Le Droit des contrats

Droit des contrats – cours

Le droit des contrats constitue une branche fondamentale du droit des obligations, régissant les accords de volonté entre plusieurs parties visant à produire des effets juridiques. Cette matière a été profondément révisée par la réforme introduite par l’Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016, qui a modernisé le régime des contrats, des obligations générales, et la preuve en droit civil. Les principes révisés depuis cette réforme continuent d’influencer de manière significative les relations contractuelles en France.

Le lien entre droit des contrats et droit des obligations

Le droit des contrats s’inscrit dans le cadre plus large du droit des obligations, qui englobe les relations juridiques entre deux ou plusieurs personnes, créant des engagements sanctionnés par la loi. Une obligation n’est pas simplement un devoir moral, mais un engagement qui découle de textes normatifs et qui, en cas de violation, peut être imposé par l’État à travers ses tribunaux.

Dans le domaine civil, une obligation se caractérise par un lien patrimonial entre deux personnes, le créancier et le débiteur. Le créancier dispose d’un droit personnel, ce qui signifie qu’il peut exiger une prestation ou un comportement de la part du débiteur. Le débiteur, de son côté, est celui qui doit exécuter cette obligation. Si le débiteur manque à son devoir, le créancier peut recourir à des mesures coercitives pour obtenir réparation, souvent de nature patrimoniale.

Typologie des obligations en droit civil

Les obligations civiles, nombreuses dans le droit privé, concernent divers engagements tels que le paiement du prix par l’acquéreur ou le règlement du loyer par le locataire. Ces obligations peuvent être classées en fonction de leur objet :

  • Faire quelque chose : le débiteur est tenu d’accomplir une prestation, comme dans le cas d’un contrat de travail.
  • Ne pas faire : le débiteur s’engage à s’abstenir d’un certain comportement, par exemple via une clause de non-concurrence.
  • Donner : ce terme, spécifique au droit civil, signifie le transfert de propriété d’un bien plutôt que de réaliser un don.

Cette classification, qui remonte au Code civil de 1804, a été initialement consacrée par les anciens articles 1101 et 1126, mais elle a été largement modifiée au fil des réformes.

 

L’impact de la réforme de 2016 sur les obligations et leur exécution

Avant la réforme de 2016, l’article 1142 (ancien) précisait que les obligations de faire ou de ne pas faire donnaient lieu, en cas d’inexécution, à des dommages-intérêts, car il était impossible d’imposer l’exécution en nature. Si le débiteur refusait d’accomplir son obligation, le créancier ne pouvait obtenir que des dommages-intérêts en compensation de l’inexécution. Cette disposition ne s’appliquait qu’aux obligations de faire et de ne pas faire, laissant la porte ouverte à l’exécution forcée des obligations de donner.

Cependant, la réforme a redéfini les contours de cette exécution forcée en introduisant des mécanismes plus souples et modernes pour l’exécution des obligations contractuelles, tout en renforçant la protection des créanciers. Désormais, une exécution forcée peut être obtenue plus facilement, sous certaines conditions, sans pour autant se limiter aux seules obligations de donner. Le système est ainsi davantage orienté vers une protection efficace des créanciers, tout en garantissant le respect des droits des débiteurs.

 

Les sources des obligations :

Les obligations juridiques peuvent naître de diverses sources, dont les plus importantes sont les contrats et les faits juridiques. Le Code civil de 1804 a introduit une classification claire des sources d’obligations, distinguant celles qui découlent d’accords (contrats) et celles qui émergent sans convention formelle.

Les contrats : source principale des obligations

Dans le Livre III du Code civil, consacré aux différentes manières d’acquérir la propriété, le titre III porte sur les contrats, sous le titre « Des contrats ou des obligations conventionnelles en général ». Ce volume contient près de 400 articles, montrant que le contrat était historiquement perçu comme la principale source d’obligations. En effet, un contrat est un acte juridique conventionnel (article 1100-1 du Code civil) par lequel les parties expriment leur volonté de créer des obligations réciproques. La réforme de 2016 a modernisé cette vision tout en maintenant le rôle central des contrats dans la formation des obligations.

Les obligations non conventionnelles : les faits juridiques et la responsabilité civile

Le titre IV du Code civil, « Les engagements qui se forment sans conventions », traite des obligations résultant de la loi ou des faits juridiques. L’article 1370 (ancien) distinguait deux types d’obligations non conventionnelles :

  • Les obligations qui naissent de la seule autorité de la loi.
  • Les obligations qui découlent d’un fait personnel causant un dommage, ce qui correspond aujourd’hui au domaine de la responsabilité civile.

La distinction entre les actes juridiques et les faits juridiques est fondamentale. Un acte juridique, qu’il soit unilatéral ou conventionnel, est une manifestation de volonté visant à produire des effets de droit. En revanche, les faits juridiques sont des événements auxquels la loi attache des conséquences juridiques, généralement des faits illicites qui engendrent des dommages, tels que les accidents ou les comportements négligents, donnant lieu à une obligation de réparation.

La réforme de 2016 : un nouveau cadre pour les obligations

La réforme du droit des obligations introduite par l’Ordonnance du 10 février 2016, en vigueur depuis le 1er octobre 2016, visait à moderniser un cadre juridique vieux de plus de deux siècles. Si le Code civil de 1804 avait été élaboré pour une société préindustrielle, les évolutions économiques et sociales ont rendu indispensable une mise à jour du droit des obligations pour s’adapter aux réalités contemporaines.

Le contexte économique et social du début du XXIe siècle diffère largement de celui de 1804. Les contrats occupent une place centrale dans la vie quotidienne et les relations commerciales. Avant cette réforme, malgré quelques ajustements législatifs (preuve électronique, écrits électroniques, clauses pénales), le cadre juridique restait largement inchangé depuis sa création. C’est pourquoi la jurisprudence avait pris un rôle prépondérant, comblant les lacunes laissées par l’absence de réforme législative, mais créant également une certaine insécurité juridique. La jurisprudence étant plus variable et moins prévisible que la loi, elle rendait le droit des contrats moins stable.

Processus de la réforme :

La réforme des obligations était attendue depuis le début des années 2000, bien que les réflexions aient commencé bien plus tôt, notamment après la Seconde Guerre mondiale. Les tentatives de réviser l’intégralité du Code civil ont échoué en raison de leur ampleur, conduisant à un morcellement des projets de réforme par thème. Le droit des contrats, particulièrement concerné par cette réforme, est un élément essentiel du quotidien de chacun, mais aussi des relations commerciales au niveau européen, notamment dans le cadre des contrats transfrontaliers.

La France, influencée par les efforts d’harmonisation du droit des contrats au sein de l’Union européenne, a finalement choisi de mener sa propre réforme nationale. Sous l’impulsion du président Jacques Chirac, la commission présidée par le professeur Catala a été constituée en 2004 pour préparer un avant-projet de réforme. Après de nombreuses années de débats et de contributions académiques, la réforme a été rendue officielle par l’Ordonnance du 10 février 2016.

Les objectifs de la réforme : sécurité, efficacité, équité

La réforme du droit des obligations poursuivait trois objectifs principaux :

  • Sécurité juridique : Rendre le droit des contrats plus compréhensible, stable et prévisible. Le souci de garantir une sécurité juridique accrue est crucial pour favoriser des relations contractuelles solides.
  • Efficacité : L’objectif était de garantir une exécution effective des contrats, en offrant aux créanciers les outils nécessaires pour faire respecter les obligations contractuelles.
  • Équité : Dans le cadre contractuel, les parties ne sont pas toujours égales. La réforme visait à mieux protéger les parties les plus faibles, tout en maintenant l’efficacité des relations contractuelles.

Selon Jean-Jacques Urvoas, ancien garde des Sceaux, la réforme visait à « mettre en œuvre un droit sûr, efficace et protecteur ». La France espérait ainsi faire de son droit des obligations un modèle d’efficacité et d’équité, notamment sur la scène européenne. Toutefois, l’équilibre entre efficacité contractuelle et équité des parties reste un défi majeur, car il faut concilier la protection du débiteur, souvent en position de faiblesse, avec l’intérêt du créancier, qui a besoin d’un cadre solide pour faire valoir ses droits.

Consultations et contributions :

Le projet de réforme n’a pas été élaboré en vase clos. Dès la publication du projet en février 2015, une large consultation publique a été menée, recueillant plus de 6 000 pages de commentaires. Ces observations ont permis d’affiner le texte, qui a ensuite été soumis au Conseil d’État avant d’être finalisé. La réforme, bien qu’adoptée par ordonnance, est donc le fruit d’un travail approfondi, démocratique, et collaboratif, avec des contributions venant de nombreux juristes, universitaires et praticiens.

Dispositions transitoires et entrée en vigueur

L’article 9 de l’ordonnance précise que les dispositions transitoires prévoient une application des nouvelles règles aux contrats conclus après le 1er octobre 2016. Les contrats antérieurs à cette date restent régis par la législation en vigueur avant la réforme, assurant ainsi la continuité et la non-rétroactivité des nouvelles dispositions.

Voici le plan du cours :

  • CHAPITRE PRELIMINAIRE : Présentation générale du contrat et du droit des contrats
  • La notion de contrat
  • Les classifications et la qualification des contrats
  • La qualification des contrats
  • Les sources du droit des contrats
  • Les principes généraux du droit des contrats
  • PREMIERE PARTIE : La formation du contrat
  • Titre 1 : Le processus de formation
  • CHAPITRE 1 : La période précontractuelle
  • Les négociations
  • Les informations précontractuelles
  • CHAPITRE 2 : La conclusion du contrat
  • Les éléments de l’accord de volontés (Offre + acceptation)
  • Les avant-contrats
  • Pacte de préférence
  • Les promesses
  • La forme de l’accord de volontés
  • TITRE 2 : La validité du contrat
  • CHAPITRE 1 : Les conditions de validité du contra 
  • Le consentement
  • Protections préventives du consentement 
  • Absence du consentement
  • Les vices du consentement 
  • La capacité et la représentation
  • La capacité
  • La représentation
  • Le contenu du contrat
  • Règles relatives à l’objet du contrat 
  • Règles relatives à la cause des obligations et à la cause du contrat
  • DEUXIEME PARTIE : Les effets du contrat 
  • CHAPITRE 1 : Les effets du contrat entre les parties
  • La force obligatoire du contrat
  • Fondements
  • Conséquences
  • Les limites à la force obligatoire du contrat
  • L’unilatéralisme contractuel
  • Les révisions judiciaires
  • CHAP 2 : Les effets du contrat à l’égard des tiers
  • L’effet relatif du contrat à l’égard des tiers
  • Le principe de l’effet relatif
  • Les exceptions de l’effet relatif 
  • L’opposabilité du contrat
  • Le contrat est opposable par les parties aux tiers
  • TROISIEME PARTIE : L’inexécution des obligations contractuelles 
  • La capacité et la représentation
  • La capacité
  • La représentation
  • Le contenu du contrat
  • Règles relatives à l’objet du contrat
  • Règles relatives à la cause des obligations et à la cause du contrat
  • DEUXIEME PARTIE : Les effets du contrat
  • CHAPITRE 1 : Les effets du contrat entre les parties
  • La force obligatoire du contrat
  • Fondements
  • Conséquences
  • Les limites à la force obligatoire du contrat 
  • L’unilatéralisme contractuel
  • Les révisions judiciaires
  • CHAP 2 : Les effets du contrat à l’égard des tiers
  • L’effet relatif du contrat à l’égard des tiers
  • Le principe de l’effet relatif
  • Les exceptions de l’effet relatif
  • L’opposabilité du contrat
  • Le contrat est opposable par les parties aux tiers
  • TROISIEME PARTIE : L’inexécution des obligations contractuelles
  • CHAPITRE 1 : Les sanctions qui permettent le maintien du contrat
  • L’exception d’inexécution
  • Les conditions générales
  • Exception d’inexécution par anticipation
  • Exécution forcée en nature 
  • Les champs, formes et conditions de cette sanction
  • Les limites de cette sanction
  • Réduction du prix
  • La suspension de l’exécution en cas de force majeure temporaire 
  • Chapitre 2: L’anéantissement du contrat à la suite de son inexécution 
  • Inexécution imputable au débiteur qui provoque la résolution
  • Le régime de ces sources
  • Les effets de la résolution
  • Les théories des risques
  • Res perti debitori (perte de la chose pour le débiteur)
  • L’exception concernant les contrats translatif de propriété portant sur un corps certain (res perit domino)
  • CHAPITRE 3 : La réparation des préjudices lié par l’inexécution du contrat
  • Les conditions de la responsabilité contractuelle
  • Les faits générateurs en matière contractuelle
  • Les préjudices réparables
  • Le lien de causalité
  • L’articulation entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle
  • Les différences de régime
  • Le principe du non cumul des responsabilités contractuelles et extracontractuelles

 

CHAPITRE PRELIMINAIRE : Présentation générale du contrat et du droit des contrats

I – La notion de contrat

L’article 1101 du Code civil définit le contrat comme un « accord de volonté entre deux ou plusieurs personnes, destiné à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations ». Cette définition, largement inchangée depuis le Code civil de 1804, met en lumière deux éléments essentiels à la constitution d’un contrat.

A) L’accord de volonté

Le contrat repose sur l’accord entre au moins deux parties, exprimant chacune leur consentement. Il s’agit d’une rencontre de volontés, distincte des actes juridiques unilatéraux, où une seule volonté est exprimée. Cette distinction est fondamentale pour comprendre la nature des obligations qui en découlent.

  • Les actes juridiques unilatéraux, contrairement aux contrats, se caractérisent par la manifestation de volonté d’une seule personne, produisant des effets de droit sans besoin d’un consentement réciproque. Ils incluent des exemples comme :
    • Acte déclaratif unilatéral : par exemple, la reconnaissance d’un enfant, où une seule personne déclare un lien de filiation qui produit des effets juridiques.
    • Acte unilatéral translatif : par exemple, le testament, où une personne transmet des biens après sa mort.
    • Acte unilatéral abdicatif : tel que la renonciation à une succession, où une personne renonce à un droit.
    • Acte unilatéral extinctif : comme la démission, qui met fin à une relation de travail.

Traditionnellement, ces actes unilatéraux ne créent pas d’obligation civile, à l’exception des engagements unilatéraux de volonté, reconnus en jurisprudence mais peu présents dans le Code civil. Dans ces cas exceptionnels, une personne peut s’engager unilatéralement à fournir une prestation ou une obligation, même sans contrepartie.

B) L’accord relatif à des obligations

Pour qu’un accord soit qualifié de contrat, il doit porter sur des obligations civiles. L’article 1101 exige que cet accord vise à créer, modifier, transmettre ou éteindre des obligations civiles. Si un accord n’est pas relatif à de telles obligations, mais plutôt à des engagements de nature morale ou de courtoisie, il ne peut être qualifié de contrat civil, car il n’est pas susceptible de faire l’objet d’une exécution forcée ou d’une sanction en cas de non-respect.

L’accord de volonté peut porter sur plusieurs types d’obligations :

  • Créer des obligations : c’est la fonction principale de la plupart des contrats, où les parties s’engagent mutuellement à fournir une prestation ou un service.
  • Modifier des obligations : comme dans le cas d’une novation, où un contrat existant est remplacé par un nouveau, avec des obligations modifiées.
  • Transmettre des obligations : par exemple, la cession de créance, où un créancier transfère sa créance à un tiers.
  • Éteindre des obligations : cela peut se faire par la nullité conventionnelle, lorsque les parties conviennent de mettre fin au contrat, généralement en raison d’un vice du consentement.

 

 II)   Les classifications et la qualification des contrats

Il n’existe pas un seul type de contrat, mais une multitude de contrats, reflétant la liberté contractuelle. Ce principe fondamental du droit français, protégé par la Constitution, permet aux parties de conclure librement un contrat et d’en déterminer les termes. Cependant, cette liberté n’est pas absolue et connaît des limites, notamment dans les domaines touchant à l’ordre public ou à la protection des parties les plus faibles, comme dans les contrats de consommation.

Même s’il est impossible de présenter tous les types de contrats, la doctrine et le droit les classifient selon plusieurs critères, qui permettent de déterminer le régime applicable et d’en comprendre les caractéristiques principales. Voici les principales catégories de contrats identifiées par rapport à leurs caractéristiques juridiques majeures :

 A)   Les classifications des contrats

Les classifications des contrats jouent un rôle dans la détermination des règles qui leur sont applicables. Le contrat étant omniprésent dans la vie quotidienne, il intéresse non seulement les juristes, mais également les économistes et les sociologues. Le droit privé, et plus spécifiquement les dispositions du Code civil, offre une série de classifications qui permettent de mieux comprendre les différents régimes juridiques applicables. Ces distinctions sont particulièrement importantes car elles définissent les obligations des parties, les modalités d’exécution du contrat, ainsi que les recours en cas de litige.

La réforme du droit des obligations de 2016, introduite par l’Ordonnance du 10 février 2016, a clarifié et modernisé ces classifications, en particulier dans les articles 1105 à 1111-1 du Code civil. Voici les principales distinctions :

1. Contrats nommés et innommés

  • Contrats nommés : Un contrat est dit nommé lorsqu’il dispose d’un régime légal spécifique prévu par la loi. Par exemple, les contrats de vente, de bail ou d’assurance sont des contrats nommés, régis par des règles particulières figurant dans le Code civil. Certaines de ces règles sont impératives, c’est-à-dire qu’elles doivent obligatoirement être respectées, tandis que d’autres sont supplétives, laissant une certaine liberté aux parties pour déroger aux dispositions légales.

  • Contrats innommés : Contrairement aux contrats nommés, les contrats innommés ne sont pas soumis à une réglementation spécifique. Ils reposent sur la liberté contractuelle et sont régis par le droit commun des obligations, c’est-à-dire les règles générales applicables à tous les contrats (article 1105 du Code civil). Un exemple courant est le contrat de parking, qui ne fait l’objet d’aucune régulation spécifique.

Cette distinction est importante pour déterminer le régime applicable. Si un contrat est nommé, il est soumis à ses règles particulières. En revanche, pour les contrats innommés, seules les règles générales s’appliquent.

2. Contrats à titre onéreux et à titre gratuit

  • Contrats à titre onéreux : Ce sont les contrats dans lesquels chaque partie reçoit un avantage en contrepartie de l’obligation qu’elle assume (article 1107 du Code civil). Par exemple, dans un contrat de vente, l’acheteur reçoit un bien en échange du paiement du prix. Ces contrats sont courants et sont marqués par la réciprocité des obligations.

  • Contrats à titre gratuit : Ici, une des parties procure un avantage à l’autre sans recevoir de contrepartie. Un exemple typique est la donation, où le donateur donne un bien sans rien attendre en retour (article 1107 alinéa 2). La protection du donateur est plus forte en droit, car il se prive de quelque chose sans recevoir de compensation. Par exemple, une donation doit être formalisée par un acte notarié pour garantir sa validité.

3. Contrats synallagmatiques et unilatéraux

  • Contrats synallagmatiques : Dans un contrat synallagmatique, les parties s’obligent réciproquement l’une envers l’autre (article 1106 du Code civil). L’existence d’une réciprocité des obligations est la clé ici : chaque partie doit quelque chose à l’autre, et l’engagement de l’une dépend de l’engagement de l’autre. Par exemple, un contrat de travail où l’employé fournit un service et reçoit en contrepartie un salaire est synallagmatique.

  • Contrats unilatéraux : Un contrat unilatéral est celui dans lequel une seule des parties s’engage à quelque chose sans que l’autre n’ait de contrepartie immédiate (article 1106 alinéa 2). Par exemple, une promesse unilatérale de don est un contrat unilatéral. Toutefois, même un contrat unilatéral peut être à titre onéreux, comme dans le cas d’une donation avec charge, où le donateur impose une condition au donataire.

4. Contrats commutatifs et aléatoires

  • Contrats commutatifs : Ce type de contrat suppose que les obligations de chaque partie sont déterminées dès la conclusion du contrat (article 1108 du Code civil). Chacune sait exactement ce qu’elle doit recevoir ou fournir. Par exemple, dans un contrat de vente, l’acheteur sait qu’il doit payer un prix fixe pour un bien spécifique.

  • Contrats aléatoires : Les contrats aléatoires, en revanche, font dépendre leurs effets d’un événement incertain (article 1108 alinéa 2). Un exemple classique est le contrat d’assurance, où le paiement dépend de la survenance d’un sinistre. Ce type de contrat ne peut jamais être annulé pour lésion, car le risque est accepté par les deux parties.

5. Contrats consensuels, solennels et réels

  • Contrats consensuels : Ce sont des contrats qui se forment par le simple accord des volontés des parties, sans formalité particulière (article 1109 du Code civil). La majorité des contrats appartiennent à cette catégorie.

  • Contrats solennels : Ici, la validité du contrat est subordonnée à l’accomplissement de formalités spécifiques, comme un acte notarié (article 1109 alinéa 2). Par exemple, une donation doit être faite devant un notaire pour être valable.

  • Contrats réels : Ces contrats ne sont formés qu’à la remise d’une chose (article 1109 alinéa 3). Le contrat de prêt ou le dépôt en sont des exemples : la formation du contrat est subordonnée à la remise matérielle du bien.

6. Contrats de gré à gré et contrats d’adhésion

  • Contrats de gré à gré : Ce sont les contrats dont les stipulations sont librement négociées entre les parties (article 1110 du Code civil). Les parties sont en principe sur un pied d’égalité lors de la négociation.

  • Contrats d’adhésion : Dans ces contrats, les conditions générales sont fixées unilatéralement par une partie et ne peuvent être négociées (article 1110 alinéa 2). L’autre partie n’a que la possibilité d’accepter ou de refuser le contrat en bloc, comme dans les contrats de téléphonie ou d’assurance. Les contrats d’adhésion sont soumis à des règles spécifiques, notamment en ce qui concerne l’interprétation favorable à la partie faible et la sanction des clauses abusives (articles 1171 et 1190 du Code civil).

7. Contrats cadre et contrats d’application

  • Contrats cadre : Ces contrats posent les principes généraux qui vont régir les relations futures entre les parties (article 1111 du Code civil). Par exemple, dans les relations commerciales entre un fournisseur et un distributeur, un contrat cadre fixe les conditions générales des ventes futures.

  • Contrats d’application : Ils viennent préciser les modalités d’exécution des contrats cadres. Par exemple, un contrat cadre peut prévoir les termes généraux, tandis qu’un contrat d’application précisera le prix ou la quantité pour chaque commande particulière.

8. Contrats à exécution instantanée et à exécution successive

  • Contrats à exécution instantanée : Les obligations peuvent être exécutées en une prestation unique, comme dans la vente d’un bien immobilier (article 1111-1 du Code civil). Ici, il n’y a généralement pas de bouleversement imprévisible dans le temps.

  • Contrats à exécution successive : Les obligations s’exécutent en prestations échelonnées dans le temps, comme dans un contrat de travail ou un abonnement téléphonique. La durée du contrat est ici un élément clé, et ces contrats sont soumis à des règles particulières en cas d’imprévision ou d’inexécution.

9. Contrats conclus sur support papier ou par voie électronique

Le Code civil prévoit également des dispositions spécifiques pour les contrats conclus électroniquement, tenant compte des réalités modernes des transactions commerciales. Les échanges électroniques sont désormais pleinement reconnus et soumis aux mêmes principes que les contrats traditionnels, avec des règles de preuve adaptées à ces nouvelles pratiques.

 

B)  La qualification des contrats

La qualification des contrats consiste à déterminer à quelle catégorie juridique un contrat donné appartient, afin d’appliquer les règles de droit correspondantes. Il est crucial pour les juristes d’identifier correctement la catégorie d’un contrat pour savoir quelles règles régissent son exécution, son contenu, ses obligations, et les recours en cas de litige.

A) Processus de qualification : entre parties et juges

Les parties à un contrat peuvent tenter de le qualifier en utilisant des termes légaux. Cependant, cette qualification peut être erronée ou intentionnellement déformée. En effet, les parties peuvent :

  • Manquer de précision en raison de leur méconnaissance du droit.
  • Tenter de contourner la loi en donnant une qualification inexacte à leur contrat, par exemple pour échapper à des obligations fiscales plus lourdes (comme dans une donation déguisée en vente).

Toutefois, la qualification donnée par les parties n’est pas définitive. Conformément à l’article 12 du Code de procédure civile, les juges ne sont pas liés par la qualification des parties. En cas de litige, il appartient aux juges d’examiner la véritable nature des obligations contenues dans le contrat et, si nécessaire, de procéder à une requalification judiciaire. Cela permet de révéler une qualification erronée ou frauduleuse, et d’appliquer les règles appropriées.

  • Examen approfondi : La qualification d’un contrat repose sur une analyse minutieuse de son contenu, notamment des obligations nées de l’accord de volonté.
  • Requalification : En cas d’erreur ou de fraude dans la qualification initiale, les juges peuvent requalifier le contrat pour lui appliquer le régime juridique adéquat.

B) Qualification exclusive ou distributive

Dans certains cas, les éléments d’un contrat peuvent relever de plusieurs catégories de contrats. Cela pose la question de savoir s’il faut qualifier le contrat de manière exclusive (en appliquant les règles d’une seule catégorie) ou de manière distributive (en appliquant différentes règles à différents aspects du contrat).

  • Qualification exclusive : Le juge considère le contrat dans sa globalité et choisit une seule qualification juridique.
  • Qualification distributive : Le juge peut appliquer plusieurs qualifications à des parties différentes du contrat, en fonction des obligations distinctes qui en découlent.

Il n’existe pas de texte formel dictant la méthode que le juge doit suivre dans ces situations. La décision est souvent casuistique, c’est-à-dire prise au cas par cas, en fonction des particularités du contrat et du contexte dans lequel il est conclu.

 

 

III)    Les sources du droit des contrats

Le droit des contrats tire sa force de plusieurs sources juridiques, qui déterminent les règles applicables à la formation, l’exécution et la résolution des contrats.

A) La loi : source principale

La principale source du droit des contrats en France est la loi, spécifiquement les règles générales du Code civil. La réforme du 10 février 2016, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, a profondément modernisé le droit commun des contrats, en codifiant des pratiques et principes issus de la jurisprudence, tout en clarifiant certaines règles.

Les règles légales sont souvent supplétives (elles s’appliquent si les parties n’ont rien prévu à cet égard) mais peuvent être aussi impératives (les parties ne peuvent y déroger). Ce cadre législatif permet de sécuriser les relations contractuelles en fournissant des balises juridiques claires.

B) La Constitution et le bloc de constitutionnalité

Bien que la Constitution du 4 octobre 1958 ne contienne pas de dispositions spécifiques au régime des contrats, certains principes constitutionnels influencent indirectement le droit des contrats, notamment à travers la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 (DDHC), intégrée dans le bloc de constitutionnalité.

  • Article 4 de la DDHC : Cet article consacre la liberté individuelle, dont découle la liberté contractuelle. La liberté contractuelle comprend le droit de conclure ou non un contrat, de choisir son cocontractant et de déterminer le contenu du contrat. Ce principe constitutionnellement protégé permet au Conseil constitutionnel de contrôler la conformité des lois régissant les contrats au regard de cette liberté.

Le Conseil constitutionnel a ainsi reconnu une valeur constitutionnelle à la liberté contractuelle, non pas directement dans la Constitution, mais via l’article 4 de la DDHC. Ce contrôle peut intervenir tant en amont (contrôle a priori avant promulgation d’une loi) qu’en aval (contrôle a posteriori par une question prioritaire de constitutionnalité – QPC).

C) Conventions internationales et droit européen

Certaines conventions internationales s’appliquent aux contrats, mais ces conventions ne concernent généralement que des contrats ayant un caractère transfrontalier, tels que les contrats de transport de marchandises ou de personnes entre États. Par exemple, la Convention de Vienne sur la vente internationale de marchandises régit les ventes internationales.

Au niveau de l’Union européenne, le contrat est considéré comme un outil essentiel dans les échanges économiques. Si l’UE ne dispose pas d’un code civil européen imposé à tous les États membres, elle œuvre en faveur d’une harmonisation du droit des contrats à travers différents règlements et directives, visant à faciliter les échanges économiques entre les membres.

De plus, le droit européen des droits de l’homme, notamment à travers la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (CEDH), influence indirectement le droit des contrats, en particulier via son article 14 sur la non-discrimination. Ce texte interdit, par exemple, la discrimination lors du choix d’un cocontractant en fonction de critères tels que la race ou le sexe. Ainsi, certaines clauses contractuelles contraires à ces principes peuvent être écartées par les juges en application du contrôle de conventionalité.

D) La jurisprudence : une source incontournable

La jurisprudence, bien que n’étant pas une source de droit de même nature que la loi, joue un rôle crucial en matière contractuelle. La jurisprudence comble les lacunes laissées par les textes législatifs et interprète la loi. En matière de contrats, les juges ont une marge d’interprétation importante, notamment pour qualifier les contrats, examiner leur validité, ou appliquer les principes généraux de bonne foi et d’équité.

Bien que la jurisprudence puisse varier et ne soit pas toujours prévisible, elle offre une souplesse indispensable pour adapter le droit aux situations nouvelles et complexes. Dans certains cas, la jurisprudence a même contribué à faire évoluer le droit, comme dans le domaine des contrats d’adhésion ou des clauses abusives, où les juges ont développé des mécanismes de protection des parties les plus faibles.

 

IV)     Les principes généraux du droit des contrats

Les articles 1102, 1103 et 1104 du Code civil, introduits par la réforme du 10 février 2016, formalisent trois principes généraux du droit des contrats : la liberté contractuelle, la force obligatoire des contrats, et l’exigence de bonne foi. Ces principes, qui étaient implicitement soutenus par la doctrine dans le Code civil de 1804, sont désormais clairement énoncés et reflètent l’évolution du droit des contrats vers un équilibre entre l’autonomie de la volonté et une approche plus solidariste du contrat.

1) Article 1102 – La liberté contractuelle

L’article 1102 consacre le principe de la liberté contractuelle, qui est un pilier de l’autonomie de la volonté. Ce principe signifie que chaque individu est libre de contracter ou de ne pas contracter, de choisir son cocontractant, de déterminer le contenu du contrat, ainsi que de choisir la forme du contrat, que ce soit par écrit ou oralement.

Cependant, cette liberté n’est pas absolue et se trouve limitée par des impératifs légaux. L’alinéa 2 de cet article précise que la liberté contractuelle ne permet pas de déroger aux règles d’ordre public, qui incluent les bonnes mœurs et les principes fondamentaux de justice. Ce principe de liberté limitée existait déjà dans l’article 6 du Code civil de 1804, qui interdisait les conventions contraires aux bonnes mœurs, et il continue d’encadrer les pratiques contractuelles pour éviter les abus ou les atteintes à l’ordre public.

2) Article 1103 – La force obligatoire des contrats

L’article 1103 énonce le principe de la force obligatoire des contrats, qui stipule que les contrats légalement formés ont force de loi entre les parties. Ce principe, qui trouve ses racines dans l’ancien article 1134 du Code civil de 1804, impose que les parties respectent les engagements contractuels qu’elles ont pris.

La force obligatoire implique deux éléments majeurs :

  • L’intangibilité du contrat : Une fois conclu, le contrat ne peut être modifié ou révoqué sans le consentement des parties ou dans les conditions prévues par la loi.
  • L’irrévocabilité : Les parties ne peuvent défaire un contrat de manière unilatérale, sauf dans des cas exceptionnels prévus par la loi ou si une clause le permet expressément.

Le principe d’intangibilité vise à assurer la stabilité des relations contractuelles et à protéger les attentes légitimes des parties. Cela empêche notamment les juges de réinterpréter ou modifier un contrat dans des circonstances ordinaires, sauf si l’une des parties en demande la résolution en raison d’une inexécution. Ce principe renforce l’idée selon laquelle un accord de volontés doit produire tous ses effets, et ce même si le contrat semble déséquilibré.

3) Article 1104 – La bonne foi

L’article 1104 introduit le principe de bonne foi, un élément central de la solidarité contractuelle. Ce principe oblige les parties à négocier, former et exécuter leurs contrats de bonne foi. La portée de ce principe est donc beaucoup plus large que dans l’ancien article 1134 alinéa 3, qui se limitait à l’exécution des contrats.

La bonne foi n’est pas explicitement définie dans le Code civil, mais elle est généralement interprétée comme une exigence de loyauté et de transparence dans les relations contractuelles. Cela signifie que les parties doivent non seulement éviter de tromper ou nuire à leur cocontractant, mais aussi, de manière plus positive, prendre en compte ses intérêts pour garantir que le contrat reste bénéfique pour les deux parties.

Cette exigence de bonne foi s’applique dès les négociations, bien avant la formation définitive du contrat, et continue pendant toute la durée du contrat, jusqu’à son exécution. Le législateur renforce également la portée de cette règle en précisant dans l’alinéa 2 de l’article 1104 que la bonne foi est une disposition d’ordre public, ce qui signifie qu’il est impossible d’y déroger par un accord des parties.

Équilibre entre autonomie de la volonté et solidarisme contractuel

Ces trois principes (liberté contractuelle, force obligatoire et bonne foi) représentent l’évolution du droit des contrats vers une approche plus équilibrée. Traditionnellement, le droit des contrats était dominé par le dogme de l’autonomie de la volonté, qui considérait que les individus, étant libres et rationnels, étaient les mieux placés pour négocier et conclure des accords dans leur propre intérêt. La présomption était que tout contrat conclu était juste, car basé sur la rencontre des volontés des parties.

Ce paradigme a été remis en question à partir de la fin du 20ème siècle, notamment avec l’essor des rapports contractuels déséquilibrés dans le contexte de la révolution industrielle. La société a alors évolué vers un modèle plus solidaire, où la justice contractuelle devait aussi prendre en compte l’inégalité de pouvoir entre les parties. Le droit a donc introduit des mécanismes de protection pour les parties les plus vulnérables, sans pour autant abandonner l’idée de liberté contractuelle.

La réforme de 2016 consacre cette approche duale :

  • Liberté contractuelle (Article 1102) : Reflète l’autonomie de la volonté en laissant aux parties le soin de définir leurs engagements.
  • Force obligatoire (Article 1103) : Assure la stabilité des contrats et leur respect.
  • Bonne foi (Article 1104) : Représente le principe de solidarité, imposant une loyauté et une transparence tout au long de la relation contractuelle.

Interprétation et rôle des juges

Ces trois principes ne sont pas hiérarchisés et peuvent parfois entrer en conflit. Par exemple, la force obligatoire d’un contrat peut s’opposer à l’exigence de bonne foi, notamment si un contrat est exécuté de manière strictement conforme aux termes, mais de façon désavantageuse pour une des parties.

Dans de tels cas, ce sont les juges qui doivent trancher, en fonction des circonstances spécifiques du litige. Ils peuvent, par exemple, donner prééminence à la bonne foi si le contrat, bien que légalement formé, est inéquitable dans son exécution. Le juge a donc un rôle essentiel pour rééquilibrer les relations contractuelles, en veillant à ce que l’exécution des contrats soit non seulement conforme aux termes écrits, mais aussi équitable et loyale.

En conclusion, les articles 1102, 1103 et 1104 du Code civil forment les trois piliers modernes du droit des contrats, articulant la liberté des parties, la force des engagements pris, et l’exigence de loyauté dans les relations contractuelles.

 

PREMIERE PARTIE : La formation du contrat

Comment un contrat est formé? Comment est-il conclu? Une fois qu’on sait comment il est conclu et formé, il faut savoir s’il est valable ou non.

Titre 1: Le processus de formation

Le Code civil de 1804 ne prévoyait aucune disposition spécifique sur le processus de formation du contrat. Les rédacteurs se sont concentrés sur les effets des contrats formés, sans détailler la manière dont ces accords étaient élaborés. Cependant, la réalité montre que de nombreux contrats ne se concluent pas instantanément et nécessitent des discussions et négociations préalables. La jurisprudence a donc progressivement fixé des règles pour encadrer la formation progressive des contrats, ainsi que le régime applicable aux avant-contrats. La réforme de 2016 a intégré ces règles jurisprudentielles dans le Code civil, notamment dans la section 1 du chapitre 2, qui traite de la conclusion du contrat.

 

CHAPITRE 1 : La période précontractuelle

 

I)     Les négociations

Les négociations précontractuelles sont les discussions menées avant la conclusion d’un contrat. Elles permettent aux parties de définir les termes de leur accord, mais elles ne sont pas obligatoires. Un contrat peut se former sans négociation préalable, par une simple rencontre de volonté.

A) Le cadre des négociations

La négociation n’est pas une condition nécessaire à la validité d’un contrat. Dans la pratique, de nombreux contrats conclus quotidiennement ne sont pas négociés.

Les types de contrats non négociés incluent :

  • Les contrats d’adhésion (article 1110, alinéa 2) : Ces contrats imposent leurs conditions à l’une des parties, qui ne peut que les accepter ou les refuser en bloc, sans possibilité de modification. Les assurances et les contrats téléphoniques en sont des exemples typiques.
  • Les contrats types : Il s’agit de modèles de contrat standardisés, souvent utilisés dans le secteur bancaire (contrats d’ouverture de compte, contrats de crédits). Bien que les contrats d’adhésion soient souvent des contrats types, certains contrats types permettent des ajustements mineurs sur certaines clauses.

Les contrats négociés, appelés contrats de gré à gré, sont ceux où les parties négocient librement les termes de l’accord. Ces contrats concernent généralement des transactions importantes, comme la vente de biens immobiliers ou d’actions de sociétés, et les contrats d’affaires. Les négociations se déroulent souvent entre professionnels, ou entre particuliers pour des biens de grande valeur.

Les négociateurs peuvent être les parties elles-mêmes, mais il est fréquent que dans des contrats complexes, des tiers soient mandatés pour négocier au nom des parties. Ces professionnels, comme les avocats ou les agents commerciaux, interviennent notamment dans les transactions importantes.

B) Le régime des négociations

Le déroulement des négociations peut faire l’objet d’un accord préalable, appelé accord de négociation ou protocole d’accord, dans lequel les parties définissent les règles de conduite des pourparlers. Cela permet de cadrer le processus, les étapes à suivre, et les obligations des négociateurs. Cependant, il est tout à fait possible d’entrer en négociation sans formaliser un tel accord.

L’article 1112 du Code civil encadre désormais les négociations précontractuelles. Il dispose dans son alinéa 1 : « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres. Ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ».

Les négociations sont ainsi caractérisées par une grande liberté, tout en étant soumises à un impératif de bonne foi.

  • Liberté d’initiative : Chacune des parties est libre de décider d’entrer ou non en négociation. Ce n’est qu’une option et non une obligation.
  • Liberté de déroulement : Les négociateurs peuvent mener plusieurs négociations en parallèle avec des cocontractants différents, afin d’obtenir les meilleures conditions.
  • Liberté de rupture : Aucune des parties n’est obligée de conclure le contrat à l’issue des négociations. Si l’une des parties souhaite abandonner les discussions, elle peut le faire librement.

Cependant, cette liberté est encadrée par le principe de bonne foi, qui a autant d’importance que la liberté contractuelle. Le principe de loyauté impose que les parties se comportent honnêtement tout au long des pourparlers. Cela signifie :

  • Fournir des informations complètes et sincères à l’autre partie.
  • Ne pas induire en erreur le partenaire de négociation.
  • Respecter la confidentialité des informations échangées pendant les discussions.

Si les négociateurs ne respectent pas cette obligation de bonne foi, l’article 1112 alinéa 2 prévoit la responsabilité de la partie qui a agi de manière déloyale. Cette responsabilité est de nature extracontractuelle, car le contrat n’est pas encore formé. La partie coupable doit donc réparer le préjudice causé à l’autre. Il s’agit d’une faute entraînant une réparation dès lors qu’un préjudice est prouvé.

Exemples de mauvaise foi :

  • Fournir des informations incomplètes ou erronées.
  • Poursuivre les négociations sans intention réelle de conclure.
  • Rompre brutalement les pourparlers sans motif légitime après de longues discussions.

Toutefois, il est important de noter que le préjudice lié à la perte des avantages attendus du contrat n’est pas réparable. L’article 1112 précise que la perte d’une opportunité commerciale, comme les bénéfices attendus d’un contrat finalement non conclu, ne peut pas être indemnisée. Cette solution est confirmée par l’arrêt Manouchian de la Cour de cassation (26 novembre 2003). Les réparations se limitent donc aux frais engagés pendant les négociations, tels que les déplacements, les heures de travail, ou les salaires versés pendant cette période.

En résumé, les négociations précontractuelles sont un moment de liberté pour les parties, mais elles sont encadrées par une exigence de bonne foi. Ce principe impose aux parties de se comporter de manière loyale, de respecter la confidentialité et de fournir des informations véridiques. En cas de mauvaise foi, la partie fautive peut être tenue responsable et devra indemniser les préjudices subis, à l’exception des bénéfices escomptés.

 

 

II)    Les informations précontractuelles

 

Le Code civil de 1804 ne prévoyait aucune règle spécifique sur la période précontractuelle, ni sur l’obligation d’information entre parties. La jurisprudence s’est d’abord orientée vers une obligation de se renseigner pour chaque partie, plutôt qu’une obligation d’informer l’autre. Au début du XXe siècle, la Cour de cassation a favorisé cette approche, estimant que chaque partie devait se renseigner elle-même.

Cependant, avec le temps, la jurisprudence et la législation ont évolué, notamment dans les contrats déséquilibrés, où une partie est plus faible que l’autre, comme dans les contrats de consommation. La législation a alors introduit une obligation d’informer la partie la plus faible, consacrée notamment dans le Code de la consommation. Cette évolution a conduit à la reconnaissance d’une obligation générale d’information, d’abord reconnue par la jurisprudence sous l’ancien article 1134 alinéa 3 du Code civil, puis codifiée par la réforme de 2016 dans l’article 1112-1.

Qui doit fournir l’information ?

L’article 1112-1 impose à la partie qui détient une information cruciale pour le contrat de la communiquer à son cocontractant. Contrairement au projet initial de la réforme de 2015, la version définitive n’exige pas que le débiteur de l’information doive se renseigner lui-même pour découvrir des informations qu’il pourrait ne pas connaître. Il s’agit donc d’une obligation d’informer uniquement sur ce que la partie sait.

Qui doit recevoir l’information ?

L’alinéa 1 de l’article 1112-1 précise que l’information doit être donnée à celui qui l’ignore légitimement ou qui fait confiance à son cocontractant. Il appartient aux juges d’apprécier au cas par cas si l’ignorance du créancier de l’information est légitime. Si une information est connue de tous, elle n’a pas à être communiquée, car nul n’est censé ignorer la loi ou les informations de notoriété publique.

L’ignorance légitime dépend donc du contexte et des compétences des parties. Par exemple, une partie ayant plus d’expérience ou de connaissances doit informer l’autre, même si celle-ci n’a pas cherché activement à se renseigner. De même, une partie qui fait confiance légitimement à son cocontractant a droit à cette information, même si elle n’a pas entrepris de recherches.

Nature des informations à fournir

L’alinéa 3 de l’article 1112-1 précise que les informations déterminantes pour le consentement du cocontractant sont celles qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties. Cette disposition laisse une large marge d’interprétation au juge, qui devra déterminer, en fonction du contexte de chaque affaire, quelles informations doivent être considérées comme déterminantes.

En revanche, l’alinéa 2 exclut l’obligation de fournir des informations relatives à l’estimation de la valeur de la prestation. En d’autres termes, chaque partie doit se renseigner elle-même sur la valeur de l’objet du contrat. Cette règle s’inspire de la jurisprudence de l’arrêt Baldus (Cour de cassation, 3 mai 2000), qui établit que le vendeur n’a pas à informer l’acheteur sur la valeur de la chose vendue.

Preuve de la transmission de l’information

L’alinéa 4 de l’article 1112-1 instaure un régime probatoire clair : il appartient au créancier de l’information (celui qui devait être informé) de prouver que l’autre partie devait lui fournir une information. Ensuite, c’est au débiteur de l’information (celui qui devait la fournir) de prouver qu’il a bien exécuté son obligation d’information.

Ce régime probatoire s’inspire de la jurisprudence issue de l’arrêt Hédreul (Cour de cassation, 25 février 1997), qui concernait l’obligation pour un médecin d’informer son patient sur les risques liés à un médicament. Dans ce cas, la charge de la preuve de l’exécution de l’obligation d’information incombait au médecin, qui devait prouver qu’il avait correctement informé son patient.

Portée du devoir d’information

L’alinéa 5 de l’article 1112-1 précise que l’obligation d’information est d’ordre public. Cela signifie que les parties ne peuvent ni limiter ni exclure cette obligation par un accord contractuel. Toute clause visant à restreindre ou supprimer ce devoir serait donc considérée comme nulle.

Sanctions applicables

L’alinéa 6 de l’article 1112-1 détaille les sanctions en cas de manquement à l’obligation d’information. La sanction principale est la responsabilité du débiteur de l’information. Si la partie qui détient une information cruciale pour le consentement de l’autre ne la communique pas, sa responsabilité extracontractuelle peut être engagée. En cas de préjudice, elle devra réparer les dommages subis par l’autre partie.

De plus, si le manquement à l’obligation d’information a eu un impact sur le consentement du cocontractant, cela peut constituer un vice du consentement et entraîner l’annulation du contrat en vertu des articles 1130 et suivants du Code civil. Un contrat pourrait ainsi être annulé s’il est démontré que l’absence d’information a influencé le consentement de manière déterminante.

 

 

 

CHAPITRE 2 : La conclusion du contrat

I) Les éléments de l’accord de volontés (Offre + acceptation)

A) L’offre

L’offre est une manifestation unilatérale de volonté par laquelle une personne (appelée offrant ou pollicitant) exprime son intention de conclure un contrat aux conditions qu’elle propose. Bien que la réforme de 2016 n’ait pas défini formellement l’offre, les articles 1113 à 1117 du Code civil énoncent les règles qui lui sont applicables, basées sur la jurisprudence antérieure.

Caractéristiques de l’offre

Pour qu’une manifestation de volonté soit qualifiée d’offre, elle doit respecter plusieurs critères :

  • Une déclaration ou un comportement non équivoque (article 1113, al. 2) : L’offre peut être faite oralement, par écrit, ou même implicitement par des actes clairs et non équivoques, tels que l’exposition d’un produit avec un prix en vitrine ou la présence d’un taxi disponible.

  • Précision des conditions : L’offre doit être suffisamment précise quant à ses termes essentiels (objet, prix, etc.), pour que l’acceptation entraîne immédiatement la formation du contrat.

  • Fermeté (article 1114) : L’offre doit exprimer la volonté ferme de contracter en cas d’acceptation. Si des réserves sont exprimées, comme « prix à débattre » ou « dans la limite des stocks disponibles », il ne s’agit pas d’une offre ferme, mais d’une invitation à entrer en négociation.

Destinataire de l’offre

L’offre peut être adressée à une personne déterminée, comme un individu ou une entreprise, ou à une personne indéterminée, par exemple au public en général (exemple : une annonce publique d’un bien à vendre).

Durée de validité de l’offre

L’offre peut être assortie d’un délai, pendant lequel elle doit être maintenue. Une fois ce délai écoulé, l’offre devient caduque, et l’acceptation n’est plus possible (article 1116). Si aucun délai n’est précisé, l’offre doit être maintenue pendant un délai raisonnable, à apprécier au cas par cas par les juges, en fonction des circonstances du contrat et des usages en vigueur.

Rétractation de l’offre

L’article 1115 consacre la liberté de rétracter une offre tant qu’elle n’a pas été reçue par le destinataire. Une fois l’offre reçue, elle devient contraignante, et l’offrant ne peut la rétracter avant l’expiration du délai d’acceptation fixé, ou avant la fin du délai raisonnable.

Cependant, l’article 1116 al. 2 précise que si l’offrant rétracte son offre avant l’expiration du délai, la rétractation est inefficace et n’entraîne pas la conclusion forcée du contrat, mais peut donner lieu à des dommages et intérêts. Cela signifie que l’offrant n’est pas tenu de conclure le contrat, mais peut être condamné à réparer le préjudice subi par l’autre partie en raison de la rétractation intempestive.

Caducité de l’offre

L’offre devient caduque :

  • À l’expiration du délai d’acceptation (article 1117 al. 1).
  • En cas de décès ou d’incapacité de l’offrant (article 1117 al. 2). Ainsi, si le pollicitant décède avant l’acceptation, ses héritiers ne sont pas tenus de conclure le contrat. Cela va à l’encontre d’une jurisprudence antérieure (arrêt de la 1ère chambre civile du 25 juin 2014), qui maintenait l’offre si elle était assortie d’un délai.
B) L’acceptation

L’acceptation est la manifestation de volonté par laquelle le destinataire de l’offre déclare qu’il consent aux termes proposés par l’offrant (article 1118 al. 1). Elle permet de conclure le contrat, en liant les parties selon les conditions de l’offre.

Caractéristiques de l’acceptation

  • Connaissance de l’offre : L’acceptation ne peut porter que sur une offre clairement formulée. Cela signifie que le destinataire doit avoir une parfaite connaissance des conditions essentielles pour que son acceptation soit valable. Les conditions générales doivent donc être précisées et accessibles.

  • Volonté de s’engager : L’acceptation doit être pure et simple, sans réserves ni modifications. Si le destinataire exprime des conditions supplémentaires ou modifie les termes de l’offre, il ne s’agit plus d’une acceptation mais d’une contre-proposition, ce qui inverse les rôles : le destinataire devient à son tour pollicitant, et l’offrant devient destinataire de la nouvelle offre.

Forme de l’acceptation

L’acceptation peut se manifester de manière explicite (déclaration verbale ou écrite) ou implicite (comportement non équivoque). Par exemple, lever la main lors d’une vente aux enchères est un geste qui indique l’acceptation du prix proposé.

Cependant, le silence n’est généralement pas considéré comme une acceptation (article 1120). Il ne peut l’être que dans des cas exceptionnels :

  • Lorsque la loi le prévoit.
  • En vertu des usages professionnels.
  • En raison de la nature des relations d’affaires, où le silence peut, par habitude, valoir acceptation.
  • Lorsque l’offre est dans l’intérêt exclusif du destinataire, le silence peut parfois être interprété comme un consentement.

Effet de l’accord de volontés

Une fois que l’offre a été acceptée, le contrat est formé et devient contraignant pour les parties. L’accord des volontés constitue l’élément clé qui fait naître les obligations contractuelles.

 

 

C)      Le moment et le lieu de l’accord de volonté

 

Le moment et le lieu de formation du contrat sont des éléments cruciaux, notamment lorsqu’il s’agit de contrats conclus à distance (par courrier, par voie électronique, etc.). En cas de négociations entre personnes absentes, il devient nécessaire de déterminer quand et où le contrat est effectivement conclu, car cela affecte plusieurs aspects pratiques et juridiques.

Les enjeux de la date de formation du contrat

  • Droit applicable : La date de formation du contrat permet de déterminer le régime juridique applicable.
  • Caducité de l’offre : Une offre peut devenir caduque avec le temps ou à cause de l’incapacité ou du décès de l’offrant. La formation du contrat doit donc intervenir avant que l’offre ne soit caduque, car après la conclusion du contrat, la rétractation de l’offre n’est plus possible, sauf disposition légale contraire.
  • Transfert de propriété : Dans les contrats translatifs de propriété, il est important de savoir quand l’obligation de transférer la propriété entre en vigueur. Cela permet de déterminer si, en cas de destruction du bien, la responsabilité incombe à l’ancien propriétaire ou au nouveau.
  • Prescription : Depuis 2008, la prescription en matière de droits personnels ou mobiliers est de 5 ans. Ce délai commence souvent à courir à partir de la conclusion du contrat, notamment pour les actions en nullité.

Compétence juridictionnelle

En matière de compétence territoriale en cas de litige, le lieu d’exécution du contrat est souvent plus important que le lieu de sa formation. L’article 46 du Code de procédure civile indique que la juridiction compétente est celle du domicile du défendeur ou celle du lieu d’exécution du contrat. Toutefois, certains contrats spéciaux comme les contrats de travail peuvent déroger à cette règle. Par exemple, l’article R1412-1 du Code du travail attribue compétence au conseil des prud’hommes du lieu où le contrat a été formé, si le salarié ne travaille pas dans un établissement de l’employeur.

Dans les contrats internationaux, le lieu de formation du contrat peut également être un critère déterminant pour choisir la loi applicable, en vertu des règles du droit international privé.

La réforme de 2016 : Règle générale

Avant la réforme, la jurisprudence et des lois spéciales régissaient le moment et le lieu de formation des contrats. La réforme a mis fin à cette incertitude en introduisant une règle générale dans le nouvel article 1121 du Code civil, qui consacre la théorie de la réception comme le moment de formation du contrat.

Exemple pratique : Une agence immobilière propose à Mme B de lui louer un appartement à la montagne pour 2017, avec un délai de 4 jours pour accepter l’offre. Le 5e jour, l’agence se rétracte, mais Mme B avait déjà envoyé son acceptation par courrier postal le 4e jour. Le courrier arrive après la rétractation de l’offre. Selon la théorie de la réception, le contrat n’est pas formé, car l’agence avait rétracté l’offre avant de recevoir l’acceptation. Si la théorie de l’émission avait été retenue, Mme B aurait pu exiger l’exécution forcée du contrat dès l’envoi de son acceptation.

Théories de la formation du contrat

Deux théories principales s’affrontaient pour déterminer le moment de la formation du contrat :

  • Théorie de l’émission : Le contrat est formé dès que le destinataire émet son acceptation (ex. envoi de la lettre par la poste). Cette théorie favorise le destinataire de l’offre, qui peut engager le contrat avant même que l’offrant en prenne connaissance.

  • Théorie de la réception : Le contrat est formé lorsque l’offrant reçoit l’acceptation, c’est-à-dire au moment où il a la possibilité de prendre connaissance de l’acceptation. Cela implique que l’acceptation est valable dès que le courrier arrive dans la boîte aux lettres de l’offrant, même s’il ne l’a pas encore ouvert.

La jurisprudence a longtemps oscillé entre ces deux théories. En 1981, un arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation semblait privilégier la théorie de l’émission, sauf clause contraire. Cependant, un autre arrêt en 2011 (3e chambre civile) a plutôt opté pour la théorie de la réception.

Le nouvel article 1121 tranche la question en faveur de la théorie de la réception. Ainsi, le contrat est désormais formé à la réception de l’acceptation par l’offrant, ce qui règle l’incertitude antérieure.

Contrats électroniques

La formation des contrats électroniques a été encadrée par la directive européenne du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, transposée en France par la loi du 21 juin 2004 relative à la confiance dans l’économie numérique. Ces règles ont été intégrées dans le Code civil à travers l’ordonnance du 16 juin 2005 (renumérotée après la réforme de 2016).

Le nouvel article 1127-2 concerne spécifiquement les contrats électroniques. Il impose plusieurs obligations pour garantir la validité de ces contrats :

  • Le destinataire de l’offre doit avoir la possibilité de vérifier les détails de sa commande (prix total, description du produit ou service).
  • Le destinataire doit également pouvoir corriger les erreurs éventuelles avant de confirmer sa commande.

La formation du contrat se fait en deux étapes :

  1. Vérification des détails.
  2. Confirmation de la commande par un double-clic (ou son équivalent). C’est au moment de la confirmation (deuxième clic) que le contrat est conclu, selon la théorie de l’émission.

En revanche, lorsque le contrat est conclu par échange de courriels, c’est la théorie de la réception (article 1121) qui s’applique.

 

II)      Les avant-contrats

Les avant-contrats préparent la conclusion d’un contrat définitif lorsque l’une des parties n’est pas encore certaine de son intérêt à conclure. Ces contrats préparatoires constituent déjà des contrats, puisqu’il y a un accord de volontés. Bien qu’ils n’aient pas été explicitement prévus par le Code civil de 1804, ils jouent un rôle crucial, notamment pour les contrats complexes ou d’une grande valeur. La réforme de 2016 a remédié à ce silence en introduisant des dispositions spécifiques aux avant-contrats, notamment dans la section relative à la conclusion du contrat.

Les principaux types d’avant-contrats sont :

  • Le pacte de préférence
  • Les promesses, qu’elles soient unilatérales ou synallagmatique

 

A)         Pacte de préférence

Le pacte de préférence, selon l’article 1123 du Code civil, est un contrat par lequel une partie, appelée le promettant, s’engage à proposer prioritairement à une autre personne, appelée le bénéficiaire, de traiter avec elle en cas de décision de conclure un contrat. Ce mécanisme offre au bénéficiaire une priorité sans obligation immédiate de conclure le contrat envisagé.

Ce pacte est couramment utilisé dans plusieurs domaines, notamment les ventes immobilières ou les cessions de parts sociales. Par exemple, un propriétaire peut conclure un pacte de préférence avec un ami, lui garantissant une priorité pour l’achat de sa maison si un jour il décide de la vendre. Dans les sociétés, il est fréquent qu’un associé doive proposer ses parts à ses coassociés avant de les céder à un tiers.

Nature juridique et obligations du promettant :

Le pacte de préférence est un contrat unilatéral, car il ne fait naître des obligations qu’à la charge du promettant. Celui-ci doit :

  • Proposer en priorité le contrat au bénéficiaire s’il décide de le conclure.
  • Ne pas conclure le contrat avec une autre personne avant d’avoir offert cette possibilité au bénéficiaire. Cela inclut également une interdiction de violer des priorités légales, comme le droit de préemption dans certains baux.

Le bénéficiaire, quant à lui, n’a aucune obligation active mais détient un droit de créance contre le promettant. Il ne possède aucun droit réel sur le bien ou l’objet du pacte avant que le contrat définitif soit formé.

Caractéristiques du pacte :

Le pacte de préférence ne requiert pas que des éléments comme le prix du contrat ou la durée de la priorité soient fixés. Ces éléments peuvent ne pas être précisés afin de laisser une certaine liberté au promettant. Cependant, bien que ces points soient souvent sources de litiges, la réforme de 2016 n’a pas abordé directement ces questions.

Violation du pacte et sanctions :

La violation typique du pacte survient lorsqu’un promettant conclut le contrat avec un tiers sans offrir la priorité au bénéficiaire. L’article 1123, alinéa 2, précise les sanctions en cas de non-respect du pacte.

Avant 2006, la Cour de cassation refusait d’annuler un contrat conclu avec un tiers et ne reconnaissait que la responsabilité civile du promettant, punie par des dommages et intérêts. Toutefois, si le tiers avait acquis le bien en ayant connaissance du pacte, il pouvait également être tenu responsable pour avoir agi de mauvaise foi. Il n’était toutefois pas possible pour le bénéficiaire d’exiger la conclusion forcée du contrat.

Un revirement de jurisprudence est survenu en 2006, avec un arrêt de la chambre mixte de la Cour de cassation. Désormais, le bénéficiaire pouvait obtenir l’annulation du contrat conclu avec un tiers et se faire substituer à celui-ci, mais sous deux conditions :

  • Le bénéficiaire devait prouver que le tiers connaissait l’existence du pacte.
  • Il devait également prouver que le tiers savait que le bénéficiaire avait l’intention de se prévaloir du pacte.

Ces conditions sont difficiles à établir, car le pacte de préférence n’est pas publié et il est donc souvent difficile de prouver que le tiers en avait connaissance.

Action interrogatoire :

La réforme de 2016 a introduit une innovation majeure avec l’action interrogatoire (alinéas 3 et 4 de l’article 1123). Ce mécanisme permet au tiers, qui envisage de conclure un contrat avec le promettant, de demander au bénéficiaire s’il souhaite faire valoir ses droits. Cette demande doit être faite par écrit et fixer un délai raisonnable pour que le bénéficiaire réponde.

  • Si le bénéficiaire ne répond pas dans le délai imparti, il perd son droit de solliciter l’annulation du contrat ou de se faire substituer au tiers.
  • Si le bénéficiaire confirme son intention de se prévaloir du pacte, le tiers est informé et peut agir en conséquence.

L’action interrogatoire renforce ainsi la sécurité juridique pour les tiers en leur permettant de lever tout doute avant de s’engager dans un contrat.

Application de l’action interrogatoire :

Cette action s’applique immédiatement, y compris pour les pactes de préférence conclus avant le 1er octobre 2016. Cependant, si une procédure judiciaire est déjà en cours concernant le pacte, l’action interrogatoire ne peut plus être utilisée.

Synthèse :

  • Le pacte de préférence donne une priorité au bénéficiaire, mais n’impose aucune obligation à ce dernier. En revanche, le promettant doit respecter cette priorité sous peine de sanctions.
  • En cas de violation, le bénéficiaire peut obtenir l’annulation du contrat avec un tiers et se faire substituer, à condition de prouver la mauvaise foi du tiers.
  • La réforme de 2016 a introduit l’action interrogatoire, qui permet aux tiers de demander une clarification sur l’existence et l’application du pacte, renforçant ainsi la sécurité contractuelle.

 

B)    Les promesses

La promesse unilatérale est définie à l’article 1124 du Code civil. Il s’agit d’un contrat dans lequel le promettant accorde au bénéficiaire un droit d’opter pour la conclusion d’un contrat, dont les éléments essentiels sont déjà déterminés (comme la vente d’un bien immobilier, par exemple). La promesse unilatérale implique que seul le consentement du bénéficiaire manque pour que le contrat définitif soit formé. Contrairement au pacte de préférence, dans la promesse unilatérale, le promettant a déjà décidé de conclure le contrat, mais le bénéficiaire conserve une certaine liberté d’accepter ou non l’offre.

Obligations du promettant :

  • Ne pas vendre le bien à un tiers pendant la durée de la promesse
  • Ne pas altérer ou endommager le bien
  • Ne pas louer le bien à des tiers

Le bénéficiaire, pour sa part, n’a aucune obligation d’accepter le contrat. Il a un droit d’option, qu’il peut exercer ou non. En pratique, le bénéficiaire verse souvent une somme d’argent, appelée indemnité d’immobilisation, pour réserver le bien. Cette somme représente généralement 10 % du prix envisagé, mais elle peut être plus élevée. Cependant, même en cas de versement d’une indemnité, la promesse unilatérale ne se transforme pas en promesse synallagmatique, car le bénéficiaire n’a pas l’obligation d’acquérir.

La jurisprudence a varié sur la question des indemnités d’immobilisation très élevées, notamment dans l’arrêt du 1er décembre 2010, où la Cour de cassation a maintenu la liberté d’acquérir, même pour des montants élevés. Toutefois, dans un arrêt du 26 septembre 2012, la Cour a admis qu’un montant trop élevé pouvait ôter la liberté d’option, transformant ainsi la promesse en un engagement synallagmatique.

Rétractation du promettant :

Une problématique récurrente dans la promesse unilatérale concerne la rétractation du promettant. Selon la jurisprudence CRUZ (arrêt du 15 décembre 1993), si le promettant se rétractait avant que le bénéficiaire n’ait levé l’option, seule une responsabilité civile avec dommages et intérêts était admise. La Cour de cassation considérait que la rétractation empêchait la rencontre des volontés, empêchant ainsi la conclusion forcée du contrat. Cette jurisprudence a été très critiquée, car elle semblait affaiblir la force obligatoire de la promesse unilatérale, limitant la sanction à des réparations financières.

Pour remédier à cette situation, la réforme de 2016 a adopté une nouvelle approche en introduisant l’article 1124, alinéa 2, qui brise la jurisprudence CRUZ. Désormais, si le promettant se rétracte avant la levée de l’option, le bénéficiaire peut exiger l’exécution forcée du contrat. L’alinéa 3 de cet article prévoit également la nullité d’un contrat conclu avec un tiers en violation de la promesse, si ce tiers avait connaissance de l’existence de la promesse.

La promesse synallagmatique

Bien que la promesse synallagmatique ne soit pas spécifiquement régie par l’Ordonnance de 2016, elle reste très répandue, notamment en matière de vente immobilière, où elle est souvent appelée compromis de vente. L’article 1589 du Code civil dispose que la promesse synallagmatique vaut vente dès lors qu’il y a consentement réciproque sur la chose et le prix.

Dans une promesse synallagmatique, les deux parties sont déjà engagées : le vendeur s’engage à vendre et l’acheteur à acheter, sous réserve de certaines conditions suspensives, dont la principale est généralement l’obtention d’un financement. Si l’acquéreur obtient son prêt, la vente est conclue. En revanche, si le financement échoue, la condition suspensive fait défaut et la vente ne se réalise pas.

Bien que non réglementée par la réforme, la promesse synallagmatique soulève des problématiques en cas de défaillance d’une des parties. Par exemple, si l’une des parties refuse de se présenter chez le notaire pour conclure la vente, le sort du contrat peut devenir incertain. Cette situation, bien que fréquente, n’a pas encore été suffisamment clarifiée par le législateur.

 

III)    La forme de l’accord de volontés

La forme de l’accord de volontés repose sur deux notions essentielles dans le droit des contrats : le consensualisme et le formalisme. Ces concepts définissent la manière dont les parties expriment leur accord et les conditions nécessaires pour que cet accord ait une valeur juridique.

Si le consensualisme garantit la liberté de contracter, le formalisme vient parfois encadrer cette liberté pour assurer une plus grande sécurité juridique, tant entre les parties qu’à l’égard des tiers et des pouvoirs publics.

A)    Consensualisme

Le consensualisme renvoie à l’idée que la formation d’un contrat repose uniquement sur le consentement des parties, sans qu’une forme particulière ne soit exigée pour la validité de cet accord. Autrement dit, le contrat est valable par le seul échange des volontés. Cette liberté d’extériorisation de la volonté est consacrée par le principe du solo consensu : la volonté seule suffit à engager les parties.

Lorsque l’on parle de consensualisme, cela signifie qu’il n’y a pas de formalité obligatoire pour conclure un contrat, sauf si la loi en dispose autrement. Ainsi, les parties peuvent choisir une forme particulière pour l’accord (écrite ou orale), mais cette formalité n’est pas imposée pour la validité du contrat. Cela ne signifie pas qu’il n’y a jamais de forme, mais plutôt que la forme est librement choisie par les parties, sauf exceptions légales.

Le consensualisme est affirmé dans deux dispositions importantes :

  • Article 1102 : Il consacre la liberté contractuelle, y compris le choix de la forme du contrat. Les parties sont donc libres de décider comment elles expriment leur consentement.

  • Article 1172 alinéa 1er : Il dispose que les contrats sont en principe consensuels, confirmant que la forme n’est pas une condition de validité des contrats, sauf exceptions.

 

 

B)    Formalisme

Le formalisme désigne les cas où la loi impose des conditions de forme à respecter pour qu’un contrat soit valide ou opposable. Le formalisme peut prendre plusieurs formes selon les objectifs visés.

1. Formalisme au sens strict :

Le formalisme strict s’applique lorsque la loi impose une forme particulière pour la validité même du contrat (ad validitatem). Deux catégories de contrats sont particulièrement concernées :

  • Les contrats solennels : Ce sont des contrats dont la validité dépend du respect d’une forme écrite spécifique. Par exemple, certains contrats doivent être sous seing privé ou authentifiés par un notaire. Parfois, la loi impose même des mentions manuscrites pour renforcer la volonté des parties. Exemples : les contrats de mariage ou les donations.

  • Les contrats réels : Ici, la formation du contrat est conditionnée à la remise d’une chose. Le contrat n’est formé qu’à partir du moment où l’objet est effectivement remis entre les mains de l’une des parties. Un exemple typique est le prêt à usage ou le dépôt, où la remise matérielle de l’objet est nécessaire pour que le contrat soit parfait.

2. Formalisme au sens large :

Le formalisme, dans un sens plus large, touche à l’efficacité du contrat, notamment en matière de preuve et d’opposabilité. Il n’affecte pas la validité du contrat mais peut limiter ses effets, en particulier lorsqu’il s’agit de faire reconnaître ce contrat en justice.

  • Formalisme probatoire : Si le contrat n’est pas prouvé conformément aux règles de preuve (écrit, témoignages, etc.), il peut être difficile de le faire valoir en justice. Même si le contrat est valide, l’absence de preuve empêche d’en tirer des conséquences juridiques.

  • Formalisme d’opposabilité aux tiers : Un contrat portant sur un bien immobilier doit être soumis à des formalités de publicité (par exemple, l’enregistrement à la publicité foncière) pour qu’il soit opposable aux tiers. Si ces formalités ne sont pas respectées, le contrat reste valable entre les parties, mais il ne pourra pas être invoqué à l’encontre de tiers.

  • Formalisme fiscal : Certains actes doivent être portés à la connaissance du trésor public. L’enregistrement est une formalité fiscale destinée à prévenir les fraudes, en particulier dans des actes à incidence fiscale importante. Cet enregistrement donne lieu au paiement de taxes, souvent proportionnelles à l’importance de l’acte (par exemple, 125 euros ou davantage selon la valeur de l’opération).

Rôle protecteur du formalisme :

Le formalisme, qu’il soit strict ou large, vise souvent à protéger le consentement des parties. En imposant des formes particulières, la loi cherche à s’assurer que les parties sont pleinement conscientes de leurs engagements et à éviter les situations de fraude ou de précipitation. Dans certains cas, comme les contrats de consommation, le formalisme permet de protéger la partie la plus vulnérable.

 

TITRE 2 : La validité du contrat 

CHAPITRE 1 : Les conditions de validité du contrat 

 

Les conditions de validité des contrats ont évolué avec la réforme de 2016. Alors que l’ancien article 1108 du Code civil définissait quatre critères de validité (le consentement, la capacité, l’objet déterminé et licite, ainsi que la cause licite), l’article 1128 les a reformulés. Les nouvelles conditions exigent le consentement des parties, la capacité de contracter, et un contenu licite et certain, ce dernier englobant les concepts d’objet et de cause issus de l’ancien article.

 

I)       Le consentement

Le consentement est un élément fondamental dans la formation des contrats. Traditionnellement, le Code civil protégeait la volonté des parties a posteriori, c’est-à-dire après la conclusion du contrat. Si une partie invoquait un défaut de consentement, le contrat pouvait être annulé. Cependant, avec l’évolution du droit, en particulier en matière de droit de la consommation, des protections a priori ont été introduites, visant à protéger le consentement avant même la conclusion du contrat. Ces protections sont soit préventives, avant la formation du contrat, soit curatives, lorsque des irrégularités surviennent après la conclusion.

 

A)   Protections préventives du consentement 

Les protections préventives concernent principalement la période précontractuelle, c’est-à-dire les discussions et échanges avant la conclusion définitive du contrat. Ces protections visent à éviter les vices de consentement en renforçant l’information et la transparence.

L’article 1112-1 du Code civil consacre un devoir d’information précontractuelle. Cette obligation impose à une partie de délivrer toutes les informations pertinentes à l’autre partie avant la conclusion du contrat, pour garantir un consentement éclairé.

Le formalisme peut également jouer un rôle dans la protection du consentement. Certains contrats, pour être valides, doivent respecter des formes particulières, comme l’intervention d’un notaire. Dans ce cadre, le notaire joue un rôle essentiel d’informateur et de conseiller pour les deux parties. Il s’assure que chaque partie est bien informée et comprend les implications de l’engagement. Les actes nécessitant un formalisme notarié concernent notamment des contrats importants, tels que le mariage, les donations, et les contrats d’hypothèque. Ce formalisme est un moyen de garantir que le consentement est donné en toute conscience des conséquences.

Les délais de réflexion constituent une autre protection importante. Avant la réforme de 2016, ces délais étaient souvent fixés dans des textes spéciaux, notamment en matière de consommation. La réforme a introduit l’article 1122 du Code civil, qui formalise ces délais de réflexion dans la législation générale : « La loi ou le contrat peuvent prévoir un délai de réflexion qui est le délai avant l’expiration duquel le destinataire de l’offre ne peut manifester son acceptation. » Ces délais permettent à une partie de réfléchir avant de donner son consentement. Par exemple, dans un crédit immobilier, un consommateur dispose de 8 jours pour accepter ou refuser une offre de prêt.

De plus, l’article 1122 prévoit également des délais de rétractation, qui permettent à une partie de revenir sur son consentement après la conclusion du contrat. La rétractation peut être prévue soit par la loi, soit par une clause du contrat. En cas de rétractation légale, elle est discrétionnaire (sans avoir à fournir de justification) et gratuite. Par exemple, dans le cadre d’un crédit à la consommation ou d’un contrat de vente à distance, le consommateur bénéficie d’un délai de rétractation de 14 jours. Pour les promesses de vente immobilières, un délai de 10 jours est accordé à l’acquéreur non-professionnel, conformément à l’article L.271-11 du Code de la construction et de l’habitation.

Le dédit est une clause contractuelle qui permet à une partie de retirer son consentement sous certaines conditions (durée, motivation, indemnité). Contrairement à la rétractation légale, le dédit peut nécessiter le paiement d’une indemnité à l’autre partie.

Ces protections visent à garantir que le consentement soit donné de manière éclairée et réfléchie, et que les parties puissent revenir sur leur décision dans un délai raisonnable sans subir de pression.

 

B)  Absence du consentement

Pour qu’un contrat soit valide, il doit refléter la volonté libre et éclairée des parties. Si l’une des parties n’a pas donné son consentement, le contrat ne peut être maintenu. Cette absence de consentement peut découler d’une insanité d’esprit, c’est-à-dire d’une incapacité à comprendre ou à appréhender pleinement la nature et les conséquences de l’acte juridique.

L’insanité d’esprit est régie par trois textes du Code civil, qui encadrent la nullité d’un contrat pour cette cause :

  • Article 414-1 : Il précise que les majeurs protégés doivent être sains d’esprit pour effectuer des actes juridiques, sinon l’acte est nul.
  • Article 901 : Cet article concerne les libéralités (actes à titre gratuit) et impose également que celui qui effectue une libéralité soit sain d’esprit.
  • Article 1129 : De manière générale, il exige que toute personne soit saine d’esprit pour consentir valablement à un contrat.

Bien que ces textes n’apportent pas de définition précise de l’insanité d’esprit, la jurisprudence reconnaît plusieurs sources possibles de cette absence de lucidité : maladies mentales, états de faiblesse ou sénilité, abus de substances, etc. Il est important que cette insanité existe au moment de la conclusion du contrat, et elle peut être temporaire ou durable.

Pour prouver l’insanité d’esprit lors de la signature de l’acte, la charge de la preuve incombe à la personne qui invoque cette cause de nullité. Elle peut être établie par tout moyen (témoignages, expertises médicales, etc.). Cependant, cette preuve peut être particulièrement difficile à rapporter après coup.

L’article 464 du Code civil vient faciliter cette preuve dans certains cas. Il prévoit que si un acte a été conclu dans les deux ans précédant l’ouverture d’une tutelle ou d’une curatelle, l’insanité d’esprit est présumée. Autrement dit, il n’est pas nécessaire de démontrer que la personne était atteinte d’un trouble mental au moment de la signature de l’acte, il suffit de prouver que ce trouble était notoire et connu du cocontractant. Il revient alors au juge d’apprécier cette situation et de décider de la nullité du contrat pour insanité d’esprit.

 

 

C)    Les vices du consentement 

1) présentation

Pour qu’un acte juridique soit valide, le consentement des parties doit être libre et éclairé. Avant la réforme, l’article 1109 ancien du Code civil prévoyait déjà cette exigence en identifiant trois vices de consentement :

  • Erreur
  • Violence
  • Dol

Ces trois vices ont été repris par la réforme de 2016 dans un ordre légèrement modifié : erreur, dol, et violence, reflétant une échelle croissante d’atteinte à la volonté libre des contractants. L’erreur est un vice dans lequel une partie se trompe par elle-même, sans intervention extérieure. Le dol, quant à lui, est une erreur provoquée, souvent par le cocontractant ou une personne liée à lui. Enfin, la violence, qu’elle soit physique ou morale, correspond à une contrainte exercée pour extorquer un consentement par la peur d’une menace affectant le contractant, ses proches, ou ses biens.

Ces trois vices sont désormais régis par l’article 1130 du Code civil. La réforme n’a pas changé le fondement juridique de ces vices mais en a précisé la présentation et la structure. Les vices du consentement entraînent la nullité d’un contrat lorsqu’ils ont un caractère déterminant, c’est-à-dire que le contrat n’aurait pas été conclu sans ce vice, ou que les conditions de conclusion auraient été substantiellement différentes.

Caractère déterminant des vices

Le caractère déterminant du vice est la clé pour obtenir la nullité du contrat. Selon l’article 1130, ce caractère est apprécié en fonction des personnes concernées et des circonstances de la conclusion du contrat, combinant ainsi une approche in concreto et in abstracto. Le juge examine le contexte spécifique dans lequel la personne a donné son consentement, sans se référer à la « personne raisonnable » de manière abstraite.

Distinction entre vice principal et vice incident

La jurisprudence a longtemps fait une distinction entre :

  • Vice principal : Le contrat n’aurait jamais été conclu sans ce vice.
  • Vice incident : Le contrat aurait tout de même été conclu, mais à des conditions différentes.

Traditionnellement, la Cour de cassation refusait la nullité dans le cas d’un vice incident, accordant seulement des dommages et intérêts pour compenser l’influence du vice sur les termes du contrat. Cependant, depuis un arrêt du 22 juin 2005, la Cour de cassation admet que le contrat puisse être annulé même si le consentement aurait existé mais à des conditions substantiellement différentes. Cette jurisprudence est désormais consolidée par la réforme.

Nullité relative

L’article 1131 précise que les vices du consentement sont une cause de nullité relative. Cela signifie que seule la partie victime du vice peut invoquer cette nullité, dans le but de protéger les parties les plus vulnérables dans un contrat.

 

2) L’erreur

L’erreur, définie en droit comme une fausse croyance, consiste à prendre pour vrai ce qui est faux, ou l’inverse. Elle est spontanée, non provoquée par le cocontractant. Le consentement donné sous l’effet d’une erreur peut entraîner la nullité du contrat, à condition que certaines conditions soient remplies. L’article 1132 à 1136 du Code civil encadre cette notion, en se concentrant sur les types d’erreurs susceptibles d’entraîner la nullité, ainsi que leur caractère excusable.

Conditions pour la nullité fondée sur l’erreur

L’objectif du droit est double :

  • Protéger le consentement éclairé, en annulant les contrats entachés d’erreur déterminante.
  • Protéger le cocontractant, qui n’a pas provoqué cette erreur, en évitant des annulations trop faciles.

Pour obtenir la nullité du contrat, il faut d’abord que l’erreur porte sur un objet pertinent (comme une qualité essentielle) et qu’elle soit excusable.

Objet de l’erreur

Certaines erreurs sont reconnues comme cause de nullité, tandis que d’autres sont considérées comme indifférentes et ne permettent pas d’annuler le contrat.

  1. Erreur obstacle : cette erreur, qui concerne une malentendu fondamental, n’est pas mentionnée explicitement dans la réforme mais reste une cause classique de nullité. Il s’agit d’une divergence fondamentale entre les parties sur la nature de l’acte ou l’objet du contrat, empêchant une véritable rencontre des volontés. Par exemple, une différence majeure sur la surface d’un bien vendu (arrêt de 2008, avec un appartement annoncé à 213 m² mais mesuré à 60 m²) constitue une erreur obstacle.

  2. Erreur de droit ou de fait : l’article 1132 précise que l’erreur, qu’elle soit de droit (mauvaise compréhension d’une règle légale) ou de fait, peut entraîner la nullité. Par exemple, une erreur de droit survient lorsqu’un propriétaire croit à tort être obligé d’offrir à son locataire la priorité pour l’achat d’un bien.

  3. Erreur sur les qualités essentielles : l’article 1133 se fonde sur la conception subjective de l’erreur, confirmée par la jurisprudence (affaire Poussin, arrêt du 13 décembre 1983). L’erreur doit porter sur une qualité essentielle, définie in concreto en fonction des attentes de la partie concernée. Si cette qualité était déterminante pour une partie mais non pour l’autre, la nullité n’est pas recevable. La célèbre affaire Fragonard (arrêt du 24 mars 1987) illustre cela : un tableau attribué à Fragonard mais vendu avec un doute sur son authenticité ne peut donner lieu à une erreur si les parties ont accepté cet aléa. L’adage « l’aléa chasse l’erreur » s’applique ici.

  4. Erreur sur les qualités du cocontractant : l’article 1134 dispose que cette erreur n’est une cause de nullité que pour les contrats conclus intuitu personae, c’est-à-dire ceux où la personne du cocontractant est essentielle. Cela concerne par exemple les contrats de mandat ou de travail. Si une partie se trompe sur une qualité importante de l’autre, la nullité peut être prononcée, sauf si cette erreur est discriminatoire (articles 225-2 et 225-3).

Erreurs indifférentes

Certaines erreurs n’entraînent pas la nullité d’un contrat :

  1. Erreur sur les motifs (article 1135) : les motifs personnels du contractant, s’ils ne concernent pas directement l’objet du contrat, ne peuvent justifier une annulation. Cependant, si ces motifs ont été explicitement intégrés au contrat, leur erreur peut conduire à la nullité.

  2. Erreur sur la valeur (article 1136) : la valeur d’une prestation n’est pas un motif d’annulation, sauf si cette erreur découle d’une erreur sur une qualité essentielle. La lésion, ou déséquilibre entre la valeur de la prestation et le prix, n’est pas cause de nullité en droit français (article 1168).

Caractère excusable de l’erreur

L’article 1132 précise que l’erreur ne doit entraîner la nullité que si elle est excusable, c’est-à-dire que la partie qui l’invoque ne pouvait l’éviter avec une diligence raisonnable. Si l’erreur est facilement identifiable, notamment dans les contrats intuitu personae, comme dans l’arrêt de la Cour de cassation du 3 juillet 1990, la nullité ne sera pas accordée. Les juges apprécient cette condition in concreto, c’est-à-dire en fonction des circonstances précises et des capacités des parties. Les professionnels, en particulier, doivent être plus prudents et leur erreur est souvent qualifiée d’inexcusable pour protéger les parties plus faibles dans les contrats.

3) le dol

Le dol (articles 1137 à 1139 du Code civil) désigne une erreur provoquée par le cocontractant ou une personne qui lui est liée. Contrairement à l’erreur simple, le dol se caractérise par un comportement délibérément malhonnête, visant à obtenir le consentement de l’autre partie par des manœuvres, des mensonges ou la dissimulation d’informations essentielles, appelée réticence dolosive.

Les éléments constitutifs du dol :

  • Élément matériel : Le dol peut prendre trois formes :

    • Manœuvres : Actes frauduleux visant à tromper l’autre partie, comme le trafiquage d’un compteur kilométrique dans la vente d’un véhicule. Les manœuvres peuvent être passibles de sanctions civiles et pénales, en particulier lorsqu’elles relèvent de l’escroquerie.
    • Mensonges : Affirmations fausses concernant des caractéristiques déterminantes d’un bien ou d’une prestation. Dans le commerce, où les professionnels vantent souvent leurs produits, les juges doivent apprécier in concreto (cas par cas) si le mensonge constitue un dol.
    • Réticence dolosive : Consiste à taire volontairement une information cruciale. Avant, elle n’était une cause de nullité que si la loi imposait une obligation d’informer. Désormais, même en l’absence d’une obligation légale, le silence sur un élément déterminant peut suffire à invalider un contrat, comme l’a établi un arrêt de la Cour de cassation du 16 mars 2011.
  • Élément intentionnel : L’intention de tromper est au cœur du dol. Si les manœuvres ou mensonges montrent directement cette intention, la réticence dolosive nécessite une preuve supplémentaire de l’intention de dissimuler. L’imprudence ou la négligence ne suffisent pas pour établir un dol, mais elles peuvent être sanctionnées par des manquements à des obligations d’information précontractuelles.

L’article 1138 précise que le dol peut émaner non seulement du cocontractant, mais aussi de son représentant, préposé ou porte-fort. Le dol peut également être constitué si un tiers agit en connivence avec le cocontractant.

Les effets du dol :

Lorsque les conditions du dol sont réunies, ses conséquences sont plus sévères que celles d’une simple erreur. Le dol permet l’annulation du contrat, y compris lorsque l’erreur provoquée porte sur des éléments secondaires, comme la valeur du bien ou un motif du contrat (article 1139). Le dol élargit ainsi le champ des erreurs qui peuvent entraîner l’annulation. Contrairement à l’erreur simple, une erreur causée par un dol est toujours excusable, même si elle aurait pu être évitée.

Outre l’annulation du contrat, la victime du dol peut également demander des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi. La responsabilité de l’auteur du dol est de nature extracontractuelle, c’est-à-dire qu’elle dépasse le cadre des simples obligations contractuelles, et se traduit par une condamnation à réparer le préjudice causé. Cette indemnisation peut s’ajouter à la nullité du contrat ou la remplacer si la victime préfère conserver le contrat et obtenir réparation.

Cette rigueur est également appliquée dans les cas de violence, autre vice du consentement, où la crainte inspirée à la victime peut également entraîner l’annulation du contrat et des sanctions complémentaires.

4) la violence

La violence comme vice du consentement est définie aux articles 1140 à 1143 du Code civil. Elle se caractérise par une contrainte qui pousse une personne à conclure un contrat sous la crainte de subir un mal important, qu’il soit physique, moral ou financier. La réforme de 2016 a élargi la définition de la violence par rapport à l’ancien article 1113, en incluant une gamme plus large de proches pouvant être concernés par cette contrainte.

Les deux éléments caractéristiques de la violence :

  • La contrainte : Elle peut se manifester sous différentes formes. Il peut s’agir de contraintes physiques telles que des sévices, une séquestration ou un harcèlement. La contrainte peut également être morale, prenant la forme de chantage, de diffamation ou d’une pression morale. C’est cette contrainte qui provoque la crainte de subir un dommage, conduisant à la signature du contrat.

  • La crainte : La peur peut concerner plusieurs aspects :

    • Pécuniaire : Crainte de subir des pertes financières.
    • Corporelle ou morale : Crainte de dommages physiques ou psychologiques pour soi-même ou pour ses proches. L’article 1140 élargit la portée des proches concernés par cette crainte.

L’article 1141 précise que la menace d’exercer une voie de droit (ex. une action en justice) n’est pas en principe considérée comme une violence, sauf si cette menace est détournée de son objectif légitime ou est utilisée pour obtenir un avantage manifestement excessif. Dans ce cas, la voie de droit elle-même devient un outil de contrainte et peut entraîner la nullité du contrat.

Concernant la violence révérencielle (liée à la crainte d’un ascendant), l’ancien article 1114 ne la reconnaissait pas comme cause de nullité. Toutefois, la jurisprudence avait admis dans certaines circonstances que cette crainte puisse être une forme de violence. Bien que la réforme ne mentionne plus explicitement cette situation, la crainte reste un élément central à apprécier in concreto pour évaluer si le vice du consentement est établi.

Origine de la violence : La violence peut provenir du cocontractant, d’un tiers ou des circonstances. Dans ce dernier cas, l’état de nécessité peut constituer une forme de contrainte. L’article 1143 introduit une innovation majeure en reconnaissant comme violence la situation où une personne abuse de l’état de dépendance d’une autre pour obtenir un avantage manifestement excessif. Cette dépendance peut être psychologique, morale ou économique, comme l’a établi la jurisprudence avec l’arrêt Kanas (Civ. 1re, 3 avril  2002), qui a pour la première fois reconnu l’abus de dépendance économique comme une forme de violence.

L’article 1143 ne se limite pas à la dépendance économique et peut s’appliquer à d’autres formes de dépendance, à condition que les trois conditions suivantes soient cumulativement remplies :

  • Existence d’un état de dépendance.
  • Abus de cet état de dépendance par le cocontractant.
  • Résultat d’un désavantage manifestement excessif pour la victime.

Bien que la Cour de cassation ait reconnu la violence économique, les cas d’annulation de contrats sur ce fondement restent rares, car il est difficile de réunir toutes les conditions. Lorsque des textes spéciaux régissent déjà ces situations, comme l’indique l’article 1105, ces règles spéciales prévaudront sur l’application générale de l’article 1143.

Comme pour le dol, la victime de violence peut demander non seulement la nullité du contrat, mais aussi des dommages et intérêts pour réparer le préjudice subi. Si la violence constitue à la fois un délit civil et un délit pénal, des sanctions pénales peuvent également être prononcées.

 

II)   La capacité et la représentation

 

L’article 1128 du Code civil énonce les conditions de validité d’un contrat, parmi lesquelles figure la capacité de contracter. En plus de la capacité (A), la notion de représentation (B) est importante dans de nombreux cas où une personne ne peut pas agir pour son propre compte et doit être représentée par autrui. Elle permet à des personnes incapables ou indisponibles d’être représentées pour agir dans leur intérêt, tout en posant des règles strictes pour éviter les abus ou conflits d’intérêts.

A)La capacité

La capacité juridique est l’aptitude d’une personne à être titulaire de droits et à les exercer sans l’aide ou l’autorisation d’un tiers. L’incapacité, à l’inverse, est la situation dans laquelle une personne est privée de certains droits ou ne peut pas les exercer seule. Il existe deux formes de capacité ou d’incapacité :

  • Capacité ou incapacité de jouissance : la faculté d’être titulaire d’un droit.
  • Capacité ou incapacité d’exercice : la capacité d’exercer soi-même les droits dont on est titulaire.

Incapacité de jouissance
Certaines personnes sont privées de la capacité de jouissance pour des raisons spécifiques prévues par la loi, souvent pour protéger les plus faibles. Par exemple :

  • Article 907 : Un mineur, même âgé de 16 ans, ne peut disposer de ses biens par testament au profit de son tuteur pour éviter les abus de faiblesse psychologique.
  • Article 909 : Les professionnels de santé qui soignent un patient pendant sa maladie ne peuvent recevoir de donations ou de testaments de celui-ci.
  • Article L1116-4 du Code de l’action sociale et des familles : Les établissements hébergeant des personnes âgées et leurs employés ne peuvent recevoir de dons de ces personnes pour éviter des risques de captation d’héritage.

Incapacité d’exercice
Cette incapacité concerne la possibilité ou non de mettre en œuvre ses droits. La loi prévoit que certaines personnes, comme les mineurs et les majeurs protégés (Article 1146), sont dans l’incapacité d’exercer certains droits, notamment en matière contractuelle. Les majeurs protégés sont ceux dont les facultés mentales ou physiques sont altérées, nécessitant une protection judiciaire (sauvegarde de justice, curatelle, tutelle, habilitation familiale) ou conventionnelle (mandat de protection future).

Le régime contractuel

Article 1147 prévoit que l’incapacité de contracter est une cause de nullité relative, c’est-à-dire que la nullité ne peut être demandée que par la personne protégée ou son représentant. Cependant, l’article 1148 précise que même les incapables peuvent contracter des actes courants, à condition qu’ils soient faits dans des conditions normales. Le critère de « conditions normales » est lié au prix et aux circonstances du contrat.

Article 1149 permet l’annulation d’un contrat pour lésion (déséquilibre significatif entre les prestations) dans le cas des mineurs, même pour des actes courants. Une simple déclaration de majorité par un mineur ne fait pas obstacle à la nullité de l’acte.

Exceptions à l’incapacité

Certaines situations permettent de contourner l’incapacité :

  • Contrat de travail : Les mineurs ne peuvent se soustraire à leurs engagements dans l’exercice de leur profession (Article 1149 alinéa 3).
  • Article 1151 permet au cocontractant d’éviter la nullité en prouvant :
    • Que l’acte était utile et non lésionnaire pour la personne protégée.
    • Que l’acte a été confirmé par la personne protégée une fois redevenue capable.

L’article 1152 fixe un délai de 5 ans pour l’action en nullité à compter de la majorité ou de la fin de la protection. Les restitutions liées à l’annulation d’un contrat pour incapacité sont réduites en proportion des profits que le mineur ou le majeur protégé a tirés de l’acte (Article 1352-4).

Enfin, les personnes morales disposent d’une capacité juridique, mais cette capacité est limitée aux actes nécessaires pour réaliser leur objet, conformément à leurs statuts (principe de spécialité, Article 1145 alinéa 2).


B)      La représentation

La représentation se définit comme le pouvoir donné à une personne (le représentant) d’agir au nom et pour le compte d’une autre (le représenté), dans l’exercice de certains droits. Elle intervient lorsque le représenté est dans l’incapacité d’agir seul, ou pour des raisons pratiques, comme l’éloignement géographique ou l’indisponibilité. La représentation est aussi indispensable pour les personnes morales, car elles ne peuvent agir que par l’intermédiaire de personnes physiques, telles que les directeurs ou présidents.

Distinction entre représentation parfaite et représentation imparfaite

  • Représentation parfaite :
    Dans ce type de représentation, le représentant agit au nom et pour le compte du représenté. Le représentant conclut des contrats ou prend des décisions au nom du représenté, et c’est ce dernier qui est directement lié par les actes accomplis. Cette forme de représentation concerne des situations variées :

    • Les mineurs, qui sont représentés par leurs parents ou tuteurs.
    • Les majeurs sous tutelle, incapables d’agir seuls.
    • Les personnes morales, comme les entreprises, qui doivent être représentées par des dirigeants ou administrateurs.

    La représentation parfaite peut être de plusieurs natures :

    • Légale : imposée par la loi (par exemple, la représentation des mineurs par leurs parents).
    • Conventionnelle : résulte d’un accord entre les parties, comme dans le cadre d’un mandat (Articles 1984 et suivants du Code civil).
    • Judiciaire : nécessite l’intervention d’un juge, comme pour la mise en place d’une habilitation familiale ou d’une tutelle.

    En cas de représentation parfaite, c’est le représenté qui est engagé dans les actes conclus par le représentant, comme le stipule l’article 1154 du Code civil.

  • Représentation imparfaite :
    Ici, le représentant agit pour le compte du représenté, mais en son propre nom, sans révéler qu’il n’est qu’un intermédiaire. Le représentant semble être personnellement engagé aux yeux des tiers, et c’est lui qui contracte avec le cocontractant. Dans ce cas, le représentant engage initialement sa propre responsabilité, et non celle du représenté, bien que ce dernier bénéficie des actes accomplis en son nom.

    Cette distinction entre représentation parfaite et imparfaite n’est pas explicitement mentionnée dans le Code civil, mais les articles 1153 à 1161 régissent les différentes formes de représentation. Par exemple, l’article 1154 précise que dans la représentation imparfaite, le représentant engage sa responsabilité, tandis que dans la représentation parfaite, seul le représenté est lié par les actes.

Représentation et conflit d’intérêts

L’article 1161 traite de la situation où le représentant agit dans un contexte de conflit d’intérêts. Si le représentant se trouve en situation de conflit avec les intérêts du représenté, le contrat conclu peut être annulé, sauf si une loi spécifique ou une autorisation expresse permet cet acte.

 

III)     Le contenu du contrat

Jusqu’au 30 septembre 2016, l’ancien article 1108 du Code civil énonçait que pour qu’un contrat soit valide, il devait remplir quatre conditions : consentement, capacité de contracter, un objet certain et une cause licite. La réforme du Code civil, entrée en vigueur le 1er octobre 2016, a remplacé ces notions par l’article 1128, qui énonce les conditions de validité du contrat de manière plus simple et accessible : consentement, capacité, et contenu licite et certain. Les notions d’objet et de cause, autrefois centrales, ont disparu de la lettre du texte.

La réforme a décidé de supprimer les termes d’objet et de cause pour plusieurs raisons. D’une part, même s’ils faisaient partie de la tradition juridique française, ces concepts n’ont pas d’équivalents clairs dans de nombreux systèmes juridiques étrangers, ce qui pouvait compliquer la compréhension et l’application du droit français à l’international. Les rédacteurs du nouveau Code civil ont ainsi cherché à rendre le droit plus lisible et compréhensible, en particulier pour les opérateurs étrangers.

Suppression des termes, maintien des règles
Bien que les mots « objet » et « cause » aient été retirés, les règles qui leur étaient historiquement attachées ont été conservées et réorganisées. Les articles 1162 à 1171 du Code civil reprennent les principes qui régissaient l’objet et la cause du contrat, tout en les adaptant à l’évolution de la vie économique moderne. Ces articles codifient notamment certaines décisions jurisprudentielles rendues au fil des années.

  • Article 1162 se concentre sur la licéité du contrat, remplaçant la fonction de contrôle de la cause en vérifiant que ni le contenu ni le but du contrat ne violent l’ordre public.
  • Article 1169 sanctionne l’absence de contrepartie réelle, reprenant l’idée que la cause de l’obligation doit être suffisante pour justifier l’engagement.
  • Articles 1170 et 1171 se penchent sur l’équilibre des obligations, notamment en ce qui concerne les clauses abusives et les clauses qui privent une obligation essentielle de sa substance.

A)     Règles relatives à l’objet du contrat

1. Introduction : L’objet du contrat dans le droit civil

Dans le Code civil ancien, certains articles se référaient à l’objet du contrat (article 1126 et article 1129 sur l’objet des obligations naissant du contrat). L’objet du contrat représente l’ensemble des droits et obligations que le contrat a pour but de faire naître. Si l’on doit spécifier l’objet d’un contrat de vente, par exemple, il faut indiquer que la vente vise à transférer la propriété d’un bien moyennant un paiement. L’objet de l’obligation naît du contrat et, dans ce cas, correspond à la prestation due par le débiteur. Cela peut être de donner, faire, ou ne pas faire quelque chose, selon l’article 1126. Aujourd’hui, plutôt que de distinguer ces obligations, on utilise le terme général de prestation pour les désigner. La question à poser pour identifier l’objet d’un contrat est donc : qu’est-ce qui est dû ?. Ces obligations doivent respecter certaines exigences pour que le contrat soit valide, telles que la licéité, l’existence, et la détermination des prestations. En revanche, un contrat est valable même s’il n’existe pas de parfaite équivalence entre les prestations échangées.

2. La licéité des stipulations du contrat

  • Notion d’ordre public
  • Règles d’ordre public dans le droit de la famille et la morale
  • Ordre public économique et social
  • Annulation des contrats pour cause d’illicéité

La licéité est une condition de validité du contrat prévue par l’article 1162, qui stipule que : « Le contrat ne peut déroger à l’ordre public par ses stipulations ». Cette disposition n’est qu’une réaffirmation de l’article 6 du Code civil.

Notion d’ordre public

L’ordre public est une notion complexe à définir précisément, car elle fait référence à des règles impératives qui s’imposent à tous, sans que les justiciables puissent s’y soustraire par leurs actes ou comportements. Les règles d’ordre public protègent des intérêts politiques, sociaux ou économiques jugés fondamentaux pour la bonne organisation de la société.

On distingue plusieurs types d’ordre public :

  • Ordre public politique : Il protège l’État lui-même et englobe des règles comme les lois constitutionnelles, administratives ou fiscales. Les contrats qui cherchent à contourner les prélèvements fiscaux, par exemple, sont frappés de nullité.
  • Ordre public familial : Les règles relatives au mariage et à la filiation sont d’ordre public. Ainsi, selon l’article 1388 du Code civil, les époux ne peuvent déroger aux droits et devoirs résultant du mariage.
  • Ordre public moral : La morale sexuelle s’exprime traditionnellement par la notion de bonnes mœurs, mais cette notion a été progressivement abandonnée. Par exemple, les dons effectués par un époux à sa maîtresse ont été annulés par le passé, car ils contrevenaient à la fidélité exigée par le mariage. Cependant, depuis 1999, la Cour de cassation n’annule plus ces libéralités pour ce motif (Arrêt du 25 octobre 2004). La réforme a donc exclu la notion de bonnes mœurs, puisqu’elle ne trouve plus d’application en jurisprudence.
  • Ordre public économique : Il protège l’intérêt général du pays et les intérêts de certaines catégories de personnes, comme les salariés ou les consommateurs. Par exemple, les règles de droit de la concurrence et les réglementations du contrat de travail relèvent de l’ordre public de direction. De même, l’ordre public social protège les catégories vulnérables, comme les consommateurs.

L’ordre public évolue avec le temps, reflétant ainsi les transformations sociales. Les textes législatifs n’indiquent pas toujours explicitement quelles lois sont d’ordre public et lesquelles sont supplétives de volonté. En l’absence de précision, c’est au juge de décider si une disposition est impérative. Les articles 1104 et 1112-1 précisent expressément qu’ils relèvent de l’ordre public. La réforme de 2016, dans son rapport au Président de la République, indique que le principe de la liberté contractuelle est un principe clé, mais aussi que de nombreuses dispositions du Code civil sont d’ordre public. Parfois, les principes d’ordre public sont désignés comme virtuels, car ils ne sont pas expressément mentionnés mais reconnus par les juges.

Illustration de l’annulation du contrat en raison de son illicéité

Un contrat est nul lorsque son objet concerne des choses qui ne peuvent pas faire l’objet d’actes juridiques valides. Par exemple, les substances dangereuses pour la santé publique, comme les drogues, ou les contrefaçons, ne peuvent être objet de contrat.

En revanche, certaines clientèles commerciales peuvent être cédées valablement, comme l’a confirmé une loi de 1909 qui admet la cession de clientèles commerciales dans un fonds de commerce. Cependant, pour les professions libérales, comme celle des médecins, la cession de la clientèle civile a longtemps été interdite. Ce n’est qu’à partir d’un arrêt du 7 novembre 2000 que la Cour de cassation a validé cette cession, à condition de respecter la liberté de choix du patient.

Quant à la personne humaine, son corps est indisponible et inviolable, ce qui signifie qu’il ne peut faire l’objet de conventions. Toutefois, certains actes sont encadrés, comme les dons d’organes ou l’utilisation des embryons.

3. Existence, possibilité et détermination des prestations

L’article 1163 alinéa 2 dispose que la prestation doit être déterminée ou déterminable.

Nature de l’obligation : prestation présente ou future

L’article 1163 du Code civil dispose que l’obligation doit porter sur une prestation qui peut être présente ou future. Cela signifie qu’une obligation contractuelle est valide à condition que l’objet, c’est-à-dire la prestation, existe soit au moment où les parties donnent leur consentement, soit dans le futur.

  • Si la prestation existe déjà lors de la conclusion du contrat, la validité de l’accord est assurée.
  • Pour un contrat impliquant une chose incorporelle (comme une créance), la validité dépend également de l’existence de l’objet au moment du contrat. Par exemple, une cession de créance déjà payée avant la conclusion de l’accord serait nulle pour absence d’objet, car la créance n’existe plus.

Les obligations peuvent donc concerner des prestations futures tant que ces dernières sont destinées à exister un jour. Par exemple :

  • Un contrat de vente portant sur un immeuble à construire est considéré comme valide, bien que l’immeuble n’existe pas encore.
  • La vente d’une récolte à venir est un autre exemple de validité d’un contrat basé sur une prestation future.
  • Un artisan qui s’engage à fabriquer un meuble à l’avenir conclut également un contrat valable, car la prestation qu’il promet de réaliser a vocation à exister.

Exceptions légales à l’existence future de la prestation

Certaines dispositions légales limitent la possibilité de contracter sur des objets futurs. Ces exceptions concernent notamment :

  • Les successions futures : il est interdit de conclure un contrat portant sur des biens d’une succession non ouverte, c’est-à-dire sur les biens d’une personne vivante (article 722 du Code civil). En d’autres termes, on ne peut pas acheter ou vendre des droits sur un héritage avant le décès de la personne concernée.
  • Les œuvres futures : en matière de propriété intellectuelle, il existe des restrictions sur les droits d’auteur portant sur des œuvres non encore créées, bien que certaines dérogations existent dans la pratique.

La possibilité de la prestation

Pour être valide, une obligation doit non seulement porter sur une prestation existante ou future, mais celle-ci doit également être possible. Si la prestation promise est absolument impossible à réaliser, le contrat est nul. Par exemple :

  • Si un constructeur s’engage à bâtir dans une zone inconstructible, l’impossibilité de la réalisation de cette prestation entraîne la nullité du contrat.

L’impossibilité doit être absolue, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas seulement résulter de difficultés pratiques ou financières, mais bien de la nature même de la prestation.

La détermination de l’objet de l’obligation

L’article 1163 alinéa 2 précise que la prestation doit être déterminée ou au moins déterminable. Cette exigence vise à permettre aux parties de savoir exactement ce qui devra être accompli.

Distinctions entre types d’objets

  • Si l’objet du contrat est un corps certain (un bien unique, comme une œuvre d’art), il doit être désigné de manière précise au moment de la conclusion du contrat.
  • Pour les choses de genre (objets produits en série, comme des marchandises), la détermination repose sur la spécification de l’espèce et de la quantité de la chose. Par exemple, dans un contrat de vente de produits, il faudra indiquer clairement le type de produit et sa quantité.
  • Lorsque la prestation concerne un bien incorporel (comme une créance ou un brevet), il est nécessaire d’identifier précisément le débiteur et l’origine de la créance.

Obligations de faire et de ne pas faire

En ce qui concerne les obligations de faire (par exemple, la construction d’une maison) et les obligations de ne pas faire (comme une clause de non-concurrence), la prestation doit être clairement définie. Le débiteur doit savoir avec précision ce qu’il s’engage à accomplir, et le créancier doit savoir ce à quoi il peut prétendre.

Prestation déterminable au moment du contrat

L’article 1163 ne requiert pas nécessairement que la prestation soit complètement déterminée au moment de la conclusion du contrat, mais elle doit être déterminable. Cela signifie que, bien que tous les détails ne soient pas fixés au moment de l’accord, les éléments essentiels du contrat doivent permettre de déterminer la prestation sans ambiguïté au cours de son exécution.

3. La qualité de la prestation

Même lorsque la qualité de la prestation n’est pas définie précisément au moment de la conclusion du contrat, l’article 1166 du Code civil prévoit un mécanisme pour évaluer cette qualité en fonction du montant de la contrepartie. En effet, ce montant peut servir d’indicateur de la qualité attendue de la prestation (faible, moyenne ou élevée). Cette disposition est particulièrement utile dans les contrats de longue durée où il est difficile de fixer dès le départ tous les éléments de la prestation, car les conditions peuvent évoluer avec le temps.

Dans ces cas, un indice peut être utilisé pour ajuster la prestation en fonction de l’évolution des conditions économiques ou autres. Si cet indice venait à disparaître ou devenait inapplicable, l’article 1167 prévoit que l’indice le plus proche sera utilisé pour le remplacement, permettant ainsi la continuité du contrat dans des conditions raisonnables et ajustées aux circonstances. Ces règles s’inspirent largement des évolutions jurisprudentielles antérieures.

 

5. Règles propres à la détermination du prix

Même lorsque la qualité de la prestation n’est pas définie précisément au moment de la conclusion du contrat, l’article 1166 du Code civil prévoit un mécanisme pour évaluer cette qualité en fonction du montant de la contrepartie. En effet, ce montant peut servir d’indicateur de la qualité attendue de la prestation (faible, moyenne ou élevée). Cette disposition est particulièrement utile dans les contrats de longue durée où il est difficile de fixer dès le départ tous les éléments de la prestation, car les conditions peuvent évoluer avec le temps.

Dans ces cas, un indice peut être utilisé pour ajuster la prestation en fonction de l’évolution des conditions économiques ou autres. Si cet indice venait à disparaître ou devenait inapplicable, l’article 1167 prévoit que l’indice le plus proche sera utilisé pour le remplacement, permettant ainsi la continuité du contrat dans des conditions raisonnables et ajustées aux circonstances. Ces règles s’inspirent largement des évolutions jurisprudentielles antérieures.

Règles spécifiques à la détermination du prix

Le Code civil de 1804 ne contenait pas de dispositions claires concernant la détermination du prix dans les contrats, à l’exception de certaines règles spécifiques à certains types de contrats, comme les ventes. L’ancien article 1129 exigeait que l’objet de l’obligation soit déterminé, mais cette exigence concernait la chose objet de la prestation, non le prix lui-même. Toutefois, dans les contrats de vente, l’article 1591 impose que le prix soit déterminé et convenu entre les parties, faute de quoi la vente est nulle. Ce principe pose la question de savoir si, en l’absence de texte spécifique, la détermination du prix est obligatoire dès la conclusion du contrat ou si elle peut être fixée ultérieurement.

Évolution jurisprudentielle sur la fixation du prix

Traditionnellement, la jurisprudence a appliqué par analogie l’article 1591 à d’autres types de contrats, notamment ceux où le prix n’était pas déterminé au moment de la conclusion du contrat. À défaut de prix fixé, le contrat pouvait être annulé. Cependant, à partir des années 1970, cette rigueur a été tempérée pour certains types de contrats de prestation de services, comme les contrats d’entreprise ou de mandat. Dans une décision de la Cour de cassation de 1970, il a été admis que le prix pouvait ne pas être fixé au moment de la conclusion du contrat, mais plutôt être déterminé après coup, en fonction du service rendu.

La question du prix a été également débattue dans le contexte des contrats-cadres et des contrats d’exécution qui en découlent. Ces contrats, tels que les contrats de distribution de pétrole, posaient des difficultés quant à la détermination du prix dès la signature du contrat-cadre, étant donné la longue durée et les fluctuations économiques. La pratique consistait à reporter la fixation du prix à chaque contrat d’exécution, en fonction des tarifs du distributeur. Cela a conduit à des contentieux, notamment de la part de stations-service qui contestaient la validité de ces contrats au motif que le prix n’avait pas été fixé dès le départ, se fondant sur l’article 1129.

Dans les années 1990, la jurisprudence a évolué de manière significative. L’arrêt Alcatel du 29 novembre 1994 a marqué un revirement en admettant la validité des contrats-cadres, même si le prix n’était pas déterminé au départ. La Cour de cassation a établi que, lorsque le prix est fixé unilatéralement par une des parties, ce prix ne peut être abusivement déterminé. En cas de mauvaise foi dans la fixation du prix, les tribunaux peuvent sanctionner cet abus en prononçant des dommages-intérêts ou la résiliation du contrat.

Le 1er décembre 1995, quatre arrêts rendus par l’Assemblée plénière de la Cour de cassation ont confirmé ce revirement en écartant l’application de l’article 1129 à la question de la détermination du prix dans les contrats-cadres. La Cour a considéré que l’indétermination du prix n’affectait pas la validité des contrats-cadres et d’exécution, et que l’abus dans la fixation du prix pouvait être sanctionné. L’importance de ces décisions réside dans la distinction entre mauvaise foi, appréciée par les juges du fond, et abus, qui relève du contrôle de la Cour de cassation.

L’introduction des articles 1164 et 1165 dans le Code civil

La réforme du Code civil a introduit les articles 1164 et 1165 pour formaliser les règles concernant la détermination du prix dans les contrats-cadres et les contrats de prestations de services.

  • Article 1164 concerne les contrats-cadres et dispose que le prix peut être fixé unilatéralement par l’une des parties. Cependant, en cas de contestation, celle-ci doit justifier le montant du prix fixé. Si la justification est jugée insuffisante, le débiteur du prix peut saisir un juge. Le juge peut alors décider d’octroyer des dommages-intérêts ou de prononcer la résolution du contrat. L’abus dans la fixation du prix peut être sanctionné, notamment si le prix s’éloigne trop des prix du marché ou est économiquement insupportable pour le débiteur.

  • Article 1165 traite des contrats de prestation de services. Si le prix n’a pas été déterminé au moment de la conclusion du contrat, il peut être fixé ultérieurement par le créancier, avec l’obligation de motiver le montant en cas de contestation. Comme pour les contrats-cadres, un abus dans la fixation du prix peut être sanctionné par des dommages-intérêts.

6) Équivalence des prestations et validité du contrat

Il est important de noter que l’équivalence des prestations n’est pas une condition de validité des contrats, sauf dans certains cas spécifiques. Cela signifie que même si une prestation semble disproportionnée par rapport à la contrepartie, cela n’affecte pas automatiquement la validité du contrat, à moins qu’il y ait un abus manifeste ou une lésion reconnue par la loi.

 

B)      Règles relatives à la cause des obligations et à la cause du contrat

1. Introduction : La notion de cause dans le contrat

La réforme du Code civil de 2016 a volontairement omis la notion de cause, la jugeant trop complexe et source de controverses. Toutefois, la cause reste un concept fondamental qui, historiquement, servait à vérifier la validité des obligations contractuelles. La cause d’une obligation correspond au but poursuivi par chaque partie en s’engageant dans un contrat. Elle répond aux questions : pourquoi cette obligation est-elle née ? Pourquoi ce contrat a-t-il été conclu ?

La doctrine et la jurisprudence du 19ème siècle ont établi une distinction claire entre la cause de l’obligation et la cause du contrat. Ces deux dimensions permettent d’appréhender différemment les objectifs recherchés par les parties contractantes.

2. La cause de l’obligation

Notion de cause dans le contrat

La réforme du Code civil de 2016 a volontairement omis la notion de cause, la jugeant trop complexe et source de controverses. Toutefois, la cause reste un concept fondamental qui, historiquement, servait à vérifier la validité des obligations contractuelles. La cause d’une obligation correspond au but poursuivi par chaque partie en s’engageant dans un contrat. Elle répond aux questions : pourquoi cette obligation est-elle née ? Pourquoi ce contrat a-t-il été conclu ?

La doctrine et la jurisprudence du 19ème siècle ont établi une distinction claire entre la cause de l’obligation et la cause du contrat. Ces deux dimensions permettent d’appréhender différemment les objectifs recherchés par les parties contractantes.

Cause de l’obligation

La cause de l’obligation se référait aux anciens articles 1108 et 1131 du Code civil. Pour l’identifier, il est nécessaire de se demander quelle est la contrepartie attendue par une partie lorsqu’elle s’engage. Dans la plupart des contrats, cette cause repose sur la contrepartie fournie par l’autre partie. Elle est donc dite objective, car elle est commune à un même type de contrat.

  • Contrats synallagmatiques : Dans les contrats commutatifs, la cause de chaque obligation est réciproque. Par exemple, dans une vente, la cause de l’obligation du vendeur de transférer la propriété d’un bien est le paiement du prix par l’acheteur. Inversement, la cause de l’obligation de l’acheteur de payer repose sur la transmission de la propriété.
  • Dans les contrats aléatoires, la cause de l’obligation repose sur l’aléa auquel les parties sont soumises. Ici, l’incertitude des prestations constitue l’essence même de l’engagement. Par exemple, dans un contrat d’assurance, l’aléa lié à la survenance ou non d’un sinistre est la cause de l’obligation de l’assureur comme de l’assuré.

Cause dans les contrats réels

Les contrats réels, dans lesquels une remise matérielle d’une chose est nécessaire pour que le contrat soit formé, mettent également en lumière le rôle de la cause. Dans un contrat de dépôt, l’obligation de restitution du dépositaire trouve sa cause dans la remise effective de l’objet. De la même manière, dans un contrat de prêt, la remise de la somme ou de l’objet constitue la cause de l’obligation de l’emprunteur de restituer la chose prêtée.

Cause dans les contrats unilatéraux

L’identification de la cause est plus complexe dans les contrats unilatéraux, qui ne créent des obligations qu’à la charge d’une seule des parties. Dans ce type de contrat, il n’existe pas de contrepartie évidente comme dans les contrats synallagmatiques. La cause doit donc être recherchée en dehors du contrat lui-même.

  • Contrats unilatéraux à titre gratuit : Dans un contrat de donation, par exemple, la cause de l’obligation du donateur est son intention libérale, c’est-à-dire son désir de donner sans attendre de contrepartie.

3. La cause du contrat, une notion abandonnée en 2016 ?

La notion de cause dans un contrat, bien qu’elle ait été supprimée comme terme juridique par la réforme du Code civil de 2016, reste une question clé pour comprendre pourquoi une partie accepte de s’engager et de supporter certaines obligations. La cause subjective du contrat renvoie aux motivations spécifiques des contractants. Par exemple, dans un contrat de vente, on se demande pourquoi le vendeur accepte de transférer la propriété d’un bien. L’ancien article 1133 permettait d’analyser ces mobiles subjectifs.

a) Les fonctions de la cause après la réforme de 2016

Malgré la suppression explicite de la notion de cause, la réforme de 2016 a préservé les fonctions essentielles qui y étaient traditionnellement associées. La cause servait historiquement à contrôler :

  • L’existence de la contrepartie entre les parties, c’est-à-dire à s’assurer que chaque contractant reçoit une prestation en échange de son engagement.
  • La licéité et la moralité des mobiles propres à chaque contractant.

La réforme a remplacé la notion de cause par d’autres concepts, sans toutefois éliminer ses fonctions. Ainsi :

  • L’article 1162 reprend l’exigence de licéité des mobiles contractuels, garantissant que le but du contrat soit conforme à l’ordre public.
  • Les articles 1169, 1170 et 1171 assurent le contrôle de l’équilibre du contrat en sanctionnant les contrats où la contrepartie est illusoire ou dérisoire, ou en invalidant les clauses abusives.

b) Le contrôle de la licéité des mobiles et de la conformité à l’ordre public

L’article 1162 du Code civil énonce que le contrat « ne peut déroger à l’ordre public ni par ses stipulations, ni par son but », reprenant ainsi la fonction traditionnelle de contrôle de la conformité des mobiles à l’ordre public. Cette disposition codifie une exigence ancienne, qui visait à éviter que les parties n’utilisent un contrat pour atteindre des objectifs immoraux ou illégaux.

Dans les contrats synallagmatiques, ce contrôle de la licéité peut se fonder indifféremment sur l’objet ou sur le mobile du contrat. Par exemple, si une partie contracte avec l’intention d’obtenir un avantage fiscal illégal, l’objet même du contrat est considéré comme illicite, conduisant à son annulation pour violation de l’ordre public.

Cette approche a été confirmée par une jurisprudence clé de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation en 1998, qui a admis qu’un contrat peut être annulé si l’un des contractants poursuit un but illicite, même si ce mobile est inconnu de l’autre partie. Avant cet arrêt, la Cour de cassation refusait d’annuler des contrats lorsque le co-contractant n’était pas au courant de l’illicéité du mobile. Ce revirement de jurisprudence visait à faciliter l’annulation de contrats portant atteinte à l’ordre public.

L’article 1162 codifie cette solution, indiquant clairement que tout contrat ayant un but illicite est nul, que le mobile illicite soit connu ou non de l’autre partie. En cas de litige, l’illicéité ou l’immoralité du mobile devra être prouvée, souvent par des moyens de preuve subjectifs, ce qui peut rendre la tâche plus complexe pour les parties cherchant à obtenir l’annulation du contrat.

Exemple : La licéité des mobiles

Prenons l’exemple d’un contrat synallagmatique où une partie contracte dans le but d’obtenir une réduction fiscale illégale. Si ce mobile illicite est prouvé, le contrat sera annulé, même si l’autre partie ignorait ce motif. Cela permet un contrôle plus strict des motifs cachés qui pourraient porter atteinte à l’ordre public, garantissant que les engagements contractuels sont fondés sur des mobiles licites.

En conclusion, bien que la notion de cause ait été officiellement abandonnée par la réforme de 2016, ses fonctions principales ont été maintenues. Le contrôle de la licéité des mobiles et de l’équilibre contractuel demeure essentiel pour assurer la validité et la moralité des contrats, particulièrement dans les cas où des motivations cachées ou immorales pourraient vicier le consentement ou l’objet du contrat.

6. Le contrôle de l’équilibre du contrat

La nullité des contrats en cas d’absence de cause (article 1169)

L’ancien article 1131 du Code civil prévoyait que toute obligation devait avoir une cause, faute de quoi le contrat était nul. Cette règle permettait d’annuler les contrats jugés déséquilibrés, lorsque l’une des parties ne recevait aucune contrepartie réelle. La nullité du contrat reposait sur l’idée que sans cause, l’engagement était dépourvu de fondement juridique, rendant le contrat inefficace.

La nullité des contrats déséquilibrés par absence de cause

Pour qu’un contrat soit valide, les obligations des parties doivent être causées, c’est-à-dire qu’il doit exister une contrepartie réelle et suffisante pour chaque partie. Si l’une des parties s’engage sans réelle contrepartie, cela remet en cause sa volonté de contracter, puisque l’absence de cause traduit l’absence d’intérêt à conclure le contrat. En effet, une obligation sans cause prive le contrat de toute légitimité et conduit à son annulation, car elle révèle un défaut dans l’engagement des parties.

La contrepartie dérisoire ou illusoire

Avant la réforme de 2016, l’absence de cause de l’obligation était sanctionnée par l’article 1131. Aujourd’hui, l’article 1169 du Code civil prévoit qu’un contrat à titre onéreux est nul si, au moment de sa formation, la contrepartie est illusoire ou dérisoire.

  • Contrepartie dérisoire : Un contrat est annulé lorsque la contrepartie offerte est si insignifiante qu’elle ne présente aucun intérêt réel pour l’une des parties. Par exemple, une vente à vil prix, comme vendre un bien pour un euro symbolique, est considérée comme dérisoire et conduit à la nullité du contrat. Toutefois, il convient de distinguer l’insuffisance du prix (qui peut être un déséquilibre tolérable) de la dérision du prix. Un prix insuffisant ne rend pas automatiquement le contrat nul, mais un prix dérisoire, qui ne reflète aucune valeur réelle, conduit à l’absence de cause et donc à la nullité.

    Exemple typique : lors du rachat d’une entreprise en faillite, si un immeuble est vendu pour un euro symbolique, ce prix peut être jugé acceptable car la reprise de l’entreprise inclut d’autres engagements lourds (comme la reprise des dettes ou des employés), constituant ainsi une cause suffisante.

  • Contrepartie illusoire : La contrepartie est qualifiée d’illusoire lorsque ce qui est promis en échange n’a pas de valeur réelle ou est en fait inaccessible. Par exemple, dans un arrêt de la chambre commerciale de 2012, une société A s’engageait à fournir un cadre à une société B pour développer son service commercial, mais B disposait déjà d’un personnel exerçant cette fonction. Cette prestation était donc redondante et sans utilité réelle, ce qui a conduit à la nullité du contrat pour absence de cause.

Pour apprécier la réalité de la contrepartie, il faut examiner la situation au moment de la formation du contrat. Si un contrat perd son intérêt après sa formation (par exemple en devenant non rentable), cela ne suffit pas à justifier son annulation, car la validité du contrat est évaluée au moment de sa conclusion, non pendant son exécution.

Exemple jurisprudentiel : L’arrêt Point Club Vidéo

Dans les années 1990, la jurisprudence a abordé des cas où des contrats devenaient non rentables, et les parties tentaient de les faire annuler en invoquant l’absence de cause. L’arrêt Point Club Vidéo (1996) est un exemple marquant :

  • Un couple avait conclu un contrat avec une société pour louer des cassettes vidéo, mais le projet s’est révélé non viable, car la majorité des habitants de leur village n’avait pas de lecteur de cassettes. Le couple a tenté d’annuler le contrat en soutenant que leur obligation de payer des loyers n’avait plus de cause.
  • La Cour de cassation a accueilli cette demande, affirmant que l’exécution du contrat était devenue impossible en raison de l’absence de marché, annulant ainsi le contrat sur le fondement de l’article 1131 pour absence de cause.

Cependant, cette jurisprudence a été critiquée pour avoir fragilisé les contrats. Elle a finalement été revue dans des décisions ultérieures, notamment dans un arrêt du 9 juin 2009, où la Cour de cassation a refusé de faire jouer l’article 1131, estimant que la cause de l’obligation de payer les loyers ne résidait pas dans la rentabilité du projet mais dans l’engagement pris au moment de la formation du contrat.

Clarification apportée par l’article 1169

L’article 1169 du Code civil a clarifié cette jurisprudence en précisant que l’absence de cause ne peut entraîner la nullité d’un contrat qu’au moment de sa formation. Ce principe empêche ainsi les parties de demander l’annulation d’un contrat en cours simplement parce que celui-ci est devenu non rentable ou non avantageux. La validité d’un contrat repose donc uniquement sur les conditions initiales de son engagement.

En conclusion, l’absence de contrepartie réelle et la déséquilibre flagrant au moment de la formation d’un contrat peuvent entraîner sa nullité en vertu de l’article 1169. Toutefois, les contrats sont protégés contre des annulations tardives en raison d’un déséquilibre survenu après leur formation, permettant ainsi de maintenir la stabilité des engagements contractuels.

7) Les clauses réputées non écrites

Deux types de clauses peuvent être considérées comme trop déséquilibrées et sont donc réputées non écrites en vertu des articles 1170 et 1171 du Code civil :

  • Les clauses qui privent de leur substance les obligations essentielles des débiteurs

    Ces clauses portent atteinte à l’essence même de l’engagement pris par une des parties. Un exemple marquant est l’arrêt Chronopost de 1996, qui a joué un rôle clé dans la jurisprudence ultérieure :

    • Dans cette affaire, une entreprise (Banchereau) avait confié à Chronopost l’envoi d’un document important pour répondre à un appel d’offres dans un délai court. Chronopost, cependant, n’a pas respecté le délai de livraison, privant ainsi l’entreprise de la possibilité de remporter le marché. Le contrat contenait une clause limitative de responsabilité qui stipulait que Chronopost ne serait tenue de rembourser que le montant du coût de l’envoi, soit bien en deçà des pertes réelles subies par l’entreprise.
    • La Cour de cassation a jugé cette clause comme portant atteinte à l’obligation essentielle de Chronopost, à savoir la livraison rapide, rendant ainsi la clause non opposable. Sur cette base, l’article 1170 du Code civil consacre cette jurisprudence, en prévoyant que toute clause privant de sa substance l’obligation essentielle du débiteur est réputée non écrite.
  • Les clauses entraînant un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties (clauses abusives)

    Les clauses abusives, qui créent un déséquilibre disproportionné dans les droits et obligations des parties, sont également sanctionnées. Historiquement encadrées par l’article L132-1 du Code de la consommation (ancien), ces clauses sont aujourd’hui régies par l’article L212-1 du même code, modifié à partir de 2008 pour sanctionner également les clauses abusives dans les contrats entre professionnels.

    • L’article 1171 du Code civil, issu de la réforme de 2016, prévoit que dans les contrats d’adhésion, toute clause créant un déséquilibre significatif est réputée non écrite. Il est important de noter que cette disposition ne s’applique qu’aux contrats d’adhésion, c’est-à-dire des contrats où une partie impose ses conditions à l’autre sans négociation possible, créant ainsi une situation de déséquilibre structurel.

 

DEUXIEME PARTIE : Les effets du contrat 

CHAPITRE 1 : Les effets du contrat entre les parties

La notion de partie au contrat peut évoluer après la conclusion du contrat. Initialement, les parties sont celles qui ont exprimé leur accord à travers une offre et une acceptation. Cela inclut aussi les personnes représentées en cas de représentation parfaite, où le représentant agit au nom et pour le compte du représenté. Dans ce cas, c’est le représenté qui est lié par le contrat.

Il est également possible qu’un tiers devienne partie au contrat à la place d’une des parties originelles, notamment en cas de décès ou de transformation d’une personne morale. Voici quelques situations où cela se produit :

1. Décès d’une des parties au contrat

Lorsqu’une des parties décède, ses héritiers légaux ou légataires recueillent ses droits et obligations via la transmission de son patrimoine (actif et passif). Ces personnes, appelées ayants cause universels ou à titre universel, deviennent parties au contrat par la transmission des créances et dettes.

Il existe cependant trois exceptions à cette règle :

  • Les héritiers ou légataires peuvent renoncer à la succession, et dans ce cas, aucune transmission des droits et obligations ne se fait.
  • Un contrat peut comporter une clause stipulant sa fin au décès de l’une des parties, ce qui empêche toute transmission.
  • Certains contrats, par leur nature, prennent fin avec le décès de l’une des parties sans besoin de clause. C’est le cas des contrats intuitu personae, comme les mandats (article 2003 du Code civil) ou les contrats de travail en cas de décès du salarié. En revanche, si l’employeur décède, le contrat de travail se poursuit avec son successeur.

2. Personne morale

Lorsqu’une personne morale disparaît sans être liquidée (ex : fusion ou absorption), une nouvelle personne morale prend le relais et reçoit les droits et obligations de celle qui a disparu. Toutefois, certaines limites existent, notamment en matière de droit des sociétés et dans des contrats intuitu personae, où une transmission automatique n’est pas possible. Par ailleurs, une clause contractuelle peut restreindre ou empêcher cette transmission des obligations à la nouvelle personne morale.

3. Cession de contrat

La cession de contrat permet de transférer la qualité de partie à un tiers (cessionnaire). Par exemple, en matière de bail, l’article 1743 autorise la cession automatique du bail en cas de vente de l’immeuble. De même, dans le cadre d’un transfert d’entreprise, les contrats de travail sont automatiquement cédés au nouveau chef d’entreprise (article 1241 du Code civil). L’Ordonnance de 2016 reconnaît la cession de tout type de contrat, sous réserve de l’accord de la partie cédée (article 1216 à 1216-3).

 

I)         La force obligatoire du contrat

A) Fondements

Avant la réforme de 2016, l’ancien article 1134 alinéa 1 du Code civil stipulait que les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Cette formule, tirée de la doctrine de Domat, est reprise dans l’actuel article 1103, bien que la distinction entre convention et contrat ait été supprimée. Désormais, les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont formés.

Bien que l’Ordonnance de 2016 n’ait pas initialement mentionné la force obligatoire du contrat, cet oubli a été corrigé. Une fois qu’un contrat est valablement formé, il engage les parties à respecter leurs engagements selon le principe du pacta sunt servanda. Si la comparaison avec la loi peut prêter à confusion (car le contrat n’a pas la même force normative qu’une loi), elle souligne néanmoins le caractère obligatoire des engagements contractuels.

Fondements idéologiques de la force obligatoire du contrat :

  1. L’autonomie de la volonté : Chaque partie est libre de s’engager et de définir le contenu du contrat. Une fois exprimée, la volonté contractuelle doit être respectée.
  2. Les attentes légitimes du créancier : Le respect des attentes du créancier repose sur la force obligatoire du contrat. Cela garantit que les parties honorent leurs engagements.
  3. La volonté du législateur : La force obligatoire du contrat reflète la volonté du législateur d’encadrer les engagements contractuels, en considérant qu’une fois formés, les contrats ont un caractère contraignant.

 

B)  Conséquences

1)     L’exécution des obligations nées du contrat

Article 1103 du Code civil dispose que les contrats légalement formés obligent ceux qui les ont conclus. Deux catégories d’obligations peuvent être distinguées :

  • Les obligations convenues par les parties et, en cas d’imprécision, interprétées par les juges.
  • Les obligations découvertes par les juges, non prévues initialement par les parties ou par la loi.

a) Les obligations convenues par les parties, et le cas échéant, interprétées par les juges

Les obligations convenues par les parties, et leur interprétation par les juges

En vertu du principe de liberté contractuelle (article 1102 du Code civil), les parties déterminent librement le contenu de leur accord, sous réserve du respect des conditions de validité. Toutefois, les clauses contractuelles peuvent parfois être imprécises ou ambiguës, nécessitant alors l’intervention des juges pour interpréter les obligations des parties en cas de litige.

L’interprétation des contrats par les juges : Articles 1188 à 1192

La réforme de 2016 consacre un chapitre entier à l’interprétation des contrats (articles 1188 à 1192). Lorsqu’un contrat est flou, le juge doit en déterminer le contenu et les obligations. Cela comprend la validité du contrat, les devoirs à respecter, et la portée des obligations. Ce sont les juges du fond (ceux qui examinent les faits) qui sont compétents pour cette tâche, car l’interprétation est considérée comme une question de fait et non de droit, comme le montre l’arrêt Lubert de 1808.

Cependant, il existe une limite à l’interprétation des juges du fond : si une clause est claire et précise, ils ne peuvent pas l’interpréter. L’arrêt Veuve Foucault de 1872 a fixé ce principe. La Cour de cassation peut casser un jugement pour dénaturation lorsque les juges du fond interprètent une clause qui ne nécessite aucune interprétation, violant ainsi la règle établie dans l’ancien article 1134. Cette interdiction est maintenant reprise dans l’article 1192 du Code civil, qui précise qu’il est interdit d’interpréter les clauses claires et précises sous peine de dénaturation.

Recherche de la volonté commune des parties

Les articles 1188 à 1192 remplacent les anciens articles 1156 à 1164. Ils insistent sur la commune intention des parties. Le juge doit chercher à identifier la volonté réelle des parties, même si celle-ci n’est pas clairement exprimée dans les clauses. Cette recherche dépasse la simple lecture littérale du contrat, en prenant en compte le comportement des parties, les pratiques, les écrits, et les circonstances entourant la conclusion du contrat. En d’autres termes, l’esprit du contrat doit primer sur sa lettre.

Cependant, dans certains cas, les parties ont des intérêts opposés, rendant l’intention commune difficile à identifier. L’article 1188 prévoit alors que le juge doit interpréter le contrat en fonction de ce qu’une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances aurait compris. C’est souvent le critère de référence utilisé par les juges. Cette disposition constitue une nouveauté introduite par la réforme.

Principes d’interprétation spécifiques

Plusieurs articles du Code civil encadrent l’interprétation des contrats par les juges :

  • Article 1189 : La clause ambiguë doit être interprétée de manière cohérente avec l’ensemble du contrat, ou avec les autres contrats liés.
  • Article 1191 : Lorsqu’une clause peut être interprétée de deux manières, celle qui lui donne un effet utile doit être privilégiée.
  • Article 1190 : L’interprétation dépend de la nature des parties. Dans un contrat de gré à gré, l’interprétation doit bénéficier au débiteur plutôt qu’au créancier. Dans les contrats d’adhésion, elle doit être favorable à la partie qui n’a fait qu’accepter les termes du contrat, conformément à l’article L211 du Code de la consommation.

Portée des règles d’interprétation : Conseils ou règles de droit ?

La question de savoir si ces principes sont des conseils ou des règles contraignantes pour les juges du fond reste ouverte. La Cour de cassation considère qu’ils sont plutôt des conseils, laissant aux juges la liberté d’utiliser d’autres critères d’interprétation sans risquer la cassation de leur décision. Cependant, l’article 1190 est probablement d’ordre public, car il est proche des dispositions du Code de la consommation, qui sont également d’ordre public.

Clauses d’interprétation

Les parties peuvent insérer dans leur contrat des clauses d’interprétation, destinées à limiter l’intervention des juges. Ces clauses peuvent définir le sens des termes utilisés dans le contrat ou imposer une méthode d’interprétation particulière, en se référant par exemple aux usages professionnels. Ces clauses sont généralement valables en vertu du principe de liberté contractuelle, sauf si elles sont jugées abusives, notamment dans les contrats d’adhésion (article 1171).

 

b) Les obligations découvertes par les juges

Les obligations découvertes par les juges sont celles qui n’ont pas été expressément prévues par les parties dans le contrat, ni par la loi dans un texte général ou spécial. Ce phénomène a été désigné par Josserand en 1933 sous le terme de « forçage du contrat ». Le forçage du contrat consiste pour le juge à ajouter des obligations qui n’avaient pas été envisagées par les parties, dans le but de rééquilibrer le contrat lorsqu’il est perçu comme injuste.

Principes du forçage du contrat

Le juge découvre ces obligations en s’appuyant sur des principes de droit, comme la bonne foi dans l’exécution des conventions. L’ancien article 1124 alinéa 3 du Code civil stipulait que les conventions doivent être exécutées de bonne foi (désormais repris par l’article 1104 du Code civil). De même, l’ancien article 1135 disposait que les conventions obligent non seulement à ce qui est exprimé, mais également à toutes les suites que leur donnent l’équité, les usages ou la loi. Cet article est désormais l’article 1194.

Exemple : Obligation de sécurité dans le contrat de transport

L’une des premières illustrations de ce forçage est l’introduction par les juges de l’obligation de sécurité dans le contrat de transport de personnes dès 1911. Les juges ont considéré que, même si cette obligation n’était pas explicitement prévue, le transporteur devait garantir la sécurité de ses passagers et était donc tenu d’indemniser en cas d’accident. Ce principe s’est ensuite étendu à d’autres contrats de prestation de service, où les professionnels doivent garantir la sécurité dans le cadre de leurs services.

Autres obligations découvertes : Obligation de coopération

Les juges ont également découvert une obligation de coopération dans certains contrats, notamment ceux où l’intérêt commun des parties est essentiel, comme les contrats de travail ou de société. Cela impose à l’une des parties de faciliter l’exécution des obligations de l’autre. Par exemple, dans un arrêt de 1966, la Cour de cassation a décidé que si un débiteur constate que le créancier a oublié de facturer certaines prestations, il doit le notifier, faute de quoi il est considéré comme agissant de manière déloyale. Ce type d’obligation vise à encourager une transparence et une collaboration active entre les parties pour permettre la bonne exécution du contrat.

Limites du forçage du contrat : L’arrêt Les Maréchaux (2007)

Toutefois, la jurisprudence a fixé des limites au forçage des contrats. Dans l’arrêt Les Maréchaux du 10 juillet 2007, la Cour de cassation a rappelé que, bien que les contrats doivent être exécutés de bonne foi, cela ne doit pas porter atteinte aux droits et obligations que les parties ont librement convenus. Autrement dit, le juge peut sanctionner un usage déloyal d’une prérogative contractuelle, mais il ne peut pas modifier les droits et obligations prévus dans le contrat. Ainsi, un créancier déloyal peut être tenu de payer des dommages et intérêts, mais il ne perd pas sa qualité de créancier.

La réforme de 2016 n’a pas formellement intégré cette jurisprudence dans les articles 1104 et 1193, mais elle reste une limite essentielle au pouvoir du juge dans la modification des obligations

 

2)       Intangibilité du contrat

L’article 1134 al. 2 ancien, désormais repris par l’article 1193, stipule que les contrats ne peuvent être modifiés que par le consentement mutuel des parties ou pour des causes prévues par la loi. En d’autres termes, toute modification unilatérale d’un contrat est, en principe, interdite. Les juges eux-mêmes ne peuvent modifier un contrat que dans des cas strictement encadrés par la loi. Ainsi, pour qu’un contrat soit modifié en cours d’exécution, il faut soit un accord mutuel des parties, soit une disposition légale spécifique.

L’irrévocabilité du contrat garantit donc que les parties respectent leurs obligations jusqu’à l’échéance prévue, sauf accord mutuel ou disposition légale contraire. La rupture unilatérale est en principe interdite, mais des clauses spécifiques comme celles de dédit ou de résolution permettent de mettre fin à un contrat dans certaines conditions.

Modifications prévues par les parties dès la conclusion du contrat

Lors de la conclusion d’un contrat, les parties peuvent anticiper certains changements futurs en intégrant des clauses d’adaptation automatique. Parmi ces clauses, on trouve :

  • Clause d’indexation : Permet de fixer un indice de référence plutôt qu’un prix fixe, ajustant automatiquement les montants en fonction de l’évolution de cet indice.
  • Clauses de renégociation ou de révision : En cas de changement imprévu dans les conditions économiques après la conclusion du contrat (ex. : fluctuations boursières, modifications des coûts des matières premières), ces clauses permettent aux parties de réviser les termes du contrat. Cela répond à des situations d’imprévision, où un bouleversement non anticipé modifie l’économie initialement prévue par les parties.

Ces clauses de modification unilatérale, bien que contraires au principe général, sont acceptées dans la mesure où elles résultent de l’accord initial des parties au moment de la formation du contrat. Cela rend la modification unilatérale acceptable, car elle a été convenue dès l’origine. Toutefois, dans certains domaines comme le droit du travail ou le droit de la consommation, ces clauses peuvent être jugées abusives et sont interdites.

Modifications par accord mutuel, même non prévues initialement

Un contrat peut également être modifié en cours d’exécution par un accord mutuel sur un point non prévu dans l’accord initial. Cela peut se faire par l’ajout d’un avenant, qui vient modifier certains éléments accessoires du contrat initial, tels que des modalités d’exécution. Les avenants sont courants dans les contrats de longue durée, où les parties peuvent ajuster certains aspects en fonction des évolutions de leur relation contractuelle.

Modifications relatives à la durée du contrat

La modification de la durée du contrat est également une forme fréquente de changement par consentement mutuel. Elle peut se faire de deux manières principales :

  1. Prorogation conventionnelle : Avant l’échéance du terme du contrat, les parties se mettent d’accord pour prolonger la durée du contrat. Cela ne crée pas un nouveau contrat, mais simplement une continuation du contrat initial avec une durée modifiée (article 1213).

  2. Renouvellement conventionnel : Les parties attendent l’échéance du terme et décident ensuite de poursuivre leurs relations contractuelles. Ce renouvellement peut être exprès (décision formelle) ou tacite (continuité dans l’exécution du contrat après son expiration). Dans ce cas, le contrat renouvelé n’est pas une simple continuation du contrat initial mais un nouveau contrat avec un contenu identique, à l’exception de la durée, qui devient cette fois-ci indéterminée (articles 2214 et 2215).

    Ainsi, le principe fondamental est que toute modification du contrat nécessite un accord mutuel, sauf dans les cas où une clause préalable ou la loi prévoit expressément une exception.

 

3)         L’irrévocabilité du contrat

L’irrévocabilité du contrat est une conséquence directe de la force obligatoire du contrat, qui stipule que les parties doivent respecter leurs engagements jusqu’à leur terme convenu, particulièrement dans les contrats à durée déterminée (CDD). En vertu de l’article 1212 alinéa 1, une fois le contrat conclu, chaque partie doit l’exécuter jusqu’à l’échéance prévue. À l’expiration du contrat, selon l’article 1212 alinéa 2, les parties sont libres de ne pas renouveler le contrat, et nul ne peut exiger ce renouvellement, y compris les juges. Cependant, cette liberté est soumise à certaines nuances, notamment en ce qui concerne l’abus de droit.

L’abus de droit dans le non-renouvellement d’un contrat

Bien que les parties aient le droit de ne pas renouveler un contrat à son terme, ce droit peut être sanctionné en cas d’abus. Si l’une des parties fait croire à l’autre que le contrat sera renouvelé, incitant ainsi le co-contractant à continuer à exécuter ses obligations, elle peut être accusée d’abuser de son droit. Ce comportement est qualifié d’abus du droit de ne pas renouveler, et la partie lésée pourrait obtenir des dommages et intérêts pour la tromperie subie. Par exemple, une entreprise pourrait laisser penser à un employé ou un fournisseur que le contrat sera renouvelé, mais refuser finalement le renouvellement de manière abusive après avoir bénéficié d’une extension implicite des services.

Le principe de l’interdiction de la rupture unilatérale

Le principe général, selon l’article 1193 (ancien article 1134 alinéa 2), est que les contrats ne peuvent être révoqués qu’avec le consentement mutuel des parties ou pour les causes que la loi autorise. Cela signifie que la rupture unilatérale d’un contrat est interdite, sauf exceptions prévues par les parties ou la loi.

Le mutuus dissensus, c’est-à-dire la possibilité pour les parties de se libérer du contrat par un accord mutuel, est un exemple de cette règle. Cela s’applique, par exemple, à la rupture conventionnelle dans le droit du travail, où les deux parties s’accordent pour mettre fin au contrat.

Révocation anticipée ou non anticipée

La révocation conventionnelle d’un contrat peut être décidée par les parties en cours d’exécution. Cette rupture peut avoir été anticipée ab initio, c’est-à-dire prévue dès la conclusion du contrat, ou survenir de manière imprévue au cours de l’exécution. Les parties peuvent choisir les effets de cette révocation : elle peut avoir une portée rétroactive, ou ne s’appliquer que pour l’avenir. Si la révocation n’est pas explicitement définie, elle est présumée ne valoir que pour le futur.

En cas de révocation rétroactive, les articles 1352 à 1352-9 du Code civil prévoient les règles de restitution des prestations effectuées. Cela signifie que les parties devront restituer ce qu’elles ont reçu, comme si le contrat n’avait jamais existé.

Clauses de rupture anticipée et de dédit

Les parties peuvent insérer des clauses spécifiques dans leurs contrats pour organiser une éventuelle rupture unilatérale. Ces clauses incluent :

  • Clause de dédit : Permet à une partie de mettre fin unilatéralement au contrat avant son terme. Cependant, cette résiliation unilatérale est généralement onéreuse, car la partie qui décide de rompre le contrat doit verser une indemnité à l’autre partie. Un exemple courant est la vente avec arrhes, où si l’une des parties se rétracte, elle perd les arrhes versées.

  • Clause résolutoire (article 1225 al. 1) : Permet de mettre fin au contrat en cas de manquement grave à une obligation par l’une des parties. Cette clause précise les manquements qui peuvent conduire à la résiliation du contrat. Si la clause est activée, le contrat prend fin automatiquement sans besoin de recourir à un juge.

Limites à la mise en œuvre des clauses résolutoires : La bonne foi

Même lorsque les parties ont inclus une clause résolutoire, celle-ci peut être limitée par le principe de bonne foi. Un créancier qui attend trop longtemps pour invoquer une clause résolutoire peut être considéré comme agissant de mauvaise foi. Par exemple, dans un arrêt du 31 janvier 1995, la Cour de cassation a estimé qu’un créancier invoquant une clause résolutoire six ans après l’inexécution du débiteur était de mauvaise foi.

Cela ne signifie pas que le créancier perd son droit de résolution, mais il doit alors faire une action en justice pour obtenir réparation. La mauvaise foi annule simplement le caractère automatique de la clause résolutoire, sans priver le créancier de ses droits substantiels.

 

II)   Les limites à la force obligatoire du contrat

La force obligatoire du contrat signifie que les parties sont tenues de respecter les engagements qu’elles ont librement consentis. Toutefois, ce principe connaît des limites liées à l’illicéité de l’objet ou de la cause, à l’unilatéralisme contractuel, ainsi qu’aux pouvoirs accordés au juge par la loi pour intervenir dans les relations contractuelles.

A)     L’unilatéralisme contractuel 

L’unilatéralisme contractuel désigne les situations dans lesquelles une partie peut modifier ou mettre fin au contrat unilatéralement, sans avoir besoin du consentement de l’autre partie. Cela constitue une première limite à la force obligatoire du contrat.

  1. Modification unilatérale du contrat

    • Article 1223 prévoit que lorsqu’un créancier reçoit une prestation imparfaite, il a la possibilité de réduire unilatéralement le prix en conséquence, sous certaines conditions. Il doit toutefois en informer le débiteur et en justifier les raisons.
  2. Rupture unilatérale des contrats à durée indéterminée (CDI)

    • En principe, un contrat à durée indéterminée (CDI) peut être révoqué à tout moment par l’une des parties, sans avoir à fournir de motif particulier. Cela permet d’éviter un engagement perpétuel, garantissant ainsi la liberté contractuelle des parties. Ce principe est repris par les articles 1210 et 1211 du Code civil.

    • Toutefois, la rupture doit respecter certaines conditions :

      • Préavis raisonnable : L’article 1211 exige un délai de préavis pour permettre à l’autre partie de prendre des dispositions, sauf si une clause contractuelle prévoit des modalités spécifiques de préavis. Si ce préavis n’est pas respecté, le juge pourra apprécier au cas par cas le caractère raisonnable de ce délai.
      • Bonne foi : La rupture ne doit pas être abusive. Par exemple, rompre un contrat alors qu’on sait que l’on va mettre fin à la relation, tout en demandant à l’autre partie de continuer à exécuter des prestations, pourrait constituer un abus de droit. Si la rupture est abusive, des dommages et intérêts peuvent être accordés à la partie lésée.
  3. Résolution unilatérale du contrat pour inexécution

    • En cas d’inexécution des obligations contractuelles par une partie, l’autre partie peut procéder à une résolution unilatérale du contrat. L’article 1226 permet au créancier d’y mettre fin par simple notification adressée au débiteur défaillant. Ce mécanisme permet une rupture rapide et efficace sans devoir passer par une décision judiciaire préalable, mais la partie qui résout le contrat doit respecter des conditions strictes et prouver l’inexécution.

B)     Les révisions judiciaires

Dans certains cas spécifiques, notamment lorsqu’une entreprise est en faillite ou lorsqu’un particulier est endetté, le droit prévoit des procédures spéciales pour lutter contre l’insolvabilité. Ces procédures permettent au juge d’accorder des délais de paiement, de réduire ou d’effacer des dettes, ce qui peut affecter profondément les contrats en cours. Ces révisions constituent des moyens de révision contractuelle accordés au juge dans des cas où les règles du droit commun ne suffisent plus.

1. Délai de grâce (article 1343-5)

En dehors des procédures d’insolvabilité formelles, le droit commun autorise le juge à accorder des délais de paiement jusqu’à deux ans en vertu de l’article 1343-5 (ancien article 1244-1). Ce délai de grâce permet au débiteur de surmonter temporairement des difficultés financières sans que le contrat ne soit rompu. Cette mesure s’applique lorsque le créancier agit en exécution forcée contre le débiteur et cherche à obtenir immédiatement ce qui lui est dû. Dans ce cadre, le juge peut accorder un délai d’exécution pour alléger temporairement la charge pesant sur le débiteur (article 1228).

2. Révision des clauses pénales (article 1231-5)

Les clauses pénales sont des dispositions contractuelles qui prévoient qu’en cas de manquement à une obligation, une pénalité sera imposée au contractant défaillant. Ces clauses, fondées sur la liberté contractuelle, évitent de devoir saisir le juge pour obtenir des dommages et intérêts. Cependant, depuis une loi de 1975, les juges peuvent réviser d’office les clauses pénales lorsqu’elles fixent une pénalité manifestement excessive ou dérisoire (article 1231-5, ancien article 1252). Cette révision est d’ordre public, ce qui signifie que toute clause contractuelle contraire est réputée non écrite.

3. Révision pour imprévision

L’imprévision se produit lorsqu’un changement de circonstances imprévisible (économique, monétaire, politique ou sociale) survient après la conclusion d’un contrat et rend l’exécution des obligations excessivement onéreuse pour une des parties. Contrairement à la force majeure, qui rend l’exécution impossible, l’imprévision rend l’exécution possible mais très coûteuse.

a) Contrats à exécution successive à durée déterminée

Dans les contrats à exécution successive à durée déterminée, la force obligatoire du contrat exige que celui-ci soit exécuté jusqu’à son terme, sans possibilité de modification unilatérale, même si cela devient excessivement onéreux pour l’une des parties. Les clauses d’adaptation permettent d’anticiper les changements de circonstances en ajustant les termes du contrat, mais si aucune clause n’est prévue, la partie affectée peut être amenée à solliciter une révision judiciaire.

b) Arrêt Canal de Craponne (6 mars 1876)

Historiquement, la Cour de cassation s’est longtemps opposée à la révision judiciaire des contrats pour cause d’imprévision. Dans l’arrêt Canal de Craponne de 1876, la Cour a établi que les juges ne pouvaient pas modifier un contrat en raison des changements de circonstances, même si cela paraissait équitable. En l’espèce, un entrepreneur demandait une augmentation de sa rémunération pour l’entretien d’un canal, fixée trois siècles plus tôt, car le montant était devenu insuffisant en raison de l’inflation. La Cour de cassation a cassé la décision des juges du fond, affirmant que l’intangibilité du contrat devait être respectée.

c) Révision en droit administratif (Arrêt Gaz de Bordeaux, 30 mars 1916)

Le droit administratif offre une approche différente de l’imprévision, notamment avec l’arrêt Gaz de Bordeaux de 1916. Dans ce cas, un contrat public entre la ville de Bordeaux et une entreprise d’éclairage public est devenu déséquilibré en raison des hausses de prix causées par la Première Guerre mondiale. Le Conseil d’État a reconnu la situation d’imprévision et a accordé des dommages et intérêts à l’entreprise pour compenser le surcoût, tout en refusant de réviser directement le contrat. Cette solution permettait de maintenir la continuité du service public tout en rééquilibrant le contrat de manière indirecte.

4. Tempéraments à la rigidité de la jurisprudence civile

Bien que la jurisprudence Canal de Craponne ait longtemps prévalu en droit civil, certains tempéraments législatifs ont vu le jour pour permettre une révision judiciaire en cas d’imprévision dans des contextes spécifiques. Ainsi, certaines lois et textes spéciaux permettent aujourd’hui la révision judiciaire de contrats en cas de changements de circonstances imprévisibles, réduisant l’impact de la rigidité de la jurisprudence traditionnelle

a) Révision judiciaire dans le cadre du partage et des libéralités avec charge

Deux exemples majeurs de révision judiciaire concernent des situations spécifiques en droit de la famille : le partage et la libéralité avec charge.

  • Partage et révision de la soulte : Lorsqu’un partage met fin à une indivision, un des copartageants peut être tenu de verser une soulte si les biens qu’il reçoit excèdent la valeur des autres parts. Si, en raison d’un changement de circonstances économiques, la valeur des biens reçus varie d’au moins un quart (augmentation ou diminution), la soulte peut être modifiée en justice selon l’article 828 du Code civil. Cela permet de réajuster la soulte dans des proportions équivalentes à la variation de la valeur des biens.

  • Libéralité avec charge : Lorsqu’une libéralité (donation ou testament) impose une charge à la personne gratifiée, cette dernière peut, en vertu de l’article 900-2, demander une révision judiciaire si un changement de circonstances rend l’exécution de cette charge extrêmement difficile ou sérieusement dommageable. Cela constitue une révision autorisée par la loi, mais dans un contexte très spécifique.

b) Évolution jurisprudentielle de la révision : tempéraments à l’arrêt Canal de Craponne

L’arrêt Canal de Craponne de 1876, en matière d’imprévision, a longtemps illustré l’intangibilité des contrats. Dans cet arrêt, la Cour de cassation a cassé une décision des juges du fond qui avaient modifié les termes d’un contrat séculaire de nettoyage d’un canal en augmentant la rémunération de l’entrepreneur, insuffisante en raison de l’inflation. La Cour a rappelé que les juges ne peuvent modifier un contrat sur la base de l’équité ou de changements de circonstances, consacrant ainsi la force obligatoire du contrat.

Cependant, cette jurisprudence a connu des tempéraments à travers des décisions ultérieures, sans jamais être totalement remise en cause :

  • Arrêt Huard (1992) : La Cour de cassation a découvert une obligation de renégociation en cas d’imprévision, fondée sur l’exécution de bonne foi des contrats (article 1134 alinéa 3 ancien). Dans ce cas, une station de service avait demandé à son fournisseur de pétrole de renégocier un contrat suite à une flambée des prix du pétrole. Le refus de renégociation de la société BP a conduit les juges à accorder des dommages et intérêts, tempérant ainsi l’intangibilité du contrat.

  • Arrêt Expovit (1992) : En droit du travail, la chambre sociale a adopté une approche similaire, imposant à l’employeur une obligation d’adaptation et de reclassement en cas de difficultés économiques conduisant à des licenciements pour motif économique. Ici encore, il s’agit d’une forme de forçage du contrat fondée sur la bonne foi, sans révision directe du contrat.

Ces exemples montrent que, bien que la jurisprudence Canal de Craponne ait affirmé l’intangibilité du contrat, les juges ont trouvé des moyens de tempérer cette rigidité en découvrant des obligations d’adaptation.

c) La cause de l’obligation et l’arrêt Soffimate (2010)

L’arrêt Soffimate du 29 juin 2010 a exploré une autre voie. Une entreprise de maintenance confrontée à une hausse significative du coût des pièces détachées a invoqué la disparition de la cause de son obligation de maintenance pour demander la caducité du contrat. La Cour de cassation a admis que la disparition de la cause pouvait conduire à l’anéantissement du contrat. Cependant, cette jurisprudence est restée isolée et n’a pas connu de suivi significatif, soulignant la difficulté de contourner l’arrêt Canal de Craponne.

5. Renversement de la jurisprudence Canal de Craponne par la réforme de 2016

La réforme du 10 février 2016 a marqué un tournant en renversant la jurisprudence Canal de Craponne. L’article 1195 du Code civil, introduit par cette réforme, permet désormais la révision judiciaire des contrats en cas d’imprévision. Cette disposition bouleverse la philosophie antérieure en admettant que le contrat peut être modifié par le juge lorsqu’un changement de circonstances imprévisible rend l’exécution excessivement onéreuse.

Conditions de la révision judiciaire selon l’article 1195.

L’article 1195 prévoit plusieurs conditions pour que la révision judiciaire soit possible :

  • Il doit y avoir un changement de circonstances imprévisible au moment de la conclusion du contrat.
  • Ce changement doit rendre l’exécution excessivement onéreuse pour l’une des parties.

La partie affectée peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Si la renégociation échoue ou si le cocontractant refuse d’y participer, les parties peuvent :

  1. Convenir de la résolution du contrat,
  2. Saisir le juge d’un commun accord pour que celui-ci modifie le contrat,
  3. Saisir le juge seul si aucune solution n’a été trouvée dans un délai raisonnable. Le juge peut alors réviser le contrat ou en prononcer la fin.

Clause de renonciation à l’imprévision

Cependant, l’article 1195 n’est pas d’ordre public. Les parties peuvent, au moment de la conclusion du contrat, stipuler une clause dans laquelle l’une ou l’autre des parties s’engage à assumer les risques d’imprévision sans pouvoir demander une révision judiciaire. Cette possibilité de renonciation à l’imprévision laisse ouverte la question de la rédaction et de la validité de telles clauses, en particulier dans les contrats d’adhésion, où elles pourraient être considérées comme abusives.

 

CHAP 2 : Les effets du contrat à l’égard des tiers

I)   L’effet relatif du contrat à l’égard des tiers

L’effet relatif des contrats est une règle ancienne, héritée du droit romain, qui stipule que les conventions entre les parties ne peuvent ni nuire ni profiter aux autres. Ce principe, repris en 1804 dans les articles 1119 et 1165 anciens, est aujourd’hui consacré par le nouvel article 1199 du Code civil. Il exprime que seuls les contractants sont tenus par les obligations du contrat, tandis que les tiers ne peuvent ni réclamer l’exécution du contrat, ni en être contraints.

A)     Le principe de l’effet relatif

Ce principe découle de l’autonomie de la volonté, fondement essentiel du droit contractuel. Il reflète l’idée que personne ne peut être lié par une obligation contractuelle sans avoir expressément donné son consentement. Ainsi, les tiers, n’ayant pas participé à l’accord, ne peuvent ni bénéficier des droits du contrat, ni être soumis à ses obligations.

Les deux règles principales de l’effet relatif :

  1. Seul un contractant peut être lié par le contrat : Un individu ne peut s’engager en son propre nom que pour son propre compte. Article 1119 ancien illustre ce principe : une personne ne peut être engagée dans un contrat par la volonté d’autrui. Il est ainsi impossible de créer des obligations pour un tiers sans son consentement.

  2. Seuls les contractants peuvent exiger l’exécution des obligations : Conformément à l’article 1165 ancien (désormais article 1999), un tiers ne peut ni exiger l’exécution d’un contrat, ni être contraint de l’exécuter. Cela signifie que seules les parties à l’accord sont en mesure de revendiquer les droits ou d’assumer les obligations qui découlent de leur contrat.

 

B)     Les exceptions de l’effet relatif

Bien que ce principe semble simple, il est important de noter que certaines exceptions existent, permettant dans des cas spécifiques d’impliquer des tiers dans un contrat, que ce soit de manière directe ou indirecte. Ces exceptions apportent une nuance importante à l’effet relatif, notamment à travers des mécanismes comme la stipulation pour autrui ou la promesse de porte-fort, qui peuvent impliquer des tiers dans des obligations ou avantages contractuels, sans qu’ils aient initialement consenti au contrat.

  • 1) Les conventions qui peuvent rendre des tiers débiteurs ou des créanciers

L’effet relatif des contrats signifie que seuls les parties à un contrat sont tenues par ses obligations et bénéficient de ses droits. Cependant, certaines exceptions à ce principe existent, comme la promesse de porte-fort et la stipulation pour autrui, qui permettent à des tiers de devenir débiteurs ou créanciers.

a. La promesse de porte-fort (Article 1204)

La promesse de porte-fort implique qu’une personne, appelée le promettant, s’engage auprès d’une autre partie (bénéficiaire) à obtenir le consentement ou l’exécution d’un contrat par un tiers. Cet engagement consiste donc à garantir la ratification ou l’exécution d’une obligation contractuelle par quelqu’un qui n’est pas initialement partie au contrat.

  • Exemple : Imaginons une vente concernant un bien immobilier familial protégé par l’article 215 du Code civil, où le consentement des deux époux est nécessaire pour toute décision importante. Si un époux promet à un acquéreur que son conjoint consentira ultérieurement à la vente, il s’engage par une promesse de porte-fort. Il garantit ainsi que l’autre époux ratifiera l’accord, bien que cet autre époux n’ait pas encore donné son consentement.

Dans ce contexte, le tiers n’est pas obligé d’accepter ou d’exécuter les obligations résultant du contrat. Il a simplement la faculté de ratifier ou d’exécuter les obligations de manière expresse ou tacite. Si le tiers refuse de ratifier, le promettant peut être tenu de verser des dommages et intérêts au bénéficiaire en raison du non-respect de son engagement.

b. La stipulation pour autrui (Articles 1205 à 1209)

La stipulation pour autrui permet à une personne (le stipulant) de faire promettre à une autre (le promettant) de fournir une prestation à un tiers bénéficiaire. Le bénéficiaire, bien qu’il ne soit pas partie au contrat, devient créancier avant même d’avoir accepté la stipulation.

  • Exemple : Prenons le cas d’un contrat d’assurance vie où l’assuré (le stipulant) désigne une personne (le bénéficiaire) qui recevra un capital après son décès. Ce tiers bénéficiaire acquiert un droit de créance contre l’assureur (le promettant), même s’il n’a pas encore accepté la stipulation.

Le tiers bénéficiaire est libre de refuser ou d’accepter la stipulation. Tant qu’il ne l’a pas acceptée, le stipulant peut révoquer la stipulation. Mais une fois que le bénéficiaire l’accepte, la stipulation devient irrévocable. Si des obligations sont imposées au bénéficiaire, elles ne prendront effet qu’une fois que ce dernier aura manifesté son consentement.

  • 2) Les créanciers des parties à un contrat disposent d’actions spécifiques qui permettent d’influer sur l’exécution des obligations contractuelles

 

L’article 1199 du Code civil prévoit que les créanciers des parties à un contrat ont un droit de gage général sur le patrimoine de leur débiteur, leur permettant de saisir les biens si les obligations contractuelles ne sont pas respectées. Cependant, ce droit peut être menacé lorsque le débiteur tente de diminuer ou cacher son patrimoine par des actes juridiques (ventes, donations). Pour protéger leurs intérêts, les créanciers disposent de plusieurs actions spécifiques qui leur permettent d’interférer dans les relations contractuelles et d’augmenter leurs chances d’obtenir paiement. Voici les principales actions :

1. L’action oblique (Article 1341-1)

L’action oblique permet à un créancier d’agir à la place de son débiteur lorsqu’il constate que ce dernier néglige d’exercer ses droits, mettant ainsi en péril sa solvabilité. L’objectif est de préserver ou récupérer les créances non réclamées par le débiteur pour renforcer son patrimoine et augmenter les chances de paiement.

  • Exemple : Un débiteur néglige de réclamer une somme due par l’un de ses propres débiteurs. Le créancier peut alors agir en lieu et place de son débiteur pour exiger cette créance, et ainsi augmenter le patrimoine de son débiteur afin de pouvoir être payé.

2. Les actions directes (Article 1341-3)

L’action directe permet à un créancier de réclamer directement une somme à un tiers débiteur de son propre débiteur. Toutefois, cette action n’est possible que si elle est expressément prévue par la loi. Contrairement à l’action oblique, l’action directe est privilégiée car elle évite d’agir par l’intermédiaire du débiteur et permet un paiement immédiat.

  • Exemple en matière de bail : L’article 1753 du Code civil permet au bailleur de réclamer directement au sous-locataire le paiement des loyers impayés si le locataire principal ne s’en acquitte pas.

  • Exemple dans le cadre de l’assurance : Si une victime d’accident doit obtenir réparation, elle peut agir directement contre l’assureur du responsable (L123-4 du Code des assurances), sans passer par le responsable lui-même.

3. L’action paulienne (Article 1341-2)

L’action paulienne permet à un créancier de rendre inopposables les actes de son débiteur qui ont été accomplis en fraude de ses droits. Il s’agit d’une protection contre les manœuvres frauduleuses du débiteur visant à diminuer son patrimoine pour échapper à ses obligations de paiement.

  • Exemple : Si un contribuable, pour éviter de payer des dettes fiscales, vend certains de ses biens à des proches ou fait des donations, le créancier (en l’occurrence le fisc) peut utiliser l’action paulienne pour prouver que ces actes étaient frauduleux. Si la fraude est démontrée, ces actes seront inopposables au créancier, lui permettant de saisir les biens même s’ils ont été transférés à des tiers.

Ces mécanismes juridiques permettent aux créanciers de protéger leurs intérêts face à des comportements déloyaux ou négligents de la part de leurs débiteurs. Que ce soit en agissant à la place du débiteur (action oblique), en réclamant directement aux tiers (action directe), ou en annulant les actes frauduleux (action paulienne), le droit offre des outils pour garantir le paiement des créanciers et éviter la dissipation frauduleuse des patrimoines.

II. L’opposabilité du contrat

Le contrat fait naître une situation juridique qui ne peut pas être ignorée par les tiers. Le contrat produit des effets de droit.

  • Sur le fondement de l’article 1200, le contrat est opposable par les parties aux tiers.
  • Et corrélativement, il est opposable par les tiers aux parties, il l’est en tant que situation juridique.

Ce qui compte ici, on appréhende le contrat comme un fait, comme une situation factuelle qui ne peut pas être ignorée par les tiers qui eux doivent pâtir d’un contrat qui leur ait préjudice, et les tiers ne peuvent pas ignorer le contrat.

Le principe d’opposabilité signifie que le contrat, bien que ne créant d’obligations qu’entre les parties signataires, peut affecter les tiers en tant que situation juridique. Selon l’article 1200 du Code civil, le contrat est opposable aux tiers, qui doivent respecter la situation qu’il crée, sans pour autant en être directement liés ou contraints d’exécuter ses obligations.

A) Le contrat est opposable par les parties aux tiers

Les contrats constitutifs ou translatifs de droits réels (comme les contrats de vente d’un bien immobilier ou mobilier) sont opposables aux tiers ayant des droits sur le même bien. Cependant, pour que cette opposabilité soit effective, certains critères doivent être respectés, comme la date certaine du contrat ou une publicité foncière pour les immeubles.

L’opposabilité permet de protéger les parties contre l’intervention de tiers qui pourraient ignorer ou violer le contrat. Par exemple, un tiers ne peut pas encourager ou aider une partie à violer ses obligations contractuelles, car le contrat est opposable en tant que situation juridique.

B) Opposabilité du contrat par un tiers aux parties

L’article 1200 alinéa 1 du Code civil permet également aux tiers de se prévaloir d’un contrat pour apporter la preuve d’un fait ou dans d’autres circonstances particulières. Cela ne signifie pas qu’ils sont directement liés par le contrat, mais qu’ils peuvent s’en servir à titre de preuve ou pour défendre leurs droits.

Un cas important est celui où l’inexécution d’un contrat cause un préjudice à un tiers. Dans cette hypothèse, le tiers peut engager la responsabilité extracontractuelle de la partie fautive, car bien qu’il ne soit pas partie prenante au contrat, il subit les conséquences de son inexécution.

Exemples pratiques

  1. Responsabilité des professionnels de santé :
    Lorsqu’un médecin commet une faute dans le cadre d’un contrat avec son patient, cela peut causer un préjudice non seulement au patient, mais aussi à ses proches. Les proches peuvent alors invoquer la responsabilité extracontractuelle du médecin pour le préjudice qu’ils subissent (ex. : perte de revenus, souffrance morale). Cela découle du principe selon lequel les victimes par ricochet peuvent demander réparation, même si elles ne sont pas parties au contrat initial.

  2. Arrêt Myr’Ho du 6 octobre 2006 :
    Dans cet arrêt, un bailleur manquant à ses obligations contractuelles d’entretien a causé un préjudice à un tiers locataire-gérant, qui n’était pas partie au contrat de bail. La Cour de cassation a estimé que le tiers pouvait engager la responsabilité extracontractuelle du bailleur pour manquement à ses obligations contractuelles, sans avoir à prouver une faute distincte. Cette décision a été critiquée car elle permet à un tiers de se prévaloir d’une faute contractuelle pour obtenir des dommages et intérêts, sans être partie prenante au contrat.

C) Les chaînes de contrats

Une autre hypothèse d’opposabilité concerne les chaînes de contrats, où plusieurs contrats successifs concernent un même bien ou prestation. Dans ces cas, un tiers peut subir un préjudice imputable à l’inexécution par un membre de la chaîne, bien qu’il n’ait pas de lien contractuel direct avec lui. Il faut distinguer les chaînes translatives de propriété et celles qui ne le sont pas.

1. Chaînes translatives de propriétés homogènes

Lorsqu’un bien est vendu successivement à plusieurs acquéreurs, un sous-acquéreur qui subit un dommage peut agir contre un vendeur antérieur dans la chaîne, même s’il n’a pas de contrat direct avec lui. Par exemple, dans l’arrêt du 9 octobre 1979, la Cour de cassation a jugé que l’action du sous-acquéreur contre un vendeur initial ou intermédiaire est de nature contractuelle, car elle est liée à la garantie du bien vendu. L’action en responsabilité contractuelle circule donc avec le bien, et la nature contractuelle de l’obligation est maintenue.

2. Chaînes translatives de propriétés hétérogènes

Ces chaînes combinent contrats de vente et d’entreprise. Par exemple, si un entrepreneur construit une véranda et que celle-ci est vendue avec une maison, un acquéreur peut engager la responsabilité de l’entrepreneur si la véranda s’effondre, même sans contrat direct. L’arrêt du 28 novembre 1967 a établi que la garantie de l’entrepreneur est attachée à l’immeuble, permettant à l’acquéreur de le poursuivre en responsabilité contractuelle.

Dans l’arrêt du 7 février 1986, la Cour de cassation a également admis qu’un maître d’ouvrage peut engager la responsabilité du fournisseur de matériaux utilisés par l’entrepreneur, même sans contrat direct, en invoquant la responsabilité contractuelle.

3. Chaînes de contrats non translatives de propriété

Ces chaînes concernent des contrats d’entreprise successifs, comme la sous-traitance. Dans l’arrêt Besse du 12 juillet 1991, la Cour de cassation a jugé que, si un maître d’ouvrage subit un dommage causé par un sous-traitant avec lequel il n’a pas de contrat direct, seule la responsabilité extracontractuelle du sous-traitant peut être engagée, car il n’y a pas de circulation d’un bien permettant l’application de la théorie de l’accessoire.

 

TROISIEME PARTIE : L’inexécution des obligations contractuelles 

Les obligations issues d’un contrat peuvent être voulues par les parties, imposées par la loi, ou découvertes par les juges. Elles doivent être exécutées en vertu de la force obligatoire des contrats, prévue à l’article 1103 du Code civil. Cependant, en cas de force majeure ou lorsque l’inexécution n’est pas imputable au débiteur, l’obligation peut être suspendue ou annulée.

Avant la réforme de 2016, le Code civil, notamment l’article 1134 (ancien), prévoyait des sanctions en cas d’inexécution, telles que la résolution du contrat ou l’octroi de dommages et intérêts à la charge du débiteur défaillant (article 1184 ancien). Toutefois, ces sanctions n’étaient pas systématiquement organisées et étaient éparpillées dans le Code civil. Des sanctions spécifiques à certains contrats étaient prévues, comme l’exception d’inexécution, l’exécution forcée, ou encore la réduction du prix.

Réorganisation des sanctions dans la réforme de 2016

La réforme de 2016 a mis de l’ordre dans ces sanctions en consacrant la section 5 à l’inexécution des obligations contractuelles. Cette section, ouverte par l’article 1217, dresse désormais une liste des sanctions possibles en cas d’exécution imparfaite ou inexécution totale d’un contrat. Cette liste inclut :

  • Exception d’inexécution : le créancier suspend l’exécution de sa propre obligation tant que le débiteur n’a pas exécuté la sienne.
  • Exécution forcée en nature : demande faite au débiteur de réaliser son obligation, parfois sous peine d’une astreinte.
  • Réduction du prix : le créancier peut réduire le montant dû si l’exécution est partielle ou imparfaite.
  • Résolution du contrat : l’annulation du contrat pour inexécution grave.
  • Dommages et intérêts : réparation monétaire pour le préjudice subi.

Choix de la sanction par le créancier

Il est indiqué dans l’article 1217 que le créancier peut choisir la sanction qui protège au mieux ses intérêts, à condition que ces sanctions ne soient pas incompatibles. Par exemple, l’exécution forcée et la résolution ne peuvent être demandées simultanément, car elles poursuivent des objectifs opposés (l’une pour maintenir le contrat, l’autre pour l’annuler).

Le rapport au Président précise que cette liste n’est pas hiérarchique : le créancier a le droit de choisir la ou les sanctions qui conviennent le mieux, sans avoir à suivre un ordre précis. Cela permet au créancier d’adapter ses actions à la gravité de l’inexécution ou à ses besoins particuliers.

Clauses limitatives et privation du droit à sanction

Le créancier ne peut être privé de son droit de sanctionner l’inexécution par une clause contractuelle. Si une clause interdisait au créancier de recourir à des sanctions, elle serait réputée non écrite (article 1170), car elle viderait de sa substance l’obligation contractuelle du débiteur. Cela est confirmé par la jurisprudence Chronopost, qui invalide les clauses contraires à l’essence même des obligations essentielles d’un contrat.

Cette protection contractuelle s’appuie également sur le droit fondamental à un procès équitable prévu par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH). Le créancier doit pouvoir saisir la justice pour faire valoir ses droits en cas d’inexécution, et toute clause empêchant ce droit violerait les principes fondamentaux de la justice.

 

CHAPITRE 1 : Les sanctions qui permettent le maintien du contrat

I)  L’exception d’inexécution

Lorsque l’une des parties à un contrat ne reçoit pas l’exécution due par son cocontractant, elle peut décider de suspendre l’exécution de ses propres obligations tant que l’autre partie n’a pas exécuté les siennes.

Cette mesure, connue sous le nom d’exception d’inexécution, est une sanction extrajudiciaire : elle ne nécessite pas l’intervention d’un juge. Elle est de nature provisoire et a un caractère comminatoire, c’est-à-dire qu’elle fait pression sur le débiteur pour l’inciter à exécuter ses obligations. Par exemple, l’article 1612 ancien illustre l’exception d’inexécution en stipulant que tant que l’acheteur n’a pas payé le prix, le vendeur est en droit de ne pas livrer la chose vendue. De même, un locataire peut suspendre le paiement de ses loyers si le bailleur ne respecte pas son obligation d’entretien du logement.

Avant la réforme de 2016, l’exception d’inexécution n’était pas formalisée dans le droit commun des contrats. Cependant, la réforme a introduit cette notion de manière générale aux articles 1219 et 1220 du Code civil.

 

A)   Les conditions générales

Conditions générales

L’exception d’inexécution ne s’applique qu’aux contrats synallagmatiques, c’est-à-dire aux contrats où les obligations des parties sont réciproques. La jurisprudence antérieure à la réforme a également admis cette exception dans le cadre d’ensembles contractuels, c’est-à-dire lorsque plusieurs contrats forment un tout indissociable.

Conditions de fond

  1. Inexécution suffisamment grave :
    Selon l’article 1219, l’exception d’inexécution est justifiée lorsqu’il y a une inexécution grave de l’obligation par l’une des parties. Cette gravité est laissée à l’appréciation souveraine des juges de fond, ce qui peut expliquer des décisions différentes selon les affaires. Par exemple, un locataire peut refuser de payer ses loyers si le bailleur ne réalise pas des réparations nécessaires, mais l’appréciation de la gravité de ces manquements dépend des circonstances spécifiques de chaque cas.

  2. Proportionnalité de la riposte :
    Avant la réforme, la jurisprudence imposait une exigence supplémentaire, celle de la proportionnalité de la réaction du créancier. Le créancier qui invoque l’exception d’inexécution doit veiller à ce que sa réponse soit proportionnée à la gravité de l’inexécution. Cette condition, bien que non explicitement mentionnée dans l’article 1219, reste essentielle pour l’équilibre contractuel.

 

B)    Exception d’inexécution par anticipation

Art 1220 : Avant, cette sanction n’était possible que si elle était certaine. Maintenant, avec un risque on peut utiliser cette sanction. Quand le créancier craint l’inexécution, il suspend ses obligations. Mais cette exception peut facilement être abusée.  C’est subjectif et le résultat est attentatoire à la force obligatoire du contrat = un contrat qui n’est pas respecté sur le fondement d’une crainte ou d’un risque. Des conditions spécifiques et plus strictes sont prévues.

 

Condition de fond : Il doit être manifeste que le co contractant n’exécutera pas à l’échéance –> Suffisamment évident + les conséquences de l’inexécution doivent être suffisamment grave pour le créancier. Si ces deux conditions sont réunies il faut notifier la suspension de ses propres obligations dans les meilleurs délais –> Condition de mise en œuvre.

 

Si jamais le débiteur estime que la suspension est injustifiée alors, il pourra contester en justice cette exception pour risque d’inexécution et il appartiendra au créancier de prouver au juge que les conditions de fond et de mise en œuvre sont respectés –> Pas de contrôle a priori du juge mais a posteriori s’il y a contestation par le débiteur.

 

II)  Exécution forcée en nature

Il s’agit de demander au débiteur qu’il respecte les stipulations et exécute le contrat comme il était convenu par les parties. C’est une conséquence logique de la force obligatoire du contrat –> On peut contraindre le débiteur de respecter cette règle. Dans l’ancien code, l’exécution forcée en nature est appréciée au détour de l’art. 1184 sans la détailler. La réforme lui consacre des dispositions –> Article 1121 et 1222.

Il ressort des articles des précisions quant aux champs, formes et conditions de cette sanction + limites découvertes par la jurisprudence.

 

A)   Les champs, formes et conditions de cette sanction

          Les champs

Avant la réforme, le champ était limité par l’art. 1142 ancien selon lequel toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages & intérêts en cas d’inexécution = Le créancier d’une obligation de faire ou de ne pas faire ne peut obtenir l’exécution forcée en nature. Seules les obligations de donner pouvaient être exécutée en nature de manière forcée. Article 1142 semblait interdire l’exécution forcée en nature mais la Cour de cassation fait application de cette sanction en présence d’obligations de faire et de ne pas faire dans des contrats d’entreprises –> Statuait contra leguem. Le principe en droit des contrats était l’exécution forcée en nature et ce n’est pas exception dans des cas limités que les dommages et intérêts peuvent être prononcés.

C’est la position jurisprudentielle qui est consacrée par la réforme –> art. 1221 et 1222 ne précisent aucunement que cette sanction est réservée à une obligation mais précise « d’une obligation » = n’importe quelle obligation –> aucune distinction des obligations avec la réforme = la prestation sont indifférentes.

 

          Les formes de l’exécution forcée en nature

Demander au débiteur lui-même qu’il exécute les obligations prévues par les contrats. Il faut savoir que pour contraindre le débiteur lui-même à s’exécuter une pression financière sous forme d’astreinte peut être prononcé par un juge comprenant des pénalités de retard qu’il devra supporter –> mesure incitative comminatoire. Menace de sanction pécuniaire.

Faculté de remplacement permet à un tiers d’exécuter l’obligation du débiteur défaillant –> Cette faculté s’accompagne pour le débiteur du paiement du tiers.

La destruction –> mauvaise exécution d’une obligation de faire peut permettre la destruction.

 

          Les conditions de l’exécution forcée en nature

Article 1221 dispose qu’il y a une obligation de mise en demeure préalable et c’est seulement une fois que cette mise en demeure se présente infructueuse que l’exécution forcée en nature peut être invoquée.

La faculté de remplacement devait être autorisée par le juge avant qu’elle n’ait lieu. Maintenant, il n’a pas besoin de le demander en justice. Mais une fois que ce tiers est intervenu, il s’agit de demander au débiteur de remboursement (article 1222). Si jamais le créancier préféré du débiteur l’avance des frais, il faut dans ce cas une demande en justice –> C’est devenu une sanction extrajudiciaire aussi par l’unilatéralisme dans le contrat car pas besoin d’autorisation du juge. Si le débiteur s’estime lésé, il peut saisir le juge et le juge appréciera les conditions de l’utilisation de cette sanction.

La destruction ne pouvait avoir lieu qu’avec une autorisation judiciaire préalable, la réforme a repris cette solution. Une avance de fond est possible.

 

B)    Les limites de cette sanction

Avant la réforme, il y avait une limite essentielle à l’art. 1142 et résidait dans la nature des obligations. Dès le 19ème et 20ème –> création de d’autre limites : l’impossibilité. L’impossibilité explique que l’exécution en nature soit évitée au profit de dommages & întérets.

Impossibilité matérielle si dans un contrat de dépôt par exemple qui exige la restitution de la chose, mais si cette chose est détruite, l’exécution forcée en nature est impossible.

Vendeur tenu d’une obligation de délivrance mais ne l’a plus entre les mains et le bien se trouve entre les mains d’un possesseur de bonne foi « possession vaut titre » (article 2279) = confère au possesseur un titre. Le droit du tiers ne doit pas être atteint par cette sanction.

Impossibilité si l’exécution devrait prendre la forme d’une contrainte physique lorsque l’exécution serait attentatoire à la liberté individuelle du débiteur –> Reviendrait à contraindre physiquement une personne à exécuter le contrat à la contrainte par corps a été abolie. Article 1121 précise ces exceptions en disant « sauf si cette exécution est impossible » en fonction de la jurisprudence.

L’article ajoute un autre type de limites (nouveauté) –> S’il y a une disproportion manifeste dans la sanction seuls des dommages & intérêts seront retenus. C’est une forme d’abus de droit que de faire jouer cette sanction alors qu’elle est trop couteuse pour le co contractant et pas suffisamment utile pour lui. L’abus de droit est une notion pas si nouvelle. Une seconde interprétation est possible si on se dit que finalement alors qu’il suffirait au débiteur de payer des dommages & intérêts pour échapper à l’exécution du contrat.

 

III)            Réduction du prix

Avant la réforme, aucune disposition générale n’admettait la réduction du prix en cas d’inexécution partielle d’un contrat. Toutefois, certains textes spéciaux permettaient déjà cette sanction lorsque le créancier n’obtenait pas la prestation convenue. Par exemple, en cas de vice caché, l’acheteur pouvait choisir de garder le bien défectueux tout en demandant une réduction du prix (article 1644 du Code civil). Le Code de la consommation permet également cette réduction lorsque le bien livré est non conforme. De même, depuis 1992, dans le droit commercial, cette option est reconnue. Cependant, ces mécanismes nécessitaient souvent une procédure judiciaire longue et coûteuse. La réforme de 2016 a simplifié le recours à cette sanction en généralisant la possibilité pour le créancier de demander une réduction de prix (article 1223 du Code civil) même sans une parfaite exécution du contrat.

Conditions de fond :

  • Exécution imparfaite : Le créancier doit prouver que la prestation du débiteur n’a pas été correctement réalisée.
  • Réduction proportionnelle : Le montant de la réduction doit correspondre à la différence entre la prestation attendue et celle réellement fournie.

Condition de mise en œuvre :

  • Procédure extrajudiciaire : Le créancier n’est pas obligé de saisir le juge et peut simplement payer moins. Cependant, le débiteur a le droit de contester cette réduction en saisissant la justice.
  • Mise en demeure préalable : Le créancier doit mettre en demeure le débiteur avant de réduire le prix, sauf en cas d’urgence.

IV)     La suspension de l’exécution en cas de force majeure temporaire 

Avant la réforme, la force majeure n’était pas définie dans un texte général, mais la jurisprudence en avait précisé les contours. Un événement extérieur, imprévisible et irrésistible permettait au débiteur de s’exonérer de sa responsabilité contractuelle. Par exemple, dans deux arrêts du 14 avril 2006, la Cour de cassation a défini la force majeure de manière similaire, que ce soit pour la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Dans une affaire, un entrepreneur, atteint d’un cancer après la conclusion du contrat, ne pouvait plus exécuter ses obligations. Dans une autre, la SNCF invoquait la force majeure après qu’une personne se soit jetée sous un train.

La réforme de 2016 a repris ces critères dans l’article 1218 du Code civil, qui définit la force majeure comme un événement :

  • Échappant au contrôle du débiteur (équivalent à l’extériorité),
  • Imprévisible lors de la conclusion du contrat,
  • Irrésistible dans ses effets, c’est-à-dire qu’il ne peut être évité par des mesures appropriées et empêche l’exécution du contrat.

L’article 1218 distingue les effets de la force majeure selon qu’elle soit temporaire ou définitive.

Force majeure temporaire :

  • Suspension de l’exécution : Tant que la force majeure dure, le contrat reste en place mais son exécution est suspendue. Le débiteur est exonéré de sa responsabilité pendant cette période.
  • Résolution possible : Si le retard causé par la force majeure rend le contrat sans intérêt pour l’une des parties, celle-ci peut demander la résolution du contrat.

Force majeure définitive :

  • Résolution de plein droit : Si la force majeure est définitive et rend impossible l’exécution du contrat, celui-ci est automatiquement résolu, sans besoin de décision judiciaire préalable. Toutefois, le juge peut être saisi pour vérifier cette résolution à posteriori.

Chapitre 2: L’anéantissement du contrat à la suite de son inexécution 

I)      Inexécution imputable au débiteur qui provoque la résolution 

L’inexécution imputable au débiteur qui entraîne la résolution d’un contrat est encadrée par l’article 1224 du Code civil, introduit par la réforme de 2016. Cette disposition consacre trois voies distinctes pour mettre fin à un contrat en cas d’inexécution : la clause résolutoire, la résolution unilatérale par le créancier, et la résolution judiciaire. Cela marque un changement par rapport à l’ancien article 1184, qui imposait en principe une résolution judiciaire.

L’article 1224 consacre un système plus flexible en n’imposant plus la priorité à la résolution judiciaire, comme c’était le cas sous l’ancien régime. Les parties peuvent désormais opter pour une clause résolutoire, ou le créancier peut choisir une résolution unilatérale, tout en conservant la possibilité de saisir un juge pour une résolution judiciaire si nécessaire. L’objectif est d’atteindre l’équilibre entre autonomie contractuelle, bonne foi et le contrôle judiciaire si cela devient nécessaire.

A)     Le régime de ces sources

Le régime de la résolution du contrat est fondé sur trois principales sources : la clause résolutoire, la résolution unilatérale par notification du créancier, et la résolution judiciaire. Chacune de ces formes de résolution obéit à des conditions spécifiques, tout en s’inscrivant dans le cadre de l’effet général de la résolution du contrat, qui met fin à celui-ci.

La clause résolutoire

La clause résolutoire, encadrée par l’article 1225, permet de stipuler dans le contrat que l’inexécution d’une obligation spécifique entraînera automatiquement la résolution du contrat, sans avoir besoin de recourir à la justice. Cette résolution se fait « de plein droit », c’est-à-dire automatiquement, lorsque les conditions prévues dans la clause sont remplies.

  • Précision et clarté : La clause doit être claire et détaillée, indiquant spécifiquement quelles obligations sont concernées et quelles conséquences découleront de leur inexécution.

  • Mise en demeure : Avant de déclencher la résolution, une mise en demeure est généralement nécessaire. Celle-ci rappelle expressément les termes de la clause résolutoire, et si le débiteur ne s’exécute pas dans un délai raisonnable, la résolution prend effet automatiquement. Cependant, les parties peuvent convenir de renoncer à cette formalité (Cour de cassation, 3 octobre 2007).

  • Bonne foi : Le créancier doit toutefois faire preuve de bonne foi. Si l’inexécution du débiteur est mineure ou ne concerne pas les obligations mentionnées dans la clause, la mise en œuvre de la résolution pourrait être contestée.

La résolution unilatérale par notification du créancier

La résolution unilatérale, régie par l’article 1226, est une innovation introduite par la réforme de 2016. Elle permet au créancier de mettre fin unilatéralement au contrat sans passer par un juge, à condition que le manquement du débiteur soit suffisamment grave.

  • Conditions : Le créancier doit apprécier la gravité de l’inexécution. Une mise en demeure préalable est nécessaire, sauf en cas d’urgence, et doit être suivie d’une notification formelle de la résolution au débiteur. La notification doit être motivée, c’est-à-dire expliquer en quoi la gravité de l’inexécution justifie la résolution.

  • Risques pour le créancier : Cette forme de résolution est effectuée aux risques et périls du créancier. En effet, le débiteur peut contester la résolution devant un juge, et il reviendra au créancier de prouver la gravité du manquement.

La résolution judiciaire

L’article 1227 encadre la résolution judiciaire, qui permet au créancier de saisir un juge pour obtenir la résolution du contrat en cas d’inexécution grave du débiteur. Cette forme de résolution peut être sollicitée même lorsque le contrat comporte une clause résolutoire ou si le créancier avait opté pour une résolution unilatérale, mais souhaite finalement obtenir une décision judiciaire.

  • Recours à la justice : La résolution judiciaire est ouverte pour tout type de contrat (à la différence de l’ancien article 1184, qui ne concernait que les contrats synallagmatiques). En pratique, elle peut être sollicitée par le créancier lorsque la gravité du manquement n’est pas évidente ou lorsque le créancier souhaite obtenir des dommages et intérêts, en plus de la résolution du contrat.

  • Clause d’exclusion : Il est possible d’insérer dans un contrat une clause excluant la résolution judiciaire, mais cela n’est valide que si d’autres sanctions restent possibles pour le créancier, comme l’exécution forcée ou des dommages et intérêts (Cour de cassation, 3 novembre 2011).

  • Pouvoirs du juge : En vertu de l’article 1228, le juge saisi d’une demande de résolution peut choisir entre différentes options. Il peut :

    • Prononcer la résolution avec d’éventuels dommages et intérêts pour le créancier.
    • Ordonner l’exécution forcée du contrat par le débiteur, éventuellement assortie d’un délai de grâce pour accorder un délai supplémentaire au débiteur.

B)      Les effets de la résolution

L’article 1229 alinéa 1 du Code civil énonce que la résolution met fin au contrat. Cependant, cela ne clarifie pas entièrement l’étendue de cet anéantissement. La réforme de 2016 précise les contours, tant au niveau matériel que temporel.

L’étendue matérielle de l’anéantissement

En principe, la résolution d’un contrat entraîne son anéantissement total, mais ce n’est pas toujours le cas. Parfois, elle peut être partielle, comme le prévoit l’article 1230. Cela signifie que certaines clauses du contrat peuvent survivre à la résolution, notamment :

  • Les clauses relatives aux règlements des différends, comme les clauses de conciliation, les clauses compromissoires ou les clauses attributives de compétence.
  • Les clauses de confidentialité et de non-concurrence demeurent également en vigueur après la fin du contrat.

Cette solution, bien que désormais codifiée, était déjà admise par la jurisprudence antérieure.

Dans le cadre d’un ensemble contractuel, où plusieurs contrats interdépendants poursuivent un même objectif, la résolution de l’un peut entraîner la caducité des autres contrats qui lui sont liés (article 1186 alinéa 2).

L’étendue temporelle de l’anéantissement

Le moment à partir duquel la résolution prend effet dépend de la situation :

  • Clause résolutoire : si la résolution est fondée sur une clause résolutoire, elle prend effet à la date prévue dans cette clause.
  • Résolution unilatérale par le créancier : ici, la fin du contrat correspond à la date de réception de la notification par le débiteur.
  • Résolution judiciaire : lorsque la résolution est prononcée par un juge, c’est le juge qui fixe la date de fin du contrat. Si cela n’est pas spécifié, l’article 1229 prévoit que le contrat prend fin à la date de l’assignation en justice.

Restitution des prestations après la résolution

La question de la restitution des prestations entre les parties a longtemps été sujette à débat. Avant la réforme, la règle générale en cas de résolution était la rétroactivité : les parties devaient être remises dans l’état où elles se trouvaient avant la conclusion du contrat, ce qui pouvait impliquer la restitution des prestations échangées. Toutefois, cette règle posait des difficultés pour les contrats à exécution successive (comme un contrat de travail ou de bail), car il est difficile de « revenir en arrière » sur les prestations passées.

La réforme de 2016 a clarifié cette question dans l’article 1229 alinéa 3. Désormais, la restitution ne dépend plus de la rétroactivité ou non de la résolution, mais de l’utilité des prestations :

  • Si l’utilité des prestations reçues nécessitait l’exécution complète du contrat, alors il y a restitution.
  • Si l’utilité des prestations se manifeste au fur et à mesure de l’exécution du contrat (comme dans un contrat à exécution successive), alors aucune restitution n’est due. Dans ce cas, la résolution produit ses effets uniquement pour l’avenir (comme une résiliation).

II)      Les théories des risques

L’article 1218 du Code civil définit la force majeure comme un événement imprévisible et irrésistible, qu’il soit d’origine naturelle (catastrophes naturelles) ou humaine. Un fait externe, comme celui d’un tiers au contrat ou du créancier lui-même, peut également constituer un cas de force majeure si cela empêche le débiteur d’exécuter ses obligations.

La force majeure, qu’elle soit due à un événement naturel ou humain, doit répondre aux critères d’imprévisibilité et d’irrésistibilité. Lorsqu’elle est définitive, empêchant toute reprise de l’exécution du contrat, ce dernier est résolu de plein droit. Cela signifie que le débiteur est exonéré de son obligation. Cependant, la question qui se pose est la suivante : Le créancier reste-t-il tenu d’exécuter ses propres obligations alors que le débiteur est exonéré en raison de la force majeure ?

Exemples concrets :

  • Contrat de bail : Supposons qu’un logement loué soit détruit par un incendie d’origine inconnue (force majeure). Le bailleur, qui ne peut plus assurer la jouissance des lieux, est exonéré de son obligation. Mais le locataire doit-il continuer à payer le loyer ?

  • Contrat de vente : Deux parties conviennent d’une vente, mais la livraison doit avoir lieu dans une semaine. Pendant ce délai, un événement de force majeure détruit la chose vendue. Le vendeur ne peut plus transférer la chose. Est-ce que l’acheteur doit tout de même payer le prix convenu ?

La question des risques en cas de force majeure

La question centrale ici est : Sur qui pèse le risque de la force majeure ? Est-ce le débiteur qui en supporte les conséquences, ou bien le créancier doit-il continuer à exécuter sa propre obligation ?

  • Si le débiteur supporte la force majeure, il ne recevra pas l’exécution par le créancier.
  • Si le créancier supporte la force majeure, il devra exécuter son obligation, même si le débiteur est libéré de la sienne.

La théorie des risques

Pour répondre à cette question, la théorie des risques a été développée. Il s’agit d’une construction doctrinale et jurisprudentielle car il n’existe pas de texte général régissant les risques liés à la force majeure pour tous les contrats. En revanche, certains contrats spéciaux disposent de règles spécifiques à ce sujet. Avec la réforme de 2016, ces dispositions particulières ont été maintenues. Les solutions générales pour différents types de contrats ont donc été élaborées par les auteurs et les juges.

Cette théorie des risques repose sur deux solutions distinctes, qui s’appliquent selon la nature du contrat :

  1. Principe général : Le risque pèse sur le débiteur

    • Le principe de base est que c’est le débiteur qui supporte les risques liés à la force majeure. En d’autres termes, si un cas de force majeure empêche le débiteur d’exécuter ses obligations, il ne recevra pas l’exécution du créancier en retour. Ce principe est exprimé par l’adage latin « res perit debitori » : la perte de la chose incombe au débiteur.
  2. Exception : Contrats translatifs de propriété sur un corps certain

    • Une exception à cette règle concerne les contrats translatifs de propriété sur des corps certains. Dans ces cas, le risque de la perte de la chose pèse sur le propriétaire de la chose, même s’il n’a pas encore reçu la livraison. Ici, on applique l’adage « res perit domino » : la perte de la chose incombe au propriétaire.

A)     Res perti debitori (perte de la chose pour le débiteur)

Le principe res perit debitori signifie que lorsque la force majeure empêche l’exécution du contrat, c’est le débiteur qui supporte les risques de la perte. Autrement dit, la force majeure libère le créancier de son obligation, car il serait injuste de l’obliger à exécuter sa prestation alors qu’il ne recevrait rien en retour. Cette approche repose sur une idée de justice commutative, où aucune des parties ne doit exécuter si la force majeure rend l’exécution impossible.

Exemple :
Dans un contrat de bail, si le logement est détruit par un incendie (force majeure), le bailleur ne peut plus fournir la jouissance du bien, et donc le locataire n’a pas à payer le loyer. De même, dans un contrat d’entreprise, si des salariés se mettent en grève de manière prolongée, empêchant l’entrepreneur d’exécuter les travaux, le maître d’ouvrage n’aura pas à payer pour des travaux non réalisés.

Ce principe est appliqué de manière générale sauf pour certains contrats spécifiques. Par exemple, dans le cadre d’un bail (article 1722), le locataire est libéré de son obligation de payer si le bien est détruit. Cependant, ces dispositions ne sont pas impératives, et les parties peuvent inclure des clauses dans le contrat qui transfèrent le risque de la force majeure au créancier. Bien que cela soit licite en principe, ces clauses peuvent être déclarées abusives dans certains contrats, notamment en droit de la consommation. Avec la réforme de 2016, l’article 1171 du Code civil permet de réputer non écrites les clauses qui créent un déséquilibre significatif, particulièrement dans les contrats d’adhésion.

B)      L’exception concernant les contrats translatifs de propriété portant sur un corps certain (res perit domino)

L’exception à res perit debitori s’applique dans les contrats translatifs de propriété portant sur un corps certain (bien unique, non interchangeable). Dans ces contrats, c’est le propriétaire du bien qui supporte les risques de la force majeure, même si la livraison n’a pas encore eu lieu. Le principe ici est res perit domino : la perte de la chose pèse sur le propriétaire.

Exemple :
Dans une vente, si l’acheteur et le vendeur conviennent du prix et du bien, mais décident de retarder la livraison et le paiement à une date ultérieure, et que dans l’intervalle, un événement de force majeure survient et détruit le bien, le risque de la perte incombe à l’acheteur, car il est considéré comme propriétaire dès l’accord de volonté sur la chose et le prix (article 1583 du Code civil). Ainsi, l’acheteur devra payer le prix même s’il ne reçoit jamais le bien.

Cependant, ce principe n’est pas d’ordre public, et plusieurs exceptions existent où le vendeur supporte les risques :

  1. Choses de genre : Si la vente porte sur des biens de genre (choses non individualisées), le transfert de propriété n’a lieu qu’au moment de la livraison, lorsque les biens sont spécifiquement identifiés. Tant que la livraison n’a pas eu lieu, c’est le vendeur qui supporte le risque, car le transfert de propriété n’est pas encore effectif.

  2. Clause de réserve de propriété : Les parties peuvent inclure une clause de réserve de propriété, stipulant que le transfert de propriété n’a lieu qu’une fois le paiement effectué. Si la chose périt avant le paiement, c’est le vendeur qui reste propriétaire et supporte donc les risques. Il n’aura pas à livrer le bien, mais il ne recevra pas non plus le paiement.

  3. Mise en demeure : Si l’acheteur met en demeure le vendeur de livrer le bien et que celui-ci ne le fait pas dans le délai imparti, les risques continuent à peser sur le vendeur. Si un événement de force majeure survient après la mise en demeure, c’est le vendeur qui supportera les conséquences. L’article 1196 alinéa 3 précise que la mise en demeure modifie l’imputation des risques.

Ainsi, bien que le principe général en matière de contrats translatifs de propriété soit que les risques pèsent sur le propriétaire, plusieurs situations et clauses contractuelles peuvent transférer ces risques au vendeur.

 

CHAPITRE 3 : La réparation des préjudices liées par l’inexécution du contrat

 

La responsabilité contractuelle est une forme de responsabilité civile qui s’applique en cas de non-respect d’un contrat. La responsabilité civile se divise en deux catégories principales : la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle. Dans le cadre contractuel, la responsabilité vise à compenser le dommage causé à l’un des contractants en raison de l’inexécution, de l’exécution tardive, ou de l’exécution défectueuse du contrat, imputable à l’autre partie.

Pour que la responsabilité contractuelle soit engagée, deux éléments doivent être réunis :

  • Une inexécution du contrat.
  • Un dommage causé par cette inexécution, qu’il s’agisse d’une atteinte à la personne ou aux biens de la victime.

En langage courant, le terme « dommage » est souvent associé à celui de préjudice, mais ces concepts sont distincts : le préjudice est la conséquence du dommage, c’est-à-dire l’atteinte à un intérêt patrimonial (économique) ou extrapatrimonial (moral ou personnel). La responsabilité contractuelle a donc pour but de réparer le préjudice subi par la victime, c’est-à-dire de tenter de la replacer dans la situation qui était la sienne avant le dommage.

 

Comment réparer le dommage ? 

Deux principaux modes de réparation existent :

  1. La réparation en nature

Il s’agit d’effacer le dommage en exigeant de la partie fautive qu’elle exécute une prestation visant à compenser directement les préjudices.
Exemple : Lorsqu’un journal people porte atteinte au droit à la vie privée d’une célébrité (dans un cadre extracontractuel), la célébrité peut demander une réparation en nature. Le journal pourrait être condamné à publier sur sa une une mention indiquant sa responsabilité pour l’atteinte à la vie privée.

  1. La réparation par des dommages et intérêts

Le mode de réparation le plus fréquent dans le cadre de la responsabilité contractuelle est la réparation monétaire, sous forme de dommages et intérêts. Le juge peut condamner le débiteur à verser à la victime une somme d’argent équivalente aux préjudices subis.
Les articles 1146 à 1153-1 du Code civil (ancien) et les nouveaux articles 1231 à 1231-7 codifient les règles relatives à la réparation des préjudices résultant de l’inexécution d’un contrat. Bien que la réforme du droit des obligations ait introduit quelques changements, le régime de la responsabilité contractuelle reste proche de celui de la responsabilité extracontractuelle, avec de nombreux points communs.

 

I)     Les conditions de la responsabilité contractuelle

La responsabilité civile, qu’elle soit contractuelle ou extracontractuelle, repose sur trois conditions fondamentales, connues sous le nom de tryptique fondamental :

  1. Un fait générateur : Il s’agit de l’inexécution ou de la mauvaise exécution d’une obligation contractuelle.

  2. Un ou plusieurs préjudices : La victime doit prouver qu’elle a subi un préjudice résultant de l’inexécution du contrat. Ce préjudice peut être patrimonial (perte financière) ou extrapatrimonial (dommage moral).

  3. Un lien de causalité : Le préjudice doit être directement causé par le fait générateur. En d’autres termes, il doit être démontré que l’inexécution ou l’exécution défectueuse du contrat est bien la cause du dommage subi.

 

A)   Les faits générateurs en matière contractuelle

Pour que la responsabilité contractuelle soit engagée, plusieurs conditions doivent être remplies, parmi lesquelles figure l’inexécution d’une obligation contractuelle. Cette inexécution peut prendre la forme d’une exécution tardive, défectueuse, ou d’un manquement total à l’obligation. La responsabilité contractuelle repose donc sur l’idée que le contractant défaillant doit réparer le préjudice causé à l’autre partie en raison de cette inexécution. Voici les huit éléments principaux qui doivent être envisagés pour établir la responsabilité contractuelle.

 

1ère condition : Pour qu’il y ait responsabilité contractuelle, il faut qu’il y ait un contrat. 

 

Pour que la responsabilité contractuelle s’applique, il faut d’abord l’existence d’un contrat valide. Peu importe la nature du contrat : il peut être verbal, écrit, ou même tacite, qu’il soit synallagmatique (avec obligations réciproques) ou unilatéral (avec obligations pour une seule partie). La formation du contrat nécessite une offre et une acceptation, sans contreproposition modifiant les termes de l’offre initiale.

Cependant, il n’y a pas de contrat lorsque le manquement survient durant la phase précontractuelle. Par exemple, une déloyauté pendant les négociations ne relève pas de la responsabilité contractuelle, mais potentiellement de la responsabilité extracontractuelle.

  • Exemple : Dans un contrat de transport avec correspondance, si un passager subit un dommage sur le quai en attendant un autre train, ce dommage est survenu dans une situation paracontractuelle (proche du contrat mais pas dans son cadre strict). La responsabilité extracontractuelle s’appliquera donc.

De plus, une fois que le contrat prend fin (par exemple, après son exécution complète), les dommages subis postérieurement ne relèvent plus de la responsabilité contractuelle.

Les actes de pure courtoisie ou de service amical sans intention contractuelle ne donnent pas non plus lieu à une responsabilité contractuelle.

  • Exemple jurisprudentiel : Dans un arrêt du 27 janvier 1993, la Cour de cassation a dû déterminer si l’intervention bénévole d’un voisin pour couper un arbre constituait un contrat d’assistance bénévole ou un acte de courtoisie. La conclusion dépend des faits spécifiques, et la Cour de cassation a laissé une appréciation au cas par cas pour évaluer s’il existe un contrat dans de telles situations.

 

2ème condition : Il faut que le contrat soit valable

 

Un contrat nul (par exemple pour illicéité ou défaut de consentement) est réputé n’avoir jamais existé, entraînant une nullité rétroactive. Dans ce cas, toute réparation des dommages se fera sous le régime de la responsabilité extracontractuelle, car il n’y a plus de lien contractuel à proprement parler. La nullité annule le fondement contractuel du lien entre les parties.

 

3ème condition : Il doit exister une relation contractuelle entre le demandeur et le défendeur en responsabilité

 

3ème condition : Relation contractuelle entre les parties

Pour que la responsabilité contractuelle soit engagée, l’auteur du dommage doit être l’une des parties au contrat, et la victime doit être son cocontractant. Si le dommage est causé par un tiers, la responsabilité extracontractuelle s’applique.

  • L’article 1200 alinéa 1 du Code civil consacre l’opposabilité du contrat aux tiers, imposant aux tiers de respecter les obligations contractuelles sans pouvoir invoquer la responsabilité contractuelle.

Cependant, si l’auteur du dommage est bien un contractant mais que la victime est un tiers, la responsabilité extracontractuelle s’applique, conformément à l’article 1200 alinéa 2. Cela est confirmé dans l’arrêt Bootshop (2006), où la Cour de cassation a admis qu’un tiers pouvait invoquer l’inexécution du contrat sans avoir à prouver de faits supplémentaires. Toutefois, l’avant-projet de réforme d’avril 2016 suggère de revenir sur cette jurisprudence en exigeant que le tiers prouve les faits générateurs propres.

Cas des chaînes de contrats

Dans une chaîne de contrats, la nature de la responsabilité dépend du type de chaîne :

  • Si la chaîne n’est pas translative de propriété, la responsabilité extracontractuelle s’applique (Arrêt Besse 1991).
  • Dans les chaînes translatives de propriété, la responsabilité contractuelle peut être engagée par un tiers contre un vendeur, un entrepreneur ou un fournisseur de matériaux. Dans ces cas, l’action en responsabilité suit le bien vendu en tant qu’accessoire, permettant au tiers de se prévaloir de la responsabilité contractuelle en raison du lien avec la chose.

 

4ème condition : Il faut un manquement à une obligation contractuelle

Pour engager la responsabilité contractuelle, il faut qu’il y ait un manquement à une obligation contractuelle. Ce manquement peut porter sur l’obligation principale du contrat ou sur une obligation accessoire (par exemple, une obligation de sécurité). L’obligation doit être convenue par les parties ou imposée par la loi.

Exemple : Dans un contrat de bail, si le bailleur agresse physiquement son locataire, il n’y a pas manquement à une obligation contractuelle car ce comportement n’est pas lié au contrat.

Un arrêt de la Civ. 1ère, 1er décembre 2011 illustre bien ce point. Un client de la SNCF, titulaire d’un abonnement de transport, se trompe de quai et monte dans le mauvais train. En tentant de descendre avant la fermeture des portes, il se blesse. Même s’il existe un contrat de transport, la Cour de cassation a rejeté la responsabilité contractuelle, estimant que la situation relevait de la responsabilité extracontractuelle, car l’accident s’est produit dans un train non couvert par l’abonnement.

De même, pour des professionnels comme les notaires et huissiers, bien que ces derniers soient liés par un contrat avec leurs clients, les manquements liés aux obligations légales (comme les obligations d’information et de conseil) relèvent de la responsabilité extracontractuelle. Ainsi, en cas de manquement, la responsabilité extracontractuelle est souvent retenue, car ces obligations découlent de la loi plutôt que du contrat.

 

 

5ème condition : Imputabilité du manquement au débiteur

L’inexécution doit être imputable au débiteur, c’est-à-dire que le manquement doit résulter de son propre fait. Cela ne signifie pas que le débiteur a nécessairement voulu nuire à son cocontractant, mais simplement que l’inexécution est de sa faute, et non due à une force majeure. Si un événement extérieur, imprévisible et irrésistible (force majeure) est la cause du manquement, la responsabilité contractuelle ne sera pas engagée.

 

6ème condition : Indifférence en principe de la gravité du manquement

 

En principe, tout manquement, même léger, peut engager la responsabilité contractuelle. La gravité du manquement n’a pas d’importance. Toutefois, certaines fautes qualifiées présentent une gravité particulière et ont des conséquences spécifiques sur la réparation :

  1. Faute intentionnelle ou dolosive : Cela correspond à l’inexécution volontaire d’une obligation contractuelle. Le débiteur sait qu’il enfreint le contrat.

    • Exemple : Dans un arrêt de la Cour de cassation, Civ. 1ère, 4 février 1969 (affaire Comédie Française), un acteur, lié par un contrat l’empêchant de jouer ailleurs qu’au sein des théâtres de la Comédie Française, a sciemment violé cette obligation en participant à une émission télévisée.
  2. Faute lourde : Il s’agit d’une faute d’une exceptionnelle gravité, qui révèle une inaptitude du débiteur à remplir ses obligations.

    • Exemple : Un transporteur de marchandises qui laisse les clés de son camion sur le contact, entraînant le vol du véhicule et des marchandises, commet une faute lourde.

Ces fautes qualifiées (intentionnelle ou lourde) entraînent des conséquences spécifiques sur la réparation :

  • Tous les préjudices doivent être réparés, qu’ils soient prévisibles ou non, conformément à l’article 1231-3 du Code civil (ancien article 1150).
  • Les clauses limitatives de responsabilité ne peuvent pas s’appliquer en présence d’une faute intentionnelle ou lourde, comme dans l’arrêt Chronopost.

Ainsi, les fautes graves privent d’effet ces clauses, empêchant le débiteur de limiter sa responsabilité en cas de manquement intentionnel ou de faute lourde.

Exception : Faute qualifiée nécessaire

Dans certains cas, des textes spécifiques exigent un niveau de gravité particulier pour engager la responsabilité. Par exemple, pour que la responsabilité d’un salarié soit engagée, l’employeur doit prouver une faute lourde, une simple faute ne suffit pas. Ce type de disposition particulière impose donc un seuil de gravité plus élevé dans certains domaines.

 

7ème condition : Des preuves doivent être rapportées en justice

 

Pour que la responsabilité contractuelle soit reconnue, il est impératif de fournir des preuves devant le juge. Le régime probatoire de la responsabilité contractuelle repose sur plusieurs étapes.

  • Il faut d’abord prouver l’existence du contrat, ce qui, pour les actes juridiques, nécessite en principe des écrits. Par exemple, pour un contrat synallagmatique, il doit y avoir deux exemplaires originaux (principe des doubles originaux), et pour un contrat unilatéral, une mention écrite en chiffres et lettres est requise. Si le contrat dépasse 1 500 euros, il doit être formalisé par écrit, faute de quoi il ne pourra être prouvé, et le contentieux s’arrêtera.

  • Ensuite, il faut prouver le manquement à l’obligation contractuelle. Contrairement à l’existence du contrat, qui se prouve par écrit, le manquement est un fait juridique qui peut être prouvé par tout moyen. Concernant la charge de la preuve, c’est généralement le créancier (la partie victime) qui doit prouver l’inexécution du contrat. Cependant, il existe une exception notable pour les obligations d’information : selon l’article 1112-1 alinéa 4, c’est au débiteur de prouver qu’il a bien informé son cocontractant, et non au créancier de prouver qu’il n’a pas été informé.

Obligations de moyen et de résultat

La nature des obligations à prouver varie selon qu’il s’agisse d’une obligation de moyen ou de résultat. Cette distinction, qui n’a pas de base textuelle explicite dans le Code civil mais est bien établie en jurisprudence, définit ce qui doit être prouvé par le créancier :

  • Obligations de moyen : Le débiteur s’engage à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour atteindre un objectif, sans garantir le résultat lui-même. Le créancier doit prouver que le débiteur n’a pas déployé tous les moyens promis.
    • Exemple : En droit médical, la Cour de cassation qualifie systématiquement l’obligation de soin des médecins d’obligation de moyen, car la guérison n’est pas garantie.
  • Obligations de résultat : Le débiteur garantit que le résultat sera atteint. Si le résultat n’est pas atteint, le créancier n’a qu’à prouver l’échec, et le débiteur devra prouver qu’un cas de force majeure l’a empêché d’atteindre ce résultat.
    • Exemple : Dans les contrats de transport, l’obligation de sécurité est une obligation de résultat : le transporteur doit garantir que le passager arrive sain et sauf à destination.

Critères de distinction entre obligations de moyen et de résultat

Deux critères permettent de distinguer ces deux types d’obligations :

  1. Certitude du résultat : Si le résultat est incertain et dépend de nombreux facteurs, on parle d’une obligation de moyen. Si le résultat est presque certain, il s’agit d’une obligation de résultat.
  2. Rôle du créancier : Si le créancier joue un rôle actif dans l’exécution du contrat, l’obligation sera généralement de moyen. Si son rôle est passif, l’obligation est de résultat.
    • Exemple : Lorsqu’un skieur prend un télésiège (contrat de transport), s’il se blesse en montant ou descendant, c’est une obligation de moyen, car il a un rôle actif. Si l’accident survient durant le trajet (comme un décrochage), l’obligation du transporteur est de résultat, car le skieur est passif.

Preuve de l’inexécution

  • Si l’obligation est de moyen, le créancier doit prouver que le débiteur n’a pas mis en œuvre les moyens nécessaires.
  • Si l’obligation est de résultat, le créancier doit simplement prouver que le résultat n’a pas été atteint, le débiteur étant responsable, sauf en cas de force majeure.

 

8ème condition : L’appréciation par les juges du manquement contractuel

 

Une fois les preuves apportées, les juges doivent apprécier le manquement. Cette appréciation se fait in abstracto, c’est-à-dire de manière objective. Le juge compare le comportement du débiteur à celui qu’aurait eu une personne raisonnable dans une situation similaire. Si le comportement est jugé défaillant par rapport à cette norme, le manquement est établi.

Dans le cas des professionnels, les juges tiennent compte de leur expertise. Le comportement du débiteur sera comparé à celui d’un professionnel du même domaine. Par exemple, la responsabilité d’un avocat sera évaluée par rapport à ce qu’on attendrait d’un autre spécialiste du droit, et non d’un simple particulier.

 

B)    Les préjudices réparables

 

Pour obtenir des dommages et intérêts en cas d’inexécution d’un contrat, il est nécessaire de prouver l’existence d’un préjudice. Toutefois, il existe quelques cas exceptionnels où la responsabilité contractuelle peut être engagée sans préjudice. Selon l’ancien article 1149 du Code civil, et son équivalent article 1231-2, le préjudice peut consister en un gain manqué (lucrum cessans) ou une perte éprouvée (damnum emergens).

En pratique, les préjudices réparables peuvent être d’ordre économique ou moral, qu’ils soient ou non liés à un préjudice corporel, c’est-à-dire une atteinte à l’intégrité physique du créancier. Cependant, un avant-projet de réforme de 2016 propose une possible évolution : selon article 1243 alinéa 2, le préjudice corporel pourrait ne plus être réparé sur le fondement de la responsabilité contractuelle, mais uniquement en responsabilité extracontractuelle. Cela représenterait un changement radical, limitant fortement le champ d’application de la responsabilité contractuelle en cas de dommages corporels. Toutefois, cette proposition n’est pas encore mise en œuvre, et il n’est pas certain qu’elle soit adoptée.

Pour qu’un préjudice soit réparable, plusieurs critères doivent être remplis :

  • Seuls les préjudices certains peuvent être réparés, contrairement aux préjudices hypothétiques.
  • Le préjudice peut être actuel ou futur, à condition que le préjudice futur soit une prolongation certaine et directe d’une situation actuelle.

En matière contractuelle, seuls les dommages prévus ou prévisibles lors de la conclusion du contrat peuvent être réparés, conformément à l’article 1231-3. Ce principe limite la réparation aux préjudices que les parties pouvaient anticiper au moment de la formation du contrat.

En revanche, en matière extracontractuelle, la règle est celle de la réparation intégrale : tous les préjudices subis doivent être indemnisés.

Lorsque le manquement contractuel est le résultat d’une faute lourde ou intentionnelle, le débiteur devra réparer tous les préjudices, qu’ils soient prévus ou non.

C)    Le lien de causalité

 

Il doit exister un lien de causalité entre le préjudice et l’inexécution du contrat. En d’autres termes, la responsabilité du débiteur ne sera engagée que si le préjudice est la conséquence directe et immédiate de cette inexécution, conformément à l’article 1231-4 du Code civil.

Si ce lien de causalité est absent, les préjudices invoqués par la victime ne seront pas réparés par le débiteur.

II)     L’articulation entre la responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle

 

La responsabilité contractuelle et la responsabilité extracontractuelle sont deux branches de la responsabilité civile. Leur articulation repose sur des différences de régime et sur le principe de non-cumul.

A)   Les différences de régime

  • 1ère différence : Preuve et appréciation du fait générateur

En matière contractuelle, la preuve et l’appréciation du fait générateur, c’est-à-dire l’inexécution d’une obligation contractuelle, sont spécifiques. Le créancier doit prouver l’existence d’un contrat et d’un manquement à une obligation convenue.

En matière extracontractuelle, le fait générateur peut être n’importe quel comportement fautif causant un dommage, et la charge de la preuve varie en fonction des circonstances.

  • 2ème différence : Incapacité de l’auteur du manquement

En responsabilité contractuelle, l’incapacité juridique (par exemple, un mineur ou une personne sous tutelle) est une cause de nullité du contrat. Si le débiteur est juridiquement incapable, sa responsabilité contractuelle ne peut être engagée.

En responsabilité extracontractuelle, selon l’article 414-3 du Code civil, la mise en cause de la responsabilité n’est pas subordonnée à la santé mentale ou à l’incapacité juridique de la personne. Ainsi, une personne frappée d’incapacité peut être tenue responsable d’un dommage.

  • 3ème différence : Étendue de la réparation

En matière contractuelle, l’article 1231-3 limite la réparation aux préjudices prévus ou prévisibles au moment de la conclusion du contrat.

En matière extracontractuelle, le principe est celui de la réparation intégrale : tous les préjudices subis par la victime doivent être réparés, même s’ils étaient imprévisibles.

  • 4ème différence : Procédure

En responsabilité contractuelle, il est généralement nécessaire de mettre en demeure le débiteur d’exécuter son obligation avant d’engager sa responsabilité, sauf si l’inexécution est définitive (article 1231 du Code civil).

En matière extracontractuelle, aucune mise en demeure préalable n’est requise.

Le délai de prescription est de 5 ans pour les deux types de responsabilité, mais en cas de dommages corporels relevant de la responsabilité extracontractuelle, le délai est de 10 ans (articles 2224 et 2226 du Code civil).

Concernant la compétence territoriale, l’article 46 du Code de procédure civile prévoit que les tribunaux compétents peuvent différer selon qu’il s’agisse d’une action contractuelle ou extracontractuelle.

  • 5ème différence : Clauses limitatives de responsabilité

En responsabilité contractuelle, les clauses limitatives de responsabilité sont en principe valables. Toutefois, en droit de la consommation et dans les contrats d’adhésion, ces clauses sont restreintes par l’article 1171 du Code civil.

En responsabilité extracontractuelle, la Cour de cassation a établi dès les années 1930 que les clauses limitant la responsabilité sont illicites.

 

B)    Le principe du non cumul des responsabilités contractuelles et extracontractuelles

 

Le principe de non-cumul signifie qu’une victime ne peut pas invoquer simultanément les deux régimes de responsabilité pour maximiser ses chances d’obtenir des dommages et intérêts. Si les conditions de la responsabilité contractuelle sont réunies, la victime ne peut pas opter pour la responsabilité extracontractuelle.

Ce principe, issu de la doctrine et repris par la jurisprudence, est désormais consacré dans l’avant-projet de réforme à l’article 1233 alinéa 1. Ainsi, dès que la responsabilité contractuelle peut s’appliquer, elle exclut la responsabilité extracontractuelle.

 

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