DROIT COMPARÉ : FONCTION MÉTHODE, HISTOIRE

Selon Saleilles au Congère de 1900, le droit comparé est « une méthode auxiliaire de la critique législative, méthode qui consiste à apprécier et juger la loi nationale en la comparant aux lois similaires ou aux institutions analogues des autres pays ». Un peu plus loin, il écrit que le droit comparé lui apparaît comme une science « qui se constitue à l’état indépendant, avec son objet propre, ses lois et ses méthodes ». Il précise enfin que le droit comparé est une « science principale indépendante » dont le but est l’étude, le rapprochement des législation et la « mise au point d’un ou plusieurs types juridiques résultant de cette critique comparative et destinée à servir d’objectif à l’orientation progressive des législations particulières ».


1) Pourquoi comparer ?

– Fonction instrumentale : pour légitimer une position, soutenir une réforme


Deux sortes d’exemples :
1) La comparaison a été utilisée dans un sens apologétique. Au XVe siècle, John Fortescue écrit The governance of England pour opposer deux types de gouvernement :
– le gouvernement politique : on gouverne avec l’assentiment du peuple (Chambre des Communes). Cette gouvernance sous-tend des accords, des rapports complexes.
– le gouvernement tyrannique (le mode de gouvernement du roi de France)
2) Albert V. Dicey, dans An introduction to the study of the law of the constitution, étudie les droits français et anglais et les oppose.

Montesquieu (admirateur de la Constitution anglaise) publie en 1748 De l’esprit des lois, et livre la description de sa Constitution idéale. Dans le livre XI, Des lois qui forment la liberté politique dans son rapport avec la constitution, chapitre VI, De la constitution d’Angleterre. Montesquieu décrit un régime fondé sur la séparation des pouvoirs qu’il compara à la Turquie, à Venise, à la Hollande et dit que ce régime peut conserver la liberté politique mais il ne cite aucun élément anglais.

Il suffirait aujourd’hui de lire des essais, des déclarations politiques, pour s’apercevoir que très souvent ces références ne sont ni complètes ni exactes.

La comparaison comme instrument pour légitimer une proposition est courant. Cela peut viser à éclairer un processus réel de réforme.
Exemple : l’institution suédoise de l’ombudsman remonte à la Constitution suédoise de 1809. C’est une autorité désignée par le Parlement pour contrôler l’action royale. Il peut être saisi de plainte de manière non formalisée. Cette absence de formalisme explique qu’aujourd’hui sur 193 Etats, peu ne l’ont pas adopter sous une forme ou sous une autre.

Autrefois, la comparaison était utilisée dans le sens d’accélération de la modernisation d’un pays. Les gouvernants cherchaient les institutions dans le Monde celle dont la transposition pourrait leur être utile.
Exemple : La République turque a introduit le Code civil suisse dans les années 1920 car on pensait que c’était le Code le plus moderne. Le Japon a emprunté le Code civil français.

Ces transplantations marchent plus ou moins bien (Turquie). Mais dans certains pays, cela a pu aboutir à des résultats très négatifs : il y un droit officiel qu’on fait semblant d’appliquer et un droit appliqué réellement.



– Fonction expérimentale

Dans le domaine du Droit et des institutions, il n’est pas facile d’expérimenter (même si on l’a inscrit dans la Constitution). C’est la raison pour laquelle l’Histoire ou la comparaison ont été utilisés comme substitut à l’expérimentation.

Cette démarche était celle de Tocqueville lorsqu’il s’est embarqué pour les Etats-Unis : il devait y examiner les établissements pénitentiaires. Quand il revient en 1835, il publie De la démocratie en Amérique. Dans son premier volume, il s’inspire de l’œuvre de Montesquieu et répertorie les lois, les mœurs et la géographie qui font la particularité des États-Unis. Puis dans le second, il détache une sorte « d’idéal-type » qui lui permet de comparer le fonctionnement américain avec ce qui se passe dans la société et la vie politique françaises.

Il est parti d’un constat : l’inexorable égalisation des conditions qu’il a vu se développer en Europe appelle selon lui une plus grande liberté politique. La démocratie doit donc remplacer la monarchie. Mais un problème demeure : l’égalité des conditions est-elle compatible avec l’exercice de la liberté ? Cette comparaison avec la société américaine permet à Tocqueville de révéler la tension qui se joue entre l’égalité et la liberté et d’avertir ses contemporains des dangers qui guettent la démocratie.

Pour Tocqueville, il ne s’agit pas de transposer aux institutions. Il s’agit d’apprendre et de comprendre : « Ne tournons pas nos regards vers l’Amérique pour copier servilement les institutions qu’elle s’est donné mais pour mieux comprendre celles qui nous conviennent. »
Si la comparaison est utile, c’est parce qu’au travers de la comparaison, nous sommes amenés à voir les aspects de notre système que nous ne voyons pas parce que nous sommes à l’intérieur.

La comparaison permet de dégager le savoir juridique des particularismes propres au contexte dans lequel chaque système juridique s’est formé.


2. Questions de méthode

Les lois des sciences de la nature sont les mêmes en Chine ou en Europe.

En revanche, on fait des comparaisons dans le domaine du Droit, des institutions, de la politique. On voit ainsi que dans notre domaine, le savoir n’est pas universel. La comparaison permet de faire apparaître des principes universels mais ils n’apparaissent pas sans elle.

Il en est ainsi car le Droit n’existe que dans des systèmes juridiques singuliers qui peuvent être observés dans des pays déterminés. Il est difficile de dégager le concept de ses manifestations observables d’autant plus que dans chaque pays on a naturellement tendance à considérer comme naturel et évident ce que l’on a à pratiquer de manière courante et habituelle.

Ceci appelle une remarque sur les institutions. La comparaison du Droit et la comparaison des institutions relève-t-elle de la même démarche ou y a-t-il des différences ?

Il y a deux façons d’envisager le Droit :
– Soit comme un système de normes que l’on étudie dans sa dogmatique. Selon cette approche, tout système se définit par une logique de concepts qui donne aux règles juridiques une certaine autonomie par rapport aux institutions, aux usages et aux enjeux socio-politiques. Dans ce cas, il est évident que la comparaison en Droit et celle en sciences politiques diffèrent. En sciences politiques, on doit prendre des facteurs exogènes (état de la société, Histoire etc.).
– Soit, on considère que le Droit ne peut être compris sans prendre en considération son Histoire, les circonstances dans lesquelles certaines normes, certaines institutions se sont imposées. Dans ce cas, la comparaison en Droit se rapproche de la comparaison en science politique.

En réalité, la définition de Droit comme simple système de concept rend impossible la comparaison et entretient l’idée d’une certaine naturalisation du Droit (fixation du Droit sur lui-même). La comparaison implique de prendre en considération les normes et des données historiques. Beaucoup d’institutions ne peuvent être éclairés qu’en recherchant leurs origines.

A partir du moment où on admet que la comparaison suppose de prendre en compte l’ « écologie » d’un système alors ce qu’apporte la comparaison c’est le « contrôle ». Quand on compare, on est en mesure de vérifier si les généralisations auxquelles on procède tiennent la route. C’est un outil critique, indispensable, si le Droit veut accéder à la qualité de discipline scientifique.


3. La comparaison dans l’étude du droit et des institutions : mise en perspective historique

Le Droit comparé est apparu comme une discipline savante au début du XXe siècle.

L’expression-même soulève une question. Elle entre en conflit avec la notion-même de Droit. Le Droit comparé ne s’applique à rien. C’est en fait la comparaison des droits.

Néanmoins, l’expression n’est pas venue par hasard. L’expression surgit en 1900 lors du Premier Congrès Mondial de Droit Comparé qui se tient à Paris. Le Droit comparé s’est développé dans un ensemble culturel et politique extrêmement restreint (Europe, Amérique du Nord, un peu Amérique du Sud). Il paraît improbable de comparer avec d’autres systèmes car on pensait que le Droit était étroitement lié au religieux (civilisation chrétienne occidentale). Il est né d’un regret et d’un effort de reconstruction d’une unité perdue.

Dans son ouvrage Histoire du Droit privée européen, Helmut Coing explique que pendant des siècles, la science du Droit s’était confondu avec l’étude du Droit romain et du Droit canon : c’était le Droit commun, le jus commune. Le Droit romain a contribué à la formation des juristes de toute l’Europe sauf ceux d’Angleterre. Il y avait donc une culture juridique commune d’autant plus qu’il était basé sur une langue commune : le latin.

A partir du XVe, mais d’avantage au XVIIIe siècle, ce jus comune recule pour deux raisons.
– D’une part, la doctrine du Droit romain est concurrencée par celle du Droit naturel.
– D’autre part, les Etats commencent à se former. Ils commencent à intervenir sur le Droit. Commence alors un processus de nationalisation du Droit : c’est le jus patrium.

Cette évolution se cristallise en Europe vers le milieu du XIXe siècle au moment de la Révolution industrielle et au début de ce que l’on appelle la mondialisation. Ces différents droits nationaux se séparent au moment où il y a d’avantage d’intérêt que les règles soient communes : Convention de Bern de 1914 sur les droits d’auteurs etc.

C’est dans ce contexte que beaucoup de juristes se fixent pour objet d’œuvrer à la reconstruction d’un Droit commun qui leur paraît plus qu’indispensable. Le Congrès Mondial de Droit Comparé de Paris de 1900, réuni par Raymond Saleilles et Edouard Lambert, a l’ambition d’œuvrer à cette reconstruction.

Le Droit comparé a toutefois deux limites :
– c’est le Droit commun des nations dites civilisées
– on n’envisage que le Droit civil, commercial or il y a l’émergence d’une autre forme du jus patrium : les Etats se dotent d’une Constitution, d’une administration. Cette nouvelle forme est absente des réflexions des fondateurs du Droit comparé même s’ils s’y intéressaient de par ailleurs.
Exemple :
Sous la Monarchie de Juillet, on a envoyé plusieurs missions en Bavière et dans le Wurtemberg pour étudier comment la fonction publique était organisée. A l’issue de la guerre de 1870, les trois départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle sont rattachés à l’Empire allemand. Strasbourg a une université de Droit allemande où Otto Mayer a enseigné. Il a étudié le Droit français qu’il jugeait plus libéral. Son premier livre de 1886 s’appelle Théorie du Droit administratif français. Il faut attendre 10 ans pour qu’il publie Droit administratif allemand. Dans cet ouvrage, il s’inspire des catégories du Droit administratif français et jusqu’à aujourd’hui, le Droit administratif allemand a conservé une notion étroite à l’acte administratif français.
L’Italie a été un pays de concurrence entre les juristes français et les juristes allemand et autrichien. Cette époque a donné lieu à des échanges importants entre les auteurs de cette époque (il suffit d’ouvrir un ouvrage de Duguit pour voir qu’il cite des auteurs allemands).

L’Histoire a connu des hauts et des bas dans ce domaine. Le contraste entre les années de 1920 et 1950 est saisissant. Les références entre auteurs dans les ouvrages en 1920 sont fréquentes. En temps de guerre, ce n’est plus le cas : c’est comme si chaque doctrine se repliait sur elle-même.

Aujourd’hui, lorsque la Cour de Justice rend une décision, elle compare car elle doit trouver une solution acceptable dans les systèmes des Etats membres. Il en va de même pour la Cour Européenne des Droits de l’Homme. Idem pour l’élaboration des règles de Droit européennes.

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, le développement du Droit de l’union européenne ne conduit pas vraiment à une uniformisation. D’abord parce qu’il ne couvre pas tous les domaines. Ensuite et surtout, parce que, lorsqu’il est appliqué, il l’est souvent à la lumière du contexte juridique local. On ne peut pas se satisfaire de Droit de l’Union pour connaître le Droit applicable dans tous les pays membres.
En outre, si on consulte différentes versions linguistes, on peut être assez étonné. Par exemple, dans les directives concernant l’énergie, il est prévu que les Etats mettent en place des « autorités de régulation » alors que dans les directives concernent les communications électroniques, il est prévu que les Etats mettent en place des « autorités de réglementation ». Dans la version anglaise, il est question d’une seule expression « national regularity authorities ».


– Les méthodes en Droit comparé

Deux approches :
– l’approche universaliste : celle de Saleilles et Lambert (Congrès Mondial de Droit Comparé de Paris de 1900), elle est aussi illustrée par les auteurs du Traité de Droit comparé parue en 1950.
– l’approche anthropologique, dans le prolongement de Montesquieu.

Chez Montesquieu, on trouve la méthode comparative moderne.
« La loi, en général, est la raison humaine, en tant qu’elle gouverne tous les peuples de la terre ; et les lois politiques et civiles de chaque nation ne doivent être que les cas particuliers où s’applique cette raison humaine.
Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles sont faites, que c’est un très grand hasard si celles d’une nation peuvent convenir à une autre.
Il faut qu’elles se rapportent à la nature et au principe du gouvernement qui est établi, ou qu’on veut établir ; soit qu’elles le forment, comme font les lois politiques ; soit qu’elles le maintiennent, comme font les lois civiles.
Elles doivent être relatives au physique du pays ; au climat glacé, brûlant ou tempéré ; à la qualité du terrain, à sa situation, à sa grandeur ; au genre de vie des peuples, laboureurs, chasseurs ou pasteurs ; elles doivent se rapporter au degré de liberté que la constitution peut souffrir ; à la religion des habitants, à leurs inclinations, à leurs richesses, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manières. Enfin elles ont des rapports entre elles ; elles en ont avec leur origine, avec l’objet du législateur, avec l’ordre des choses sur lesquelles elles sont établies. C’est dans toutes ces vues qu’il faut les considérer.
C’est ce que j’entreprends de faire dans cet ouvrage. J’examinerai tous ces rapports : ils forment tous ensemble ce que l’on appelle l’Esprit des lois. »

Montesquieu a conscience du fait que les lois ont des rapports entre elles avec leur origine. On ne peut pas comprendre une loi de manière isolée. C’est l’Esprit des lois. Montesquieu met à jour certains des problèmes permanents du contenu de la méthode. Il faut aller au delà des apparences lorsque l’on compare.

Montesquieu écrit au début de la formation des droits nationaux, du jus patrium mais l’ambition universaliste des comparatistes de la fin du XIXe siècle a fait quelque peu oublier les enseignements de Montesquieu.

Arapajon (?) distingue système juridique (oublié par Montesquieu) et Etat : « ensemble de personnes unies par qui ordonne soit tous les éléments soit au moins les principaux éléments de leur vie sociale et souvent aussi par des institutions juridictionnelles et administratives communes. » Elles doivent être suffisamment complètes pour que les hommes auxquelles elles s’appliquent soient reliés entre eux par une communauté de Droit.

Deux observations :
– la part du Droit pour régler leur vie sociale peut varier considérablement d’un Droit à l’autre. Il y a des sociétés qui fonctionnent moins au Droit, d’autre plus.
– une société se définit aussi par la communauté de Droit qui lie entre eux les membres de cette communauté. La communauté de Droit européenne ne fait pas disparaître les Droits nationaux : cela lie les membres de la société.

Les auteurs relèvent que les systèmes juridiques peuvent être plus nombreux que les Etats (ex : l’article 79 de la Constitution prévoit la possibilité d’adopter une loi de statut personnelle ; au Royaume-Uni le Droit d’Ecosse a des particularités notables par rapport au Droit anglais notamment en matière de propriété (Ecosse a une conception romaine, l’Angleterre de Common Law)).

« La diversité résulte surtout d’évènements accidentels, historiques. Elle n’est ni fatale ni inévitable. Les faits démontent les allégations de Montesquieu. » Les auteurs prennent pour exemple l’évolution des lois dans les pays faisant partie de l’Empire colonial français ou britannique pour faire valoir que la législation appliquée au Maroc ou en Inde est plus avancée que celle que l’on applique sur le territoire de la puissance dominante. Ce qui compte c’est la législation non le degré de civilisation, et que par la raison on peut produire des droits modernes.


– La pratique de la comparaison

Elle comporte de nombreuses difficultés :
– la première est d’ordre linguistique. En économie, les notions sont la plupart anglaises. Les juristes n’ont pas cette chance : ils doivent lire dans la langue d’origine car la traduction dénature. Derrière des mots, il y a des concepts propres à un système.
– la deuxième consiste en une acculturation et une imprégnation du système juridique étranger. Il faut toujours, en effet, être attentif aux équivalents fonctionnels, aux effets de système, à l’histoire des institutions juridiques.


4. Champ de la comparaison : le choix d’une comparaison thématique fondée sur des cas exemplaires

Deux possibilités :
– prendre un certain nombre de pays et comparer de manière systématique (France, Allemagne, Espagne, Italie, Etats-Unis etc.)
– choisir des sujets et voir quels sont les pays pour lesquels il y a des solutions intéressantes à étudier.


5. Les variables prises en compte dans la comparaison : leur influence sur les institutions varie selon les thèmes et les pays

5.1 La dimension historique : la formation de l’Etat et les représentants de l’Etat

Le Droit administratif est absolument solidaire de la formation de l’Etat (jus patrium). Certains évoquent toutefois l’existence d’un Droit administratif sans Etat.
La part de l’Histoire a été bien démontré dans les écrits de Max Weber La vocation d’homme politique : « Toute entreprise de domination qui réclame une continuité administrative a besoin d’un état major administratif et d’autre part de moyens de gestion administrative ».
Il faut aussi tenir compte que les institutions qui se perpétuent peuvent changer de sens et de portée avec l’évolution de l’Etat (ex : Conseil d’Etat napoléonien n’était pas vraiment une institution inspirée par un esprit démocratique. C’est pourtant de cette institution qu’est sortie la justice administrative. A partir de la IIIe République, il détient la plénitude de juridiction bien qu’il ait conservé sa compétence consultative pour le gouvernement).
Enfin, il faut prêter attention aux conceptualisations du Droit qui sont liés à la formation de l’Etat et donc à des idéologies politiques. Les différences de conceptualisations peuvent néanmoins masquer des réalités très semblables (ex : au Royaume-Uni, lorsqu’on parle du Droit administratif, on ne parle jamais d’Etat (state est simplement utilisé en Droit international). En Droit interne, on parle de la couronne qui est titulaire de prérogatives qui sont au Parlement ou au gouvernement. On ne devrait pas en déduire qu’il existe des différences complètement radicales avec le Droit français. Au contraire, si on regarde ce qu’on entend par acte d’administratif dans la jurisprudence française et quelles conséquences s’y attachent, on remarque que les notions sont très proches).
Par la comparaison, on peut définir des notions pour comprendre, lire et interpréter des systèmes juridiques différents.


5.2 Le régime politique et le système des partis

Une fois reconnu cette évidence, il est difficile de caractériser l’influence de ces parties sur les institutions et leur fonctionnement. Au delà des hypothèses simple de parti unique ou de système bipartisan, il est difficile d’élucider. Et une fois ce travail fait, ce n’est encore pas suffisant.


5.3 La dimension économique : niveau de développement, niveau des prélèvements publics, formes et modes de la redistribution et de la solidarité sociale

Le niveau de développement, la force ou la faiblesse de l’économie. Celui-ci a une incidence sur le Droit. Si de la population sont issues des élites bien formées, on peut penser que l’Administration fonctionnera mieux. Problème de la corruption : souvent la population et pauvre et la seule source de richesses, c’est l’Etat.


5.4 La structure sociale : force ou faiblesse du capitalisme et des modes traditionnels d’organisation sociale

La dimension démographique, la densité de la population (la Chine ne s’administrera jamais comme la Suisse).

5.5 La dimension internationale : colonisation/décolonisation, l’intégration européenne, le rôle des grandes organisations internationales (FMI, Banque mondiale…)

L’Etat est le standard communément admis. Des Etats dictatoriaux donnent quand même à voir une Constitution, des élections, un Parlement etc.

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le principal canal de diffusion était la colonisation ou l’imitation volontaire de pays qui se sentaient menacés et voulaient se moderniser.
Exemple : en l’espace de 30 ans, le Japon s’est complètement modifié : industrie forte, système juridique semblable aux pays européens, Constitution.
A la fin de la Seconde Guerre Mondiale, les questions que se posent les européens et le dépeçage de l’Empire Ottoman. La politique turque (Mustafa Kemal) a consisté à rompre avec l’héritage ottoman et à importer des institutions (législation, création d’un Conseil d’Etat, mesures sur la tenue vestimentaire, alphabet latin) pour européaniser la Turquie.
Il y aussi des échecs comme en Iran. En 1906, une révolution a conduit à l’adoption d’une Constitution et la mise en place de conseils pour doter une administration élective l’ensemble du pays. Cette révolution a échoué et, tout en gardant l’apparence d’une Constitution, on a repris le sillage de l’ancienne Perse.

Les organisations internationales sont des facteurs de diffusion et d’unification : ONU mais aussi une série d’institutions spécialisés qui ont une influence beaucoup plus grande comme le FMI, la Banque Centrale, l’OCDE… Ils promeuvent des réformes administratives censées améliorer l’efficacité de l’Etat essentiellement en Afrique, Amérique Latine et Asie. Ces réformes administratives accompagnent souvent l’octroi de crédits et conditionnent dans une large mesure les crédits qui sont accordés (cf. les plans d’ajustement structurel). L’Union Européenne a joué un rôle semblable vis-à-vis des pays issus de l’ancien bloc soviétique via des accords de coopération. Une certaine unification s’est donc opérée qui concerne essentiellement l’administration économique, la gestion publique et le Droit des organisations bancaires et financières.

Le problème qui se pose dans les pays concernés est la façon dont toutes ces dispositions se mêlent : héritage de la tradition, Droit introduit par l’ancienne puissance coloniale ou hégémonique, institutions imposées par les organisations internationales.

Dans les années 1960, Fred Riggs s’intéresse à ce phénomène dans son livre Contributions to the Study of Comparative Public Administration. Il propose une interprétation globale des sociétés confrontées à un processus de modernisation. Son analyse est fondée sur la sociologie fonctionnaliste américaine (fondée sur deux principes essentiels : la différenciation et les facteurs d’intégration).

La conclusion est que cette société est une société faiblement différenciée et mal intégrée. Dans les sociétés occidentales, le processus de différenciation s’est accompagné de mécanismes d’intégration ce qui a permis aux institutions politiques de lier des sous-systèmes différents qu’il s’agisse de la vie économique, des sociétés rurales… Dans ces pays, le phénomène de différenciation ne s’est pas complètement développée et ne s’est pas accompagné de mécanismes d’intégration et c’est pourquoi il parle de société prismatique. Il prend le phénomène de diffraction du rayon lumineux qui traverse un prisme. Cette société est l’intérieur du prisme : la lumière ne se décompose pas ; les choses restent floues.

Il montre que dans ces sociétés, les structures qui se forment cumulent des fonctions qui se sont davantage différenciées dans des pays européens ou d’Amérique du Nord. Selon Riggs, la situation prismatique découle de l’imposition de modèles nouveaux sur des sociétés traditionnelles. En apparence, ces modèles fonctionnent de façon autonome, mais derrière eux, la logique des anciennes structures domine, donnant lieu à une société prismatique. Par exemple, les structures familiales, les organisations religieuses continuent d’assumer des fonctions économiques qui rendent plus difficile le fonctionnement pur de mécanismes de marché ou encore influencent le fonctionnement des institutions administratives en pesant sur le recrutement des fonctionnaires ou sur les processus de décision.
Il arrive à la conclusion que ces systèmes ne sont pas amenés à quitter ce stade de société prismatique.

Cet auteur a été très critiqué car dans les années 1960, il y a une autre doctrine qui est celle des stades successifs du développement (économie rural -> économie industrielle -> économie tertiaire). C’est l’époque du Plan pour l’Amérique latine lancé par Kennedy.

On voit bien aujourd’hui, un demi siècle après, que malgré la volonté d’affirmer l’universalisme de certaines valeurs humaines, le fonctionnement des sociétés reste hétérogène. Néanmoins, il y a des contre-exemples à la théorie de Riggs, dans les pays qu’il a étudiés : le Brésil d’aujourd’hui n’a rien à voir avec ce qu’il était.

Un autre facteur d’analyse est le patrimonialisme, élaboré par Max Weber : « la logique de domination domestique s’étend au-delà de la maison » et par conséquent à ce qu’on pourrait appeler un espace politique. Il désigne la confusion chez le titulaire du pouvoir de la sphère du droit public avec la sphère privé. Le patrimonialisme n’est pas quelque chose réservé aux pays du Tiers Monde. Il caractérise aussi la formation des Etats européens (Au début de la dynastie capétienne, le roi de France se comportait vis-à-vis de son domaine comme un seigneur puis principe d’inaliénabilité du domaine royal notamment affirmé dans l’Edit de Moulins de 1566).

Isa Germain

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