pays

Malgré une certaine stabilité à partir de 1840, le régime fait face à une opposition croissante, alimentée par plusieurs facteurs :

  1. Corruption et immobilisme : La domination de Guizot et son refus de réformes, notamment l’élargissement du suffrage, suscitent un mécontentement général.
  2. Révolutions industrielles et sociales : Tandis que la révolution industrielle transforme l’économie, le régime reste sourd aux revendications des classes populaires.
  3. La campagne des banquets : À partir de 1847, les opposants au régime utilisent des banquets politiques pour contourner l’interdiction des réunions publiques et promouvoir le suffrage universel.

La révolution de février 1848

L’interdiction d’un banquet dans le 12ᵉ arrondissement de Paris en février 1848 déclenche une série de manifestations et d’émeutes.

  • Le 23 février, François Guizot démissionne sous la pression populaire.
  • Le 24 février, face à l’insurrection, Louis-Philippe abdique et s’exile en Angleterre.

La monarchie de Juillet s’effondre sans véritable résistance, marquant la fin de la dernière tentative de monarchie parlementaire en France.

F) Bilan de la monarchie parlementaire

La monarchie de Juillet représente une tentative ambitieuse mais fragile de compromis entre monarchie et régime parlementaire. Bien qu’elle amorce une évolution vers le parlementarisme, ses contradictions internes et son incapacité à répondre aux attentes populaires précipitent sa chute.

En définitive, cet échec renforce l’idée que la France doit chercher un régime politique durable en dehors de la monarchie. En février 1848, l’instauration de la Deuxième République marque une rupture définitive avec les tentatives de concilier royauté et souveraineté nationale.

 

 

Isa Germain

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