La directive en droit de l’Union Européenne

La directive

La directive est l’un des principaux instruments législatifs utilisés dans le droit de l’Union européenne (UE), et elle est définie à l’Article 288 du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Elle constitue un acte juridique qui vise à harmoniser les législations des États membres dans certains domaines où l’UE a compétence.

  • 1) régime juridique de la directive

Le régime juridique de la directive au sein de l’Union européenne est défini par l’article 288 (ex-article 249 CE) du Traité sur le Fonctionnement de l’Union Européenne (TFUE). Selon cet article, la directive est un acte législatif qui oblige les États membres destinataires à atteindre un certain résultat tout en leur laissant la liberté de choisir la forme et les moyens pour y parvenir.

Observations sur la directive dans le droit de l’UE:

  • Bien que, en théorie, les directives puissent cibler certains États membres en particulier, elles s’adressent en pratique à tous les États membres sans exception.
  • Il existe une obligation de transposition de la directive pour les États membres, qui doivent intégrer les directives dans leur droit national dans un délai spécifié.
  • La compétence accordée aux instances nationales concernant la forme et les moyens reflète l’autonomie institutionnelle des États membres. Les directives fixent des objectifs sans imposer les modalités précises de leur mise en œuvre.

Le but de la directive est de favoriser le rapprochement des législations nationales. Lors de la rédaction des directives, les institutions de l’UE estiment que les objectifs peuvent être atteints sans nécessiter une uniformisation complète des lois applicables, mais plutôt en visant une harmonisation communautaire.

Du point de vue de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), le respect du délai de transposition est crucial. Après l’expiration de ce délai, un État peut être poursuivi pour manquement s’il n’a pas transposé la directive. La CJUE a constamment affirmé que ce délai est impératif, comme dans l’affaire Commission contre Italie du 22 février 1979.

Durant la période préalable à l’expiration du délai:

  • La CJUE a indiqué qu’il était possible pour un État de transposer une directive par anticipation.
  • Toutefois, les particuliers ne peuvent se prévaloir d’une directive avant l’expiration du délai même si l’État a procédé à sa transposition.
  • La CJUE rappelle que les États ne doivent pas adopter des mesures contraires à l’objectif d’une directive pendant le délai de transposition, conformément à l’obligation de loyauté des États.

Après expiration du délai:

  • La CJUE reconnaît que certains États n’ont pas besoin de transposer formellement une directive si leur législation est déjà conforme.
  • Elle admet qu’un retard de transposition peut être acceptable, apprécié au cas par cas, si des difficultés sérieuses existent et que l’État a fait preuve de diligence.

Concernant l’impact d’une directive non transposée ou mal transposée sur les particuliers:

La CJUE, dans l’affaire Van Duyn, a établi que les directives peuvent avoir un effet direct si certaines conditions sont remplies :

  • Le délai de transposition doit être expiré.
  • La directive doit créer des droits et obligations dont les particuliers peuvent se prévaloir.
  • Les dispositions de la directive doivent être suffisamment précises et inconditionnelles pour permettre une application directe sans interprétation nécessaire par le juge national.

Enfin, il est important de noter que de nombreuses directives sont aussi précises que des règlements, et l’acte de transposition devient parfois une formalité confirmant l’entrée en vigueur de la directive dans le droit national de l’État membre. De plus, dans le contexte actuel, on s’efforce de formuler les directives de manière à ce qu’elles énoncent des objectifs généraux, en accord avec le principe de subsidiarité, pour permettre une plus grande marge de manœuvre aux États membres dans leur mise en œuvre.

  • 2) La jurisprudence française en matière de directive

l’apparition d’une jurisprudence renouvelée de la part du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État en matière de transposition de directives européennes.

Historiquement, le Conseil constitutionnel, lors du contrôle de constitutionnalité des lois, ne prenait pas en compte le droit de l’Union européenne ni le droit international, en s’appuyant sur l’arrêt Conseil Constitutionnel IVG (1975), selon lequel une loi nationale n’est pas jugée contraire à la Constitution pour la seule raison qu’elle serait en désaccord avec une convention internationale.

Cependant, la Cour de cassation, depuis l’arrêt Cass. J.VABRE (1975), est disposée à vérifier la conformité d’une loi avec les conventions internationales, allant jusqu’à écarter une loi nationale qui contredirait un traité international, ce principe étant également applicable au droit dérivé de l’Union européenne.

Le Conseil d’État, quant à lui, a aligné sa position sur celle de la Cour de cassation à travers sa jurisprudence des arrêts Semoules de France & NICOLO (1989), en procédant au contrôle de conventionalité et en écartant la loi nationale en contradiction avec un traité international, indépendamment de l’ordre chronologique d’adoption entre la loi et le traité.

L’article 55 de la Constitution française énonce que les traités, une fois régulièrement adoptés et ratifiés, ont une autorité supérieure à celle des lois nationales. De plus, le droit de l’Union européenne n’est pas assujetti à la clause de réciprocité, étant donné que l’Union dispose de sa propre juridiction.

Dans les arrêts Boisdet (1990) et Rothmann (1992), le Conseil d’État a étendu la jurisprudence NICOLO aux directives et règlements communautaires, tout en maintenant la jurisprudence de l’arrêt Cohn-Bendit, qui est réservée sur l’invocabilité directe des directives par les particuliers.

En 2004, une période marquée par des débats intenses sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TECE), le Conseil constitutionnel a eu à statuer sur une loi de transposition d’une directive. À travers l’examen de la constitutionnalité de cette loi, le Conseil s’est interrogé si les lois de transposition étaient des lois ordinaires ou spécifiques, susceptibles d’être soumises à un contrôle particulier.

Le Conseil constitutionnel a saisi cette opportunité pour clarifier sa position sur le droit communautaire, à travers trois décisions majeures, dont celle du 10 juin 2004 sur la loi relative à l’économie numérique et celle du 29 juillet 2004 sur la révision des lois bioéthiques, partie de laquelle concernait cette transposition.

Les décisions du Conseil ont été perçues comme maladroites par la doctrine, qui a contesté ces interprétations. Le Conseil a affirmé que le contrôle de constitutionnalité des lois de transposition des directives doit considérer l’article 88-1 de la Constitution française, issu de la révision constitutionnelle relative au Traité de Maastricht. Cet article a été interprété de manière originale pour signifier une « exigence constitutionnelle de transposition des directives ».

Ainsi, sans remettre en question la jurisprudence établie par l’arrêt IVG, le Conseil constitutionnel a, de facto, « renationalisé » l’obligation de transposition des directives européennes, faisant écho à l’article 249 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

La jurisprudence ultérieure nous informe que lorsque le Conseil constitutionnel (CC) examine une loi de transposition, il doit respecter l’exigence constitutionnelle de transposition dérivée du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

Concernant la moitié de la doctrine constitutionnaliste, elle avance que, puisque cette exigence est constitutionnelle et découle du Traité, il convient de se référer au droit de l’Union européenne, ce qui conduit le Conseil constitutionnel à se déclarer incompétent pour contrôler les lois de transposition. L’autre moitié soutient que le Conseil Constitutionnel se déclare compétent, mais qu’il évalue ces lois au regard de la Constitution et, de manière indirecte, via l’article 88-1, au regard du droit communautaire.

Le Conseil constitutionnel a opté pour une approche plus nuancée, indiquant que lorsqu’une loi est une reprise à l’identique des dispositions « inconditionnelles et précises » d’une directive, il ne peut contrôler cette loi, car cela reviendrait à contrôler indirectement la directive elle-même. Cette situation soulève la problématique du renvoi préjudiciel devant la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE), qui est un processus plus long que le délai d’un mois imparti au Conseil Constitutionnel pour statuer. Dans ce cas, le Conseil Constitutionnel présuppose que la loi est conforme à la Constitution et qu’elle respecte l’exigence de transposition, car elle se contente de reprendre la directive.

De plus, le Conseil constitutionnel veille à ce que la transposition ne viole pas les dispositions constitutionnelles françaises spécifiques.

Le 19 novembre 2004, le Conseil Constitutionnel a intégré l’article 88-1 comme faisant partie de l’exigence de transposition.

En 2006, le Conseil constitutionnel a pris trois décisions importantes :

  • En mars, concernant la loi sur l’égalité des chances (loi CPE), il a jugé que, puisque la loi n’était pas une loi de transposition, la conformité au regard de l’article 88-1 ne se posait pas.
  • En juillet, avec la loi DADVSI, le Conseil Constitutionnel a inversé sa logique précédente et a vérifié la conformité de la loi de transposition au regard de l’article 88-1, tout en s’assurant que la directive était correctement transposée par le législateur. Il a également introduit des réserves d’interprétation pour éviter les recours en manquement pour transposition tardive.

Le principe de transposition doit être mis en balance avec le respect des objectifs de valeur constitutionnelle. La transposition doit donc être réalisée correctement.

Le 30 novembre 2006, dans le cadre de la loi sur la privatisation de GDF, le Conseil Constitutionnel a consolidé sa jurisprudence en soulevant d’office la question de la constitutionnalité au regard de l’exigence et de l’obligation de transposition, notamment en vérifiant l’adéquation de la loi avec les objectifs de la directive concernée.

Aujourd’hui, le Conseil constitutionnel contrôle de manière spécifique les lois découlant des directives, veillant à ce qu’elles respectent non seulement la constitutionnalité classique mais aussi l’obligation de transposition.

Des limites sont établies pour préserver l’identité constitutionnelle de la France, comme le principe de laïcité. Le Conseil Constitutionnel ne contrôle que l’incompatibilité manifeste entre la loi de transposition et la directive, car il ne peut pas contrôler directement la directive et ne peut pas procéder à un renvoi préjudiciel.

Le Conseil constitutionnel ne se plie pas complètement aux Traités européens et adopte une approche qui constitutionnalise le droit communautaire sans effectuer un contrôle de conventionnalité dans sa plénitude.

Cette jurisprudence révèle certaines problématiques :

  • Elle s’applique uniquement aux lois explicitement désignées comme des lois de transposition.
  • Elle ne couvre que les directives européennes, bien qu’elle pourrait s’étendre aux autres actes du droit de l’UE.
  • En juillet 2004, le Conseil Constitutionnel a adopté une approche qui semble différente de celle du Conseil d’État (CE), en particulier lorsque le Conseil Constitutionnel est confronté

Le Conseil d’État, dans sa décision du 8 février 2007 concernant la société Arcelor et autres, s’est penché sur la question du contrôle des décrets de transposition de directives européennes, une procédure qui peut être comparée à celle du Conseil Constitutionnel en matière de contrôle de constitutionnalité. L’affaire portait sur la transposition d’une directive communautaire d’octobre 2003, laquelle instaurait un système d’échange de quotas d’émission de gaz à effet de serre, assortie d’une liste d’activités industrielles concernées.

La transposition de cette directive s’effectuait via un décret, reprenant la liste des activités concernées à l’identique de celle annexée à la directive. Face à un refus implicite de l’administration de répondre à sa demande d’abrogation du décret, la société Arcelor saisit le Conseil d’État. Le litige porte donc sur la relation entre le décret et la directive, sans impliquer de loi nationale.

Le Conseil d’État maintient ici sa jurisprudence antérieure, comme dans l’affaire Alitalia, affirmant la suprématie de la Constitution française sur toute autre norme internationale ou communautaire, en s’appuyant sur l’article 55 de la Constitution française. Cependant, cette décision marque une évolution notable. En effet, le Conseil d’État commence à adopter une approche plus souple en matière de renvoi préjudiciel à la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

Traditionnellement, le Conseil d’État s’était appuyé sur la théorie de l’acte clair pour éviter de solliciter fréquemment l’avis de la CJUE. Or, dans l’arrêt de Groot du 11 décembre 2006, le Conseil d’État reconnaît la nécessité de tenir compte de l’interprétation donnée par la CJUE, même en l’absence de renvoi préjudiciel, ce qui marque un tournant dans la prise en compte du droit communautaire par la juridiction administrative suprême française.

Dans l’arrêt Arcelor, le Conseil d’État fait face à un choix délicat : soit suivre sa jurisprudence traditionnelle, qui aurait conduit à vérifier la conformité du décret aux principes constitutionnels français (position consolidée dans les arrêts Safran et SNIP, affirmant la suprématie de la Constitution), soit suivre le mouvement du Conseil Constitutionnel concernant les lois de transposition.

Le Conseil d’État opte pour une approche mixte : il reconnaît la spécificité des décrets de transposition, les considérant comme distincts en vertu de l’article 88-1 de la Constitution, qui impose l’obligation de transposer les directives européennes. Le Conseil d’État indique qu’il va opérer un contrôle différent de celui habituellement mené, basant sa compétence sur l’article 55 de la Constitution (qui établit le principe de la supériorité des traités sur les lois internes) et effectuant un contrôle spécifique en raison de l’article 88-1.

Il procède ensuite, comme l’avait suggéré le Conseil Constitutionnel, à un renvoi préjudiciel devant la CJUE. En évaluant les principes de droit de propriété et de liberté d’entreprendre, le Conseil d’État conclut qu’il n’y a pas de violation par le décret, car le droit communautaire offre une protection équivalente et effective de ces droits.

Concernant le principe d’égalité, un principe de valeur constitutionnelle en droit français, le Conseil d’État fait une distinction entre le principe d’égalité en droit interne et le principe de non-discrimination en droit communautaire. Il choisit de renvoyer une question préjudicielle à la CJUE pour vérifier la validité de la directive au regard du principe de non-discrimination communautaire, illustrant ainsi une interaction complexe entre le droit interne et le droit communautaire.