Droit administratif L2 : cours et fiches

Droit administratif L2

Le droit administratif peut se définir comme l’ensemble des règles qui définissent les droits et les obligations de l’Administration, notamment dans les relations qu’elle entretient avec les usagers

Ce document est un cours de droit administratif français pour les étudiants de deuxième année de licence à l’université. Il couvre les fondements du droit administratif français, notamment l’action administrative, le service public, la police administrative, les actes administratifs unilatéraux et les contrats administratifs. Le cours explore les doctrines et la jurisprudence du Conseil d’État pour expliquer les concepts et les règles qui régissent l’administration française. Le cours est structuré en deux parties: la première partie examine l’objet de l’action administrative, en se concentrant sur la notion de service public et de police administrative. La deuxième partie analyse les modalités de l’action administrative, en examinant les actes administratifs unilatéraux et les contrats administratifs. L’objectif du cours est de familiariser les étudiants avec les principes et les pratiques du droit administratif français, en les préparant à comprendre le fonctionnement de l’administration et ses relations avec les citoyens.

Le Droit Administratif, une branche du droit publique, distincte du droit Privé

Le droit administratif constitue une branche importante du droit public, principalement dédiée à la régulation de l’activité administrative. Il se distingue nettement du droit privé par son juge et son champ d’application : 

  • Le droit administratif se distingue du droit privé par son champ d’application, qui vise à encadrer les relations entre les individus et les administrations publiques ainsi que les interactions entre différentes entités du droit public. À la différence du droit privé, où les relations interindividuelles sont basées sur l’égalité juridique, le droit administratif impose à l’administration des règles spécifiques qui répondent à des objectifs d’intérêt général et qui sont distinctes des règles applicables aux relations privées.
  • le droit administratif se distingue du droit privé par son juge : Le droit administratif est soumis à un contrôle juridictionnel spécialisé : le juge administratif. Ce dernier, en vertu du principe de liaison de la compétence et du fond, applique un ensemble de règles qui lui sont propres. Cela signifie que l’action administrative, bien que majoritairement encadrée par le droit administratif, peut dans certains cas faire appel aux juridictions de droit commun ou à des règles de droit privé. Ces exceptions traduisent une porosité entre les domaines du droit administratif et du droit privé, notamment lorsque l’administration intervient dans des activités régies par le droit privé ou que le juge administratif applique, de manière occasionnelle, des règles de droit privé.

Le rôle du droit administratif au sein du droit public

Le droit administratif, en tant que droit de l’administration, est intimement lié à l’existence, l’organisation et le fonctionnement de l’État. Il coexiste avec d’autres branches du droit public, telles que le droit constitutionnel. Ce dernier s’attache à la structure de l’État, à la répartition et au fonctionnement des pouvoirs publics, alors que le droit administratif se concentre sur l’action et les organes de l’administration exécutive. Cependant, cette distinction thématique n’empêche pas une forte interdépendance entre ces deux disciplines, et la frontière entre elles reste floue. Par exemple, la Constitution de 1958 ancre certaines règles administratives, comme le pouvoir réglementaire des collectivités territoriales (article 72) et le rôle du gouvernement dans la gestion de l’administration (article 20).

Historiquement, le droit administratif a évolué de manière autonome, notamment sous la IIIe République, où la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 n’avait pas de valeur contraignante. Les lois constitutionnelles de 1875 étaient essentiellement techniques et ne fixaient que peu de principes encadrant l’administration. Cependant, cette autonomie initiale n’a pas empêché une rapprochement progressif entre les droits constitutionnel et administratif, notamment avec l’apparition de la théorie des bases constitutionnelles du droit administratif développée par Georges Vedel dans les années 1960. Vedel soulignait que le droit administratif s’enracine aussi dans la Constitution, ce qui renforce les liens entre les deux domaines et élargit la portée des règles administratives.

Droit administratif général : distinction avec le droit administratif spécial

Le droit administratif englobe diverses sous-catégories qui contribuent à sa spécificité.

  • Le droit administratif général porte sur les objectifs, moyens et contrôles de l’action administrative, tout en étudiant les relations entre administrations et leurs administrés.
  • Ce cadre général se distingue des droits administratifs spéciaux, qui concernent des domaines précis comme le droit de l’urbanisme, le droit de la fonction publique, et le droit public économique. Ces droits spécialisés, bien que distincts, restent liés aux principes fondamentaux du droit administratif général, notamment en matière de respect de l’intérêt général et de la soumission au contrôle du juge administratif.

TITRE 1 : Qu’est-ce que le droit administratif

Chapitre 1 : Histoire du droit administratif

Le droit administratif français peut être interprété de deux manières historiques. Une première lecture situe sa fondation au XIXe siècle, notamment avec la décision Blanco du Tribunal des conflits en 1873, qui marque un tournant dans la séparation entre droit privé et droit administratif. Cependant, cette vision n’embrasse pas toute la profondeur historique du droit administratif, car ses fondations remontent en réalité à l’Ancien Régime.

Ancien Régime : absence de distinction entre administration et justice

  • Sous l’Ancien Régime, l’organisation administrative différait largement de celle d’aujourd’hui. Les parlements, qui exerçaient à la fois des fonctions judiciaires et administratives, intervenaient dans des litiges aussi bien publics que privés.
  • Ces parlements – entités judiciaires puissantes – empiétaient souvent sur les prérogatives royales, déclenchant de fréquents conflits avec le pouvoir central. Leur pouvoir d’intervenir dans des affaires relevant du royaume en faisait une forme de contre-pouvoir.
  • Le roi cherchait à limiter leur influence, notamment à travers des mesures telles que l’Édit de Saint-Germain de 1641 et la séance de la flagellation de 1766 sous Louis XV, qui visaient à restreindre les parlements dans leurs compétences.

Lois révolutionnaires de 1790 : séparation des autorités administratives et judiciaires

  • Avec la Révolution française, la volonté de limiter les abus de pouvoir des parlements se concrétise dans les lois des 16 et 24 août 1790, fondatrices du dualisme juridictionnel en France. Ces textes écartent les juridictions judiciaires des affaires administratives, établissant une distinction claire entre les autorités administratives et judiciaires.
  • Ce principe est depuis constamment rappelé par le Tribunal des conflits, notamment lors des affaires qui clarifient la répartition des compétences en matière de droit public.

Développement du Conseil d’État et affirmation du droit administratif au XIXe siècle

  • Sous le Consulat, la Constitution de l’an VIII crée le Conseil d’État, initialement chargé de conseiller le gouvernement, mais dont les compétences juridictionnelles s’élargissent rapidement. Dès 1806, la Commission du contentieux au sein du Conseil d’État institutionnalise ses fonctions judiciaires, et le Conseil devient un acteur essentiel de la justice administrative.
  • En 1872, la loi du 24 mai accorde au Conseil d’État la justice déléguée, supprimant la nécessité pour le chef de l’État d’approuver ses décisions, qui deviennent exécutoires immédiatement. Ce changement assure l’indépendance de la juridiction administrative, préfigurant la modernisation du droit administratif.

Décision Blanco : consécration de l’autonomie du droit administratif

  • L’arrêt Blanco du 8 février 1873 pose les bases d’une autonomie du droit administratif en affirmant que la responsabilité de l’État ne peut être régie par les principes du Code civil, mais doit suivre des règles spécifiques. Cette décision est fondamentale car elle confirme que les litiges concernant l’administration relèvent exclusivement de la juridiction administrative et non des tribunaux de droit commun.
  • Ce principe d’autonomie repose sur la mission spécifique de l’administration, qui est de servir l’intérêt général et, de ce fait, ne peut être soumise aux mêmes règles que les relations entre personnes privées.

Émergence de la doctrine administrative universitaire

  • Le XIXe siècle voit l’essor d’une doctrine administrative développée par des universitaires tels que Maurice Hauriou et Léon Duguit. Ces juristes théorisent les concepts fondamentaux du droit administratif et définissent le rôle de l’administration publique comme un serviteur de l’intérêt général.
    • Hauriou, en particulier, défend une vision institutionnelle, tandis que Duguit se concentre sur la notion de service public. Leurs travaux constituent les bases doctrinales du droit administratif et l’ancrent définitivement dans le paysage juridique français.

Le droit administratif moderne s’est donc structuré et renforcé au XIXe siècle, notamment avec des décisions historiques comme l’arrêt Blanco, ses racines plongent dans l’histoire de l’Ancien Régime, où les conflits entre parlements et pouvoir royal et l’avènement de la Révolution ont préparé le terrain pour un système juridictionnel distinct.

Chapitre 2 : définition de l’administration et de son droit

Le droit administratif est la branche du droit public qui régit l’activité de l’administration, à la fois dans son organisation et dans ses relations avec les usagers et les tiers. Cependant, cette définition simplifiée ne rend pas compte de la complexité du système administratif français et de la diversité des règles qui le structurent.

Section 1 qu’est-ce que l’administration

Définition de la notion d’administration

  • La notion d’administration est difficile à cerner. D’origine latine (de administrare, signifiant « servir »), ce terme possède plusieurs significations. On distingue deux perspectives principales :
    • Conception organique : L’administration est un ensemble d’autorités et d’organismes qui, sous l’impulsion du pouvoir politique, prennent en charge des tâches d’intérêt général. Elle comprend les institutions publiques (ministères, préfectures, collectivités locales, etc.) chargées de l’exécution de la politique de l’État.
    • Conception matérielle : L’administration est l’activité exercée par ces organes, visant à interagir avec les citoyens pour répondre aux besoins publics. Ici, l’administration représente l’ensemble des activités des organes publics, qui sont orientées vers la satisfaction de l’intérêt général.
  • Ainsi, l’action de l’administration repose sur un double objectif : la poursuite de l’intérêt général et l’utilisation de prérogatives de puissance publique.

Les objectifs et moyens de l’action administrative

  • Objectif d’intérêt général : L’administration vise à satisfaire des besoins collectifs que les individus, poursuivant leurs intérêts privés, ne peuvent réaliser seuls. Ces besoins essentiels concernent des domaines variés tels que la santé, l’éducation, la sécurité, et les infrastructures.
  • Prérogatives de puissance publique : Pour atteindre ses objectifs, l’administration dispose de moyens juridiques dérogatoires qui lui confèrent un pouvoir supérieur à celui des particuliers :
    • L’administration peut recourir à des actes unilatéraux exécutoires, ce qui signifie qu’elle peut imposer des décisions aux individus, sans nécessiter leur consentement. Par exemple, elle peut exproprier un terrain privé pour cause d’utilité publique si ce terrain est essentiel à la réalisation d’un projet collectif.
    • Cette prééminence de l’administration s’oppose au principe d’égalité juridique des particuliers en droit privé, où aucun individu n’a autorité sur un autre. Dans le droit administratif, l’intérêt général prime sur les intérêts particuliers, justifiant ainsi l’existence de règles spéciales pour régir l’action de l’administration.

Régime juridique distinct et autonomisation du droit administratif

  • Le droit administratif s’est structuré autour de règles dérogatoires au droit privé, conférant à l’administration des pouvoirs uniques et un régime juridique autonome. Ces règles spécifiques permettent de faire prévaloir l’intérêt général, ce qui distingue le droit administratif des règles qui régissent les rapports privés.
  • Par exemple, le privilège du préalable permet à l’administration de rendre exécutoires ses décisions sans intervention préalable d’une autorité judiciaire. Ce caractère exécutoire est essentiel pour la réalisation de ses missions publiques.
  • Cette dérogation trouve un fondement dans le fait que le droit privé, conçu pour régir les rapports entre particuliers, ne peut pas répondre aux exigences particulières des missions d’intérêt général. C’est pourquoi le droit administratif, depuis ses origines, a développé un système autonome, souvent fondé sur la jurisprudence pour établir et interpréter les principes directeurs de l’administration.

 

Section 2 : Le droit administratif , c’est le droit de l’administration ?

Le droit administratif peut être abordé selon deux perspectives.

  • Dans un sens général, il désigne l’ensemble des règles juridiques régissant l’action administrative.
  • Cependant, en sens strict, le droit administratif se rapporte à un corpus de règles spécifiques, dérogatoires au droit privé, qui encadrent les actions de l’administration lorsqu’elle use de ses prérogatives de puissance publique.

Cette dernière approche met en avant la nature exorbitante du droit administratif, qui se distingue alors du droit de l’administration, terme plus large englobant toutes les règles auxquelles l’administration est soumise, y compris celles du droit privé.

Droit de l’Administration : Une Applicabilité au-delà du Droit Administratif

  • Bien que le droit administratif soit essentiel au fonctionnement de l’administration, il n’en constitue pas l’unique fondement juridique. L’administration peut en effet, dans certains cas, agir en utilisant des procédés de droit privé, sans recourir aux prérogatives de puissance publique. Dans ces situations, elle est soumise au droit commun et son contentieux est traité par les juridictions judiciaires, comme tout acteur privé.
  • Ce partage entre droit administratif et droit privé repose sur une distinction fondamentale dans la manière dont l’administration agit : lorsque celle-ci recourt à des techniques de droit commun, elle est soumise aux règles de droit privé et peut être jugée par le juge judiciaire.

Gestion Publique et Gestion Privée des Personnes Publiques

  • La distinction entre gestion publique et gestion privée est une clé de répartition des compétences entre juge administratif et juge judiciaire. La gestion privée désigne les situations où l’administration agit sans recourir à ses prérogatives de puissance publique, mais utilise les procédés et techniques propres au droit privé. Dans ce cadre, l’administration se trouve dans une position comparable à celle d’un acteur privé.
  • Ce concept, défini au début du XXe siècle par Maurice Hauriou, permet de comprendre pourquoi certaines actions des personnes publiques relèvent du droit privé et de la compétence du juge judiciaire. Dès lors que l’administration adopte des procédés de droit privé, elle s’inscrit dans la logique de gestion privée, et son contentieux suit les règles du droit commun.

Exemples de Gestion Privée dans l’Action Administrative

  • Services Publics Industriels et Commerciaux (S.P.I.C) : Créée par la célèbre décision du Tribunal des conflits du 22 janvier 1921 (arrêt Société commerciale de l’Ouest africain, dit bac d’Éloka), la distinction entre les Services Publics Administratifs (S.P.A) et les S.P.I.C permet de différencier les services administratifs purs de ceux ayant un caractère industriel ou commercial. Pour les S.P.I.C, les règles de droit privé s’appliquent, et les litiges relèvent du juge judiciaire.
  • Contrats de droit privé : L’administration peut conclure des contrats de droit commun, notamment dans des relations commerciales. Par exemple, un contrat passé pour l’achat de fournitures courantes ne relève pas de la spécificité du droit administratif ; il suit les règles contractuelles du droit privé.
  • Gestion du domaine privé : Les biens appartenant au domaine privé des personnes publiques, tels que certains terrains ou bâtiments, sont gérés selon les règles du droit commun. Dans le cadre de cette gestion, l’administration se comporte comme un propriétaire privé qui administre son patrimoine, et les litiges qui en découlent sont soumis au juge judiciaire.

Quand l’Administration se soumet aux Règles du Droit Commun

  • L’administration est appelée à recourir aux procédés de puissance publique lorsqu’elle poursuit un but d’intérêt général et exerce son autorité de manière unilatérale. Cependant, lorsque ses actions n’impliquent pas de telles prérogatives, l’application des règles de droit privé devient légitime. Dans ce cadre, l’administration est régie par le droit de l’administration au sens large, incluant le droit privé dans ses actes de gestion privée.
  • L’intervention de l’administration dans des domaines tels que la responsabilité, la gestion des services publics, et la propriété montre une flexibilité où l’usage de la puissance publique et des procédés de droit commun se partagent les rôles. Ce dualisme des régimes juridiques dans l’action administrative souligne le caractère pluridimensionnel du droit de l’administration, intégrant à la fois droit administratif et droit privé en fonction des situations.

 

Chapitre 3 : Les caractères du droit administratif

section 1 : un droit jurisprudentiel mais codifié progressivement

Le droit administratif français repose historiquement sur la jurisprudence, une caractéristique qui le distingue des autres branches du droit. Bien que la jurisprudence soit également présente en droit privé, le droit administratif s’est appuyé de manière particulière sur des normes jurisprudentielles, issues des décisions rendues par le juge administratif, en raison de l’absence de codification systématique. L’idée classique du juge comme « bouche de la loi » n’a jamais prospéré en droit administratif ; au contraire, le juge y est créateur de normes, notamment en l’absence de textes législatifs clairs ou précis.

I) un droit d’abord jurisprudentiel

Dominance jurisprudentielle jusqu’aux années 1990

  • Jusqu’à la fin du XXe siècle, le droit administratif était majoritairement fondé sur des décisions jurisprudentielles plutôt que sur des normes écrites. Les règles émanant de la jurisprudence, bien qu’issues de cas particuliers, définissaient les principes généraux du droit administratif et constituaient souvent la base des raisonnements juridiques.
  • La jurisprudence est néanmoins complexe et nécessite une interprétation souvent délicate, car elle ne suit pas un format standard et impose à l’administré de maîtriser les décisions de jurisprudence pour évaluer la légalité des actes administratifs.

Les obstacles historiques à la codification

  • La codification du droit administratif a été longtemps retardée, notamment en raison de la volonté de l’exécutif de préserver une marge de manœuvre dans ses actions. Ce manque de codification est d’autant plus perceptible que certains codes sectoriels ont émergé dès la fin du XVIIIe siècle, comme le Code des douanes de 1791, sans qu’un code général administratif n’ait été formalisé avant le XXIe siècle.
  • Le projet de codification de 1989 a marqué un tournant en cherchant à formaliser des règles administratives, notamment à travers la création de nouveaux codes, comme le Code des relations entre le public et l’administration (2015) ou encore le Code général de la propriété des personnes publiques (2006). Cette démarche visait à simplifier et clarifier l’accès au droit administratif.

II) Une codification progressive

L’évolution du droit administratif français reflète une transition progressive vers des sources écrites, tout en conservant l’empreinte d’une tradition jurisprudentielle forte. La codification du droit administratif vise à réduire la dépendance à la jurisprudence et à renforcer l’intelligibilité du droit administratif pour garantir une meilleure accessibilité aux règles qui encadrent l’action publique.

Historique

  • Les codifications au XIXe et XXe siècles étaient principalement sectorielles, avec la création de codes comme le Code des impôts (1950) ou le Code de la santé publique (1953). Ces codes offraient une structure écrite dans certains domaines, mais sans constituer un droit administratif complet.
  • Depuis les années 2000, les codes administratifs continuent de se multiplier. À titre d’exemple, le Code de la commande publique de 2019 (anciennement Code des marchés publics) s’est adapté aux exigences de la législation européenne et aux standards internationaux. Ce nouveau code reflète la nécessité d’une réglementation plus homogène, en réponse aux influences externes telles que le droit de l’Union européenne et le droit international.

Mutation des sources et renforcement du cadre législatif

  • Bien que le droit administratif ait historiquement été dominé par la jurisprudence, on observe depuis plusieurs décennies un renforcement des sources écrites. Les réformes législatives visent à formaliser des pans entiers de la jurisprudence dans des textes normatifs, facilitant ainsi la compréhension et l’accessibilité du droit administratif pour les administrés.
  • La jurisprudence continue de jouer un rôle essentiel, mais elle est désormais encadrée par la législation et influencée par des textes supranationaux. La Constitution elle-même est devenue une source formelle du droit administratif depuis 1946, intégrant progressivement des principes de la Déclaration des droits de l’homme et des préambules constitutionnels (notamment à partir de 1971).

Complexité du droit administratif et privilège du préalable

  • En raison de sa nature jurisprudentielle et de son caractère épars, le droit administratif présente une certaine opacité. L’administré, dans un État de droit, doit pouvoir vérifier la légalité des actes administratifs, mais cette exigence est compliquée par la nécessité de connaître des décisions de jurisprudence souvent implicites.
  • En France, le système dualiste entre juridictions administratives et juridictions judiciaires s’inscrit dans une tradition de séparation des pouvoirs, héritée de la Révolution française. L’administration ne peut être jugée par un juge ordinaire, et cette séparation est accentuée par la présence d’un juge spécialisé, considéré comme un « juge administrateur ». Ce cadre rappelle la formule de Henrion de Pansey : « Juger l’administration, c’est encore administrer. »

Exemples internationaux et avancées françaises

  • Le droit néerlandais s’est doté en 1994 d’un Code général de droit administratif (loi AWB), couvrant de manière exhaustive l’ensemble des règles applicables aux administrations. Ce code a inspiré d’autres pays européens, comme le Portugal, qui a également entrepris des démarches de codification similaires.
  • En France, le Code général de la propriété des personnes publiques (CGPPP) montre que la codification de domaines complexes, comme le droit domanial, est possible. Cette réussite encourage l’idée d’un Code administratif général, bien que les avis demeurent partagés sur l’opportunité d’un tel projet.

Débat entre souplesse jurisprudentielle et sécurité juridique

  • Le caractère jurisprudentiel du droit administratif offre une flexibilité qui permet au Conseil d’État d’adapter ses décisions aux circonstances changeantes, garantissant ainsi une évolution pragmatique et subtile du droit en fonction des besoins de la société et des administrés.
  • En revanche, un droit codifié améliore la sécurité juridique, rendant le droit plus accessible et intelligible pour tous les citoyens. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision de 1982, a d’ailleurs affirmé que la codification contribue à l’accessibilité et à l’intelligibilité de la loi, valeurs d’importance constitutionnelle.

La Jurisprudence : une source encore importante

  • Malgré les avancées vers un droit écrit, le Conseil d’État continue de jouer un rôle central dans l’évolution du droit administratif, notamment en matière de contentieux des contrats administratifs. En l’absence d’un code administratif général, l’administration est régie par une multitude de textes, souvent complexes, qui nécessitent l’intervention du juge administratif pour en clarifier la portée.
  • L’augmentation des textes écrits a modifié le rôle du juge administratif : il est désormais davantage un interprète des règles édictées par le législateur. Ce rôle n’exclut cependant pas son influence créatrice ; bien qu’il ne soit plus le principal créateur de droit administratif, il reste crucial pour définir l’interprétation et l’application des normes.

Chapitre 2  : un droit autonome

Le droit administratif français se distingue du droit privé par son caractère dérogatoire et autonome, en ce sens qu’il répond à des questions juridiques similaires mais avec des solutions différentes, adaptées aux besoins spécifiques de l’administration. Cette autonomie repose historiquement sur une jurisprudence indépendante, consacrée par des arrêts fondateurs tels que Blanco et Rothschild, ainsi que par des textes établis sous le Consulat, comme celui du 28 Pluviôse an VIII, qui ont solidifié des principes administratifs distincts, notamment en matière de responsabilité sans faute.

Une autonomie réaffirmée par la jurisprudence

  • Le Conseil d’État joue un rôle central dans la définition des règles administratives, étant maître de sa jurisprudence. L’arrêt du 25 novembre 1921 confirme l’indépendance du juge administratif vis-à-vis des règles du droit privé, tout en lui laissant la possibilité de s’inspirer de celles-ci. Par exemple, en matière de capitalisation des intérêts, le Conseil d’État peut choisir d’appliquer des principes issus du Code civil, mais il n’y est pas contraint.
  • Le droit administratif emprunte parfois aux textes du droit privé, comme dans l’arrêt du 8 juin 1873, où le Conseil d’État a interdit le licenciement d’une agente en état de grossesse en s’inspirant du Code du travail, sans en suivre nécessairement le texte exact.

Convergences entre droit public et droit privé

  • Au fil des décennies, un rapprochement jurisprudentiel entre le Conseil d’État et la Cour de cassation a été observé, particulièrement dans le domaine de la responsabilité civile. Bien que le principe d’autonomie défini par l’arrêt Blanco reste intact, le dialogue des juges entre ces hautes juridictions montre une convergence sur certaines questions, notamment en matière de responsabilité des personnes publiques.
  • Des évolutions législatives, comme la loi Kouchner du 4 mars 2002, qui encadre la réparation des incidents médicaux dans les établissements de santé publics et privés, ont renforcé ce phénomène en introduisant des règles qui visent les deux secteurs, publique et privé.

Évolution des principes exorbitants et influence croissante du droit privé

  • L’originalité du droit administratif, autrefois marquée par son caractère exorbitant, tend aujourd’hui à être nuancée, répondant ainsi aux nouvelles attentes sociales et économiques. Par exemple, avec l’introduction de la responsabilité pénale des personnes morales dans le Code pénal de 1994 (article 121-2), certaines personnes publiques peuvent désormais être tenues pénalement responsables, à l’exception de l’État. Ce changement marque un recul de la protection pénale autrefois accordée à ces entités.
  • De même, dans le domaine du droit de la concurrence, le Conseil d’État a appliqué les règles du droit privé aux actes administratifs, notamment dans l’arrêt Million et Marée de 1997, confirmant que les personnes publiques peuvent être soumises aux règles de la libre concurrence lorsqu’elles agissent en qualité d’acteurs économiques.

Un système autonome et pragmatique, mais en transformation

  • En dépit de ces rapprochements, le droit administratif conserve son originalité et son autonomie, car les questions administratives touchent des enjeux particuliers qui ne peuvent être pleinement régis par le droit privé. La jurisprudence administrative reste ainsi fondamentale pour garantir la souplesse et le pragmatisme du droit, permettant une adaptation continue des règles aux réalités administratives et aux besoins d’intérêt général.
  • En somme, le droit administratif continue de s’affirmer comme un droit autonome, malgré des interactions croissantes avec le droit privé, révélant un équilibre entre tradition et modernité.

Section 3 : le droit administratif, un droit miraculeux ?

Miraculeux? Le droit administratif existe car l’État accepte d’être contrôlé par un droit qu’il a lui-même créé. C’est la raison pour laquelle Prosper Weil  dit que l’existence du droit administratif est le « fruit d’un miracle ».

La soumission de l’État et de son administration à la règle de droit est un principe fondamental du droit administratif. Cependant, cette idée va à l’encontre de la notion même de souveraineté de l’État, qui, en tant qu’autorité suprême, ne devrait être contraint par aucune règle extérieure. Ce paradoxe réside dans le fait que l’État souverain, en France, utilise sa puissance théoriquement illimitée pour encadrer son propre pouvoir à travers des normes qu’il choisit de respecter volontairement. L’État accepte donc de se soumettre au droit, mais ce droit émane de sa propre autorité, et il se soumet aussi à la juridiction d’un juge spécialisé, ce qui rend ce contrôle juridictionnel possible.

État de droit et autolimitation

  • Dans un État de droit comme la France, l’État limite lui-même sa puissance, et cette autolimitation devient une soumission au droit. C’est cette autolimitation volontaire qui permet d’intégrer l’administration dans un cadre juridique, tout en l’éloignant des règles de droit privé qui régissent les particuliers.
  • En ce sens, comme l’affirme Prosper Weil, l’existence du droit administratif est le fruit d’un miracle, car elle découle d’un processus par lequel l’État accepte d’être contrôlé par un droit qu’il a lui-même créé.

L’administration et l’exigence d’un droit spécifique

  • La relation entre administration et droit est marquée par la création de règles spécifiques, adaptées aux besoins et aux prérogatives de la puissance publique. L’administration est ainsi soumise à un droit spécial, distinct du droit commun, qui répond aux exigences de sa fonction et de l’intérêt général.
  • Ce droit administratif est un droit dérogatoire, conçu pour répondre aux caractéristiques uniques de l’administration, différant des règles appliquées aux personnes privées. Cette spécificité du droit administratif donne également lieu à un juge spécialisé.

Le dualisme Juridictionnel et la Spécificité du Juge Administratif

Le droit administratif français repose sur un dualisme juridictionnel qui sépare le contentieux administratif du contentieux judiciaire. En effet, l’administration, lorsqu’elle est partie dans un litige, ne peut être considérée comme un simple particulier et doit être jugée par une juridiction spécifique.

  • Le rôle du juge administratif
    • En France, les actes de l’administration sont soumis au contrôle des juridictions administratives, qui forment un ordre distinct des juridictions judiciaires. Au sommet de cet ordre se trouve le Conseil d’État, garant de l’application du droit administratif.
    • Cette séparation découle d’une conception française de la séparation des pouvoirs, héritée de la Révolution française, selon laquelle l’administration, par nature, ne peut être assimilée aux justiciables ordinaires et doit donc être soumise à un juge spécialisé. Cela se traduit par l’adage de Henrion de Pansey : « Juger l’administration, c’est encore administrer. » Cet adage illustre la nécessité d’une juridiction distincte pour les affaires administratives.
  • Statut et formation des juges administratifs
    • Les juges administratifs sont des juges formés spécifiquement pour traiter les litiges impliquant l’administration. Ils se distinguent des juges judiciaires par leur formation et leur statut. Les membres du Conseil d’État, par exemple, sont issus de l’École Nationale d’Administration (ENA) et exercent des fonctions qui les placent à la frontière entre magistrats et fonctionnaires.
    • Les juges administratifs des Tribunaux Administratifs et des Cours Administratives d’Appel bénéficient d’un statut reconnu de magistrats selon l’article L.231-1 du Code de Justice Administrative, bien que ce statut conserve des spécificités liées à leur rôle.

La soumission au droit dans les autres modèles Juridiques Comparés

Le droit administratif en France se caractérise par la soumission de l’administration à un droit spécial et à des juridictions spécifiques. Ce modèle diffère du modèle anglo-saxon, où la soumission de l’administration au droit ne donne pas naissance à un droit spécial. Dans ces pays, l’administration reste soumise aux règles de common law, sans l’existence d’un droit administratif autonome ni d’un ordre juridictionnel spécifique.

  • Modèle anglo-saxon
    • Dans des pays comme le Royaume-Uni, l’administration n’est pas soumise à un droit administratif distinct. Les juridictions de droit commun appliquent certaines règles spécifiques pour traiter des affaires administratives, mais elles n’ont pas un droit dérogatoire propre à l’administration.
    • La soumission de l’administration au droit y prend donc une forme générale, dans le cadre des mêmes normes que celles qui régissent les citoyens.
  • Exorbitance et exception en France

    • En France, l’administration peut parfois être soumise aux règles de droit privé et aux juridictions judiciaires dans certaines circonstances, bien que cela demeure l’exception. C’est cette capacité de l’administration à être jugée par un juge judiciaire ou administratif selon le contexte qui enrichit la flexibilité du droit administratif français.
    • L’existence d’un droit spécifique et dérogatoire, comme celui du droit administratif, montre que la France a choisi un modèle où la soumission de l’administration au droit se fait sous des conditions uniques, renforçant ainsi l’importance d’un juge administratif indépendant.

 

Chapitre 4 : les critères du droit administratif, entre Service Public et Puissance Publique

La recherche des critères du droit administratif est important pour comprendre les fondements de cette branche du droit et pour justifier la compétence du juge administratif face aux juridictions judiciaires. En France, les juridictions administratives appliquent des règles dérogatoires au droit commun, notamment lorsqu’il s’agit de l’action de l’administration et de ses prérogatives de puissance publique.

Historiquement, la doctrine et la jurisprudence ont exploré différents critères pour établir la ligne de partage entre droit public et droit privé, notamment les critères de service public et de puissance publique.

Section 1 : Histoire du conflit des Écoles : service public Vs Puissance publique

Dès le XIXe siècle, la nécessité de répartir les contentieux entre juridictions administratives et judiciaires a poussé les juristes à identifier un critère permettant de distinguer ce qui relève du droit administratif de ce qui doit être traité sous le régime du droit privé. Cette recherche a engendré des débats doctrinaux et a contribué à définir les fondements du droit administratif. Deux écoles de pensée ont émergé, avec des approches distinctes : l’école de Bordeaux (critère du service public) et l’école de Toulouse (critère de la puissance publique).

Ces deux écoles incarnent des visions opposées mais complémentaires du droit administratif : le service public insiste sur l’objet de l’action (le but), tandis que la puissance publique met l’accent sur les moyens déployés (le procédé).

Le Critère de l’acte d’autorité : Premières tentatives

Vers la fin du XIXe siècle, les théoriciens Laferrière et Barthélémy ont proposé le critère de l’acte d’autorité pour définir les contours du droit administratif. Ce critère repose sur une division :

  • Actes d’autorité : Actions comportant des prérogatives de puissance publique, justifiant l’intervention du juge administratif.
  • Actes de gestion : Actions de l’administration qui se rapprochent du droit privé et relèvent du juge judiciaire.

Ce critère a d’abord été largement adopté mais fut rapidement considéré comme limité et finalement écarté au profit de nouvelles conceptions au début du XXe siècle.

L’École de Bordeaux et le Service Public : une approche basée sur la finalité

L’école de Bordeaux, avec Léon Duguit comme figure centrale, a mis en avant le service public comme critère de compétence du droit administratif. Selon cette approche :

  • Service public = droit administratif = juge administratif : Cette équation place le but poursuivi (intérêt général) au cœur de la définition du droit administratif.
  • La notion de service public légitime l’usage des règles spécifiques et l’intervention d’un juge spécialisé.

Duguit et ses disciples, tels que Gaston Jèze et Roger Bonnard, considèrent que toute activité de service public justifie l’application des règles administratives. Ce critère repose donc sur le contenu de l’activité et son objectif, indépendamment des moyens employés.

L’École de Toulouse et la Puissance Publique : Une approche basée sur les moyens

Maurice Hauriou, figure de l’école de Toulouse, proposait une vision différente : le critère de la puissance publique. Pour Hauriou :

  • Puissance publique : Les actes de l’administration impliquant des procédés exorbitants, tels que des actes unilatéraux, sont du ressort du juge administratif.
  • Cette approche s’appuie sur la nature des moyens employés par l’administration. Selon Hauriou, c’est l’usage de la contrainte et de pouvoirs spécifiques qui confère une spécificité au droit administratif, distinct du droit privé.

Les disciples d’Hauriou, comme Achille Mestre et Georges Vedel, soutiennent que c’est par l’usage de moyens dérogatoires que l’administration se distingue des particuliers, justifiant l’application des règles du droit administratif.

L’influence des 2 Écoles

Les visions de Duguit et de Hauriou traduisent des perspectives profondément différentes sur le rôle de l’administration :

  • Duguit, influencé par Durkheim, voit le service public comme un outil de solidarité sociale. Cette vision met l’accent sur l’objectif de l’administration : les missions d’intérêt général.
  • Hauriou, quant à lui, associe le droit administratif à la puissance publique, servant à maintenir l’ordre public et la sécurité par l’usage de pouvoirs spécifiques.

Ces deux visions ont fortement marqué la doctrine et soulignent la dimension politique du droit administratif : chaque critère donne une interprétation différente du rôle et de la fonction de l’État.

Section 2 : Aujourd’hui, quel critère est utilisé?

Le Conseil d’État a toujours refusé de fonder la compétence du juge administratif sur un critère organique qui, seul, justifierait l’application du droit administratif. En effet, une telle approche aurait conduit à étendre ce droit à tout litige impliquant une personne publique ou l’un de ses agents, privant ainsi les juridictions judiciaires de leur compétence. Au lieu de cela, les juridictions et la doctrine ont privilégié des critères matériels, adaptés aux particularités des activités administratives et fondés sur les objectifs et modalités d’action des personnes publiques. Ces critères sont largement apparus dans l’évolution des idées doctrinales et jurisprudentielles qui ont marqué le droit administratif français.

Le critère de la Puissance Publique et l’acte d’autorité

À l’origine, les auteurs du XIXe siècle ont défini la compétence du juge administratif en se fondant sur la théorie des actes de puissance publique, c’est-à-dire les actions de l’administration qui nécessitent l’usage de prérogatives spéciales, opposables aux particuliers. Cette notion de puissance publique visait à circonscrire le domaine de l’administration et à distinguer ce qui relève du droit privé (compétence des juridictions judiciaires) de ce qui ressort du droit administratif.

L’importance croissante du Service Public :

Au début du XXe siècle, le critère de la puissance publique a perdu de son influence avec l’émergence de la notion de service public. Le droit administratif s’est alors orienté autour des missions de service public comme critère de compétence, sous l’influence de penseurs tels que Léon Duguit. Ce tournant doctrinal s’est consolidé avec l’arrêt Blanco (1873), qui affirmait que la responsabilité de l’État dans la gestion des services publics relevait de règles spécifiques. Ce critère a permis de justifier l’application du droit administratif aux activités d’intérêt général, le juge administratif étant compétent pour régler les litiges liés à ces missions.

  • L’arrêt Blanco a eu une influence décisive en posant la base de la responsabilité de l’administration dans les services publics. Ce principe a ensuite été consolidé par des décisions comme l’arrêt Thérond (1910), confirmant la compétence du juge administratif pour les contrats liés à l’exécution d’une mission de service public.

La crise du critère de Service Public et la résurgence de la Puissance Publique

Le milieu du XXe siècle a vu la montée des critiques concernant le critère du service public. Deux crises majeures ont affaibli ce critère :

  • Service public à gestion privée : Certains services publics sont gérés sans nécessiter l’application de règles de droit public, ce qui ne justifie pas l’intervention du juge administratif.
  • Attribution des missions de service public à des entités de droit privé : Depuis l’arrêt du 13 mai 1938, le Conseil d’État a reconnu que des organismes privés pouvaient se voir confier des missions de service public, ce qui remettait en cause la compétence du juge administratif pour tous les litiges impliquant le service public.

Dans ce contexte, le critère de puissance publique a refait surface grâce aux travaux de Maurice Hauriou et Georges Vedel, qui ont réaffirmé la compétence du juge administratif pour les actions impliquant des pouvoirs exorbitants. L’arrêt Société des granites porphyroïdes des Vosges (1912) et la décision Bourgogne-Bois (1956) du Tribunal des conflits témoignent de cette résurgence. Ces décisions précisent que lorsqu’une action de l’administration s’accompagne de clauses dérogatoires au droit commun, elle relève du droit administratif.

La combinaison des critères de Service Public et de Puissance Publique

Malgré la réaffirmation du critère de la puissance publique, ni celui-ci ni celui du service public ne se sont imposés comme critère exclusif et suffisant pour déterminer la compétence du juge administratif. Les décisions Monpeurt (1942) et Bouguen (1943) reflètent cette approche combinée. Dans ces arrêts, le Conseil d’État a souligné que des organismes privés accomplissant une mission de service public mais disposant aussi de prérogatives de puissance publique peuvent relever de la compétence du juge administratif. Cette approche pragmatique privilégie une cumulativité des critères pour mieux cerner les activités administratives.

La consécration du critère de Service Public par le Conseil d’État

Le critère de service public n’a jamais été totalement abandonné par le Conseil d’État, qui continue de l’utiliser pour fonder certaines grandes catégories de compétence administrative :

  • Agent public : Les arrêts Vingtain et Affortit (1954) définissent les agents dont les activités relèvent de missions de service public, justifiant ainsi l’application du droit administratif.
  • Travaux publics : Avec la décision Effimieff (1955), la notion de travaux publics est directement liée à l’accomplissement de missions de service public, plaçant ainsi les contentieux afférents sous la juridiction administrative.
  • Contrats administratifs : Les arrêts Époux Bertin et Ministre de l’Agriculture c. Grimoird (1956) illustrent que les contrats passés pour l’exécution de missions de service public relèvent du juge administratif.
  • Domaine public : Dans l’arrêt Société Le Béton (1956), la compétence du juge administratif pour les litiges concernant le domaine public est fondée sur le fait que ces biens sont affectés à un usage ou service public.

Ces décisions montrent que la notion de service public reste essentielle pour le juge administratif et constitue, dans certains cas, un critère suffisant pour établir sa compétence.

La Puissance Publique : Une réaffirmation en réponse aux limites du Service Public

Le critère de la puissance publique a refait surface à partir du milieu du XXe siècle pour répondre aux insuffisances du critère de service public. Avec les crises de ce dernier, notamment en ce qui concerne les services publics à gestion privée et la délégation à des organismes privés, la doctrine et la jurisprudence ont progressivement réhabilité la puissance publique comme fondement de compétence.

Par exemple :

  • Société des granites porphyroïdes des Vosges (1912) : Ici, la présence de clauses exorbitantes dans des contrats entre l’administration et des tiers justifie l’application du droit administratif.
  • Bourgogne-Bois (1956) : Le Tribunal des conflits consacre la puissance publique comme critère principal en matière de fiscalité, reconnaissant ainsi la compétence du juge administratif lorsque des actes impliquent des pouvoirs dérogatoires.

Une approche cumulative : L’apport des arrêts Monpeurt, Bouguen et Magnierc

À partir du milieu du XXe siècle, des arrêts comme Monpeurt (1942), Bouguen (1943) et Magnier (1961) mettent en évidence une approche cumulative. Le Conseil d’État y affirme que la compétence du juge administratif s’étend aux actes émanant d’organismes de droit privé, à condition qu’ils :

  1. Exercent une mission de service public,
  2. Disposent de prérogatives de puissance publique.

Ainsi, la combinaison des deux critères devient indispensable pour déterminer si un acte relève du droit administratif. En cas d’absence de l’un des deux critères, les actes peuvent être assimilés à des actes de droit privé, relevant alors du juge judiciaire.

La souplesse de la jurisprudence pour s’adapter au contexte

Comme le souligne Jean Rivero, le refus d’un critère unique n’implique pas l’absence de tout critère. En réalité, le Conseil d’État adapte sa jurisprudence en fonction des caractéristiques propres à chaque litige, ce qui confère au droit administratif une flexibilité nécessaire pour répondre aux besoins d’intérêt général. Le recours combiné aux critères de service public et de puissance publique permet ainsi une application nuancée et adaptée des règles administratives.

 

PARTIE 1 : La finalité de l’action administrative

L’action administrative se distingue par ses finalités spécifiques, orientées vers la poursuite de l’intérêt général. Contrairement aux activités de la sphère privée, l’action administrative a pour objet central le bien commun, ce qui en fait un domaine à part nécessitant des règles de droit particulières et dérogatoires. Cette spécificité est soulignée par la décision Blanco, qui établit que la nature de l’action publique, orientée vers l’intérêt général, exige l’application du droit administratif et relève de la compétence du juge administratif.

L’action de l’administration repose donc sur des missions essentielles.

  • L’une des premières, conforme au concept de l’État-gendarme, est la préservation de l’ordre public, tant sur le plan interne qu’externe. Cette mission demeure au cœur des activités de l’État et s’exprime à travers l’exercice de la puissance administrative. Ce pouvoir conféré à l’administration lui permet de prendre des mesures pour garantir la sécurité, la tranquillité et la salubrité publiques, des éléments considérés comme les bases mêmes de l’ordre social.
  • Par ailleurs, l’administration doit aussi répondre aux besoins collectifs essentiels par le biais de services publics, reflétant le modèle de l’État-providence. Ces services se matérialisent dans des domaines variés, tels que l’éducation, la santé, les infrastructures, et la protection sociale. Ils symbolisent l’intervention de l’État dans la vie quotidienne des citoyens pour garantir un accès équitable aux ressources et aux services de base. En ce sens, l’administration agit non seulement pour maintenir l’ordre public, mais aussi pour assurer des prestations qui contribuent au bien-être de la collectivité.

Ces deux volets, bien que distincts, sont en réalité complémentaires. L’existence d’un service public efficace est difficilement concevable sans un ordre public solide et, inversement, le maintien exclusif de l’ordre sans services publics rendrait l’État inadapté aux besoins modernes de la société. Cette interdépendance montre que l’opposition entre un État minimaliste (limité à des fonctions régaliennes) et un État-providence (fournisseur de services) est dépassée. Le rôle de l’administration se situe au carrefour de ces deux modèles, contribuant simultanément à la sécurité et au bien-être collectif.

Ainsi, la finalité de l’action administrative se déploie à travers deux dimensions : la protection de l’ordre public (titre 2) et la fourniture de services publics (titre 1) essentiels. Chacune de ces missions participe à l’accomplissement de l’intérêt général.

 

TITRE 1 : Le service public

Définition du service public

La définition du Service public en droit administratif

Histoire du service public, de son apogée, à la crise du service public

La crise du service public

Qu’est-ce qu’un service public ? Pour répondre, il convient de savoir quels sont les critères d’identification d’un service public.

Les critères d’identification du service public

Les Services publics peuvent être divisées en deux types : les SPA (service public administratif) et les SPIC (service public industriel et commercial). Comment distinguer les SPA et les SPIC ?

Les critères de la distinctions SPA / SPIC

Cette fiche évoque les SPA et les SPIC :

La distinction SPA / SPIC

Dans cette fiche on évoque le régime de la suppression ou de la création des service publics.

Création et suppression des services publics

Il convient de distinguer les Services publics facultatifs et les services publics essentiels. Les règles de fonctionnement, de création et de suppression sont différents

Le service public obligatoire ou facultatif

Quels sont les différents modes de gestions des services publics ? Voici une fiche sur la gestion des SP :

Les modes de gestion des services publics

Dans la fiche suivante, on distingue particulièrement la gestion déléguée ou la gestion directe du service public :

La gestion directe et déléguée des services publics

Le service public est gouverné par 3 grands principes appelés aussi « lois » du service public :

 

Les lois du service public

Parmi les principaux principes (ou « lois ») du service public on distingue le principe d’égalité et de continuité. voici la fiche sur ces deux principes :

Le principe de continuité du service public

Le principe d’égalité dans le service public

Titre 2 – La police administrative

Qu’est-ce que la police administrative? la fiche suivante étudie la police administrative :

La police administrative

La Police administrative doit être distinguée la police judiciaire :

Police administrative et police judiciaire

Un des buts recherchés par la police administrative est la protection de l’ordre public :

La protection de l’ordre public [police administrative]

Comment distinguer la police administrative générale et la police administrative sexuelle :

Police administrative générale et police spéciales

Quelles sont les autorités chargées de la polices administrative?

Les autorités de police administrative