DROIT DE LA PEINE
Le droit de la peine est une branche du droit pénal qui régit l’ensemble des sanctions imposées à ceux qui enfreignent les lois. Appelé aussi « pénologie » notamment dans les universités belges, cette matière vise à encadrer les différentes formes de peines, leur nature, leur application et leur finalité.
Historiquement marqué par des évolutions significatives, passant des châtiments corporels et humiliations publiques à des sanctions plus humaines comme l’emprisonnement et les peines alternatives, ce droit reflète les mutations sociales et les besoins de justice. Aujourd’hui, il s’articule autour de principes tels que l’individualisation des peines, la réinsertion des condamnés, tout en maintenant des sanctions proportionnées à la gravité des infractions.
SECTION 1 – naissance et histoire de la peine
Moyen Âge : Les châtiments corporels et leur symbolique
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Au Moyen Âge, les peines étaient principalement de nature physique. La peine de mort, paradoxalement, pouvait être considérée comme une des sanctions « les plus douces », car souvent exécutée de manière rapide en comparaison aux autres formes de punition. Les punitions reposaient sur des notions de souffrance, d’humiliation et de publicité. Toutefois, cette exposition publique dépendait du statut social : les pauvres subissaient des tortures dans des lieux plus discrets, loin des foules, tandis que les condamnations des élites étaient plus spectaculaires.
Une idée centrale sous-tendait ces pratiques : celle que la justice divine finirait par distinguer les coupables des innocents. Cette croyance se manifestait dans des pratiques telles que l’ordalie, où un individu devait prouver son innocence par des épreuves physiques, comme marcher sur des braises sans se brûler.
La hiérarchie des peines à cette époque plaçait la peine de mort avec torture au sommet, suivie par des exécutions sans torture, et enfin la décapitation à la hache, considérée comme plus « noble » et rapide.
Révolution et naissance des peines modernes
La Révolution française marque un tournant majeur avec l’introduction de la peine privative de liberté. Avant cette période, les prisons n’étaient pas des lieux de sanction, mais servaient à la détention provisoire, à l’application des lettres de cachet (pour les prisonniers politiques), ou encore à l’incarcération décidée par les familles, souvent pour des raisons sociales comme le refus d’un mariage arrangé.
Après la Révolution, l’emprisonnement devient une peine en soi, et on commence à humaniser le traitement des criminels. La peine de mort, bien que toujours en vigueur, est de moins en moins appliquée, mais l’usage de la guillotine devient fréquent pour les exécutions.
Le Code pénal de 1810 conserve encore la peine de mort et des sanctions corporelles, mais ces dernières disparaissent progressivement avec les réformes de 1832. Au XIXe siècle, l’emprisonnement s’impose comme la sanction principale, avec la peine de mort réservée aux crimes les plus graves. Dès 1824, l’introduction des circonstances atténuantes permet de moduler la peine selon les cas, une idée qui se renforce tout au long du siècle.
Évolution de la peine : vers une individualisation
Avec le temps, on assiste à une adaptation progressive de la peine à la personnalité du condamné. Aujourd’hui, le système pénal cherche à individualiser non seulement la peine, mais aussi les conditions de libération en fonction de la situation personnelle, économique et politique de chaque détenu.
Cependant, ce principe est contesté par certaines théories, notamment celles de juristes et criminologues américains. Ces derniers défendent une approche plus répressive, où seule la gravité de l’infraction doit déterminer la peine, sans prendre en compte les particularités du criminel, ce qui est perçu comme plus équitable pour les victimes. Cette logique, très présente dans les années 1990 aux États-Unis, a contribué à une politique d’incarcération de masse.
Cependant, cette stratégie s’est révélée inefficace à long terme. Bien que l’emprisonnement de masse ait initialement conduit à une baisse de la criminalité, ce résultat est davantage lié à des facteurs démographiques, notamment le vieillissement de la population, et à des réformes profondes des forces de police. De plus, l’absence de structures de réinsertion pour les détenus a accentué les taux de récidive, aggravant les problèmes plutôt que de les résoudre.
Crise économique et réticence à investir dans les prisons
À la fin du XIXe siècle, les crises économiques accentuent les tensions sociales, avec des pertes d’emploi massives. La population, préoccupée par son propre avenir, s’oppose à l’idée que l’État dépense des ressources pour améliorer les conditions de vie des prisonniers. Cette situation crée une rupture dans l’idée de réhabilitation, et les conditions carcérales se détériorent.
En 1852, la déportation en Guyane est instaurée pour les condamnés les plus lourds. Ce lieu d’exil est choisi en raison de son climat insalubre, où la majorité des détenus succombaient à des maladies avant d’avoir purgé leur peine.
Réformes et modernisation des peines au XXe siècle
Le Code pénal de 1994 marque une révision majeure des peines en France. Toutefois, la plupart des peines que l’on connaît aujourd’hui avaient déjà été établies entre 1958 et 1963. L’objectif de ces réformes était de répondre à des défis nouveaux, en prenant en compte à la fois la sécurité publique et la réinsertion des condamnés.
En 1972, une première réduction de peine est mise en place, mais elle s’applique uniquement aux peines fermes. L’idée est d’encourager un comportement positif en prison. Une étape importante est franchie en 1983 avec l’introduction du travail d’intérêt général (TIG), une sanction alternative qui permet aux condamnés de se racheter par des actions concrètes au profit de la communauté. Cette mesure, inspirée par d’autres pays, participe à un changement de paradigme dans la gestion des peines, en favorisant des sanctions plus constructives et en limitant le recours à l’incarcération.
SECTION 2 : les fondements de la peine
I – les fondements textuels
Les peines sont régies par un ensemble de textes législatifs et réglementaires répartis entre différents codes juridiques. Le Code pénal contient les dispositions relatives aux types de peines et leur domaine d’application. Les articles à considérer principalement sont les articles 132-24 et suivants, qui précisent les types de peines encourues pour diverses infractions. Toutefois, le régime juridique détaillant les conditions de leur application et de leur aménagement relève du Code de procédure pénale. Exception notable : les articles 132-44 et 132-45 du Code pénal, qui énumèrent les obligations imposées aux condamnés dans le cadre de peines aménagées.
Le Code de procédure pénale, notamment à partir de l’article 707, fournit les règles d’exécution des peines. Ce code est divisé en deux parties principales :
- Partie législative : régit les principes généraux de l’exécution des peines.
- Partie réglementaire : inclut les articles R (réglementaires) et D (décrets). La partie D1 à D600 couvre spécifiquement les règles pénitentiaires et l’application des peines.
En dehors de ces codes, des textes spécifiques comme la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009 viennent clarifier ou étendre certaines dispositions liées à l’aménagement des peines. En outre, des circulaires administratives peuvent préciser certains aspects pratiques. Par exemple, la circulaire du 10 mai 1988 sur les permissions de sortie prévoyait une tolérance de six heures avant de considérer un retard comme une évasion. Cette pratique, en contradiction avec les principes stricts, visait à éviter des poursuites pour évasion dans des cas où le détenu n’avait pas l’intention de fuir mais seulement pris du retard.
Parfois, les décrets peuvent contredire la loi lorsque l’administration ne partage pas la même vision que le législateur, ce qui peut entraîner des tensions juridiques.
II – les fondements en opportunités
L’utilité et la finalité des peines, notamment les peines d’emprisonnement, sont un sujet de débat. Les justifications classiques incluent la vengeance : la peine est perçue comme une forme de punition sans visée future, une rétribution pour l’acte commis.
Un exemple extrême de cette logique est la question de la peine de mort aux États-Unis :
- Arguments pour : Dans les cas d’homicide, certains estiment que seule la mort du coupable peut soulager la famille de la victime, sous peine de représailles privées.
- Arguments contre : La peine de mort est jugée contraire aux principes constitutionnels et aux droits de l’homme, notamment l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui proscrit les peines inhumaines ou dégradantes.
III – la prévention
La peine a également pour objectif la prévention, qui se décline en deux formes principales.
- Prévention générale : L’existence même d’un système de sanctions est censée dissuader l’ensemble des citoyens de commettre des infractions. Toutefois, augmenter la sévérité des peines n’a pas nécessairement un impact significatif sur la réduction de la criminalité. La plupart des délinquants ne sont pas informés des réformes en matière de peines, et beaucoup, notamment ceux affectés par des addictions comme l’alcool ou les drogues, ne sont pas en mesure de comprendre ou de prendre en compte ces évolutions législatives. En revanche, la certitude d’être pris, comme c’est le cas avec les radars routiers, joue un rôle dissuasif plus fort que l’alourdissement des peines.
- Prévention individuelle (ou spéciale) : Cette forme vise spécifiquement à dissuader un individu donné de récidiver. Le concept de réhabilitation est central ici, l’objectif étant d’encourager la réinsertion des délinquants dans la société. Cependant, il est largement admis que la prison n’est pas un outil efficace pour atteindre cet objectif. La majorité des efforts de réinsertion se font à travers les peines ouvertes ou les aménagements de peine, qui permettent une réinsertion progressive et encadrée.
Pour que la réinsertion soit réellement efficace, il convient de fournir aux personnes condamnées un logement stable, un emploi, et d’autres moyens d’assurer leur autonomie sociale. Les dispositifs d’aménagement de peine, comme le bracelet électronique ou la liberté conditionnelle, sont plus propices à la réhabilitation que l’incarcération, qui tend à favoriser la marginalisation et la récidive.
PARTIE 1 : les peines restrictives de liberté
Les peines restrictives de liberté imposent des contraintes aux individus condamnés, tout en les obligeant à accomplir certaines tâches spécifiques qu’ils pourraient ne pas avoir choisi de leur propre initiative, comme chercher un emploi, suivre un traitement, ou encore participer à des activités de réinsertion. Ces mesures sont conçues pour responsabiliser et réinsérer les délinquants tout en leur offrant une alternative à l’incarcération, mais elles s’accompagnent de restrictions et d’obligations strictes.
Chapitre 1 : Sursis avec mise à l’épreuve (SME)
Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) est l’une des peines restrictives les plus couramment utilisées dans les systèmes judiciaires modernes. Il s’agit d’une condamnation qui suspend l’exécution d’une peine de prison, à condition que la personne condamnée respecte pendant une période déterminée un certain nombre d’obligations et de mesures de contrôle imposées par le juge.
SECTION 1 : Présentation générale
Le sursis avec mise à l’épreuve (SME) comprend trois éléments essentiels :
- Une peine privative de liberté est fixée, mais sa mise à exécution est suspendue.
- Un mécanisme de sursis, permettant de ne pas exécuter immédiatement la peine de prison, sous condition que le condamné respecte certaines obligations.
- La mise à l’épreuve, ou probation, est une période durant laquelle le condamné est surveillé et doit se conformer à des règles strictes.
Par exemple, une personne condamnée à un an de prison avec sursis est soumise à une période de probation de 18 mois. Si cette personne enfreint les conditions du sursis, la peine de prison est alors appliquée. Le mécanisme du sursis, instauré en 1958, trouve ses origines dans l’après-guerre, époque marquée par de nombreuses réformes, dont la création du juge de l’application des peines (JAP). Ce dernier est chargé de superviser les aménagements de peine et le suivi des condamnés.
SECTION 2 : le domaine d’application
I – les cas où le SME peut être prononcé
Le SME est une alternative à l’emprisonnement, ne pouvant être appliqué qu’aux infractions où une peine d’emprisonnement est encourue. Il est exclu pour les infractions contraventionnelles et les infractions politiques. Le sursis ne peut concerner que des peines d’une durée inférieure ou égale à 5 ans. Toutefois, pour les récidivistes, le sursis peut s’appliquer pour des peines allant jusqu’à 10 ans.
Un condamné en état de récidive, ayant déjà bénéficié de deux SME, ne peut pas obtenir un troisième sursis dans les mêmes conditions. Cependant, si les infractions sont en concours réel (commises simultanément mais jugées distinctement), il peut bénéficier de plusieurs SME, sans que cela soit considéré comme de la récidive.
En cas d’infractions graves telles que les violences ou les viols, un seul SME antérieur suffit pour exclure l’octroi d’un second sursis.
II – les condamnés pour lesquels le SME peut être prononcé
Le sursis avec mise à l’épreuve est applicable à tous les condamnés, y compris les mineurs. Cependant, il ne peut être accordé aux personnes morales et aux militaires soumis à des régimes spécifiques.
SECTION 3 : le régime de la probation
I – un délai d’épreuve
La probation impose au condamné une période de surveillance stricte assortie de contraintes. La durée de cette période est déterminée par la juridiction pénale et doit être claire et précise. En pratique, le délai minimum de probation est de 12 mois, mais il est fréquemment fixé à 18 mois. Pour les récidivistes, la durée de probation peut atteindre 5 ans, voire 7 ans en cas de double récidive.
Le délai d’épreuve débute dès que le condamné est informé de ses obligations. Par la suite, le JAP convoque le condamné pour fixer les conditions précises du sursis et notifier les obligations à respecter.
La fin du délai d’épreuve intervient dans deux hypothèses principales :
- Révocation du SME pour nouvelle infraction : Si le condamné commet une nouvelle infraction durant sa probation, la juridiction pénale décide de la révoquer.
- Violation des obligations fixées par les articles 132 et 135 du Code pénal : Par exemple, un manquement aux rendez-vous obligatoires entraîne la saisine du JAP, qui peut choisir de recadrer le condamné à travers une procédure informelle non codifiée, ou, en cas de récidive, ouvrir un débat contradictoire pour décider de la révocation.
La non-avenue de la peine : Si le condamné respecte toutes les conditions du sursis et ne commet aucune nouvelle infraction, à la fin de la période de probation, la peine est considérée comme n’ayant jamais existé. Cela signifie qu’elle est effacée du casier judiciaire, conformément à l’article 132 du Code pénal.
La non-avenue anticipée peut être prononcée par le JAP pour un condamné qui se montre particulièrement méritant, permettant ainsi la fin anticipée du SME.
II – des obligations
Les condamnés sous SME doivent se conformer à un ensemble d’obligations définies par les articles 132 et 145 du Code pénal. Ces obligations varient en fonction du profil du condamné et de la nature de l’infraction, mais elles incluent généralement des mesures de contrôle, des restrictions de déplacement, ainsi que des actions visant à encourager la réinsertion du condamné dans la société.
CHAPITRE 2 : le Travail d’intérêt général ( TIG)
Le TIG consiste en un travail non rémunéré réalisé au profit de la collectivité, symbolisant à la fois la réparation et la punition.
SECTION 1 : Qu’est-ce qu’un TIG ?
Le Travail d’intérêt général (TIG) est une peine alternative mise en place en 1983 en France, inspirée par des modèles étrangers, notamment le « pay back » en Angleterre et des pratiques similaires aux États-Unis. Il s’agit d’une peine qui satisfait tant la droite que la gauche : pour la gauche, le TIG est une alternative à l’incarcération, tandis que pour la droite, il impose une forme de responsabilité au condamné, qui doit se lever pour accomplir un travail pour la communauté.
Le TIG consiste en un travail non rémunéré réalisé au profit de la collectivité, symbolisant à la fois la réparation et la punition. Aux États-Unis, une forme de TIG était d’obliger les condamnés à briser des pierres en bordure de route, tandis qu’en Angleterre, les condamnés vêtus de tenues marquées « pay back » effectuaient des travaux de nettoyage, souvent insultés par les passants.
Une autre initiative anglaise a tenté d’impliquer la population dans l’orientation des TIG, en distribuant des prospectus pour connaître les préférences des citoyens quant aux travaux que les condamnés pourraient réaliser.
En France, environ 10 000 à 15 000 TIG sont prononcés chaque année. Cependant, il demeure difficile de convaincre les associations et collectivités d’accueillir des condamnés pour exécuter ces travaux.
Quant à l’efficacité du TIG sur la réduction de la récidive, il n’existe pas de consensus clair. Toutefois, il est admis que le travail peut avoir un effet positif, sous certaines conditions. Par exemple, il est préférable de ne pas regrouper plusieurs tigistes (ceux qui font un TGI) ensemble, mais plutôt de les intégrer individuellement dans des équipes déjà constituées, ce qui favorise une meilleure réinsertion.
SECTION 2 – le domaine d’application
I – le TIG peine principale
Le TIG est réservé aux délits (les crimes et contraventions sont exclus). Il est incompatible avec d’autres peines alternatives, ce qui signifie qu’il ne peut être prononcé en parallèle avec d’autres sanctions comme le sursis ou le travail d’intérêt général sous surveillance (STIG). Toutefois, depuis la loi du 9 mars 2004, il est possible de cumuler le TIG avec une amende ou des jours-amende, offrant ainsi plus de flexibilité dans l’application des peines.
II – peines complémentaires
Le TIG peut également être ajouté en complément pour certaines infractions précises :
- Il est applicable aux contraventions de 5ème classe lorsqu’elles sont prévues par la loi. Par exemple, dans le cas de violences volontaires ou d’incitations à la haine raciale, la loi prévoit que le TIG puisse être utilisé comme peine complémentaire.
- Certaines infractions au Code de la route permettent également l’ajout du TIG comme sanction, notamment pour des délits comme la conduite en état d’ivresse ou le refus de remettre son permis de conduire après une perte totale des points, toujours lorsque cela est prévu explicitement par la législation.
III – le domaine quant aux condamnés
Le TIG peut être prononcé quel que soit le passé pénal du condamné, qu’il s’agisse d’un délinquant primaire ou d’un récidiviste. Il est également applicable aux mineurs, mais uniquement à partir de 16 ans. Dans ces cas, c’est le juge des enfants qui est chargé de statuer et de suivre l’exécution du TIG pour les mineurs concernés.
Le TIG incarne un compromis entre sanction et réhabilitation car cette mesure encourage les condamnés à participer activement à la société tout en payant leur dette.
SECTION 3 – les conditions et prononcé du TIG
I. Le consentement du condamné
Le consentement du condamné est une condition indispensable à l’exécution du TIG. Cette exigence repose sur l’article 131-8 du Code pénal, ainsi que sur des conventions internationales, notamment la Convention internationale du travail de 1930. Le TIG étant une peine impliquant un travail non rémunéré, il ne peut être imposé sans l’accord explicite du condamné.
Le condamné doit être présent à l’audience et son consentement doit être certain, non équivoque. En effet, il arrive parfois que des jugements correctionnels soient rendus par défaut en l’absence du condamné. Dans ce cas, la personne peut accepter de réaliser un TIG sans connaître la nature précise du travail qu’elle devra accomplir. Cependant, le consentement reste une étape incontournable pour garantir le respect de ses droits.
II. Le travail utile
Le TIG doit offrir un travail qui donne au condamné le sentiment d’être utile à la société, ce qui peut contribuer à limiter le risque de récidive. Bien que beaucoup de condamnés manquent de qualifications, les tâches effectuées doivent correspondre à leurs capacités intellectuelles et psychiques. Les types de travaux proposés incluent généralement des activités comme l’effacement de graffitis ou le nettoyage d’espaces publics.
Le TIG est réalisé sous la supervision de personnes morales de droit public (comme les collectivités locales), mais peut également être encadré par des entités de droit privé, à condition que l’activité ait un caractère de service public, notamment dans le cadre des associations.
III. Travail compatible avec la santé du condamné
Le travail assigné dans le cadre du TIG doit être compatible avec la santé du condamné. Avant de débuter le TIG, le condamné doit passer un examen médical pour vérifier son aptitude à réaliser les tâches qui lui seront assignées. Les articles 131-22, 132-55 et R 131-28 du Code pénal prévoient cette procédure, qui inclut également la vérification d’éventuelles maladies de longue durée.
SECTION 4 : le régime juridique du TIG
I. Le temps de travail
La juridiction pénale détermine la durée du TIG, qui doit être comprise entre 20 heures (minimum) et 210 heures (maximum), conformément à la loi. En pratique, la durée se situe généralement entre 70 et 90 heures. Pour les contraventions, la durée est plus restreinte, entre 20 et 110 heures.
II. La période d’accomplissement du travail
La durée pendant laquelle le condamné doit exécuter son TIG a été initialement fixée à 12 mois, mais elle a été portée à 18 mois pour permettre une meilleure organisation des heures de travail disponibles. Le juge de l’application des peines (JAP) a la responsabilité de déterminer les horaires de travail, en tenant compte de la situation personnelle et professionnelle du condamné. Si ce dernier est titulaire d’un contrat de travail à durée indéterminée (CDI), le JAP veillera à ce que le TIG soit compatible avec son emploi, en limitant le temps de travail total à 35 heures par semaine, avec une tolérance de 12 heures supplémentaires par semaine pour le TIG.
III. Le contrôle du tigiste
Le suivi du condamné en TIG est principalement assuré par l’association ou la collectivité auprès de laquelle le travail est réalisé. En cas de retard ou d’absence, ces structures doivent en informer le service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP). Si le condamné enfreint ses obligations, il n’y a pas de suspension de la peine ; au lieu de cela, le tribunal correctionnel peut être ressaisi et prononcer une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 2 ans (article 434-2 du Code pénal).
En parallèle, l’article 132-55 du Code pénal renvoie à certaines obligations énoncées à l’article 132-44, mais ces obligations ne peuvent inclure des soins médicaux, contrairement à d’autres formes de probation.
IV. L’achèvement du TIG
Le TIG prend fin lorsque toutes les heures de travail prévues ont été accomplies. Le JAP doit recevoir une attestation de fin de travail émise par la personne morale de droit public ou par l’association qui a encadré le travail du condamné. Une fois cette attestation reçue, la peine est officiellement considérée comme exécutée.
CHAPITRE 3 – Le sursis TIG (STIG)
SECTION 1 : présentation du STIG
Le sursis avec TIG (STIG) est une peine mixte et autonome qui combine le sursis avec mise à l’épreuve (SME) et le travail d’intérêt général (TIG). Bien que cette peine permette de répondre à la fois aux besoins de réhabilitation sociale et aux exigences de punition, certains débats existent sur sa pertinence. Par exemple, sous le ministère de Christiane Taubira, il y avait une volonté de privilégier uniquement la mise à l’épreuve, en écartant les aspects du TIG.
Le STIG peut être prononcé de deux manières différentes :
- Prononcé direct par le tribunal correctionnel : dans ce cas, c’est le tribunal qui décide d’associer une peine de sursis à une obligation de TIG.
- Conversion par le juge de l’application des peines (JAP) : cette méthode est plus courante. Le JAP peut convertir une peine privative de liberté en STIG, conformément à l’article 723-15 du Code de procédure pénale. Cela s’applique pour des peines de prison inférieures à 2 ans pour les délinquants primaires, et à 1 an pour les récidivistes, à condition qu’il n’y ait pas eu de mandat de dépôt lors de l’audience.
Dans la pratique, la conversion par le JAP est la voie la plus fréquemment utilisée pour le STIG. Le tribunal correctionnel prononce rarement cette peine directement, car les magistrats ne sont souvent pas familiers avec son régime et son suivi.
Le STIG est souvent appliqué à des personnes désocialisées, souffrant de problèmes d’alcoolisme ou de toxicomanie, ou ayant besoin de soins. Cette peine permet de travailler simultanément sur la réinsertion professionnelle et le traitement des addictions, ce qui en fait une solution adaptée à ces profils.
SECTION 2 : le domaine d’application
I. Infractions et peines concernées
A. STIG prononcé par le tribunal correctionnel
Le STIG prononcé dès l’origine par le tribunal reprend les principes du SME et du TIG, son domaine d’application étant le même que celui du SME. Il n’est possible que si le sursis est total, c’est-à-dire que l’intégralité de la peine de prison est suspendue.
B. STIG issu de la conversion
Selon les articles 132 et 137 du Code pénal, le STIG peut aussi être le résultat d’une conversion opérée par le JAP. Il ne peut s’appliquer qu’aux délits (les crimes sont exclus), et la règle des 6 mois reste en vigueur pour certains ajustements. Par ailleurs, le STIG est applicable aux mineurs, sous réserve des mêmes conditions que pour les adultes.
II. Condamné éligible au STIG
Le STIG, comme le TIG, nécessite le consentement du condamné. Ce dernier doit accepter la peine, que ce soit devant le tribunal correctionnel (en cas de prononcé direct) ou devant le JAP (en cas de conversion de la peine). Le consentement doit être libre et éclairé, selon les articles 132 et 137 du Code pénal.
SECTION 3 : le régime
I. Règles empruntées au TIG
Les règles concernant la durée de travail sont les mêmes que celles du TIG classique : le travail doit s’effectuer sur une période allant de 20 heures à 210 heures. Le délai pour accomplir ce travail est également identique, fixé à 18 mois, bien que ce délai puisse être prolongé ou réduit en fonction de la durée du sursis elle-même.
II. Mesures de contrôle
Le suivi et les mesures de contrôle appliquées au STIG sont calquées sur celles du TIG. Le JAP, en collaboration avec le Service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP), est chargé de surveiller l’exécution du travail et de veiller au respect des obligations imposées au condamné.
III – Les effets du STIG
A. Non-avenue automatique
Lorsque le condamné respecte ses obligations et termine son travail sans incident, il bénéficie d’une non-avenue automatique. Cela signifie que la peine s’efface de son casier judiciaire, comme si elle n’avait jamais existé.
B. Révocation en cas de non-respect
En cas de non-respect des obligations liées au STIG, la peine peut être révoquée. Le mécanisme de révocation fonctionne de manière similaire à celui du SME : si le condamné ne respecte pas ses engagements, la peine de prison initialement suspendue peut être exécutée.
CHAPITRE 4 : l’ajournement de peine
SECTION 1 : Présentation de l’ajournement de peine
L’ajournement de peine est une mesure peu utilisée dans le système judiciaire. En 2005, seulement 391 personnes en ont bénéficié. Ce mécanisme permet au tribunal correctionnel de prononcer une déclaration de culpabilité tout en reportant le prononcé de la peine à une audience ultérieure, généralement dans un délai d’un an. La culpabilité de l’individu est irrévocable, mais la sanction est différée pour un réexamen à une seconde audience.
Il existe plusieurs types d’ajournement :
- Ajournement simple : Le tribunal se limite à différer le prononcé de la peine sans autres conditions.
- Ajournement avec mise à l’épreuve : Inspiré du sursis avec mise à l’épreuve (SME), cet ajournement inclut une période probatoire. Le condamné doit respecter certaines conditions pendant ce délai (articles 132 et 144 du Code pénal).
- Ajournement avec injonction : Ce type est plus fréquemment prononcé, notamment pour les infractions relatives à des constructions illégales. Par exemple, dans le cas de villas construites avec de l’argent sale, le tribunal déclare la personne coupable et lui accorde un délai pour détruire la construction à ses frais. Si cette injonction n’est pas respectée, la peine de prison peut être appliquée.
- Ajournement pour complément d’enquête : Introduit par Christiane Taubira dans le cadre d’un projet de loi, cet ajournement permet de reporter la peine afin de réaliser des investigations complémentaires sur la personnalité du condamné (article 132-70-1 du Code pénal). Ce type d’ajournement est prononcé lorsque des éléments essentiels pour statuer sur la peine manquent lors de l’audience.
SECTION 2 : Le domaine d’application
I. Ajournement avec mise à l’épreuve
Cet ajournement s’applique uniquement aux délits et peut aussi concerner les mineurs, à condition qu’ils soient suivis par un juge des enfants. Il ne peut être prononcé que sous certaines conditions, appelées « voies d’acquisition » (VA), c’est-à-dire des circonstances permettant d’envisager une dispense de peine. Ces éléments en voie d’acquisition sont :
- Le dommage doit être en voie de réparation.
- Le condamné doit être en voie de réinsertion sociale.
- Le trouble à l’ordre public doit être en voie de cessation.
La présence du condamné à l’audience est obligatoire pour bénéficier de cet ajournement.
II. Ajournement avec injonction
L’ajournement avec injonction est possible pour les délits et certaines contraventions, à condition qu’une loi spéciale le prévoit pour une infraction donnée. Il est utilisé dans plusieurs domaines, comme le Code de l’environnement, le Code du patrimoine, ou encore le Code du travail.
Cet ajournement peut s’appliquer aux personnes physiques et morales, mais ne concerne que les adultes. Il accorde au condamné un délai d’un an pour se mettre en conformité avec la loi, par exemple en régularisant une situation illégale. Dans environ 75 % des cas, la seconde audience adopte un régime juridique identique à celui de la première, avec une décision basée sur l’évolution de la situation durant l’ajournement.
SECTION 3 : Le régime juridique
L’ajournement de peine oblige à tenir une seconde audience dans un délai maximal d’un an. Si les conditions de réparation, de réinsertion et de cessation du trouble sont réunies à cette seconde audience, le juge peut décider de prononcer une dispense de peine. Cependant, même lorsque toutes les conditions sont respectées, le tribunal conserve la possibilité de prononcer une peine si cela est jugé nécessaire.
Chapitre 5 l’interdiction de séjour
L’interdiction de séjour est une mesure punitive qui vise à empêcher un condamné de se rendre dans certaines zones géographiques déterminées par la juridiction, en complément d’une peine principale. Encadrée par des textes législatifs précis, elle permet de limiter la mobilité du condamné tout en respectant certaines exigences légales, notamment celles liées aux droits de l’homme.
SECTION 1 : Présentation de l’interdiction de séjour
L’interdiction de séjour ne doit pas être confondue avec l’interdiction de territoire, qui s’applique aux étrangers. L’interdiction de séjour concerne exclusivement les citoyens français et remonte au XIIIe siècle. Cette peine consiste à interdire à une personne de se rendre dans une zone géographique où elle a commis des infractions. Cette zone peut être aussi vaste qu’une ville entière ou une région, comme cela a été confirmé par la jurisprudence de 1993 concernant la région parisienne.
L’interdiction de séjour peut poser des problèmes, notamment lorsqu’elle limite l’accès à l’emploi ou aux ressources nécessaires à la réinsertion. Par ailleurs, cette interdiction ne se limite pas à des zones urbaines. Elle peut également s’appliquer à des catégories de lieux spécifiques, tels que les stades dans le cadre des mesures visant à lutter contre le hooliganisme, ou d’autres endroits où des infractions ont été commises.
Cette peine est prévue dans le cadre de l’article 132 du Code pénal (CP), qui régit diverses peines restrictives ou privatives de droits, et peut être prononcée comme une mesure complémentaire.
SECTION 2 : Domaine d’application de l’interdiction de séjour
L’interdiction de séjour est généralement une peine complémentaire, qui s’ajoute à une peine principale comme l’emprisonnement ou une amende. Contrairement à une peine accessoire, elle n’est pas automatique et doit être explicitement prononcée par la juridiction compétente. L’article 131-10 du Code pénal précise que pour qu’une peine complémentaire soit appliquée, elle doit être prévue par un texte de loi.
En cas de peine principale, l’article 331-11 du CP dispose que l’interdiction de séjour peut être exclusive de toute autre peine complémentaire, en fonction de la gravité de l’infraction. Il s’agit donc d’une mesure qui ne peut pas être cumulée avec certaines autres peines accessoires.
Lorsque l’interdiction de séjour est prévue en tant que peine accessoire, elle est régie non par le Code pénal, mais par le Code de procédure pénale (CPP), qui date de 1958. L’article 767 du CPP prévoit que lorsqu’un condamné a purgé sa peine criminelle, il peut demeurer interdit à vie de séjour dans les départements où réside la victime, ce qui renforce la protection de celle-ci à long terme.
Cette interdiction est facultative, ce qui signifie qu’elle ne s’applique pas de manière automatique, mais peut être prononcée dans le cadre de crimes et de délits graves. Elle n’est pas applicable aux mineurs, car ses effets sur le plan social et psychologique pourraient être dévastateurs, entravant leur réinsertion. Elle est également inapplicable aux personnes âgées de 65 ans et plus, en raison de leur vulnérabilité.
SECTION 3 : Motif de l’interdiction de séjour
Pour prononcer une interdiction de séjour, il n’est pas nécessaire de la motiver en détail, comme l’a confirmé la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 2 septembre 2004. Dans cette affaire, un homme avait été interdit de séjour dans quatre départements, sans que des justifications précises ne soient exigées au-delà de l’invocation des raisons légales prévues pour cette peine. Il suffit que le juge se fonde sur les motifs autorisés par la loi pour justifier une telle interdiction.
SECTION 4 : le régime juridique de l’interdiction de séjour
I. La durée de la peine
L’interdiction de séjour est une peine dont la durée est strictement encadrée par la loi. Selon l’article 131-31 du Code pénal, la durée de cette peine est limitée à :
- 10 ans pour les crimes,
- 5 ans pour les délits.
Cependant, dans le cadre des infractions liées au terrorisme, ces délais sont prolongés. Ainsi, la durée maximale de l’interdiction de séjour est portée à :
- 15 ans pour les crimes,
- 10 ans pour les délits.
La durée spécifique de la peine doit être déterminée par la juridiction correctionnelle ou, en cas de recours, par la Cour de cassation. Cela signifie que le juge dispose d’une marge d’appréciation quant à la durée, mais dans les limites fixées par la loi.
II. Les lieux concernés par l’interdiction de séjour
L’interdiction de séjour peut porter sur un département entier ou sur des zones géographiques précises en fonction de l’infraction commise. Cette restriction est souvent utilisée pour empêcher un condamné de retourner dans des lieux où il pourrait récidiver ou nuire à la tranquillité publique.
Toutefois, l’application de cette peine doit être compatible avec les droits fondamentaux, notamment ceux prévus par l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Cet article garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Le paragraphe 1 de cet article pose le principe de protection de ces droits, mais le paragraphe 2 autorise des restrictions si elles sont nécessaires dans une société démocratique, notamment pour préserver la sécurité publique ou prévenir les infractions pénales.
Il est donc essentiel que l’interdiction de séjour respecte un équilibre entre les besoins de la société et les droits de l’individu. Par exemple, si la personne condamnée a des liens familiaux dans la zone concernée par l’interdiction, cette mesure pourrait être jugée disproportionnée si elle empêche le maintien de ces relations familiales.
III. Formalités et application pratique
Lorsque l’interdiction de séjour est prononcée, le condamné doit recevoir une carte d’interdiction de séjour. Ce document détaille les lieux où la personne n’a plus le droit de se rendre pendant la durée de la peine. Il sert à informer non seulement le condamné mais aussi les autorités, qui peuvent ainsi contrôler le respect de cette interdiction.
Chapitre 6 : Les interdictions relatives au territoire
L’interdiction du territoire français est une sanction qui s’applique aux étrangers ayant commis des infractions graves sur le sol français. Elle prive l’étranger du droit de résider sur le territoire national pour une durée déterminée ou à vie, selon la gravité des faits reprochés. La législation encadre également des protections absolues et relatives pour certains étrangers ayant des liens forts avec la France.
SECTION 1 – L’interdiction du territoire Français
L’interdiction du territoire français est une sanction spécifique aux étrangers, à ne pas confondre avec l’interdiction de séjour, qui s’applique aux citoyens français. L’interdiction de territoire consiste à prohiber la présence d’un étranger sur le sol français suite à une condamnation. Cette mesure touche particulièrement les infractions graves, et son application varie selon la gravité de l’infraction commise et la situation personnelle de l’étranger.
Cependant, cette interdiction soulève des questions d’ordre social, notamment lorsque l’accès à des ressources comme l’emploi est limité dans certaines zones. L’interdiction peut également s’étendre à des lieux spécifiques, comme des stades, en fonction des circonstances de l’infraction. Ce type de mesure est notamment régie par l’article 132 du Code pénal et d’autres textes légaux complémentaires.
SECTION 2 : domaine d’application de l’interdiction de territoire
L’interdiction de territoire touche particulièrement les infractions graves, telles que l’administration de substances nuisibles, les agressions sexuelles aggravées, ou encore le proxénétisme. Ce type de sanction est parfois qualifié de double peine, car elle ajoute une mesure d’éloignement à la peine pénale principale.
Il convient de distinguer deux catégories d’étrangers :
- Étranger ordinaire
- Étranger privilégié
En vertu de la loi du 26 novembre 2003, certaines personnes bénéficient d’une protection absolue contre cette peine, tandis que d’autres ont une protection relative, nécessitant des conditions supplémentaires pour justifier l’interdiction. Ces protections sont encadrées par l’article 131-30-1 du Code pénal.
Protection absolue :
Les étrangers ayant des attaches solides en France peuvent être protégés contre l’interdiction de territoire. Ces protections se divisent en cinq hypothèses non cumulatives :
- Résidence en France depuis l’âge de 13 ans.
- Résidence en France depuis plus de 20 ans.
- Résidence régulière depuis plus de 10 ans, sous condition de ne pas être en situation de polygamie, et marié depuis au moins 4 ans avec un ressortissant français. La communauté de vie doit avoir été maintenue avant et après le mariage.
- Résidence de plus de 10 ans, non polygame, et parent d’un enfant français à condition de subvenir à ses besoins depuis sa naissance ou depuis au moins un an.
- Détention d’un titre de séjour spécifique pour les mineurs étrangers.
Exceptions :
- Dans les 3e et 4e hypothèses, la protection ne s’applique pas si les infractions sont commises contre des enfants ou un conjoint.
- L’interdiction de territoire peut toujours être prononcée dans les affaires graves, telles que les atteintes aux intérêts fondamentaux de la nation, les actes de terrorisme, les infractions liées aux groupes de combat dissous, et les affaires de fausse monnaie.
Protection relative :
Pour d’autres étrangers, la protection relative implique une évaluation plus poussée de la gravité de l’infraction et de la situation personnelle et familiale de l’intéressé, en vertu de l’article 131-30-1 du Code pénal. Les principales obligations comprennent :
- L’étranger ne doit pas vivre en état de polygamie et doit être le père ou la mère d’un enfant mineur résidant en France, avec une obligation de subvenir à son entretien depuis au moins un an.
- Les conditions de temps de résidence ne s’appliquent pas dans tous les cas.
- Mariage depuis au moins 3 ans avec un conjoint français, à condition que la vie commune n’ait pas cessé et que le mariage soit antérieur aux faits.
- Résidence habituelle en France depuis plus de 15 ans, sauf si l’étranger a été titulaire d’une carte de séjour pour étudiant.
- Résidence régulière en France depuis plus de 10 ans, à l’exclusion des périodes couvertes par des cartes de séjour étudiant.
- Étranger titulaire d’une rente ou indemnisé suite à un accident de travail par un organisme français, avec un taux d’incapacité d’au moins 20%.
SECTION 3 : le régime juridique de l’interdiction de territoire
I. Durée de la peine
La durée de l’interdiction de territoire varie selon la gravité de l’infraction, conformément à l’article 131-30 du Code pénal.
- Pour les crimes, l’interdiction peut durer jusqu’à 10 ans.
- Pour les délits, elle est limitée à 5 ans.
- En matière de terrorisme, les durées sont étendues à 15 ans pour les crimes et 10 ans pour les délits.
La juridiction correctionnelle ou la Cour de cassation, lors d’un recours, détermine la durée précise de l’interdiction en fonction des circonstances particulières de chaque affaire.
II. Lieux concernés
L’interdiction de territoire peut s’étendre à un ou plusieurs départements ou zones spécifiques. Cette mesure doit respecter les dispositions de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale. Bien que le paragraphe 1 protège ces droits, le paragraphe 2 autorise des restrictions pour des raisons de sécurité publique, de protection de l’ordre ou pour garantir les droits d’autrui.
Enfin, une fois l’interdiction prononcée, une carte d’interdiction de séjour est délivrée, formalisant les zones interdites.
CHAPITRE 7 : le suivi socio-judiciaire
Ce dispositif vise à compléter les peines traditionnelles par un suivi adapté des condamnés, intégrant des mesures de sûreté et des soins obligatoires, avec pour objectif de prévenir la récidive, notamment pour les infractions sexuelles. Le SSJ s’accompagne souvent d’une injonction de soins, nécessitant un accompagnement thérapeutique sous la supervision d’un médecin coordonnateur. Depuis sa création, plusieurs réformes successives (notamment en 2005, 2007 et 2010) ont étendu et renforcé le champ d’application du SSJ, tout en adaptant les outils de contrôle et de suivi des délinquants après leur peine principale.
SECTION 1 : Présentation du suivi socio-judiciaire
Le suivi socio-judiciaire (SSJ) a été instauré par la loi du 17 juin 1998 en réponse à la prise de conscience croissante de la délinquance sexuelle, marquée notamment par l’affaire d’Outreau. Avant cette époque, les délits sexuels étaient largement sous-estimés, et il existait une sorte de déni collectif concernant l’ampleur des violences faites aux enfants. L’objectif premier n’était pas seulement répressif, mais aussi thérapeutique, avec la nécessité de mettre en place des soins adaptés pour ces délinquants.
Cependant, la France fait face à une pénurie de thérapeutes qualifiés, notamment ceux spécialisés dans le traitement de la délinquance sexuelle.
Une distinction importante existe entre l’obligation de soins et l’injonction de soins dans le cadre du SSJ :
- L’obligation de soins est plus simple à organiser. Le magistrat ou le juge d’application des peines (JAP) est assisté par un médecin (généralement un psychiatre ou un psychologue). Le condamné consulte son médecin traitant, qui remet un certificat médical au JAP pour attester du suivi.
- L’injonction de soins est plus complexe. Elle implique un médecin coordonnateur, différent du médecin traitant, qui assure le lien avec le JAP sans violer le secret médical. Cependant, la pénurie de médecins spécialisés complique la mise en œuvre de ce suivi.
Contrairement à la France, dans plusieurs autres pays, le médecin peut communiquer directement avec le magistrat, tout en étant soumis au secret professionnel.
Les réformes successives après la loi de 1998 ont élargi le SSJ :
- Loi du 12 décembre 2005 : Création de mesures de sûreté, appliquées après la peine principale, et non pas sous forme d’aménagement de peine.
- Loi du 10 août 2007 : L’injonction de soins est généralisée à tous les condamnés, même ceux qui n’ont pas été formellement condamnés à un SSJ, mais qui encourent cette peine.
- Loi du 10 mars 2010 : Extension des mesures de sûreté, notamment avec l’usage de médicaments anti-libido. Ces médicaments n’ont cependant d’effet que lorsqu’ils sont combinés à un traitement psychologique parallèle.
- Injonction et obligation de soins : La distinction entre l’injonction de soins (plus stricte) et l’obligation de soins (plus simple à mettre en œuvre) reste valide. Le manque de thérapeutes spécialisés en France pour les délinquants sexuels est toujours d’actualité, ce qui peut poser des problèmes dans l’application de ces mesures, mais la structure de l’injonction de soins (avec un médecin coordonnateur) n’a pas changé.
Le SSJ, initialement conçu pour les délits de nature sexuelle, a été appliqué de manière plus large au fil des années. Il s’agit d’une peine complémentaire, souvent associée à une peine privative de liberté (PPL). Le SSJ peut accompagner l’incarcération, où des soins obligatoires sont également administrés en prison.
- Peine complémentaire : Le SSJ s’ajoute à une peine principale.
- Peine principale : Dans certains cas, le SSJ peut être appliqué seul, sans autre peine.
SECTION 2 : le domaine du SSJ
I. Domaine quant aux infractions
Le SSJ peut être prononcé en tant que peine complémentaire ou peine principale, mais il doit toujours être prévu par un texte légal spécifique. Ce suivi concerne principalement les infractions sexuelles, mais a été élargi à d’autres types d’infractions :
- Infractions sexuelles (comme les agressions sexuelles ou viols)
- Atteintes volontaires à la vie (réforme de 2005)
- Destruction et dégradation de biens
- Violences conjugales (réformes du 5 mars 2007)
II. Domaine quant aux condamnés
Le SSJ peut également être appliqué aux mineurs, bien que cette décision doive être prise avec soin, en tenant compte des effets psychologiques et sociaux que cela peut engendrer.
SECTION 3 : le régime juridique
I. Durée du SSJ
La durée du SSJ est fixée par la juridiction compétente. En matière de délits, la durée maximale du suivi est de 10 ans, tandis qu’elle peut aller jusqu’à 20 ans pour les crimes.
Le suivi socio-judiciaire peut ainsi représenter un engagement à long terme pour le condamné, alliant contrôle judiciaire et traitement, dans le but de prévenir la récidive et d’encourager la réinsertion sociale des délinquants soumis à ce régime.
II. Conditions de mise en œuvre
Le suivi socio-judiciaire (SSJ) repose sur plusieurs conditions spécifiques, fixées par la loi, et s’applique en fonction du type de condamnation et du profil du condamné.
Le SSJ impose au condamné de respecter certaines obligations pendant la durée de son suivi :
- Se soumettre à des soins : Cela peut inclure des thérapies spécifiques, particulièrement dans le cadre des infractions sexuelles. Comme mentionné précédemment, cela peut être une obligation de soins (moins complexe) ou une injonction de soins (plus rigoureuse, avec l’intervention d’un médecin coordonnateur).
- Respecter des interdictions : Cela peut inclure des interdictions de contact avec la victime, des interdictions de fréquenter certains lieux (écoles, parcs, etc.), ou des restrictions de déplacement.
- Se présenter régulièrement devant les autorités judiciaires : Le condamné doit justifier qu’il respecte les obligations qui lui ont été imposées, en fournissant des preuves de sa bonne conduite et de son suivi médical.
Le juge d’application des peines (JAP) joue un rôle central dans la mise en œuvre du SSJ. Il s’assure que le condamné respecte les mesures prescrites, et peut, en cas de manquement, prononcer des sanctions supplémentaires, voire un emprisonnement.
III. Conséquences du non-respect des obligations
Le non-respect des obligations imposées dans le cadre du SSJ peut entraîner des conséquences graves. Si un condamné ne respecte pas les conditions du suivi, il s’expose à des poursuites pénales supplémentaires, pouvant entraîner une révocation du SSJ et son remplacement par une peine de prison.
De plus, les juges disposent de la possibilité d’étendre la durée du SSJ ou d’imposer des mesures de sûreté supplémentaires, surtout dans les cas où le condamné présente un risque élevé de récidive.
IV. Surveillance renforcée pour les infractions graves
Pour les infractions les plus graves, comme les crimes sexuels ou les infractions violentes, le suivi socio-judiciaire peut être accompagné de mesures de sûreté à long terme. Cela inclut par exemple :
- La surveillance électronique : Le condamné peut être équipé d’un bracelet électronique pour suivre ses mouvements et assurer qu’il respecte les interdictions de fréquentation ou de déplacement.
- La rétention de sûreté : Dans les cas extrêmes, une personne présentant un risque de récidive élevé peut être placée dans un centre de rétention, même après la fin de sa peine de prison, si elle est jugée dangereuse.
Ces mesures de sûreté, instaurées progressivement depuis la réforme de 2005, visent à protéger la société tout en permettant un suivi rigoureux des condamnés, notamment dans les cas de délinquance sexuelle.
V. Fin du Suivi Socio-Judiciaire
La fin du suivi socio-judiciaire intervient lorsque la durée maximale de la mesure a été atteinte et que le condamné a respecté l’ensemble des obligations imposées. À la fin de son SSJ, le condamné est libéré de toutes les contraintes liées au suivi, à moins qu’une mesure de sûreté supplémentaire n’ait été décidée par le juge.
PARTIE 2 : LES PEINES PRIVATIVES DE LIBERTÉS
CHAPITRE 1 : le cadre général
SECTION 1 : Problème des peines privatives de liberté (PPL)
La peine privative de liberté (PPL), ou incarcération, est souvent perçue comme une solution nécessaire pour certains délinquants, mais elle ne constitue pas une réponse adaptée pour la majorité des condamnés. L’incarcération entraîne de lourdes conséquences sociales : les condamnés perdent souvent leur emploi, interrompent leurs études, et subissent une dégradation de leur capital social. Ces effets conduisent à un taux élevé de récidive, qui oscille entre 60% et 70%.
Les courtes peines de prison sont particulièrement nuisibles. Elles sont suffisamment longues pour provoquer des ruptures dans la vie du condamné, sans être assez longues pour permettre une réelle réhabilitation. Les peines de milieu ouvert, comme les mesures de probation, peuvent être plus efficaces à condition que les problèmes sous-jacents qui alimentent la délinquance (par exemple, la toxicomanie, les troubles mentaux ou les difficultés sociales) soient correctement traités.
En revanche, les longues peines, d’une durée de 20 ans ou plus, tendent à produire moins de récidive. Cela s’explique par le fait que, lorsque les condamnés sortent de prison, ils sont souvent plus âgés, ont mûri, et sont passés à une autre phase de leur vie.
SECTION 2 : Motivation des peines
I. La motivation des peines
L’article 132-24 du Code pénal impose aux juridictions de motiver les peines prononcées. Cette disposition prévoit que les peines doivent être fixées en tenant compte à la fois de la nature de l’infraction et de la personnalité de l’auteur. Le quantum (durée ou montant) et le régime de la peine doivent refléter un équilibre entre :
- La protection de la société,
- La sanction du condamné,
- Les intérêts des victimes,
- La réinsertion ou insertion du condamné,
- La prévention de nouvelles infractions.
L’article 130-1 du Code pénal, introduit dans le cadre des réformes de Christiane Taubira, renforce ces mêmes objectifs : réduire la récidive, respecter les victimes, sanctionner le condamné, et favoriser sa réinsertion. Bien que ce texte soit récent, il reprend des principes déjà inscrits dans l’article 132-24, ce qui montre une continuité dans l’approche de la justice pénale.
II. Peine d’emprisonnement et motivation
L’article 132-19 alinéa 2 du Code pénal impose une obligation stricte de motivation pour toute peine d’emprisonnement ferme sans sursis. La juridiction doit justifier pourquoi elle a choisi cette peine plutôt qu’une autre alternative. Cette exigence ne s’applique pas dans les cas où le condamné est en état de récidive.
Cependant, sous l’impulsion de Christiane Taubira, une réforme a supprimé la mention relative aux récidivistes, élargissant ainsi l’obligation de motivation pour toute peine d’emprisonnement ferme, même en cas de récidive. Cela vise à renforcer la transparence des décisions judiciaires et à limiter l’usage abusif de l’emprisonnement en faveur d’autres mesures plus adaptées à la réinsertion.
CHAPITRE 2 : le droit pénitentiaire
SECTION 1 : la notion de droit pénitentiaire
Le droit pénitentiaire tire son étymologie du terme pénitence et se concentre principalement sur la gestion des régimes juridiques des établissements pénitentiaires et la protection des droits des détenus, tels que le maintien des liens familiaux. Cette discipline a évolué en parallèle du droit pénal, mais elle puise également dans d’autres branches du droit, notamment le droit administratif, le droit civil, et le droit pénal.
Par exemple, lorsqu’un incident survient entre détenus, comme une altercation sans témoin, le système pénitentiaire tend à sanctionner les deux parties, même celle qui s’est seulement défendue. Cette situation illustre un risque de développement d’un pouvoir d’injustice dans l’application de sanctions disciplinaires. Les qualifications disciplinaires dans les prisons sont similaires aux qualifications pénales, bien que les décisions administratives puissent parfois diverger de celles du droit pénal.
SECTION 2 : histoire du droit pénitentiaire
I. La période antérieure à la « révolution » pénitentiaire
Avant 1995, les détenus ne disposaient pas du droit de recours contre les décisions pénitentiaires qui leur portaient préjudice. Les mesures prises par l’administration pénitentiaire étaient considérées comme des mesures d’ordre intérieur (MOI), insusceptibles de recours. Cette classification plaçait les prisons, aux côtés de l’armée et des écoles, dans un domaine où les décisions administratives étaient protégées des contestations judiciaires. Il s’agissait d’une forme de protection de l’administration contre les actions en justice, perçue comme une méconnaissance de la légitimité politique.
II. Les causes et facteurs de la « révolution » pénitentiaire
A. Facteurs structurels
L’évolution de la justice pénitentiaire a été fortement influencée par des facteurs structurels et internationaux. Les sociétés occidentales sont de plus en plus enclines à régler leurs contentieux devant les tribunaux, rendant intolérable l’idée que les détenus ne puissent exercer aucun droit de recours.
L’influence du droit européen a également joué un rôle crucial : la France a été condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour des violations des droits des détenus. Ces condamnations ont conduit à une prise de conscience des autorités françaises, notamment en matière de conditions carcérales.
De plus, l’évolution du droit public a réduit le champ d’application des MOI, et le droit pénitentiaire s’est adapté à des changements sociaux : les prisonniers et le personnel pénitentiaire ont évolué. Dans les années 1980, les prisons se sont ouvertes sur la communauté extérieure, en intégrant des enseignants qualifiés et des professionnels de santé extérieurs. Une réforme de 1994 a obligé les prisons à collaborer avec les CHU et les hôpitaux, pour permettre des soins médicaux adaptés aux détenus.
B. Facteurs conjoncturels
Des événements spécifiques dans les années 1990 ont aussi accéléré les réformes du droit pénitentiaire :
- Personnalités importantes comme Bernard Tapie se sont retrouvées en prison, attirant ainsi l’attention des médias et du public sur les conditions de détention.
- L’affaire Vasseur en 2000, où le docteur Véronique Vasseur, médecin à la maison d’arrêt de la Santé, a dénoncé publiquement les conditions inhumaines de la prison. Cela a déclenché une couverture médiatique importante et a poussé le Parlement à se saisir de la question des conditions de détention, aboutissant à des rapports parlementaires dénonçant la situation des prisons, comme le rapport du Sénat intitulé « Prison : une honte pour la République ».
III. Les manifestations de la « révolution » pénitentiaire après l’effet Vasseur
L’arrêt Marie du Conseil d’État du 17 février 1995 marque un tournant en permettant aux détenus de contester les mesures d’ordre intérieur. Avant cet arrêt, et depuis l’arrêt Bruneau de 1932, les détenus ne pouvaient pas former de recours contre ces décisions.
Dans l’affaire Marie, un détenu avait critiqué les soins dentaires reçus en prison. Après avoir été sanctionné pour l’envoi d’une lettre contenant des termes grossiers, il a formé un recours. Le Conseil d’État a reconnu que la sanction pénitentiaire portait atteinte à ses droits (privation de visites, de téléphone), établissant ainsi un précédent pour l’acceptation des recours contre les sanctions disciplinaires en prison.
Autres réformes marquantes :
- Isolement administratif : autrefois non encadré, il pouvait durer plusieurs années, causant des troubles psychologiques graves chez les détenus. Depuis 2008, cette mesure est plus strictement contrôlée.
- Transfèrements : les transferts de détenus d’une prison à une autre, souvent sans justification, étaient un moyen d’empêcher toute organisation d’évasion, mais cela interrompait aussi les soins, la formation et les visites. En 2007, les transfèrements sont devenus contestables par voie de recours.
- Loi du 12 avril 2000 (article 24) : garantit à tout citoyen, y compris les détenus, le droit d’être assisté par un avocat lors des mesures faisant grief. Bien que cette loi s’applique à toutes les administrations, elle a tardé à être appliquée en milieu pénitentiaire. Ce retard a été dénoncé par les médias, forçant l’administration à la mettre en œuvre après l’avis du Conseil d’État du 3 octobre 2001.
- la création du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL) et de la loi Kouchner du 4 mars 2002, qui instaure la suspension médicale de peine pour les détenus gravement malades, témoignent des efforts faits pour améliorer le respect des droits des détenus en France.
- Loi de programmation 2018-2022 et de réforme pour la justice (23 mars 2019) :
- Cette réforme a fusionné la contrainte pénale avec le sursis probatoire, créant un cadre unifié pour le suivi des personnes condamnées à des peines alternatives à la prison. Le sursis probatoire permet désormais un contrôle plus personnalisé avec des obligations de soins, de travail ou de formation, renforçant ainsi la réinsertion des condamnés(Vie Publique).
- Elle a également simplifié le processus de libération sous contrainte, facilitant l’accès à des mesures telles que la semi-liberté ou la libération conditionnelle pour les condamnés ayant purgé une partie de leur peine(Dalloz Actualité).
- Code pénitentiaire (1er mai 2022) :
- Cette réforme a abouti à la création du Code pénitentiaire, un outil qui regroupe l’ensemble des dispositions relatives aux établissements pénitentiaires, aux droits des détenus, et aux obligations des personnels. Le code vise à rendre plus lisible le droit pénitentiaire et à faciliter son application tout en affirmant les droits des personnes détenues(Ministère de la justice).
- Il met en lumière les missions des services pénitentiaires d’insertion et de probation (SPIP), qui jouent un rôle clé dans la réinsertion des détenus en milieu ouvert et fermé(Ministère de la justice).
- Loi n° 2021-403 du 8 avril 2021 :
- Adoptée pour garantir le droit à la dignité en prison, cette loi est intervenue après une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle visait à améliorer les conditions de détention, à lutter contre le surpeuplement carcéral, et à offrir aux détenus un recours préventif pour contester leurs conditions de vie en prison (Dalloz Actualité).
- La loi oblige également à des aménagements de peine pour les détenus dans des conditions indignes (Dalloz Actualité).
-
Réforme du travail pénitentiaire (2022) :Cette réforme visait à améliorer les droits sociaux des détenus qui travaillent en prison. Elle introduit un contrat de travail spécifique offrant davantage de droits, tels qu’un salaire minimum et des droits à la formation professionnelle pour les détenus (Dalloz Actualité).
SECTION 3 : surpopulation et répression
Les derniers chiffres indiquent que La France comptait au 1er juillet plus de 74 000 détenus, pour seulement 60 000 places de prison disponibles.
Au fil des décennies, malgré des avancées notables en matière de droits des détenus, tels que le droit de recours et l’accès à un avocat, les conditions matérielles en prison n’ont pas connu d’améliorations significatives. À partir des années 2000, la situation s’est même aggravée en raison de politiques répressives, notamment l’instauration des peines planchers et une approche plus stricte des libérations conditionnelles.
Allongement des peines et difficultés de sortie :
- Entre 2005 et 2012, les peines prononcées sont devenues plus longues. En 1980, la durée moyenne de détention était de 4 mois. Aujourd’hui, elle atteint en moyenne 10 mois. Ce durcissement des peines s’accompagne de sorties plus difficiles, particulièrement pour les longues peines, limitant ainsi les chances de réinsertion rapide(Vie Publique)(Ministère de la justice).
Fermeture des portes et militarisation :
- En 2002, sous l’influence de préfets comme Lallemand et Harcourt, les prisons ont subi un processus de militarisation avec la création de corps de commandement, la mise en place de cérémonies formelles pour le personnel pénitentiaire, et la fermeture des portes des cellules. Avant cette période, les détenus avaient un certain niveau de liberté de mouvement dans les prisons centrales, permettant des déplacements non surveillés pour aller à la bibliothèque ou à la douche. Avec les nouvelles politiques, ces pratiques ont été restreintes, alignant les régimes des centrales avec ceux des maisons d’arrêt. De plus, des unités spéciales de CRS, nommées ERIS (équipe régionale d’intervention et de sécurité), ont été introduites pour renforcer la sécurité dans les établissements(Ministère de la justice).
Surpopulation carcérale :
- Le problème majeur reste celui de la surpopulation. Avec l’augmentation des peines et de leur durée, le nombre de détenus a explosé sans que le parc pénitentiaire n’augmente en conséquence. En 2022, la France comptait environ 68 000 détenus pour seulement 50 000 places, soit un taux d’occupation supérieur à 130 % dans certaines prisons (en juillet 2023, c’est 74000 prisonniers pour 60000 places). Cette situation résulte d’une combinaison de peines plus longues et d’une infrastructure inadaptée. Le nombre de places est souvent défini par des lits superposés, augmentant ainsi la densité dans les cellules, et ce malgré une baisse globale de la délinquance dans les pays occidentaux(Dalloz Actualité)(vie Publique).
CHAPITRE 3 : les sources du droit pénitentiaire
Les sources du droit pénitentiaire en France sont le fruit d’une interaction entre le droit interne (longtemps dominé par des circulaires administratives) et le droit supranational, notamment à travers les décisions de la CEDH et les recommandations du Conseil de l’Europe.
SECTION 1 : Le droit interne
Historiquement, le droit pénitentiaire en France a longtemps été caractérisé par une inversion de la hiérarchie des normes. Les circulaires administratives prenaient le pas sur les lois et les décrets, car ni le législateur ni le pouvoir réglementaire ne souhaitaient intervenir directement dans la gestion des prisons. Cette absence de cadre législatif clair était justifiée par une méconnaissance ou un manque d’intérêt pour les conditions de détention. Par exemple, l’article 726 du Code de procédure pénale, un des rares textes relatifs aux détenus, était longtemps la seule référence juridique en matière pénitentiaire avant que la jurisprudence n’évolue.
L’arrêt Marie du Conseil d’État en 1995 a marqué un tournant en reconnaissant le droit des détenus à former des recours contre les sanctions disciplinaires. Avant cela, les décisions prises par les autorités pénitentiaires étaient considérées comme des mesures d’ordre intérieur (MOI) insusceptibles de recours. Ce revirement jurisprudentiel a ouvert la voie à une meilleure protection des droits des détenus.
Loi du 24 novembre 2009 : Cette loi, introduite sous la présidence de Nicolas Sarkozy, avait pour objectif de rétablir une hiérarchie des normes en matière pénitentiaire, en réaffirmant le cadre législatif et en réduisant la dépendance aux circulaires. Cependant, cette loi n’a pas été intégrée dans le Code de procédure pénale. Elle visait à réformer les conditions de détention, tout en abordant des sujets comme les fouilles corporelles, qui étaient une source de préoccupation majeure à l’époque.
Loi du 18 janvier 1994 : Cette loi avait pour but d’introduire le droit commun en matière de santé dans les prisons, notamment en facilitant l’accès des détenus à des soins médicaux dans des hôpitaux civils, afin d’éviter les transfèrements à long terme vers des hôpitaux pénitentiaires comme Fresnes ou Marseille. Elle a également mis fin à certaines pratiques dangereuses, comme la préparation des médicaments par les détenus eux-mêmes, qui exposait les détenus à des risques d’empoisonnement.
Le règlement intérieur des prisons a également été encadré plus rigoureusement avec le décret du 30 avril 2013, qui visait à standardiser les pratiques dans les établissements pénitentiaires. Cependant, l’accès des détenus au règlement intérieur complet reste problématique, ce qui limite leur capacité à connaître leurs droits et obligations.
SECTION 2 : Le droit supranational
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966, ratifié par la France, établit des droits fondamentaux pour les personnes privées de liberté. En Europe, le droit pénitentiaire est largement influencé par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) et le Conseil de l’Europe.
La CEDH a rendu plusieurs arrêts importants concernant les conditions de détention et les traitements inhumains ou dégradants. Par exemple, dans l’arrêt Edwards c. Royaume-Uni (2002), la Cour a condamné le Royaume-Uni pour avoir placé un détenu dans une cellule avec un schizophrène violent, ce qui a conduit à sa mort. La France a également été condamnée à plusieurs reprises, notamment dans les arrêts Rivière et Reynolds, pour des conditions de détention inhumaines et dégradantes. L’arrêt Vincent a porté sur le traitement des détenus handicapés, tandis que l’arrêt Ostroïver c. Moldavie a abordé les mauvaises conditions de détention en Europe de l’Est.
Plus récemment, en janvier 2020, la France a été condamnée par la CEDH pour des conditions de détention indignes. La Cour a souligné la nécessité d’améliorer les infrastructures pénitentiaires et de garantir aux détenus un recours préventif pour contester leurs conditions de détention (Dalloz Actualité).
En matière de recommandations, le Conseil de l’Europe a également publié plusieurs ensembles de règles pénitentiaires, dont les versions de 1973, 1993, et 2006. Les Règles pénitentiaires européennes (RPE) de 2006 ont eu un impact significatif sur la gestion des prisons en France, en particulier en matière de respect des droits humains et de réinsertion sociale.
CHAPIRE 4 : les personnels
SECTION 1 : Les personnels pénitentiaires
I. La Direction de l’administration pénitentiaire (DAP)
Deux directions sont essentielles au sein du ministère de la Justice :
-
La DAP : Historiquement responsable de l’administration pénitentiaire stricte, son rôle s’est élargi. Aujourd’hui, elle s’occupe également du suivi socio-judiciaire des condamnés, notamment via des programmes de réinsertion et de préparation à la sortie, en cohérence avec les nouvelles politiques de justice restaurative et de réduction de la récidive.
- La direction des affaires criminelles et des grâces (DACG) : Autrefois principalement centrée sur le suivi des mesures éducatives (SME) et l’exécution des peines, elle occupe désormais une place de choix dans l’élaboration et la révision des réformes pénales. Elle intervient dans les débats publics sur la justice, l’évolution des sanctions et les politiques de lutte contre la criminalité.
Le chef de la DAP est actuellement Mme Gorce. La DAP s’appuie sur plusieurs directions interrégionales réparties dans des régions clés (Lyon, Paris, Bordeaux, Marseille, Strasbourg, Dijon, Rennes, Toulouse), ainsi que sur la mission pénitentiaire d’outre-mer, pour coordonner les politiques et pratiques pénitentiaires à travers la France.
Les personnels de direction, composés des chefs d’établissement pénitentiaire et des sous-directeurs, sont recrutés à un niveau bac +4. Ces cadres doivent gérer des environnements complexes, où la gestion des surveillants peut se révéler plus difficile que celle des détenus eux-mêmes. Ils sont en lien permanent avec les forces de l’ordre (police et gendarmerie) pour assurer la sécurité au sein des établissements.
La commission de discipline, véritable tribunal interne dans les établissements, a un pouvoir de décision concernant les sanctions disciplinaires des détenus. Elle délivre également des permis de visite et participe aux audiences des juges d’application des peines (JAP), avec une mission de conseil et de suivi.
Personnels de surveillance et de commandement : Les surveillants, classés en catégorie C, sont recrutés au niveau du brevet des collèges, avec un âge minimum de 19 ans (bien que certains candidats aient un niveau supérieur, notamment 18 % qui possèdent le baccalauréat). Une voie d’évolution est offerte via des concours internes pour devenir premier surveillant.
Après leur recrutement, les surveillants de base suivent une formation de 8 mois à l’ENAP (École nationale d’administration pénitentiaire), où ils apprennent le droit, les techniques de sécurité, les fouilles, ainsi que l’utilisation des armes à feu. Dans le cadre de leurs missions, ils accompagnent les détenus lors des activités sportives, des promenades, et des parloirs, tout en participant à la commission de discipline. Certains surveillants se spécialisent en devenant moniteurs, tels que des professeurs de sport, et peuvent conseiller les détenus sur des questions pratiques, comme la recherche d’un avocat.
Le corps de commandement, fondé par M. Lallemand, comprend des capitaines et des chefs de commandement, postes accessibles via promotion interne ou concours externe. Ce concours est ouvert aux candidats bacheliers de moins de 40 ans et offre une formation de 12 mois pour intégrer ces fonctions.
III. La déontologie des personnels
Le décret du 30 décembre 2010 a instauré un code de déontologie applicable à tous les agents pénitentiaires. Ce texte est systématiquement affiché à l’entrée des établissements et précise les règles de conduite. Il interdit toute forme de violence, de tutoiement ou d’insulte envers les détenus. Les agents doivent respecter des règles strictes, comme l’interdiction de fumer, de consommer de l’alcool, ou de demander des services personnels aux détenus.
Les surveillants sont soumis à un devoir de réserve et au secret professionnel, incluant la solidarité entre collègues. Ils ne doivent pas entretenir de relations personnelles avec les détenus, leurs familles ou leurs amis, bien que cette règle puisse s’avérer difficile à appliquer dans certaines circonstances. Les agents ont également pour mission d’assurer la sécurité des détenus et sont tenus de porter l’uniforme réglementaire en toutes circonstances.
SECTION 2 : Les autorités de contrôle
Trois principales autorités surveillent les établissements pénitentiaires :
- Commission de surveillance
- Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL)
- Défenseur des droits (DDD)
Le Défenseur des droits (DDD), issu de la fusion entre plusieurs institutions (Défenseur des enfants, Médiateur de la République), s’intéresse à la déontologie des forces de sécurité ainsi qu’à la préservation des liens familiaux des détenus. Le DDD traite de nombreuses thématiques, incluant les droits fondamentaux des personnes détenues.
Le CGLPL, institué par la loi du 30 octobre 2007, est opérationnel depuis 2008 et exerce un contrôle sur l’ensemble des lieux de privation de liberté (gardes à vue, établissements pénitentiaires, hôpitaux psychiatriques, centres de rétention administrative pour étrangers). Il reçoit les plaintes des détenus et effectue des rapports après chaque visite, comprenant des recommandations et des observations, et publie un rapport annuel. Le CGLPL a également la possibilité d’émettre des avis publics sur des sujets spécifiques touchant les droits des détenus. Ces interventions ont permis de mettre en lumière des abus, comme l’utilisation de matelas au sol ou les violences dans les cours de promenade.
Cependant, certaines problématiques, telles que la surpopulation carcérale, dépassent la compétence de l’administration pénitentiaire, car cette dernière ne peut refuser l’entrée de nouveaux détenus.
Le principal défi auquel fait face le CGLPL réside dans la durée limitée de ses visites (généralement trois jours par établissement), ce qui rend difficile une évaluation complète des situations.
La commission de surveillance, quant à elle, est une institution plus ancienne, composée de membres du tribunal et de représentants de la collectivité territoriale. Elle a le pouvoir de visiter les établissements aussi souvent que nécessaire et de signaler les dysfonctionnements au ministère de la Justice si elle le juge nécessaire.
CHAPITRE 5 : les établissements pénitentiaires
Bien que le secteur privé se soit montré plus efficace dans certaines tâches techniques (comme la maintenance ou l’hygiène), les services essentiels comme la santé, la surveillance, et la gestion globale des prisons relèvent de la responsabilité du secteur public. La surpopulation carcérale et des conditions de détention est un enjeu majeur en France.
SECTION 1 : le parc immobilier
I. Les constructions publiques
Historiquement, les établissements pénitentiaires étaient exclusivement publics, souvent installés dans des bâtiments tels que d’anciens monastères. Au 19ème siècle, une grande partie des nouvelles prisons fut construite par les détenus eux-mêmes, dans un contexte où l’incarcération servait aussi de main-d’œuvre. Une vague importante de construction a suivi dans les années 1960 et 1970, pour faire face à l’afflux de personnes issues des décolonisations, notamment de l’Algérie.
Aujourd’hui, la France compte environ 188 établissements pénitentiaires. Plus de 100 sont des maisons d’arrêt et le reste des centres de détention ou des prisons centrales. Parmi les grandes prisons, Fresnes et Fleury-Mérogis sont particulièrement notables, cette dernière étant la plus grande prison d’Europe. Cependant, les problèmes de vétusté des bâtiments et de surpopulation carcérale sont récurrents, accentuant les difficultés de gestion, notamment dans les établissements de grande taille. La France, condamnée à plusieurs reprises par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour des conditions de détention indignes, tente aujourd’hui de remédier à ces situations en investissant dans la modernisation et la construction de nouvelles prisons.
Le Plan prison 2023-2027, initié par le gouvernement, prévoit la construction de 15 000 nouvelles places pour réduire la surpopulation carcérale, avec une attention particulière portée sur la réinsertion des détenus.
II. Les constructions privées
En 1987, M. Chalendon, alors ministre de la Justice, introduit un système appelé des « prisons à péage ». Le concept était que des entreprises privées construisent les établissements pénitentiaires, et l’État leur verse une redevance journalière en échange de leur utilisation.
Aux États-Unis, la privatisation pénitentiaire est totale : l’ensemble des personnels, y compris les surveillants, appartient à des sociétés privées. En France, ce modèle a failli être adopté en 1987, quand l’Assemblée nationale a voté la privatisation complète des prisons, y compris des personnels de surveillance et de direction. Toutefois, le Sénat est intervenu et a limité la privatisation à certains services, préservant le statut public pour les surveillants et les directeurs. Le compromis a abouti à une gestion mixte : le secteur privé gère certains services comme la restauration et la maintenance, mais le personnel pénitentiaire reste sous la responsabilité de l’État.
La loi du 22 juin 1987 officialise ce modèle semi-privé. Deux types de gestionnaires cohabitent dans les prisons : un gestionnaire public et un gestionnaire privé. Certaines missions, comme la probation ou la santé, ont d’abord été confiées au secteur privé. Toutefois, en 1994, une réforme a transféré la responsabilité de la santé aux hôpitaux publics, avec des médecins hospitaliers venant soigner les détenus, mettant fin à l’échec de la gestion privée dans ce domaine. Le Plan santé des détenus 2022-2026 renforce ce dispositif avec des consultations médicales en visioconférence, facilitant ainsi l’accès aux soins spécialisés pour les détenus.
Certains services se révèlent plus efficaces sous gestion privée, comme la maintenance, où la réactivité est meilleure. Toutefois, d’autres services comme la restauration ont soulevé des critiques. Dans les établissements publics, les repas sont préparés sur place, mais avec un budget limité, les repas sont souvent peu équilibrés et composés de conserves. Dans les prisons privées, bien que les repas soient conformes aux normes d’hygiène et de calories, ils sont souvent préparés en extérieur et jugés moins savoureux. Cependant, les régimes spécifiques (allergies, diabète) y sont mieux pris en charge.
L’arrivée de la pensée néolibérale dans les années 1980 a fait espérer une amélioration de la qualité des services pénitentiaires. Aux États-Unis, cette privatisation s’est accompagnée du recrutement d’anciens policiers et militaires, mais cela a parfois entraîné des violences entre personnels et détenus. En Angleterre, un modèle similaire a été adopté, avec des résultats comparables en termes d’incompétence et de problèmes éthiques.
Des recherches, notamment celles de Liebling et Crewe, ont tenté de déterminer si les prisons privées étaient plus éthiques que les établissements publics. En interrogeant à la fois détenus et surveillants, ils ont pu établir une grille d’évaluation des bonnes pratiques carcérales. Selon leurs conclusions, un bon surveillant est quelqu’un de prévisible, qui tient ses promesses et applique les règles avec rigueur.
Dans le cadre de la privatisation partielle, le secteur privé continue d’exceller dans certaines tâches, comme la maintenance des bâtiments, où il est reconnu pour sa réactivité. En revanche, des services comme la restauration posent des questions. Dans les prisons publiques, les repas sont préparés sur place, mais avec des budgets limités, les repas manquent souvent de diversité et d’équilibre. Dans les prisons privées, bien que les repas respectent des normes d’hygiène et de calories, ils sont souvent jugés insipides. Toutefois, ces prisons sont plus adaptées aux détenus ayant des besoins alimentaires spécifiques (allergies, diabète).
III. Analyse comparée des secteurs public et privé
Les discussions autour de la privatisation des prisons continuent, notamment en raison de la montée des idées néolibérales depuis les années 1980. Des recherches menées par des spécialistes comme Liebling et Crewe ont comparé les établissements publics et privés en matière de déontologie et de traitement des détenus. Les études montrent qu’un bon surveillant est celui qui se montre juste, prévisible et qui tient ses promesses.
- Transport des détenus : L’extraction de détenus pour les amener au tribunal ou dans d’autres établissements reste un point faible, quel que soit le secteur, même si la responsabilité ultime demeure entre les mains de l’administration pénitentiaire.
- Cantine : Dans le secteur privé, la cantine est souvent perçue comme une source de profit, les prix des articles vendus aux détenus étant parfois jugés exorbitants par rapport aux prisons publiques.
- Restauration : Dans les établissements publics, la nourriture est souvent peu variée et de qualité médiocre, tandis que dans le privé, les repas sont équilibrés en termes de calories, mais jugés moins savoureux. Les détenus ayant des besoins alimentaires particuliers (comme les diabétiques ou allergiques) sont mieux pris en charge dans le privé.
- Maintenance : Le secteur privé prend souvent l’avantage ici, grâce à une plus grande efficacité dans la réparation et l’entretien des infrastructures, alors que les établissements publics souffrent parfois de retards dans l’entretien.
- Hygiène : Dans le privé, le nettoyage est strictement limité à ce qui est prévu dans le cahier des charges, souvent trop restreint, ce qui peut entraîner des lacunes en matière de propreté. Dans le public, ce sont généralement les détenus eux-mêmes qui assurent l’entretien des locaux, avec plus de flexibilité, mais des résultats variables.
- Santé : Depuis la loi de 1994, la gestion de la santé dans les prisons relève exclusivement du secteur public, ce qui a permis un accès amélioré aux soins grâce à des médecins hospitaliers spécialisés. Avec les récentes réformes, la télémédecine est désormais utilisée pour permettre aux détenus d’avoir un suivi médical plus régulier sans déplacement.
- Travail des détenus : Ni le secteur privé ni le public n’ont réussi à résoudre le manque d’emplois dans les prisons. Cette situation reste l’un des principaux défis du système pénitentiaire, tant pour la réinsertion que pour l’amélioration des conditions de détention.
- Probation : Depuis la réforme de 1999, la probation est totalement réintégrée à l’administration pénitentiaire, renforçant ainsi la dimension publique de la gestion des mesures alternatives à l’incarcération.
SECTION 2 : les différents types établissements pénitentiaires
I. les distinctions externes
- Maison d’arrêt : En France, plus de 100 maisons d’arrêt existent parmi les 188 établissements pénitentiaires. La surpopulation carcérale y est un problème récurrent. Ces établissements accueillent principalement les prévenus (personnes en attente de jugement) ainsi que les condamnés à des peines allant jusqu’à 2 ans. Selon l’article 717-2 du Code de procédure pénale, l’encellulement individuel est prévu de jour comme de nuit, mais en pratique, la surpopulation empêche son application, malgré une condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour des conditions de détention inhumaines.
Les détenus peuvent demander à être isolés en vertu de l’article D53-1, mais la majorité préfère rester en surpopulation pour ne pas être déplacée et ainsi garder un lien avec leurs familles grâce aux parloirs. En maison d’arrêt, les détenus sont enfermés dans leur cellule jusqu’à 22 heures par jour, avec des sorties limitées à des activités autorisées comme les promenades, les parloirs et certaines activités éducatives.
Le Plan prison 2023-2027 prévoit la construction de 15 000 nouvelles places pour tenter de résoudre ce problème persistant de surpopulation, avec un accent mis sur l’amélioration des conditions de détention et le respect de l’encellulement individuel.
- Centre de détention : Ces établissements, qui ne souffrent pas de surpopulation, accueillent les détenus condamnés à des peines supérieures à 2 ans. Ils sont destinés aux détenus capables de s’adapter à un régime plus souple (article D87 du Code de procédure pénale), contrairement aux maisons centrales, qui sont réservées aux détenus jugés plus dangereux.
Les centres de détention fonctionnent sous des régimes différenciés :
- Régime souple : Plus d’activités, moins de surveillance stricte.
- Régime ordinaire : Comparable à celui des maisons d’arrêt avec des portes fermées, mais davantage d’activités.
- Régime strict : Similaire à celui des maisons centrales, avec portes fermées et peu d’activités.
Les visites dans ces établissements peuvent durer jusqu’à 2 heures, contrairement aux 30 minutes habituellement accordées en maison d’arrêt. Ces centres sont aussi plus orientés vers la réinsertion, avec des activités de formation professionnelle et des programmes de préparation à la sortie.
- Maison centrale : Ce type d’établissement est destiné aux détenus dangereux, souvent condamnés à de longues peines. La sécurité y est plus stricte, en application de l’article D71 du Code de procédure pénale, avec une attention particulière portée à la sécurité dynamique. Celle-ci consiste en une surveillance active et rigoureuse des déplacements des détenus dans l’établissement.
En dépit de ce haut niveau de sécurité, ces prisons offrent des programmes de formation professionnelle (CAP, BEP) pour favoriser la réinsertion. Les maisons centrales abritent souvent les détenus les plus durs, mais des efforts sont faits pour leur permettre de suivre un parcours éducatif ou professionnel.
- Centres de semi-liberté : En France, il n’existe pas de prisons ouvertes à proprement parler, comme cela existe dans d’autres pays européens. Les centres de semi-liberté permettent aux détenus de sortir pour travailler, suivre une formation ou exercer une activité à l’extérieur, tout en étant tenus de retourner au centre pour y passer la nuit. Ces centres peuvent être autonomes ou constituer des quartiers spécifiques dans une maison d’arrêt, séparés des autres détenus. L’objectif est de préparer la réinsertion progressive des détenus, en leur permettant de retrouver une certaine autonomie avant leur sortie définitive.
- Centres pour peines aménagées : Ces établissements sont une innovation récente dans le paysage pénitentiaire français, accueillant des détenus en fin de peine ou condamnés à des peines courtes (inférieures à 1 an). Leur vocation est de préparer les détenus à leur réinsertion en proposant des régimes aménagés comme la semi-liberté ou le placement sous surveillance électronique. Actuellement, la France compte quatre établissements de ce type, qui visent à accompagner les détenus dans leur transition vers la liberté, tout en assurant un suivi adapté.
- EPM (Établissements pour mineurs) : Les Établissements Pénitentiaires pour Mineurs (EPM) sont réservés aux jeunes de moins de 18 ans ayant commis des infractions graves ou lorsque les mesures éducatives ont échoué. Aujourd’hui, il existe 7 EPM en France. L’objectif des EPM est de concilier éducation et sécurité, avec un encadrement renforcé (1 surveillant pour 1 mineur). La scolarité y est obligatoire jusqu’à 16 ans avec au moins 6 heures d’enseignement par semaine, conformément à la législation.
Le placement en détention des mineurs reste exceptionnel, car l’incarcération de jeunes délinquants peut aggraver la récidive. Cependant, lorsque la détention est inévitable, ces établissements offrent un cadre éducatif strict et séparé des adultes, avec un objectif de réinsertion. Les mineurs et les prévenus y sont strictement séparés des condamnés. La responsabilité pénale étant fixée à 13 ans, un mineur peut être placé en détention à partir de cet âge, bien que cela reste une mesure ultime après épuisement des autres solutions.
II. Les divisions internes
A. Séparation des hommes et des femmes
Les établissements pénitentiaires sont divisés en quartiers hommes et quartiers femmes.
- Les femmes détenues
En France, les femmes représentent environ 3,4 % de la population carcérale, un chiffre relativement constant. Ce faible pourcentage s’explique par les politiques pénales orientées principalement vers des délits plus fréquemment commis par des hommes, notamment les infractions violentes ou liées au crime organisé.
En conséquence, il existe peu de prisons exclusivement pour femmes. La plupart des femmes se retrouvent incarcérées dans des quartiers spécifiques au sein de prisons masculines, souvent éloignées de leur famille et de leurs enfants, ce qui complique le maintien des liens familiaux. À titre d’exemple, la prison de Rennes est la seule prison entièrement dédiée aux femmes en France.
Les activités proposées aux femmes en détention sont également limitées, en raison des faibles budgets alloués à cette population. En général, elles se limitent à des tâches considérées comme traditionnelles telles que la cuisine ou la couture, ce qui reflète encore des stéréotypes de genre persistants dans les politiques pénitentiaires.
Historiquement, les premières prisons étaient souvent mixtes, mais la séparation a été justifiée par plusieurs facteurs :
- Victimisation sexuelle : la crainte que les femmes soient victimes de violences sexuelles en détention mixte.
- Gestion des relations sentimentales : les surveillants préfèrent éviter les complications liées aux relations amoureuses potentielles entre détenus de sexes opposés.
- Grossesses : le risque de grossesses non désirées en milieu carcéral mixte est également une préoccupation majeure.
Cependant, il existe des exceptions. Selon l’article 28 de la loi pénitentiaire, certaines activités mixtes peuvent être organisées à condition de respecter l’ordre et la sécurité des établissements.
Concernant la mixité des surveillants, en France, il est rare que des surveillants hommes soient affectés à des quartiers pour femmes. Néanmoins, des hommes peuvent occuper des postes dans le corps de commandement. Les femmes détenues sont souvent jugées plus vulnérables, souffrant plus fréquemment de problèmes mentaux ou de toxicomanie, ce qui justifie une attention particulière.
Dans certains cas, il a été observé que les détenus hommes se comportent de manière plus respectueuse envers les surveillantes femmes qu’envers leurs collègues masculins, créant ainsi une dynamique différente dans la gestion de la prison.
B. Quartiers ordinaires, disciplinaires et d’isolement
- Quartiers ordinaires : La majorité des détenus se trouve dans ces unités de détention normales, où ils purgent leur peine dans des conditions standards. Les cellules sont généralement partagées, malgré le principe théorique d’encellulement individuel, souvent contourné en raison de la surpopulation.
- Quartiers d’isolement : Ces quartiers sont réservés aux détenus dangereux, aux terroristes, ou à ceux ayant tenté de s’évader. Ils permettent de séparer les détenus à haut risque du reste de la population carcérale. Les policiers ou autres agents des forces de l’ordre condamnés sont souvent placés en isolement pour éviter des représailles de la part des détenus qu’ils auraient arrêtés.
- Quartiers disciplinaires : Il s’agit de cellules punitives où les détenus sont placés pour des infractions graves au règlement interne. Jusqu’en 1990, les détenus en quartier disciplinaire étaient déshabillés pour éviter les tentatives de suicide, une pratique aujourd’hui abandonnée, car elle pouvait aggraver la détresse psychologique.
C. Attribution des cellules
Le chef d’établissement décide de l’attribution des cellules en fonction de plusieurs critères. Il est interdit de mélanger les prévenus (personnes en attente de jugement) et les condamnés (personnes ayant purgé leur peine), pour éviter que des personnes non condamnées soient influencées par des détenus plus endurcis. Cependant, il peut arriver que des prévenus aient déjà des antécédents criminels, tandis que des condamnés en soient à leur première peine.
Dans des prisons comme Fresnes, où les détenus peuvent représenter jusqu’à 40 nationalités, les tensions politiques ou ethniques sont prises en compte. Les conflits entre groupes nationaux ou ethniques peuvent éclater, et il est important de séparer ces groupes pour éviter des violences lors des promenades ou des moments de sociabilisation. De même, il faut prendre en compte les barrières linguistiques lors de l’attribution des cellules.
Certaines décisions sont également prises en fonction du comportement individuel. Par exemple, un jeune détenu perturbateur pourrait être placé avec un détenu plus expérimenté dans l’espoir que ce dernier lui impose une certaine discipline. À l’inverse, des détenus ayant des habitudes de vie trop différentes (par exemple, un individu très propre avec un autre ayant de mauvaises habitudes d’hygiène) ne seront pas mis ensemble pour éviter des conflits inutiles.
L’avis du 30 juin 2010 aborde la question des détenus transgenres. En pratique, tant qu’une transition de genre n’est pas complète, ces détenus sont généralement placés dans des prisons correspondant à leur sexe d’origine.
D. Mineurs / Majeurs
Selon les Règles pénitentiaires européennes (RPE) et l’article D93 du Code de procédure pénale, les mineurs doivent être strictement séparés des majeurs pour éviter toute influence négative ou perversion. En France, la majorité pénale est fixée à 18 ans, mais il existe des centres éducatifs fermés (CEF) pour mineurs. La séparation mineurs/majeurs est un principe absolu, bien que des activités mixtes puissent être organisées de manière dérogatoire selon l’article R 57-9-17.
La socialisation des jeunes majeurs (18-21 ans) a été retardée pour permettre une meilleure transition vers l’âge adulte, assurant une protection prolongée contre l’influence des détenus plus âgés.
E. Détenus suicidaires
Selon les articles 716 et 717-2 du Code de procédure pénale, l’encellulement individuel des détenus suicidaires est à éviter. L’isolement aggrave souvent leur état, et il est préférable qu’ils soient placés avec d’autres détenus pour leur apporter du soutien.
Il existe des quartiers spécifiques pour les détenus souffrant de troubles mentaux, mais ceux-ci sont rares en France, avec seulement 22 unités spécialisées. Cependant, environ 10 à 15 % des détenus souffrent de problèmes psychiatriques, un taux qui reste préoccupant compte tenu des ressources limitées dans ce domaine.
CHAPITRE 6 : la vie quotidienne en détention
SECTION 1 : la journée du détenu
En 2023, le Garde des Sceaux a réitéré l’importance de renforcer les programmes de réinsertion et le travail pénitentiaire, mais sans changements législatifs radicaux concernant le statut du travailleur détenu. Le développement de partenariats avec des entreprises privées pour augmenter les offres d’emploi en prison reste une priorité, mais la participation des entreprises demeure faible.
I. les activités du détenu
A les activités physiques
Le sport en détention est une activité particulièrement valorisée pour ses nombreux bienfaits. En plus d’être bénéfique pour la santé physique, il joue un rôle essentiel dans la réduction du stress et du risque de dépression chez les détenus. Le sport offre aux détenus l’opportunité de quitter leur cellule, de rencontrer d’autres détenus en dehors de leur espace de détention quotidien, et, pour certains, il permet de développer une force physique (musculation, football) afin de se protéger ou de décourager toute forme d’intimidation.
Aux États-Unis, certaines prisons ont supprimé les activités sportives sous prétexte que rendre les détenus plus forts pourrait les rendre plus agressifs. En France, cependant, le sport est vu comme un outil d’équilibre et une échappatoire aux tensions de la détention.
L’administration pénitentiaire a l’obligation de proposer des activités physiques et de planifier des programmes sportifs. Le Code de procédure pénale, dans son article D359, garantit à chaque détenu le droit à une promenade quotidienne d’au moins une heure à l’air libre. Cependant, ces promenades peuvent devenir des lieux de trafic et de violence, notamment à cause de l’absence de surveillants durant ces moments. Par exemple, des détenus musclés peuvent intimider d’autres détenus pour récupérer des objets lancés par-dessus les murs.
Dans les établissements pour peine, où l’espace est moins restreint que dans les maisons d’arrêt, il existe une plus grande variété d’activités sportives. Par exemple, l’ancienne prison de Melun possédait même une piscine. Depuis quelques années, l’administration impose aux surveillants de passer le brevet de moniteur de sport, et depuis 2004, des accords ont été signés avec les fédérations sportives pour enrichir les offres sportives en prison. Certaines prisons maintiennent des sports comme la boxe ou la pétanque.
Une initiative originale est le Tour de France pénitentiaire, où les détenus participent à des courses de vélo ou à des activités sportives dans le cadre de journées de sortie encadrées.
Pour pratiquer une activité sportive, les détenus doivent être autorisés après un avis médical et une décision du chef d’établissement. Le sport peut également être interdit en cas de sanction disciplinaire. Par ailleurs, les délinquants sexuels, bien qu’autorisés à pratiquer des sports, rencontrent souvent des problèmes d’intégration, les autres détenus refusant souvent de participer à des sports collectifs en leur présence.
B le travail
1. Le caractère facultatif du travail
Le travail pénitentiaire, autrefois obligatoire, est devenu facultatif depuis la loi de 1987. Cette évolution vise à respecter les normes internationales relatives aux droits des détenus, notamment la Convention n°29 de l’Organisation internationale du travail (OIT), qui interdit le travail forcé. Cependant, toute activité requise pour le bon fonctionnement de l’établissement (comme le nettoyage) n’est pas considérée comme du travail forcé.
Un autre facteur ayant conduit à rendre le travail facultatif est l’incapacité de fournir suffisamment d’emplois à tous les détenus. Pourtant, de nombreux prisonniers souhaitent travailler, car cela structure leur quotidien et leur permet de développer une certaine discipline en s’habituant à recevoir des ordres et à respecter un horaire. Le travail est également un moyen de se préparer à la réinsertion.
2. Le manque d’emploi
Plusieurs raisons expliquent le manque d’emplois en détention :
- Le marché du travail pénitentiaire repose principalement sur des entreprises extérieures qui s’installent en prison pour y proposer des emplois. Toutefois, ces entreprises sont souvent réticentes à venir en raison de plusieurs obstacles :
- Les établissements pénitentiaires sont souvent anciens, insalubres et peu sécurisés.
- Les nouvelles prisons sont souvent situées en zone rurale, loin des villes, rendant difficile l’accès pour les employeurs et leurs salariés (manque de transports publics).
- Le manque de sécurité : les employeurs craignent pour la sécurité de leurs employés, notamment à cause de l’utilisation d’outils dangereux comme des tournevis, qui pourraient être détournés pour des actes de violence.
- Les délais de formation : dans les maisons d’arrêt, où les détenus restent souvent moins d’un an, le temps de former un détenu coïncide souvent avec sa libération prochaine.
- La surpopulation : dans de nombreux établissements, la priorité est donnée à la création de cellules supplémentaires plutôt qu’à l’aménagement d’espaces de travail.
- Le profil des détenus : de nombreux détenus souffrent de problèmes de santé (toxicomanie, faiblesse physique), ce qui peut limiter leur capacité à suivre des cadences de travail intenses, rendant l’emploi en détention peu rentable pour les entreprises.
- La crise économique : les industries, en déclin dans certaines régions, offrent de moins en moins de travail peu qualifié, un secteur qui convenait autrefois aux détenus.
3. Les cinq cadres juridiques du travail pénitentiaire
Le travail en prison s’organise selon cinq cadres juridiques différents, définis par les articles D432-3 à 433-1 du Code de procédure pénale :
- Service général : Les détenus participent à l’entretien des locaux (ménage), des espaces communs, et des cours. Ce type de travail est souvent recherché, car il permet de sortir de sa cellule régulièrement et est relativement bien rémunéré.
- Buanderie : Les détenus peuvent être affectés à la blanchisserie, où ils lavent leur propre linge ainsi que celui des autres détenus.
- Auxiliaires (auxis) : Les détenus qui travaillent comme auxiliaires aident à distribuer les repas aux autres détenus, mais ceux situés en bout de rangée risquent de recevoir leur repas froid en raison du temps de distribution.
- Bibliothécaires : Dans certaines prisons, les détenus peuvent être affectés à la gestion de la bibliothèque et recevoir une formation de bibliothécaire.
- Travail industriel ou artisanal : Certaines prisons proposent des ateliers où les détenus fabriquent des produits ou effectuent des travaux manuels. Ces ateliers sont parfois gérés par des entreprises privées.
Le service général reste l’activité la plus prisée et la mieux rémunérée, car elle offre aux détenus la possibilité de marcher et de quitter leur cellule plus fréquemment.
- La régie ou service de l’emploi pénitentiaire
Dans le cadre de la régie pénitentiaire, c’est l’administration pénitentiaire elle-même qui agit comme employeur. Les détenus travaillant dans ce cadre sont affectés à des tâches industrielles, souvent liées à la production d’objets destinés au secteur public. Par exemple, ils peuvent fabriquer des grades pour la gendarmerie ou la police, ou encore du mobilier destiné à l’administration publique.
L’un des avantages de la régie est que les salaires y sont supérieurs à ceux des autres formes de travail en prison, bien que toujours inférieurs aux salaires pratiqués à l’extérieur.
- La concession
Dans le cadre de la concession de main-d’œuvre, l’administration pénitentiaire accorde à une entreprise privée l’accès à une main-d’œuvre détenue pour des tâches industrielles ou artisanales. Ce modèle fonctionne sans contrat de travail individuel pour le détenu. Le seul contrat existant est celui qui lie l’entreprise à l’administration pénitentiaire, rendant ainsi le travail des détenus précaire. Cela signifie qu’ils ne bénéficient pas des mêmes protections que les travailleurs à l’extérieur, tels que le salaire minimum ou l’indemnité de licenciement. Ce type de travail reste fragile, car il dépend de la capacité des entreprises à maintenir leurs opérations au sein de la prison.
- Le travail pour son propre compte
L’article 718 du Code de procédure pénale permet aux détenus, avec l’autorisation du chef d’établissement, de créer et gérer leur propre activité. Cela peut inclure des projets créatifs ou intellectuels, comme écrire des lettres ou des textes pour d’autres détenus. Par exemple, un détenu étudiant peut se faire rémunérer pour aider ses codétenus à écrire des lettres personnelles ou administratives.
Un exemple connu est celui de Jean-Marc Rouillan, membre de l’association Robin des Lois, qui a consacré de nombreuses heures à aider juridiquement d’autres détenus, devenant une sorte d’avocat informel au sein de la prison.
- Le travail pour une association
Certains détenus ont la possibilité de travailler pour des associations agréées, dans le cadre de projets visant leur réinsertion. Ces associations, reconnues par l’administration pénitentiaire, offrent des activités bénéfiques aux détenus en leur permettant de participer activement à des œuvres collectives et à des projets ayant un impact social.
4. La condition juridique du détenu travailleur
Pour qu’un détenu puisse travailler, il doit d’abord être classé. Ce processus prend en compte son comportement, ses capacités physiques et son aptitude à respecter les règles. Les détenus considérés comme trop perturbateurs ou présentant des problèmes de discipline ne sont souvent pas autorisés à travailler. Une fois classé, le détenu peut être affecté à l’un des trois types d’emploi disponibles dans la prison (service général, concession, régie). Un détenu peut être déclassé en cas d’incompétence professionnelle ou pour des raisons disciplinaires.
Depuis la loi pénitentiaire, les détenus signent un acte d’engagement avec le chef d’établissement, précisant les conditions de travail, les horaires et la rémunération. Cet acte n’est cependant pas un contrat de travail, ce qui permet à l’administration de payer les détenus à un tarif inférieur au SMIC. La requalification en contrat de travail est rarement accordée, comme en témoigne un arrêt du Conseil constitutionnel (QPC n° 2013-320/321 du 14 juin 2013), qui a estimé que l’absence de contrat de travail en prison ne portait pas atteinte à la Constitution ou au principe d’égalité.
En 2013, une décision du conseil des prud’hommes de Paris a toutefois reconnu une requalification en contrat de travail pour une détenue opératrice, qui réclamait une indemnité de licenciement, créant ainsi un précédent isolé.
Les règles d’hygiène et de sécurité devraient théoriquement être respectées dans les ateliers, mais ce n’est pas toujours le cas. Des manquements tels que l’absence de ventilation adéquate ou de casques de protection sont fréquents. En principe, les inspecteurs du travail ont le droit de venir vérifier les conditions de travail en prison, mais cela reste rare, car une inspection rigoureuse pourrait entraîner la fermeture de certains ateliers.
Les horaires de travail en prison sont limités par le règlement intérieur et doivent être négociés avec les entreprises partenaires (article D433-6). La durée de travail ne doit pas dépasser celle prévue à l’extérieur, mais en pratique, les détenus travaillent souvent moins de 5 heures par jour, en raison de contraintes internes liées aux repas et aux douches. Les détenus sont couverts en cas d’accident du travail et cotisent pour leur retraite, bien que leurs conditions de travail soient loin d’être optimales. En revanche, ils n’ont pas droit à des congés payés, au chômage, ou à des postes à responsabilité.
Le salaire des détenus est fixé par un salaire minimum de rémunération carcérale (article D433), bien inférieur au SMIC. Par exemple, les travailleurs affectés au service général touchent environ 239 €/mois (20 % du SMIC), tandis que ceux du service de production peuvent gagner jusqu’à 435 €/mois (40 % du SMIC). Une partie de ces revenus est automatiquement prélevée pour constituer un pécule en vue de leur libération, et une autre part est affectée aux réparations civiles ou aux dommages et intérêts à verser aux victimes.
Certains détenus bénéficient également de pensions d’invalidité ou de leur retraite s’ils sont handicapés ou âgés. Cependant, ces revenus restent insuffisants pour vivre correctement en détention.
C. La culture en prison
1. La télévision
La télévision a été introduite dans les prisons françaises en 1985. Contrairement à d’autres objets, les détenus ne peuvent pas acheter de téléviseur, mais peuvent en louer à la semaine ou à la journée. Toutefois, le coût de la location est élevé, autour de 9 € par semaine, ce qui représente une charge lourde, notamment pour les détenus purgeant de longues peines. Des efforts ont été faits pour réduire ces coûts, notamment grâce à l’intervention de M. Korber, qui a réussi à obtenir une baisse des tarifs dans certains établissements. Cependant, la possibilité d’acheter une télévision reste inexistante.
Initialement, les surveillants étaient réticents à l’introduction des télévisions, craignant une perturbation de l’ordre. Cependant, ils ont vite constaté que la présence de téléviseurs favorisait le calme en détention, surtout en soirée. Les bagarres et cris nocturnes ont considérablement diminué, rendant les prisons plus paisibles.
2. Les activités religieuses
Le droit de pratiquer sa religion en prison est protégé par plusieurs textes législatifs :
- L’article 10 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) stipule que « nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, tant que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public ».
- L’article 11 de la Constitution garantit la liberté d’expression et de communication des pensées.
- L’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) consacre la liberté de pensée, de conscience et de religion.
La jurisprudence a également joué un rôle dans la définition de ce qu’est une religion. Par exemple, la Commission européenne des droits de l’homme a statué, dans des cas impliquant des pays comme l’Allemagne et l’Angleterre, que certaines croyances, comme la religion Wicca, ne pouvaient être considérées comme des religions officielles. En revanche, des distinctions fines ont été faites, comme dans une décision de 1966, où un détenu anglican en Allemagne avait été privé de la pratique de son culte, la Commission statuant que le rite protestant ne pouvait remplacer le rite anglican.
Concernant les Témoins de Jéhovah, la France a longtemps limité leur présence en détention. Dans les années 1990, la Miviludes (Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires) avait classé les Témoins de Jéhovah comme une secte, en raison de leurs pratiques controversées (comme le refus des transfusions sanguines). Deux décisions notables ont suivi :
- Le refus d’agréer des aumôniers Témoins de Jéhovah.
- Le refus de permis de visite pour leurs aumôniers.
Cependant, les décisions de la Miviludes n’ont pas force de loi ; c’est au législateur de déterminer si une religion doit être interdite ou non. À ce jour, le faible nombre de détenus adhérant à ce culte rend l’agrément d’aumôniers Témoins de Jéhovah peu pertinent.
Une note de la Direction de l’administration pénitentiaire du 13 juin 2007 invitait les chefs d’établissements à signaler tout cas de prosélytisme auprès des procureurs, notamment lorsque des détenus tentaient d’inciter d’autres à adhérer à leur religion.
La religion musulmane, quant à elle, est officiellement reconnue et l’administration pénitentiaire lui accorde une place légitime. Cependant, des tensions existent autour de la gestion du culte musulman en prison. Certains directeurs ont interdit les prières collectives en promenade, invoquant des raisons de sécurité et de prosélytisme. En revanche, la prière dans les cellules reste autorisée. La note du 13 juillet 2007 a également restreint l’exercice du culte aux espaces dédiés, tels que les salles de prière ou les cellules. La Cour d’appel de Bordeaux, dans une décision du 8 septembre 2009, a jugé ces restrictions proportionnées.
Un autre défi pour l’administration est la gestion des cinq prières quotidiennes. Les surveillants doivent parfois interrompre les prières pour des raisons pratiques (comme emmener un détenu au parloir). Ces interruptions, bien que perçues par certains comme une atteinte à la liberté religieuse, sont tolérées tant qu’elles ne perturbent pas de manière excessive le culte.
3. L’exercice concret du culte
L’exercice du culte en prison est organisé de manière structurée. Dès leur arrivée, les détenus doivent déclarer leur affiliation religieuse, ce qui permet aux aumôniers de les rencontrer et de coordonner les cérémonies religieuses. Les aumôniers jouent un rôle crucial, non seulement pour organiser les offices religieux, mais aussi pour offrir un soutien moral aux détenus.
En dehors de leurs missions religieuses, les aumôniers s’investissent souvent dans des actions de solidarité : par exemple, en aidant des détenus récemment libérés à rejoindre la gare la plus proche, ou en organisant des hébergements pour les familles des détenus qui viennent leur rendre visite, évitant ainsi des frais d’hôtel élevés.
En cellule, les détenus ont le droit de posséder des objets religieux (livres, tapis de prière, etc.), comme le stipule l’article R57-9-7 du Code de procédure pénale. Toutefois, des restrictions existent, notamment pour les objets pouvant être utilisés à d’autres fins. Par exemple, les tapis de prière ont parfois été interdits dans les cours de promenade car ils pouvaient être utilisés pour cacher des objets.
Certaines publications religieuses ont également été restreintes, notamment si elles contiennent des messages violents ou incitant à la haine envers d’autres religions.
En février 2009, la Cour européenne des droits de l’homme a statué sur l’affaire Jakobski c. Pologne. Un détenu bouddhiste réclamait un régime végétarien en prison, mais les autorités polonaises lui proposaient des repas avec de la viande, arguant qu’il pouvait simplement ne pas en manger. La CEDH a jugé que le respect des convictions religieuses implique d’offrir une alternative alimentaire adaptée.
La décision du 5 février 2009 a également soulevé la question du port de la djellaba en dehors des cellules. Bien que le port de ce vêtement soit autorisé dans les cellules, il peut être restreint pour des raisons de sécurité dans les espaces communs, en particulier pour éviter la dissimulation d’objets interdits.
II. l’intégrité du détenu : le suicide
La France enregistre l’un des taux de suicides carcéraux les plus élevés d’Europe, ce qui soulève des questions sur l’impact de la détention sur la santé mentale des détenus. Le rapport Albrand de 2005 soulignait que la France, avec un taux de 21,2 suicides pour 10 000 détenus, dépassait largement la moyenne européenne (Allemagne : 10,3 %, Suède : 9,9 %, Espagne : 6,7 %). Depuis, malgré certaines mesures, la France reste confrontée à ce défi, avec des taux toujours préoccupants.
En réponse à cette situation, le gouvernement français a annoncé des plans d’action pour 2023-2027, notamment avec un accent sur :
- L’augmentation des effectifs de psychologues et de psychiatres en prison.
- La mise en œuvre de programmes spécifiques de prévention du suicide, inspirés d’autres pays européens comme le Royaume-Uni.
- La réduction de la surpopulation carcérale grâce à la construction de 15 000 nouvelles places de prison et au développement de peines alternatives.
A. La définition du suicide en prison
L’administration pénitentiaire tend parfois à ne pas classer certains actes comme des tentatives de suicide, même s’ils relèvent de comportements auto-destructeurs. Par exemple, un détenu qui avale des objets comme des fourchettes n’est pas toujours comptabilisé dans les statistiques de suicide. Cette attitude reflète une tendance à minimiser certains gestes, alors qu’ils sont souvent des appels à l’aide ou des expressions de détresse psychologique.
Le taux élevé de suicides en prison pose une question fondamentale : est-ce la prison qui rend les détenus plus suicidaires, ou bien ces derniers sont-ils déjà plus vulnérables psychologiquement avant leur incarcération ? Pour les malades mentaux, le suicide est souvent le premier risque en détention. Selon des études comparatives, certaines prisons sont plus suicidogènes que d’autres. Par exemple, les recherches d’Alison Liebling en Angleterre ont révélé l’impact de certaines politiques carcérales sur la réduction des suicides. Son travail a influencé des réformes en Grande-Bretagne, ayant permis de réduire significativement le taux de suicides dans les prisons anglaises.
B. Les facteurs de risque
- Facteurs importés
Le risque de suicide est souvent influencé par la situation du détenu au moment de son incarcération. Les détenus en détention provisoire sont particulièrement vulnérables en raison de l’incertitude qui entoure leur situation (peine à venir, surpopulation, etc.). La première incarcération est également un moment critique, avec des sentiments de peur et d’angoisse liés à la nouveauté de l’environnement carcéral.
Certains détenus, ayant connu de multiples incarcérations, peuvent éprouver un ras-le-bol général, conduisant à une décision suicidaire lors de ce qu’ils considèrent comme une incarcération de trop. Paradoxalement, la libération imminente peut aussi être un moment de grande vulnérabilité, car la réintégration dans la société est source d’angoisse (trouver un logement, un emploi, renouer avec la famille).
Les longues peines, surtout après une condamnation en cour d’assises, augmentent le risque de passage à l’acte. La nature de l’infraction joue également un rôle : les détenus impliqués dans des crimes très médiatisés ou considérés comme déshonorants (abus sexuels, violences graves) peuvent ressentir une honte intense vis-à-vis de leur famille et de la société.
Sur le plan personnel, la séparation avec la famille est un facteur de risque majeur. Ce qu’on appelle en anglais les « Dear John Letters » (lettres de rupture) peut provoquer une crise émotionnelle grave chez les détenus. Les fragilités psychologiques, comme les antécédents de maladies mentales, la toxicomanie, ou les abus sexuels subis pendant l’enfance, augmentent également la vulnérabilité au suicide. Ces personnes peuvent afficher un comportement particulier (agressivité, tristesse, violence), ce qui conduit parfois les surveillants à les placer en cellule disciplinaire – une mesure qui, paradoxalement, peut aggraver leur détresse.
Les antécédents de tentatives de suicide sont un autre facteur crucial. Les détenus qui ont déjà tenté de se suicider sont souvent perçus comme cherchant à attirer l’attention, mais ces actes auto-agressifs peuvent finir par aboutir tragiquement.
Le sentiment de solitude est également un facteur de risque, de même que le sexe et l’âge. Les femmes détenues ont tendance à recourir davantage à des actes auto-agressifs plutôt qu’au suicide, tandis que les mineurs sont plus à risque de suicide que les adultes. Cependant, le risque augmente également avec l’âge, particulièrement à partir de 45 ans.
- Facteurs internes
L’environnement carcéral lui-même est un facteur déterminant. Le rapport Albrand avait initialement minimisé l’impact de la surpopulation sur les suicides, mais des études ultérieures, comme celles de Liebling, ont montré que la densité sociale (le nombre de personnes par cellule) est un facteur de risque important. La densité spatiale (l’espace disponible par personne) joue également un rôle, car le manque d’espace personnel peut accroître la tension et la violence, qui sont des déclencheurs de comportements suicidaires.
La surpopulation réduit aussi l’accès aux activités, augmente les problèmes d’hygiène et génère une ambiance plus propice à la violence, autant d’éléments qui exacerbent le stress des détenus. La violence carcérale elle-même est un facteur qui pousse certains à se suicider, faute de moyens de défense ou de soutien.
Un autre facteur interne est la discontinuité carcérale, c’est-à-dire le manque de liens entre surveillants et détenus. Lorsque les surveillants ne connaissent pas bien les détenus, ils ne peuvent pas anticiper leurs besoins émotionnels ou leurs risques de passage à l’acte. Un système carcéral où les agents pénitentiaires ont des relations distantes avec les détenus est souvent plus suicidogène.
Enfin, les prisons moins éthiques ou mal gérées peuvent créer des environnements propices au suicide, en raison de mauvais traitements ou d’un manque de soutien psychologique.
SECTION 2 : le maintien de la vie privée et familiale
Le maintien des liens familiaux est important pour favoriser la réinsertion des détenus et la réduction de la récidive. Bien que le cadre législatif offre des garanties solides (CEDH, conventions internationales), les pratiques en prison peuvent parfois restreindre ces droits pour des raisons de sécurité.
I. Les principes généraux
Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques du 19 novembre 1966, à travers son article 23, énonce que la famille est l’élément naturel et fondamental de la société et qu’elle a droit à la protection de l’État. Ce principe est également reflété dans l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui garantit le droit au respect de la vie privée et familiale, bien que cet article soit moins absolu, car il prévoit des exceptions. L’article 8 énonce ainsi un droit statique au maintien des liens familiaux, alors que dans la réalité, la vie familiale est dynamique, marquée par des évolutions comme les mariages, les divorces, etc.
Dans l’arrêt Messina c. Italie (28 septembre 2000), la CEDH a reconnu que, même dans le cadre de mesures de sécurité comme le placement de mafieux sur des îles pour éviter leur évasion, il est essentiel de permettre le maintien des contacts familiaux. De plus, dans un arrêt du 13 septembre 2005, la Cour a reconnu que les enfants de détenus doivent également être protégés par l’article 8, notamment en garantissant leur droit de contact régulier avec leurs parents.
L’article 371-4 du Code civil français va dans ce sens en permettant de maintenir des contacts avec les ascendants
II. Le maintien des relations avec ses proches
A. Les correspondances écrites
L’article 40 de la loi pénitentiaire et les articles R 57-8-16 et suivants régissent le droit des détenus à correspondre librement avec toute personne de leur choix. Toutefois, une distinction est faite entre condamnés et prévenus :
- Condamnés : Le principe est celui de la liberté de correspondance, mais le directeur de l’établissement peut y mettre des restrictions pour des raisons d’ordre ou de sécurité.
- Prévenus : Ils ont également le droit de correspondre librement, mais un magistrat peut restreindre ce droit pendant la phase préparatoire du procès (article 145-4 du Code de procédure pénale).
Les correspondances sont libres avec « toute personne », mais dans le cas des prévenus, le juge peut limiter cette liberté pour des raisons liées à l’instruction ou à la sécurité. Par exemple, il peut imposer une interdiction de communication temporaire (jusqu’à 10 jours renouvelables), empêchant tout contact (visites, appels, correspondance). Cependant, le chef d’établissement ne peut interdire une correspondance que si elle porte atteinte à la sécurité de l’établissement.
Les colis sont autorisés depuis un décret du 23 décembre 2010, permettant aux proches d’envoyer des vêtements, des produits de première nécessité ou des livres (jusqu’à 2 kg). Cela vise en partie à aider les détenus indigents. Les lettres doivent être lisibles et, bien que les correspondances puissent être dans des langues étrangères, elles peuvent être retenues le temps d’être traduites par l’administration, ce qui peut allonger leur délai de traitement.
Toutes les correspondances sont enregistrées et ouvertes par l’administration pour contrôler qu’elles ne contiennent ni objets interdits ni drogues. Cependant, les correspondances avec les avocats bénéficient d’une protection particulière : elles ne peuvent ni être lues ni retenues (article 40 de la loi pénitentiaire).
Les correspondances avec les notaires et huissiers peuvent également bénéficier d’une protection similaire, à condition d’obtenir une attestation du parquet. De plus, l’article R 57-6-1 permet au détenu de demander la protection de certains documents, notamment ceux liés aux motifs de son incarcération.
B. Les correspondances téléphoniques
Les téléphones ont été introduits dans les prisons françaises dans les années 1980. Des cartes téléphoniques sont mises à disposition, mais leur coût a entraîné un trafic, car les détenus cherchaient des moyens de communiquer gratuitement et en dehors du contrôle administratif.
- Le droit à l’accès au téléphone
Les condamnés ont le droit de téléphoner à leur famille, tandis que les prévenus doivent obtenir une autorisation du magistrat pour passer des appels, principalement pour des raisons d’insertion sociale. Dans une décision du TA d’Amiens du 27 janvier 2009, la notion de « proches » a été élargie, permettant aux prévenus de téléphoner à des personnes autres que leur famille.
Les appels vers les avocats ne doivent pas être écoutés par l’administration pénitentiaire, mais ces appels sont généralement passés à partir de numéros préenregistrés pour garantir la confidentialité. En revanche, les appels ordinaires peuvent être coupés en cas d’incidents, et l’administration a le droit de les écouter pour prévenir les évasions ou les trafics.
- Les téléphones portables en prison
L’utilisation de téléphones portables en prison est strictement interdite. Cependant, ces appareils sont de plus en plus miniaturisés, ce qui facilite leur introduction dans les établissements. Tous les pays interdisent les portables en prison, sauf le Danemark, qui autorise les appels depuis les cellules. Les détenus cherchent souvent à utiliser les téléphones en cellule pour des conversations privées, notamment avec leurs proches, pour des raisons de pudeur, comme éviter de se montrer vulnérables aux autres détenus lorsqu’ils échangent des paroles tendres.
Pour lutter contre l’introduction illégale des portables, des fouilles régulières sont effectuées et des brouilleurs de signal sont installés. Cependant, ces brouilleurs sont difficiles à utiliser dans des prisons situées à proximité de zones résidentielles, car ils risquent d’interférer avec les communications téléphoniques des voisins. Une autre solution explorée est l’installation de téléphones fixes dans les cellules, avec des appels payants et surveillés, permettant aux détenus de communiquer tout en restant sous contrôle.
C. Les visites
1. Qui peut visiter le détenu ?
- La famille : Pour les prévenus (personnes en détention provisoire), le droit de visite est accordé par le juge. Le magistrat en charge peut autoriser ou refuser un permis de visite, mais en cas de refus, il doit le justifier. Les membres de la famille peuvent saisir le président de la chambre d’instruction si le permis de visite est refusé, mais la décision est insusceptible de recours (article 145 alinéa 4 du Code de procédure pénale).
Pour les condamnés, c’est le chef d’établissement qui est compétent. Le refus de permis de visite ne peut être motivé que par des raisons d’ordre, de sécurité, ou de prévention des infractions. En cas de contestation, c’est le tribunal administratif qui est compétent pour statuer. - Les enfants : La circulaire du 7 septembre 1948 fixait à 13 ans l’âge minimum pour obtenir un permis de visite et pouvoir entrer seul au parloir. Depuis la circulaire du 20 février 2012, l’âge est désormais fixé à 16 ans. Tout mineur doit obtenir un permis de visite individuel pour pouvoir rendre visite à un parent détenu.
- Parents séparés : En cas de séparation des parents, le juge aux affaires familiales doit fixer les modalités du droit de visite des enfants (arrêt du 6 décembre 2005).
- Les tiers : Un prévenu peut être visité par des tiers, mais le juge d’instruction en charge de la phase préparatoire du procès peut refuser un permis de visite sans avoir à motiver sa décision, et sans possibilité de recours. Pour les condamnés, l’article 35 de la loi pénitentiaire prévoit que les visites de tiers peuvent être refusées pour les mêmes motifs que pour la famille, ainsi que si elles constituent un obstacle à la réinsertion du détenu. Il est souvent constaté que les visites de la belle-famille sont plus efficaces, car moins chargées émotionnellement.
2. Les modalités du droit de visite
- Autorisation et réservation : Les visiteurs doivent recevoir une lettre d’autorisation avant de pouvoir réserver un parloir. Dans certains établissements, il est possible de réserver une visite grâce à des bornes automatiques. Devant les prisons, des abris sont parfois installés pour protéger les familles des intempéries, mais ils ne sont pas toujours discrets et visibles du public.
- Fouilles : En France, les familles ne sont généralement pas fouillées avant d’entrer en parloir. Toutefois, si des soupçons pèsent sur une famille, une fouille corporelle peut être demandée avec l’intervention des officiers de police judiciaire (OPJ). En revanche, les détenus sont systématiquement fouillés avant et après chaque parloir pour éviter l’introduction d’objets interdits.
- Durée des visites : Les prévenus ont droit à 3 visites par semaine d’une durée de 30 minutes chacune. Les condamnés bénéficient d’au moins 1 visite par semaine. Certains établissements permettent des parloirs plus longs, en fonction de la disponibilité.
- Types de parloirs : Il existe deux types de parloirs :
- Maison d’arrêt : Les proches et les détenus sont séparés par un muret.
- Établissements pour peines : Un petit muret sépare les différents box de parloir, mais sans séparation physique directe entre les proches et le détenu. Selon le Conseil d’État (arrêt du 20 mai 2011), ce dispositif n’est pas considéré comme une véritable séparation.
Dans les maisons d’arrêt, les surveillants restent à distance et n’interviennent qu’en cas de bagarres. Dans les établissements pour peines, ils surveillent de manière plus discrète.
- Unités de Vie Familiale (UVF) : Les UVF permettent aux détenus de passer du temps avec leurs proches dans un cadre plus intime, préservant ainsi les relations familiales et conjugales. Ces parloirs peuvent durer de 12 heures à 72 heures. Toutefois, les UVF ne sont disponibles que dans certains établissements (principalement dans les maisons centrales) en raison de leur coût élevé. La circulaire du 26 mars 2009 donne la priorité aux enfants de moins de 23 ans pour ces visites.
- Enfants en prison avec leur mère : En France, un enfant peut rester en prison avec sa mère jusqu’à l’âge de 18 mois. Une prolongation de 6 mois est possible, et l’enfant peut revenir passer des week-ends avec sa mère durant une année après. Comparativement, des pays comme l’Espagne et l’Italie autorisent les enfants à rester en prison jusqu’à 4 ans, tandis que dans les pays scandinaves, les enfants sont séparés dès la naissance. En France, cette situation reste controversée en raison des troubles psychologiques que cela peut entraîner chez les enfants.
III. Le maintien des droits de citoyen
A. Le droit de vote
Deux visions s’opposent en Europe sur le droit de vote des détenus :
- Vision du Royaume-Uni et des États-Unis : Ces pays estiment que les détenus ne devraient pas participer aux décisions de la société tant qu’ils sont incarcérés. Aux États-Unis, ce droit peut même être retiré à vie dans certains États.
- Vision européenne (France, Irlande) : L’idée est que les détenus, bien qu’ayant commis des infractions, doivent être encouragés à réintégrer la société, et le droit de vote est considéré comme un premier pas vers cette réinsertion. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a été plusieurs fois saisie sur cette question. Dans l’arrêt Hirst (30 mars 2004), la Cour a jugé que l’exclusion généralisée des détenus du droit de vote était contraire aux principes du droit européen. Le Royaume-Uni, qui contestait cette décision, a perdu en Grande Chambre le 6 octobre 2005.
- L’arrêt Scoppola (2012), a jugé que l’exclusion totale des détenus du droit de vote est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. Cette jurisprudence a poussé de nombreux pays à réviser leurs lois sur le sujet.
En Irlande du Nord, les détenus conservent le droit de vote, sauf décision contraire de la juridiction. En France, les détenus peuvent voter par correspondance, mais ce mode de scrutin reste peu utilisé en raison des difficultés pratiques. Certains détenus ont exprimé le souhait que les hommes politiques viennent présenter leurs programmes directement en prison. En Pologne, des isoloirs sont installés directement dans les prisons, facilitant ainsi l’accès au vote.
En France, la réticence à introduire des bureaux de vote dans les prisons s’explique par le fait que ce dispositif n’est pas prévu par le code électoral. De plus, dans les petites communes, les maires craignent que les votes des détenus puissent avoir une influence disproportionnée sur les élections locales.
B. Le droit à l’information et la liberté d’expression
Même en prison, les détenus conservent le droit d’accès à l’information. Ils peuvent lire des journaux, des livres et regarder la télévision, dans la limite des règles de l’établissement. Ils ont également le droit de correspondre avec l’extérieur (famille, amis, avocats, etc.).
Liberté d’expression : Les détenus peuvent s’exprimer sur leur situation, notamment via des correspondances écrites, des articles, ou des lettres ouvertes. Cependant, cette liberté est parfois encadrée pour éviter toute perturbation de l’ordre dans les établissements ou pour des raisons de sécurité.
Chapitre 5 : l’ordre interne
SECTION 1 : Grands principes et responsabilité
L’ordre et la sécurité en prison constituent des exceptions aux libertés fondamentales des détenus. Ces restrictions sont jugées nécessaires pour maintenir un environnement sécurisé. Le chef d’établissement est responsable de la sécurité (article D265 du Code de procédure pénale), et la mission principale des surveillants est d’assurer que les détenus restent dans la prison et que l’ordre soit maintenu, ce qui inclut la sécurité des individus à l’intérieur.
Les surveillants doivent garantir la présence des détenus lors des moments clés comme le lever et le coucher, et sont également chargés d’effectuer des fouilles pour prévenir les risques liés à l’introduction d’objets interdits ou à la sécurité globale (article 2 de la loi pénitentiaire).
SECTION 2 : La préservation de l’ordre par l’observation et la dissuasion
I. La fouille des locaux
En droit privé (par exemple, perquisitions dans une maison), il faut des motifs légitimes, des témoins et l’imposition de scellés lors de la découverte d’éléments compromettants. En prison, cependant, les règles diffèrent. Selon l’article D269 du Code de procédure pénale, les fouilles des cellules peuvent être effectuées par les surveillants en l’absence des détenus.
La Cour de cassation a confirmé à plusieurs reprises que la cellule d’un détenu ne pouvait être considérée comme un domicile, et ne bénéficie donc pas des mêmes protections juridiques qu’un domicile privé (arrêt criminel du 18 octobre 1989 et arrêt criminel du 7 septembre 2009). Cependant, il existe un paradoxe, car les détenus peuvent déclarer leur cellule comme domicile pour certaines démarches, comme le droit de vote.
II. Les fouilles corporelles
Historiquement, il n’existait pas de cadre législatif précis pour les fouilles corporelles en prison. Les règles dépendaient principalement du droit pénitentiaire (article D265), qui permettait de fouiller les détenus à tout moment. Cela change avec la loi pénitentiaire et son article 57, qui encadre désormais ces fouilles.
Les fouilles intégrales, bien qu’autorisées, portent atteinte à la dignité humaine et doivent être proportionnées. Plusieurs arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) ont condamné les fouilles excessives ou humiliantes :
- Iwanczuk c. Pologne (15 novembre 2001) : Un détenu avait été fouillé intégralement avant d’aller voter, ce qui a été jugé dégradant.
- Van der Ven c. Pays-Bas (4 février 2003) : Les fouilles répétées d’un détenu ont été considérées comme une violation de l’article 3 de la CEDH (interdiction des traitements inhumains).
- Kaider c. France (9 juillet 2009) : Une inspection anale répétée a été jugée violente et disproportionnée.
- Le 20 janvier 2011, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a rendu une décision concernant les fouilles corporelles répétées d’un détenu dangereux. Cet homme, condamné à de lourdes peines, était sous surveillance stricte et soumis à des fouilles intégrales plusieurs fois par jour, impliquant des inspections anales. Il a contesté ces pratiques, les qualifiant de traitements dégradants selon l’article 3 de la Convention européenne. La CEDH a conclu que ces fouilles, non justifiées par un impératif de sécurité suffisant, avaient provoqué une humiliation excessive, constituant ainsi une violation de l’article 3.
L’article 57 alinéa 2 de la loi pénitentiaire stipule que les fouilles intégrales ne sont possibles que si les fouilles par palpation ou les moyens de détection électronique sont insuffisants.
III. Investigations corporelles internes
Les investigations corporelles internes sont des fouilles médicales visant à rechercher des objets dissimulés dans le corps du détenu. Ces fouilles sont réalisées par un médecin indépendant afin de garantir l’impartialité et le respect des droits du détenu. Une circulaire du 14 avril 2001 régit ces pratiques en précisant que certaines situations de détention présentent des risques qui justifient des fouilles spécifiques.
Les parloirs sont considérés comme des moments à haut risque d’introduction d’objets interdits. Les chefs d’établissement avaient ainsi édicté des règles stipulant que tous les détenus devaient être fouillés après chaque parloir. Cette pratique a été encadrée par la jurisprudence :
- Les fouilles doivent être proportionnées et justifiées. Le Conseil d’État (arrêt du 6 juin 2007) a estimé qu’en l’absence de portiques métalliques, le recours aux fouilles était justifié pour maintenir l’ordre et la sécurité.
- La Cour administrative d’appel de Douai (arrêt du 29 septembre 2011) a jugé que le nombre de fouilles subies par un détenu dans une journée devait être proportionné. De même, une ordonnance de référé du 21 décembre 2011 a suspendu des fouilles systématiques, car la faible quantité d’objets trouvés (21 objets en plusieurs mois) ne justifiait pas la mesure générale.
Le TA de Melun (arrêt du 29 mars 2013) a annulé une mesure de fouilles systématiques dans la prison de Fresnes, jugeant que l’administration ne pouvait pas prouver un risque suffisant pour l’établissement. Le principe de proportionnalité doit donc être strictement respecté dans les fouilles en prison.
SECTION 3 : la préservation de l’ordre par la répression
I – le cadre général
Avant l’arrêt Marie et le décret du 2 avril 1996, les fautes disciplinaires en prison n’étaient pas définies précisément, ce qui portait atteinte au principe d’égalité. Depuis, les articles R57-1 à R57-3 du Code de procédure pénale régissent ces fautes, classées en trois niveaux de gravité : 1er degré (fautes graves), 2e degré (moyennes), et 3e degré (légères). Cependant, certaines infractions comme l’évasion ou la tentative ne sont toujours pas suffisamment définies, créant des zones d’incertitude dans l’application des sanctions.
La légitime défense et la force majeure
Le droit disciplinaire pénitentiaire ne prévoit pas expressément la légitime défense, créant ainsi un vide juridique. Dans l’arrêt Maria de 1998, le juge administratif a reconnu que la réaction d’un détenu face à une agression pouvait relever de la légitime défense. D’autres affaires, comme l’affaire Leboulch (2013), ont tenté d’utiliser la notion de force majeure (impossibilité de revenir à temps à la prison), mais cette défense a été écartée.
Le cumul des sanctions et le principe de proportionnalité
Le principe nemo bis in idem interdit le cumul de sanctions pour une même faute. En revanche, plusieurs sanctions peuvent être prononcées pour une pluralité de fautes. Pour une faute unique, une seule sanction peut être prononcée selon l’article R57-7-50, mais plusieurs sanctions peuvent s’appliquer pour des fautes distinctes, comme illustré par le Conseil d’État en 2013 (cumul de 15 jours pour détention d’objet dangereux et 20 jours pour insultes à un surveillant).
Le principe de proportionnalité des sanctions, commun en droit pénal, s’applique aussi au régime disciplinaire pénitentiaire. La circulaire du 9 juin 2011 impose que les sanctions soient proportionnées à la gravité des faits et à la personnalité du détenu (article R57-7-49). Cependant, en pratique, le juge administratif est peu strict concernant la proportionnalité des sanctions, même pour des infractions aussi variées que les violences, allant d’actes mineurs aux actes de tortures.
Évolution des sanctions
Les sanctions maximales en prison ont été réduites par l’article 726 du Code pénal. Ainsi, les peines disciplinaires maximales sont passées de 45 jours à 20 jours pour les fautes de 1er degré, et à 14 jours pour les fautes de 2e et 3e degrés. Cependant, en cas de violence, une sanction de 30 jours peut toujours être prononcée, montrant une certaine souplesse dans la prise en compte de la gravité des infractions.
II – les fautes en millieu pénitentiaire
Les articles R57-1 à R57-3 du Code de procédure pénale définissent les fautes disciplinaires en prison, allant des violences aux infractions aux règlements internes. Voici une analyse des principales fautes et sanctions.
A. Les faits de violences
Deux articles du Code de procédure pénale régissent les violences :
- Article R57-1-1 : Violence ou tentative de violence contre le personnel, les visiteurs ou les personnes en mission.
- Article R57-1-3 : Violence ou tentative de violence contre un autre détenu.
Problème de proportionnalité : La sanction est la même, quel que soit le degré de la violence. Il n’y a pas de distinction entre une agression légère et des violences graves, ce qui soulève un problème d’équité. La distinction entre les faits poursuivis pénalement et ceux traités uniquement de façon disciplinaire est la seule façon de moduler la sanction.
B. La mise en danger d’autrui
Contrairement au droit pénal, où la mise en danger est complexe à prouver, en droit disciplinaire, elle est plus simple :
- Article R57-1-1, alinéa 5 : Actes intentionnels mettant la vie d’autrui en danger (faute de 1er degré, 20 jours de sanction).
- Article R57-2-2 : Mise en danger par imprudence ou négligence (faute de 2e degré, 14 jours).
Ici, la distinction est faite entre les actes intentionnels (faute grave) et les actes par négligence (faute moins grave).
C. Les menaces, insultes et outrages
Plusieurs articles encadrent ces fautes :
- R57-2-2 : Insultes ou outrages contre le personnel, visiteurs ou autres détenus.
- R57-7-3, alinéa 1 : Outrages ou menaces dans des lettres adressées aux autorités judiciaires ou administratives (faute de 3e degré).
- R57-7-3, alinéa 2 : Insultes ou menaces dans des lettres à des tiers, même si le destinataire n’est pas la personne insultée (faute de 3e degré).
Tentative non punissable : Les menaces ne sont pas sanctionnées si elles ne sont pas formulées directement.
D. Les atteintes aux biens
- R57-7-1, alinéa 4 : Extorsion par menace ou contrainte, tentée ou consommée (faute de 1er degré).
- R57-7-1, alinéa 10 : Destruction ou tentative de destruction des locaux ou matériels compromettant la sécurité (faute de 1er degré).
- R57-7-2 : Destruction sans compromettre la sécurité (faute de 2e degré).
Vol : L’article R57-7-2, alinéa 13, évoque le vol sans définir clairement ce terme. En droit pénal, le vol est une appropriation frauduleuse, mais cette définition n’est pas reprise.
E. L’évasion
- R57-7-1 : L’évasion est une faute de 1er degré, car elle porte atteinte à la mission même de l’administration pénitentiaire.
Depuis la réforme du 9 mars 2004, l’évasion est punissable, même sans violence, à la différence de l’ancien régime où elle était tolérée sans violence.
F. Infractions financières et communication
- R57-7-2, alinéa 9 : Infraction aux dispositions législatives concernant l’entrée, la circulation ou la sortie de sommes d’argent (faute de 2e degré).
- R57-7-3, alinéa 6 : Communication irrégulière avec des personnes à l’extérieur (bruits, messages clandestins) (faute de 3e degré).
G. Drogue, alcool et produits prohibés
- R57-7-1, alinéa 8 : Introduction, possession ou trafic de stupéfiants (faute de 1er degré).
- R57-7-1, alinéa 9 : Introduction de produits de substitution ou psychotropes sans autorisation (faute de 1er degré).
- R57-7-2, alinéa 14 : Consommation de produits sans autorisation médicale (faute de 2e degré).
- R57-7-2, alinéa 7 : Ébriété (faute de 2e degré).
Tentative punissable uniquement pour le trafic, mais pas pour la consommation.
H. Exhibition sexuelle et relations sexuelles en prison
- R57-7-2, alinéa 3 : Exhibition sexuelle ou actes obscènes (faute de 2e degré). Ce texte vise les actes commis envers autrui, avec l’intention d’offenser la pudeur.
- Les relations sexuelles entre détenus ou avec leurs partenaires lors de parloirs soulèvent des questions. Bien que non explicitement encadrée, cette pratique est souvent tolérée.
La sexualité des détenus est un sujet que la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) n’a pas directement tranché, bien que l’arrêt Kalachnikov c. Russie ait ouvert la porte à une réflexion sur les visites conjugales. La Cour ne s’est pas formellement prononcée en faveur de telles visites, mais elle les a envisagées de façon positive.
En France, la question des relations sexuelles en prison a été soulevée à plusieurs reprises devant les juridictions administratives.
- Par exemple, dans l’arrêt du TA de Clermont-Ferrand du 7 juillet 2000, un détenu a demandé que les parloirs soient configurés pour permettre des rapports conjugaux normaux avec son épouse. Il considérait l’impossibilité de telles relations comme une double peine. La requête a cependant été jugée irrecevable.
- Un cas jugé par la Cour administrative d’appel de Bordeaux le 6 novembre 2012, concernait un établissement psychiatrique qui interdisait les relations sexuelles entre pensionnaires. La Cour a invoqué l’article 8 de la CEDH (respect de la vie privée et sexuelle), estimant que toute restriction devait être légitime, adéquate et proportionnée. Cette décision pourrait être transposée au cadre carcéral.
- Dans une affaire similaire à la maison d’arrêt de Nantes en 2006, un détenu a été sanctionné pour avoir eu des rapports sexuels avec sa compagne lors de trois visites sans dispositif de séparation. Accusé d’avoir commis un acte obscène susceptible d’offenser la pudeur, le détenu a plaidé qu’aucun témoin n’était présent. Le tribunal administratif a annulé la sanction, considérant qu’il n’y avait pas eu d’atteinte à la pudeur de tiers.
I. Infraction au règlement intérieur et ordre interne
- R57-7-3, alinéa 3 : Refus d’obtempérer aux ordres du personnel ou non-respect du règlement intérieur (faute de 3e degré).
- Jet d’objets par la fenêtre (faute de 3e degré).
J. Introduction de produits non dangereux
- R57-7-1, alinéa 7 : Introduction ou tentative d’introduction d’objets non dangereux (comme des téléphones portables) dans l’établissement (faute de 1er degré).
L’arrêt du Conseil d’État du 4 février 2013 et celui de la cour administrative d’appel du 5 juillet 2012 confirment que les téléphones portables sont considérés comme des objets dangereux, car ils permettent des contacts extérieurs non contrôlés, facilitant les pressions, évasions ou trafics.
Partie 3 : L’APPLICATION DES PEINES
L’évolution des réformes de l’application des peines en France reflète la recherche constante d’un équilibre entre deux objectifs souvent contradictoires :
- La réinsertion : offrir des alternatives à l’enfermement pour favoriser le retour à la société des condamnés, en particulier pour les peines courtes, tout en limitant les effets criminogènes de la prison.
- La sécurité publique : prévenir la récidive en renforçant les mesures de sûreté pour les délinquants dangereux, notamment par des dispositifs de surveillance et de contrôle stricts.
Chapitre 1 – L’évolution de l’application des peines
L’évolution de l’application des peines en France a été marquée par plusieurs réformes législatives importantes, souvent liées aux changements de majorité politique. Ces réformes ont modifié en profondeur le rôle des juges de l’application des peines (JAP), les modalités de réaménagement des peines, et les procédures judiciaires associées.
Avant 2000 : la loi du 15 juin 2000
Avant 2000, les décisions relatives à l’application des peines étaient principalement prises par le JAP en Commission d’Application des Peines (CAP). Cette commission était composée du JAP, du directeur de l’établissement pénitentiaire, de surveillants et d’agents de probation (travailleurs sociaux). La décision de réaménager une peine était donc largement influencée par le comportement du détenu en détention, un critère jugé central pour évaluer la dangerosité ou la capacité à se réinsérer.
La loi du 15 juin 2000, également appelée loi Guigou, a modifié le rôle du JAP en le renforçant et en instaurant des principes de juridictionnalisation des décisions. Avant cette loi, les décisions du JAP en CAP n’étaient pas considérées comme des décisions juridictionnelles à part entière. Cela limitait les droits de recours des condamnés, puisque seule l’autorité du parquet était reconnue dans le processus de contestation des décisions.
2000-2005 : Vers une juridictionnalisation
La période après 2000 a vu une transformation importante. La loi de 2000 a introduit la possibilité pour le JAP de rendre des décisions juridictionnelles, offrant aux condamnés un droit de recours devant des juridictions supérieures, en lien avec le principe de procès équitable. La loi Perben II du 9 mars 2004 a poursuivi cet effort en reconnaissant le JAP comme une véritable juridiction de premier degré, accentuant l’importance des débats contradictoires et permettant le développement d’une jurisprudence dans le domaine de l’application des peines.
Trois types de procédures se sont distingués à partir de ces lois :
- Mesures quasi-juridictionnelles (articles 712-5, 712-11, 712-12 du Code de procédure pénale) : Ces procédures concernent les retraits de crédits de réduction de peine (CRP), l’octroi de réductions supplémentaires de peine (RSP), ainsi que les permissions de sortie. Ces décisions continuent d’être prises en CAP, mais la présence du parquet est désormais obligatoire pour garantir la régularité de la procédure. Néanmoins, certaines décisions comme les retraits de CRP peuvent violer le droit européen, comme l’a rappelé la Cour européenne des droits de l’homme dans l’arrêt Campbell et Fell (1984), qui exigeait un véritable procès équitable pour ce type de décision.
- Mesures juridictionnelles (articles 712-6, 712-11, 712-13) : Ces mesures concernent les libérations conditionnelles (pour des peines inférieures ou égales à 10 ans), les suspensions médicales de peine, et les sanctions liées au milieu ouvert (révocation de SME, par exemple). Ces décisions sont rendues dans le cadre de débats contradictoires, en chambre du conseil, avec la possibilité d’appel.
- Mesures de sûreté (articles 712-7, 712-11-2, 712-13) : Elles concernent les décisions plus graves, comme le relèvement de la période de sûreté ou les décisions relatives aux mesures de sûreté prises par le tribunal de l’application des peines (TAP) composé de trois magistrats. Ces décisions peuvent également faire l’objet d’un appel devant la CHAP (Chambre de l’application des peines), composée de trois magistrats et d’un président d’association de victimes et de réinsertion.
2005-2012 : Renforcement répressif et mesures de sûreté
En 2005, sous l’influence de Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur, plusieurs réformes ont introduit des mesures répressives, notamment les mesures de sûreté. Celles-ci incluaient des dispositifs comme la rétention de sûreté, permettant de maintenir en détention des condamnés ayant purgé leur peine mais considérés comme dangereux pour la société. La révision législative de cette période a marqué une volonté de durcir le cadre juridique, en introduisant une série de réformes législatives visant à limiter les possibilités de réaménagement des peines, en particulier pour les récidivistes.
Le projet de loi de 2012 a notamment introduit de nouvelles procédures pour faciliter l’aménagement automatique des peines pour certaines catégories de condamnés, mais avec des conditions plus strictes, notamment en ce qui concerne les récidivistes.
2012-2014 : La réforme Taubira
La ministre de la Justice Christiane Taubira, en 2014, a cherché à infléchir cette tendance répressive en introduisant une nouvelle approche plus axée sur la réinsertion des condamnés. La réforme Taubira a ajouté une 16ème procédure, consistant à examiner automatiquement le cas des condamnés ayant purgé les deux tiers de leur peine, pour ceux dont les peines étaient inférieures ou égales à cinq ans, et n’ayant pas encore bénéficié d’un aménagement. Cette réforme visait à faciliter la sortie anticipée des détenus, en favorisant des mesures alternatives comme la contrainte pénale et en réduisant la surpopulation carcérale.
- Cette nouvelle procédure se distingue par l’absence de requête de la part du condamné : l’objectif est de favoriser la sortie rapide des détenus, en se concentrant sur le temps passé en prison plutôt que sur les projets de réinsertion. Cette approche a été critiquée pour son automatisme, ne permettant pas toujours d’évaluer pleinement l’état d’esprit et la réinsertion potentielle des condamnés.
Période post-2014 : Nouvelles politiques pénales et sécuritaires
Entre 2015 et 2017, les gouvernements ont tenté de concilier les objectifs de réinsertion avec une réponse plus ferme aux récidivistes et aux déliquants violents. Les attentats terroristes de 2015 en France ont en effet déclenché un durcissement des politiques pénales. Cela s’est traduit par l’introduction de mesures antiterroristes, qui incluaient des procédures spécifiques pour les individus radicalisés ou présentant une menace pour la sécurité publique.
En parallèle, les dispositifs de rétention de sûreté et de surveillance électronique ont été renforcés, en particulier pour les condamnés pour terrorisme. Le législateur a également introduit des mesures permettant de prolonger la détention provisoire ou d’imposer une surveillance renforcée à la sortie de prison pour les individus considérés comme particulièrement dangereux.
2016 a vu l’apparition de la contrainte pénale, l’une des principales mesures issues de la réforme Taubira, destinée à remplacer les courtes peines de prison. Elle visait à offrir un suivi personnalisé en milieu ouvert, avec des obligations strictes pour les condamnés (travail, soins, etc.), sous peine d’incarcération. Cependant, cette mesure a été jugée insuffisante et peu appliquée en raison du manque de moyens pour assurer un suivi efficace et rigoureux des condamnés.
2017 : La loi Belloubet et la rationalisation des peines
Avec l’arrivée de Nicole Belloubet en tant que ministre de la Justice en 2017, sous la présidence d’Emmanuel Macron, une série de réformes a été mise en œuvre pour rationaliser l’application des peines tout en renforçant les dispositifs visant à limiter la récidive.
La loi du 23 mars 2019 a été un tournant. Elle visait à réformer la justice pénale avec plusieurs objectifs clés :
- Limiter les courtes peines de prison, considérées comme contre-productives pour la réinsertion, en prévoyant que les peines inférieures à un mois de prison ne seraient plus exécutées, sauf exception.
- Pour les peines comprises entre un et six mois, l’exécution devait se faire via des alternatives à l’incarcération, telles que la semi-liberté, le placement sous surveillance électronique ou le placement extérieur. Cela visait à limiter l’enfermement tout en assurant un encadrement des condamnés en dehors du milieu carcéral.
- Renforcer l’individualisation des peines, en encourageant les mesures alternatives et les aménagements de peine pour les condamnés ayant montré des efforts de réinsertion (travail, formation, suivi médical).
Cette loi a également introduit de nouvelles dispositions pour faciliter l’accès à la libération sous conditions, en prenant en compte la personnalité du condamné, son comportement en détention, et ses efforts de réinsertion.
Lutter contre la récidive et le suivi post-carcéral
La réforme Belloubet a mis l’accent sur la lutte contre la récidive en renforçant le suivi des condamnés après leur libération. Pour cela, plusieurs mécanismes ont été développés :
- Surveillance électronique mobile pour les récidivistes violents ou dangereux, permettant de contrôler leurs déplacements.
- Contrôle judiciaire renforcé pour les libérations conditionnelles ou les sorties sous contraintes, avec des obligations strictes de suivi en lien avec le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP).
- Programme de réinsertion personnalisé, imposant des conditions telles que la recherche active d’emploi, le suivi d’une thérapie ou la participation à des formations professionnelles.
Un autre aspect important de la réforme était le dépistage et traitement des troubles psychiatriques des détenus, notamment pour prévenir les comportements dangereux ou suicidaires en prison et après leur sortie. En outre, le développement de centres de suivi post-carcéral a été renforcé pour assurer une transition plus douce et sécurisée entre l’enfermement et la réinsertion en société.
2021 : Vers un durcissement pour certains profils de condamnés
Sous le mandat de Éric Dupond-Moretti, ministre de la Justice depuis 2020, une nouvelle dynamique a vu le jour. Bien que le gouvernement continue de favoriser l’usage de mesures alternatives pour les courtes peines, des ajustements ont été opérés pour certains profils de délinquants jugés plus dangereux, en particulier ceux impliqués dans des affaires de terrorisme, de violences graves ou de récidive.
- La réforme de 2021 a notamment durci les conditions de libération conditionnelle pour les récidivistes et les condamnés pour violences conjugales ou intrafamiliales. Les peines alternatives ou les aménagements automatiques ont été restreints pour ces délits afin de répondre à la pression publique face à ces infractions.
- Le parcours carcéral personnalisé, mis en place pour chaque détenu, doit désormais inclure un suivi plus strict pour évaluer la dangerosité potentielle à la sortie de prison, et ajuster les mesures de sûreté, comme la rétention de sûreté ou la surveillance judiciaire.
En outre, le développement des outils numériques dans l’administration pénitentiaire et dans les tribunaux a permis d’améliorer l’efficacité de la gestion des aménagements de peine, en facilitant la coordination entre le JAP, les SPIP et les autres acteurs de la justice.
Chapitre 2 : les acteurs de l’application des peines
L’application des peines en France repose sur l’action conjointe de plusieurs acteurs judiciaires, administratifs et politiques, chacun jouant un rôle spécifique dans l’exécution des peines et leur réaménagement.
I. Les autorités judiciaires chargées de l’application des peines
En théorie, le juge de l’application des peines (JAP) est indépendant et ne peut recevoir d’instructions pour ses décisions. Cependant, en pratique, des pressions informelles peuvent exister. Par exemple, si le JAP produit un rapport d’enquête jugé insatisfaisant, le directeur du SPIP (Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation) peut se plaindre au président du tribunal, ce qui pourrait nuire à la carrière du JAP. Contrairement au parquet, qui dépend de l’exécutif, le JAP bénéficie de cette indépendance, mais les dynamiques internes peuvent parfois la limiter.
- Le parquet joue un rôle fondamental dans le contrôle de la légalité des peines, vérifiant notamment leur durée et leur conformité avec la loi. Il s’assure que la peine s’applique à la bonne personne et que celle-ci est exécutable. Cela inclut des vérifications sur l’identité des condamnés, ou encore la consultation du casier judiciaire pour déterminer si d’autres condamnations sont en cours d’exécution. Le parquet intervient aussi dans l’évaluation des risques de fuite des condamnés, notamment pour ceux impliqués dans la délinquance organisée ou disposant de ressources financières importantes. En cas de risque, la force publique (gendarmerie ou police) peut être mobilisée pour conduire la personne à l’incarcération.
- Dans l’application des peines, le parquet peut saisir le JAP par des réquisitions, qu’elles soient écrites ou orales. Il peut demander la libération d’un détenu (articles 712-6 et 712-7), mais cela est très rare. Il intervient plus fréquemment pour s’opposer à un aménagement de peine. Lors des audiences juridictionnelles, le parquet peut formuler des réquisitions pour contester ou soutenir une décision du JAP.
II. Les autorités administratives et politiques
Trois entités principales participent à l’application des peines : le chef d’établissement pénitentiaire, le greffe, et le SPIP. Chacune de ces autorités joue un rôle essentiel dans la gestion des détenus et le suivi des peines.
A. Le chef d’établissement pénitentiaire
Le chef d’établissement a un rôle central dans l’application des peines en milieu carcéral. Il participe aux audiences juridictionnelles pour apporter des informations sur le comportement du détenu et siège au sein de la Commission d’Application des Peines (CAP). Son absence lors des réunions de la CAP rendrait la procédure nulle.
- Il est également responsable du greffe de la prison, qui gère en temps réel la durée des peines des détenus. Selon l’article D124 du Code de procédure pénale, les personnes placées en semi-liberté (SL), en placement extérieur (PE) ou sous surveillance électronique (PSES) sont toujours considérées comme des détenus. Le chef d’établissement peut décider de réintégrer ces personnes en prison en cas de non-respect de leurs obligations.
B. Le greffe pénitentiaire
Le greffe est un service administratif au sein de l’établissement pénitentiaire, chargé de l’établissement des fiches pénales et de la gestion des recours et requêtes déposés par les détenus. Il tient également les dossiers individuels des détenus.
Cependant, dans les prisons françaises, ce ne sont pas des greffiers professionnels qui travaillent dans ces services, mais des surveillants ou du personnel administratif, souvent sans formation juridique. Cela peut entraîner des erreurs dans la gestion des peines. Par exemple, il arrive que des détenus soient libérés trop tôt à cause de mauvais calculs effectués par des surveillants non qualifiés pour ce travail, ce qui met en lumière un problème récurrent dans l’application des peines.
C. Le Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP)
Le SPIP joue un rôle clé dans le suivi des condamnés, aussi bien en milieu fermé qu’en milieu ouvert. Créé en 1999, il accompagne les détenus dans leur réinsertion et veille au respect des mesures de probation.
Le SPIP est structuré avec une hiérarchie interne. Les conseillers pénitentiaires d’insertion et de probation sont les agents de terrain chargés de suivre les dossiers des condamnés. En 2010, leur titre a été modifié pour inclure le terme « pénitentiaire », reflétant une mission qui oscille désormais entre insertion et contrôle. Au-dessus de ces conseillers se trouvent les DPIP (Directeurs Pénitentiaires d’Insertion et de Probation), qui supervisent l’organisation du service, et les Directeurs SPIP (D-SPIP), responsables de la gestion globale.
Le SPIP gère également un nombre important de dossiers. Chaque conseiller doit théoriquement gérer entre 90 et 95 dossiers, mais en pratique, il peut être responsable de 135 dossiers, ce qui limite la qualité du suivi. Ce manque de ressources et de personnel accentue le risque de récidive, car les condamnés sont moins bien encadrés, avec des rencontres moins fréquentes et un suivi moins rigoureux.
Chapitre 2 Les réductions, aménagements de peines, période de sûreté…
SECTION 1 : la phase préalable pour les courtes peines
Articles 774 et 723-15 et suivants
- Article 774 : Il régit la possibilité de suspendre l’exécution d’une peine privative de liberté lorsque certaines conditions sont remplies, telles que la durée de la peine, les circonstances de l’infraction et le comportement du condamné après la condamnation. Cet article s’applique en parallèle avec les dispositions relatives aux peines correctionnelles.
- Article 723-15 : Introduit par la loi du 9 mars 2004, cet article permet à des condamnés non incarcérés de demander au juge de l’application des peines (JAP) un réaménagement de leur peine. I
I – Les fondements de la procédure
Ces dispositions légales, régies par les articles 774 et 723-15, trouvent leur origine dans la loi du 9 mars 2004, bien qu’avant cette réforme, elles relevaient de l’article D49-1. Ce dernier, étant placé dans une partie moins valorisée du code, était rarement utilisé par les procureurs. Cependant, la réécriture de ces textes s’est faite avec la loi du 24 novembre 2009, et plus tard, la ministre de la Justice Christiane Taubira a exprimé l’intention de réviser encore ces dispositions. À l’époque de l’article D49-1, cette procédure concernait les peines inférieures à six mois, puis la réforme de 2004 l’a étendue aux peines allant jusqu’à un an, et en 2009, jusqu’à deux ans et demi. Sous l’impulsion de Taubira, le seuil a été réduit à six mois pour certaines catégories de détenus.
Cette procédure permet à une personne condamnée à une ou plusieurs peines privatives de liberté, si ces peines respectent certains plafonds, de solliciter un réaménagement de peine auprès du juge de l’application des peines (JAP). Cela s’applique notamment aux personnes dont les peines cumulées ne dépassent pas le seuil fixé.
Les objectifs de la procédure:
- Les courtes peines sont largement reconnues pour leur effet criminogène, favorisant la récidive. Cependant, définir ce qu’est une « courte peine » est sujet à débat. Par exemple, en 2009, Nicolas Sarkozy avait pris une position très répressive en proposant que les peines allant jusqu’à deux ans puissent être réaménagées pour tout le monde. Cela s’est avéré trop sévère, et une distinction a été faite entre les primo-délinquants, pour qui le seuil était de deux ans, et les récidivistes, pour qui il était fixé à un an.
L’article 723-15 est crucial car c’est l’un des rares moments où une peine correctionnelle peut être transformée en une mesure plus utile, par exemple en travail d’intérêt général (TIG). Lors de ces audiences, il s’établit un véritable débat, où l’on s’intéresse à la personnalité du détenu et à sa situation, dans le but de trouver une solution adaptée, notamment en réaménageant des peines de six mois en mesures alternatives.
II – Le domaine d’application
Cette procédure concerne exclusivement les peines privatives de liberté. Par conséquent, elle ne s’applique pas aux autres types de sanctions comme le sursis avec mise à l’épreuve (SME). De plus, la personne ne doit pas être détenue au moment du lancement de la procédure, et il ne doit y avoir aucun risque pour la sécurité publique (article 723-16) survenu après la condamnation.
III – La décision du juge de l’application des peines (JAP)
L’article 723-15 met en place une procédure inspirée de l’article 712-6, qui prévoit un débat contradictoire. Il est possible de faire appel de la décision du JAP, puis de déposer un pourvoi si nécessaire. Le JAP dispose de plusieurs options pour réaménager la peine du condamné.
- À Bobigny par exemple, la procédure est plus rapide. Le condamné est convoqué pour une audition plutôt qu’un débat contradictoire. L’objectif est de compléter les éléments que le tribunal correctionnel n’a pas eu le temps d’examiner, comme la situation professionnelle ou résidentielle du condamné, en demandant des justificatifs. Selon l’article 712-6, si le JAP accorde un réaménagement et que le parquet ne s’y oppose pas, la procédure peut être conclue en quatre mois.
IV – Les mesures pouvant etre prises dans le cadre de cette procédure :
- Conversion en travail d’intérêt général (TIG) : Cette option est envisageable pour des peines de six mois ou moins. Si la peine est plus courte, elle peut également être convertie en jours-amendes. Dans ce cas, le détenu doit payer une somme déterminée, par exemple 50 € par jour pendant 30 jours.
- Conversion en jours-amendes (JA) : Cette conversion s’applique souvent aux TIG transformés en jours-amendes, où la peine est « rachetée » via des paiements réguliers.
- Mesures fongibles : Il est possible de transformer des mesures comme la semi-liberté (SL) en placement extérieur (PE) ou en placement sous surveillance électronique (PSES), et inversement. La semi-liberté est particulièrement intéressante car elle permet un contrôle accru, le condamné rentrant dormir en prison tous les soirs.
-
Libération conditionnelle : Exceptionnellement, le JAP peut accorder une libération conditionnelle. Cependant, l’article 723-15 exige que la personne ne soit pas détenue au moment de la demande, bien qu’un paradoxe subsiste : cela peut s’appliquer à une personne ayant été placée en détention provisoire à un moment donné.
SECTION 2 : le gel des aménagements des plus longues peines : la période de sûreté
I. la notion de période de sûreté
La loi du 22 novembre 1978, introduite sous la présidence de Valéry Giscard d’Estaing, marque un tournant dans la gestion des peines en France. Bien que Giscard d’Estaing soit reconnu pour son humanisme en étant le premier président à serrer la main de détenus, il doit répondre à une forte pression pour renforcer les mesures de sécurité. Une des réformes majeures de cette période est la création du juge de l’application des peines (JAP), acteur clé dans la gestion des aménagements de peine. Cette réforme reflète une politique répressive visant à durcir les conditions d’exécution des peines.
La période de sûreté correspond à un temps durant lequel tout aménagement de peine est interdit. Pour certaines infractions graves, elle est automatiquement fixée à 10 ans, interdisant tout assouplissement, libération conditionnelle ou autre mesure de réduction de peine durant cette période. Ce n’est qu’à l’issue de cette phase que le détenu peut envisager des aménagements. En 1981, le champ d’application de cette mesure est restreint, mais avec le changement de gouvernement en 1983, il s’élargit à nouveau.
La loi du 1er février 1994 introduit le concept de peines incompressibles, où la période de sûreté devient quasiment perpétuelle. Cela signifie qu’aucune forme d’aménagement de peine n’est envisageable. En France, ce type de peine ne concerne que 3 ou 4 individus, soulignant la rareté de cette mesure extrême.
ement de peine donc on n’envisage pas d’avenir. En France seulement 3 ou 4 personnes en font l’objet.
II. le domaine d’application de la période de sûreté
La période de sûreté est encadrée par les articles 132-23 du Code pénal et 720-4 du Code de procédure pénale, qui définissent deux formes : obligatoire et facultative.
- Période de sûreté obligatoire : Elle s’applique de manière automatique, sans que la juridiction ait à la motiver ou à la décider. Pour cela, deux conditions doivent être réunies :
- La peine prononcée (et non la peine encourue) doit être supérieure ou égale à 10 ans.
- La loi doit prévoir explicitement l’application de cette mesure pour certaines infractions, comme les tortures, les actes de barbarie, ou encore les viols ayant entraîné la mort.
-
Période de sûreté facultative : Elle peut être décidée par la juridiction sans obligation de justification. Cette mesure s’applique généralement à des peines inférieures à 5 ans, sans sursis, même si l’infraction n’est pas expressément déterminée par la loi. Dans certains cas, cette période peut être allongée en fonction de la gravité des faits.
III. Le régime de la période de sûreté
La période de sûreté se caractérise principalement par sa durée, qui varie selon qu’elle soit obligatoire ou facultative.
- Durée des périodes de sûreté obligatoires : La durée normale correspond à la moitié de la peine prononcée. Par exemple, pour une peine de 20 ans, la période de sûreté sera de 10 ans. Pour les peines de réclusion criminelle à perpétuité, la période de sûreté est généralement fixée à 18 ans, mais elle peut être étendue à 22 ans pour les crimes les plus graves. Dans des cas exceptionnels, une juridiction peut porter la durée de la sûreté à 2/3 de la peine pour des condamnations non perpétuelles.
- Durée des périodes de sûreté facultatives : Aucune durée minimale n’est imposée par la loi. Le maximum reste de 2/3 de la peine ou bien 22 ans pour les infractions les plus graves. La période de sûreté de 30 ans, réservée aux crimes les plus atroces, tels que les meurtres ou assassinats de mineurs de moins de 15 ans précédés de tortures ou de viols, s’applique en cas de réclusion criminelle à perpétuité.
Les conséquences de la période de sûreté
Pendant la période de sûreté, le détenu ne peut bénéficier d’aucun aménagement de peine. Cela inclut des mesures telles que la libération conditionnelle, les permissions de sortie ou la semi-liberté. Toutefois, il existe des exceptions à cette règle :
-
Réductions de peine : Même pour des peines de longue durée, il est possible d’accorder des réductions de peine. Par exemple, pour une peine de 20 ans, le détenu peut obtenir des réductions annuelles d’environ 20 jours. Ce mécanisme vise à encourager le bon comportement, même si la période de sûreté est en vigueur.
- Loi de 2004 sur la délinquance organisée : Cette loi introduit une exception notable pour les repentis ou collaborateurs de justice. Ces derniers peuvent bénéficier d’aménagements de peine en échange de leur coopération avec les autorités. Cela s’applique même dans le cadre d’une période de sûreté, ce qui en fait un outil essentiel dans la lutte contre les réseaux criminels.
Les réductions de peine et le calme en prison
L’octroi de réductions de peine trouve ses racines dans la loi de 1971, mise en place après les événements de mai 1968, lorsque de nombreux jeunes manifestants se sont retrouvés en prison, adoptant un comportement violent. L’objectif de cette loi était de récompenser le bon comportement en détention en permettant des réductions de peine régulières, contribuant ainsi à réduire les tensions dans les établissements pénitentiaires.
En 2004, un tournant s’opère avec une réforme des réductions de peine. Plutôt que de les accorder de manière automatique, un système de crédit de réduction est introduit. Ce mécanisme permet de retirer les réductions de peine en cas de mauvais comportement, sur décision du JAP. Ce nouveau dispositif s’est avéré efficace, permettant de maintenir un certain calme dans les prisons, en limitant les mouvements de contestation politique et en incitant les détenus à adopter un comportement plus respectueux des règles.
La loi du 27 décembre 2019 relative à l’exécution des peines a renforcé les conditions de la libération conditionnelle pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, rendant les aménagements de peine encore plus stricts.
Section 3 : Réductions de peine : principes, évolutions et distinctions entre CRP et RSP
- Les CRP sont les crédits de réduction de peine
- Les RSP sont les réductions supplémentaires de peine
I les règles communes aux CRP et RSP
- Réductions de peine : distinctions et principes
Les réductions de peine ne doivent pas être confondues avec les grâces ou remises de peine. Traditionnellement, les grâces incluaient des grâces collectives annuelles, avant leur suppression sous la présidence de Nicolas Sarkozy. La réduction de peine se réfère à une diminution de la durée de la peine prononcée, sans pour autant annuler la condamnation elle-même.
L’article 721-2 du Code de procédure pénale permet au juge de l’application des peines (JAP) d’accorder une liberté conditionnelle à un détenu, sous réserve d’obligations spécifiques pendant une période de six mois. Ces obligations incluent principalement l’indemnisation de la victime et l’interdiction de tout contact avec celle-ci. Cependant, en raison du cadre très strict de ces mesures, cette forme de liberté conditionnelle est peu appliquée en pratique.
- Restrictions pour récidivistes et délinquants sexuels
L’évolution législative récente tend à limiter l’accès aux réductions de peine, notamment pour les récidivistes et les délinquants sexuels. Ces catégories de condamnés sont soumises à des conditions plus strictes pour obtenir des réductions de peine, afin de renforcer la sécurité publique et prévenir la récidive.
- Peines prononcées à l’étranger et leur reconnaissance en France
Le principe de territorialité du droit pénal s’applique à la question des peines étrangères. Une personne condamnée à l’étranger peut conserver les réductions de peine obtenues dans le pays où elle a été initialement incarcérée. Par exemple, une personne incarcérée au Royaume-Uni bénéficie des réductions de peine britanniques pour la durée de sa détention là-bas. Cependant, une fois transférée en France, ces réductions ne s’appliquent qu’au temps restant à purger en France. Cette jurisprudence a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 21 octobre 1997.
- Contrainte par corps et son cadre juridique
La contrainte par corps est un mécanisme par lequel une personne peut être emprisonnée en raison de l’impayé d’amendes pénales. Avant 2004, cette mesure pouvait également être appliquée aux dettes fiscales impayées. De plus, si une personne incarcérée ne règle pas ses amendes pénales ou douanières, sa peine peut être prolongée. Toutefois, cette mesure a été encadrée par la jurisprudence européenne. Dans l’arrêt Jamil c. France du 8 juin 1995, la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a jugé que la contrainte par corps constituait une mesure pénale au sens de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, ce qui impose un procès équitable pour son application. La contrainte par corps est donc désormais prononcée par le JAP, avec un maximum de trois mois d’emprisonnement. Les condamnés peuvent toutefois négocier avec les douanes ou le trésor public pour un paiement échelonné de leurs dettes.
Une question importante demeure : la période d’incarcération liée à la contrainte par corps ouvre-t-elle droit à des réductions de peine ? La jurisprudence a varié sur ce point. La Cour de cassation, dans plusieurs arrêts (dont l’arrêt Bathman du 24 septembre 1996 et l’arrêt du 29 janvier 2003), a considéré que la contrainte par corps n’était pas une peine, donc non éligible aux réductions de peine. Cependant, d’autres décisions, notamment celles des chambres commerciales (arrêts des 16 mai 2000 et 18 juin 2002), ont soutenu le contraire, affirmant qu’il s’agit bien d’une peine. Un décret d’application du 9 mars 2010 (articles D115-5, 3° et D116-4, 3° du Code de procédure pénale) a finalement exclu explicitement les réductions de peine pour la contrainte par corps.
- Impossibilité de refuser les réductions de peine
Un condamné ne peut pas refuser une réduction de peine. Cette règle a été confirmée par un arrêt de la Cour de cassation du 24 janvier 1989, qui a statué que l’octroi de la réduction de peine est automatique et ne dépend pas de l’accord du condamné.
- Réformes récentes et expertise psychiatrique
À la suite des réformes successives, notamment pour les condamnations relevant de l’article 706-47 du Code de procédure pénale (concernant les infractions sexuelles graves), toute demande de réduction de peine nécessite obligatoirement une expertise psychiatrique préalable. Cependant, en pratique, les experts ne sont souvent pas en mesure de rendre leur rapport dans le délai de trois mois, ce qui empêche souvent l’octroi de la réduction de peine dans ces cas. L’accès aux réductions de peine pour ces catégories est devenu encore plus rigide après les réformes de la loi de 2019 pour renforcer la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme. Les condamnés pour des infractions sexuelles graves ou des récidivistes restent soumis à des restrictions strictes.
II. Les règles propres au réduction de peines
Évolution des règles spécifiques aux réductions de peine
Avant 2004, les réductions de peine étaient principalement fondées sur le comportement positif des détenus. Cependant, le système était critiqué car il nécessitait souvent de dénoncer les comportements problématiques d’autres détenus, créant une atmosphère de méfiance et de délation, ce qui le rendait inapplicable dans de nombreux cas.
Aujourd’hui, pour bénéficier de réductions de peine, il est impératif de s’abstenir de tout comportement répréhensible plutôt que d’avoir à prouver une conduite exemplaire. Cette évolution permet de simplifier les critères d’évaluation tout en maintenant une exigence minimale de discipline.
Modifications des quotas de réduction de peine
Historiquement, les réductions de peine étaient réparties en deux catégories principales :
- Les CRP (crédits de réduction de peine).
- Les RSP (réductions supplémentaires de peine).
Avant la réforme de 2004, les détenus pouvaient espérer une réduction de 3 mois par an. Le débat législatif de cette période a vu l’Assemblée nationale proposer de réduire les CRP tout en augmentant les RSP, estimant ces dernières plus adaptées. Le Sénat, de son côté, s’opposait à la réduction des CRP, mais soutenait l’idée d’une augmentation des RSP. Le compromis trouvé en commission mixte a fixé les réductions à 6 mois de CRP pour la première année d’incarcération et 5 mois pour la deuxième année, mais cette mesure a ensuite été modifiée pour fixer un quota de 3 mois par an et 7 jours par mois, conduisant à une situation perçue comme un « jackpot » pour les détenus.
Réforme de 2005 et ajustements
La loi du 1er janvier 2005 introduit un nouveau mécanisme pour les longues peines, mais sa mise en œuvre pratique s’est révélée plus lente que prévu, avec une réelle application seulement à partir de l’été 2005. Cette réforme a provoqué une confusion chez les détenus, certains saisissant le juge administratif ou le JAP, mais aucune de ces instances n’était compétente pour trancher ces questions. La Cour de cassation, par un avis du 3 avril 2006, a précisé que pour les courtes durées d’incarcération, la réforme devait être interprétée comme avant. La période transitoire entre le 1er janvier 2005 et le 3 avril 2006 devait voir l’application des anciennes règles, mais la réforme du 12 décembre 2005 a réécrit l’article 721, supprimant ainsi les avantages perçus du « jackpot ».
Jurisprudence européenne : la question de la rétroactivité
La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a fortement influencé le traitement des réductions de peine. Dans l’arrêt Fafraris c. Chypre, un détenu condamné à perpétuité s’attendait à être libéré après 20 ans, conformément à la législation chypriote en vigueur lors de sa condamnation. Cependant, un changement juridique a supprimé cette possibilité. Le requérant a invoqué une violation de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme, affirmant que la nouvelle législation ne devait pas rétroagir. La CEDH a rejeté cette demande, considérant qu’il n’existait pas de certitude absolue que tous les condamnés à perpétuité bénéficieraient de cette libération après 20 ans.
Cependant, dans l’arrêt Del Rio Prada c. Espagne du 12 juillet 2012, la CEDH a statué en faveur du requérant. Celui-ci, condamné à un total de 3 000 ans de prison, voyait sa peine ramenée à 30 ans en vertu du système espagnol. Il devait bénéficier de réductions de peine, le libérant en 2008. Toutefois, un changement législatif a prolongé sa détention de 9 ans, retardant sa libération jusqu’en 2017. La Cour a estimé que cette modification constituait une violation de l’article 7, car une telle prolongation était une différence significative par rapport aux attentes légales initiales. Cet arrêt marque une exception notable au principe selon lequel la question des réductions de peine ne relève pas habituellement de la matière pénale.
Règles actuelles et durcissement pour récidivistes
À partir de la réforme de 2005, les quotas de réduction de peine pour les longues peines ont été fixés à :
- 3 mois la première année,
- 2 mois la deuxième année.
Toutefois, pour les récidivistes, la réduction est encore plus limitée :
- 2 mois la première année,
- 1 mois la deuxième année.
Pour les courtes peines, la réduction est calculée à raison de 5 jours par mois.
Le problème de rétroactivité de ces nouvelles règles a conduit à des contestations, mais la chambre criminelle de la Cour de cassation a tranché en décidant que l’article 7 de la CEDH ne s’appliquait pas dans ces situations.
Complexité ajoutée par le pouvoir réglementaire
Le pouvoir réglementaire a ensuite ajouté une nouvelle complexité en créant des mécanismes destinés à favoriser la libération conditionnelle. Ces mécanismes visaient à permettre aux condamnés, y compris les récidivistes, de bénéficier de réductions de peine, avec une application théorique des CRP primaires (3 mois pour la première année et 2 mois pour la deuxième année). Cependant, en pratique, cette mesure reste rarement appliquée, et les récidivistes voient encore leur accès aux réductions de peine très limité.
III les réductions supplémentaires de peine
Article 721-1, alinéa 3: Les détenus peuvent bénéficier de réductions supplémentaires de peine (RSP) s’ils montrent des efforts sérieux de réinsertion sociale. Ces efforts sont évalués sur la base de plusieurs critères, dont la liste n’est pas exhaustive.
- Critère éducatif: Initialement introduit en 1979, ce critère visait à encourager les détenus à obtenir des diplômes ou à poursuivre des études. En 2006, une révision a ajouté que les RSP pouvaient également être accordées pour l’acquisition de nouvelles compétences, telles que l’assiduité à des formations, même en dehors des études académiques traditionnelles. Cette approche inclut désormais les efforts pour trouver un emploi ou demander une formation professionnelle, car tous les détenus ne souhaitent pas suivre des cours formels. Pour les prisons ne disposant pas d’opportunités éducatives ou professionnelles, la pratique du sport peut aussi être prise en compte. Cependant, des difficultés surviennent pour les détenus placés en isolement, car leur accès à ces activités est souvent limité. Certains juges d’application des peines (JAP) reconnaissent que ces restrictions ne sont pas toujours la faute du détenu. Un exemple notable est celui du détenu Korber, qui a obtenu une réduction partielle de peine grâce à son travail juridique pour d’autres détenus, bien que ses études aient été interrompues par des transferts fréquents.
- Critère de l’indemnisation des victimes: Depuis la loi du 15 juin 2000, l’indemnisation des victimes constitue un facteur important pour obtenir une réduction de peine. Le problème principal est que de nombreux détenus n’ont pas de revenus suffisants pour verser des indemnités. Certains JAP refusent d’accorder des RSP si les victimes ne sont pas indemnisées, tandis que d’autres examinent les efforts faits pour trouver un emploi ou effectuer des paiements, même modestes. Par exemple, si un détenu vend un bien comme une maison ou une voiture pour indemniser la victime, cela peut être considéré favorablement. De plus, il est courant de prendre en compte la bonne foi des démarches entreprises par le détenu. Un cas illustre cela: un détenu gagnant 500 € par mois choisissait de verser 150 € à la victime et 300 € à son frère, lui aussi incarcéré. Le président de la commission d’application des peines a jugé qu’il devait inverser ces montants pour mieux dédommager la victime.
- Critère sanitaire: Introduit par une série de réformes, ce critère a pris de l’importance avec la loi de 2005, qui a rendu obligatoire certaines thérapies pour limiter la récidive. En 2007, une nouvelle loi stipulait que les détenus refusant de suivre des soins, même s’ils travaillaient et indemnisaient la victime, pouvaient se voir refuser les RSP, sauf décision contraire du JAP. Ce dernier peut accorder des réductions de peine à des personnes qu’il est impossible de soigner (comme des psychopathes). Dans des cas où un détenu a suivi des thérapies intensives sans succès, les autorités doivent décider s’il est juste de lui refuser les RSP. La loi de 2008 est venue durcir les conditions pour les détenus risquant des mesures de rétention de sûreté, notamment pour des crimes graves tels que les meurtres ou viols. Sans suivi thérapeutique, les réductions de peine sont limitées à 2 mois par an ou 4 jours par mois, et pour les récidivistes, à 1 mois par an ou 2 jours par mois.
Les réductions supplémentaires de peine sont accordées en une seule fois pour les peines inférieures ou égales à un an. Pour les peines plus longues, elles sont réexaminées chaque année.
IV. règles relatives aux réductions exceptionnelles de peine
Créées en 2004, ces réductions visent à encourager la coopération des détenus avec les autorités, en particulier lorsqu’ils fournissent des informations permettant de mettre fin à une infraction. Dans ce cas, le condamné peut obtenir une réduction d’un tiers de sa peine. En outre, il peut demander une libération conditionnelle après 13 ans de détention. Cependant, en pratique, cette disposition est rarement utilisée, car les autres détenus découvrent rapidement qui a collaboré, ce qui peut entraîner des représailles. Par exemple, dans une décision de la chambre criminelle du 24 mai 2006, un détenu ayant dénoncé un autre prisonnier pour des faits de pédophilie a permis la condamnation de ce dernier, ce qui lui a valu une réduction de peine.
Les RSP et les réductions exceptionnelles sont influencés par de nombreux facteurs comme le comportement, les démarches pour indemniser les victimes, ou encore l’état de santé du détenu. Leur application reste néanmoins sujette à des pratiques diverses selon les juges et les établissements.
Chapitre 3 : Le régime des Sorties
SECTION 1 : les permissions de sorties
Les permissions de sortie constituent des mesures d’aménagement de peine permettant aux détenus de quitter temporairement la prison pour des raisons spécifiques, telles que des entretiens d’embauche, des soins médicaux, ou encore pour maintenir des liens familiaux. Ces sorties visent à préparer progressivement les détenus à la réinsertion sociale et à évaluer leur comportement à l’extérieur, un facteur déterminant dans le cadre de leur éventuelle libération conditionnelle.
I. Conditions générales des permissions de sortie
La permission de sortie, accordée après évaluation du projet du détenu (emploi, soins, famille), est une mesure destinée à tester son comportement en milieu ouvert. Le Juge d’application des peines (JAP) ou l’administration pénitentiaire peuvent refuser une permission si le risque de fuite, de récidive ou de non-respect des conditions (retards, infractions, retour en état d’ivresse) est jugé trop élevé.
- En 2006, 5 591 retards ont été constatés, illustrant l’un des principaux problèmes liés à ces permissions. Les retards fréquents, ou les infractions commises pendant la sortie, peuvent entraîner des poursuites supplémentaires.
Les permissions sont régies par plusieurs articles du Code de procédure pénale, dont les principaux sont :
- Article D143 : autorise une sortie pour la journée, généralement pour des activités comme un entretien d’embauche, la présentation à un examen, des soins, etc. Pour y avoir droit, il faut avoir purgé une partie de la peine :
- Peines inférieures à 5 ans : une partie de la peine doit être purgée, même si les réductions de peine peuvent accélérer le processus.
- Peines supérieures à 5 ans : au moins la moitié de la peine (incluant les réductions) doit être purgée.
- Article D144 : permet des permissions exceptionnelles de 3 jours maximum, généralement pour des motifs graves (décès ou maladie grave d’un proche). Ce texte a été modifié en 2008, réduisant les motifs de sortie pour les événements familiaux graves autres que les décès.
- Article D145 : permissions accordées pour maintenir les liens familiaux et préparer la réinsertion. Ces permissions sont courantes, surtout pour les détenus ayant une peine inférieure à 1 an (sans condition particulière). Pour les peines supérieures à 1 an, il faut avoir purgé la moitié de la peine et qu’il reste moins de 3 ans à effectuer.
- Article D146 : offre aux détenus des centres de détention la possibilité de bénéficier de permissions plus longues et plus fréquentes que celles des maisons d’arrêt. Les permissions peuvent durer jusqu’à 5 jours (au lieu de 3) et, une fois par an, une permission de 10 jours peut être accordée.
II. Régime particulier pour les récidivistes
Pour les récidivistes, les permissions de sortie sont plus strictement encadrées. L’article D146-2 impose qu’ils doivent avoir purgé 2/3 de leur peine pour en bénéficier. Le JAP ne peut accorder ces permissions avant la moitié de la peine, alors que pour les primo-délinquants, la permission peut être accordée après avoir purgé 1/3 de la peine.
Il est coutumier que les permissions de sortie soient accordées tous les 3 mois environ (selon une norme non écrite mais largement suivie), avec possibilité pour le JAP d’ajouter des délais de route en fonction de la distance entre la prison et le lieu de permission (par exemple, un détenu à Reims qui rend visite à sa famille à Marseille).
Les permissions sont importantes non seulement pour des raisons pratiques (travail, soins), mais aussi pour maintenir des liens familiaux et préparer psychologiquement le détenu à sa réintégration.
SECTION 2 : les autorisations de sortir sous escortes
Les autorisations de sortie sous escorte sont des mesures permettant à une personne détenue de sortir temporairement de l’établissement pénitentiaire, souvent pour des raisons graves ou urgentes, bien que d’autres motifs puissent être invoqués. Elles concernent à la fois les prévenus (article 148-5 du Code de procédure pénale) et les condamnés (article 146 du même code). L’article D426 encadre également ces sorties. Cependant, si un risque important est perçu, notamment en matière de fuite ou de sécurité, la sortie peut être autorisée sous escorte.
Mesures de sécurité et entraves : L’usage des menottes ou autres dispositifs de contrainte physique est strictement encadré par l’article 803 du Code de procédure pénale. Ce texte stipule que des entraves ne peuvent être imposées que si la personne détenue présente un risque spécifique de fuite, de violence, ou de suicide. C’est le chef de l’escorte qui prend la décision en fonction de la situation.
Fondement humanitaire et droit au respect de la vie privée et familiale : L’autorisation de sortir sous escorte repose en grande partie sur des considérations humanitaires. Un questionnement récurrent est de savoir si cette mesure constitue un droit, notamment à la lumière de l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, qui protège le droit au respect de la vie privée et familiale.
L’arrêt Ploskic c. Pologne du 12 novembre 2002 est souvent cité en référence. Dans cette affaire, un détenu, condamné pour un simple vol, avait vu ses demandes de sortie pour assister aux funérailles de sa mère et de son père refusées par les autorités polonaises, au motif qu’il était un délinquant récidiviste et qu’il existait un doute sur son retour en détention. La Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) a conclu que la Pologne avait violé l’article 8 de la Convention, estimant qu’aucun risque significatif ne justifiait de l’empêcher d’assister à ces événements familiaux.
Traitement des détenus lors des sorties sous escorte : Une jurisprudence importante en matière de traitements inhumains ou dégradants est celle de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 17 mars 2010. Dans cette affaire, un détenu atteint d’un cancer récidivant avait obtenu une autorisation de sortie sous escorte pour suivre un traitement médical. Toutefois, il avait été menotté pendant un trajet de 100 km, en position assise, ce qu’il avait contesté au titre de la violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (interdiction des traitements inhumains ou dégradants). La CEDH n’avait pas retenu l’atteinte à l’article 3, sauf dans l’arrêt Miselle, où des conditions similaires avaient été jugées constitutives d’une violation de cet article.
SECTION 3 : les mesures sous écrous
I – mesures exécutant en mesure ouvert ou semi ouvert
A) Semi-liberté et placement extérieur
La semi-liberté et le placement extérieur sont des aménagements de peine permettant à un détenu d’exercer une activité professionnelle ou de suivre une formation à l’extérieur, tout en étant sous le contrôle de l’administration pénitentiaire. Ces dispositifs favorisent la réinsertion sociale et professionnelle tout en assurant un lien avec l’univers carcéral.
- Corvée extérieure : C’est une mesure administrative où le chef d’établissement pénitentiaire affecte les détenus à des travaux à l’intérieur ou à l’extérieur de la prison, notamment dans des services comme le mess des surveillants, où les détenus peuvent être assignés pour servir les surveillants. Le mess des surveillants est une installation spécifique dans certaines prisons, servant de bar ou de service de restauration dédié au personnel pénitentiaire, notamment les surveillants. Il peut être situé soit à l’intérieur, soit à proximité de la prison. Ce lieu, souvent distinct des zones accessibles aux détenus ordinaires, permet au personnel de se restaurer, de se détendre ou de se retrouver hors du contexte direct de la surveillance des détenus.
- Placement extérieur (PE) : Historiquement, cette mesure trouve ses origines dans la loi du 4 février 1893, utilisée d’abord pour des corvées extérieures où les détenus construisaient parfois leurs propres prisons. La loi du 2 janvier 1990 et le décret du 8 décembre 1998 modernisent cette pratique, en formalisant le placement extérieur avec ou sans surveillance. Les juges d’application des peines (JAP) peuvent l’utiliser comme aménagement de peine, tandis que la loi de 2004 l’a étendu en tant que peine principale.
La loi de 2004 a étendu l’usage de ces mesures en tant que peines principales et non seulement comme aménagements de peine, ouvrant ainsi la voie à une plus large utilisation du placement extérieur.
B) Extraction
L’extraction est une procédure qui permet de sortir un détenu de prison pour une raison spécifique, telle qu’une audience judiciaire ou une extraction médicale, par exemple pour une chimiothérapie. Ces mesures sont le plus souvent prononcées par le JAP, mais peuvent aussi être décidées par le tribunal correctionnel, notamment en vertu des articles 132-25 et 132-26-1 du Code pénal.
- Deux possibilités d’aménagement :
- Article 723-15 : cette disposition permet d’éviter l’incarcération si certaines conditions sont réunies (travail, soins, suivi de formation).
- Mesure de liberté : celle-ci peut être prononcée seule ou en tant que phase probatoire lors de la libération conditionnelle.
La loi Taubira a renforcé ces mesures avec l’introduction de la libération sous contrainte, visant à réduire la surpopulation carcérale en offrant plus d’alternatives à l’incarcération.
Évolution du placement extérieur et de la semi-liberté avec le bracelet électronique
Depuis l’apparition du bracelet électronique en 1997, le recours à la semi-liberté et au placement extérieur a diminué. Le bracelet électronique est une solution souvent privilégiée par l’administration pénitentiaire, car il permet une surveillance à distance à moindre coût, sans nécessiter de logement ni de suivi structurel. Cependant, contrairement au placement extérieur, qui offre à la fois un hébergement et un encadrement, le bracelet électronique limite souvent ces services, laissant les détenus sans véritable soutien pour leur réinsertion sociale.
Malgré cela, le placement extérieur continue d’être un dispositif clé pour les détenus nécessitant un suivi intensif ou une réintégration progressive dans la société, notamment en collaboration avec les services de probation, les juges, et des associations spécialisées.
II. Les conditions
A) Seuil de peine
Les articles 132-25 et 132-26 du Code de procédure pénale établissent les seuils de peine pour l’aménagement sous surveillance électronique ou semi-liberté. Après l’amendement de la loi Perben II en 2004, les seuils ont été augmentés à 1 an pour les primo-délinquants et 2 ans pour les récidivistes.
L’article D136 du même code prévoit que les condamnés bénéficiant d’une libération conditionnelle peuvent être placés sous surveillance en placement extérieur (PE) probatoire, renforçant l’idée que ces dispositifs ne sont pas seulement des peines mais aussi des mesures de transition vers la réinsertion.
B) Conditions de fond
Le condamné qui cherche un placement sous surveillance vise souvent à maintenir ou reconstruire sa situation sociale : emploi, logement, et liens familiaux. Ces éléments sont essentiels pour favoriser une réinsertion réussie et éviter les rechutes dans la délinquance. L’article 132-25 exige que la personne justifie d’une activité professionnelle, d’un suivi de formation, ou d’une participation essentielle à la vie familiale pour bénéficier de ces aménagements. Ces conditions incluent aussi la nécessité de suivre des traitements médicaux ou de démontrer une implication dans un projet de réinsertion sérieux.
Les études américaines montrent que l’isolement social en détention est un facteur clé dans la récidive. Un lien fort existe entre le maintien des visites régulières en prison et la réduction des risques de récidive, ce qui illustre l’importance du soutien social dans le succès des mesures d’aménagement de peine. Plus un détenu reçoit de visites, moins il a tendance à récidiver.
C) Régime de la semi-liberté et du placement extérieur
La semi-liberté (SL) permet aux détenus de travailler ou de suivre une formation en journée, tout en retournant en prison le soir. Les salaires gagnés sont versés sur un compte nominatif sous la surveillance du juge d’application des peines (JAP) pour éviter tout abus. Parfois, en cas de manque de place, des dispositifs comme le pointage (incarcération uniquement le week-end) sont appliqués, permettant de libérer des places tout en maintenant le suivi.
Le placement extérieur (PE) offre une autre forme d’aménagement. Les détenus sont sous écrou mais travaillent sur des chantiers ou pour des projets spécifiques, souvent en dehors de la prison. Le décret du 8 décembre 1998 a officialisé cette pratique en précisant les placements sous surveillance et sans surveillance. Ces programmes sont souvent réalisés en collaboration avec des juges, des services de probation, et des associations spécialisées.
Durée des régimes d’aménagement
Les études montrent que les détenus supportent ces régimes différemment. En France, les mesures de semi-liberté sont souvent mal vécues au-delà de quatre mois, car les allers-retours quotidiens entre prison et liberté, les fouilles systématiques, et les contraintes horaires peuvent générer une fatigue psychologique. Les détenus ont tendance à mal gérer le temps réel et ressentent une pression constante, particulièrement lorsqu’ils doivent mentir à leurs employeurs sur leur statut de détenu pour ne pas perdre leur emploi.
En revanche, les détenus placés en placement extérieur tiennent généralement plus longtemps, car ces dispositifs offrent un meilleur encadrement et des perspectives plus stables. Le régime de semi-liberté tend donc à être moins adapté sur le long terme, tandis que des régimes comme le PE, accompagnés de réductions de peine en cas de bonne conduite, s’avèrent plus efficaces pour la réinsertion.
Enfin, l’article 143-1 prévoit des réductions supplémentaires de peine pour encourager une bonne conduite sous ces régimes, et certaines obligations peuvent être allégées au fil du temps si le détenu fait preuve de progrès dans sa réinsertion.
II. une mesure s’exécutant a domicile le PSE
Le placement sous surveillance électronique (PSE), souvent appelé bracelet électronique, a été introduit par la loi de 1997 en France. Cette mesure permet à une personne condamnée d’exécuter sa peine à domicile tout en étant surveillée à distance grâce à un dispositif électronique. En 2024, environ 10 000 personnes en France sont sous surveillance électronique, mais ce chiffre n’a pas permis de réduire massivement la population carcérale
Le PSE est utilisé principalement pour les peines de moins de 2 ans, et il a été élargi pour inclure les prévenus en attente de procès, notamment en tant que mesure probatoire dans le cadre de la libération conditionnelle.
A) Historique du bracelet électronique
L’idée du bracelet électronique a une origine surprenante : elle est attribuée au magistrat américain Jack Love, inspiré par une bande dessinée mettant en scène un personnage avec un tag électronique. En 1981, il participe à la création d’une société, et le premier système est mis en service dès 1983. Le concept traverse ensuite l’Atlantique et arrive en Europe dans les années suivantes, avec des premières expérimentations en Angleterre (1989), Suède (1994) et Pays-Bas (1995).
En France, le bracelet électronique est testé pour la première fois en 1989 par M. Bonmaison. Toutefois, son utilisation ne se généralise qu’à partir de la publication du rapport Cabanel en 1996, après un voyage aux États-Unis où les systèmes de surveillance électronique sont étudiés de près.
La loi du 19 décembre 1997 marque un tournant, permettant officiellement le PSE comme aménagement de peine. Entre 1997 et 2002, le dispositif est en phase d’expérimentation, et ce n’est qu’en 2002 qu’il est généralisé, avec la possibilité de l’utiliser comme peine principale (loi de 2004). La loi de 2009 va encore plus loin en autorisant les juges à choisir entre trois mesures alternatives : le contrôle judiciaire, la surveillance électronique ou la détention provisoire.
Cependant, malgré sa généralisation, le PSE n’a pas permis de réduire le taux d’incarcération de manière significative. Au lieu de remplacer la détention, il a surtout affecté les régimes de peine à milieu ouvert. Aujourd’hui, la France enregistre une utilisation importante du bracelet électronique avec environ 10 000 personnes placées sous ce dispositif chaque année, mais les débats persistent sur son efficacité à réduire la récidive. Les études sur ce sujet restent complexes et montrent que le bracelet n’offre pas de meilleurs résultats que d’autres aménagements de peine, son succès reposant principalement sur la qualité du suivi des condamnés.
B) Conditions du Placement sous Surveillance Électronique (PSE)
L’une des particularités du PSE est sa capacité à rendre possible l’incarcération à domicile. Toutefois, ce dispositif est soumis à des contraintes horaires strictes, limitant par exemple la possibilité de participer à des cours en soirée ou à des activités sociales. Ces restrictions peuvent aussi entraîner des tensions intrafamiliales, car la personne surveillée reste en permanence au domicile, ce qui peut affecter la dynamique familiale.
Le PSE peut être utilisé pour des mineurs, bien que la France soit réticente à son utilisation, malgré la possibilité légale, car la majorité pénale y est fixée à 10 ans. Les parents des jeunes délinquants apprécient parfois que leurs enfants soient à la maison plutôt que livrés à eux-mêmes, mais le personnel éducatif est souvent plus réticent à interagir avec des mineurs porteurs de ce dispositif.
En Suède, l’utilisation du bracelet électronique a été étendue au sein même des prisons, dans des établissements ouverts sans barreaux, où les détenus portent le bracelet pour limiter leurs déplacements. En revanche, l’idée d’une puce électronique, qui ne serait pas visible contrairement au bracelet, reste une option controversée, notamment aux États-Unis où cette approche suscite des réticences en raison de ses implications éthiques.
Conditions spécifiques du Placement sous Surveillance Électronique (PSE)
L’une des conditions fondamentales pour la mise en place du PSE est le consentement de la personne concernée. Cette exigence découle de l’influence de la dystopie décrite dans le célèbre roman de George Orwell (« 1984 »), qui alimentait des craintes sur une surveillance excessive. Si le condamné refuse, il retourne en détention ou peut se voir proposer un autre aménagement de peine. À l’origine, la loi de 1997 prévoyait que le consentement devait être donné en présence d’un avocat, mais cette obligation a été assouplie pour les condamnés adultes, tout en restant en vigueur pour les prévenus et les mineurs.
En outre, le consentement des tiers est également nécessaire. Par exemple, si une personne mariée est condamnée à porter un bracelet, mais que son épouse est titulaire du bail du domicile, cette dernière doit donner son accord, car elle est considérée comme le maître des lieux. Cette condition était particulièrement importante à l’époque où le bracelet électronique ne fonctionnait que via une ligne téléphonique fixe, ce qui imposait l’accès à la ligne de l’habitant. Aujourd’hui, avec les technologies mobiles, cette contrainte est allégée, mais le consentement des parents reste nécessaire pour les mineurs.
Le PSE s’applique aux personnes condamnées à une peine privative de liberté maximale de 1 an pour les primo-délinquants et de 2 ans pour les récidivistes.
C) Fonctionnement du Placement sous Surveillance Électronique
Le bracelet électronique est généralement porté à la cheville ou au poignet, et il envoie des signaux à un dispositif connecté à un téléphone fixe ou mobile. Des sociétés privées, telles que Elmo Tech (d’origine israélienne) et Bouygues, sont chargées de surveiller les données collectées. Le système émet une alarme si la personne quitte son domicile en dehors des horaires autorisés. En cas de problème technique, un surveillant peut se rendre sur place pour vérifier la situation.
Les premières années du PSE, un agent de probation intervenait pour s’assurer que le cadre familial était compatible avec la surveillance. Aujourd’hui, cette étape est souvent réalisée par les sociétés privées qui gèrent le dispositif. Ces entreprises paramètrent le bracelet et enregistrent les alertes en cas de non-respect des conditions fixées (ex : ne pas être à la maison à 18h).
D) Les limites et les défis du PSE
Le bracelet électronique a des avantages, notamment en offrant une alternative à la prison et en permettant de maintenir des liens familiaux. Cependant, les horaires trop restrictifs peuvent compliquer la réinsertion sociale. Par ailleurs, le PSE n’a pas réussi à réduire les autres formes d’aménagement de peine, et il n’a pas démontré d’efficacité notable en matière de lutte contre la récidive.
L’une des évolutions récentes a été la détention à domicile sous surveillance électronique (DDSE), introduite par la réforme de 2019, qui permet aux condamnés de moins de 6 mois de prison d’effectuer leur peine chez eux plutôt qu’en prison. Cette mesure est appliquée sous le contrôle du Service Pénitentiaire d’Insertion et de Probation (SPIP), avec des contrôles réguliers pour s’assurer du respect des horaires imposés.
Chapitre 4 : Les suspensions de peines
SECTION 1 : Les suspensions de peine : suspensions ordinaires et médicales
Les suspensions de peine sont prévues par deux articles principaux du Code de procédure pénale, l’article 720-1 (suspension ordinaire) et l’article 720-1-1 (suspension médicale), ce dernier ayant été introduit par la loi Kouchner du 4 mars 2002 pour répondre aux situations médicales graves en milieu carcéral.
A. Présentation de la suspension ordinaire
La suspension de peine ordinaire, instaurée par l’article 720-1 en 1975, concernait initialement des peines privatives de liberté de courte durée (maximum 2 ans), et elle était principalement fondée sur des motifs médicaux, sociaux ou familiaux. En pratique, cette mesure était peu utilisée, en raison de critères trop restrictifs.
Pour les personnes gravement malades, la suspension ordinaire ne suffisait pas, car elle exigeait souvent que la personne ait déjà purgé une partie significative de sa peine, ou qu’elle attende une grâce présidentielle. Ces délais rendaient souvent la libération impossible pour les détenus en fin de vie. Cette situation est devenue particulièrement critique dans les années 1990, avec l’augmentation des maladies graves en prison, notamment liées à la propagation du VIH et des hépatites, ainsi que l’incarcération croissante des personnes âgées et des délinquants sexuels purgeant de longues peines.
Un exemple marquant de cette inhumanité est l’arrêt Novisel, où un détenu atteint d’un cancer en phase terminale a été maintenu en détention, en violation de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), qui interdit les traitements inhumains et dégradants. Ce cas a soulevé la question cruciale : est-il humain de laisser une personne mourir en prison ? Pour les cas où la mort est prévisible, une problématique persistante est de savoir combien de temps avant le décès la personne devrait être libérée.
La suspension ordinaire de peine a été améliorée par la loi de 2009, qui a introduit un seuil de deux ans de peine privative de liberté pour être éligible, mais avec des motifs toujours centrés sur des raisons médicales, familiales ou sociales.
Suspension médicale : une réponse aux maladies graves
La suspension médicale, régie par l’article 720-1-1, a été instaurée par la loi Kouchner de 2002 pour combler les lacunes de la suspension ordinaire, en particulier pour les détenus gravement malades ou en fin de vie. Elle a été créée en réponse à la hausse des maladies graves en détention dans les années 1990, en particulier les maladies liées au VIH, ainsi que pour les personnes âgées ou atteintes de pathologies lourdes, dont l’état de santé devenait incompatible avec la détention.
La suspension médicale s’applique principalement aux longues peines, et se heurte souvent à des difficultés logistiques : où vont ces détenus après leur sortie ? Beaucoup n’ont plus de domicile ni de proches capables de les accueillir. Les hôpitaux manquent souvent de lits, et les maisons de retraite refusent fréquemment d’héberger des délinquants sexuels ou des détenus à l’état de santé critique. Ainsi, même lorsqu’une suspension médicale est accordée, elle reste conditionnée à la disponibilité d’un hébergement.
B. Conditions de la suspension médicale
La suspension médicale ne dépend pas de la durée de la peine, mais repose sur des critères médicaux stricts définis par l’article 720-1-1 :
- Pathologie engageant le pronostic vital : la personne est atteinte d’une maladie grave susceptible de causer la mort à court terme. La jurisprudence, notamment l’arrêt du 28 septembre 2005, a précisé que le pronostic vital devait être engagé à court terme pour justifier une suspension.
- État incompatible avec la détention : ici, la maladie ou l’état de santé ne permet plus au détenu de rester en prison. Il peut s’agir de personnes qui ne sont pas en fin de vie mais dont les conditions de détention sont devenues impossibles à gérer, comme des personnes en fauteuil roulant ou atteintes de cécité. Un exemple illustre bien cette situation : un détenu, devenu paraplégique après avoir arrêté de marcher à cause des conditions carcérales, est finalement placé en suspension médicale.
La jurisprudence européenne a également eu un rôle déterminant. Dans l’affaire Raffray Taddei contre France, une détenue corse, souffrant d’anorexie mentale en raison de son éloignement de ses enfants, a vu son état se dégrader sévèrement. Malgré la demande pressante des médecins pour son hospitalisation dans un centre spécialisé, elle a été transférée dans un établissement non adapté, à Fresnes, ce qui a aggravé sa situation. La CEDH a condamné la France pour traitement inhumain, critiquant la gestion de cette affaire.
Suspension et stratégies d’aggravation volontaire
Un problème récurrent concerne les détenus qui aggravent volontairement leur état de santé dans l’espoir d’obtenir une suspension de peine. C’est le cas de certaines personnes atteintes du VIH ou du cancer qui refusent de suivre leur traitement, comme dans l’affaire Gelfmann contre France (2004). Ici, un détenu atteint du cancer avait refusé la chimiothérapie pour accélérer la détérioration de son état et être libéré. La CEDH a conclu que, tant que l’État français fournissait les soins nécessaires et tentait de convaincre le détenu de suivre son traitement, il ne violait pas l’article 3.
Application inégale des suspensions médicales
Bien que la suspension médicale soit conçue pour répondre à des situations humanitaires graves, son application reste inégale. Un exemple controversé est celui de Marcel Papon, qui a bénéficié d’une suspension de peine pour des raisons médicales alors qu’il n’était pas en phase terminale mais simplement âgé. Cette décision a soulevé des critiques, car il a vécu encore quatre ans en liberté tandis que d’autres détenus dans des situations similaires n’ont pas bénéficié de cette mesure.
Sanctions en cas de violation des obligations
Les détenus bénéficiant d’une suspension de peine sont soumis à certaines obligations. Si ces obligations sont violées (par exemple, si le détenu commet une nouvelle infraction ou ne respecte pas les conditions de sa suspension), la suspension peut être révoquée, et le détenu sera renvoyé en prison.
Section 2 – Les mesures de suspension de peine et de libération conditionnelle : cadre juridique et conditions d’application
I) Les suspensions de peine
Les suspensions de peine sont encadrées par deux types de textes distincts : l’un relevant du droit commun, et l’autre concernant des suspensions spéciales d’ordre médical. Initialement régies par l’article 720-1 du Code de procédure pénale, elles ont été enrichies par l’article 720-1-1, introduit avec la loi Kouchner du 4 mars 2002. La suspension, qui ne peut exceder 4 ans, consiste à suspendre l’exécution de la peine pendant une durée limitée. Le but de ces mesure est de permettre à la personne condamnée de faire face à des problèmes familiaux, médicaux ou professionnels importants.
A) Présentation
- Suspension ordinaire : une mesure rare
La suspension ordinaire, ou de droit commun, est une mesure ancienne mais rarement appliquée. Elle concerne les peines privatives de liberté d’une durée maximale de deux ans, ce qui la limite essentiellement aux délits. La loi de 2009 a fixé ce seuil pour permettre à certains condamnés de bénéficier de cette suspension, avec la possibilité de retourner en détention une fois celle-ci interrompue.
Les motifs de suspension peuvent être divers : familiaux, sociaux ou médicaux. Toutefois, la distinction entre ces raisons peut parfois être floue. Par exemple, des cas médicaux graves, tels qu’un enfant ou une conjointe gravement malade, peuvent justifier une suspension. Le maximum de cette suspension est de quatre ans. Les raisons sociales peuvent inclure des cas spécifiques comme un étudiant qui doit passer un examen important (ex : le baccalauréat) et dont l’incarcération est reportée à une période plus propice (par exemple, en été). Les raisons familiales peuvent également se croiser avec des raisons médicales, rendant parfois la distinction entre les motifs peu claire.
- Suspension médicale : l’impact de la loi Kouchner
La suspension médicale, prévue par l’article 720-1-1, a été introduite avec la loi Kouchner de 2002 pour répondre à des situations où des détenus en phase terminale ou gravement malades étaient incarcérés dans des conditions jugées inhumaines. L’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), interdisant les traitements inhumains et dégradants, a joué un rôle majeur dans l’évolution de ce cadre. La loi visait notamment à répondre à des situations où la détention était incompatible avec l’état de santé des condamnés. Cette mesure a été motivée par des rapports dénonçant l’hécatombe sanitaire des années 1990, marquée par des décès en prison, notamment parmi les toxicomanes contaminés par le VIH.
Elle visait également à offrir une solution pour les délinquants sexuels âgés, de plus en plus nombreux à être incarcérés en raison de l’allongement des délais de prescription. Cependant, l’application de cette loi reste limitée en raison des obstacles pratiques. Par exemple, ces détenus, souvent indésirables dans les maisons de retraite ou rejetés par leurs familles, peinent à trouver un hébergement adapté. L’hôpital peut également refuser de les accueillir en raison du manque de lits disponibles.
B) Les conditions d’octroi de la suspension de peine
Pour bénéficier d’une suspension médicale, deux cas de figure sont définis par l’article 720-1-1 :
- La personne est atteinte d’une pathologie engageant son pronostic vital,
- Son état de santé est jugé incompatible avec la détention.
Deux expertises médicales concordantes sont nécessaires pour valider ces critères, mais elles sont souvent divergentes, car les experts extérieurs n’ont pas toujours une bonne compréhension des conditions de détention. En effet, ces experts ne sont pas des médecins pénitentiaires et se concentrent sur la pathologie sans toujours tenir compte de la réalité de l’environnement carcéral. La Cour de cassation impose un examen in concreto, c’est-à-dire en tenant compte de la spécificité de chaque situation carcérale.
Pour les détenus mourants, les expertises arrivaient souvent trop tard, mais la loi pénitentiaire de 2009 a permis de pallier cette lenteur en prévoyant qu’un seul examen médical est suffisant en cas d’urgence. Ce rôle est confié au médecin de la prison.
La jurisprudence a également apporté des clarifications. Par exemple, dans un arrêt du 28 septembre 2005, la Cour de cassation a établi que le pronostic vital devait être engagé à court terme. Dans le cas des personnes dont l’état est incompatible avec la détention, la CEDH impose de vérifier si elles reçoivent les soins appropriés en prison. Des affaires comme Mouisel (2002) ou Gelfmann (2004) ont illustré les lacunes du système carcéral français en matière de soins médicaux. Dans l’affaire Gelfmann, un détenu atteint du VIH avait arrêté de suivre son traitement, espérant ainsi être libéré. La CEDH a estimé que, tant que la France fournissait des soins adéquats et tentait de convaincre le détenu de reprendre son traitement, elle ne violait pas ses obligations.
Des difficultés similaires se posent lorsque des détenus aggravent volontairement leur état de santé, espérant ainsi obtenir une suspension de peine. Par exemple, certains refusent des traitements tels que la chimiothérapie pour arriver dans un état critique. Les juges doivent alors évaluer la situation avec prudence pour éviter que cette pratique ne devienne une échappatoire systématique.
Dans un autre cas, celui de Raffray Taddei, une détenue corse incarcérée sur le continent, loin de ses enfants, a vu sa santé mentale se dégrader sévèrement en raison de cette séparation. La suspension médicale a été retardée par des expertises contradictoires, et la CEDH a finalement condamné la France pour violation de l’article 3.
C) Le régime
Lorsqu’une suspension est accordée, le détenu peut sortir de prison pour rejoindre sa famille, un hôpital ou une maison de retraite. Il doit toutefois prouver qu’il dispose d’un hébergement adapté. Si son état de santé s’améliore, il est possible qu’il retourne en détention. De même, en cas de violation des obligations imposées lors de la suspension (par exemple, en cas de risque élevé de récidive), la personne peut être réincarcérée.
II) La libération conditionnelle
Apparue en 1885, la libération conditionnelle est une innovation juridique française unique à l’époque, instituée par la loi Béranger.
A. présentation
Premier mécanisme d’aménagement de peine en France, cette mesure a pourtant souffert d’une longue absence de décret d’application, qui ne fut publié qu’en 1952, près de 70 ans plus tard. Durant cette période sans encadrement juridique précis, l’administration pénitentiaire utilisait la libération conditionnelle à sa discrétion, principalement comme outil de gestion des détenus. Même après la publication du décret, aucune incitation sérieuse à l’insertion sociale des détenus n’était requise.
Ce n’est qu’avec la loi du 29 décembre 1972 (article 729 du Code de procédure pénale) que l’exigence d’efforts d’insertion a été clairement établie. Cependant, cette disposition ne fut véritablement appliquée qu’avec la juridictionnalisation des années 2000-2004, moment où les juges de l’application des peines (JAP) ont commencé à jouer un rôle plus actif. Avant cette évolution, les décisions concernant la libération conditionnelle étaient souvent prononcées sans véritable considération pour l’insertion des détenus, se basant essentiellement sur leur comportement carcéral.
Au début des années 2000, on a constaté une augmentation des libérations conditionnelles. Toutefois, cette tendance s’est inversée, en grande partie à cause de l’introduction d’autres mesures alternatives comme les bracelets électroniques, atteignant environ 10 000 dispositifs par an. Des personnalités comme le député Dominique Raimbourg et le statisticien Pierre Tournier ont exprimé leurs préoccupations face à la baisse des libérations conditionnelles. La mesure est également jugée plus flexible que d’autres formes de détention aménagée, bien que soumise à des arbitrages, favorisant certaines personnes en fonction de leur situation personnelle. La possibilité de cumuler plusieurs dispositifs d’aménagement de peine a également changé la donne. La libération conditionnelle est désormais encadrée par l’article 729 du Code de procédure pénale.
B. Conditions d’octroi de la libération conditionnelle
Pour être éligible à la libération conditionnelle, il est indispensable d’avoir purgé une partie de sa peine. Concernant les étrangers, l’article 729-2 du Code de procédure pénale introduit des restrictions. En effet, les personnes sujettes à une mesure d’éloignement administratif ne peuvent bénéficier d’une libération conditionnelle ordinaire. Cela concerne notamment les personnes faisant l’objet d’une mesure d’expulsion, souvent vue comme une opportunité pour obtenir un billet d’avion, mais non sollicitée par tous. Cependant, le deuxième alinéa prévoit une exception pour ceux qui sont frappés d’une interdiction du territoire : sous certaines conditions, le JAP ou le TAP peut accorder une libération conditionnelle, et si l’épreuve probatoire est réussie, l’interdiction du territoire peut être levée. Toutefois, cette disposition est peu appliquée, car elle nécessite une coordination administrative souvent défaillante, notamment en matière de délivrance de papiers et de titres de séjour.
En droit commun, il est également requis d’avoir exécuté une partie de sa peine. Selon l’article 723-15, le condamné doit avoir purgé une durée au moins égale à ce qu’il lui reste à subir. Pour les récidivistes, cette durée est doublée. En ce qui concerne les peines de réclusion à perpétuité, des seuils spéciaux existent : 18 ans pour un primo-condamné et 22 ans pour un récidiviste.
L’article 729-3 introduit une mesure particulière pour les parents d’enfants de moins de 10 ans. Adoptée dans le cadre de la loi du 15 juin 2000, cette libération conditionnelle parentale vise à réduire les risques de transmission de la délinquance aux enfants, une préoccupation encouragée par une recommandation du Conseil de l’Europe du 9 juin 2000 (« Mères et bébés en prison »). Cette disposition permet à un parent condamné, avec une peine ou un reliquat de peine inférieur ou égal à 4 ans, de bénéficier d’une libération conditionnelle sans avoir à purger une partie de sa peine, à condition que l’intérêt de l’enfant soit pris en compte. En revanche, elle est exclue pour les parents condamnés pour des crimes ou délits commis sur des mineurs, ou en cas de récidive. Le domicile de l’enfant doit également être celui du condamné.
C. Régime de la libération conditionnelle
Une fois la libération conditionnelle accordée, plusieurs obligations doivent être respectées, en vertu des articles 132-44 et 132-45 du Code pénal. La période probatoire, régie par l’article 732, est au minimum égale à la durée de la peine restante, avec la possibilité pour le juge de la prolonger d’un an. Le maximum de la période probatoire est de 10 ans, mais dans le cas des peines de réclusion à perpétuité, elle varie entre 5 et 10 ans.
Avec la loi du 10 mars 2010, suivie par celle de 2012, le cadre de la libération conditionnelle a été précisé, créant trois catégories spécifiques :
- Les personnes condamnées à une réclusion criminelle à perpétuité,
- Les personnes condamnées à 5 ans de réclusion criminelle et susceptibles de faire l’objet d’une rétention de sûreté (article 706-53-13),
- Celles ayant une peine de 10 ans pour des infractions impliquant un suivi socio-judiciaire.
Sur le plan procédural, l’introduction d’expertises psychiatriques a complexifié et rallongé le processus. Ces expertises sont suivies d’une évaluation au Centre national d’évaluation à Fresnes, et l’avis du CNE est requis avant que la commission ne se prononce sur la libération conditionnelle. Ce processus peut retarder la décision d’un an.
Enfin, le législateur impose désormais, pour certaines catégories de condamnés, une période probatoire préalable avec surveillance électronique mobile (PSEM) ou semi-liberté avant de pouvoir bénéficier d’une libération conditionnelle, une contrainte que certains juges, notamment les JAP, jugent inappropriée.