Le droit romain à la période du Dominat (284 – 476 après JC)

Les sources du droit romain à l’épreuve du Dominat.

 Le Dominat est la seconde des deux phases de gouvernement de l’ancien Empire romain, qui dura de 285 (environ), jusqu’à la date officielle de la chute de l’Empire d’Occident en 476.

Ces sources classiques, dans leur essence même, résume le droit romain. Mais le Dominat a permis l’illustration du droit classique. En 27 avant JC, c’est la fin de la République. Celui qui prend le pouvoir, c’est Octave, petit neveu de Jules César. Il devient dans celui qu’on appelle le princeps. Ce titre signifie qu’il l’emporte en dignité sur les autres magistrats, c’est le premier. Contrairement aux autres magistrats, Octave détient l’auctoritas. Il se distingue mais reste dans les institutions un primus inter pares parmi tout ceux qui restent ses égaux. Octave fonde non pas un empire, mais un principat. L’idée, c’est que la République demeure, toutes les institutions républicaines restent en place : le Sénat, les comices populaires et les magistrats, mais sont sous l’autorité du princeps. Les consuls, les préteurs continuent d’exister et sont des institutions actives. Le droit classique continue de se nourrir de la même manière, le préteur reste source de droit. Son édit alimente dorénavant des commentaires des savants, des spécialistes du droit. Le droit romain est arrivé à un tel stade d’évolution que les romains sont capables de dépasser le cas par cas et de nourrir une réflexion théorique sur le droit. Les romains ont inventé le droit, sons sens pratique. Ces savants réalisant les commentaires sont appelés les prudents car ils détiennent la prudentia, la sagesse de la connaissance. Ils font les traités et alimentent le droit classique avec les préteurs ainsi que son renouvellement, sa richesse alors même que les institutions politiques vacillent. Tout change avec la dynastie des Antonins, commençant avec Nerva et s’achevant avec Commode. Le pouvoir du princeps devient plus bureaucratique, administratif. Tout au long de cette dynastie, la fiscalité s’alourdie, et l’empire se caractérise par une puissance du princeps qui va s’incarner de plus en plus dans un Etat. Les romains sont quasiment sur le point de découvrir l’Etat. Il ne leur manquait plus que de définir une règle de succession dynastique fixe, légale pour découvrir la personne morale de droit public que l’Etat suppose. La conséquence de la toute puissante dynastie, c’est l’effacement du principat au profit d’une monarchie absolue. L’empereur devient le maitre, le dominus. Le droit romain dans son essence classique subit les conséquences de cet avènement impérial des Antonins. Toutes les sources classiques s’en trouvent affectées.

1- L’Edit perpétuel.

 L’album prétorien reste une source vivante du droit jusqu’au Ier siècle ap JC. Jusque là, le préteur continue de créer des actions, de retirer des actions de son catalogue, et assure ainsi l’évolution de son catalogue civil et prétorien. Avec le temps, l’activité créatrice des préteurs va se ralentir. Les magistrats en viennent à limiter leur action créatrice de droit. Les préteurs ne modifient plus l’album et à compter du Ier siècle, l’album ne change plus globalement. L’Edit tend à se figer. A partir de l’an 120, l’Edit du préteur n’évolue plus. En 120, l’empereur romain Hadrien laisse une marque dans les institutions romaines. Cet empereur a accompli une oeuvre institutionnelle, a contribué à poser les bases de la monarchie absolue. Hadrien écarte définitivement les sénateurs des services centraux de l’administration impériale, il réforme à ce titre la composition du conseil impérial. Ce dernier devient une institution spécialisée et le lieu d’expression des techniciens (juristes). La justice devient une affaire essentielle, l’empereur y est sensible car il devient le dominus, il a donc des devoirs. C’est la protection, la bienfaisance et la providence. Il impose donc une nouvelle procédure pour dicter la marche des procès. La procédure formulaire reste en place, mais elle est concurrencée par une nouvelle procédure : la cognitio extra ordinem. C’est une procédure qui vient en marge de la procédure existante, elle la complète.

Cette nouvelle procédure abandonne le découpage du procès en deux phases. Le procès se déroule désormais uniquement devant le juge. La nouveauté c’est que le juge ne reçoit plus de formules d’actions, la marche à suivre ne lui est plus dictée. Le juge reçoit les parties, valide l’action choisie et rend la sentence. Il n’est plus nécessaire d’obtenir une formule du préteur, les procès avancent beaucoup plus vite. Pour gagner du temps et alléger les lourdeurs de la procédure formulaire, l’empereur a initié cette procédure. Mais désormais, le juge est un fonctionnaire qui répond de sa sentence devant son supérieur, l’empereur. Le but de cette procédure n’était donc pas seulement d’accélérer la marche du procès mais de placer le service de la justice entre les mains de l’empereur. La justice devient donc un véritable service public dépendant de l’empereur et de son administration. Le préteur en tant qu’institution décline en conséquence, précisément à un moment où son activité créatrice se tarie. Les deux phénomènes sont concomitants mais la conséquence est implacable.

La procédure aboutit à la création d’un nouveau procès : le procès cognitoire, dont la marche se reproduit sans trop de variation jusqu’à la fin de l’empire romain. Le préteur est mis de coté, et par conséquence, l’édit est récupéré par l’administration impériale. Hadrien fait appel à Salvus Julien pour mettre en oeuvre l’édit du préteur, en réunissant dans un seul recueil les édits de tous les préteurs urbains qui se sont succédés. Deux objectifs: imposer un plan définitif et systématique et faciliter la connaissance de toutes les actions attachés aux différents droit listés par les albums du procès. Le plan retenu est celui de la marche du procès cognitoire, il poursuit donc un objectif d’efficacité. Il commence avec les sections relatives à l’organisation du procès, puis avec la litis contestatio et enfin avec les moyens d’exécution de la sanction. Cet édit est terminé en 138, à la fin du règne d’Hadrien. Le travail de Salvus Julien renforce la permanence de l’édit. L’édit ne se complète plus, c’est pour ça qu’on parle à tord d’une «codification julienne». A compter de cela, la source prétorienne du droit classique est définitivement tarie : le préteur ne créera plus jamais de droit. Sous la dynastie des Cévères, l’édit des préteurs est appelé édit perpétuel. Il n’évolue plus mais sert toujours de catalogue d’actions. La maitrise de l’édit passe donc des mains du préteur aux mains de l’empereur. On assiste donc à une captation impériale en matière d’édit, ce qui se constate aussi en matière de sénatus consulte

2- Les sénatus consultes.

 Le Sénat était le principal organe politique de gouvernement de l’ancienne République. Ce pouvoir du Sénat était juridiquement déterminant, c’était l’auctoritas. Ce n’était pas le seul à le détenir, il y avait aussi le Pater familias, ou encore le tuteur. Comme le tuteur et le père de famille, le Sénat avait le pouvoir de relever la valeur d’un acte juridiquement imparfait. Par exemple, un tuteur pouvait rendre licite une convention passée par son pupille de manière illicite, à condition que la convention se révèle finalement profitable au mineur après l’exécution de ladite convention. Dans le même ordre d’idée, l’auctoritas du Sénat conférait valeur de droit à une rogatio votée par les comices. Seule cette ratification par le Sénat pouvait permettre de surmonter l’imperfection du vote et accorder au texte voté force obligatoire à l’écart de tous. Compte tenu de cette prééminence, le peuple de Rome reconnaissait au Sénat un pouvoir normatif s’exprimant par le sénatus consulte. Chaque fois qu’un magistrat réunissait le Sénat, il le faisait pour obtenir son avis. Cet avis sénatorial sur la question soulevée était appelé un sénatus consulte. Techniquement, il n’avait pas de valeur légale. Mais, le magistrat qui avait obtenu le sénatus consulte s’empressait de le transcrire sous la forme d’une rogatio et de la soumettre au vote des comices populaires. Le sénatus consulte était donc systématiquement ou presque transformé en lex rogata votée par les comices. C’était donc une source de droit indirecte.

 

En matière de droit privé, le sénatus consulte passait par l’intermédiaire de l’édit du préteur. A la fin de la République, les comices populaires entrent en léthargie du fait de l’avènement du Principat. Le Sénat en profite alors pour s’émanciper, et à partir du Ier siècle, il devient directement source de droit par l’intermédiaire du sénatus consulte. Il permet l’adoption d’un certain nombre d’interdits intervenant dans l’intérêt des familles ou des femmes.

Ainsi, nous avons trouvé trace d’un célèbre sénatus consulte : le velléien qui s’adresse au femme pour les protéger en leur interdisant de s’engager pour autrui. Un autre, le sénatus consulte macédonien, interdit de prêter de l’argent à un fils de famille. Tant que le préteur est actif, le sénatus consulte doit passer par l’intermédiaire du préteur pour intégrer l’album prétorien, mais ce dernier entre en sommeil définitif. L’auctoritas du Sénat parait avoir conquis l’indépendance. Mais en réalité, le Sénat est placé sous surveillance très étroite. En effet, en 27, quand Octave devient princeps, c’est le Sénat qui a accepté de lui céder son auctoritas. Il passe donc sous tutelle du princeps. Le Sénat ne fait qu’édicter des normes selon l’initiative du princeps. L’ordre édicté par le sénatus consulte est en réalité d’initiative impériale. L’ordre est lu devant le Sénat par le porte parole du princeps, c’est l’oratio principis. C’est l’empereur qui crée le droit par la lecture de son oratio principis devant le Sénat. La consultation du Sénat n’est qu’une formalité, il vote toujours dans le sens de l’empereur. Le sénatus consulte, source du droit classique passe donc très facilement aux mains de l’empereur, et l’auctoritas de l’empereur l’emporte sur celle du Sénat.

 

3- La jurisprudence.

 C’est la science du droit, la iuris prudentia. Certains romains illustres se sont fait connaitre par leur grande connaissance des règles de droit romain ou par leur habileté dans la mise en oeuvre pratique du droit romain. Ces premiers savants sont apparus à la fin du IIIème siècle av JC. C’étaient des jurisconsultes, leur travail consistant à donner des consultations au profit de particuliers qui viennent les trouver pour connaitre le droit avant d’entreprendre une action en justice. La parfaite connaissance du droit civil dont peuvent se prévaloir ces jurisconsultes leur permettent de rédiger des traités pour exposer dans sa généralité la qualité du droit classique romain. Les premiers traités sont des traités de droit civil stricto sensu. Le plus fameux est celui du juriste Quintus Mucius Scaevola, qui rédige un traité de dix huit livres sur le ius civile au Ier siècle av JC. Ces jurisconsultes produisaient d’autres traités, notamment des commentaires qui se penchaient sur la subtilité du droit prétorien. Certains traités exposaient à la fois le ius civile et le droit prétorien, les digesta. A coté des jurisconsultes, existaient d’autres spécialistes plus modestes, des experts praticiens qui avaient pour rôle d’assister les plaideurs en justice. Ces experts, ces prudents ont laissé des oeuvres précieuses dans lesquelles ils exposaient le droit romain dans sa réalité pratique. Ces oeuvres étaient appelées des responsa ou quaestiones. Elles reposent sur des réalités complexes et concrètes. Les juristes de renom formaient aussi les professionnels en organisant des formations privées. Ces dernières étaient organisées autour d’un juriste de renom suivit par des disciples, qui finissaient par former une école de pensée. Pour accéder à ces formations, il fallait que la famille du disciple connaisse le maitre. C’est un recrutement par cooptation. Pour aider leur disciple, les maitres de droit rédigeaient des ouvrages, des institutes. Ces juristes consultes et ces praticiens étaient indispensables à la science du droit, il en faisait la vitalité. Ils interprétaient les règles traditionnelles en essayant de les conformer aux nécessités nouvelles. Leur traité et leur réflexion étaient perçus comme source de droit.

Comme le sénatus consulte, la jurisprudence est une source dérivée du droit classique. C’est une source vive caractéristique du Ier siècle av JC. Par la suite, l’empereur intervient pour capter cette source à son profit. Le premier qui se manifeste c’est Octave Auguste. Il procède en vertu d’une intention de faciliter l’utilisation. Pour cela, il procède par voie d’homologation en proposant au plus éminent un privilège, le ius publice respondendi. Il permet au bénéficiaire de donner des consultations revêtues de l’autorité de l’auctoritas du princeps. Ces consultations acquièrent valeur officielle. Jusqu’ici, elles ne valaient par le prestige personnel de leur auteur. Concrètement, ce privilège a une incidence sur la marche des procès. Quand un plaideur fait à l’appui de sa demande fait valoir une consultation dotée de l’auctoritas, il fait valoir une consultation supérieure à celle de son adversaire. En théorie, le juge reste libre de choisir les arguments des parties, sans tenir compte de ce privilège. Mais le juge tend à devenir un fonctionnaire, subordonné à l’empereur, et dans la pratique, il a tendance à toujours privilégier les consultations brevetées. Il s’agit tout de même d’organiser les conflits de responsa.

L’empereur Hadrien crée alors la règle de l’unanimité pour faciliter le travail du juge : si l’une des parties fait valoir des prétentions qui font l’unanimité des avis des juristes brevetés, alors il doit emporter sa cause au détriment de l’autre partie. Cette réforme permet à l’empereur de mettre la main sur la jurisprudence, et les seuls jurisconsultes consultés vont être ceux qui sont breveté. Ils doivent donc à l’empereur une notoriété exceptionnelle, ils deviennent les créatures de l’empereur. Les descendants de ces juristes vont entrer dans le conseil impérial. Ils travaillent désormais pour le service juridique de l’empereur et plus pour les particuliers. La jurisprudence comme source détournée du droit classique se tarie d’elle-même. Dès le IIème siècle ap JC, les juristes rédigent dans les grands bureaux les constitutions impériales.

 

  • Les constitutions impériales.

 En l’espace de deux siècles, l’empereur romain parvient à tarir les principales sources du droit classique. A partir du règne de Commode, le conseil impérial se précise dans sa composition, un fonctionnaire en prend la tête, le préfet du prétoire. Ce dernier se sert de juristes éminents pour organiser la justice et pour légiférer. L’empereur est devenu à la fin du IIème siècle source de droit. L’empereur est la loi. Les grands juristes de l’époque forment des maximes passées dans le digeste de Justinien. Le plus connu est Ulpien, il explique que ce qui plait au prince à force de loi. C’est une maxime qui fonde la monarchie absolue, dont les grands théoriciens du XVIème siècle se serviront. Au IIIème siècle, la monarchie impériale romaine s’occupe de légiférer, l’empereur crée le droit et prend à son compte l’héritage du droit classique. L’empereur légifère de quatre manières : l’édit, le mandat, le décret, le rescrit.

Les Edits sont des textes à portée générale qui concerne tout un territoire ou toute une population. Il formule un ordre direct et proclame une disposition générale à valeur contraignante. Le mandat sont des instructions administratives qui sont adressées par les services impériaux au magistrat ou au fonctionnaire délégué. Ces deux manières de légiférer correspondent à des ordres pris à l’appui du pouvoir de l’impérium.

Les décrets sont des jugements rendus par l’empereur ou le préfet du prétoire dans le tribunal impérial, qui acquièrent source jurisprudentielle. Cela signifie qu’ils constituent des précédents inspirants les juges qui statueront à l’identique dans toutes les affaires qualifiées juridiquement de la même manière. Les rescrits sont des réponses épistolaires par voie de lettre impériale, à la requête émanant d’un particulier, d’un fonctionnaire, d’un juge, à quelqu’un qui veut connaitre la signification d’une règle de droit. Normalement, la réponse ne vaut que pour la personne qui pose la question. Mais en réalité, les juges et fonctionnaires s’inspirent de cette réponse au cas d’espèce et appliquent la réponse de manière identique dans toutes les hypothèses similaires. Ces constitutions relèvent la valeur d’un jugement afin de lui donner valeur à l’égard de tous. Ils sont appuyés sur l’auctoritas.

Les constitutions impériales représentent un moyen puissant de centralisation. Le droit romain se perpétualise dans ces constitutions impériales qui corrigent le droit romain classique dans le sens de la centralisation et de la bureaucratisation. Le droit romain se transforme et est pris en charge par les empereurs, c’est le droit romain de l’époque post classique.

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