Comment concilier droits individuels et intérêt collectif ?

Les limites au droits individuels face à l’intérêt collectif

Dans l’ordre interne des limites aux droits et libertés individuels sont admises pour la protection de l’intérêt collectif. On peut distinguer 2 types d’intérêts collectifs : ordre public et le Service Public.

Comme l’ordre public qui vise à préserver certaines valeurs sociales, le Service Public en ce qu’il est destiné à répondre à un besoin d’intérêt général, il exprime un besoin collectif susceptible de justifier certaines limites au droit des individus.

1) L’ordre public

Dans les textes, il y a une référence article 11 de la DDHC qui évoque l’ordre public comme limite possible à la liberté d’opinion, à la liberté de manifester ses opinions. « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi.» Référence constitutionnelle à cet ordre public et le Conseil Constitutionnel en a fait un OVC dans sa décision du 27 juillet 1982 ; Le législateur peut se fonder sur cet OVC pour apporter certaines limitations aux droits et libertés. Ordre public a une fonction limitative des droits et libertés. On entend par ordre public, un ensemble de valeurs sociales considérées comme essentielles parce que nécessaires à la collectivité et qui pour cette raison doivent échapper à la libre décision de individus et relever de l’Etat plus ou moins directement. Si on retient une approche administrative, l’ordre public peut être défini comme le faisait le doyen Hauriou de « matériel et extérieur », composante traditionnelle. Et l’autre composante, concerne la dignité humaine ; composante plus récente. Sur la dimension traditionnelle de l’ordre public, elle date d’une loi du 5 AVRIL 1884 reprise dans le CGCT à l’article L 2212-2 et on déduit de cette formule ancienne que l’ordre public comprend la sécurité publique (prévenir les accidents aux personnes et atteintes aux biens ; la circulation routière), la salubrité publique (prévenir les maladies et les transmissions ; vaccinations obligatoires) et la tranquillité publique (nuisances sonores, manifestations etc.)

La nouvelle composante, la 4ème composante : arrêt du 27 octobre 1995 CE Morsang-sur-Orge affaire du lancée de nains ; Le juge affirme la 4ème composante de l’ordre public : le respect de la dignité humaine.

  • La sécurité publique comme borne possible aux libertés

Cas de la vidéo surveillance, moyen à l’appui de la sécurité publique.

La sécurité publique est l’objectif de toute société. L’homme est prêt à échanger de manière libre une part de sa liberté au profit d’une part accrue de sécurité (idée du contrat social, sécurité physique qui est privilégiée, tout Etat va avoir pour fonction d’assurer la sécurité physique de ses citoyens) La recherche de sécurité peut aller au-delà et peut être une garantie contre d’autres risques ; la sécurité peut recouvrer d’autres exigences. La sécurité a fait l’objet de nombreuses lois, lois qui ont affirmé que la sécurité était le premier des droits de l’homme ; sans la sécurité les autres droits ne peuvent être exercés. Parmi les nombreux moyens, on a la technique de la vidéo surveillance, technique qui poursuit un but légitime (assurer la sécurité publique) mais qui n’est pas non plus sans incidence sur les libertés individuelles.

Rapport de 2012 de la CNIL (créée en 1978) qui a en charge le contrôle des techniques qui mettent en cause la vie privée. Un Etat est en pointe sur la vidéo surveillance (Angleterre) mais la France développe beaucoup ses caméras. Le cadre juridique : juste équilibre.

Au niveau européen, on a peu de choses sur la vidéo surveillance. Décision de l’ancienne commission des Droits de l’Homme en 1998 LDH c. Belgique : la commission a affirmait que le fait de surveiller les actes d’un individu dans un lieu public afin de garantir la sécurité en utilisant un système de prises de vue mais sans enregistrer les données, n’est pas une ingérence dans la vie privée de l’individu. Elle considère que ce n’est pas une ingérence au regard de l’article 8 §2. La Cour européenne a eu à se prononcer le 28 janvier 2003 et dit qu’il en va autrement lorsque le procédé utilisé permet l’enregistrement de données (ça devient une ingérence étatique) PECK c/ RU —> prolongement de la jurisprudence de la commission ; si enregistrement ingérence !

Au niveau national, avant le 11 septembre 2001, la vidéo surveillance était plutôt vu comme un instrument de sécurité publique mais était ciblé et concernait des espaces publics considérés comme potentiellement dangereux (stades etc.) et privés (un certain nombre de magasins pour éviter les vols). La première loi française est une loi du 21 janvier 1995 loi d’orientation sur la sécurité qui définissait le cadre juridique de la vidéo surveillance. 2001 —> véritable tournant : la vidéo surveillance s’étend, elle est considérée non plus dans une optique de sécurité publique mais d’outil anti-terroriste. Loi de 2006 qui porte sur la lutte contre le terrorisme et étend le champ de la vidéo surveillance. A partir de s cette date la vidéo surveillance touche tous les lieux ouverts au public : voies publics, et lieux privés ouverts au public. A cette lutte antiterroriste, s’ajoute le développement des lois sur la sécurité publique : loi LOPPSI II de 2011 étend les finalités de la vidéo surveillance ; on ne parle plus de vidéo surveillance mais de vidéo protection. On ajoute la prévention du trafic de stupéfiants, prévention des risques naturels, les secours aux personnes, la lutte contre l’incendie.

En outre, le préfet dispose d’un nouveau pouvoir, il peut inciter les maires à doter leur commune de tels systèmes de vidéosurveillance. La commune est obligée d’organiser une réflexion sur la question de l’installation d’une vidéosurveillance et ensuite elle est libre de la faire.

Les conditions vont varier selon que la vidéosurveillance est installée dans un lieu public ou privé.

Lieu public ouvert au public: ça couvre les voies publics, le lieu d’un Service Public comme une mairie mais ça peut être aussi un lieu privé ouvert au public comme les grands magasins.

Lieu privé: lieu non ouvert au public comme appartement, bureau, entrepôt etc.

La CNIL vérifie la restriction d’accès ou non au lieu. Le premier est celui de l’autorisation préalable pour l’installation d’un système de vidéosurveillance. Pour l’installation d‘un système dans un lieu public il faut un régime d’autorisation préalable. Dans ce cas ce sont les lois de 1995, 2006 et 2011 qui s’appliquent (soit but sécurité public, antiterrorisme, catastrophes naturelles etc.) et l’autorisation préalable doit être donnée par le préfet après avis de la commission départementale.

Dans le deuxième cas, on exige une déclaration préalable à la CNIL, ça couvre les lieux privés. Donc tout ce qui va couvrir la surveillance au sein de l’entreprise. La CNIL a un rôle en amont et grâce à cette déclaration, elle va pouvoir vérifier les buts pour lesquels l’installation est engagée et vérifier l’adéquation des moyens par rapport à la finalité.

Quelles sont les garanties ? Le Conseil Constitutionnel avait été saisi de la loi de 1995 qui avait introduit le système de vidéosurveillance et il avait validé le système juridique mis en place mais avait toutefois considéré qu’une disposition était non conforme à la Constitution : disposition qui prévoyait que le silence gardé par l’administration pendant 4 mois à une demande valait acceptation. Disposition inconstitutionnelle qui porte atteinte à la liberté individuelle.

La loi de 2011 généralise la vidéo-protection mais apporte une garantie nouvelle. La reconnaissance en 2011 de la compétence de la CNIL pour contrôler l’ensemble des systèmes de vidéosurveillance qu’ils soient installés dans les lieux publics ou privés.

La limite tient à ses possibilités matérielles, elle a désormais un champ de contrôle très large elle peut mettre en demeure les responsables de se mettre en conformité avec les règles mais la difficulté est que c’est une Autorités Administratifs Indépendantes et n’a pas forcément les moyens d’action pour exercer ce contrôle.la CNIL veille à 4 choses :

  • il faut une information du public ;
  • respect de l’intimité (toilettes, vestiaires etc.)
  • durée de conservation des données limitée (1 mois).
  • possibilité de consulter les enregistrements.

Exemple : en mai 2011 elle a contrôlé les caméras installées dans plusieurs établissements scolaires. AU départ, les ES installaient les caméras aux abords de l’établissement et progressivement à l’intérieur et la CNIL a considéré que le fait de filmer de manière discontinu les élèves dans l’établissement était excessif. La CNIL peut dépêcher des équipes qui contrôlent la mise en œuvre.

  • Dignité humaine

La dignité humaine n’a pas plus cette dimension intangible ?

C’est la quatrième composante de l’ordre public. Cela résulte de l’arrêt Commune de Morsang-sur-Orge. Cela traitait du lancer de nain dans les boites de nuit. Un maire a interdit le lancer de nain. Existait-il un fondement juridique à cette interdiction ? Le Conseil d’Etat dit que oui car elle se fonde sur un but d’ordre public, la protection de la dignité de la personne humaine.

Le juge judiciaire a lui aussi admis des restrictions aux libertés individuelles fondées sur la dignité humaine. Deux jurisprudences sont assez emblématiques : au milieu des années 90 l’entreprise Benetton mène une campagne de publicité qui marque sur un corps HIV positif. Les juges du fond considèrent que l’entreprise a utilisé une » symbolique de stigmatisation dégradante pour la dignité des personnes malades « . Les juges admettent une restriction de la liberté d’entreprendre et de la liberté d’expression.

Dans une affaire plus récente, une exposition de cadavres vient à Paris. Cette exposition peut-elle ou non être interdite ? La Cour de cassation rappelle qu’en vertu de l’article 16-1-2 du code civil, » le respect du au corps humain ne cesse pas avec la mort, les restes des personnes doivent être traités avec respect, dignité et décence « . Pour le juge judiciaire, l’exposition de cadavre à des fins commerciales / artistiques méconnaît ces exigences de dignité et de décence.

S’agissant de la dignité humaine, on va parfois protéger l’individu contre lui-même. On le voit dans l’affaire du lancer de nain. Le nain souhaite véritablement exercé cette activité.

La dignité humaine permet de protéger la collectivité. La protection instituée est aussi celle de l’individu, contre sa volonté.

Cette conception de la dignité humaine n’est pas la conception qu’ont l’ensemble des juges. La Cour européenne des Droits de l’Homme connait aussi de ce principe de dignité humaine, mais l’entend dans une acception différente : la CEDH, sur le fondement de la dignité humaine, va défendre l’autonomie personnelle. C’est le droit de s’autodéterminer, de décider pour soi. Pour le juge français cela va limiter la liberté de l’individu.

2) Les exigences du service public

C’est une activité d’intérêt général, assurée ou assumée par une personne publique, soumis à un régime particulier (définition de René Chapus). S’agissant de ce régime particulier, il y a un régime de droit commun qui tient aux lois de Rolland. On a le principe de mutabilité, le principe de continuité, le principe d’égalité. Le Service Public se doit d’évoluer avec le temps (mutabilité). Il est légitime que l’intérêt général soit exercé de manière continue, sans interruption (continuité). Les usagers et le personnel doivent être traités également par le Service Public (CE 1951 Société des concerts du conservatoire) (égalité).

S’agissant de ces deux derniers principes, ils sont imposés par la mission d’IG. La question des libertés individuelles va se poser. Le droit de défendre ses intérêts professionnels via la cessation de l’activité, la liberté religieuse via la question du signe religieux.

  • Principe de continuité et droit de grève

Le principal problème posé par le principe de continuité du Service Public et le principe du droit de grève. Elle se définit comme une interruption concertée du travail. Longtemps le principe de continuité a prévalu à tel point que le juge a estimé que le Conseil d’Etat principe s’opposait à la reconnaissance du droit de grève aux fonctionnaires et aux agents du SP. Cela résulte d’un arrêt du CE 7 aout 1909 Winkell.

La jurisprudence a évolué. La Constitution de 1946 a consacré le droit de grève dans son préambule parmi les PPNT. Quelques années plus tard, le Conseil d’Etat rend un arrêt Dehaene le 7 juillet 1950. Un fonctionnaire gréviste sanctionné par son supérieur conteste la légalité de la sanction qui lui a été imposée. Le Conseil d’Etat a affirmé qu’il y a nécessité de concilier continuité du Service Public et droit de grève. On n’a pas un régime uniforme s’agissant de l’exercice du droit de grève des agents dans le Service Public. Le droit de grève est reconnu à tous (salariés de l’entreprise comme agents du Service Public). Le régime juridique va dépendre de la mission conférée au Service Public.

C’est ainsi que l’on a certaines professions qui se voient refusées encore le droit de grève. Ce sont des professions qui exercent des Service Public régaliens. Il s’agit des magistrats, des policiers, des militaires. D’autres professions se voient imposées le service minimum. Tous les agents hospitaliers ont le droit de faire grève mais la conséquence est lourde sur les usagers. Cela a entrainé la possibilité de réquisitionner un certain nombre de grévistes pour assurer le service minimum.

Deux lois : une dans les transports et une dans les écoles montrent que la conciliation entre droit de grève et continuité du Service Public est toujours d’actualité. Une loi du 21 aout 2007 porte sur les transports réguliers de voyageurs. Elle ne met pas un service minimum en place mais en période de grève, cette loi vise à endiguer les effets négatifs de la grève à l’égard des usagers. Il y a une obligation d’information qui pèse sur les agents grévistes. Exemple : les cheminots grévistes doivent informer la RATP qu’ils feront grève.

Si les effectifs de non-grévistes le permettent, il y a obligation pour le Service Public concerné de mettre en place un plan de transport avec des dessertes prioritaires.

Autre loi : la loi du 20 aout 2008 relative aux écoles primaires. Elle met en place dans les écoles maternelles et élémentaires un service d’accueil des enfants les jours de grève. En période de grève du personnel enseignant un service d’accueil va être assuré. Le but est d’éviter le désagrément par les usagers.

  • La neutralité et la liberté de conscience

Le principe de neutralité du Service Public est vu comme le prolongement du principe d’égalité devant le Service Public. Il interdit que le Service Public soit assuré différemment en fonction des croyances et des convictions politiques des usagers. Cette neutralité religieuse se trouve formulée dans le principe de laïcité. Elle est inscrite à l’article premier de la Constitution qui dispose que la France est une république laïque. Elle assure l’égalité de tous les citoyens devant la loi et respecte toutes les croyances.

Ce principe de laïcité s’applique aux agents du SP. Les agents doivent respecter ce principe de façon à traiter de manière égale les usagers. La liberté religieuse est consacrée par le DDHC. C’est l’article 10. Au niveau européen c’est la convention européenne des droits de l’homme.

Les contours de cette obligation ont été précisés par un avis du CE du 3 mai 2000 Demoiselle Marteaux.Le Conseil d’Etat dans son avis va apporter trois précisions :

  • Tous les Service Public sont soumis au principe de neutralité et de laïcité.
  • Le Conseil d’Etat estime qu’il n’y a pas de distinction à faire en fonction des emplois concernés. Que la femme soit agent de service ou enseignante on ne distingue pas l’application du principe de laïcité.
  • S’agissant de la mesure disciplinaire, le Conseil d’Etat affirme qu’il faut prendre en compte le degré du caractère ostensible du signe religieux porté par l’agent.

Le principe de laïcité s’impose aux seuls agents. Il est étendu de manière exceptionnelle aux usagers du Service Public de l’enseignement public (excepté les usagers de l’université). Une loi de 2004 interdit le port de tout signe religieux ostensible dans les établissements publics. Solution apportée dans un arrêt de la CEDH du 4 décembre 2008 Dogru c/ France. La question maintenant est de savoir si la laïcité déborde la sphère du Service Public ?

Dans l’entreprise, la question du port de signes religieux ne fait pas un traitement à part. Le principe est la liberté de se vêtir comme bon lui semble le salarié. Il faut une justification par rapport à la tâche exercée pour poser des limites à la liberté dans le règlement intérieur. Deux arrêts récents rendus par rapport à cette question en date du 19 mars 2013 par la chambre sociale de la Cour de cassation.

1er arrêt (sur l’employée de crèche) : une femme revient de congé parental 5 ans plus tard voilée. Elle est licenciée pour faute grave et conteste ce licenciement. Les juges du fond ont considéré que ce licenciement était légal. Elle se pourvoi en cassation. Les crèches sont considérées comme exerçant des activités d’IG. Ce qui va faire défaut est la présence d’une personne publique. Conséquence : on n’applique pas le principe de laïcité. On applique le code du travail. On trouve un article qui permet de limiter le port du signe religieux de manière limitée, avec des exigences de justifications, de proportionnalité eu égard à la tâche réalisée. Selon la Cour les exigences ne sont pas remplies. Par conséquent le licenciement est illégal.

2ème arrêt (sur l’employée d’une caisse primaire d’assurance maladie) : est contesté le licenciement d’une femme qui travaille dans une caisse primaire d’assurance maladie, pour port du voile. On est dans le cadre d’un Service Public (intérêt général, présence d’une personne publique). Conséquence : le principe de laïcité s’applique.

Les deux employées relèvent du droit du travail mais dans des structures différentes. Dans la deuxième affaire le licenciement est légal, même si l’employée n’avait pas de contacts avec le public.

Au Canada, on a depuis les années 80 sur la question des signes religieux dans l’entreprise une large tolérance. La théorie des accommodements raisonnables s’applique. Elle désigne des traitements différents destinés à satisfaire des exigences de légalité. Il s’agit de mettre en place des assouplissements à la règle de droit lorsque son application aboutirai à une discrimination prohibée. Théorie reprise par la Cour suprême canadienne. Le juge va considérer qu’il faut aménager dans les limites du raisonnable les horaires de travail d’une vendeuse de façon à ce qu’elle soit en mesure de respecter ses obligations religieuses.

Bien entendu cela ne doit pas être un risque pour l’entreprise. Pour le juge appliquer les mêmes horaires à tout le monde aboutirait à une discrimination indirecte fondée sur la religion. La vendeuse est mise dans une situation plus difficile que les autres.