LA COUTUME, UNE SOURCE DU DROIT
Les règles coutumières sont des normes qui n’ont pas été édictées par un texte écrit, mais qui se sont instaurées progressivement, par la tradition. Pothier définissait la coutume comme « des lois que l’usage a établi et qui se sont conservées sans écrits par une longue tradition ». Ces règles, qui n’émanent pas de l’État mais des usages populaires, constituent donc une source non écrite du droit objectif. À la différence des lois formellement rédigées et adoptées par les pouvoirs publics, la coutume s’est établie spontanément et est portée par la société elle-même.
Bien que la coutume se fonde sur des pratiques orales, elle peut, une fois installée, faire l’objet d’une rédaction pour être mieux connue et respectée. Par exemple, l’ordonnance de Montils-les-Tours de 1453 a ordonné la mise par écrit de nombreuses coutumes en France, pour favoriser leur application et en assurer la stabilité. Sous l’Ancien Régime, la coutume était omniprésente, mais son rôle a varié géographiquement : dans le nord, les pays de coutume utilisaient un droit coutumier qui complétait le droit monarchique, alors que dans le sud, les pays de droit écrit appliquaient des règles d’origine romaine en plus du droit royal.
Le déclin de la coutume avec l’avènement du Code civil
Avant le Code civil, la coutume jouait un rôle fondamental, étant l’une des principales sources du droit en France. Cependant, la révolution juridique opérée par le Code civil napoléonien de 1804 a transformé ce paysage. Ce code, en unifiant le droit français et en lui donnant une base écrite, a établi la suprématie de la loi écrite sur la coutume. Cette suprématie repose sur plusieurs raisons :
- Droit objectif : définition et caractère du droit objectif
- Application des lois dans le temps
- Les conflits de lois ou de règlements dans le temps
- Définition et rôle de la coutume, source de droit
- Définition, rôle et interprétation de la jurisprudence
- La jurisprudence, source contestée de droit
- La doctrine est-elle une source de droit?
- Précision et certitude : La loi écrite, par sa clarté et sa codification, offre davantage de sécurité juridique. À l’inverse, la coutume, parfois incertaine et variant selon les lieux, peut créer des imprécisions.
- Uniformité : La loi s’applique uniformément sur tout le territoire français, contrairement à la coutume, qui varie souvent d’une région ou d’une profession à l’autre.
- Rapidité d’adaptation : La loi peut être modifiée ou introduite rapidement pour répondre aux évolutions de la société, alors que la coutume, qui dépend de pratiques enracinées, prend du temps à évoluer.
L’article 7 du Code civil illustre ce changement en affirmant que toutes les règles de droit antérieures au Code civil (lois romaines, ordonnances, coutumes générales ou locales) cessent d’avoir force de loi dans les domaines couverts par le Code. Cela ne signifie pas pour autant que la coutume a disparu : dans les matières non régies par le Code civil ou par d’autres lois, la coutume peut encore s’appliquer. Ainsi, le rôle de la coutume est réduit, mais elle reste présente dans certaines branches du droit.
La coutume aujourd’hui : une source secondaire aux rôles variés
Dans le droit actuel, la coutume conserve un rôle complémentaire et s’applique principalement dans les domaines où la loi est muette. Cependant, son importance varie selon les branches du droit :
- Droit civil et droit social : Dans ces domaines, la coutume a un rôle secondaire et intervient rarement, les règles écrites ayant pris le dessus.
- Droit commercial : La coutume y joue un rôle bien plus important, car ce domaine repose en grande partie sur des pratiques commerciales établies. La flexibilité et la rapidité d’évolution des usages commerciaux rendent la coutume particulièrement adaptée.
- Droit international public : La coutume est une source primordiale en droit international. Elle constitue une obligation juridique pour les États et repose sur des pratiques largement acceptées par la communauté internationale.
- Droit administratif : En matière administrative, la coutume a également une place très limitée, étant subordonnée aux règlements et aux lois.
&1 : La notion de coutume.
Le terme coutume désigne aujourd’hui plusieurs réalités en droit. Dans un sens large, il regroupe toutes les sources non écrites du droit. Dans un sens plus restreint, la coutume est parfois assimilée à l’usage, bien que dans son sens strict et traditionnel, la coutume possède des caractéristiques spécifiques. Contrairement aux simples usages et pratiques, la coutume en droit classique nécessite deux éléments distincts pour exister en tant que règle de droit : un élément matériel et un élément psychologique.
a) L’élément matériel de la coutume
L’élément matériel se traduit par un comportement répété et habituel, autrement dit, un usage suivi de manière constante. Cependant, bien que la coutume se forme à partir d’un usage, tous les usages ne deviennent pas des coutumes. Un usage peut n’avoir qu’une portée limitée et ne devient une coutume que s’il remplit plusieurs conditions particulières.
Conditions de l’élément matériel :
- Ancienneté : Un usage doit avoir duré suffisamment longtemps pour acquérir une légitimité. Un comportement isolé ou récent ne suffit pas à fonder une coutume, d’où l’adage : « Une fois n’est pas coutume ».
- Constance : L’usage doit être suivi de manière régulière et générale. Il doit avoir été respecté durant une période continue sans interruptions notables, ce qui en confirme la stabilité.
- Notoriété : L’usage doit être connu de tous ceux qui y sont soumis. Sa publicité et sa reconnaissance par les individus concernés renforcent son autorité.
- Généralité : La coutume doit être suivie par une majorité sur un territoire défini ou au sein d’une profession. Une coutume peut être locale ou professionnelle, mais elle doit être appliquée par tous les individus dans ce cadre spécifique.
Lorsque ces conditions sont réunies, on peut parler de l’existence de l’élément matériel de la coutume. Cependant, cet élément ne suffit pas : il faut encore que la règle soit perçue comme obligatoire, ce qui constitue l’élément psychologique.
b) L’élément psychologique de la coutume
L’élément psychologique est la conviction de l’obligation : les personnes concernées suivent la coutume en étant persuadées qu’elle a une force contraignante, comme une véritable règle de droit. Ce sentiment d’obligation distingue une simple pratique d’une coutume dotée d’une valeur juridique.
Conditions de l’élément psychologique :
- Conviction de l’obligation : Les individus se conforment à l’usage en le considérant comme imposé, sans besoin de texte écrit pour justifier cette obligation.
- Transformation de l’usage en coutume : Lorsque cet élément psychologique se combine avec l’élément matériel, l’usage devient une coutume ayant la force d’une règle de droit. Ce processus crée une norme juridique qui s’impose naturellement.
En droit, la coutume s’installe donc lorsqu’un usage ancien, constant, notoire et général est suivi avec la conviction qu’il s’agit d’une obligation légitime. C’est cette croyance en sa force contraignante qui achève la transformation de l’usage en coutume.
&2 : La place de la coutume dans le droit actuel
Dans le système juridique français, la coutume est une source secondaire de droit. Elle intervient notamment en complément de la loi dans des domaines peu légiférés ou en soutien à des textes écrits. La coutume est souvent utilisée lorsqu’aucun texte n’encadre précisément une situation, mais elle reste généralement subordonnée aux sources écrites du droit, qui disposent d’une autorité supérieure. Néanmoins, la coutume conserve un rôle important, surtout dans certains domaines spécifiques du droit civil ou du droit commercial, où elle peut s’appliquer en complément ou en absence de loi.
En conclusion, la coutume occupe une position particulière dans le droit français. Elle nécessite un usage largement respecté et considéré comme obligatoire pour s’imposer en tant que règle de droit. Bien que sa portée reste limitée, la coutume continue de jouer un rôle essentiel, en enrichissant et en complétant les normes écrites là où celles-ci font défaut.
&3 : Le rôle de la coutume.
La coutume est une source de droit qui contribue à l’élaboration des règles du droit objectif. Toutefois, elle occupe une place secondaire pour plusieurs raisons :
- Quantitativement : Les règles coutumières sont peu nombreuses dans l’ensemble des normes juridiques.
- Qualitativement : Les règles issues de la coutume ont une autorité inférieure par rapport aux règles écrites, comme les lois ou les règlements.
Malgré son caractère secondaire, la coutume joue un rôle essentiel dans le droit et peut se manifester de différentes manières selon le contexte. Il est possible de distinguer trois formes principales de coutumes : secundum legem (en soutien à la loi), praeter legem (en complément de la loi), et contra legem (en contradiction avec la loi).
1) La coutume secundum legem : en soutien de la loi
Dans certains cas, la loi fait référence à la coutume pour déterminer une règle spécifique. On parle alors de coutume secundum legem, car elle seconde la loi. Ici, le législateur ou l’autorité réglementaire délègue expressément son pouvoir à la coutume pour compléter les dispositions légales.
Exemples :
- Article 671 du Code civil : Cet article prévoit que la distance pour les plantations entre deux propriétés doit suivre les usages locaux. À défaut d’usages, une distance de 2 mètres est fixée à titre supplétif.
- Article 1736 du Code civil : Si un bail n’a pas de durée fixée, les conditions de congé entre bailleur et locataire sont régies par les usages locaux.
Dans ces exemples, la coutume acquiert une valeur légale puisqu’elle est intégrée à la loi par renvoi. Selon le contexte, cette règle coutumière peut être impérative ou supplétive, en fonction de la volonté du législateur.
2) La coutume praeter legem : en complément de la loi
La coutume praeter legem intervient lorsque la loi est silencieuse sur un point précis. En l’absence de disposition législative ou réglementaire, la coutume devient alors une source de droit autonome qui comble une lacune. Dans son discours préliminaire au Code civil, Portalis soutenait la reconnaissance de la coutume comme source de droit lorsqu’une lacune existait dans la loi.
La coutume praeter legem peut être importante dans les domaines où le législateur n’a pas légiféré rapidement, permettant ainsi à des pratiques répétées de s’installer pour combler le vide juridique. Toutefois, ces cas demeurent rares, car la jurisprudence intervient souvent plus rapidement que la coutume pour pallier le manque de législation.
Exemples en droit civil :
- Qualité d’héritier : Avant la loi du 3 décembre 2001, la qualité d’héritier pouvait être prouvée par des actes de notoriété, une pratique qui reposait sur la coutume. Elle est désormais intégrée dans l’article 730 du Code civil.
- Nom d’usage de l’épouse : Bien qu’aucun texte n’ait attribué explicitement ce droit à la femme mariée, la coutume permet à celle-ci de porter le nom de son mari. Cependant, certains estiment que cette pratique est fondée sur la loi du 6 février 1893, reprise aujourd’hui dans l’article 264 du Code civil, qui prévoit qu’un époux perd l’usage du nom de son conjoint après le divorce.
3) La coutume contra legem : en contradiction avec la loi
La coutume contra legem s’applique lorsque la coutume contredit une disposition légale. En principe, la coutume ne peut s’opposer qu’à une loi supplétive, car une loi impérative l’emporte toujours sur la coutume, cette dernière ayant une autorité inférieure. La jurisprudence refuse également qu’une coutume abroge une loi tombée en désuétude, car seul le législateur a le pouvoir d’abroger une loi.
Cependant, certains usages coutumiers contraires aux lois subsistent dans la pratique, souvent validés par la jurisprudence, et acquièrent ainsi une forme de reconnaissance en droit.
Exemples de coutumes contraires à la loi appliquées en pratique :
- Don manuel : Bien que l’article 931 du Code civil exige qu’une donation soit réalisée par acte notarié, la pratique du don manuel est acceptée par la coutume pour les biens mobiliers, ce que la jurisprudence a validé.
- Solidarité présumée en matière commerciale : L’article 1202 du Code civil dispose que la solidarité entre débiteurs ne se présume pas, sauf exceptions légales. Toutefois, en droit commercial, la coutume admet que la solidarité entre commerçants peut être présumée.
En conclusion, bien que la coutume soit aujourd’hui une source de droit secondaire, son rôle reste important dans certaines branches, notamment en droit commercial et en droit international. Le Code civil a marqué un tournant en consacrant la suprématie de la loi écrite, mais la coutume continue de compléter le droit positif dans des situations non régies par la loi.
En tant que coutume secundum legem, elle renforce et complète la loi. Sous forme de coutume praeter legem, elle pallie les lacunes législatives en tant que règle autonome. Enfin, en tant que coutume contra legem, elle peut parfois contredire la loi, notamment lorsqu’il s’agit de dispositions supplétives et non impératives.
Ci-dessous, un autre cours d’Introduction au droit civil est divisé en plusieurs fiches (sources, droit objectif, droit subjectif, preuves,
- · Cours complet d’Introduction au droit civil Une définition du droit
- · Les sources écrites du droit La hiérarchie des normes juridiques Application des lois et règlements dans le temps Application des lois et règlements dans l’espace Les conflits de lois ou de règlements dans le temps La doctrine, une source de droit? La jurisprudence, source contestée de droit Définition et rôle de la Jurisprudence Définition et rôle de la coutume en droit
- · Classification des droits subjectifs (droits patrimoniaux et extrapatrimoniaux) Définition et caractère du droit objectif Distinction entre droits objectifs et droits subjectifs
- · Les sujets de droits : personnes physiques et morales L’acquisition et la perte de la personnalité juridique
- · Les sources du droit subjectif : actes et faits juridiques Les moyens de preuve (serment, aveu, écrit, témoignage…) L’admissibilité des modes de preuve La charge de la preuve
Autres Cours complet de Droit civil divisé en plusieurs fiches :
- Cours complet de Droit civil Définition du droit civil Définition du droit objectif et caractères Interprétation des règles et appréciation des fait Supériorité du traité international et communautaire sur la loi La définition des lois et la diversité des actes législatifs Définition du règlement administratif Promulgation et publication – Conditions d’application des lois L’abrogation des textes de loi L’interprétation de la loi