Droit du journalisme : déontologie et honnêteté de l’information

Déontologie du journalisme et honnêteté de l’information

L’espace public de libre discussion est une notion centrale dans la jurisprudence des instances mises en place par la CEDH.  La définition des limites de cet espace public ouvert à la contradiction est loin d’aller de soi, comme l’atteste la très grande diversité des solutions adoptées par les différentes démocraties libérales (ainsi, la protection de l’intimité de la vie privée n’est pas assurée face à la presse dans la tradition anglo-saxonne). De surcroît, d’autres questions doivent être prises en compte, notamment celle de l’accès à l’information. Il s’agit là d’un aspect du problème sur lequel la Cour européenne des droits de l’homme a été appelée à se prononcer dans son arrêt Goodwin ci Royaume-Uni du 27 mars 1996, à propos d’une injonction judiciaire faite à un journaliste de révéler l’identité de son informateur. La Cour a précisé que « La protection des sources journalistiques est l’une des pierres angulaires de la liberté de la presse ( … ) L’absence d’une telle protection pourrait dissuader les sources journalistiques d’aider la presse à informer le public sur des questions d’intérêt général. En conséquence, la presse pourrait être moins à même de jouer son rôle indispensable de « chien de garde » et son aptitude à fournir des informations précises et fiables pourrait s’en trouver amoindrie ». S’en suit l’exercice par la Cour d’un contrôle strict sur les mesures restrictives prises par les États. La Cour européenne a également eu l’occasion de déclarer, à l’unanimité, contraire aux exigences de la Convention la jurisprudence de la Cour de cassation admettant la condamnation d’un directeur de publication pour recel de violation du secret professionnel, dans une espèce où Le Canard enchaîné avait publié la photocopie des avis d’imposition de M. Calvet. Quant aux limitations matérielles à la liberté d’expression, elles résultent pour l’essentiel de la loi de 1881 (sous les réserves ci-dessus évoquées). L’examen des limites ainsi apportées à la liberté procède de la sauvegarde des droits d’autrui ou du respect de l’ordre public.

L’application de la loi n’est pas toujours aisée. En dehors des dispositions de la loi de 1881, il n’existe aucune règle vraiment contraignante relative à la mise en œuvre et au respect du principe de l’honnêteté de l’information. En cet état des choses, la mise en œuvre de l’honnêteté de l’information se fait en France à travers les règles de déontologie reconnues que l’on doit respecter en l’absence d’autorité l’y contraignant. Puisque la régulation de l’information honnête est essentiellement fondée sur la conscience personnelle, la morale et l’éthique françaises sont peu performantes, il est loisible d’envisager d’autres moyens pour assurer la mise en œuvre de l’honnêteté de l’information. Sachant que le respect de ces règles, qui dépend de ce que l’on appelle l’autorégulation des comportements est amené à jouer un rôle déterminant sur l’Internet. Le renforcement de l’autorégulation par le respect de la déontologie permet de libéraliser le contrôle juridictionnel. Tel est le cas du contrôle effectué par la Cour européenne qui accorde un crédit certain au respect de la déontologie.
 

 La déontologie

 Les journalistes doivent pouvoir bénéficier de règles de déontologie garantissant une indépendance et un respect des faits dans la gestion de l’information. Quelques chartes de déontologie déterminent des principes précis, pas toujours respectés. Il n’existe pas de texte à valeur légale ou réglementaire qui régit efficacement la déontologie du journaliste. Aucune mention n’est faite de cette déontologie dans le Code de la communication regroupant les lois relatives à la communication. Il existe simplement quelques textes qui n’ont pas de valeur juridique contraignante. Il paraît évident qu’un Code déontologique des journalistes est non seulement souhaitable, mais nécessaire. La plupart des journaux ont élaboré leur propre charte de déontologie, fondée en partie sur la responsabilité de chaque journaliste. Les instances européennes ou onusiennes ont aussi adopté des déclarations ou des résolutions. Le contenu est quasi-identique pour tous ces textes.
 

Les deux chartes les plus importantes en France sont « la charte des devoirs professionnels des journalistes français » adoptée en 1918 par le Syndicat national des journalistes et « la déclaration des devoirs et des droits des journalistes » (« Charte de Munich ») approuvée en novembre 1971, par les représentants de fédérations de journalistes de la Communauté européenne. Nous pourrions ajouter à cette liste la « charte déontologique de la presse quotidienne régionale » de juillet 1995. Enfin, la plupart des quotidiens ont adopté leur propre charte déontologique que les journalistes doivent s’engager à honorer.  Les journalistes doivent bien sûr respecter les règles légales comme la protection de la vie privée, le respect de la dignité de la personne humaine, de l’ordre public… mais aussi plus particulièrement des règles relatives à l’honnêteté de l’information.
 

Les chartes de déontologie répondent à divers objectifs généraux : assurer à l’ensemble de la population l’information exacte, honnête et complète qu’elle est en droit d’attendre, offrir une protection contre les abus et les dérives, protéger ceux qui font le métier d’informer contre toutes les formes de pression ou de contrainte qui les empêcheraient de délivrer à la population l’information ainsi définie ou les inciteraient à agir contre leur conscience et assurer le mieux possible la circulation de l’information dans la société. Le respect des principes énoncés par les chartes est difficile du fait de plusieurs critères : une contrainte technologique qu’est la vitesse, mais aussi l’indépendance du journaliste au sein de sa rédaction, ou sa protection personnelle…

 

 Les règles déontologiques

Les règles déontologiques vont concerner, d’une part, la recherche d’information. La vérification de l’exactitude de l’information est un autre moyen d’assurer une information honnête. Il ne s’agit pas forcément de diffuser intentionnellement une information inexacte, mais plutôt de mettre en évidence l’absence de vérification des sources. Les journaux ou périodiques doivent veiller à ne publier aucune information inexacte, trompeuse ou déformée. En cas d’erreur, la rectification doit être significative, voire des excuses publiées.

Des grands principes éthiques doivent être respectés afin que l’honnêteté de l’information soit sauvegardée.

D’autre part, elles vont concerner le moment de la rédaction. Le journaliste est un humain qui pense et ne peut pas toujours faire abstraction de sa culture, de ses convictions, c’est ce que nous pouvons appeler l’influence inconsciente. La charte de 1971 préconise au journaliste de ne pas confondre son métier avec celui de publicitaire, ou propagandiste. Se pose le problème de la marge d’autonomie laissée au journaliste. L’objectivité est impossible car les journalistes ne peuvent appréhender les faits qu’à travers leur propre subjectivité. Ils ne peuvent évacuer tout ce qui les constitue comme individu. L’objectivité peut être difficile si les journalistes subissent certaines pressions.

Au moment du repérage du sujet, il va choisir ce qui l’intéresse lui, son rédacteur en chef, ou le public. Le choix est par définition subjectif. Puis il va sélectionner des éléments d’information qu’il retiendra comme les plus significatifs pour en parler. Enfin, il devra établir une hiérarchie des éléments d’information, le lecteur préférant une information imagée.

Sur les moyens et la méthode journalistiques, la Cour européenne précise que s’agissant des devoirs et responsabilités d’un journaliste, l’impact potentiel du moyen de communication utilisé revêt de l’importance, les médias audiovisuels ayant des effets souvent beaucoup plus immédiats et puissants que la presse écrite.

Fidèle à sa conception de la liberté d’information, la Cour européenne prône une autorégulation du journaliste concernant le respect de la déontologie journalistique. Les juges français ont aussi eu l’occasion de se prononcer, même en l’absence de textes contraignants : « l’objectivité du journaliste dépend de la qualité des sources, et suppose une information complète contenant toutes les précisions nécessaires » . Le meilleur moyen d’être objectif est de présenter distinctement les commentaires, la conjoncture et les faits, comme c’est le cas dans la presse anglo-saxonne.

 

 Le comité de déontologie

La création d’un Comité de déontologie a souvent été envisagée, mais l’inconvénient est qu’il déresponsabiliserait les journalistes. Ceux-ci sont en général contre, au motif que cela relève de la ligne interne de l’entreprise de presse, la déontologie de l’information s’étant souvent perçue par les journalistes comme une atteinte à leur indépendance. Les journalistes tentent d’opposer leur conception de la morale professionnelle au système juridique en vigueur alors que les principes déontologiques n’ont d’existence légale qu’à travers les règles de droit. C’est pourquoi nous préférons d’ailleurs la solution d’une autorité administrative indépendante de l’information.

 

   La charte de déontologie

D’une certaine manière, en exposant le comportement idéal du journaliste, les chartes de déontologie définissent ce qu’est l’honnêteté de l’information. C’est une information véridique, objective, garantie par l’observation d’une certaine éthique du journaliste. C’est son comportement qui est l’une des garanties de l’information honnête, et par là même du droit à l’information. Le journaliste est au coeur de la recherche et de la diffusion de l’information. Et pourtant, l’organisation de son statut social ne prend pas en considération cette responsabilité. Seule la clause de conscience lui assure une certaine garantie morale, même si elle est souvent détournée de son objectif premier.

 

 Le journaliste : à la recherche d’une information objective, véridique, honnête

Le meilleur garant de l’honnêteté de l’information est le journaliste. C’est lui qui, au moment de la recherche de l’information, mais aussi de sa diffusion, est au cœur du dispositif de presse. Il est le transmetteur de l’information, il s’adresse directement au lecteur ou téléspectateur pour diffuser une information véridique et honnête. Son rôle primordial nécessite que nous nous attardions sur son statut. L’exercice du journalisme comporte des droits mais aussi des devoirs. Parmi ces devoirs, le journaliste doit rendre compte d’une information objective, véridique. Cette notion est apparue il y a une trentaine d’années : l’Encyclique Pacem in Terris de 1963 exposait le droit de tout être humain à une information objective. A part des chartes déontologiques sans effet juridique, il n’existe aucun texte réellement contraignant pour les journalistes, il faut pourtant se demander qui est ce journaliste dont la responsabilité sur l’honnêteté de l’information est immense.

 Selon l’Encyclopédie, le journaliste est l’auteur qui s’occupait à publier des extraits et des jugements des ouvrages de littérature, de science et d’art. Le gazetier, qui correspond aussi au journaliste d’aujourd’hui, est celui qui « écrit une gazette ; un bon gazetier doit être promptement instruit, véridique, impartial, simple correct dans son style, cela signifie que les bons gazetiers sont très rares ». La suite de la définition donnée pour le journaliste par les encyclopédistes pourrait aussi correspondre à ce que nous attendons aujourd’hui du journaliste :

« le journaliste est l’auteur qui s’occupe à publier des extraits et des jugements des ouvrages de littérature, de science, d’art et de politique. Il ne serait pourtant pas sans mérite s’il avait les talents nécessaires pour la tâche qu’il s’est imposé. Il aurait à cœur les progrès de l’esprit humain, il aimerait la vérité et rapporterait tout à ces deux objets. Qu’il ait un jugement solide et profond de la logique, du goût, de la sagacité, une grande habitude de la critique. Son art n’est point celui de faire rire, mais d’analyser et d’instruire. Qu’il ait de l’enjouement, si la matière le comporte mais qu’il laisse là le ton satirique qui décèle toujours la partialité. … Qu’il cite avec exactitude et qu’il ne déguise et n’altère rien. S’il se livre quelques fois à l’enthousiasme, qu’il choisisse bien son moment ».

Il est intéressant de donner la définition du journal vue par les encyclopédistes, (qui correspond au support de la critique d’aujourd’hui) car le jugement porté sur ces publications est toujours d’actualité :

« un journal est un ouvrage périodique, qui contient des extraits de livres nouvellement imprimés…c’est un moyen de satisfaire sa curiosité, et de devenir savant à peu de frais. C’est la mémoire de ce qui se fait, de ce qui se passe chaque jour. C’est un ouvrage périodique. C’est là que les gens du monde vont puiser leurs lumières sublimes. Quelques uns de ces journaux donnent aussi le ton à la province : on achète ou on laisse un livre d’après le mal ou le bien qu’ils en disent » .

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