Qu’est-ce que la lettre de change? définition, création, émission

La lettre de change

C’est un effet tripartite. Une première personne : le tireur donne un ordre à une seconde personne : le tiré de payer une somme d’argent à une époque déterminée entre les mains d’une troisième personne : le bénéficiaire.

Au Moyen Age, c’était un moyen pour les commerçants de procéder à une opération de change sur une place étrangère et d’éviter de prendre le risque de transport de fonds sur des routes peu sûres. Le billet à ordre était employé par les commerçants dans les paiements entre marchands.

C’est un moyen qui permet d’échanger des fonds sans avoir à manipuler de l’argent en espèces.

Section 1 : La description du mécanisme

Définition : c’est un écrit par lequel une personne (tireur) donne à une autre personne (tiré) l’ordre de payer à une époque déterminée une certaine somme d’argent à une troisième personne (bénéficiaire ou preneur).

Elle a toujours une nature commerciale. Les TC (ou chambre commerciale du TGI en Alsace-Moselle) sont compétents.

 

Exemple : un grossiste livre de la marchandise (5 000€) à un détaillant avec un délai de paiement de 90 jours. Il créé une lettre de change et devient tireur, le détaillant devient le tiré. Le tireur s’adresse à la banque qui, contre la lettre de change, lui avance la somme correspondant (4 800€ + 800€ de commission) à la créance et le tiré aura l’ordre de payer

 

  • la banque. La créance entre grossiste et détaillant est une créance de provision ou provision. Le vendeur donne l’ordre au débiteur de payer à la banque. le banquier a une créance à l’égard du grossiste (argent avancé). La créance du bénéficiaire sur le tireur est la créance de valeur fournie. Le banquier touche une commission et à l’échéance, il y a deux possibilités : le détaillant paye spontanément (l’opération s’éteint d’elle-même) ou il ne paye pas. Dans ce cas, le banquier peut agir contre le détaillant ou le grossiste. La créancier entre banquier et détaillant, entre bénéficiaire et tiré est une créance fondamentale dont le banquier est titulaire (ou opération de transfert de la provision). Le banquier a une créance double et peut ne pas supporter les 90 jours et endosser la lettre de change et la transmettre à un autre banquier. Le second banquier reçoit le paiement qui aura trois personnes débitrices : détaillant (tiré), tireur ou premier banquier. La situation juridique du tiré n’est pas affectée (mais il est possible de demander son accord pour avoir une garantie supplémentaire).

 

Section 2 : La création et l’émission de la lettre de change

Deux étapes :

  • Création avec des mentions obligatoires
  • Emission

 

I – La création de la lettre de change

Les conditions de forme vont être nombreuses.

 

  • &1 – Les conditions de forme

La finalité est la protection des personnes intéressées. Elles doivent pouvoir se fier à ce qui est écrit. On a des mentions obligatoires et d’autres facultatives.

 

A – Les mentions obligatoires

L’article L511-1du Code de Commerce prévoit les mentions obligatoires et sanctions envisageables.

 

1 – Les mentions obligatoires ou huit conditions de l’article L511-1

  • Sur l’acte doit figurer la dénomination « lettre de change » dans la même langue que le reste du texte.
  • L’ordre de payer. La somme qui doit figurer doit être en chiffres ou en lettres. S’il y a divergence entre les deux, la somme en lettres prévaut. C’est un ordre pur et simple.
  • Nom du tiré (adresse facultative).
  • Mention de l’échéance.
  • Lieu du paiement (guichet bancaire).
  • Bénéficiaire : le tireur peut demander à être payé lui-même.
  • Date et lieu de création.
  • Signature du tireur (manuscrite, mais pas obligatoirement, tout procédé est accepté, tampon, impression…, mais pas la signature électronique).

 

2 – Sanction des irrégularités

Si un élément fait défaut, la loi prévoit qu’en vertu de l’article L511-1 IIdu Code de Commerce, la lettre de change n’existe pas, le titre invoqué ne vaut pas lettre de change. Il y a des aménagements : il y a des hypothèses de suppléance (exemple : ne pas faire figurer l’échéance, faute d’une telle précision, la lettre de change est payable à vue, c’est à dire dès lors qu’elle est présentée au tiré par le porteur). L’acte ne disparaît cependant pas : on procède à une disqualification. L’acte ne vaut pas lettre de change mais reconnaissance de dette, commencement de preuve par écrit ou autre. La sanction n’est donc pas la nullité pure et simple.

 

B – Les mentions facultatives

Le législateur prévoit un certain nombre de règles à satisfaire pour parler de lettre de change. Les personnes concernées peuvent aménager librement la situation en fonction du cas de l’espèce (liberté contractuelle). Le tireur émet la lettre de change, le bénéficiaire l’accepte en tant que tel. Les parties essayent de faciliter les choses (alléger les procédures), rendre la lettre de change plus efficace. On a l’exemple de la clause de dispense de proté (le porteur veut obtenir paiement, on lui oppose un refus, il doit faire établir un acte authentique constatant le refus de paiement, le proté ; cette disposition peut être écartée par les parties), de la clause non à ordre (interdit l’endossement).

 

  • &2 – Conditions de fond

La lettre de change est un acte juridique, elle est soumise aux mêmes règles de fond que tout autre acte juridique (référence au code civil).

  • 1ère exception : indépendance des signatures article L511-5du Code de Commerce : chaque signataire de la lettre de change est engagé par ce à quoi il a souscrit, même si les engagements des autres personnes sont nuls).
  • 2ème exception : principe de l’inopposabilité des exceptions ou des causes de nullité (au porteur de bonne foi, on veut privilégier l’efficacité de la lettre de change).

 

A – Le consentement

Les divers intéressés doivent consentir à cette lettre de change. Pour la création, seulement le tireur doit exprimer son consentement. Il exprime sa volonté par le jeu de la signature. S’il n’y a pas de consentement, quand on a imité la signature d’une personne (le tireur n’a pas signé), la personne qui parvient à démontrer qu’il s’agit d’une fausse signature ne sera pas engagée. On privilégie sa sécurité juridique, la lettre de change sera nulle. Ou quand il y a altération de la lettre de change ( article L511-77du Code de Commerce), par exemple quand la somme que le tireur mentionne initialement est modifiée, l’engagement du tireur n’est pas modifié s’il parvient à démontrer l’altération (même face à un porteur de bonne foi). Une fois la lettre de change altérée, les signataires vont être tenus à hauteur de la somme figurant sur le titre altéré, car ils ont signé un document en toute connaissance de cause, chacun s’engage à hauteur de ce qui ressort du titre au moment où on le signe.

Il peut y avoir vice de consentement. Dans ce cas (erreur, dol, violence), on considère que le vice ne met pas en cause la lettre de change, son efficacité est privilégiée. Le porteur doit pouvoir se fier à ce qui est sur la lettre. Le vice peut être invoqué conter un porteur de mauvaise foi (pas pour un porteur de bonne foi).

 

B – Capacité

L’article L511-4du Code de Commerce alinéa 1er prévoit que les lettre de change souscrites par des mineurs sont nulles à leur égard, car c’est un acte de commerce et une personne mineure ne peut effectuer un acte de commerce. Il ne peut pas être tireur. C’est une nullité relative (nulle à leur égard), seul le mineur ou ses représentants seront compétents pour demander l’annulation. Le cocontractant ne peut pas demander l’annulation. La nullité peut être opposée, même au porteur de bonne foi. Cette règle est également valable pour les majeurs incapables.

 

C – Pouvoir

C’est la possibilité qui permet d’agir pour le compte d’autrui.

  • Est-il possible d’émettre une lettre de change par le biais d’un mandataire ? oui, en principe. Une personne morale passe forcément par la représentation. Il y a le problème des limitations statutaires : une personne a créé une lettre de change engageant sa société mais elle n’avait pas le pouvoir de le faire, selon les statuts. Ces limitations ne sont pas opposables aux tiers. La personne qui a dépassé son pouvoir aura à répondre de son acte (responsabilité civile et selon le code du travail). Si la personne n’avait aucun pouvoir de représentation, le principe est inversé, la personne physique sera seule engagée par la lettre de change.
  • Le tirage pour compte : face à un tireur qui agit pour le compte d’autrui, mais qui ne le révèle pas. C’est la représentation occulte. Le CC prévoit que cette représentation n’est pas interdite (article L511-2 alinéa 3du Code de Commerce : la lettre de change peut être tirée pour le compte d’un tiers), mais le tireur pour compte est engagé à l’égard des tiers. Le porteur de bonne foi doit pouvoir se fier à l’apparence. La personne pour qui on agit n’est pas engagée juridiquement.

 

D – Cause

Les effets de complaisance :

Le tireur est engagé à l’égard du bénéficiaire et tous les signataires successifs. L’obligation qui existe (somme d’argent avancée) doit répondre à une cause licite (exemple de cause licite : création d’une lettre de change pour effectuer une donation prohibée ou à des fins de fraude fiscale). La nullité du titre est opposable à tous les porteurs successifs en cas de cause illicite.

L’effet de complaisance : une lettre de change est émise par le tireur mais il tire la lettre alors que le tiré n’est pas son débiteur (création artificielle). C’est le cas d’ententes frauduleuses entre tireur et tiré. Cela peut se faire de manière croisée. L’avantage est de tromper les tiers (faire croire que l’on est créancier) et obtenir une somme d’argent. A l’échéance, le tiré sera redevable de la somme prévue. Le tireur encourt des sanctions pénales.

 

II – L’émission de la lettre de change

Elle va en dessaisir le rédacteur qui la transfère (ce qui confère une réelle existence juridique à la lettre de change). Tant que le créateur conserve la lettre, il peut la modifier, la détruire… On ne peut donc pas encore parler d’un acte juridique. La transmission opère un transfert de créance sur le tiré (la banque devient créancière du tiré, dans l’ exemple). La transmission est une remise de main à main, un envoi par la poste ou toute autre modalité. Le tireur se défait de la lettre de change, mais en la transmettant, il s’engage envers le nouveau porteur.

  • &1 – L’existence d’une provision

La provision est la créance entre le tireur et le tiré. L’article L511-7du Code de Commerce prévoit la nécessité d’une telle provision. Le tireur doit être créancier du tiré. Il suffit que le tireur soit créancier du tiré au moment de l’échéance de la lettre de change (moment où l’on demande au tiré de payer). La créance doit, à l’échéance, être certaine, liquide et exigible. On doit pouvoir la réclamer immédiatement. Cette créance de provision doit avoir un montant au moins égal à celui de la lettre de change.

 

  • &2 – Transmission de la provision

A – Principe de la transmission

L’article L511-7 alinéa 3du Code de Commerce prévoit que la propriété de la provision est transmise de droit aux porteurs successifs de la lettre de change (créance et lettre de change). Ceci est vrai à chaque transfert de la lettre de change. Ce transfert est immédiat, dès remise, le nouveau porteur est propriétaire de la créance. Pour obtenir le paiement, on peut saisir le tribunal commercial ou se fonder sur la créance civile. Ce principe n’est pas d’ordre public : on peut faire figurer le contraire sur la lettre de change (pas de transfert de la provision).

 

B – Précarité du droit du porteur

Le porteur a un droit exclusif sur la créance. Cela n’est vrai qu’à l’échéance. En cas de délai de 90 jours, et si le tireur transmet immédiatement la lettre de change, il y aura trois mois où le banquier a un droit virtuel (dans l’exemple) : le tiré (détaillant) peut payer de manière anticipée le tireur (grossiste). La jurisprudence affirme que le tireur peut accepter un tel paiement avant l’échéance (exemple : arrêt de la chambre commerciale de la Cour de Cassation du 24/04/72). Le banquier va essayer d’obliger le tiré à payer enter ses mains. On a par exemple le cas de l’affectation spéciale de la provision : une clause qui figure sur la lettre de change précise la nature de la créance, le tireur s’engage donc à ne pas recevoir le paiement. On a également l’opposition au paiement : le porteur (le banquier) interdit au tiré de payer enter les mains du tireur jusqu’à l’échéance. C’est dans la plupart des cas, une lettre recommandée avec accusé de réception. La mention obligatoire dans cette lettre est la mention précisant clairement et expressément l’interdiction de payer. L’acceptation de la lettre de change est la modalité la plus sûre : on s’adresse au tiré en lui demandant de rentrer dans le jeu de la lettre de change, d’accepter un acte qui originellement lie le tireur et le bénéficiaire.