Droit et religion, différence et ressemblance

Quels sont les rapports  entre le Droit et la religion ?

Le droit en France, tout en étant neutre par rapport aux croyances religieuses, ne peut pas se désintéresser du phénomène religieux. Il protège la liberté de chacun d’avoir ou non des convictions religieuses et d’exprimer ces croyances, tout en veillant à gérer ces manifestations religieuses dans l’espace public, sans interférence excessive.

A. La neutralité du droit par rapport à la religion

Dans plusieurs pays à majorité musulmane, le droit et la religion sont indissociables, avec des systèmes législatifs fondés sur la charia, où la loi religieuse régit à la fois la vie civile et religieuse. Cela reflète une réalité historique qui existait également en France sous l’Ancien Régime, où l’Église avait autorité sur certaines matières de droit privé, notamment le droit de la famille.

En Occident, cependant, la situation a évolué avec la laïcisation du droit, un processus qui sépare le religieux du juridique. Comme l’explique le juriste Jean Carbonnier, la laïcisation consiste en un détachement progressif du droit vis-à-vis des commandements religieux qu’il soutenait auparavant. Le droit moderne s’intéresse de moins en moins à sanctionner des comportements purement moraux ou religieux. Par exemple, jusqu’en 1975, l’adultère était pénalisé en France, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Le droit occidental peut donc diverger de la règle religieuse : par exemple, la loi française favorise la contraception et autorise l’avortement dans certaines conditions, ce qui va à l’encontre des doctrines de l’Église catholique. Cependant, certains concepts du droit portent encore la trace de l’influence religieuse, comme la notion de bonne foi dans les contrats (article 1104 du Code civil), un concept qui trouve ses racines à la fois dans la morale et la religion. De plus, certaines fêtes chrétiennes comme Noël continuent de rythmer le calendrier civil, même dans une société laïque.

Les textes fondamentaux de la laïcité en France :

  • La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, dont l’article 2 stipule que la République ne reconnaît, ne finance ni ne subventionne aucun culte.
  • La Constitution de 1958, qui dans son article 1er, affirme que la France est une République laïque, respectant toutes les croyances.

Ces deux textes établissent que la laïcité garantit la neutralité de l’État envers les religions, tout en assurant la liberté de croyance et d’expression religieuse de chacun. Ce principe de laïcité protège la liberté de religion tout en veillant à ce que l’État ne favorise aucune religion.

Cependant, des exceptions régionales subsistent, comme dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de Moselle, où un régime concordataire (hérité de l’époque allemande) est en place, et où certaines religions continuent à bénéficier d’un soutien public. Le Conseil constitutionnel a jugé que ce régime concordataire est conforme aux principes de laïcité inscrits dans la Constitution.

B. La prise en compte du fait religieux par le droit

Le droit reconnaît le fait religieux en cherchant à l’encadrer, que ce soit pour le tolérer ou parfois pour l’interdire. En France, le principe de la laïcité impose aux collectivités publiques de garantir la liberté de culte tout en préservant la neutralité dans la sphère publique.

Un exemple de cette tolérance est une décision rendue par le Conseil d’État en 2008, concernant l’installation d’une salle de prière musulmane dans une cité universitaire parisienne. Le Conseil a jugé que, dans le respect de la liberté de conscience, les étudiants doivent pouvoir pratiquer leur religion, individuellement ou collectivement, tant que cela respecte les libertés d’autrui.

Cependant, les manifestations extérieures de la religion, notamment dans la sphère publique, peuvent être sources de tensions. C’est pourquoi la France impose une exigence stricte de neutralité dans l’espace public, surtout pour les agents des services publics, qui ne peuvent afficher aucun signe religieux. De plus, cette exigence s’étend parfois aux usagers, notamment dans les écoles publiques, où la manifestation ostentatoire de croyances religieuses est limitée.

  • Un exemple clé est la question du foulard islamique, soulevée en 1989. À l’époque, certains conflits étaient apparus dans des collèges et lycées en raison du port du foulard par des élèves, qui invoquaient leur religion pour ne pas participer à certaines activités scolaires. Le gouvernement a sollicité l’avis du Conseil d’État, qui a jugé que, contrairement aux enseignants qui doivent observer une stricte neutralité, les élèves peuvent manifester leurs convictions religieuses à condition que cela ne perturbe ni l’ordre public ni le bon déroulement des cours.
  • En 2004, la loi du 5 mars a interdit le port de signes religieux ostensibles (comme la grande croix, la kippa ou le foulard islamique) dans les établissements scolaires publics. L’objectif était d’assurer une neutralité stricte dans l’enseignement, tout en tolérant de petits signes religieux discrets. Par la suite, la loi du 11 octobre 2010 a interdit la dissimulation du visage dans les espaces publics, renforçant encore la réglementation sur les manifestations religieuses visibles.
  • Plus récemment, la question de l’installation des crèches de Noël dans les bâtiments publics a fait débat. Dans une décision du 9 novembre 2016, le Conseil d’État a reconnu que les crèches relèvent de l’iconographie chrétienne, et leur installation dans des espaces publics n’est permise que si elles présentent un caractère culturel, artistique ou festif, sans exprimer une préférence religieuse.

D’autres exemples :

  • Interdiction de l’abaya dans les écoles publiques : En septembre 2023, le gouvernement français a interdit le port de l’abaya dans les établissements scolaires publics. Cette robe longue, souvent associée à la religion musulmane, a été jugée contraire au principe de laïcité dans les écoles. Le Conseil d’État a validé cette décision, affirmant que l’abaya est un signe religieux ostentatoire, interdite en vertu de la loi de 2004 qui proscrit les signes religieux visibles dans les écoles publiques​ (StateGov)(Wikipedia).
  • Port du hijab aux Jeux Olympiques de Paris 2024 : Une autre décision notable a été prise en 2023 concernant le port du hijab par les athlètes français aux Jeux Olympiques de Paris en 2024. Les autorités françaises ont décidé d’interdire le port du hijab pour les athlètes représentant la France, en invoquant la neutralité requise dans les compétitions sportives ​(StateGov).

Le fait religieux dans la sphère de travail privée

La gestion du fait religieux est plus complexe dans le domaine du travail privé. La laïcité s’applique principalement dans la sphère publique, mais des tensions peuvent aussi surgir dans le secteur privé, notamment lorsque des entreprises remplissent une mission de service public. Deux décisions de la Chambre sociale de la Cour de cassation en 2013 illustrent cette distinction.

  • Dans la première affaire, une salariée d’une Caisse primaire d’assurance maladie (CPAM), un organisme privé assurant une mission de service public, a été licenciée pour avoir porté un voile islamique, en violation du règlement intérieur. La Cour de cassation a jugé que les principes de neutralité et de laïcité s’appliquent à tous les agents assurant une mission de service public, même lorsqu’ils sont employés par un organisme privé.
  • Dans la deuxième affaire, connue sous le nom de l’affaire Baby Loup, une salariée d’une crèche privée a été licenciée pour avoir porté un signe religieux. Contrairement à la première affaire, la Cour de cassation a initialement jugé ce licenciement illicite, car la crèche n’était pas investie d’une mission de service public. Cependant, après plusieurs décisions contradictoires, la Cour de cassation a finalement décidé que, compte tenu de la mission particulière de la crèche, il était possible d’interdire le port du voile islamique, même sans mission de service public.

Ces décisions montrent que le droit doit constamment équilibrer la liberté de religion avec les exigences de neutralité dans la société, en particulier dans la sphère publique et, dans certains cas, dans le secteur privé.

 

Questions fréquentes sur les rapports entre le Droit et la religion

Qu’est-ce que la neutralité du droit par rapport à la religion ?

La neutralité du droit signifie que l’État et ses lois ne doivent ni favoriser ni discriminer une religion. Ce principe est illustré par la laïcité, particulièrement en France, où la loi garantit la liberté de croyance tout en assurant que l’État ne finance ni ne subventionne aucun culte.

Comment se manifeste la laïcisation du droit en France ?

La laïcisation du droit correspond à un détachement progressif du droit des préceptes religieux. Cela se traduit par la disparition de sanctions pour des comportements autrefois considérés immoraux par la religion (comme l’adultère) et par l’acceptation de pratiques contraires aux doctrines religieuses, comme l’avortement et la contraception.

Existe-t-il des traces de l’influence religieuse dans le droit français actuel ?

Oui, certains concepts juridiques, comme la bonne foi dans les contrats (article 1104 du Code civil), ont des origines morales et religieuses. De plus, des fêtes chrétiennes, telles que Noël, continuent de structurer le calendrier civil.

Quels sont les textes fondamentaux qui établissent la laïcité en France ?

La laïcité en France est fondée sur deux textes clés :

  1. La loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État, qui affirme que la République ne reconnaît, ne finance ni ne subventionne aucun culte.
  2. La Constitution de 1958, dont l’article 1er précise que la France est une République laïque qui respecte toutes les croyances.

Le régime concordataire en Alsace-Moselle est-il conforme à la laïcité ?

Oui, le Conseil constitutionnel a jugé que le régime concordataire, en vigueur dans les départements du Haut-Rhin, Bas-Rhin et de Moselle, est conforme à la Constitution. Ce régime, hérité de l’époque allemande, permet encore un soutien public à certaines religions dans ces régions.

Le droit français peut-il ignorer le phénomène religieux ?

Non, bien que le droit en France soit neutre vis-à-vis des croyances religieuses, il ne peut ignorer complètement le phénomène religieux. Le droit protège la liberté de croire ou non, mais il intervient également pour encadrer les manifestations religieuses dans l’espace public afin d’assurer un équilibre et éviter toute interférence excessive.