Définition, caractère et histoire du droit administratif

 DÉFINITION, HISTOIRE ET CARACTÈRE DU DROIT ADMINISTRATIF

  On dit que le droit administratif est un droit autonome qui s’oppose au droit privé, ayant ses propres normes distinctes du droit privé. Cette autonomie provient de l’arrêt Blanco, du Tribunal des Conflits de 1873, il y est clairement affirmé la spécificité du droit administratif qui ne peut être régi par les mêmes règles que celles du droit privé.

Il faut préciser que historiquement le droit administratif s’est formé à partir du droit privé tout en s’en éloignant, on dit ainsi que c’est un droit dérogatoire du droit commun ; ce droit déroge au droit privé, mais en même temps il n’y a pas de cloisonnement absolu entre ce droit et le droit privé.

Il faut noter qu’il a été originairement un droit jurisprudentiel, aux 19ème et 20ème siècles. Le juge administratif l’a créé de toute pièce, il a fait œuvre créatrice de droit. A l’époque n’existe aucun texte en droit administratif, c’est pourquoi le juge a du créé ce droit par sa jurisprudence. On a assisté à une évolution où il y a eu une multiplication de textes de droit administratif. Très souvent le législateur n’a fait que confirmer la jurisprudence antérieure. Ce droit de plus en plus a été codifié, il y en a encore plus de nos jours.

 

Ce droit présente de nombreuses spécificités.

Le droit administratif est le droit de l’administration. C’est la branche du droit public interne qui étudie l’organisation et l’activité de l’administration dans ses rapports avec les particuliers et d’autres administrations. (Droit constitutionnel : rapports entre particuliers et pouvoirs publics).

Il y a des zones limites entre droit administratif et droit privé, où la distinction est difficile à établir. Il a aussi des zones frontières avec le droit constitutionnel. Tout en haut de l’administration se trouve le 1er ministre (chef suprême de l’administration), or il est une autorité politique.

Chapitre 1. Définition du droit administratif.

Plusieurs auteurs (René Chapus) on dit que ce droit était à la recherche de sa définition. A la fin du 19ème il y a 2 courants de pensée toujours d’actualité et appelés les écoles classiques représentées par Maurice Hauriou et Léon Duguit.

La doctrine moderne tout en conservant ces 2 courants a tenté de le définir à partir de la notion d’administration.

 

 

  • 1. Les écoles classiques.

Apparaissent fin 19ème, début 20ème.

L’une est « l’école du service public » fondée par Léon Duguit, qui fut doyen de la faculté de droit de Bordeaux (1859-1928). Duguit définit le droit administratif par sa finalité, il s’interroge sur son but. Pour lui, la finalité de l’administration est la poursuite de l’intérêt général, des missions de service public. Le service public pour lui est le meilleur service de l’intérêt général, il est au cœur du droit administratif, l’administration ayant pour but d’assurer l’intérêt général qui se réalise dans les missions de service public. Ici l’administration poursuit des activités à but désintéressé.

L’autre école est celle de Maurice Hauriou, doyen de la faculté de droit de Toulouse (1856-1928). La pensée s’oppose à celle de Duguit. Il se fonde sur des pouvoirs exorbitants, pour lui l’administration se caractérise par des prérogatives de puissance publiques qu’on ne connait pas entre particuliers. L’administration a pour but de contraindre les citoyens à faire ou à ne pas faire quelque chose. Cette école se caractérise par ses moyens, c’est ce sur quoi se fonde Hauriou. Cependant, les idées de Hauriou rejoigne un peu celles de Duguit, car pour Hauriou les moyens de l’administration doivent être utilisés pour rendre service au public, on retrouve ainsi une idée de service public. Il rappelle que durant la période monarchique le but était de rendre service au roi. Il dit que les moyens doivent être utilisés pour servir et non pour opprimer.

Ces 2 points de vue sont toujours d’actualité et chacun d’eux se réalisent en fait au sein de l’administration.

La résistance des particuliers doit ainsi être vaincue par l’administration grâce à ses pouvoirs exceptionnels, prérogatives de puissance publique. Une de ces prérogatives est à remarquer, c’est le pouvoir d’exproprier des particuliers.

L’administration a donc des pouvoirs de contraindre les particuliers, car on ne veut pas qu’un intérêt particulier tienne en échec un intérêt général.

  • 2 La doctrine moderne

Par ailleurs, la doctrine moderne essaye de donner une définition à partir de la notion d’administration en faisant une distinction entre l’approche organique et matérielle ou fonctionnelle.

  1. L’approche organique.

C’est la personne, l’institution, ainsi l’administration est l’ensemble des personnes de droit public, la plus importante étant l’Etat (institution des institutions selon Hauriou). D’autres sont des personnes infra étatiques, comme la commune, le département, la région. Puis il y a les établissements publics ; il y a donc 3 grandes catégories toutes chargées de missions générales de service public. Si on définit ainsi ce droit, il s’organiserait ainsi autour de ces personnes publiques.

Cette définition pose problème, car il y a des personnes de droit privé qui ont des missions de service public, d’intérêt général (société d’autoroute, associations pour l’insertion d’anciens détenus, pour les personnes handicapées). Ces personnes privées sont de plus soumises pour partie au droit administratif et pour autre partie au droit privé.

  1. L’approche fonctionnelle.

C’est celle qui est faite non pas à partir de la personne, mais à partir de la fonction réalisée, de la matière donc.

Ici la fonction d’intérêt général est centrale. C’est la finalité de l’administration selon Duguit. Le droit administratif serait donc celui relatif à l’intérêt général, on y engloberait toute l’activité de l’administration, mais aussi l’activité des personnes privées ayant une mission de service public.

Ici le droit administratif serait le droit de l’intérêt général.

Un problème se pose cependant qui est que dans certains cas l’administration a des activités identiques à celles d’une personne privée, comme par exemple la gestion de certaines propriétés du domaine privé (appartements de l’administration qu’elle loue).

 Ainsi cela suppose que le droit administratif ne devrait pas englober des activités qui ne relèvent pas de l’intérêt général, or ce n’est pas le cas.

Il y a donc un noyau dur et une zone plus fluctuante du droit administratif.

Georges Vedel, dit qu’il faudrait distinguer entre droit administratif public et privé, mais les auteurs n’ont pas repris cette idée.

Certains auteurs considèrent que le droit administratif doit être réservé à un noyau dur, qui serait les seules règles dérogatoires du droit commun (Gaudemet).

La pluralité de définitions montre la difficulté à définir le Droit Administratif.

Chapitre 2. L’Histoire du droit administratif.

Le Droit Administratif actuel doit être replacé dans son contexte historique.

  • 1. L’ancien régime.

A cette époque l’administration est à un état embryonnaire et c’est à partir du 16ème qu’émerge une organisation plus cohérente centralisée et hiérarchisée, on y trouve certaines pièces qui seront celles de la période napoléonienne. Il y a des conseillers du roi, des intendants (ancêtres des préfets), des corps administratifs spécialisés (mines, eaux et forêts).

  • 2. La révolution.

Elle opère une table rase sur le passé. S’instaure une rupture avec l’existant. Il y a 2 grands apports, égalité, liberté. On veut une administration uniforme, égalitaire sur l’ensemble du territoire. On opère alors un découpage administratif de la France, en départements et communes. Les départements sont d’égale importance et les communes auront aussi une administration identique, les communes auront des pouvoirs identiques quelle que soit leur taille. On pose les bases philosophiques et politiques qui subsisteront jusqu’à jours, égalité des citoyens devant la loi et les administrations, la liberté individuelle, économique et la séparation des autorités administratives et judiciaires.

Cette séparation provient du fait qu’on souhaite soustraire l’administration au juge judiciaire. Selon la pensée de Montesquieu aucun pouvoir ne doit empiéter sur les pouvoirs de l’autre, on veut se prémunir de toute immixtion du pouvoir judiciaire dans l’exécutif. L’administration est considérée comme un prolongement de l’exécutif et comme servant l’exécutif. Les révolutionnaires avaient aussi en tête les abus des parlements sous l’ancien régime, ces cours de justice s’étant opposées au roi et aux agents administratifs, et on soupçonnait que ces cours étaient aussi hostiles à la révolution. La loi des 16 et 24 août 1790 institue la séparation des autorités administratives et judiciaires. Cette loi sera confirmée par décret du 16 fructidor an III, il confirme que le juge judiciaire ne peut juger les affaires de l’administration.

  • 3. L’œuvre de l’an VIII.

Qui juge alors l’administration ?

En l’absence de juridiction compétente, l’administration jugeait ses propres litiges, en pratique le ministre compétent jugeait les affaires qui relevaient de son domaine, c’est le système de l’administration juge ou du ministre juge. On considérait que cela était le complément naturel de l’administration, juger c’était encore administrer.

Mais l’administration était ainsi juge et partie.

Sous l’an VIII sera créé le Conseil d’Etat. Il prend la suite du Conseil du Roi en quelque sorte. Il Conseille l’état, c’est un organe consultatif. Les bases seront ainsi posées pour la future juridiction administrative.

Au début elle est embryonnaire et n’offre pas de protection pour les particuliers.

Seront aussi créés les Conseils de Préfecture, qui auront aussi une mission juridictionnelle.

Parallèlement il y aura l’organisation uniforme et centralisée du territoire, les départements créés sous la révolution seront repris sans grande modification, ainsi que les arrondissements et les communes. A la tête du département, se trouve le préfet assisté d’un Conseil Général, puis le sous-préfet assisté d’un Conseil d’arrondissement, puis le maire assisté d’un Conseil municipal. Tous sont nommés, mais le préfet se détache de l’ensemble, il représente le pouvoir central et a de larges compétences.

Il y a aussi la création de services administratifs spécialisés (centralisées et de type militaire, tous portent alors un uniforme).

  • 4. L’évolution à compter de la fin du 19ème, début 20ème.

Le Conseil d’Etat à partir du 19ème devient une vraie juridiction et conserve des fonctions consultatives. En 1889, l’arrêt Cadot fait perdre à l’administration toutes ses fonctions de juge, c’est la fin de l’administration juge. C’est le Conseil d’Etat qui devient la juridiction administrative, mais dans certains cas il y a difficulté à savoir si telle affaire relève de la juridiction administrative ou judiciaire. Sera donc créé le Tribunal des Conflits pour trancher les problèmes de compétence.

A la fin du 19ème le Conseil d’Etat va rendre de plus en plus de grande décisions protectrices du citoyen contre la toute-puissance de l’administration. Il va de plus en plus créer des règles qui protègent l’individu, comme le REP qui permet aux citoyens d’attaquer les actes de l’administration. Il permet aussi aux agents de l’administration d’attaquer les actes administratifs qui les lèsent.

Dès lors le droit administratif émerge sous l’impulsion du Conseil d’Etat et de sa jurisprudence.

L’organisation administrative pendant la période napoléonienne était centralisatrice et elle continue ici de l’être. C’est le département, avec le préfet. Elle est très hiérarchisée et en même temps apparait une idéologie libérale, qui connait son apogée vers 1880 aux débuts de la IIIème République, qui affirme les principes libéraux. Des théoriciens du droit sont des membres du Conseil d’Etat et des universitaires, ils expliquent les raisons d’être du droit administratifs (Hauriou et Duguit, Edouard Laferrière dégage les grands principes du contentieux administratif).

L’évolution de la société et du rôle de l’Etat permettent de comprendre les transformations du droit administratif. La guerre de 1914 fera passer l’Etat de sa fonction de gendarme à une fonction d’Etat providence, il prend désormais en charge des activités économiques (ce qui avant se faisait de façon discrète et inavouée) – chemins de fer, distribution de nourriture.

Les mêmes problèmes se poseront avec la seconde guerre mondiale et L’Etat va ainsi prendre de nouvelles prérogatives pour relancer l’économie et reconstruire. Les citoyens se sont habitués à l’interventionnisme de l’Etat et lui demandent de redynamiser le pays, ce qu’il va faire de façon de plus en plus clair et directe, c’est l’affirmation de l’Etat providence (transport aéroportuaire, nationalisation de Renault, etc.…). Les collectivités locales prennent aussi en charge des activités économiques, comme la distribution du gaz, de l’électricité, du transport urbain, du téléphone.

Le droit administrative doit être analysé au regard de l’évolution de la société et du rôle de l’Etat.

A partir des années 1980 de nouveaux changements profonds s’opèrent dans la société et ils seront à l’origine d’une évolution du droit administratif.

Avec l’arrivée de la gauche en 1981, sera introduite la décentralisation. Puis dès 1985 et 1986, la construction de l’Europe sera à l’origine d’un recul de l’interventionnisme de l’état ; il y a l’avènement du marché, la suppression des frontières et surtout le fait que l’état doit se soumettre au droit de la concurrence dans toutes ses activités économiques. L’état voyant ses activités concurrencées, il va privatiser ces activités ou encore décentraliser un certain nombre d’activités. L’état se désengage peu à peu. Le nouveau rôle de l’état va donc désormais s’axer sur un rôle de régulateur de l’économie (gendarme de l’ordre économique). Le droit administratif subit cette évolution, il doit aussi se soumettre au droit de la concurrence, c’est un bouleversement du droit administratif. De nouveaux défis doivent être relevés :

  • La construction de l’Europe n’est pas achevée.
  • La décentralisation est en voie d’approfondissement.
  • La nécessaire modernisation de l’administration au sens où elle doit être de plus en plus performante au moindre coût ; elle doit être réactive face à la concurrence du privée.

 

Chapitre 3. Les caractères du droit administratif.

Ce droit se caractérise par 2 grands traits :

  • Il est d’origine jurisprudentielle
  • C’est un droit déséquilibré.
  • 1. Un droit jurisprudentiel.

Il a été formé en grande partie par le conseil d’état et à moindre mesure par le tribunal des conflits.

Dans un premier temps il ne comporte pas de normes. Le juge administratif confronté à un litige et qui n’a pas de lois sur lesquelles s’appuyer va créer le droit administratif de toute pièce.

En droit privé, on dit traditionnellement que le juge ne peut qu’interpréter la loi, en droit administratif il est admis que le juge soit créateur de la norme.

Les décisions du juge administratif (du conseil d’état) sont courtes, laconiques, obscures. Pour mieux les comprendre il faut se référer aux conclusions du rapporteur public (commissaire du gouvernement, autrefois ; nouveau terme depuis 2009). Il donne son avis en toute indépendance.

Son avantage est que ce droit est d’une grande souplesse. La jurisprudence évolue en  fonction de l’évolution de la société.

Son inconvénient est qu’on peut considérer la présence d’une certaine insécurité juridique du fait du caractère évolutif.

On a vu une augmentation du nombre des lois et des règlements en droit administratif ces dernières années, et dès lors le droit administratif est moins jurisprudentiel. Le législateur a cependant souvent retenu les décisions jurisprudentielles.

  • 2. Un droit déséquilibré.

Le droit administratif est déséquilibré, à la différence du droit  privé, où il y a 2 parties équilibrés qui ne peuvent imposer à l’autre quelque chose. En droit administratif il y a l’administration comme partie forte dans les rapports, du fait de ses prérogatives de puissance publique qui sont contraignantes, qui va combattre la résistance de l’autre partie. Mais l’administration n’est cependant pas toute puissante, elle a des contraintes particulières et ne peut ainsi agir que dans le cadre de l’intérêt général.

 

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