Le droit au séjour des membres de la famille du citoyen européen

Droit au séjour des membres de la famille du citoyen européen

La directive 2004-38 reconnaît un véritable droit au regroupement familial au profit du citoyen européen. Sont concernés :

  • le conjoint marié ou le partenaire avec lequel le citoyen de l’UE a contracté un partenariat enregistré sur la base de la législation d’un état membre, si conformément à la législation de l’État membre d’accueil les partenariats enregistrés sont équivalents au mariage (nouveauté par rapport à avant) ;

! En France : mariage et PACS.

  • Descendants directs du citoyen ou conjoint, de moins de 21 ans ou à charge ;
  • Ascendants à charge ;

Le droit au regroupement familial, conformément à la directive 2004-38, bénéficie à tous les citoyens qui se rendent ou séjournent dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité. De fait il peut y avoir des conséquences néfastes en droit, cela peut conduire à des discriminations à rebours car il pourrait y avoir des différences de traitement entre un national et un ressortissant, à savoir qu’un ressortissant serait mieux « traité » qu’un national.

Les récents arrêts rendus par la CJUE ont conduit à une extension considérable du champ d’application du droit au regroupement familial au profit du citoyen européen.

1) Arrêt Zambrano du 8 mars 2011

  • Faits: M et Mme Zambrano, de nationalité colombienne, arrivent en Belgique avec un enfant et ont deux autres enfants en Belgique qui obtiennent, du fait de la législation belge, la nationalité belge. M. Zambrano a trouvé un emploi, qu’il perd ensuite, et demande des allocations chômages. Or les autorités nationales belges refusent cette demande au motif qu’il ne détient pas un titre de séjour régulier. M. Zambrano exerce alors un recours contre cette décision et il invoque la violation de l’article 21 TFUE et de la directive 2004-38 (droit de séjour au profit du citoyen européen et des membres de la famille des citoyens européens).
  • Questions:

La cour s’interroge sur la possibilité d’invoquer la directive 2004-38, or elle n’est pas invocable en l’espèce car son article 3§1 est seulement applicable quand le citoyen se déplace dans un autre Etat membre (pas de mobilité intracommunautaire).

La cour s’interroge alors sur le fait que la décision ne pourrait pas être contestée au titre de l’article 20 (qui reconnaît un droit de séjour au profit du citoyen européen). Donc le fait de priver M. Zambrano de son droit à l’allocation de chômage ne prive pas les droits des enfants de M. Zambrano qu’ils sont sensés avoir du fait du droit de l’UE (car sinon, obligés de retourner en Colombie).

  • ! Portée :

La CJUE a dit pour droit que : « L’article 20 TUFE doit être interprété en ce sens qu’il s’oppose à ce qu’un Etat membre, d’une part, refuse à un ressortissant d’un Etat tiers, qui assume la charge de ses enfants en bas âge, citoyens de l’Union, le séjour dans l’Etat membre de résidence de ces derniers et dont ils ont la nationalité et, d’autre part, refuse audit ressortissant d’un Etat tiers un permis de travail, dans la mesure où de telles décisions priveraient lesdits enfants de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés au statut de citoyen de l’Union. » Dans cette affaire, la CJUE n’a pas appliqué le droit à la libre circulation. En effet, les deuxième et troisième enfants de Monsieur Zambrano n’ont jamais quitté la Belgique, pays dont ils ont la nationalité.

En outre, la CJUE a reconnu que les citoyens de l’Union européenne n’avaient pas besoin de circuler pour pouvoir invoquer leurs droits fondamentaux ou du moins certains d’entre eux dont celui de séjourner dans l’Etat dans lequel ils ont la nationalité. Comme les citoyens de l’Union « en bas âge » ne peuvent exercer leurs droits, dont notamment celui de séjourner dans l’Etat duquel ils ont la nationalité, sans l’aide et le soutien de leurs parents, la CJUE pour donner une effectivité pleine et entière à ce droit impose à l’Etat d’accorder, sur son territoire, un séjour à leurs parents qui en assument la charge.

Toutefois, il y a lieu de souligner que le séjour des parents de citoyens de l’Union en bas âge qui est garanti par cet arrêt n’est accordé par les Etats membres que sur base de leur législation nationale propre et que, par conséquent, ce séjour ne permet pas aux parents de bénéficier des dispositions de la directive 2004/38/CE et, donc, de la libre circulation.

Par la suite, la CJUE est venue préciser cette jurisprudence dans deux arrêts importants :

2) Arrêt McCarthy du 5 mai 2011

  • Faits: Madame McCarthy est binationale, elle possède à la fois la nationalité britannique et irlandaise. Elle est née au Royaume-Uni et y a toujours vécu. Par conséquent, elle n’a jamais exercé son droit de circuler et de séjour dans les autres Etats membres de l’Union européenne qui lui est reconnu en vertu des articles 20 et 21 TFUE. Mme McCarthy a épousé un ressortissant jamaïcain ne disposant pas d’un droit ou d’une autorisation de séjour au Royaume-Uni. A la suite de ce mariage, elle a demandé et obtenu un passeport irlandais sur base duquel elle a demandé pour elle-même et son mari un document de séjour sur base de la directive 2004/38/CE, demande qui a été rejetée par les autorités britanniques compétentes.
  • En l’espèce:

Dans un premier temps, la CJUE va examiner la question de savoir si la directive 2004/38/CE s’applique à un citoyen de l’Union qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation et qui a toujours séjourné dans un Etat membre dont il a la nationalité et qui possède, par ailleurs, la nationalité d’un autre Etat membre. La Cour va répondre négativement à cette question et ce pour les raisons suivantes : le champ d’application rationae personae de ladite directive est défini dans son article 3 qui dispose que « 1. La présente directive s’applique à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un Etat membre autre que celui dont il a la nationalité ». Autrement dit, pour que la directive trouve à s’appliquer, il faut que le citoyen de l’Union qui s’en prévaut ait circulé, ce qui n’est pas le cas en l’espèce.

Ensuite la CJUE examine l’applicabilité de l’article 21 du TFUE à la même hypothèse. Comme dans Zambrano, la CJUE rappelle que la citoyenneté de l’UE a vocation à être le statut fondamental des ressortissants des Etats membres et que des mesures nationales ne peuvent avoir pour effet de priver les citoyens de l’Union de la jouissance effective des droits que leur confère ce statut. Toutefois, elle nuance immédiatement sa jurisprudence Zambrano en mentionnant que la mesure nationale en cause n’a pas pour effet de priver Mme McCarthy « de la jouissance effective de l’essentiel des droits attachés à son statut de citoyenne de l’Union ou d’entraver l’exercice de son droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres. »

3) Arrêt Dereci du 15 novembre 2011 :

Ici, la cour vient préciser le critère de la jurisprudence Zambrano, c’est-à-dire la privation de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’UE. Dans quelle mesure un citoyen européen qui n’a jamais fait usage de sa liberté de circulation peut-il se prévaloir de ce critère pour faire venir sa famille ?

La Cour explique que ce critère ne pourra être rempli que dans des hypothèses très spécifiques. Il se réfère à des situations caractérisées par les circonstances que le citoyen de l’UE se voit obligé en fait de quitter le territoire non seulement de l’ETAT MEMBRE dont il est ressortissant mais également de l’UE prise dans son ensemble. Il ne vise donc que des situations dans lesquelles, en dépit du fait que le droit secondaire relatif au droit de séjour des ressortissants d’État tiers n’est pas applicable (directive 2004-38 qui s’applique pas), un droit au séjour ne saurait exceptionnellement être refusé à un ressortissant d’un État tiers membre de la famille d’un ressortissant d’un Etat membre sous peine de méconnaître l’effet utile de la citoyenneté de l’Union dont jouit ce dernier ressortissant. Le seul fait qu’il pourrait paraître souhaitable à un ressortissant d’un état membre, pour des raisons d’ordre économique ou afin de maintenir l’unité familiale sur le territoire de l’Union, que des membres de sa famille, qui ne disposent pas de la nationalité d’un état membre, puissent séjourner avec lui sur le territoire de l’Union ne suffit pas en soi pour considérer que le citoyen de l’Union serait contraint de quitter le territoire de l’Union si un tel droit n’est pas accordé.

L’appréciation du critère de la privation des droits liés au statut de citoyen est appréciée de manière restrictive. À part la situation Zambrano, il y a donc peu d’application à peut-être pour les enfants et les handicapés…

Cas pratique :

Pour sécuriser sa situation, M. Tajoua (ressortissant japonais marié avec une ressortissante allemande avec qui il a eu une fille allemande) décide de demander aux autorités nationales une carte de séjour de membre de la famille du citoyen de l’UE. Sa demande est rejetée au motif qu’il ne peut pas se prévaloir du droit de l’UE.

Deux questions sont posées à la CJUE : peut-il invoquer la directive 2004/38 ? Et dans le cas contraire, peut-il se prévaloir des dispositions du traité relatives à la citoyenneté européenne ?

Concernant la directive 2004/38, les bénéficiaires sont énumérés à l’article 3 qui vise le citoyen européen et les membres de sa famille (conjoint marié + ascendant à charge). M. Tajoua peut donc se prévaloir du lien avec deux citoyennes européennes : sa femme et sa fille. S’il se prévaut de la qualité de membre de la famille de sa fille pour bénéficier de la liberté de circulation et de séjour il doit être un ascendant à charge de sa famille ce qui est improbable (sa fille ayant 9 ans !). Au titre du lien qu’il a avec sa femme, la directive 2004/38 qu’un membre bénéficie de la liberté de circulation et de séjour, comme il y a mariage ils sont liés même si séparés (pas divorcés). Donc M. Tajoua doit être considéré comme un membre de la famille d’une citoyenne européenne au titre de sa qualité de conjoint. Cependant l’article 3 précise que la directive s’applique à « tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité ainsi qu’aux membres de sa famille qui l’accompagne ou le rejoigne ». Pour bénéficier de la liberté de circulation et de séjour prévue par la directive 2004/38, la qualité de membre de la famille ne suffit par car il faut un élément d’extranéité qui est celui de rejoindre/accompagner un citoyen de l’UE. En l’espèce, M. Tajoua ne peut donc pas être considéré comme un bénéficiaire de la directive.

Concernant les dispositions du traité sur la citoyenneté, il faut ici se référer aux articles 20&21 qui reconnaissent la liberté de circulation et le droit au séjour dans un autre État membre au citoyen européen. Ces deux dispositions ne confèrent aucun droit autonome aux ressortissants d’États tiers, mais elles peuvent conduire à conférer des droits dérivés de l’exercice du citoyen européen lui-même. En principe, les articles 20&21 ne peuvent pas être utilisés dans une situation purement interne, c’est-à-dire que pour justifier le maintien du ressortissant d’État tiers membre de la famille sur l’État dont le citoyen à la nationalité.

Mais, il ressort de la jurisprudence de la CJUE que dans des hypothèses exceptionnelles le droit au séjour doit être reconnu au ressortissant d’État tiers membre de la famille du citoyen européen sur le fondement des articles 20&21 (droit au séjour dérivé) lorsqu’il est établi que le refus de droit au séjour est de nature à priver le citoyen européen de l’essentiel de ses droits conférés par le statut de citoyen européen (cf. arrêt Zambrano). Selon la CJUE, cette hypothèse correspond au cas où le refus impliquerait que le citoyen de l’UE – du fait du refus de séjour – se voit obliger de quitter le territoire de l’UE.

Par conséquent, son refus de titre de séjour en tant que membre de la famille d’un citoyen européen ne conduire pas à priver sa femme et son enfant de l’essentiel de leurs droits conférés par le statut de citoyen. Pour autant, M. Tajoua pourra justifier cette demande par d’autres directives, notamment celle sur le séjour de longue durée d’un ressortissant sur le territoire d’un Etat membre.