Tout comprendre sur l’avènement de l’État démocratique en France
Après la Révolution française, la bourgeoisie accède au pouvoir en écartant la souveraineté royale pour instaurer la souveraineté populaire. Cependant, cette souveraineté est conçue de manière restrictive : la bourgeoisie entend monopoliser son exercice, se méfiant des classes populaires. Elle met en place des mécanismes, comme le suffrage censitaire, pour maintenir le peuple à distance du pouvoir.
À cette époque, les partis politiques naissants restent largement dominés par des élites bourgeoises, avec une participation limitée des représentants des classes populaires. Mais cette situation ne pouvait durer indéfiniment : l’évolution sociale et politique pousse progressivement à une ouverture du pouvoir, en réponse aux transformations des sociétés modernes.
L’élection est un élément central dans la pratique démocratique. Elle joue un double rôle :
- Pour l’électeur, elle incarne un moyen de participation à la vie politique et d’expression de la souveraineté.
- Pour l’élu, elle légitime son pouvoir et lui confère une autorité démocratique.
Selon que l’on examine l’élection du point de vue de l’électeur ou de celui de l’élu, deux notions distinctes émergent :
- Modes de suffrage : Ils définissent les règles permettant aux électeurs de voter. Les questions portent sur qui peut voter (universalité du suffrage) et comment le vote est organisé (direct ou indirect).
- Modes de scrutin : Ils désignent les mécanismes permettant de transformer les votes exprimés en sièges ou en résultats électoraux.
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SECTION I : Les Titulaires du droit de suffrage
A) Du Suffrage retreint au suffrage universel
1. La méfiance initiale envers le suffrage universel
En 1791, lors de la Révolution française, il n’est pas question de suffrage universel. Le droit de vote était limité par des critères censitaires (basés sur le niveau de richesse) ou capacitaires (reposant sur l’instruction). Cette restriction reflétait :
- La méfiance de la bourgeoisie envers le peuple, craignant que celui-ci soit influencé par l’Église ou soutienne des politiques révolutionnaires.
- La peur des monarchistes, redoutant un basculement vers la République si le peuple devenait l’arbitre des élections.
Cependant, avec la perte d’influence de l’Église et les changements sociologiques, notamment la montée en puissance des républicains à partir des années 1870, le suffrage universel devient un impératif démocratique pour garantir la stabilité politique et promouvoir la paix sociale.
2. L’instauration progressive du suffrage universel
Le suffrage universel, tel qu’il est conçu aujourd’hui, s’est établi par étapes :
- 1848 : Instauration du suffrage universel masculin, où tous les hommes de plus de 21 ans obtiennent le droit de vote.
- 1944 : Droit de vote accordé aux femmes, longtemps exclues pour des raisons historiques et socioculturelles.
- 1974 : Abaissement de l’âge de la majorité électorale de 21 à 18 ans, élargissant encore le corps électoral.
B) Les Variations du suffrage universel
Bien que le suffrage universel vise l’égalité, il a connu des variations et limites dans son application :
1. Exclusions historiques et sociales
- Les femmes n’ont accédé au droit de vote qu’en 1944, ce qui reflète les résistances à l’élargissement du suffrage.
- Les jeunes de moins de 21 ans ont longtemps été exclus, jusqu’à l’abaissement de l’âge de la majorité en 1974.
2. Le vote plural et inégalités structurelles
À certaines périodes, le suffrage universel a été dévoyé par des dispositifs inégalitaires, comme le vote plural, qui accordait des voix supplémentaires à des citoyens remplissant certaines conditions, notamment la détention de diplômes.
3. Le découpage électoral
Le découpage des circonscriptions électorales peut aussi engendrer des inégalités. Par exemple, un découpage avantageant les zones urbaines ou rurales peut fausser la représentation des citoyens.
B) L’Exercice du suffrage
Le suffrage universel peut être exercé de deux manières principales : directe ou indirecte.
1. Le suffrage indirect
Dans ce système, les citoyens élisent des grands électeurs, qui à leur tour élisent les représentants :
- Exemples en France : L’élection des sénateurs, des présidents de département et des maires dans les petites communes relève du suffrage indirect.
- Critiques : Cette méthode est souvent perçue comme une expression de méfiance envers le peuple, limitant son rôle direct dans les décisions politiques.
2. Le suffrage direct
Le suffrage direct permet aux citoyens de choisir directement leurs représentants, comme pour :
- L’élection présidentielle : Initialement, en 1958, le président était élu au suffrage universel indirect, mais une révision constitutionnelle de 1962 sous De Gaulle a instauré l’élection au suffrage universel direct.
- Les élections législatives : Les députés sont élus directement par les citoyens.
Le suffrage direct est considéré comme la forme la plus démocratique, car il renforce le lien entre les citoyens et leurs représentants.
D) Garanties pour un suffrage équitable
Pour que l’exercice du droit de suffrage reflète véritablement la volonté populaire, certaines conditions et garanties doivent être respectées :
1. Inscription sur les listes électorales
Les citoyens doivent être inscrits de manière sincère sur les listes électorales, ce qui implique :
- L’exclusion des personnes décédées ou fictives.
- Un contrôle rigoureux des inscriptions pour éviter toute fraude.
2. Organisation des bureaux de vote
Le bon déroulement des élections repose sur des mesures pratiques, telles que :
- La mise en place d’isoloirs garantissant la confidentialité du vote.
- Des scrutateurs neutres pour assurer la transparence des opérations de dépouillement.
3. Organisation des campagnes électorales
Une campagne électorale équitable est essentielle pour permettre aux électeurs de faire un choix éclairé :
- Chaque candidat doit bénéficier d’un temps de parole équitable dans les médias.
- Les campagnes officielles assurent une visibilité minimale à tous les candidats, même ceux de partis minoritaires.
SECTION II : Les Modes de scrutin
Les modes de scrutin désignent l’ensemble des règles permettant de transformer les votes des électeurs en sièges ou en postes pour les élus. Ils influencent directement la représentativité, la stabilité politique et la composition des institutions. En France, plusieurs types de scrutins sont utilisés selon le type d’élection, chacun ayant des spécificités, des avantages et des inconvénients.
1. Les distinctions principales entre les modes de scrutin
Les modes de scrutin se distinguent principalement selon trois critères :
-
Scrutin uninominal vs. scrutin de liste :
- Uninominal : L’électeur vote pour un seul candidat (ex. : élection présidentielle).
- De liste : L’électeur choisit une liste de candidats (ex. : élections municipales dans les grandes villes).
-
Dimension géographique :
Les scrutins se déroulent dans des circonscriptions, dont la taille varie. Les grandes circonscriptions favorisent souvent la proportionnalité, tandis que les petites privilégient des résultats plus majoritaires.
-
Mode de calcul des résultats :
Les systèmes se divisent en deux grandes catégories :
- Scrutin majoritaire : Le candidat ou la liste qui obtient le plus de voix est élu.
- Scrutin proportionnel : Les sièges sont répartis en fonction du pourcentage de voix obtenues par chaque liste.
2. Le scrutin majoritaire
Le scrutin majoritaire consiste à désigner le candidat ou la liste ayant obtenu la majorité des voix. Il est le mode de scrutin le plus couramment utilisé en France pour les élections législatives et présidentielles.
a. Variantes du scrutin majoritaire
-
Scrutin majoritaire à un tour :
- Le candidat ou la liste qui obtient le plus de voix est élu dès le premier tour.
- Exemple : Utilisé pour les élections législatives au Royaume-Uni et pour certaines élections locales aux États-Unis.
- Avantages : Rapidité et simplicité.
- Inconvénients : Faible représentativité, car un candidat peut être élu avec une faible proportion des suffrages exprimés.
-
Scrutin majoritaire à deux tours :
- Un second tour est organisé si aucun candidat n’obtient la majorité absolue au premier tour. Le second tour oppose les candidats ayant obtenu les meilleurs scores (souvent les deux premiers).
- Exemple : Utilisé pour les élections présidentielles et législatives en France.
- Avantages : Permet de renforcer la légitimité de l’élu grâce à une majorité absolue ou relative consolidée.
- Inconvénients : Renforce les grands partis au détriment des petits partis.
b. Effets du scrutin majoritaire
-
Surreprésentation des grands partis :
- Le scrutin majoritaire favorise les partis dominants, comme le Parti socialiste (PS) ou l’Union pour un mouvement populaire (UMP, aujourd’hui Les Républicains) lors des élections législatives en France.
- Les petits partis, comme le Front national (aujourd’hui Rassemblement national), peuvent être sous-représentés.
-
Stabilité politique :
- Ce système favorise le bipartisme et une alternance régulière entre deux grands blocs politiques, contribuant à une vie politique stable.
-
Exclusion des minorités :
- Les partis minoritaires ou émergents ont peu de chances d’obtenir des sièges, ce qui peut limiter la diversité de représentation.
3. La représentation proportionnelle
La représentation proportionnelle consiste à répartir les sièges en fonction des voix obtenues par chaque liste, selon des règles mathématiques précises. Elle est utilisée pour les élections européennes en France.
a. Fonctionnement
-
Calcul du quotient électoral :
- Le quotient est obtenu en divisant le nombre total de suffrages exprimés par le nombre de sièges à pourvoir. Chaque liste se voit attribuer autant de sièges que de fois le quotient est atteint.
-
Méthodes de répartition des sièges restants :
- Plus fort reste : Les sièges restants sont attribués aux listes ayant obtenu le plus de voix non utilisées.
- Plus forte moyenne : Un siège fictif est ajouté aux listes pour calculer une nouvelle moyenne, et le siège est attribué à la liste ayant la meilleure moyenne.
b. Avantages et inconvénients
-
Avantages :
- Favorise les petits partis, leur donnant une chance d’obtenir une représentation.
- Plus juste sur le plan de la répartition des voix.
-
Inconvénients :
- Risque de fragmentation politique et difficulté à former des majorités stables.
- Gouvernements de coalition fréquents, pouvant entraîner des blocages ou une instabilité institutionnelle.
4. Les scrutins mixtes
Les scrutins mixtes combinent les avantages du scrutin majoritaire et de la représentation proportionnelle. Ils visent à équilibrer la stabilité politique et la justice dans la représentation.
Exemple des élections municipales en France :
- Le système combine un scrutin de liste à deux tours et une répartition mixte des sièges :
- La liste arrivée en tête au premier tour (ou au second en cas de ballotage) obtient la moitié des sièges grâce au scrutin majoritaire.
- Le reste des sièges est attribué de manière proportionnelle aux résultats des autres listes.
- Les listes n’ayant pas atteint un seuil minimum (généralement 5 à 10 % des voix) sont exclues de la répartition.
Avantages des scrutins mixtes :
- Permettent de représenter une plus grande diversité politique tout en assurant une majorité stable pour gouverner.
- Plus justes que le scrutin majoritaire pur et plus efficaces que la proportionnelle intégrale.
5. Garanties et cadre des scrutins
Pour garantir l’équité et la transparence des scrutins, des conditions strictes encadrent leur déroulement :
- Délimitation des circonscriptions électorales : Leur taille et leur nombre doivent garantir une représentation équilibrée entre territoires.
- Organisation du vote : Mise en place de bureaux de vote avec isoloirs pour garantir le secret du vote.
- Encadrement des campagnes électorales : Égalité d’accès aux médias pour tous les candidats et respect des plafonds de dépenses.
Conclusion : Les modes de scrutin, qu’ils soient majoritaires, proportionnels ou mixtes, traduisent des choix politiques et institutionnels qui influencent la représentativité et la stabilité des gouvernements. En France, le scrutin majoritaire domine les grandes élections, tandis que des scrutins mixtes et proportionnels sont utilisés pour d’autres scrutins, favorisant un équilibre entre efficacité politique et justice représentative.
SECTION III : Les Partis de masses
Les partis de masse sont une forme d’organisation politique apparue à la fin du XIXᵉ siècle, marquant un tournant dans les pratiques électorales et les rapports entre les citoyens et l’État. Leur émergence répond à la nécessité de structurer et de mobiliser un nombre croissant d’électeurs dans le cadre du suffrage universel.
1. Origine et développement des partis de masse
a. Contexte historique
- L’élargissement du droit de suffrage, notamment avec l’instauration du suffrage universel masculin en 1848, a nécessité de nouvelles formes d’organisation pour mobiliser les électeurs.
- Les partis de masse émergent pour répondre à ces besoins, avec des structures capables de toucher une base électorale élargie, grâce à des stratégies organisationnelles et financières adaptées.
b. Premiers exemples
- Aux États-Unis, les premiers partis de masse apparaissent au XIXᵉ siècle avec des organisations comme le Parti démocrate et le Parti républicain, qui s’appuient sur des réseaux d’adhérents et des ressources financières conséquentes.
- En France, le Parti radical-socialiste, fondé en 1901, est le premier exemple de parti structuré autour d’une base militante.
- La SFIO (Section française de l’Internationale ouvrière), créée en 1905, se distingue par sa double base :
- Une base populaire composée de militants engagés dans la diffusion des idées et le soutien des candidats.
- Un groupe intellectuel qui élabore les doctrines et programmes politiques.
2. Structure et fonctionnement des partis de masse
Les partis de masse se caractérisent par une organisation hiérarchisée et participative, impliquant différentes catégories de membres.
a. La base militante
- Rôle : Les militants sont le pilier des partis de masse. Ils s’engagent dans des activités comme la distribution de tracts, la participation à des meetings ou la mobilisation électorale.
- Adhésion : La base militante constitue une force d’adhésion idéologique et financière, notamment grâce aux cotisations.
b. Les intellectuels et les cadres
- Ces membres élaborent les programmes politiques et les doctrines du parti. Leur rôle est crucial pour donner une vision cohérente et stratégique au mouvement.
- Ils servent également de pont entre la base et les dirigeants, tout en jouant un rôle central dans l’éducation politique des militants.
c. Une organisation centralisée et territoriale
- Les partis de masse s’organisent à plusieurs niveaux : local, régional et national, afin de mobiliser l’ensemble du territoire.
- Ce fonctionnement repose souvent sur une forte centralisation, bien que certains partis accordent une certaine autonomie à leurs sections locales.
3. Influence des partis de masse sur l’État
a. L’État démocratique et interventionniste
Avec l’apparition des partis de masse, une nouvelle conception de l’État émerge :
- L’État gendarme, limité à des fonctions régaliennes (défense, justice, maintien de l’ordre), cède progressivement la place à l’État providence, intervenant activement pour réduire les inégalités sociales.
- Les partis de masse, en particulier les partis de gauche comme la SFIO, défendent un rôle renforcé de l’État pour répondre aux besoins des citoyens, notamment à travers des politiques sociales et économiques.
b. Élargissement de la participation politique
- En intégrant une large base militante, les partis de masse contribuent à démocratiser la vie politique et à associer les citoyens à la prise de décision.
- Ils favorisent également l’émergence de nouvelles catégories sociales dans le débat politique, notamment les ouvriers et les classes populaires.
4. Évolution et limites des partis de masse
a. Une mutation progressive
- Avec la montée des médias de masse, les partis politiques se transforment, devenant parfois des partis électoraux-professionnels, centrés sur les campagnes électorales et le marketing politique.
- La mobilisation militante tend à diminuer, remplacée par des stratégies plus individualisées visant les électeurs via les médias ou les réseaux sociaux.
b. Critiques des partis de masse
- Certains reprochent aux partis de masse leur centralisation excessive, qui peut éloigner les dirigeants des préoccupations de la base militante.
- La dépendance financière des partis aux cotisations ou aux subventions publiques peut également soulever des questions sur leur indépendance.