La composition des droits patrimoniaux
Le droit patrimonial est le droit pour l’auteur d’exploiter son oeuvre et d’en tirer un profit pécuniaire. La loi a décidé de réserver au créateur la pleine maîtrise, tant sur la reproduction de l’œuvre que sur sa représentation. En effet, l’article L122-1 du CPI énonce : « le droit d’exploitation appartenant à l’auteur comprend le droit de représentation et le droit de reproduction. » L’exercice de ces prérogatives est indépendant les une des autres. L’auteur contrôle séparément la reproduction et la représentation de ses créations. Un troisième attribut est énoncé par le texte : le droit de suite qui prévoit la rémunération de l’auteur lors des transferts de propriété successifs du support de l’œuvre. Nous allons successivement envisager ces trois droits.
Trois droits d’exploitation fondamentaux :
– Le droit de représentation : autorisation contre rémunération de communiquer l’oeuvre au public par un procédé quelconque, chaque utilisation nouvelle de l’oeuvre est soumise à l’autorisation de l’auteur et ouvre droit à une redevance.
– Le droit de reproduction, pour la fixation matérielle par tout procédé qui permet de la communiquer au public de manière indirecte.
– Le droit de suite, qui vise, en cas de vente, le droit pour l’auteur de percevoir un pourcentage.
1° La dichotomie traditionnelle entre droit de représentation et droit de reproduction
Les contenus respectifs des droits de reproduction et de représentation sont distinctement énoncés par le CPI. La reproduction et la représentation sont deux modes essentiels de communication d’une œuvre au public. En dehors des exceptions légales que nous aborderons dans le titre III, la superposition de ces deux droits fondamentaux forme une cloison étanche à travers laquelle aucun contact avec la création n’est possible. Seul l’auteur ou ses ayants droit sont habilités à autoriser le passage en filtrant les accès comme bon leur semble. La réservation totale et exclusive de la création s’exprime par le pouvoir discrétionnaire de l’auteur dans la mise en œuvre ou la conservation de ces deux prérogatives.
Selon les mode d’exploitation des créations, les droits reçoivent une application cumulative ou distributive. Commençons par envisager précisément le cas du droit de reproduction avant de nous attarder sur le droit de représentation.
a) Droit de reproduction
Le droit de reproduction est défini par l’article L122-3 du CPI. La reproduction consiste dans la fixation matérielle de l’œuvre par tout procédé qui permette de la communiquer au public d’une manière indirecte. Elle peut s’effectuer notamment par imprimerie, dessin, gravure, photographie, moulage ou tout procédé des arts graphiques et plastiques, enregistrement mécanique, cinématographique ou magnétique. Pour les œuvres d’architecture, la reproduction consiste également dans l’exécution répétée d’un plan ou d’un projet type. Le point commun de tous les procédés cités par le texte est que ces fixations matérielles de l’œuvre mettent le public en contact indirect avec l’œuvre. En cela la reproduction s’oppose à la représentation qui, dans la plupart des cas, comme nous le constaterons, place ce même public en contact direct avec l’objet de la création. La reproduction est donc un acte matériel tourné vers une finalité particulière qui est la communication de l’œuvre au public. La reproduction est donc une forme de copie ou d’imitation d’une œuvre. Elle est apparue avec l’imprimerie. A partir d’une œuvre disponible sur son support originaire, la fabrication d’exemplaires multiples devient possible. Longtemps réservée aux œuvres littéraires, elle couvre aujourd’hui tous les genres de création. Son extension a de tout temps inquiété les auteurs, ils y assimilent un risque de perte de contrôle sur la création. Cette inquiétude n’est pas récente, déjà les orgues de barbarie représentaient un danger. Comme l’exprimait Mérimée à propos de la loi du 16 mai 1866, exonérant les fabricants d’orgues de barbarie du respect des droits d’auteur : « ils tendent à remplacer les artistes au grand préjudice des auteurs, des éditeurs et des amateurs. »
La loi, par l’article L122-3 du CPI définit la reproduction dans son principe. Elle laisse une totale liberté quant au procédé utilisé et à la forme du support en raison de l’emploi du terme notamment dans l’énumération des techniques de reproduction. Le changement de matière ou de support n’empêche pas la reproduction. Il s’agit qu’une œuvre de l’esprit soit matériellement fixée par un procédé quelconque.
Il y a encore reproduction dans le cas où l’œuvre est incorporée à une nouvelle œuvre, dérivée. Sont ainsi des reproductions les photographie d’une statue, la traduction d’un roman ou le passage d’une œuvre écrite à une œuvre orale ou l’adaptation cinématographique d’une œuvre littéraire ou l’enregistrement d’une œuvre musicale à partir d’une partition ou, au contraire, la réalisation d’une partition à partir d’un enregistrement. La fixation d’une œuvre littéraire sur une disquette informatique ou sur un CD ROM est aussi une reproduction. Lorsque plusieurs procédés sont simultanément utilisés, le consentement de l’auteur doit être obtenu pour chacun d’eux.
Le seul fait qu’il y ait reproduction ne suffit pas pour autant à entraîner le paiement d’une redevance. La reproduction doit être aussi destinée à un usage public. A contrario, les reproductions réservées à un usages privé, sous certaines conditions que nous examinerons par la suite avec les limites du droit d’auteur, ne sont pas soumises au droit de reproduction ; il s’agit de copies privées. Deux éléments permettent d’apprécier le caractère public de la reproduction. L’aliénation de la chose, support de l’œuvre et la perception d’un prix. En principe le droit de reproduction est mis en œuvre à partir du moment où l’un de ces deux éléments est présent. Chacun d’entre est suffisant mais pas nécessaire.
L’usage public n’est pas douteux quand la reproduction a pour but l’aliénation à titre onéreux des objets reproduits : cassettes, CD ROM, livres, etc. le commerce de reproduction fait présumer l’usage public. Dans cette situation il y a en effet transfert de propriété et paiement d’un prix. Il peut y avoir mise en œuvre du droit de reproduction malgré la gratuité dont bénéficie le public. De la même façon l’absence d’aliénation ne fait pas disparaître non plus le caractère public de l’usage. Les exemplaires reproduits à des fins de location ou de prêt sont soumis à des droits de reproduction. Il existe même des situations dans lesquelles le droit est mis en œuvre sans qu’aucun des deux éléments ne se vérifie. Il suffit qu’il y ait usage collectif du support. C’est le cas par exemple des entreprises qui photocopies des articles de presse à des fins de diffusion interne.
b) Droit de représentation
Le droit de représentation est détaillé par l’article L122-2 du CPI. Il énonce « la représentation consiste dans la communication de l’œuvre au public par un procédé quelconque et notamment par récitation publique, exécution lyrique, représentation dramatique, présentation publique, projection publique et transmission dans un lieu public de l’œuvre télédiffusée par télédiffusion. » La télédiffusion s’entend de la diffusion par tout procédé de télécommunication de sons, d’images, de documents, de données et de messages de toute nature. Est assimilée à une représentation l’émission d’une œuvre vers un satellite. La notion de communication publique s’étend même à celle de communication au public dans une sphère privée. La loi de 1985 a supprimé l’exigence d’une communication directe. L’évolution des pratiques de consommation des œuvres a obligé le législateur à élargir le concept. La représentation s’applique non seulement à la communication directe au public mais aussi à la communication indirecte.
Il existe des cas où il y a représentation avec représentation directe et d’autres cas où la représentation est indirecte. Apparu pour l’art dramatique et la musique, le droit de représentation est particulièrement adapté aux spectacles vivants. La communication directe s’applique aux concerts, représentations théâtrales, spectacles en tous genres. Elle est alors médiate, dans la mesure où l’œuvre est interprétée devant le public. Mais aussi cette représentation directe s’applique en cas d’exposition publique d’une œuvre d’art. Elle est alors immédiate car le public est en contact direct avec l’œuvre. Il existe aussi des cas de représentation indirecte, en effet celle-ci peut s’effectuer par l’intermédiaire d’un support enregistré. Les discothèques, les projections cinématographiques mettent en œuvre le droit de représentation.
Notre législation apparente la télécommunication des œuvres par réseau à la reproduction traditionnelle. En effet, la télédiffusion est une représentation de l’œuvre. La définition donnée par l’article L122-2, deuxièmement du code de la propriété intellectuelle est inspirée par la loi sur la communication audiovisuelle du 29 juillet 1982. La communication d’œuvre par l’intermédiaire d’un écran de visualisation est un procédé qui permet au public d’en prendre connaissance.
Le droit de représentation est mise en œuvre dès que l’utilisateur accède aux œuvres par l’intermédiaire d’une source distante. Récepteur de télévision, de radio, terminal télématique de type minitel ou micro-ordinateur relié à Internet. Le public est alors potentiellement très large. On le voit, la définition très extensive de la télédiffusion comme procédé de communication au public permet de couvrir la communication des œuvres par tous les moyens, y compris ceux issus des techniques numériques.
Lorsque l’œuvre est simultanément ou successivement représentée directement ou indirectement, le droit de représentation est doublement mis en œuvre, l’auteur percevra deux rémunérations en contrepartie de deux autorisations distinctes. C’est le cas lorsqu’une pièce de théâtre est télédiffusée. La technique e télécommunication est indifférente, il peut s’agir de transmission par câble ou par faisceau hertzien émis par l’intermédiaire d’un relais terrestre ou même d’un satellite. En effet, la représentation s’apprécie par le contact entre la création et le public, le caractère privé du lieu de communication est indifférent. En revanche, la représentation est une télécommunication à caractère collectif, elle ne s’intéresse pas aux communications privées. Si je téléphone à ma grand-mère pour lui faire écouter la dernière chanson des Poggs, je ne mets pas œuvre le droit de représentation des auteurs. En revanche, si je mets le même morceau de musique en tant que musique d’attente, par exemple, sur mon répondeur téléphonique, le droit de représentation est mis en œuvre.
Le cas de la diffusion d’œuvres musicales ou audiovisuelles par les professionnels et particulièrement dans le milieu de la restauration et de l’hôtellerie, pose des problèmes particuliers. Pour les résoudre, la loi de 1985 a prévu une disposition qui est devenu l’article L132-2 2° du code de la propriété intellectuelle. En effet, ce dernier précise que l’autorisation de télédiffuser l’œuvre ne vaut pas autorisation de communiquer la télédiffusion de cette œuvre dans un lieu accessible au public. La diffusion d’œuvres musicales audiovisuelles dans les salles d’attente, dans les salles de restaurant ou dans les magasins met donc en œuvre le droit de représentation. Le commerçant doit donc obtenir une autorisation et payer une redevance. La jurisprudence et la doctrine considère en effet qu’il y a exécution publique nouvelle de l’œuvre dans la mesure où cette dernière atteint un public nouveau. La même solution doit être tenue en matière de chambre d’hôtel. Cette dernière est bien un lieu accessible au public et le client constitue un public nouveau. Après certaines hésitations les tribunaux semblent s’être rangés depuis 1994 derrière cette conception large du droit de représentation. Il considérait bien par le passé que la diffusion par l’hôtelier de musiques enregistrées par ses soins mettait en œuvre le droit de reproduction alors que la diffusion par l’intermédiaire d’un récepteur central et a fortiori la simple mise à disposition d’appareils récepteurs radio ou de télévision n’était au contraire pas des actes de représentation publique.
En revanche le droit de représentation ne concerne pas les représentations purement privées. Nous en reparlerons dans la leçon consacrée aux limites du droit d’auteur. Ainsi, un médecin qui écoute de la musique en consultant peut le faire librement car il le fait pour son usage personnel. S’il sonorise la salle d’attente, au contraire, la représentation devient publique, l’auteur recouvre son droit.
2° Le droit de suite
L’article L122-8 du CPI énonce : « les auteurs d’œuvres graphiques et plastiques ont, nonobstant toute cession de l’œuvre originale, un droit inaliénable de participation aux produits de toutes ventes de cette œuvre faite aux enchères publiques ou par l’intermédiaire d’un commerçant. » L’objectif de cette prérogative est de rétablir une certaine équité entre les auteurs d’œuvres plastiques dont la principale source de revenus est la vente de l’exemplaire original, des autres catégories d’auteurs dont les œuvres sont susceptibles d’être exploitées de multiples façons. En effet, en matière d’œuvre d’art, le droit de représentation se limite en pratique à l’exposition publique et la reproduction d’un tableau est assez rare et souvent peu rémunératrice. De surcroît il est fréquent que l’aliénation initiale, la première vente du support matériel unique de l’œuvre soit réalisée pour une bouchée de pain alors que l’acquéreur voit la valeur de revente croître en fonction de l’état du marché et de la cote de l’artiste.
Apparu plus tard que les droits de représentation et de reproduction, puisque son entrée dans notre législation date de 1920, le droit de suite est d’application beaucoup plus restreinte. D’abord il limitait aux œuvres artistiques, ensuite il ne concerne que certaines opérations, enfin il ne constate pas un droit exclusif. L’auteur ne peut autoriser ou interdire, il ne confère qu’un droit à rémunération.
Envisageons tour à tour ces trois questions. D’abord les œuvres concernées. Le droit de suite s’applique aux œuvres graphiques et plastiques. Par cette expression il faut entendre les œuvres d’art au sens strict : peintures, sculptures, dessins, tapisseries, estampes, etc. Aujourd’hui la doctrine française se refuse à appliquer le droit de suite au manuscrit d’une œuvre littéraire ou de tout autre contenu bien qu’il s’agisse d’une œuvre graphique et du support matériel originaire de cette même œuvre. La question n’est pas purement théorique, en 1987, le manuscrit comportant la théorie de la relativité de Einstein s’est vendu sept millions de francs, tandis que l’année suivante, le manuscrit du Procès écrit par Kafka a trouvé preneur à Londres pour onze millions de francs. Pourtant la solution est logique, l’auteur de l’œuvre littéraire est d’abord rémunéré par les produits de l’édition de celle-ci. En revanche, la multiplicité d’exemplaires n’est pas un obstacles, dans les cas des lithographies, des photographies ou des bronzes, par exemple. Le droit positif requiert simplement que le modèle ait été conçu par l’artiste et que les exemplaires soient en nombre limité. C’est ainsi que la Cour de cassation a, en 1986, admis que le droit de suite puisse porter sur trois œuvres en bronze tirées d’un modèle de Rondin. Et cela après la mort de l’artiste.
Voyons maintenant les opérations concernées. En principe le droit de suite s’applique à toutes les œuvres d’art tel que précédemment définies à partir du moment où elles sont réalisées par des professionnels, c’est-à-dire soit par vente aux enchères publiques, soit par l’intermédiaire de commerçants, galeristes, le plus souvent. La revente par un particulier à un autre particulier, en dehors d’enchères publiques, ne bénéficie donc pas de droit de suite. Ce droit n’est pas conditionné par l’intervention à la vente de l’auteur qui n’a pas du tout besoin d’être partie à celle-ci.
Très critiqué par les exploitants, le droit est en réalité peu appliqué, notamment en raison de la faiblesse de sa reconnaissance internationale. Il existe pourtant un projet de directive du Conseil en la matière. Le risque pour les commerçants français est aujourd’hui de voir toutes les ventes d’œuvres se déplacer à l’étranger. Concrètement il n’est appliqué que sur les ventes aux enchères publiques. Le décret d’application qui devait prévoit les modalités de son extension à tous les commerçants n’a jamais été pris.
Voyons enfin les conséquences pour l’auteur de ce droit de suite. L’auteur, comme je l’ai précédemment énoncé n’a pas le droit d’autoriser ou d’interdire la vente, il ne fait que percevoir une rémunération. Le tarif du droit perçu est fixé uniformément et dès le premier franc à 3 %. Il s’applique à partir du moment où le prix de vente est supérieur à 100 francs et ce quel qu’ait été la fluctuation du prix entre les ventes successives. Même si le prix baisse, l’auteur ou ses ayants droit bénéficient de la rémunération. Comme les autres droits patrimoniaux, le droit de suite est limité dans le temps. Il ne s’applique que pendant la durée du monopole. Après la mort de l’auteur, il se transmet aux héritiers de l’auteur même à la seconde génération.
En revanche pour éviter les pressions sur les auteurs aux abois, le législateur a expressément prévu son inaliénabilité. Cette disposition entraîne trois conséquences : l’auteur ne peut le léguer, l’auteur ou ses ayants droit ne peuvent le céder à un tiers, l’auteur ne peut y renoncer au moment de la vente.
Après ces droits patrimoniaux classiques, envisageons la tendance que nous connaissons actuellement à l’émiettement des droits.
3° La tendance à l’émiettement des droits
En effet, les droits patrimoniaux attribués à l’auteur voient leur nombre se multiplier avec dans chaque cas le risque de conditions d’accès et de régimes différenciés. Cette évolution est directement héritée des nouveaux modes d’exploitation des créations et des législations étrangères. La tendance est aussi marquée par l’émergence dans notre système juridique du droit de destination.
D’après la jurisprudence de la première chambre civile du 22 mars 1988, le droit de destination est la faculté pour l’auteur de limiter l’usage que les tiers peuvent faire des exemplaires de son œuvre même s’ils se les sont procurés licitement. L’auteur maîtrise alors les utilisations secondaires de sa création. En effet, dans ce cas précis, la Sacem a été autorisée à percevoir un droit complémentaire de reproduction mécanique de la part des discothèques dans la mesure où celles-ci utilisent des phonogrammes du commerce, non originairement prévus pour cette destination.
Malgré les abus qu’il peut entraîner ce droit de destination, au moins dans son principe est pourtant justifié. Il s’agit de ne pas oublier les intérêts de l’auteur, notamment face au nouveau mode de diffusion des œuvres, ce qui du point de vue du droit communautaire, souvent trop sensible aux simples logiques économiques et industrielles, relègue l’auteur au deuxième rang, et c’est donc un progrès.