Le droit canonique

  • Le droit canonique : les origines canoniques du droit français.

Le droit canonique est celui de l’Eglise chrétienne. Le christianisme nait en Orient, dans un royaume juif, contrôlé par les romains et immergés dans un Orient hellénisé. Les chrétiens ne forment pas un groupe mais plusieurs groupes isolés qui font se rapprocher au fur et à mesure. La communauté chrétienne va s’élargir et les communautés vont entretenir des rapports complexes. Les groupes chrétiens vont s’organiser rapidement à l’aide d’une notion grecque : celle de l’ecclesia, déjà mentionnée dans les actes des apôtres. Ce terme signifie « assemblée ». Dès le début, les groupes veulent s’organiser d’une manière politique. Très tôt, ils veulent prendre des décisions dans un but d’efficacité et de bonne gestion. Ils recherchent toujours l’expression collective comme dans l’Athènes antique où l’ecclesia servait à donner les expressions du peuple. Des petites communautés vont s’organiser et se gérer comme des cités autonomes dans les cités romaines qui les voient naitre. Les églises locales qui s’organisent sont d’abord orientales puis se répandent dans la partie occidentale de la Méditerranée. Les communautés s’installent à Rome et le christianisme, à partir de là, va s’étendre dans tout l’Empire d’Occident.

Cette nouvelle religion organise son Eglise, elle se développe beaucoup et les communautés chrétiennes inquiètent les romains. Politisées, elles sont perçues comme un danger pour le pouvoir impérial. Les romains commencent alors des persécutions officielles, appuyées par les empereurs mais n’aboutiront à rien. Constantin et Licinius vont tenir les conférences de Milan d’où sort l’édit de Milan qui proclame la licéité du culte chrétien. Le christianisme devient une religion officielle et enfin, en 380, l’édit de Thessalonique en fait la religion officielle de l’Empire romain. Depuis 313, apparaissent des textes juridiques dans les communautés chrétiennes qui s’organisent de plus en plus. Apparait aussi, une hiérarchie ecclésiastique parmi ceux qui sont chargés de diriger le peuple chrétien. L’évêque guide la communauté locale, souvent dans le cadre de la cité romaine. Certains évêques deviennent des patriarches, ils tiennent des sièges épiscopaux illustres, les sièges des métropoles les plus anciennement christianisées. Ils sont à Antioche, Constantinople, Rome. L’un des patriarches sort du lot, c’est le pape et il est au sommet de la hiérarchie. Grâce à lui, le droit de l’Eglise évolue. Jusqu’à la reconnaissance de l’autorité du pape, les sources du droit de l’Eglise étaient d’origines collégiales. Dorénavant, elles émanent davantage du pouvoir de juridiction du pape. Cependant, pendant toute la période franque, il reste difficile de concevoir le droit de l’Eglise dans son ensemble : les sources restent éparses, tant que la papauté elle-même se trouve sous la domination des empereurs. D’abord celle des carolingiens, puis celle des ottoniens.

Au XIème siècle, commence la réforme grégorienne : Rome s’affranchit des empereurs germaniques, elle impose sa théocratie pontificale. L’Eglise chrétienne découvre alors la centralisation : elle veut diriger tout l’Occident. Cela aboutit à la formation du droit canonique.

Le droit de l’Eglise répond à des besoins quotidiens : des comportements s’imposent pour créer une société organisée. Ils s’imposent par la répétition mais aussi par un désir tacite et collectif de paix, de cohésion : c’est la coutume. Le premier droit canonique est semble-t-il coutumier. Aucune volonté de centralisation, ou d’unification n’existe, chaque communauté développe son système de valeur, son comportement, et ses propres usages. Cela dit, la coutume reste une source du droit, de façon durable, c’est une source créatrice dans l’Eglise des premiers temps.

Le père de l’Eglise chrétienne, Tertullien a fixé le dogme de l’Eglise dans les premiers temps. Il faut donc donner une définition de la coutume, établie par deux traités. La coutume cède rapidement la place à des sources plus constantes du droit canonique, issues des instances ecclésiastiques. Aux IVème et Vème siècle, les juristes vont rassembler les sources du droit canonique pour former des compilations.

Les sources du droit canonique.

Les tous premiers documents juridiques paraissent tributaires des évangiles mais vont s’effacer rapidement. Quand les communautés chrétiennes auront bien entamé leur développement, d’autres sources vont apparaitre et les supplanter. Très tôt, apparaissent des législateurs qui sont collégiaux. Le premier est le concile, une assemblée d’évêques qui luttent contre les hérésies (les sectes chrétiennes qui contestent des fondements chrétiens). Ensuite, beaucoup s’occupent de la discipliner, lorsqu’intervient la paix en 313, Constantin veut que l’Eglise soit unie. Les conciles sont donc importants pour l’établir et pour contrôler leurs pairs. L’empereur cherche en fait, par le christianisme, à appuyer son propre pouvoir pour faire de l’empire romain, un empire homogène, uni et puissant. Ensuite, apparaissent les « grands conciles » dans les grandes villes de l’empire. Ce sont des conciles orientaux mais qui réunissent des évêques venus de toute la chrétienté. D’autres conciles sont réunis, ils sont plus restreints mais les règles qu’ils imposent passent rapidement d’une portée régionale, à une portée générale. La raison est simple, cette législation conciliaire accompagne à l’identique, en même temps que la législation des titulaires ecclésiastiques, le pouvoir de législation. La législation des papes se caractérise par le même système.

  • A) La règle ou le canon

Les communautés chrétiennes des origines s’organisent dans la partie orientale de l’Empire qui est hellénisée. La sémantique chrétienne en matière juridique s’appuie sur une conception grecque. Les règles du pape sont alors appelées « les canons ». Saint Isidore de Séville (560-636) dit que « canon » signifie en latin « regula », la règle. Il était déjà utilisé par le juriste romain, dans le sens neutre de règle. L’ensemble des règles de l’Eglise devient donc le droit canonique mais cette appellation est tardive. L’appellation officielle de « droit canonique » n’apparait que dans le décret de Gratien, après la réforme grégorienne. Ainsi le canon, n’est que la prescription disciplinaire des conciles. Il s’accompagne d’autres règles : les règles disciplinaires des premières communautés chrétiennes et les règles issues de la littérature pseudo apostolique.

1- La discipline des premières communautés chrétiennes.

Le christianisme prend ses racines dans le judaïsme, et nécessairement les premiers textes de droit canonique sont par ancienneté les livres de l’ancien testament. Le christ est venu pour faire connaitre une «Loi nouvelle», aussi les premiers chrétiens, dès le Ier siècle considèrent que le Nouveau testament établit les règles des nouvelles communautés. Les premières communautés cherchent à s’organiser en suivant les prescriptions des évangiles, en suivant les règles de épitres ou encore les prescriptions des actes des apôtres. Les chrétiens parlent volontiers de lex Christi (lex fideii), et si l’on en croit les épitres de Paul, on envisage par la aussi le nouveau testament. Cela n’exclue pas pour autant l’Ancien testament, suivit par les chrétiens. Ils désignent l’ancien testament en utilisant le mot de loi seul, lex. D’après les évangiles de Mathieu, le christ a déclaré qu’il n’est pas venu pour défaire la loi mais plutôt pour l’accomplir, c’est ce que l’on constate dans le chapitre 5 verset 17. Les Ecritures sont donc sources de droit. Ancien et Nouveau testament serviront encore bien des années après la naissance du christianisme et continueront d’être utilisés par les Papes.

Aux origines, la discipline chrétienne n’est pas dictée par des prescriptions juridiques, car la sanction de l’autorité publique fait défaut. La discipline est donc uniquement issue de textes sacrés. A la fin du Ier siècle et au début du IIème siècle, les clercs commencent à se distinguer des laïcs, dans leur activité quotidienne de rédaction de lettres. Les clercs sont les garants de l’héritage, ce sont eux qui guident les communautés et sont investis de responsabilité précise. Les premiers guides portent des noms assez variables, mais rapidement, un nom se dégage pour parler de ces guides : les évêques. Ils se distinguent rapidement de la masse des laïcs. L’évêque entretient une correspondance régulière principalement à deux catégories de destinataires : à des communautés autres que celles qu’il est chargé de diriger et à d’autres évêques. Ces correspondances servent à discipliner les communautés et de rapprocher les communautés dans leur habitudes disciplinaires.

Cette littérature épistolaire vient s’ajouter aux textes sacrés comme source des règles ecclésiastiques au bout d’un siècle. Cette période des littératures épistolaires prend le nom de temps apostoliques, pour souligner le rôle déterminant jouer par les messagers du christ (apôtres, et tous les autres qui perpétuent leur mission) en matière de discipline. Ces temps apostoliques sont les temps des messagers, de ceux qui transmettent, caractérisés par une littérature particulière qui renvoie à cette idée de message, la littérature pseudo apostolique.

2- La littérature pseudo apostolique.

Cette littérature est abondante, et regroupe un grand nombre de traités, qui la plupart du temps sont anonymes. Ces traités sont rédigés sous nom d’emprunt puisque les auteurs de ces traités invoquent toujours le patronage des apôtres. Ces traités forment la littérature pseudo apostolique en raison de cette protection fictive recherchée par les auteurs. Dans ces écrits il est question de liturgie, et de plus en plus, d’enseignements moraux et de règles disciplinaires qui servent à fixer la part qui revient à chacun dans l’Eglise. Cette littérature pose les premières règles juridiques et nous permet de découvrir les premières institutions ecclésiastiques.

  • a) La didache et la tradition apostolique d’Hyppolite.

C’est un écrit rédigé en grec, et c’est le plus ancien écrit de la littérature pseudo apostolique. Le terme didache signifie doctrine, et la didache représente donc la doctrine des douze apôtres. Ce traité est composé de douze chapitres et date de la fin du Ier siècle environ. Elle fixe les règles de vie d’une communauté chrétienne, soit celle de Syrie, soit celle de la Palestine. Elle expose une éthique judéo-chrétienne, et c’est en cela que l’on constate qu’à cette époque, le christianisme n’est pas totalement détaché du judaïsme. Au delà des six premiers chapitres, on constate que la didache s’éloigne de la lex et parait plus résolument chrétienne dans son contenu. A la fin du traité, certaines prescriptions concernent finalement l’épiscopat. Un chapitre seulement fait mention de l’évêque, et encore, une partie du chapitre uniquement. Les institutions ecclésiastiques sont encore peu développées et la primauté disciplinaire n’est pas encore celle de l’évêque. Elle est encore celle des apôtres, des docteurs et des prophètes. La tradition apostolique d’Hyppolite est plus complète que la didache, mais elle est aussi plus juridique dans son approche. Cette tradition est rédigée plus tardivement, au début du IIIème siècle. Elle est appelée d’Hyppolite car elle aurait été rédigée par Saint Hyppolite martyrisé en Sardaigne en l’an 235. C’est la encore un traité de langue grecque, utilisé par les clercs cultivés qui dirigent l’Eglise de Rome au début du IIIème siècle. Le titre tradition apostolique est éloquent, l’ouvrage se présente comme une transmission de l’enseignement des apôtres.

Ce traité commence par une introduction, et dans l’introduction, la tradition apostolique insiste sur la nécessité absolue pour l’Eglise et les communautés chrétiennes : garder la tradition, pour éviter de tomber dans l’hérésie. On retrouve ici la dimension nécessaire de l’héritage des clercs, des évêques, qui était avant celle des apôtres. Après l’introduction, la tradition s’ouvre sur deux parties. La seconde partie se préoccupe de liturgie, s’inquiète de l’eucharistie, et au delà de cela, se préoccupe des moments qu’il faut choisir pour réciter les prières quotidiennes. La première partie décrit les rites de l’ordination et de l’institution. Le traité dans son ensemble est donc fondamental puisqu’il pose des règles institutionnelles déterminantes en ce qu’elles fixent dès le IIIème siècle une organisation ecclésiastique. La tradition apostolique d’Hyppolite présente en effet l’organisation type d’une communauté chrétienne. La communauté ainsi décrite est la communauté de l’Eglise romaine. A cette époque, la communauté de l’Eglise romaine est dirigé par l’évêque de Rome qui annonce la Parole et préside les cérémonies du culte. Il est assisté, entouré d’un conseil appelé presbyterium composé de prêtres et diacres. Ces derniers sont des clercs, ils ont reçus le sacrement de l’ordre, que l’on reçoit par l’imposition des mains. Les clercs sont donc ordonnés et à ce titre, ils reçoivent un service liturgique précis. Selon la tradition apostolique, d’autres chrétiens peuvent remplir des fonctions pour la communauté romaine. Seulement, ces fidèles ne sont pas des clercs, mais des lecteurs, des sous diacres, des veuves, des vierges ou encore des guérisseurs.

Ces fidèles ne reçoivent pas l’ordination, on ne procède pour eux qu’à une institution. L’institution se fait par les mots. C’est en cela que la tradition apostolique est juridiquement essentielle car elle pose une distinction institutionnelle entre le clerc et le laïc. Elle impose aussi une idée qui va caractériser la tradition chrétienne jusqu’à aujourd’hui, celle qu’à tout pouvoir correspond une mission, une fonction. Cette idée fondamentale va finir par pénétrer les institutions laïques et se trouve à l’origine de la genèse de l’Etat contemporain. C’est par le sacre de Pépin en 751 que l’évolution du pouvoir temporel en Gaule se constate et que la royauté change de mentalité, pour avoir comme objectif de servir une communauté. C’est une responsabilisation du gouvernant. La tradition apostolique pose donc la séparation nécessaire entre clerc et laïc. A ce titre, la tradition représente le premier grand monument du droit ecclésiastique. Le traité va servir car sa matière va être reprise et adaptée dans d’autres traités pour l’adapter aux nécessités de leur temps respectif.

  • b) La didascalie et les constitutions apostoliques.

La tradition apostolique d’Hyppolite se diffuse dans le sein de l’empire romain. Elle connait un grand succès dans les communautés chrétiennes en Orient comme en Occident. Elle sert avec le temps de modèle à d’autres écrits notamment rédigés dans les communautés du patriarcat d’Antioche. Vers 230, en langue grecque, est ainsi composée par un évêque syrien ce qu’on appelle à l’époque la didascalie des apôtres. Son autorité est telle qu’elle est traduite ultérieurement pour être conservée en latin, en syriaque et en arabe. La tradition fait également état de version éthiopienne et arménienne. De façon fictive, l’ouvrage prétend rassembler un ensemble d’instructions, que les apôtres eux-mêmes auraient en leur temps transmises aux évêques. Cette notion d’instruction se retrouve dans le nom de l’ouvrage. Le patronage entend souligner un point fondamental de discipline : l’évêque est et doit être l’élément central de toute communauté. Il existe bien d’autres clercs, mais ceux-ci exercent leurs fonctions d’après les prescriptions de l’évêque. C’est en rappelant les règles essentielles de distinction entre clerc et laïc que la didascalie s’appuie sur la tradition apostolique. Elle ébauche en plus une première expression de première hiérarchie ecclésiastique. La didascalie règle la vie des communautés, règle et précise le rôle de chacun, du clerc comme du laïc. Les diaconesses (diacre au féminin) visitent les malades et interviennent dans la liturgie, chargée de faire accoucher les femmes. Ce sont bien plus que de simples usages, elles sont placées sous la responsabilité de l’évêque qui veille à leur observation.

Elles sont sanctionnées par la puissance épiscopale. La didascalie est un recueil de littérature chrétienne qui recense les comportements plus juridiques qu’autrefois au sein des communautés orientales. Autre recueil, les constitutions apostoliques se présentent comme des compilations en huit livres composées en grec. Alors que le droit de l’époque est dicté par les constitutions impériales, et que l’Eglise devient la religion de l’Empire, les constitutions apostoliques poursuivent le même but que le consistoire sacré : elles veulent établir les règles de l‘Eglise d’Orient. Elles représentent un aboutissement car la compilation s’inspire de textes antérieurs : on trouve des écrits de la didascalie, des écrits de la didache et de la tradition apostolique d’Hyppolite, ce qui manifeste une envie de continuité. Les textes repris ne sont pas seulement recopiés, mais sont remaniés et complétés par des emprunts à d’autres sources telles que la Bible, ou à l’histoire ecclésiastique écrite par l’évêque de Cesari. Les constitutions apostoliques s’attardent sur les rapports entre clercs et laïcs, se soucient des schismes et des manières de vivre des communautés chrétiennes. Le dernier livre est consacré aux charismes, aux ordinations et aux canons ecclésiastiques. En conclusion, la règle, les hérésies et les clercs sont au coeur du propos des constitutions apostoliques. Le livre huit profitera d’une grande faveur après sa rédaction, il fait l’objet de nombreux résumés, les épitomé. Ils seront utilisés pendant des siècles car ils fournissent des données précieuses, des versions établies de prières d’ordination. Les constitutions apostoliques précisent donc la règle ecclésiastique, qui s’impose à l’époque sans avoir besoin du patronage des apôtres. Jusqu’alors, les initiatives solitaires des évêques ou des érudits qui étaient nécessaires pour combler le vide juridique ne le sont plus. Ainsi, à la fin du IVème siècle, les instances chrétiennes se sont imposées, et s’occupent de créer du droit. Les réunions conciliaires se font plus nombreuses, et nécessairement la littérature pseudo apostolique cède la place au concile comme source du droit canonique.

Les initiatives isolées disparaissent et dorénavant, la règles est édictée en réunion. Ces règles sont plus conformes à la mission ecclésiale des premières communautés chrétiennes.

  • B) La législation des instances collégiales.

Les instances collégiales sont les réunions conciliaires. Les premiers conciles se tiennent en Orient et à Rome dès le IIème siècle. L’usage gagne ensuite d’autres provinces de l’empire. C’est au IIIème siècle que cette législation conciliaire prend son essor. L’essor de cette législation s’accomplit à partir de la province d’Afrique proconsulaire organisée autour de la ville de Carthage.

1- La législation conciliaire avant Constantin.

Le premier concile romain serait une assemblée d’évêques tenue sous le pontificat du Pape Victor (189-199). Il avait pour propos de déterminer la date de Pâques, qui restait indéterminée. Ces assemblées se préoccupent surtout de dogmes et de liturgie et se soucient beaucoup des hérésies, mais se soucient peu de l’unité de l’Eglise et encore moins des communautés chrétiennes. Au IIIème siècle, des conciles sont assemblés en Asie mineure, en Arabie, en Egypte et en Afrique. La lutte contre les hérésies restent la préoccupation principale, mais parfois la réunion des évêques aboutit parfois à l’édiction de règles disciplinaires. Dans les années 220-240, ont lieu à Carthage d’importantes réunions conciliaires. L’évêque de Carthage est un prélat illustre, et à cette époque, les évêques de la province romaine d’Afrique sont nombreux. Pour harmoniser les pratiques des nombreuses communautés, le concile est alors une absolue nécessité. En ces temps de persécutions, de querelles dogmatiques, il faut des conciles parce qu’il faut empêcher l’hérésie et proposer une règle unique. Les conciles généraux d’Afrique proconsulaire sont donc déterminants, et regroupent un grand nombre d’évêques, et parfois même des prêtres.

Ces conciles interviennent en matière théologique, judiciaire pour juger les hérétiques et en matière disciplinaire, ce qui est une nouveauté, pour fixer les règles susceptibles d’organiser la vie des clercs. Le premier concile à lieu vers 220, réunit 70 évêques sur les 100 que comptent la province d’Afrique proconsulaire et la Numidie. Ce premier concile se penche sur la validité des baptêmes conférés par des prêtres hérétiques, qui ne croient pas au message du Christ tel que transcrit par l’Eglise officielle. Le concile se prononce pour l’invalidité du baptême, et les pairs conciliaires en profitent pour édicter les règles disciplinaires qui s’imposent. Les nouveaux convertis baptisés par un hérétique doivent recevoir un nouveau baptême. Au delà des questions qui concernent les hérétiques, ces conciles africains sont obligés de se pencher sur l’organisation des communautés. Ils développent une matière toujours plus importante destinée à imposer une structure, à encadrer les communautés chrétiennes. Ainsi, une autre assemblée interdit de désigner par testament un clerc comme tuteur ou curateur. Cette législation conciliaire insiste donc sur l’orthodoxie et sur la discipline des clercs.

La législation conciliaire dépend très étroitement de l’évêque de Carthage qui se comporte dans sa Province et au delà comme un primus inter pares, il exerce une autorité naturelle sur les évêques installés dans les provinces ecclésiastiques voisines. Cet évêque s’impose par sa personnalité, et cette primauté de l’évêque de Carthage se poursuit durant tout le siècle après 220. Ainsi, sous l’épiscopat de Saint Cyprien, les conciles d’Afrique proconsulaire finissent par réunir des participants d’autres provinces. Les assemblées d’Afrique sous Saint Cyprien ne sont plus des assemblées générales, mais deviennent des conciles régionaux qui concernent les évêques de toute l’Afrique du Nord. Les règles édictées changent également de nature, elles sont édictées de plus en plus à partir de situations concrètes qui concernent des sujets de plus en plus divers. C’est donc à partir de là que le concile devient source du droit. Cependant la portée de la législation conciliaire reste limitée en droit car les règles édictées ne sont pas reconnues par les instances séculières. Les choses changent en 312-313 car c’est à ce moment que Constante et Licinius imposent la paix religieuse en Orient et en Occident.

 

2- La législation conciliaire de l’Empire chrétien.

La dernière persécution contre les chrétiens prend fin en 305, et avait été ordonnée par Dioclétien. En Orient, cette persécution prend fin en 311, au moment où un édit de l’empereur Galère vient officiellement terminer la persécution pour l’Orient. Après les conférences de Milan, Licinius publie son édit de Nicomédie daté du 13 Juin 313, qui instaure la liberté religieuse en Orient. Constantin fait de même pour l’Occident, et impose pour l’Occident la liberté religieuse. Ce sont tous ces éléments que l’on appelle l’Edit de Milan. Depuis 313, l’attitude impériale change, et favorise la vie de l’Eglise. L’empereur romain se met à favoriser la vie ecclésiale et la diffusion du message de l’Eglise chrétienne. Inévitablement, les communautés chrétiennes se développent et le patrimoine des Eglises s’accroit et devient toujours plus abondant. Bientôt le régime juridique de bienveillance se traduit en régime de religion d’Etat. Il s‘impose en 380 avec l’Edit de Thessalonique. Le IVème et le Vème siècle ne sont pas seulement marqués par cette attitude favorable de l’empereur romain, mais les conflits au sein de l’Eglise elle même sont nombreux à cause de l’hérésie qui menace. La plus connue est l’hérésie Arienne qui conteste le dogme officiel de l’Eglise. Avec cette hérésie, se produit un nouveau schisme, le schisme donatiste. Sur cette période qui suit la paix constantinienne et s’étend jusqu’à l’Edit de Thessalonique, la législation conciliaire ne peut que s’imposer. Ce qui change par rapport au IIIème siècle, c’est que l’Empire romain prête une oreille attentive à ces assemblées conciliaires. La question de l’unité de l’Eglise sous entend en effet la question sous-jacente de l’unité de l’empire romain lui même. Au cours des IVème et Vème siècle, se tiennent quatre conciles majeurs, qui sont par la suite devenus oecuméniques. Cela signifie que ces conciles auraient réunis des évêques venus de tout l’Empire.

Ces quatre conciles sont les conciles de Nicée (325), de Constantinople (381), d’Ephèse (431), et Chalcédoine (451). Ces conciles se distinguent des autres par l’autorité attachée à leur décision et aussi en raison de leurs conditions particulières de réunion. D’autres assemblées conciliaires sont réunies sur la même période, et elles se divisent en deux catégories : les conciles provinciaux (dans la province ecclésiastique, placés sous l’autorité métropolitain qui surveille les évêques des diocèses de la province ecclésiastique) et les conciles régionaux (regroupe des évêques d’origine diverses, qui statue pour un territoire plus vaste que celui d’une simple province ecclésiastique). D’autres conciles ont rassemblé d’autres régions de l’Empire, comme le concile d’Arles de 314, qui accueille des évêques de Gaule, d’Espagne, d’Afrique, de Bretagne et de Dalmatie. La convocation au concile émane en général du métropolitain, qui profite d’une prééminence au delà des frontières de sa province. C’est le cas de l’évêque de Carthage qui profite de cette primauté depuis l’épiscopat de Saint Cyprien. Cette prééminence, ou primatie permet donc de réunir des conciles régionaux. Le concile d’Arles présente une autre particularité : il a été assemblé par Constantin, comme le concile de Nicée. La présidence est assurée par celui qui convoque, et la présidence du concile est donc assurée soit par le métropolitain, soit par le primat, soit par l’empereur. La notoriété de celui qui réside fait de lui le directeur du débat, et les règles édictées font autorité dans les provinces des participants. Parfois, les règles édictées par les conciles s’imposent à plus grande échelle, et les canons des conciles ont ainsi une autorité plus forte quand ceux-ci sont assemblés par l’Empereur. Ce dernier peut décider de généraliser les canons adoptés dans toutes les provinces, et pour être sur que ces canons seront appliqués, les empereurs menacent les contrevenants de sanctions séculières. Ces interventions impériales sont rares, quand les canons sont particulièrement importants, comme ceux du concile de Nicée, qui seront imposés par Constantin à tout l’empire. Théodose Ier, le 30 juillet 381 va donner suite aux canons du concile de Constantinople pour structurer l’Eglise qu’il venait juste de nommer Eglise officielle de l’Empire. Théodose Ier intervient à la demande des pairs et des évêques pour assurer le suivi des canons adoptés par le concile et il intervient en prescrivant de réserver les Eglises chrétiennes au évêques qui se sont ralliés aux canons du concile de Constantinople. Ces conciles sont importants car ils se soucient aussi énormément de la discipline des clercs. Les canons s’occupent aussi des questions sociétales qui concernent les laïcs. Les canons des conciles abordent des matières variées comme le patrimoine de l’Eglise, ou la vie économique et familiale.

C’est le cas du concile d’Elvire qui a adopté 20 canons sur la question du mariage qui devient au IVème et Vème siècle une préoccupation pour l’Eglise chrétienne. Les conciles de l’Empire chrétien se caractérisent donc par une diversité des centres d’intérêts, ce qui caractérisera aussi les conciles et la Gaule franque.

3- Les conciles et synodes de la Gaule franque.

Au VIème et VIIème siècle, l’empire d’occident à disparu, les royaumes germaniques ont pris sa place et se sont établis sur le territoire de l’ancien empire d’occident. Les vandales sont en Afrique du Nord, les francs en Gaule et les ostrogoths et les lombards sont en Italie. Dans le cadre de ces royaumes barbares, l’activité conciliaire se poursuit. Cependant, en Afrique du Nord, l’activité conciliaire cesse car à l’origine, les vandales persécutent les évêques de l’ancienne province d’Afrique proconsulaire, étant adeptes de l’hérésie arienne. Les conquêtes de Justinien sont éphémères, et dès lors, l’activité conciliaire en Afrique n’arrivera pas à se relever. L’activité conciliaire se maintient surtout en Espagne et en Gaule franque. On remarque qu’à cette époque, un vie intellectuelle féconde est stimulée par le développement du monachisme. Clovis stimule le christianisme en se convertissant en 496 au christianisme nicéen. Il favorise la clergé gallo-romain et ne s’oppose pas à la tenue de concile d’évêques qui se réunissent souvent pour répondre aux besoin de la population du regnum francorum.

On compte 55 conciles pour l’ensemble de la période mérovingienne, mais ces réunions ne concernent qu’un nombre modeste de participants, du fait de la grande instabilité politique du royaume. Lors des périodes d’unité du regnum francorum, les conciles régionaux sont plus nombreux, sois les règnes de Clotaire II et Dagobert Ier. Ces conciles parviennent à assembler des évêques de tout le royaume, comme dans le concile de Maçon II en 585, qui compte 66 évêques ou le concile de Clichy de 626 qui compte 42 évêques. Ces conciles régionaux du royaume mérovingien ne sont pas nombreux, seulement environ une douzaine, le reste étant composé de concile provinciaux. L’évêque assemble aussi dans son diocèse des synodes diocésains, composés du clergé du diocèse. Ces synodes soulignent l’importance de la mission pastorale et disciplinaire de l’évêque, et la difficulté de concevoir des assemblées de grande dimension. La vie des communautés se règle donc autour de l’évêque et de son synode. En Gaule franque, les conciles sont souvent réunis par les rois, pour les mêmes raisons que sous l’empire romain. Clovis réunit le premier grand concile de l’Eglise mérovingienne à Orléans en 511. En réunissant le concile, Clovis montre bien toute l’importance que revêt pour lui et sa dynastie le clergé de la Gaule franque. Après Clovis, ses fils et ses descendants vont se montrer soucieux de cette législation conciliaire qui est structurante pour le royaume. Dans les conciles mérovingiens, on commence à voir apparaitre un statut juridique pour le clergé, qui à force de se répéter, s’enracine dans les institutions de l’Eglise. Apparaissent aussi des règles de rapport entre les princes et l’Eglise en matière de désignation des évêques pour canaliser cette désignation.

A cette époque, l’Eglise chrétienne est structurée, elle suit une hiérarchie, qui devient une question essentielle. Les conciles mérovingiens insistent sur le fait que l’évêque est le chef de la communauté, même s’il reste placé sous l’autorité du métropolitain. En Gaule mérovingienne, c’est indispensable car le comte est incapable de gérer son pagus. L’évêque devient de façon tacite représentant de l’autorité du roi. On le constate dans les canons, car dans presque tous les conciles, l’évêque est présenté comme un administrateur bien plus que comme un guide spirituel. Il doit s’occuper du patrimoine ecclésiastique, de canaliser l’essor du monachisme, de veiller sur les abbayes, et dialoguer avec les princes. Il est présenté comme l’intermédiaire entre le peuple et le roi. En ces temps délicats, on constate une faiblesse relative du pouvoir royal, et ainsi, le concile est aussi l’occasion de combler les lacunes du pouvoir royal. Le roi mérovingien légifère peu, or les populations ont des besoins. On trouve donc des canons qui s’occupent de régler la vie sociale des populations, comme ceux qui insiste sur le droit d’asile, qui précise les contours de l’institution maritale, ils luttent contre les unions incestueuses. Seulement, le pape est loin et son autorité peine à s’imposer jusqu’en Gaule, ce qui fait que les dispositions conciliaires peinent à s’imposer.

On constate ainsi, que les évêques reprennent les mêmes prescriptions d’un concile à l’autre, ce qui est une conséquence directe d’une mauvaise observation. C’est ce qui explique peut être l’élévation de l’activité conciliaire à l’époque carolingienne. On compte 220 conciles pour l’époque carolingienne. Le fait qu’il soit difficile d’imposer la législation conciliaire n’explique pas tout, si les conciles sont plus nombreux sous l’époque carolingienne, c’est pour une raison institutionnelle. A partir du sacre de Pépin en 751, s’impose la théocratie royale carolingienne qui aboutit à une réforme très intense. En effet, il nécessaire d’adapter la Gaule à la théocratie carolingienne, et de matérialiser l’alliance entre l’Autel et le trône. Charlemagne se distingue car se tiennent très peu de conciles sous son règne. Il préfère d’autres formules caractéristiques de sa manière de gouverner. Il réunit l’assemblée d’Aix la Chapelle en 802. Dans ce plaid, il réunit des évêques, des abbés, des laïcs, des comtes, des chefs de guerre ou des responsables administratifs. Il se soucie peu des conciles et tient des plaides car Charlemagne gouverne selon un principe : le césaropapisme. Ce principe veut que Charlemagne soit le chef de l’Eglise chrétienne. C’est quasiment un roi prêtre, il gouverne une théocratie, qui selon Charlemagne est une théocratie royale et à ce titre, il a autorité sur les clercs et les laïcs. Le nombre important de concile sous l’époque carolingienne s’explique aussi par le fait qu’à cette époque, la papauté est toujours sous influence, et le droit de l’Eglise se complète depuis le Vème siècle, grâce à la législation des instances juridictionnelles, notamment grâce à la législation pontificale.

  • C) Les législations des instances juridictionnelles et les pénitentiels.

L’empereur Constantin est le premier qui accorde aux évêques la faculté de juger, peu après les conférences de Milan. Cette faculté de juger est étendue car Constantin l’accorde aux clercs et aux laïcs. L’évêque est par conséquent capable de dire le droit. Après la paix constantinienne, les instances ne vont pas se contenter d’interpréter le droit, elles vont se servir de ce pouvoir de juridiction pour créer la droit. Ces instances, c’est à dire le pape et les évêques, vont se manifester pour interpréter mais aussi pour compléter la législation conciliaire. Dans le silence des textes, aussi bien conciliaires que ceux issus des instances juridictionnelles, les laïcs pourront trouver des réponses à leurs questions en puisant dans d’autres sources : en consultant les pénitentiels qui sont une source annexe.

1- Décrétales des papes.

Parmi les évêques, celui de Rome est particulier, c’est un patriarche et un guide, il occupe donc un rang privilégié et devient rapidement un recours technique en cas de difficultés. Dans l’Eglise qui s’organise au IVème siècle, des questions d’interprétation des canons se posent souvent. L’évêque de Rome est capable de fournir ces réponses et on l’appelle dorénavant « le Pape ». Ces réponses fournies auprès de toute la chrétienté, finissent par obtenir autorité. Les papes utilisent pour cela les mécanismes de droit public romain. Les lettres papales vont s’inspirer alors du rescrit impérial et comme elles, le rescrit en son temps, crée la norme. C’est au Vème siècle que la législation pontificale prend son essor.

  • a) La lettre et le rescrit.

Au temps de Constantin, l’empereur romain donne encore des rescrits mais au Bas empire la production de ces rescrits est plus encadrée. Par ses réponses écrites, l’empereur donne une réponse en droit à une question posée par un fonctionnaire, un juge ou encore par un simple particulier. Le destinataire de la réponse se doit d’appliquer la réponse impériale au cas concret qui a motivé le rescrit. Seulement l’empereur est titulaire de l’auctoritas qui a une vertu qui lui est propre : elle va conférer une valeur générale à la règle posée dans le cadre de la réponse impériale, effectuée dans un cas concret précis. Cette technique législative propre aux empereurs romains, va inspirer la manière de concevoir la règle ecclésiastique, surtout après la paix constantinienne. Le pape devient en effet, peu à peu l’autorité suprême de l’Eglise et répond à des questions posées par des instances locales (évêques). La réponse papale ne résout pas dans le détail, la question soulevée.

Elle se contente de rappeler la règle et c’est à l’instance locale d’en prendre connaissance et de l’appliquer au cas concret. En principe, la règle du pape ne concerne que l’auteur de la demande. Cependant, à l’inspiration du modèle impérial, le pape titulaire aussi de l’auctoritas, va donner valeur générale à la règle qu’il a incluse dans sa lettre de réponse. Les lettres pontificales représentent alors, surtout en Occident, la forme d’exercice du pouvoir normatif du pape. On parle alors «d’epistola decretalis» pour désigner la lettre pontificale envisagée en tant que décision qui fixe le droit dans la lettre de deux manières possibles : soit en confirmant une disposition antérieure, soit en posant une norme nouvelle ecclésiastique. Dans le domaine de la sémantique juridique, on appelle aussi la lettre papale : « constitution », « auctoritas » ou encore « rescriptum ». Au Moyen Age, les canonistes utiliseront un nouveau mot : « la décrétale » qui peut ainsi correspondre à une définition particulière. C’est la réponse donnée par le pape à une question qui lui a été posée par une personne privée ou par une instance ecclésiastique.

  • b) De Damase à Grégoire le grand.

Selon St Jérôme, le premier pape qui a répondu à des questions et rendu des rescrits en faisant valoir son auctoritas serait Damase qui a occupé le siège de Pierre de 366 à 384. Il a profité de l’œuvre du pape antérieur Jules Ier, mort en 357, notamment par les réformes qu’il avait entreprises : il a organisé le service de la chancellerie pontificale qui fonctionne donc encore après sa mort. Grâce à cette chancellerie la papauté peut conserver et archiver les textes. Et à partir de Jules Ier, les papes peuvent se référer aux décisions de leurs prédécesseurs. Jules Ier a aussi été le premier à affirmer l’idée de la primauté de Rome dans les affaires d’Eglise. Il a contribué à conférer un statut nouveau au pape. En fait il prépare le développement du pouvoir législatif pontifical. Damase récupère tout cet héritage mais on n’a pas retrouvé de textes rédigés par lui. La plus ancienne décrétale connue serait donc écrite par le pape Sirice qui occupe le siège de Pierre de 384 à 399. Il a envoyé une lettre en 385 à l’évêque Himère de Tarragone. Damase et Sirice se soucient dans leur réponse des rites du baptême, de la condition d’accès aux ordres majeurs et la continence conjugale des clercs admis aux ordres majeurs (en devenant prêtre, on doit arrêter toute activité conjugale). Les décrétales ne cessent d’augmenter et vont de plus en plus, au-delà de la question posée par un évêque, poser des règles générales auprès des évêques de provinces ecclésiastiques entières. Le pontificat de Gélase crée tellement de décrétales que c’est lui qui va fonder l’affirmation du pouvoir législatif du pape. On a retrouvé pas moins de 80 passages des décrétales de Gélase dans le Décret de Gratien. Ensuite, la personnalité politique moins remarquable des papes va entrainer un déclin de l’activité législative des papes. Rome va se trouver en situation délicate car elle tient des relations tendues avec l’empereur d’Orient qui veut s’imposer en Italie.

La papauté va se redresser sous le pontificat illustre de Grégoire le Grand de 590 à 604. Celui-ci a produit au moins 850 actes selon le registre de ses lettres. Les clercs romains sous son pontificat se sont attelés à la tâche et ont recopiés les lettres de Grégoire le Grand pour en faire des recueils annuels. Ces recueils sont aujourd’hui perdus mais ont été reconstitués partiellement aux XIXème et XXème siècle. Grégoire le Grand est intervenu en matière administrative, en matière disciplinaire et ses décrétales ont inspiré les instances canoniques après lui. Il connaissait très bien le droit romain et a su s’en inspirer pour mettre en œuvre ses décrétales. Il a aussi rédigé d’autres ouvrages : des œuvres de morale destinées aux moines, ce sont des commentaires de la Bible, le plus célèbre étant Moralia, un commentaire du livre de Jobbe. Le VIIème siècle est un siècle de déclin pour la législation pontificale. A l’époque carolingienne, l’Eglise va subir les conséquences de la théocratie royale : les clercs sont nombreux dans l’entourage du roi, regroupés dans la Chapelle : une institution de conseils dirigée par l’archichapelain. Ces clercs ont tendance à éclipser l’autorité du pape qui n’est plus que lointaine. Au VIIIème siècle, la législation ecclésiastique s’accomplit plus volontiers à partir du palais carolingien. Il est alors temps d’organiser la législation ecclésiastique. Les temps carolingiens sont les temps des collections canoniques, plutôt que le temps de la décrétale du pape.

La discipline ecclésiastique procède donc surtout de l’empereur qui s’occupe de la législation ecclésiastique. L’époque franque se caractérise aussi par l’activité normative des évêques de l’Occident.

2- Les statuts épiscopaux.

Pendant les temps carolingiens en Gaule franque, les institutions publiques sont animées par le principe de la théocratie, c’est à dire résumées par l’institution du sacre, le carolingien est roi par la volonté de Dieu. Son gouvernement doit donc accomplir la mission que Dieu lui assigne. Par le sacre, la cité des hommes doit être gouvernée par Dieu et doit nécessairement faire une place importante aux représentants de Dieu sur terre. Par conséquent, le pouvoir du clerc et le pouvoir royal doivent agir en une union étroite. Le pape est en théorie au moins égal au roi : à ce niveau, le carolingien parvient à s’imposer face au pape, il oriente la théocratie à son avantage. A compter de l’an 800 dans l’Empire chrétien, des instances sacerdotales vont s’imposer : ce sont les églises locales. Elles ne dominent pas l’empereur mais soutiennent la hiérarchie carolingienne. Les églises épiscopales sont les vrais centres politiques et économiques du royaume des Francs. Les carolingiens vont faire de l’évêque, l’équivalent spirituel du comte qui au temporel, est censé diriger le pagus. Sur le plan administratif, l’évêque s’impose car il est souvent plus compétent que le comte. L’évêque toujours plus important, agit dans un cadre déterminé et est en charge du diocèse. Il s’entoure d’un conseil : le Chapitre composés de chanoines qui aident l’évêque à accomplir son pouvoir d’ordre et de juridiction. Aucun souverain carolingien de remet en cause la juridiction épiscopale qui se développe et se transforme : elle devient synodale. L’évêque effectue dorénavant des visites synodales dans les églises locales pour rendre sa juridiction. A Pacques et en octobre, il réunit les principaux prêtres de son diocèse dans un synode diocésain, ils acquièrent alors une certaine solennité. Cette expérience judiciaire des synodes diocésains permet à l’évêque de dire mais surtout de créer le droit. L’évêque édicte seul la norme, et est le seul à pouvoir l’interpréter. Sur cette période, les évêques deviennent donc des législateurs réguliers, contrairement au pape. L’évêque doit tout de même respecter les normes, ne peut pas aller à l’encontre des canons antérieurs et ne peut pas non plus contester le contenu des décrétales antérieures. Ainsi donc les évêques vont mettre sur place, des statuts épiscopaux. Il y a ceux de Théodulfe d’Orléans et ceux d’Hincmar de Reims (IXème siècle).

Sur ces périodes de la royauté franque, la règle est donc dominée par un certain particularisme. Parfois même, ce particularisme va faire que la règle échappe à toute législation, qu’elle soit collégiale, juridictionnelle, elle s’impose au-delà et devient une pénitentielle. Les celtes des îles britanniques ont développé des pratiques particulières pour l’exercice de leur foi chrétienne. Pour contraindre le fidèle du Christ à respecter la religion, ils ont mis en place la pénitence tarifée : tout chrétien qui commet une faute, doit la racheter en effectuant une pénitence qui dépend de la gravité de la faute commise. Cette coutume religieuse correspond à une vision de la faute non perçue dans l’Occident chrétien, elle est caractéristique de certaines mentalités, non propres aux communautés religieuses, elles sont caractéristiques aux mentalités du Haut Moyen Age. Au plan séculier, on retrouve cette perception de la faute dans les coutumes germaniques qui imposent par la compensation pécuniaire, de payer à la victime de l’infraction, le prix du sang, c’est le wiergeld. Les règles canoniques ont fait des emprunts multiples : au droit public romain mais aussi en référence à des pratiques judiciaires provenant de la coutume germanique. Les clercs irlandais entreprennent de la recenser, ils vont rédiger des pénitentielles qui sont donc des écrits qui peuvent se résumer à quelques feuillets : on assortie les péchés à une pénitence qui lui correspond. Un pénitentiel présente donc au sens chrétien et canonique du terme comme des canons. La pénitence peut consister à effectuer un jeûne qui dure plus ou moins longtemps selon la faute commise. Les listes des pénitentiels sont toujours désordonnées mais très précieuses car par leur contenu, elles posent indirectement des règles qui nous renseignent précisément sur les mentalités d’une époque.

Les pénitentiels renseignent aussi des relations sociales, familiales, économiques, pas seulement religieuses. Tous les pénitentiels dénoncent les pratiques magiques et les superstitions, mais aussi des déviations sexuelles. Quelques pénitentiels importants : le Pénitentiel irlandais de Vinnian, le Pénitentiel de Colombin de 572 (voir au Moyen Age, la règle de St Colombin qui va permettre la fondation de nombreuses abbayes). Ce pénitentiel, dans sa version définitive, s’adresse autant aux clercs, qu’aux laïcs. Il y a aussi le Pénitentiel de Cumméan (662) qui se distingue par sa méthode de rédaction et d’élaboration, il est rédigé par un évêque. Il répartit les péchés par matière, ce qui rend le pénitentiel plus facile d’utilisation (la fornication y fait l’objet de 33 canons, c’est un pénitentiel diffusé largement, aussi bien aux clercs qu’aux laïcs), le Pénitentiel de Théodore de la fin du VIIème siècle (auteur inconnu, il semble qu’il était originaire du continent).

La période d’apogée du pénitentiel se situe sous l’Empire carolingien. Ensuite, ils seront toujours utilisés jusqu’au cœur du XIème siècle. Il décline à partir du XIIème siècle et ses recueils vont tomber dans l’oubli. En effet, à cette époque, la faute se définit beaucoup moins par rapport à la pénitence qu’elle accompagne, mais beaucoup plus au pardon qui doit nécessairement suivre la faute. Il décline aussi à cause de l’activité des canonistes qui vont par leurs écrits, travailler la règle canonique de façon nouvelle. Dorénavant, la règle canonique est édictée par le Décret de Gratien qui est une œuvre majeure qui s’est inspirée des sources antérieures du droit de l’Eglise. Il s’appuie sur les canons des conciles, sur les décrétales du pape et recourt aux collections canoniques qui ont permis précisément de transmettre au-delà des siècles, canons et décrétales.