Le droit romain de l’époque classique (jus civile, droit prétorien…)

Le droit romain de l’époque classique. : jus civile et droit prétorien

Cette époque classique s’étend du IIème siècle avant JC, jusqu’au IIème siècle après JC. Entre 509 et 202 avant JC, les romains se préoccupent de faire la paix et de régler les conflits qui les menacent de l’intérieur et de l’extérieur. Rome passe le plus clair de son temps à négocier ou à guerroyer. Il faut donc attendre le IIème siècle pour que naisse le droit classique. Les romains se débarrassent tour à tour des Samnites, des Gaulois, des Grecs de la Grande Grèce. Reste l’adversaire le plus redoutable : Carthage. En 202, s’en est fini de Carthage. La conquête sécurise à la fois le commerce et les institutions romaines, le droit classique peut donc apparaitre. Le droit existant pendant la conquête était archaïque, et il a laissé des traces. Il a façonné le droit classique triomphant. Entre 509 et 202, les institutions étaient en gestation, tout comme le droit. Sur cette période, est donc apparu le ius civile. Il remplace progressivement le droit archaïque, et le supplante, permettant ainsi l’affirmation du droit romain classique.

Avant l’époque classique, entre la royauté et le début de la République, règne en maitre le droit archaïque. Ce droit archaïque ne va jamais complètement disparaitre. Il sera un jour supplanté par le ius civile, préféré par les romains. Le droit archaïque se maintient au moins jusqu’à la fin de la République et organise notamment certains rapports familiaux. Il est très étroitement lié à la religion. D’ailleurs, son interprétation au VIème et Vème siècle est effectuée par des prêtres de Rome, les pontifes. Ils étaient donc les maitre de la règle de droit. Elle était encore inspirée des Dieux et était appelée le Fas. C’est le droit d’origine divine, ce qui s’oppose directement au ius civile, inspiré de la Cité. Mais les pontifes n’avaient que la garde du droit, la faculté de création du droit était entendue de façon empirique, c’est à dire au gré des circonstances. Le Fas est un droit oral, crée par l’expression de la décision du juge. Ainsi, le droit romain archaïque était crée par le pouvoir de dire le droit, de l’appliquer, ou pouvoir de iuris dictio. Ceux qui créent le Fas étaient les titulaires de la iuris dictio, en l’occurrence les juges. Ils exerçaient donc un contrôle total sur le droit, mais rapidement, pontifes et juges vont perdre ce contrôle. Au gré des cas d’espèces, le Fas évolue et se complète. Au tournant des VIème et Vème siècle, la coutume archaïque fait son apparition. Elle correspond à une laïcisation et une amplification du Fas. Cette coutume prend de l’ampleur et se complexifie. Le populus commence à avoir des revendications par rapport à la coutume archaïque. Le droit va finalement être rédigé, c’est la que tout commence. Le ius civile fait son apparition, supplante le Fas, et l’histoire juridique du droit français commence.

1- L’usage des ancêtres

C’est une institution au sens de corps de règles qui va organiser les usages collectifs, et qui porte un nom latin, le mos majorum. Il fait son apparition dans la vie collective romaine durant la Rome royale, c’est un droit archaïque qui remonte à la Rome d’avant 509 avant JC. Ce droit ne sera jamais complètement remplacé mais supplanté par le ius civile. Il continuera à réglementer jusqu’à la fin de la République certains aspects de la vie privée des romains. L’usage des ancêtres correspond à la coutume et se forme de deux manières. Il se compose des coutumes des groupes familiaux (coutumes particulières).

 

Dans la Rome royale, il existe une structure sociale de base, la grande famille citoyenne élargie, la Gens. C’est une cellule de survie, c’est autant une famille qu’un cadre de production agricole. Elle est articulée autour de la figure du protecteur, le Pater. Il a toute autorité et contrôle tout ceux qui sont de son sang, c’est le dernier vivant d’une lignée, il a sous son autorité et sa puissance tous ses descendants mâles. Ce Pater est responsable du culte domestique, et prend également toutes les décisions juridiques qui engagent la Gens. Toute convention qui engage doit être signée par la Pater. Il exerce cette juridiction sur les membres de la Gens et sur ses clients, c’est à dire ceux qui dépendent de ses terres ou de sa richesse. Ainsi, un rapport juridique de patron à client s’établit, le Pater protège et le client sert. Le Pater, de par sa fonction de juridiction domestique, est amené à prononcer des sentences pour régler les conflits au sein de sa Gens. Chaque fois qu’il rend une sentence, le Pater crée un précédent et il arrive qu’une sentence se reproduise à l’identique dans son résultat pour une autre sentence. La succession des précédents forme peu à peu la coutume de la Gens, propre à chaque famille. L’usage des ancêtres se compose donc de cette succession de précédents. Le mos majorum est aussi composé des coutumes de la cité. Ces coutumes sont gardées par les prêtres, les pontifes. Elles sont aussi composées de précédents mais cette justice publique n’est pas celle des paters.

L’usage des ancêtres est confondu parfois avec ce que l’on appelle les lois royales. Pour les auteurs latins de la République, aurait existé des lois royales. Deux rois de Rome auraient légiféré et auraient fait en sorte d’organiser le mos majorum et aurait fait du mos majorum une structure plus organisé qu’une simple coutume. Romulus et Numa seraient ces législateurs à l’origine de ces lois royales. L’existence de ces lois est confronté à la science des lois contemporaines. L’argument décisif tient dans le rôle exact dévolu aux assemblées populaires sous la Rome royale. Ces assemblées sont très effacées, et portent un nom, les comices. A l’époque des rois, il n’y a qu’une seule catégorie de comices, les curiates. Elle réunit les romains selon un critère de sélection : l’appartenance à une Gens. Globalement, ces comices étaient totalement sous le contrôle des paters. Ce n’étaient pas des assemblées de citoyens mais une représentation de la puissance des Gentes. En conséquence, ces assemblées n’étaient surement pas législatives. Si ces comices ne votaient pas de lois ordinaires, ils ne pouvaient pas non plus voter des lois royales. De plus, elles intervenaient rarement dans le domaine juridique, et n’intervenaient que dans deux cas : l’investiture des rois et pour modifier le rapport de force entre les différentes Gentes. Les comices étaient surtout une assemblée politique et non une assemblée législative. Il faut donc conclure que le premier droit romain était coutumier. Tout le droit romain s’est donc bâti au cas par cas de façon pragmatique en fonction des circonstances. La loi a bien été source du droit, mais pas de tout le droit et elle n’a jamais été source du droit avant la République. La loi source du droit est une réalité de la République romaine.

2- La loi des XII Tables et l’apparition du ius.

Le ius, c’est le droit en tant que réalité écrite qui fait son apparition avec la République en 509 avant JC. Les rois étrusques sont chassés de Rome et remplacés par des magistrats qui conduisent les troupes romaines au combat à la place des rois. Ils ont donc hérités du pouvoir de vie et de mort des rois, le pouvoir d’impérium. Puisqu’il permet de mettre à mort ou de faire vivre, il sert aussi à rendre la justice. Les magistrats républicains titulaires de l’impérium sont appelés les consuls. Ils sont deux au départ et le resteront jusqu’à la fin de la République illustrant la pratique de la magistrature collégiale et bicéphale. Le pouvoir d’impérium a une conséquence : les consuls profitent du pouvoir de la juris dictio, ou la faculté de dire le droit. C’est un progrès par rapport à la Rome royale car le partage des tâches semble s’équilibrer entre pontifes et magistrats publics. Par la iuris dictio, les consuls peuvent seuls accorder le droit d’agir en justice. C’est cela qui pose problème et provoquer pour des raisons démocratiques l’apparition du ius.

  • a) La rédaction de la loi des XII Tables.

Il n’existe aucun droit codifié au Vème siècle. Le droit coutumier est connu seulement des pontifes et n’est sanctionné que par décisions arbitraires des consuls. Or, il se trouve qu’en 451 la situation politique et juridique à Rome est devenue intenable.

Rome connait une crise importante et l’on trouve deux catégories de citoyens qui s’affrontent : les patriciens et les plébéiens. Cette affrontement est la conséquence des affrontements qui existaient entre les sujets de Rome et l’aristocratie sous la Rome royale. Ce n’est plus affrontement social ou économique mais juridique. Glissant sur le terrain juridique, la querelle souligne l’impossibilité des institutions à proposer des arbitrages entre les dominants et les dominés. Les patriciens se définissent en vertu d’un critère technique : il se définit comme un romain qui seul peut accéder au consulat. Un patricien appartient aussi à une famille dont les membres peuvent accéder au consulat et aux charges de pontifes. Les clients de ces patriciens ne sont pas concernés par ce privilège institutionnel. Les plébéiens sont les citoyens romains qui ne peuvent pas devenir pontife ou consul. La difficulté réside sur le fait que cette situation ne changera jamais. Les plébéiens sont en colère car ils ignorent les formules juridiques par lesquelles on peut faire valoir les droits, conservées jalousement par les pontifes et de plus, quand ils s’arrangent pour en découvrir certaines et qu’ils demandent l’ouverture d’un procès, le consul refuse systématiquement en 451. L’arbitraire du magistrat, la méconnaissance du droit sont les raisons du conflit et de l’éventuel éclatement d’une guerre civile. Mais les romains ne peuvent pas se permettre une guerre civile. Les plébéiens font la grève de la guerre, le Sénat est pris au piège et est dans l’obligation de composer. Il décide de céder face aux revendications plébéiennes. Il accorde deux réformes fondamentales : le droit sera écrit, et l’arbitraire du consul sera encadré.

Rome se dote alors de son premier texte juridique qui reste dans les mémoires : la loi des XII Tables. Cette loi est rédigée par une commission de rédaction composée de dix hommes, c’est une commission décemvirale. Ces hommes sont des magistrats réunis dans le seul but de rédiger la loi, reçoivent tout pouvoir et mène pendant un an une dictature destinée à tourner toutes les forces de la Cité dans un seul but : la rédaction du droit. Cette dictature est appelée la Constituante. Les romains se sont inspirer d’autres lois du pays, notamment le travail de Solon. En 450, dix tables sont rédigées et en 449, les douze tables sont rédigées. En 449, les décemvirs refusent de rendre le pouvoir et décide même d’en abuser. Claudius Apius, l’un d’eux décide d’enlever une jeune fille, Virginie et en fait son esclave. Le père de la fille refuse pour une question d’honneur et il décide de tuer sa fille. L’incident provoque une rébellion et les décemvirs sont chassés du pouvoir, laissant la place aux consuls, qui font ratifier la loi des XII Tables. Il ne s’agit pas malgré tout d’un Code au sens moderne du terme : elle ne comprend pas tout le droit romain, mais que le droit dont la connaissance était exigée par le plébéiens. Par exemple, la loi laisse de coté le droit de la famille, il n’est pas question de la puissance paternelle. De même, le droit des successions qui n’intéressent que les puissantes familles reste en dehors de la loi des XII Tables. Tout ce qui n’est pas traité par la loi est traité par le mos majorum, d’où sa persistance jusqu’à la fin de la République. La loi des XII Tables fonde le droit romain et permet l’apparition du ius civile.

  • b) Le ius civile.

Avant la loi des XII Tables, il n’y avait que la coutume ou les précédents judiciaires. A partir de la, le droit romain rentre dans le domaine de la loi. La loi s’affirme comme la source exclusive du droit privé romain. Le droit public reste lui l’affaire d’une loi particulière, autre que la loi des XII Tables, la Lex rogata. Elle est différente de la loi des XII Tables car elle n’est pas élaborée de la même manière. Elle est votée par les comices et reste relativement rare. On l’appelle ainsi car elle a fait l’objet d’une proposition provenant des consuls. Ces lois sont la maitrise de l’exécutif romain et des magistrats, ce qui n’est pas le cas du droit privé. Le droit privé romain est l’essence même de la démocratie, alors que le droit public est l’essence de l’oligarchie. Le droit privé se trouve incorporé dans la loi des XII Tables. La loi des XII Tables comprend la majorité du droit romain, mais pas dans son entier. Pourtant, les romains affirment que la loi est source exclusive du droit, et ceci pour une raison politique : le droit est désormais rédigé, publié. Le droit romain est affiché sur un catalogue, placé sur le comitium, ou espace public. Il se trouve sur le forum, là où s’organise la vie politique romaine.

 

Le service de la justice s’améliore sensiblement, le consul connait le droit car il n’a plus besoin de s’adresser aux pontifes et les justiciables peuvent aussi connaitre le droit applicable. Dorénavant, le consul est lié par le catalogue des actions prévues par la loi des XII Tables, et il n’est plus en mesure de refuser l’ouverture d’un procès. A partir de cela, la révolution des XII Tables est une révolution politique et non plus seulement technique. Le citoyen est à l’abri de l’impérium consulaire. De plus, le consul ne peut plus modifier la réparation d’un dommage en matière contractuelle, car elle fixée par la loi. De même, il est dans l’impossibilité de décider arbitrairement d’exercer des moyens d’exécution à un insolvable sur sa personne. La loi des XII Tables apaise donc la situation politique et éloigne pour un temps les risques de la guerre civile. D’un point de vue technique, la loi des XII Tables initie un nouveau corps de règles juridiques et permet inévitablement l’apparition du droit. Elle promet des procédures et des lois.

1) Le droit des XII Tables.

La loi des XII Tables établit une liste des droits. Elle précise les droits qu’elle accorde à tout justiciable. Elle établit cette liste pour tout justiciable qui serait soucieux d’obtenir la réparation d’un dommage, la réalisation d’une obligation ou encore la satisfaction d’une prétention successorale. Chaque droit garanti accorde une action à celui qui veut faire valoir une disposition légale. Le justiciable va donc demander l’ouverture d’un procès en faisant le choix de l’action qu’il veut mettre en oeuvre. Au commencement de sa cause, le justiciable doit convaincre le consul que l’objet du litige, que l’affaire qui le concerne, correspond exactement mot pour mot à une des catégories prévues par la loi. Il doit invoquer un droit qui correspond précisément à l’objet du litige. Le droit romain archaïque est donc par essence formaliste et en cela, la rédaction de la loi des XII Tables n’est pas une laïcisation du droit. Une action correspond très exactement à la lettre près à une disposition de la loi des XII Tables. Par exemple, dans la Table XVIII, fragment sept : « s’il tombe des glands de ton arbre sur mon terrain et que je les fasse manger par mon troupeau, tu ne peux agir contre moi par l’action de la loi XII Tables prévue contre ceux qui font paitre leur troupeau dans la clan d’autrui ni par l’action en réparation du tort causé par les bestiaux». Il n’existe donc aucune marge dans l’application de la loi des XII Tables.

Si la victime se trompe et réclame l’action dénonçant l’os fractum, alors qu’il aurait fallu choisir l’action dénonçant le membrum ruptum, le consul prononce la denegatio actionis. Malgré ses intérêts, la loi des XII Tables exige une très grande connaissance des droits et des actions qui permettent de le faire valoir. Le formalisme romain va exister aussi sur un autre point. En dehors des droits qui sont listés, et en dehors des actions qui permettent la mise en oeuvre des droits devant le magistrat, aucun autre droit n’existe. Si l’objet du litige est ignoré par la loi des XII Tables, le justiciable ne pourra jamais obtenir réparation. C’est aussi la raison pour laquelle les romains estiment qu’en 449, le droit rentre dans le domaine de la loi et qu’elle devient l’affaire exclusive du droit privé.

Dans son contenu, la loi des XII Tables fixe pour un temps l’organisation sociale de la société. Elle n’entre pas dans le détail juridique de la Gens mais la conforte dans son existence et sa puissance. Elle établie de façon durable le rapport entre le patron et son client. Dans la Table XVIII, fragment 21 : «que le patron soit sacer s’il a frustré son client». Il est voué au Dieu et peut être mis à mort par n’importe qui. En dépit de son archaïsme, la loi des XII Tables fait également évoluer le droit romain et pose les bases du droit privé classique. Elle est importante notamment en matière contractuelle, les romains font de notables avancées en matière de droit des contrats. La loi permet de sanctionner des conventions, des accords entre individus par le recours aux rites religieux. Les accords sont dorénavant source d’obligation contractuelle et peuvent être sanctionnés en justice. Un contrat archaïque reçoit grâce à la loi des XII Tables une sanction légale systématique et prend le nom de stipulatio. C’est le contrat le plus simple et le plus usité par les romains. C’est un contrat unilatéral et formaliste, oral formé par le prononcé de paroles strictement imposées par la tradition. La rencontre des volontés ne suffit pas. L’obligation nait lorsqu’un futur créancier, qu’on appelle le stipulant, pose une question au futur débiteur, le promettant, lequel promet en utilisant les mêmes mots prononcés par le stipulant, mais sous une forme affirmative.

Les mots traditionnels sont «spondesne? spondeo». Aujourd’hui, on garde une trace de ce rite et de ce formalisme. L’article 1162 du Code civil voit toujours le créancier comme un stipulant et reproduit une règle romain d’interprétation des conventions. En cas de litige, selon cet article 1162, on retient l’interprétation de la convention qui est la plus favorable au débiteur, et pour ceci pour une raison romaine : le créancier qui a posé la question doit subir les conséquences d’une question mal posée. Les romains se servaient beaucoup de ce contrat pour la novation.

Avec le temps, les romains commentent et interprètent la loi des XII Tables, et découvrent d’autres contrats unilatéraux, qui sont justifiés pour les besoins agricoles. Ils découvrent le mutuum (prêt à titre gratuit) contrat qui se forme par la constatation d’un élément rituel qui vient garantir et sécuriser l’obligation. Ce contrat se forme par la remise d’une chose ou tradition de la res. Il porte surtout sur de l’argent mais très souvent aussi sur des denrées alimentaires. On s’oblige par ce contrat à rendre l’équivalent de la chose prêtée, mais rien de plus. Il est possible de faire naitre l’intérêt mais il faut que les parties ajoutent un contrat supplémentaire : une stipulation d’intérêt. Ces contrats fixés par la loi régule la vie quotidienne au sein de la Cité romaine. Ils apparaissent homologués par la loi des XII Tables. Ils ont néanmoins besoin d’être sanctionnés par la loi pour être contraignant. Jusqu’alors le religieux et la puissance de la Gens suffisaient mais avec les XII Tables, inutile de recourir au prêtre et au Pater, la sanction du droit devient l’affaire de la loi.

2) La procédure des Actions de la loi.

Dans le droit romain archaïque après la rédaction de la loi des XII Tables, les procès sont engagés devant le consul en suivant une procédure caractéristique qui comprend les moyens immédiats de garantir les droits énumérés par la loi des XII Tables. Les romains donnent un nom à ces moyens : les Actions de la loi. Ces procédures sont affectées au service de la loi et non créées par la loi. Elle permettent que les droits soient sanctionnés. Ces actions de la loi sont pour certaines antérieures aux XII Tables, héritées des débuts de l’époque républicaine. La loi a donc à la fois consolidé la tradition et progressé la marche du procès romain en créant d’autres procédures. Les Actions de la loi sont les suivantes : le sacramentum, la iudicis arbitrive postulatio, la condictio, la pignoris capio et la manus injectio. Ce sont les seules procédures qu’on peut utiliser pour obtenir sanction en justice.

Le sacramentum est une procédure solennelle et formaliste qui repose sur le serment. Elle nécessite la présence du consul et de témoins. Elle permet de sanctionner une grand variété de convention : des obligations contractuelles comme des obligations délictuelles. Les romains s’en servent si jamais on leur doit une somme d’argent, en cas de vol pour obtenir réparation. Il est donc pratique mais lourd, et sa solennité est un obstacle. Il commence par la citation à comparaitre, la force publique n’intervenant pas. Il faut donc que la victime, futur demandeur, aille elle-même chercher l’autre partie. Ensuite, commence la deuxième phase de la procédure devant le magistrat par le choix de l’action spécifique qui correspond à l’objet du litige. Le plaideur doit consulter le catalogue des actions de la loi dans lequel il doit choisir le droit lésé et proposer au magistrat une formule d’action adéquate, susceptible de déclencher l’ouverture du procès. Si les plaideurs se trompent d’action, le consul refuse l’ouverture du procès. La procédure commence alors sa troisième phase : le sacramentum stricto sensu. C’est un défi dans lequel, les parties chacune à leur tour, interviennent et prononcent des paroles imposées par la tradition et la loi des XII Tables, afin de simuler l’objet du litige. Chacun des plaideurs prononcent «puisque tu as fait une opposition injustifiée à mon droit, je te défie par un serment de 500 as» et l’autre partie répond «et moi de même». Les termes du litige sont fixés, intervient alors la litis contestatio. Les parties ne pourront pas revenir un justice et reformuler les termes du litige pour le même objet. S’impose un principe en droit romain «bis de eadem re ne sit actio», qui signifie qu’une action n’est pas accordée en cas de cause répétée. Le magistrat doit condamner dans la quatrième étape. Mais la condamnation est faite sur le sacramentum, le magistrat doit alors déterminer qui s’est parjuré. En faisant cela, le magistrat désigne le perdant du procès et il a alors une obligation, il doit verser l’amende au Trésor de la Cité. Incidemment, l’obligation de payer la somme promise, de restituer l’esclave usurpé ou d’acquitter la peine fixée par la loi, qui faisait réellement l’objet du litige, a été tranchée de manière indirecte.

Le perdant devra alors s’acquitter de sa faute vis à vis de son cocontractant lésé. Cette procédure dure jusqu’à la fin de la République mais subit la concurrence d’autres procédures.

La iudicis arbitrive postulatio est une création des décemvirs. Elle intervient pour sanctionner des stipulations, et la litis contestatio y est aussi une phase centrale. Mais elle intervient beaucoup plus tôt, il n’est pas nécessaire de procéder à un défi, un pari juré. Après les affirmations contradictoires, les parties sollicitent directement de la part du magistrat la désignation d’un juge pour trancher le litige. Le juge n’est qu’un simple particulier, investi par le consul du pouvoir de prononcer un jugement exécutoire d’après les termes de la litis contestatio. Le particulier investit se comporte comme un juge pour juger de l’authenticité du litige et un arbitre, pour déterminer la compensation qui sera due au justiciable lésé.

La condictio est une procédure dite des actions de la loi, mais elle est née bien après la loi des XII Tables. Elle fonctionne comme les précédentes sur l’absolue nécessité de choisir l’action définissant le litige. Elle a été inventée au IIIème siècle avant JC, par la loi Silia. La condictio sert à sanctionner les créances certaines et abstraites, surtout les conventions qui portent sur des choses, les mutuum. Cette procédure reste abstraite car elles n’indiquent pas la cause juridique sur laquelle s’appuie le demandeur.

La pignoris capio ou prise de gage est une procédure d’exécution. La loi dans certains cas limitativement énumérés, autorise le créancier à saisir un bien du débiteur. Le créancier compte par ce biais sur le versement de la part du débiteur d’une somme libératoire, qui sera supérieur au montant de la dette initiale.

La manus injectio est une contrainte par corps. Elle est utilisée pour contraindre le perdant à s’exécuter. Après une période de trente jours suite au jugement, le gagnant peut à nouveau trainer le perdant devant le magistrat. Le créancier peut alors se saisir du débiteur, qui peut alors soit s’exécuter, soit être aidé par un citoyen secourable en soulevant une opposition contre le jugement effectué. Il commence alors avec le créancier un nouveau procès. Si personne ne vient en aide, le consul prononce l’addictio : cela signifie que le débiteur est remis au créancier. Il le garde enchainé pendant soixante jours, période durant laquelle il doit trois fois emmener son débiteur pour susciter sa libération. L’idée est celle d’un rachat de la dette par un citoyen. Si à la fin de cette période, personne n’a souhaité acquitter la dette, le créancier peut alors le vendre en tant qu’esclave ou le mettre à mort. Les romains préfèrent alors à ce moment là imposer au débiteur une exécution sur sa personne, un travail compensatoire jusqu’à ce que ce dernier vienne à l’équivalent de la dette qui était celle du débiteur.

Le catalogue des droits de la loi XII Tables, les actions affairantes à ces droits ainsi que les cinq Actions de la loi forment le ius civile, le droit des citoyens romains. Il reste celui des citoyens romains jusqu’à l’Edit de Caracalla. C’est un droit rigoureux à tout point de vue dans son expression comme dans sa procédure. Il représente en raison de ce formalisme un droit figé, qui n’évolue que très lentement sur des points accessoires et non sur des points fondamentaux. A partir du IIIème siècle, une nouvelle institution romaine se forme et vient compléter le droit archaïque, et permettre l’apparition du droit classique. Ce nouveau droit introduit une nouvelle forme de souplesse. Le ius civile n’est plus qu’une composante d’un droit romain plus innovant. Cette nouvelle institution c’est le préteur.

3- L’Edit du préteur.

Le peuple romain était un peuple de juriste, mais ce n’était pas un peuple de législateur. Ils ne l’étaient pas puisque finalement, ils ont voté un nombre restreint de lois. Sur l’ensemble de la République, on compte seulement huit cent lois ou leges rogatae. En ce qui concerne les sources du droit, un tout petit nombre concerne le droit privé, seulement vingt six lois. Le droit privé romain ne provient donc pas dans la loi, seulement dans la loi des XII Tables. Il procède d’une source essentielle, qui fait toute sa richesse, spécifique au droit romain, qui explique son adaptabilité. C’est un droit essentiellement prétorien.

 

  • a) Le préteur, source du droit.

Le préteur est un magistrat, il est en charge de l’exécutif. Il apparait en 367 avant JC dans les institutions publiques. Il est doté comme tous les magistrats supérieurs du pouvoir de vie et de mort, du pouvoir de l’impérium. Il pourrait donc se servir de ce pouvoir pour diriger les armées, pour agir avec le Sénat ou pour convoquer les comices populaires. Il ne fait rien de tout cela. Le préteur a été crée dans un seul but : assurer le service public de la justice dans la République romaine. Son rôle est de remplacer le consul, qui va s’occuper davantage de politique et d’armées. Dans un premier temps, à compter de 367, le préteur se contente de faire appliquer la procédure des actions de la loi. Les choses changent en 242, quand un deuxième préteur est crée, c’est le préteur pérégrin. Il vient s’associer au premier préteur, devenu le préteur urbain, compétent pour la ville de Rome, il dit le droit entre romain. Le préteur pérégrin est compétent hors de la ville, et dit le droit entre étrangers des pays conquis. Son rôle est de vider les procès entre romains et pérégrins. S’il est devenu indispensable, c’est en raison de la conquête.

En 242, Rome a déjà réalisé un nombre important de conquêtes, elle a inscrit dans sa sphère, un certain nombre de peuples étrangers. Interviennent donc des mutations sociales et économiques profondes. Rome découvre une certaine évolution des mentalités, et avec cela, il est nécessaire que le droit romain tienne compte de ces nouveautés apportées par la conquête. Le droit, par l’intermédiaire du préteur, va dépasser le cadre étroit du ius civile établit par la loi des XII Tables et mis en oeuvre par la procédure des actions de la loi. Avant la conquête, Rome était une citée autarcique, rurale, qui pouvait se contenter de mécanismes juridiques élémentaires (prêt à court terme entre amis, vente au comptant). Le formalisme des actions de la loi pouvait suffire et il n’était pas nécessaire de concevoir plus de droits que ceux listés dans la loi des XII Tables. Après la conquête, les romains découvrent les échanges de grandes ampleurs, Rome s’ouvre sur les cités conquises, prend contact avec des étrangers, découvrent le commerce. Avec le commerce, les romains découvrent la richesse et le crédit, bouleversement sociaux économique. Les romains doivent donc s’adapter, d’autant plus que le handicap du ius civile c’est qu’il n’était réservé qu’aux citoyens romains. Il ne pouvait pas servir à organiser les rapports entre les romains et les pérégrins. Le ius civile ignorait les mécanismes du crédit, il était obsolète, et devait être sujet à une évolution. C’est le préteur qui s’en charge, en créant de nouvelles actions qui n’existaient pas dans le ius civile. Ces actions se distinguent car elles sont non formalistes : elles ne reposent pas sur des rituels, elles s’appuient sur la bonne foi seule, vertu essentielle, la bona fides. Le préteur dépasse les rites archaïques, crée des actions qui vont pouvoir sanctionner des transactions passées entre absents et surtout, des obligations nées du seul accord de volonté des contractants. Rome découvre la sanction en justice des conventions entre absents et des conventions génératrices d’obligation nées du seul accord de volonté. Cette évolution est lente, elle s’accomplit sur plusieurs siècles. Il faut du temps, parce que le préteur va créer des actions d’une certaine manière. Le préteur n’a pas de pouvoir législatif, mais un pouvoir de iuris dictio. C’est en organisant les procès que le préteur va faire murir le droit romain et faire éclore que le droit classique. Il crée pour cela la procédure formulaire qui vient remplacer la procédure des actions de la loi et la supplanter.

  • b) La procédure formulaire.

C’est une procédure construite autour de la formule. C’est par la formule que le préteur va agir pour édifier le droit classique. Dans cette procédure, le préteur tient le rôle central. Deux institutions interviennent : le préteur qui dit le droit et un juge qui prononce la sentence. Elle se déroule de la manière suivante en quatre phases. La première phase correspond toujours à la citation à comparaitre. Il faut trainer l’autre partie en justice, le demandeur disposant dorénavant de certains moyens publics. Il peut obtenir des mesures conservatoires qui vont lui assurer que le défendeur acceptera de se déplacer. Il peut ainsi obtenir du préteur l’envoi en possession des biens du défendeur. Cela signifie que le demandeur pourra disposer de la pleine possession des biens du défendeur et cela jusqu’à ce que ce dernier se déplace. La cité organise aussi une menace de vente aux enchères les biens du défendeur.

Cette menace suffit généralement à décider le défendeur à se déplacer. La seconde phase est la plus importante, c’est la phase in iure. Le demandeur choisit la formule d’action qu’il entend mettre en oeuvre. Le préteur procède avec les parties à un examen sommaire du litige, il confronte la formule choisie et l’objet du litige. Il vérifie que l’action demandée existe et qu’elle est bien listée par la loi des XII Tables, ou qu’elle existe bien dans son propre édit prétorien. Le préteur vérifie aussi que l’action demandée correspond à la virgule près à l’affaire présente. Dans l’affirmative, le préteur rédige la formule qui accorde officiellement l’action et dresse de manière impérative la mission du juge. Elle est appuyée sur l’impérium, elle va dicter au juge la marche à suivre pour le procès.

La rédaction de la formule introduit la troisième phase, la litis contestatio. Les termes du litige sont fixés, et le demandeur ne pourra plus revenir en justice pour revendiquer le bénéfice d’un droit sur l’affaire qui est concerné. Intervient ainsi la quatrième phase, la phase apud iudicem. Le prononcé de la sentence est déléguée à un particulier, un citoyen romain connu pour sa sagesse. Le juge reçoit les parties qui viennent chez lui avec la formule rédigée par le préteur. Il suit la formule servilement, sans avoir besoin de réfléchir. Son rôle est d’examiner les preuves que les parties avancent. Après cela, soit il condamne, soit il absout. S’il condamne, la sentence accorde au demandeur un titre exécutoire, qui lui permet de faire exécuter la sentence. S’il refuse, le demandeur peut agir, mais à l’époque prétorienne c’est la procédure de la manus injectio. Cette procédure est en déclin, et à l’époque, le demandeur utilise l’actio iudicati. Elle permet de mettre en oeuvre des procédés d’exécution, qui permettent au demandeur d’exiger un travail compensatoire. C’est au cours de la deuxième phase de cette procédure que le préteur innove. Il crée du droit à partir de l’impérium, il complète les lacunes du ius civile et crée des formules d’actions nouvelles.

  • c) Les formules d’actions et la rédaction de l’Edit du préteur.

Devant le préteur, le demandeur doit choisir l’action correspondant à son litige. Mais de plus en plus, le préteur est confronté à des exceptions, car certaines actions n’existent pas. En théorie, le préteur doit refuser l’ouverture du procès et de prononcer la denegatio actionis. Mais le préteur décide de créer des actions nouvelles pour tenir compte des mutations économiques et sociales. La confiance a progressé, et le préteur décide à partir de la fin du IIIème siècle, que seule la bona fides peut servir à garantir des transactions. A partir de la, il crée des actions, notamment quatre contrats nouveaux. Ce sont des contrats consensuels reposant sur le seul échange des consentements et des contrats bilatéraux, synallagmatiques. Il s’agit de la vente, du louage, de la société et du mandat. Les autres conventions établies sur la bonne foi, mais ignorée par le préteur resteront de simples conventions. Toutes les conventions qui ne seront pas vente, louage, mandat ou société seront donc des conventions non contraignantes. C’est pas exception que le préteur à créer des conventions basées sur la bonne foi. Le principe reste donc le formalisme. En plus de la bonne foi, il crée des actions in factum, appuyée sur le fait. Le fait devient alors droit et peut obtenir sanctions en justice. Pour cela, il faut que ce fait se répète et non un cas isolé, et que le préteur tienne compte de cette répétition et décide d’accorder lorsqu’il observe le fait, une action pour le sanctionner. L’action in factum a permis la sanction en justice du dol, de la violence et par ces actions, le préteur a aussi crée des contrats comme le dépôt ou le gage. Au bout du compte, le préteur peut retenir dans la formule des actions du ius civile, des actions de bonne foi et des actions in factum. Le justiciable doit alors connaitre ces actions, et pour se faire, il fallait autre chose que la loi des XII Tables car elle fournit seulement la liste des actions du ius civile. Le préteur a donc pris l’habitude de rédiger son Edit.

Le préteur est élu pour un an. A chaque fois qu’il rentre en charge, le préteur prend l’habitude de rédiger un catalogue d’action qui va présenter toutes les actions qu’il acceptera de présenter au plaideur. Par ce programme, chaque préteur s’engage à accorder les actions listées dans son catalogue. On y trouve donc les anciennes actions du ius civile, les actions de bonne foi et les actions in factum. Cet Edit porte le nom d’Edit du préteur. Il est transcrit chaque année sur des tables de bois peintes en blanc (albus). L’édit porte donc le nom d’album. Il est affiché sur le forum à la disposition de tous. L’édit du préteur est une source de droit originale, d’une infinie richesse qui permet d’adapter le droit aux nécessités contemporaines.

L’action du préteur correspond donc à un processus de création du droit, le droit prétorien. D’autres magistrats que les préteurs donnaient des édits, moins importants, mais qui travaillaient à la création du droit de la même façon. On trouve parmi eux les édiles curules, en charge de la police du marché, et les gouverneurs de province en charge de la justice et rendre des édits pour organiser ce service. Tous se sont trouvés à l’origine du droit classique de la République romaine. Ce droit classique est venu compléter le ius civile, et ces sources classiques sont à l’origine du droit romain d’aujourd’hui. Le droit romain le plus illustre et performant est né sous la République, et est passé à l’épreuve du Dominat.