Le droit talmudique

La tradition juridique talmudique.

C’est la tradition des personnes de confession juive, cette tradition se fonde sur le Talmud, texte de base de la religion et du droit juif.

Cette étude présente un double intérêt. Cette tradition est l’une des plus anciennes traditions juridiques encore vivante aujourd’hui, avec la tradition Hindoue.

De plus, le peuple juif a réussi à conserver une identité relativement stable à travers les siècles.

Torah et droit Talmudique - Israel Magazine

Section 1. Les fondements de la tradition juridique talmudique.

L’origine est assez difficilement datable, car le peuple juif existait bien avant la révélation des 10 commandements à Moïse sur le mont Sinaï. C’est ce fait qu’on peut prendre comme départ de cette tradition à savoir le 13ème siècle av. J.C. C’est cet évènement qui a changé la nature de la tradition juridique juive et lui a donné son visage actuel, à savoir un droit religieux.

Ces fondements résident dans la révélation de la parole divine à Moïse, traduite dans 5 livres qui racontent l’histoire du peuple juif depuis la création du monde jusqu’à la mort de Moïse, c’est le pentateuque. Ce pentateuque, regroupe, la Genèse, l’Exode, le Lévitique, les Nombres et le Deutéronome. Ce sont les 5 premiers livres de l’ancien testament ou Torah écrite. Torah désigne aussi la totalité des enseignements divins, c’est la Torah au sens stricte (toute la bible juive).

Des interprétations ont eu lieu dans l’étude de ce texte, ces commentaires ont été intégrés à la tradition juridique juive. La période essentielle de ces commentaires s’étend du 13ème au 6ème siècle avant J.C. Cette période se ferme avec la destruction du 1er temple et l’invasion babylonienne.

La tradition était d’abord orale, les personnes étudiaient ces commentaires par cœur dans des écoles. Elle était aussi considéré comme de source divine, c’est ainsi que s’est ajoutée à la Torah écrite, une Torah orale. A partir du 6ème siècle av. JC jusqu’à 1948, les juif n’eurent plus de territoire propre et le phénomène de la diaspora a commencé à se développer. Les juifs émigrèrent en Europe et en Afrique du Nord.

Un second temple fut cependant construit, mais il fut détruit en 70 après J.C. Seul son mur occidental a été conservé, c’est le mur des lamentations. Dès lors la diaspora s’est accélérée et on a alors craint de perdre la Torah orale, c’est pourquoi il fut décidé de la transcrire par écrit. Cette rédaction a duré de 70 à environ 200 ap. J.C. Le texte qui en résulte se nomme « Torah Orale », mais le plus souvent on le dénomme « Mishna » (du verbe étudier). Cette rédaction n’a cependant pas figé les choses.

L’interprétation orale et la discussion de la Mishna se sont poursuivies pendant encore 3 siècles. De nombreuses opinions furent émises par des personnes qui avaient acquis une maitrise des textes, et leur importance s’est faite de plus en plus grande. Les divergences étaient considérées comme instructives. La multiplication de ces opinions a créé à nouveau le besoin de les transcrire par écrit, cela s’est fait par 2 recueils appelés Talmud. Le premier Talmud fut celui de Jérusalem, rédigé au 5ème siècle et avait l’ambition de réunir les interprétations les plus intéressantes de la Torah écrite et de la Torah orale, on l’appelle le Gemarah. Vers les 6ème et 7ème siècles une nouvelle rédaction fut entreprise qui donna naissance au Talmud Babylonien, considéré comme plus ardu, mais aussi comme étant plus instructif. Le terme Talmud désigne uniquement ces 2 recueils, mais on a tendance à l’utiliser pour désigner aussi la Mischna et le talmud. C’est la base de la tradition juridique talmudique. Le Talmud traite aussi d’autres aspects de la vie humaine. Tout membre de la communauté juive a le devoir d’étudier le Talmud et la Torah, de sorte que le droit apparait comme l’affaire de tous.

Ce texte reste sujet à interprétation, rien n’est figé. Ce texte n’a pas d’auteur officiel et personne n’a décidé que le Talmud était terminé. En rédigeant il ne s’agit pas de clore le débat, mais de mettre les règles par écrit pour permettre la suite de la discussion.

D’autres commentaires eurent lieu après la rédaction du Talmud. Dès le 8ème siècles de nouveaux recueils de commentaires ont été rédigés, le plus célèbre de ses code est celui de Maimonide, rédigé au 12ème siècle, mais le plus respecté est celui de Joseph Caro du 16ème siècle.

D’autres sources juridiques obligatoires : la législation et les tribunaux ont en effet existés avant et après le Talmud. Après la destruction du 1er temple, une institution juridique et législative a été mise en place , c’est le Sanhédrin, qui comprend la grande assemblée (législative, avec les ancien) et le Bet Din. Le Sanhédrin a subsisté jusqu’à la destruction du second temple.

Le droit est applicable à tout juif où qu’il vive. Il peut être appliqué par les cours étatiques du pays où vivent les juifs mais seulement pour les questions personnelles. Il peut être aussi appliqué par les cours rabbiniques dans les états qui les acceptent, par ce moyen on règle les questions relevant du statut personnel et d’autres questions. Les cours rabbiniques étaient composées de 3 membres, rabbins et magistrats. On pouvait désigner en plus des groupes de 3 personnes pour arbitrer les litiges. Il n’y avait pas de cours d’appel habilitées à trancher en seconde instance.

La première cour rabbinique créée par Moïse comptait 71 membres, c’était une instance législative et judiciaire (le Beth Din avait fonction judiciaire). Le Beth Din a perduré partout où vivaient des populations juives, il est composé de 3 rabbins à très grande autorité morale. Ces rabbins cherchent en priorité à concilier les parties et à les réconcilier. La procédure est expéditive et la représentation par avocat n’est ni requise ni encouragée.

La compétence du Beth Din peut être invoquée même quand une partie n’est pas juive, cela servira ainsi d’alternative au procès traditionnel (de l’état quand il accepte cela). Ce fait n’est pas rare dans la mesure où les règles de droit talmudique couvrent quasiment toutes les règles de droit privé et commercial.

Le droit commercial s’est développé très tôt chez les juifs, car seuls les juifs avait le droit de commercer et ils se voyaient aussi interdire toute activité agricole, du fait qu’ils n’avaient pas le droit de posséder de terres dans les pays Européens.

Les personnes qui recourent au Beth Din s’engagent par avance à respecter sa décision. La seule voie d’appel possible est de demander au juge de réformer lui-même sa décision, il n’y a donc pas de véritable autorité de la chose jugée. Les décisions du Beth Din auront une grande autorité mais elles ne constituent pas des précédents, ici la règle du précédent ne s’applique pas.

L’application du droit talmudique a donné lieu à la rédaction d’un registre regroupant les responsas (décisions des rabbins les plus savants et respectés), ces opinions sont formulées en réponse à des questions qui peuvent leur être présentées en toute occasion (donc aussi hors litige). Ces responsas sont donc aussi des conseils, qui ont grande autorité et ont largement participé à maintenir la vitalité de la tradition juridique talmudique au fil des siècles.

Section 2. Les caractères du droit talmudique

4 grands caractères :

  • Une proximité avec la tradition des droits occidentaux. Les règles sont ici assez proches des règles juridiques occidentales actuelles, les subdivisions notamment. En droit de la famille le contrat de mariage se nomme Ketuba, il précise les conditions patrimoniales et le mari assumait l’administration des biens de son épouse (comme en droit européen avant la réforme du 20ème siècle). La polygamie bien qu’autorisée dans les textes était rejetée par les rabbins. Le divorce se rapproche de la répudiation en droit musulman, il est prononcé devant le Beth Din et la conjointe est habilitée à donner son opinion, bien que le consentement du mari soit essentiel. Le droit de succession ne reconnait pas la liberté testamentaire, ce qui remet en cause l’admission du divorce. La propriété privée n’est pas à l’origine reconnue, mais au fil du temps elle sera admise avec l’obligation de faire don des récoltes aux pauvres. Le droit des obligations ressemble au droit des obligations romain, le principe général de contrat avec le consentement des parties n’y existe pas, et des formalités à titre de nullité sont imposées. En responsabilité pénale et délictuelle, elles ne sont pas clairement ici distinguées ; certains délits correspondent à des sanctions pénales et d’autres sanctions sont plus des sanctions civiles.
  • C’est un droit théocratique. La Torah et le Talmud ne contiennent pas de droit au sens strict, ils contiennent des contes philosophiques. C’est une position intermédiaire, les textes traitent de différentes questions qui tantôt intéressent le droit et tantôt non. On distingue ici les textes à sens juridique (Halakha, chemin ou voie à suivre) et ceux qui n’ont pas ce sens (Haggadah). La part de la halakha est la plus importante, car la tradition est profondément normative, elle réglemente tous les secteurs de la vie. Ainsi l’alimentation fait l’objet de règles contraignantes (la Kashrout). Cette tradition talmudique a ainsi la particularité de laisser très peu de questions hors du champ du droit. Cela confère un aspect théocratique à cette tradition, bien qu’elle ne revendique pas spécialement que le pouvoir politique soit donné aux autorités religieuses. Ce caractère est tempéré par une certaine incertitude sur le contenu exact des règles qui sont sans cesse discutées, c’est ainsi un droit souple et ouvert à la discussion.
  • Un droit souple et ouvert à la discussion. La tradition talmudique bien qu’écrite, n’est ni déclaratoire (pas de disposition particulière comme la propriété dans le code civil) ni prescriptive (interdit de faire ceci ou cela). Elle est plutôt argumentative, car il n’y a pas un texte mais plusieurs qu’il faut étudier et confronter. De même il y a plusieurs auteurs. On pourrait dire que ces multiples auteurs ne parlent pas l’un après l’autre mais simultanément, cela donne un méli-mélo. Aucune autorité n’est là pour donner raison à tel ou tel auteur, personne ne donne la règle à retenir. Il n’y a pas d’institution qui soit à même d’unifier l’interprétation du texte (ni cour d’appel, ni cassation). Ainsi le débat n’est jamais clos, mais reste ouvert. Ce caractère argumentatif est renforcé par le fait que l’étude de ces textes se fait de manière interactive les uns avec les autres ; ceci a lieu dans les yeshivas (du verbe s’asseoir). Ainsi la tradition n’est pas aussi rationaliste que la tradition romaine ou celle de Common Law. La réponse donnée par une personne peut être individuellement rationnelle, mais peut aussi souvent se heurter à des opinions contradictoires, chaque traduction d’un problème peut donc entrer en conflit avec une autre. La réponse donnée à une question ne s’accorde pas forcément avec la réponse à une autre question. On ne peut donc pas rationnaliser le droit talmudique dans son ensemble (pas d’ensemble systématique et cohérent). Ces diversité internes qui caractérisent la tradition talmudique sont d’autant plus forte que la communauté juive elle-même est diverse. La diaspora a introduit une séparation entre juifs sépharades (Afrique du Nord, formée à l’origine en Espagne, ce mot signifiant d’ailleurs « Espagne » – très influencée par la culture arabe) et ashkénazes (formée en Europe de l’Est, ce terme signifiant « Allemagne », influencée par la culture slave et germanique). Selon la communauté les pratiques vont différer.
  • C’est un droit non moderne (a moderne). Ce qui caractérise notre droit de tradition civiliste dans sa modernité, c’est l’existence de droits subjectifs, or ceci n’est pas présent dans la tradition talmudique. Elle ne hisse pas les valeurs humaines au rang de valeurs suprêmes. Ainsi la tradition est plus fondée sur la notion de devoir que de droit. Le premier devoir est celui de vénérer Dieu et de témoigner de sa foi en étudiant la Torah et le Talmud. Ce n’est pas non plus une tradition qui exalte l’égalité. Les textes assignent à chacun son rôle que chacun doit respecter puisqu’il s’agit de la volonté divine. On retrouve ceci plu particulièrement dans les rôles qui sont assignés aux hommes et aux femmes. Les femmes ne participent pas pleinement à la vie religieuse et ne sont pas appelées à étudier les textes de la même manière. Lors du culte elles sont aussi séparées des hommes. Seuls les hommes font traditionnellement la bar mitzva (communion à l’âge de 13 ans). Le divorce ou « get » est avant tout l’affaire de l’époux, il y a donc un resurgissement religieux dans le domaine civil.

On peut ainsi penser que cette tradition est fragile. On constate que le droit Talmudique a perdu de sa positivité, il n’est pas applicable aux juifs dans leur intégralité. Même en Israël il n’est plus appliqué que dans les questions relatives au statut personnel et familial.

Face à cette perte de positivité, la tradition talmudique ne se trouve pas très bien armée pour se défendre. La grande caractéristique de la religion juive n’a en effet pas de tradition d’expansion, on n’y trouve pas prosélytisme, à la différence des autres religions.

On considère que le judaïsme est bon pour les juifs, mais pas forcément pour les autres. En revanche de grand efforts sont développés au sein de la communauté pour éviter que les membres ne s’en détachent. Mais cela devient de plus en plus difficile aujourd’hui, car de plus en plus de membres se laissent séduire pas les modèles alternatifs des sociétés modernes ; il y a de plus en plus de mariages mixtes. Or la judaïté se transmet traditionnellement par la mère. Les conversations sont difficiles et il est aussi difficile en =suite de se faire reconnaitre véritablement comme juif. Ainsi la tradition talmudique risque encore de perdre de sa positivité. Seul Israël demeure un ciment unificateur du positivisme de cette tradition.