Le droit romain durant le Bas-Empire romain

Le droit romain de la période post classique ; Bas-empire romain.

Le Bas Empire débute à la fin du IIIe siècle, puis se termine au début du VIe siècle

  • 284-305 : règne de Dioclétien. Début des tentatives de réorganisation de l’Empire.
    • 292-310 : premières tentatives de codification de la législation impériale (Code Grégorien et Code Hermogénien )
  • 293 : Tétrarchie (essai de gouvernement de l’Empire à 4)
  • 313 : Conversion de Constantin et reconnaissance de la religion chrétienne par l’Edit de Milan
  • 364 : partage de l’Empire en Empire d’Occident (capitale Rome) et Empire d’Orient (capitale Constantinople)
  • 380 : le Christianisme, religion d’Etat (édit de Thessalonique)
    • 401-455 : Invasions de Goths en Italie, des Vandales en Espagne, en Afrique et en Italie et des Wisigoths en Espagne
      • 438 : Publication du Code théodosien à Constantinople et à Rome.
  • 476 : CHUTE DE L’EMPIRE D’OCCIDENT (le dernier empereur romain, Romulus Augustule déposé par le chef barbare Odoacre)
    • 528-565 : Compilations de Justinien (528-534: Institutes , Code et Digeste ; 535-565 : Novelles )

 

 

Cette période est celle du Bas empire romain qui s’étend de 284 à 476. Aujourd’hui, les spécialistes préfèrent utiliser les termes d’Antiquité tardive, appellation plus juste car elle se définie davantage en terme chronologique, de 284 à 565. Cette période a longtemps été considérée comme une période de déclin, mais il faut plus l’envisager comme une période de mutation. Mieux vaut considérer que cette période correspond à la création d’un monde nouveau, le monde roman pour la Gaule. Durant cette période, triomphe la procédure du procès cognitoire. Les constitutions impériales et la bureaucratie inspirent une centralisation. L’empire essaye de se centraliser de manière systématique. L’administration impériale se pense de manière systématique verticale.

De façon caractéristique, l’absolutisme impérial se manifeste sous la forme d’un dirigisme économique qui n’avait jusqu’alors existé pendant la période classique. Ce dirigisme prend souvent des formes injustes, et se manifeste dès le règne de Dioclétien. C’est un empereur réformateur, un dominus qui intervient régulièrement dans la vie des romains pour modifier les habitudes. Il réforme le gouvernement et de l’empire, et c’est lui qui amorce la césure définitive entre empire d’Orient et d’Occident. Ce partage administratif et politique sera définitif sous Constantin. Le pouvoir impérial est conforté par le christianisme, qui à partir de Constantin devient licite, puis religion officielle. Le christianisme donne au pouvoir impérial une nouvelle légitimité, l’empereur devient monarque de droit divin. L’empereur découvre des ambitions nouvelles, notamment de transmettre à la postérité son héritage, et par là d’illustrer le droit romain. Ainsi, l’Antiquité tardive est aussi le temps des codifications. Elles sont essentielles et permettent à elles seules de prouver que la Bas empire n’est pas une période de décadence. C’est uniquement par ces codifications que la transmission du legs romain a pu s’effectuer.

  • A) Premières codifications.

Du fait des réformes impériales, le conseil de l’empereur change de nom. On l’appelle le consistoire sacré. Ce nom permet de comprendre la manière dont se déroule le Conseil, car tous se tiennent debout. Personne ne reste assis face à l’empereur et toute l’organisation tourne autour de ce dernier. Le consistoire est composé d’officier, de juristes, et le personnage central c’est le questeur du palais sacré. Le conseil se spécialise davantage plus, chaque membre remplit un rôle précis, toujours dans un but de centralisation. Le questeur est un juriste qui a pour rôle de présider le consistoire. Il rédige les discours de l’empereur en étant assisté par les notaires du consistoire. Avec cette aide, il met en forme les constitutions impériales, que l’on commence à appeler les leges. Ce rôle de production normative est essentiel, la production des leges est l’essence même du consistoire. Cela permet à l’empereur d’affirmer qu’il est le seul qui peut faire les leges. La législation devient alors abondante. On compte pour le règne de Dioclétien 1300 Edits et rescrits. Compte tenu de cette inflation, il devient important d’archiver les leges. La conservation dans les archives ne suffit plus, les leges sont si nombreuses qu’il faut aussi faire en sorte de les réunir. Il faut les placer dans des recueils de façon à ce qu’elles soient utilisables et connaissables des juristes. Les premiers recueils voient le jour, ce sont des recueils d’initiative privée. Ils sont appelés «Codes», qui ne correspondent alors qu’à une compilation de constitutions impériales. Vers 292 est publié le Code grégorien, qui regroupe des rescrits sur le droit privé qui pour les plus anciens remontent au règne d’Hadrien. Peu de temps après, il y a une autre publication officieuse, le Code Hermogénien. C’est encore une compilation privée qui n’a pas de valeur officielle, mais qui est utile aux juristes. Ces codes, par leur coté pratique, finissent par séduire l’administration et l’Empereur décide d’amorcer une codification officielle. Elle commence en 429 et est entreprise par Théodose II. L’empereur veut alors par ce code, de réaffirmer sa volonté de parvenir à unifier l’empire. Ce code s’applique en Orient et en Occident, il est promulgué en 438. Il contient la législation impériale sous forme de constitution, prise depuis le règne de Constantin. Il est divisé en seize livres, eux-mêmes divisés en titre. Cette division sera la division académique de tous les recueils officiels réalisés pour compiler le droit romain. Il inspirera aussi les codifications de Justinien. Ce Code théodosien ne doit pas être seulement conçu comme un travail préparatoire, puisqu’il reste la principale source du droit romain en Occident après la chute de l’empire en 476.

  • B) Les codifications de Justinien (VIème siècle).

Il s’agit de l’empereur Justinien Ier (527-565). Il règne depuis Constantinople, d’où il s’occupe de gouverner l’empire romain d’Orient. Justinien poursuit un but précis : restaurer l’empire tel qu’il était durant les temps anciens. Il voudrait rétablir l’intégrité, la prospérité de l’empire tel qu’il se trouvait durant la période classique. Rétablir l’empire, cela passe d’abord par des conquêtes. Il faut lutter contre les perses d’un coté du coté oriental et contre les rois barbares du coté occidental qui se sont installés en Afrique et en Italie. Les armées byzantines sont conduites en Occident par un homme de guerre remarquable, le général Bélisaire.

Il conduit ces troupes avec un certain succès. En 533, il débarque en Afrique du Nord, et un an, il parvient à conquérir le royaume des Vandales. Ensuite, commence la conquête de l’Italie, qui sera beaucoup plus longue. Les adversaires italiens sont redoutables, ce sont les Goths. Après la conquête de la Sicile en 535, la conquête s’enchaine rapidement : Naples, Rome, Ravènes. Bélisaire porte ses troupes jusqu’en Dalmatie (Nord), mais les Goths se réorganisent et Bélisaire essuie plusieurs défaites. Il est rappelé par Justinien, et les troupes byzantines continue de se battre, jusqu’à leur victoire en 554. A la fin du règne de Justinien, les byzantins sont établis en Afrique, Italie, Sicile, dans des villes clés en Espagne, l’Occident parait alors en bonne voie de reconquête. En réalité, ces conquêtes militaires sont éphémères, elles ne permettent pas la mise en place d’institutions pérennes. Après 568, l’Italie est rapidement reconquise, non pas les Goths, mais par les Lombards. Les institutions souhaitées sont alors détruites par cette invasion. L’Afrique passe sous domination arabe après 647. L’illustration du droit romain par Justinien, en revanche a fait exception. Il voulait construire l’unité par les armes mais aussi par le droit. Pour assurer la postérité du droit romain classique et pour encourager l’unité de l’empire, il a entrepris des travaux de compilation. Pour accompagner la conquête militaire, Justinien réunit une commission de juristes. Elle est composée à la fois d’avocats et d’enseignants. C’est une commission collégiale, hétérogène. A la tête de cette commission, il y a Tribonien, le plus grand juriste de Constantinople, à qui il impose un cahier des charges. Justinien veut regrouper à la fois de ius et les leges, et donc à la fois le droit classique et les constitutions impériales. De plus, il faut aussi que cette compilation soit utile au praticien, et concordante. En dépit d’une ambition si élevée, l’équipe de Tribonien achève le travail en moins de cinq ans.

Le Code est terminé en 529, et connait une seconde édition en 534. Il est appelé ainsi parce qu’il regroupe des constitutions impériales depuis le règne d’Hadrien. Le plan du Code prévoit douze livres, divisés en titre. Les matières concernées sont les suivantes : droit ecclésiastique, droit privé, droit pénal, droit public. Les leges sont présentées de façon chronologique, pour plus de commodité. Le Digeste est achevé et promulgué en 533. Il comprend les opinions de la doctrine classique. Il est composé des avis des jurisconsultes titulaires au temps d’Auguste du ius publice respondendi. Ces avis sont distribués en cinquante livres, subdivisés en titre. Pour composer le Digeste, la commission de Tribonien s’est inspiré de trois sources principalement : des commentaires sur l’Edit du préteur, des commentaires sur le ius civile, les oeuvres de Papinien.

Le Digeste est dans sa globalité le condensé de 2000 oeuvres de la jurisprudence. C’est une oeuvre synthétique, et de ce fait, le travail de sélection a été drastique. Les rédacteurs ont écarté les règles de droit classique qui apparaissaient comme obsolètes. Ils se sont efforcés de rapprocher les textes retenus de façon à éviter les contradictions. Pour cela, Tribonien a encouragé la pratique des interpolations, des altérations du sens. Pendant longtemps, on a considéré que la commission avait trahi la jurisprudence et avait conçu le droit à la manière de Justinien. On considère aujourd’hui que les simplifications et les changements ont été peu nombreux, car la commission n’en a pas eu matériellement le temps. La vision présentée par le Digeste reste donc fidèle au droit romain classique. Cette même remarque s’indique pour le Code et la sélection des constitutions impériales. Les institutes sont publiées en 533. Il s’agit d’un manuel de droit romain destiné aux étudiants. Pour les composer, les auteurs ont repris le plan des institutes de Gaius. Les noveles viennent compléter le Code de Justinien entre 534 et 565. Ce sont certaines constitutions impériales parmi les plus importantes prises par Justinien après la promulgation du Code. Ce sont les constitutions prises par Justinien surtout entre 535 et 540. Elles ont servi aussi bien aux juristes orientaux qu’italiens qui ont élaboré des collections privées de noveles. La plus célèbre de ces collections s’appelle Epitome de Julien, professeur de droit dans la seconde moitié du VIème siècle.

Cette oeuvre majeure est une compilation officielle, ce qui signifie qu’à compter de la publication des compilations de Justinien, tout le droit romain existant n’est plus source du droit. Dans l’empire byzantin, il n’est plus possible de se référer qu’à ces seules compilations. Les jurisconsultes écartés du digeste, ainsi que les constitutions impériales laissées de coté, n’ont plus aucune valeur juridique.

Cependant, cela signifie que tout ce qui n’a pas été mis dans les compilations a disparu, et la vision du droit romain de l’époque n’est que partielle. La compilation résume néanmoins à elle seule six siècles du droit romain, tout en restant fidèle à l’esprit caractéristique de l’époque classique. Au Moyen Age, cette compilation deviendra le Corpus iuris civilis, qui représentera la dernière expression officielle du droit romain. La renaissance du droit romain n’interviendra cependant qu’au XIIème siècle.

  • C) Les survivances du droit romain en Gaule à l’époque franque.

En 554, les armées byzantines triomphent des Goths. Le pape demande à l’empereur de rétablir la législation romaine en Italie. Justinien offre alors au Pape la pragmatique sanction Pro petitione vigili. Par cet acte normatif, Justinien introduit en Italie sa compilation. C’est parce qu’il donne cette pragmatique sanction et parce qu’il apporte ses compilations, que les juristes italiens vont s’efforcer de rédiger des recueils de noveles. La compilation parait donc s’imposer en Italie : la conquête aboutie, et Justinien veut administrer l’Italie comme on le faisait autrefois. Les éléments semblent réunis pour que le Corpus s’enracine en Italie. En réalité, les réformes de Justinien ne portent pas leur fruit. Les réformes administratives n’ont pas tenu, les compilations offertes à l’Italie ont été ignorées. Les praticiens, les professeurs italiens n’ont prêté qu’une attention mesurée aux compilations de Justinien. Ils ont pratiquement ignoré le Digeste, car trop compliqué pour eux. Le Code et les institutes ont fait l’objet de certaines études, de quelques commentaires de la part de professeurs italiens, mais l’impact s’est arrêté la. En effet, à cette époque commence l’invasion Lombarde qui empêche la propagation des textes de Justinien en Italie, et ils tombent peu à peu dans l’oubli. La Gaule va ignorer la compilation durant tout le haut moyen âge. Néanmoins, entre le Vème et XIème siècle, le droit romain perdure, mais autrement que par l’intermédiaire des compilations. En effet, il anime toujours la pratique des juristes, qui se nourrit du ius vetus. Ce «vieux droit» est né au IVème et Vème siècle, quand le droit de Justinien n’existait pas encore, il a donc eu le temps de s’enraciner dans la pratique. Il nait dans un contexte particulier : à cette période, s’impose l’autorité de l’empereur dans l’empire romain.

Ce sont donc les constitutions impériales qui doivent dicter le droit applicable. Les leges ne suffisent pas cependant à régler tous les problèmes de droit, et les juristes continuent de recourir aux oeuvres doctrinales classiques. Les juristes sollicitent surtout les commentaires à l’Edit du préteur, les responsa des prudents, et des traités du ius civile. Ainsi, dans les universités des métropoles, l’enseignement du «vieux droit» perdure, mais sous une forme moins savante. Le droit classique fait en effet l’objet de simplification drastique. Des résumés de droit classique commencent à circuler, les enseignants destinent ces cours à leurs étudiants par principe, mais bientôt, ce sont les oeuvres des jurisconsultes qui sont abrégées. Cela donne naissance à des compilations qui présentent deux avantages : elles sont sommaires et d’utilisation facile. Les auteurs de ces compilations sont toujours anonymes et renoncent dans leur création à toute théorie juridique. Ils écartent donc l’abstraction et proposent dans leurs ouvrages des maximes et des solutions immédiates. Ce sont des solutions aux problèmes rencontrés par les praticiens et les étudiants. Ces ouvrages rencontrent un succès immédiat, et certaines compilations sont reproduites en de nombreux exemplaires. Parmi ces oeuvres, il faut retenir Les sentences de Paul parues vers l’année 325 environ et Les règles d’Ulpien diffusées entre 320 et 342. Ces abrégés assurent la pérennité du droit romain en Occident jusqu’au XIème siècle. Le ius vetus ne sera pas la seule source romaine du droit caractéristique de l’époque franque. Commencent à circuler à coté des commentaires ou de simples paraphrases d’oeuvres classiques, de recueils de constitutions impériales, à partir du Vème siècle surtout en Gaule. Parmi les recueils les plus importants, il y a l’epitome Gai. Il se distingue des autres ouvrages car c’est une compilation destinée à proposer une paraphrase des oeuvres de Gaius. En plus de ces oeuvres et du ius vetus, les juristes vont prendre pour habitude de recourir au Code théodosien. Ce dernier est plus ancien que celui de Justinien, et de ce fait il est étudié depuis plus longtemps, et donc mieux maitrisé par les juristes.

Les rois barbares vont tirer les conséquences de cette utilisation par les juristes romains. Le roi des Wisigoths, Alaric II, fait rédiger en 506 la loi romaine des Wisigoths. En effet, à cette époque, les sujets gallo romains vivent encore en Gaule, et les bréviaires d’Alaric sont destinées à leur apporter la connaissance de leur droit romain. Pour rédiger ce texte, les juristes d’Alaric s’inspirent de trois sources : le Code théodosien, les sentences de Paul et l’epitome Gai. Un an plus tard, Alaric est battu par Clovis à Vouillé. En 507, Clovis décide d’imposer à tous les sujets gallo romains du Regnum francorum, et assure ainsi la diffusion du bréviaire. Le bréviaire fait l’objet de commentaire et de résumé, et il reste la seule source du droit romain en Gaule, avec ses commentaires, jusqu’au XIème siècle. Le bréviaire d’Alaric est un témoin précieux, qui atteste de la fidélité des barbares à l’héritage de Rome. Le droit romain contenu dans le bréviaire est un droit romain abrégé, qui abrège des abréviations. Ce qui est connu en Gaule comme Code théodosien, sentences de Paul et epitome Gai sont déjà du droit simplifié. Le droit romain qui subsiste est donc très simplifié, moins savant que le droit romain de l’époque classique. A partir du IXème siècle, la présence des noveles dans les travaux des juristes est attestée. Les notaires et les avocats font référence de façon fréquente à l’epitome de Julien, c’est le signe que les noveles sont connues dans la Gaule carolingienne. En plus du bréviaire d’Alaric, on commence à étudier les collections de noveles. Ce retour des noveles illustre un fait incontestable : la permanence du legs romain. Cela signifie que le droit de Justinien n’a jamais été totalement oublié en Occident pendant l’époque franque. Il était simplement mis de coté car il était trop complexe et technique par rapport aux besoins de la société franque. Après l’an 1000, les conditions sont à nouveau réunies pour une utilisation nouvelle du droit romain.